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mercredi, 20 février 2013

Nostalgies dans l'oeuvre

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Le prochain colloque international des
« 20th and 21st Century French and Francophone Studies »,
qui aura pour thème
« Trace(s), Fragment(s), reste(s) »,
se tiendra
du mercredi 27 au samedi 30 mars 2013 à Atlanta.
 
Une session sera consacrée à Céline le samedi 30 mars
sur le thème des
« Nostalgies dans l'oeuvre de L.‐F. Celine ».
Quatre interventions sont au programme :
 
Nostalgies dans l'oeuvre
de L.‐F. Celine
 
• Veronique Flambard‐Weisbart (Loyola Marymount University)
Le rendu émotif ou la trace du silence animal
 
• Sven Thorsten Kilian (Université de Potsdam)
La trace de l’événement dans la poétique de Louis‐Ferdinand Céline
 
• Anne‐Catherine Dutoit (Arizona State University)
Tracing the Tsarist past : Céline’s nostalgic féerie in Bagatelles pour un massacre
 
• Francois‐Xavier Lavenne (Université Catholique de Louvain)
                                                                                                        
Ruines du passé, traces de l’avenir
 
 
 

samedi, 09 février 2013

Bulletin célinien 349

Le Bulletin célinien n°349

février 2013

Vient de paraître : Le Bulletin célinien, n° 349.

Au sommaire :

Marc Laudelout : Bloc-notes
François Gibault : Le centenaire de Lucien Combelle
Pierre Assouline : Entretien avec Lucien Combelle (1988)
Philippe Alméras : Lucien Combelle relaps
Correspondance Combelle - Céline : "Révolution et révolutionnaires" (1942)
Lucien Combelle : L'heure est au pamphlet (1939)
Eric Mazet : D'un monument à l'autre
Frédéric Saenen : Albert Cossery, le sphinx


Abonnement : 55 euros à :

Le Bulletin célinien, Bureau St Lambert, B P 77, BE 1200 Bruxelles.

vendredi, 16 novembre 2012

Le Bloc-notes de Marc Laudelout

Le Bulletin célinien, n° 346, novembre 2012 

 

Le Bloc-notes de Marc Laudelout

 

lfcpam.jpgPendant des années, l’iconographie a été le parent pauvre de la bibliographie célinienne. D’autant qu’elle fut souvent réduite à des formats ne mettant guère en valeur ni les portraits, ni les lieux, ni les manuscrits présentés ¹. C’est seulement depuis peu que sont édités des ouvrages d’envergure pour le plaisir des amateurs  de documents photographiques. On  songe  aux deux albums  procurés par David Alliot : Céline à Meudon. Images intimes, 1951-1961 (Ramsay, 2006) et, en collaboration avec François Marchetti, Céline au Danemark, 1945-1951 (Le Rocher, 2008). Pour le cinquantenaire de la mort de l’écrivain, nous eûmes droit à une belle édition des photographies de Pierre Duverger : Céline. Derniers clichés (Imec-Écriture). Et, deux ans auparavant, au coffret Un autre Céline, composé de deux volumes [De la fureur à la féerie & Deux cahiers de prison] dû à Henri Godard (Textuel). Sans oublier les hors-série de magazines édités à l’occasion du cinquantenaire (Le Figaro-Magazine, Télérama, Lire, Le Magazine littéraire).

 

   Vient de paraître Le Paris de Céline par Patrick Buisson,  tiré  de  son  film éponyme ². Composé de quatre parties, cet album donne à voir les lieux en s’efforçant de restituer l’ambiance dans laquelle l’écrivain évolua, de son enfance (le passage Choiseul) à ses dernières années (Meudon) en passant par sa vie de médecin et  d’écrivain dans deux arrondissements populaires de la capitale (Clichy et Montmartre). C’est en historien, et pas seulement en lettré, que Patrick Buisson retrace l’itinéraire parisien du Docteur Destouches. Ainsi, rappelle-t-il qu’en 1925, la liste communiste de Clichy remporta la majorité absolue au conseil municipal. C’est là que le docteur Destouches allait, peu de temps après,  ouvrir son premier cabinet médical. L’ouvrage reproduit des photographies de l’époque mais aussi des extraits choisis de l’œuvre. La manière dont celle-ci s’est intimement nourrie de l’expérience vécue de l’écrivain est ainsi illustrée par l’image et par le texte de Céline lui-même, à l’instar de ce que proposa le film. Les pages évoquant le passage Choiseul, l’école communale, l’Exposition universelle de 1900, – qui ont inspiré des pages mémorables de Mort à crédit – constituent à cet égard une vraie réussite. Le format in-quarto y contribue autant que la reproduction pleine page de nombreuses photographies. Connues pour la plupart, elles ont rarement aussi bien été mises en valeur. Seuls les puristes feront observer que ce n’est pas Elizabeth Craig qui figure sur certains clichés erronément légendés, et que c’est Cillie Pam (et non Albert Harlingue) l’auteur de ce beau profil de Céline immortalisé au début des années trente. Les esprits chagrins, eux, s’étonneront du ton enlevé de certains commentaires. C’est ne pas voir qu’ils se veulent – tâche redoutable, il est vrai – au diapason de la fameuse émotion du langage parlé restituée dans l’œuvre.

 

   De son exil danois, Céline contemplait avec émotion des cartes postales de Clichy qu’un ami lui avait adressées. Nul doute qu’il aurait été captivé par celles figurant dans cet album.

 

Marc LAUDELOUT

 

1. Dans l’ordre chronologique : l’Album Céline de La Pléiade (1977), suivi du Catalogue de l’exposition Céline à Lausanne ; 30 photographies dans la collection « Portraits d’auteurs » des éditions Marval (1997) ; la série de cartes postales (« Lieux, portraits et manuscrits ») procurée par le Lérot (1992-1994) et la monographie de Pascal Fouché dans la collection « Découvertes » de Gallimard (2001). Seule exception quant au format : le livre d’Isabelle Chantermerle, Céline, publié par Henri Veyrier (1987) qui reproduit quelques documents d’intérêt inégal. Et, dans un format intermédiaire, le Paris Céline de Laurent Simon, malheureusement épuisé, qui vaut autant pour les photos que pour le texte ; il demeure l’ouvrage plus complet sur le sujet (Du Lérot, 2007).

 

2. Patrick Buisson, Le Paris de Céline, Albin Michel-Histoire, 192 pages, plus de 275 illustrations.

 

 

 

jeudi, 15 novembre 2012

Conferenza su Louis-Ferdinand Céline di Andrea Lombardi

Conferenza su Louis-Ferdinand Céline

di Andrea Lombardi

Fiera del libro di Milano, 2012

samedi, 27 octobre 2012

Céline ? C'est Ça !... de Serge KANONY

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Vient de paraître :

Céline ? C'est Ça !... de Serge KANONY

Et si on lisait Céline autrement ? Et si Céline renouait avec les grands mythes fondateurs de notre culture ? Et si la clé de cette œuvre, géniale et scandaleuse, se laissait entrevoir dans le monosyllabe par lequel s'ouvre son premier roman Voyage au bout de la nuit : « Ça a débuté comme ça. » ?

Le « Ça » célinien, c'est d'abord le Chaos originel, la Nuit primordiale des antiques cosmogonies, d'où surgissent tant l'œuvre que l'auteur ; c'est aussi deux guerres mondiales pleines de bruit et de fureur, où se déchaîne la folie meurtrière des hommes ; c'est encore une langue de rupture, chaotique, charriant le meilleur, mais aussi le pire : celui des éructations antisémites ; c'est enfin le « Ça » intérieur, la part maudite dont chacun est porteur.

Serge Kanony ouvre une porte que d'autres n'avaient fait qu'entrouvrir, derrière laquelle on entendait de drôles de cris. Serge Kanony ouvre la boîte de Pandore d'où s'échappent des ombres redoutables.

 
Agrégé de lettres classiques, Serge Kanony est aussi l'auteur d'un essai : D'un Céline et d'autres (L'harmattan, 2010).

Serge KANONY, Céline ? C'est Ça !..., Le Petit Célinien Éditions, 2012.
 Préface d'Éric Mazet.

216 pages, format 14x21. Tirage limité sur papier bouffant. ISBN 978-2-7466-5216-3.
Illustration de couverture : Loïc Zimmermann.
 
 
 
Commandez votre exemplaire(19 €) :
 

Les Entretiens du Petit Célinien (IX) : Serge KANONY

 
Agrégé de lettres classiques, Serge Kanony a enseigné le français, le latin et le grec à des élèves de Première et de Terminale. Il est l’auteur d'un second essai : Céline ? C’est ça !... (Le Petit Célinien Editions, 2012)
 
Dans quelles circonstances êtes-vous arrivé à Céline ? 

A mon arrivée à Toulouse, inscrit à la fac des lettres, un copain a joué le rôle du passeur : il m’a parlé de Céline dont j’ignorais jusqu’au nom, et m’a dirigé vers une petite librairie à deux pas de la basilique Saint-Sernin : La Bible d’or. Le libraire, un petit homme tout en rondeurs, au visage lisse et avenant, officiait dans un minuscule espace devant un auditoire restreint qui se renouvelait au gré des heures : des étudiants, un journaliste et critique de cinéma, auteur avec le directeur de la cinémathèque d’un Panorama du film noir. Tant et si bien que ma découverte de Céline est allée de pair avec celle des Walsh, Lang, Mankiewicz
Découvrir Céline dont on ne m’avait dit mot au lycée c’était me revancher des Sartre, Camus et autres auteurs dont je m’étais nourri. De l’après-guerre aux années soixante, l’existentialisme avec son icône Jean-Paul Sartre était dans l’air du temps. Pour se faire une idée de cette Sartrolatrie, il suffit de lire ce que nous en dit Gabriel Matznef dans Le taureau de Phalaris : « En classe de philo, j’avais un condisciple qui nourrissait une fervente admiration pour Jean-Paul Sartre… il suivait Sartre dans la rue… il collectionnait ses mégots. »
Dans cette librairie, donc, que des auteurs non conformistes et en réaction contre l’idéologie dominante : les Hussards avec Blondin, Nimier, le copain de Céline, etc. C’est là que j’ai acheté la plupart des romans de Céline, les Cahiers de l’Herne, etc.
Pour moi, comme pour beaucoup, la porte d’entrée qui a ouvert sur Céline ce fut Voyage au bout de la nuit. D’un seul coup, brutalement, sans même respecter les paliers de décompression, je me hissais de la nausée sartrienne à la nausée célinienne. De Roquentin à Bardamu. Le premier dégueule dans l’abstrait, ontologiquement, dans le Jardin public de Bouville ; le second, physiquement, dans la boue des Flandres.
Après la licence, pour présenter l’agrégation, il fallait avoir rédigé un Diplôme d’Etudes Supérieures ; sans hésiter, je choisis de composer un mémoire sur Céline, disposant ainsi d’une année pour pousser plus avant ma découverte de l’univers célinien. C’était en 1965 et les travaux critiques consacrés à cet auteur étaient peu nombreux : trois Belges : Marc Hanrez, Pol Vandromme et Robert Poulet, une Française : Nicole Debrie.
L’importance de ce mémoire n’était pas dans son contenu, mais dans le fait qu’il constituait une sorte de certificat de baptême, un devoir de fidélité.
 
Qu'aimez-vous dans l'oeuvre célinienne ?
 
Il est bien plus facile de donner les raisons pour lesquelles on n’aime pas un auteur, un livre ou une personne que de dire celles pour lesquelles on les aime. Le coeur a ses raisons… Pourquoi Montaigne aimait-il La Boétie ? Parce que c’était lui ! Pourquoi j’aime Céline ? Parce que c’est Céline, parce qu’il touche en moi à des zones que les autres auteurs n’atteignent pas, n’atteindront jamais ; au plus profond de ma viande. Céline ? Il est intradermique, les autres, épidermiques ! Je crois qu’il y a là une part de mystère, ne pas trop gratter !
Voyage au bout de la nuit, je l’ai téléchargé, mis dans le disque dur de ma mémoire, sécurisé… Mon de poche, celui de mes vingt ans, tout écorné, surligné, avec plein de notes, je l’ai toujours à portée. Si je veux vérifier une phrase, d’instinct, j’y vais tout de suite. Sur l’échelle Richter de mes préférences, il fait force 9 ! Mort à crédit ? Force 8. La trilogie allemande ? Force 7.
Qu’est-ce que j’aime dans l’oeuvre célinienne ? Sa démesure, son hybris, son Verbe, sa puissance d’évocation, sa poésie, son délire, son côté dionysiaque…
Céline ? Grandes orgues et petite musique de nuit.
Bien sûr, Mort à crédit est presque tout aussi présent en moi que le Voyage. Selon moi, ils sont complémentaires. Dans le Voyage est énoncée la vision célinienne du monde à travers la poésie de la Nuit, émaillée d’aphorismes ; on « s’instruit ». Qui a lu le Voyage on ne la lui fera pas sur l’homme ; on y fait son éducation, on est Candide qui voyage de l’Europe à l’Amérique en passant par l’Afrique et qui revient « plein d’usage et raison », etc.
Mais dans le Voyage la bonde n’est pas lâchée, les flots sont encore contenus dans les digues du langage. Dans Mort à crédit, les digues pètent, celles de la phrase, le torrent verbal emporte tout… La moindre altercation entre Ferdinand et son père se change en une gigantomachie.
Ce que j’aime dans le Voyage ? Cette hésitation entre les résidus du style écrit et la langue parlée, l’argotique, leur télescopage ; sa dimension mythique (la Nuit, la Mort…), sa poésie surtout, même celle des phrases filées que l’auteur à reniées. Il n’est pas interdit d’aimer Céline contre lui-même !
Deux exemples :
D’abord la poésie à l’ancienne : « Les vivants qu’on égare dans les cryptes du temps/dorment si bien avec les morts/qu’une même ombre les confond déjà. » Un alexandrin, un octosyllabe, un décasyllabe.
A la moderne : « Il avait comme un tisonnier en bas de l’oesophage qui lui calcinait les tripes… Bientôt, il serait plus que des trous… Les étoiles passeraient à travers avec les renvois. » Poésie cosmique.
Ou encore : « … comme si son âme lui serait sortie du derrière, des yeux, du ventre, de la poitrine, qu’elle m’en aurait foutu partout, qu’elle en illuminait la gare… » Poésie mystique.
La trilogie allemande, aussi, à ne pas oublier (D’un château l’autre, Nord, Rigodon) avec un Berlin éventré, ses champs de ruines, ses hôtels dont les couloirs vous basculent dans le vide, les bombardements, etc. Seul, peut-être, un film de Douglas Sirk (je pense au soldat Graeber cherchant sa maison natale parmi les entassements de gravats dans A time to love and a time to die) se hisse à la hauteur des évocations céliniennes. Ce que j’aime enfin : le dernier Céline, celui des interviewes (1957-1961), le Céline moraliste qui décrypte notre époque, commente l’actualité d’une manière souvent prophétique.
 
 
Votre premier livre, D'un Céline et d'autres (L'Harmattan, 2010), démontrait combien la littérature française des cinq derniers siècles est restée d'une étonnante modernité.
 
Un « classique » est toujours « moderne », mais il n’est pas certain que le moderne d’aujourd’hui sera le classique de demain !
Le titre m’a posé des problèmes. J’ai renoncé à l’ordre chronologique car, partir de Montaigne en passant par Pascal, Racine, aurait découragé bien des lecteurs. Pourtant Montaigne avec son essai Des coches est d’une brûlante actualité : les Espagnols avec Pizarro débarquant chez les Amérindiens, ce sont les Ricains débarquant en Irak : mêmes pillages, mêmes tortures.
On entend souvent dire à propos d’une oeuvre, d’un artiste : il est dépassé. C’est confondre le domaine esthétique avec le Grand Prix de Monaco ou les Vingt-Quatre Heures du Mans ! Un romancier, un poète ne sont jamais dépassés, ils sont parfois oubliés ; s’ils sont oubliés, c’est parce que ne se trouve pas dans leurs écrits quelque chose qui les rattache à nous, à l’universel.
Quoi de plus moderne que Les Fleurs du mal ? Baudelaire y invente la poésie urbaine, celle des cheminées qui crachent leurs fumées, des fêtards sortant de boîte au petit matin, et la chanson de Jacques Dutronc Paris s’éveille n’est rien d’autre que la mise en musique du poème Le crépuscule du matin.
C’est tout cela que j’essaye de montrer dans ce premier essai littéraire : la modernité des écrivains passés. 
 
Votre nouvel ouvrage, Céline ? C'est Ça !... (Le Petit Célinien Éditions, 2012), est un essai littéraire dont le sous-titre est : Petites variations sur un gros mot. Faut-il entrevoir la clef de l'oeuvre célinienne dans le monosyllabe par lequel s'ouvre Voyage au bout de la nuit : « Ça a débuté comme ça. » ?
 
Cet incipit m’a toujours fasciné. Sa banalité voulue me semblait cacher quelque chose. Confirmation m’en a été donnée par la lecture d’un court article de Raymond Jean intitulé : Ouvertures, phrases seuils, paru en 1971, où à propos du premier Ça, il évoquait la matière à « l’état de chaos… le ça des psychanalystes et de Groddeck… »
A partir de là, l’illumination : je me suis souvenu du poète grec Hésiode et de sa Théogonie : « Donc, avant tout fut CHAOS… » Mais, bon Dieu, le voilà le Chaos célinien : C’est le Ça ! Et cette Nuit née du Chaos, c’est Céline, cet enfant de la nuit qui enfante, à son tour, Voyage au bout de la nuit. Et les trois monstres : Cottos, Briarée, Gyès que leur père « cachait tous dans le sein de la Terre », ce sont les trois monstres céliniens : les pamphlets que les libraires cachent au sein des arrière-boutiques !
Le Ça célinien c’est le Big Bang initial qui crache « une masse informe et confuse… un entassement d’éléments mal unis et discordants » (Ovide), un bordel cosmique dont Céline se porte témoin, chroniqueur…
Le titre, comme le sous-titre « Petites variations sur un gros mot » ne prennent sens qu’après la lecture de l’essai. Le gros mot ne renvoie pas ici à une injure ou à une grossièreté, sens qui est le sien dans le langage courant.
Je prends l’expression gros mot dans l’acception que lui donne Paul Valéry. Celui-ci ironise sur les philosophes qui s’échinent à rendre compte de certaines réalités qui nous dépassent, et dont le sens ne se laisse pas épuiser, dont on ne peut jamais faire le tour, et qui se prêtent ainsi à toutes les définitions. Comme exemples de gros mots il proposait Dieu, Ame, Nature, Liberté, etc. A leur image le Ça n’est pas seulement le démonstratif que nous connaissons tous, il est avant tout un gros mot, parce qu’il est synonyme du Chaos.
Il s’agit, je le répète, de variations, ce qui me laisse la liberté de jouer avec ce mot qui, sous ma plume, tantôt renvoie au Chaos, tantôt redevient un simple démonstratif.
Quand il est le démonstratif, je le fais entrer dans une opposition avec Cela, ce qui me permet un petit développement sur l’intrusion de la langue parlée dans la langue écrite. Je reprends la remarque faite par Henri Godard dans Poétique de Céline : « Céline a choisi de dire “Ça a débuté comme ça.” et non : “Cela a commencé de la manière suivante” ».
Dans un autre chapitre le Ça devient synonyme du Ça freudien, et je me jette avec délice dans un développement scatologique.
On le voit donc bien : cet essai d’une centaine de pages [216 pages], est tout le contraire d’une thèse épaisse, sérieuse et ordonnancée ; il va de Ça, de Cela…
 
Pouvons-nous par ailleurs lire cette oeuvre comme étant l'expression d'une pensée mythique, transposée par l'auteur pour les besoins de son art ?
 
Que l’oeuvre de Céline plonge ses racines dans les plus anciens mythes de la tradition occidentale, qui le contesterait aujourd’hui ? Le mythe est partout chez Céline : dans ses romans et dans sa personne même. Aujourd’hui Céline est un mythe.
Lorsque Voyage au bout de la nuit parut en 1932, les contemporains, étonnés (frappés par la foudre) par la nouveauté de son écriture prirent cet auteur pour un réaliste qui ne se plaisait que dans l’évocation de l’ordure, et laissèrent souvent échapper la dimension mythique du roman.
Le Voyage nous renvoie à l’Odyssée, à Ulysse, tout cela transposé dans le monde contemporain : une Odyssée en négatif, en dégradé. A Bardamu-Ulysse Molly-Calypso ne promet pas l’éternelle jeunesse et l’immortalité, mais le gite, le couvert et la rêverie à volonté !
Dans le même roman, Bardamu devenu Énée descend aux Enfers, ceux de l’hôtel Laugh Calvin.
Le Ça qui ouvre le premier roman se présente, on l’a vu, comme l’équivalent du Chaos hésiodique, et dans Voyage les personnages plus présents que Bardamu, Robinson ou Molly, ce sont la Mort, la Nuit, le Néant.
Toujours dans la mythologie grecque les Dieux prenaient en charge ce Chaos, pour l’ordonner, l’agencer et en faire un ordre, une parure c'est-à-dire un Cosmos ; pour l’accomplissement de cette tâche, les Dieux étaient qualifiés de Démiurges : ordonnateurs du Chaos. Céline, c’est l’anti-démiurge ; ce foutoir cosmique, il se contente de le regarder et, pour nous le montrer, son écriture se modèle sur lui : une écriture éclatée. Chez lui, la parure se situe dans la beauté convulsive de son écriture : un « Cosmon Acosmon », c'est-à-dire un ordre désordonné, une parure déparée.
Parfois la mythologie fait intrusion directement dans le récit : la barque de Caron dans D’un château l’autre. Et quand il jure, Céline substitue même au Nom de Dieu classique un « nom de Styx » mythique (Féerie pour une autre fois)
 
Pour qui écrivait Céline ? Dans quel but ?
 
Peut-on répondre à une telle question, je m’en réfèrerai tout simplement… à Céline lui-même. Interrogé en 1957 par Madeleine Chapsal, journaliste à L’Express, qui lui demande «Pour qui écrivez-vous ? », il répond : « Je n’écris pas pour quelqu’un. C’est la dernière des choses, s’abaisser à ça ! On écrit pour la chose elle-même. »
Je suis d’accord avec lui : on écrit pour écrire. Pourquoi la danseuse danse-t-elle ? Pour danser, comme nous le dit Paul des cimetières Valéry. C’est ce qui différencie la marche de la danse. On marche pour aller quelque part ; la marche est utilitaire ; la danse est gratuite.
Pour quelles raisons ? Montaigne prétendait qu’il n’avait écrit Les Essais que pour ses amis, parents et alliés ! Evidemment il mentait ou bien il avait une sacrée famille : tous ses frères humains. Difficile, alors, pour ceux qui revendiquent une telle filiation de faire une cousinade !
Quant aux raisons qu’avance Céline (payer le terme), celui qui les croirait ferait la preuve qu’il est naïf, qu’il n’a rien compris.
Dans un entretien, Céline a déclaré un jour écrire « pour rendre les autres [écrivains] illisibles ». De ce côté là il n’a pas mal réussi ; il y a désormais un avant et un après Céline.
Je retournerais volontiers la question : « pour qui Céline écrivait-il » en « contre qui Céline écrivait-il ». Il écrit contre la guerre, les petits colons, les gadoues banlieusardes, contre la Mort, le cancer du rectum, contre lui-même (liste non exhaustive).
Chez Céline, écrire est un cri, celui d’Edvard Munch.
 
Avez-vous enseigné Céline dans vos classes ?
 
J’ai toujours enseigné en lycée en classe de Première et de Terminale. A cette époque il n’y avait pas un programme national, et chaque professeur avait la liberté d’expliquer les auteurs et les oeuvres qu’il souhaitait. L’enseignement des lettres était facultatif pour les terminales scientifiques et portait sur des auteurs du XXè siècle. Je choisissais donc les auteurs qui avaient ma préférence : Proust, Valéry, Bernanos, Céline. C’est ainsi que je commentais le Voyage. Par la suite, j’ai fait la même chose avec mes classes de Première. Mais dans les années 90 les programmes ont été nationalisés, et tous les élèves de toutes les classes de 1ère et Terminales Littéraires ont étudié les mêmes auteurs : Aragon, Aimé Césaire, Primo Lévi, etc. Je suppose que cela aujourd’hui a changé.
 
L'intérêt que vous portez à cet auteur vous a-t-il valu quelques désagréments d'ordre professionnel ?
 
En province, tout au moins à mon époque (1970/80), expliquer Céline n’était pas courant ; la place qui lui était allouée dans les manuels était réduite : dans le XXè Lagarde et Michard (éd 1962), 1,5 page contre 8 à Giono, 39 à Proust. Dans l’édition de 1988, de 1,5 il passe à 8 pages. Aujourd’hui le lycée où j’ai enseigné a choisi comme manuel de littérature celui des éditions Nathan qui accorde 4 pages à Céline et 3 à Sartre.
Mes élèves aimaient bien le Voyage, et l’un deux par la suite a fait une thèse de 3è cycle sur Céline ; certains parents, je l’ai su plus tard, ont été choqués de voir Céline débarquer dans le lycée ; certains s’en sont plaint, mais le proviseur arrêtait tout.
 
Sur la liste du bac de Français Céline avait sa place ; certains examinateurs faisaient des réflexions à mes élèves du genre : Ah, encore cette liste ! Les listes politiquement correctes étant celles où figuraient Boris Vian, Claire Etchérelli, Richard Wright.
Pas de désagréments, sinon une réputation sulfureuse auprès de certains collègues. Il faut dire à leur décharge que je n’ai jamais fait d’effort pour m’intégrer à cette corporation : je n’appartenais pas à leur syndicat, je n’achetais pas mes pantalons à la Camif, je ne roulais pas en Renault, je ne tractais pas une caravane… Bref, t’as pas le look, coco !
 
Propos recueillis par Emeric CIAN-GRANGÉ
Le Petit Célinien, 21 octobre 2012.

> Télécharger cet entretien (pdf)

jeudi, 04 octobre 2012

Exposition: Céline et quelques autres...

lundi, 24 septembre 2012

Lisibilité et idéologie, le cas du texte célinien

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/ 

Lisibilité et idéologie, le cas du texte célinien
par Danielle RACELLE-LATIN
 
 
« J'écris pour les rendre tous illisibles. »
L.-F. Céline.
 
celine-meudon-1959.jpgLe refus de souscrire aux codes linguistiques et culturels qui fondent la lisibilité du roman bourgeois caractérise l' « intentionnalité » des écrits céliniens. Nous plaçons le mot entre guillemets parce qu'il ne fait que renvoyer à l'appréciation de l'écrivain sur sa pratique littéraire. Sans augurer du niveau d'objectivité qu'elle manifeste, il nous faut d'entrée de jeu constater que cette évaluation fut corroborée par le public et sanctionnée par le désintérêt dans lequel sont tombées les dernières productions céliniennes : Guignols Band, Le Pont de Londres, D'un Château l'autre et plus encore Rigodon, Nord ou Féerie pour une autre fois sont actuellement des textes « illisibles ».
 
L'ostracisme dont cette production fait l'objet ne peut pas que tenir à la compromission de leur auteur vis-à-vis du national-socialisme et de l'antisémitisme à une époque qui précédait de peu la seconde guerre mondiale. Le fait est inhérent à la nature de la production elle-même, laquelle ne fait qu'accuser une altérité déjà présente, mais à titre latent, dans les deux premiers romans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, tous deux cités en bonne place (relative) dans les ouvrages normatifs sur la littérature du xxe siècle.
 
On pourrait invoquer ici, à titre d'hypothèse explicative, la théorie du saut qualitatif. Les premiers textes de Céline contiendraient en eux des signes de différence quantitativement limités et donc latents, qui, en s'accroissant progressivement, auraient produit une brusque mutation qualitative, mutation que l'on peut assurément faire coïncider avec l'éclatement opéré dans la forme de communication antérieurement adoptée. Le passage du roman polémique au pamphlet, de la fiction à l'Histoire, manifeste chez l'écrivain un processus de réification des phantasmes et, au point de vue du lecteur, atteste la désagrégation d'une médiation littéraire acceptable antérieurement. La subversion idéologique du texte célinien restait lisible tant qu'elle s'accommodait d'une médiation littéraire conforme à la pratique idéologique de la lecture bourgeoise. Son caractère fondamental, l'incongruité, devenait par contre irrecevable à partir du moment où, poursuivant sur sa lancée anarchique, le texte projetait son altérité et sa duplicité jusqu'à la transgression du code « fiction littéraire » et faisait passer sans guillemets son discours fictionnel et délirant dans le champ de l'Histoire. La sanction d'une telle transgression est celle de la folie, ultime ostracisme de l'institution sociale.
 
L'exemple tend à illustrer que ce n'est pas le contenu idéologique explicite de la communication qui détermine l'acceptabilité ou la non-acceptabilité du discours littéraire, mais sa « forme idéologique » c'est-à-dire sa conformité ou sa non-conformité aux codes de la lisibilité littéraire. C'est le reniement jugé pathologique des codes de la littérarité qui condamne le discours célinien à ne plus être entendu. Les pamphlets eux-mêmes et leur délire de persécution antisémite fussent restés à la rigueur « lisibles » pour autant que le lecteur eût pu être convaincu, ainsi que Gide tenta de le dire, de leur caractère « poétique ».
 
La seule véritable transgression est celle qui porte sur la typologie des discours implicitement reconnue par l'idéologie. Un texte devient irrecevable du fait qu'il trahit le type de discours auquel ses caractéristiques linguistiques, rhétoriques et idéologiques le destinaient dans la conscience sociale. Le pamphlet célinien transgresse et violente irrémédiablement cette conscience sociale parce qu'il se donne à lire tout à la fois pour un discours politique (référentiel, didactique et performatif) et comme un pur jeu poétique, ballet verbal connotant ironiquement sa propre pratique. Eût-il été poème ou discours politique qu'il aurait été encore justiciable d'une appréciation idéologique — fût-elle négative — et donc « lisible ». Mais par son équivoque formelle il tombe hors de l'espace idéologique, dans la folie. Il ouvre un lieu d'ambiguïté insoluble, produit d'une double destruction : celle du discours politique par le poème, celle du poème par le discours politique. Fiction et Histoire sont renvoyées dos à dos dans une même dérision et le texte sort du sens parce qu'il a brouillé les clivages fondamentaux (discours politique/littéraire), autrement dit les codes de repérage idéologique de la signification.
 
Ce phénomène de transgression joue bien entendu également à l'intérieur d'un type de discours donné. Ici, en l'occurrence, le discours littéraire. Les « romans » céliniens nous en fournissent un bel exemple. On peut dire que les deux premiers romans, Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, bien que subversifs, sont « lisibles » tandis que les derniers, transgressifs, ne sont plus acceptables pour le lecteur-consommateur de romrans.
Le texte subversif est lisible parce qu'en dépit de ses écarts il continue à se conformer à une typologie générique particulière (ici celle du roman), tandis que le texte transgressif opère une destruction radicale du code générique régulateur.
La typologie de base du genre romanesque est bien connue. Disons pour résumer les choses schématiquement qu'il s'agit d'un discours principalement représentatif d'une fiction, laquelle représente à son tour une épreuve de la négativité assumée par un héros, cette crise étant réversible.
 
Le Voyage au bout de la nuit présente les signes certains d'une pratique transgressive des codes littéraires, mais s'exerçant dans les limites typologiques du discours romanesque. Aussi bien, en raison de cette visée romanesque avouée, cette transgression sera-t-elle récupérée esthétiquement comme forme signifiante d'une négativité purement fictionnelle.
Dans le Voyage, la subversion de la langue littéraire (langue écrite) par l'intrusion d'une oralité désublimante (vulgarismes, argot, incongruités, etc.) est le support d'une transgression idéologique (marques d'extranéité culturelle, vision du monde antihumaniste, critique radicale des valeurs sociales et morales...). Mais celle-ci, parce qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une fiction romanesque (expérience fictive de la négativité) et, bien qu'elle soit le fait du narrateur et non du seul personnage, est renvoyée à la secondarité littéraire. La négativité idéologique de l'écriture devient « lisible » parce qu'elle prend valeur de forme signifiante connotant la négativité d'une fiction. De ce fait elle est récupérée et positivée : la subversion initiale du code « langue littéraire », inscrite dans la pratique de l'écriture célinienne, devient un code d'enrichissement de cette langue littéraire même. Nous voudrions succinctement illustrer ce processus.
 
 
Voyage au bout de la nuit - Manuscrit
 
La transposition de l'effet de parlé à la langue écrite constitue dans le Voyage un fait d'écriture dont la portée est effectivement transgressive : sa fonctionnalité vise en effet à renverser le code romanesque fondé sur la représentation d'une histoire vraisemblable pour lui substituer un texte. Mixte de langue parlée et de langue littéraire cette écriture brasse, pour les subvertir réciproquement, un nombre considérable de codes linguistiques et littéraires, lesquels renvoient à des signifiés ou des présupposés culturels : l'argot, la parlure populaire sont les codes linguistiques d'un niveau social et d'un ethos particulier (mythe social de la « mentalité populaire »). Par leur utilisation en contexte littéraire, ils acquièrent en sus la valeur de code esthétique : ils signifient un genre existant, celui du populisme. La langue écrite et soutenue quant à elle renvoie à des signifiés diamétralement opposés tant au niveau socio-linguistique que littéraire : pratique conforme au code de la bourgeoisie, elle ne marque dans le roman aucune socialité particulière et se donne à lire comme un langage du subjectif, du psychologique, comme un code adéquat à l'idéalité bourgeoise. L'écriture active est ici un jeu réellement dialectique dans la mesure où elle vise à brouiller la transparence de ces codes de lecture. Par sa fonction mimique (et non simplement mimétique), elle rend mobiles les signifiés par rapport aux codes qu'elle traverse et attaque leur taxinomie. Ainsi les signes de la langue parlée, populaire, y sont-ils déplacés de leur signifié social de telle sorte qu'ils prennent progressivement (au cours de ce qui serait une écriture-lecture) fonction de signifiants strictement textuels.
 
Pour nous limiter à un exemple simple, nous citerons le cas du rappel du pronom, tournure syntaxique utilisée systématiquement par la narration. Celle-ci se donne d'abord à lire, conformément au code, comme signe d'un usage populaire chargé du pouvoir de connoter la marginalité du locuteur par une intonation d'invective ou de ressentiment social. Innombrables sont les phrases du type : « Tu parles si ça a dû le faire jouir, la vache ! » / « Le jour on les aurait bien bousillés jusqu'aux essieux, ces salauds-là », qui se caractérisent par le rappel du pronom sujet ou complément ou de l'un et l'autre en combiné (« Je le connaissais le Robinson moi » / « C'est même ce jour-là, je m'en suis souvenu, depuis qu'il a pris l'habitude de la rencontrer dans ma salle d'attente, la vieille Henrouille, Robinson »).
 
Cette structure est cependant génératrice de tout un travail de déconstruction rationnelle de la phrase qui affecte tout aussi bien les registres de la langue écrite et littéraire que ceux de la langue parlée (populaire, trivial, familier). Un même schème de dénotation rythmique en perturbe la distinction :
 
« C'est un quartier qu'en est rempli d'or, un vrai miracle et même qu'on peut l'entendre le miracle à travers les portes avec son bruit de dollars qu'on froisse, lui toujours trop léger le Dollar, un vrai Saint-Esprit, plus précieux que du sang. »(1)
 
« Elle les tenait déjà d'ailleurs la misère au cou, au corps, les mignonnes, elles n'y couperaient pas. Au ventre, au souffle, qu'elle les tenait déjà la misère par toutes les ondes de leurs voix minces et fausses aussi... » (2)
 
Du registre populaire cette structure verbale se médiatise jusqu'à rejoindre enfin le style impressionniste des passages « littéraires » transcrits en style soutenu :
 
« Chaque fois, au départ, pour se mettre à la cadence, il leur faut du temps aux canotiers. La dispute. Un bout de pale à l'eau d'abord et puis deux ou trois hurlements cadencés et la forêt qui répond, des remous, ça glisse, deux rames puis trois, on se cherche encore, des vagues, des bafouillages, un regard en arrière vous ramène à la mer qui s'aplatit là-bas, s'éloigne et devant soi la longue étendue lisse contre laquelle on s'en va labourant, et puis Alcide encore un peu sur son embarcadère que je perçois loin presque repris déjà par les buées du fleuve, sous son énorme casque, en cloche, plus qu'un morceau de tête, petit fromage de figure et le reste d' Alcide en dessous à flotter dans sa tunique comme perdu déjà dans un drôle de souvenir en pantalon blanc. » (3)
 
Le clivage langue populaire /langue littéraire s'en trouve transgressé au profit d'une écriture qui n'est plus socialisable et qui ne codifie plus effectivement que les signifiés textuels fondamentaux : révolte et impuissance, chaos et relâchement, ballottement débile d'une déviance qui n'est plus celle d'un sujet « situable » dans l'espace social, mais celle de la société tout entière. L'écriture se fait ainsi métalangage poétique, compétence purement rythmique où se forment et se déforment dans un grand mouvement négateur de sac et de ressac les différentes physionomies sociales et culturelles de la performance linguistique qu'elle réduit à une équivalence symbolique dans la négativité.
 
La « parole » narrative issue de cette pratique subversive de la langue ne peut plus être mise au compte du personnage ou du narrateur fictif que si l'on se rend dupe du jeu de trompe-l'oeil qu'affiche pourtant la nature mimique de l'écriture. Par son allure populaire et argotique celle-ci motive bien en apparence la situation des héros dans l'espace socio-linguistique et socio-idéologique du monde fictionnel (personnages déclassés, argotiers, réfractaires à l'ordre social) ainsi que l'action narrative comme procès de déviance sociale. Mais cette illusion s'affiche comme illusion, le réalisme stylistique étant détruit par les inconséquences volontaires de la « parole » (attribution de parlure argotique ou vulgaire à des personnages bourgeois secondaires, registre tantôt populaire tantôt soutenu de la narration). En avouant sa fabrique artificielle l'écriture se montre sans cesse et tend à détruire l'illusion romanesque.
 
Louis-Ferdinand Céline - Voyage au bout de la nuit
Une relecture du texte permettrait par ailleurs de constater que bon nombre de séquences narratives ne sont effectivement que des métaphores discursives « objectivées » ironiquement dans l'espace diégétique. Ainsi par exemple la métaphore de la galère-société présente dans l'ouverture-programme du texte est-elle l'origine de la séquence fantastique de l'« Infanta Combitta », galère espagnole à laquelle Bardamu sera vendu par un prêtre africain pour être conduit dans le « nouveau monde ». Ici encore l'écriture pointe comme surdétermination ironique de la fiction. La subversion du genre et l'utilisation d'une intertextualité complexe dans le roman (conte, satire, picaresque fantastique) découle en droite ligne de la pratique démotique de l'écriture qui se fonde sur la transgression du code « langue littéraire ». De même que l'écriture se constitue par le mixage fantaisiste de niveaux incompatibles de la langue, de même le texte littéraire fonctionne comme confrontation incongrue des codes génériques propres à la langue littéraire. Et ce, afin d'attaquer la fonction de représentation de la littérature mais surtout, à travers elle, cette représentation même du monde qu'elle autorise.
 
On peut constater néanmoins que cette textualité n'a opéré qu'un blocage temporaire à la lisibilité du Voyage au bout de la nuit. La critique, un instant déroutée, eut tôt fait de récupérer cette incongruité « expressive » comme l'indice d'une nouvelle systématique formelle qui sauve la cohérence esthétique de « l'oeuvre » en même temps que sa lisibilité comme roman, c'est-à-dire comme langage médiat de la Valeur.
 
L'usage d'une parole narrative traversée par des discours incompatibles, les contradictions de l'oeuvre ainsi que son hétérogénéité du point de vue des genres peuvent en effet se fonder en « pertinence expressive » aux yeux de cette critique du fait que le roman représente un héros déclassé (populaire), engagé dans une épreuve de délaissement moral et social. Ainsi son univers de représentation ne peut-il être lui-même qu'un « chaos en suspens » (expression de Bardamu, le héros de l'aventure). C'est cette expressivité que l'esthétique du roman « représente » à son tour par le chaos des codes de la langue et de la littérature. La forme n'est là que pour confirmer à titre homologique le sens psychologique de la fiction, l'expérience d'une anomie individuelle, l'épreuve d'un « voyage au bout de la nuit ».
 
La narration ne fait que représenter la fiction. Le livre ne s'ouvre-t-il as sur une rupture de silence (« Ça a débuté comme ça. Moi j'avais jamais rien dit. Rien. ») pour se clôturer sur un retour au silence (« Et qu'on n'en parle plus ») identifiant donc acte de narration et de représentation, mais au profit de cette dernière évidemment ? Le travail de l'écriture est ramené aux dimensions de la « parole » du héros et c'est à travers le code populiste préexistant, en fonction de la marginalité sociale du personnage qu'il pose, que seront rationalisées les subversions textuelles. La lecture est de ce fait à nouveau permise. Le texte voit sa négativité effective récupérée au ciel de l'idéalité esthétique. La subversion des codes littéraires telle que la pratique le Voyage peut ne pas être comprise comme une remise en question de la lisibilité romanesque et de l'idéologie qu'elle présuppose. Le Voyage est bien un roman à forme originale qui « représente » la mise en question individuelle de l'ordre social par la « parole » d'un héros négative, et qui signifie cette négation fictionnelle selon la logique des codes littéraires : leur utilisation chaotique n'empêche pas qu'ils continuent de signifier (dialectiquement) l'ordre, le sens, la valeur. Bien au contraire puisque cette destruction ironique représente précisément dans l'oeuvre l'expérience d'une enténébration de ceux-ci.
 
 
Cette lisibilité du Voyage au bout de la nuit que nous retraçons succinctement, et de façon un peu sournoise, révèle la clôture idéologique de toute lecture. Elle laisse également supposer la nature réactionnaire du phénomène d'esthétisation.
Le processus d'esthétisation semble bien être proportionnel au travail de la subversion littéraire : plus le texte réalise dans sa pratique une destruction de la représentation du monde conforme à l'idéologie, plus cette négativité sera récupérée esthétiquement. Encore faut-il qu'il n'y ait pas transgression du code de lisibilité fondamental. Dans le cas du Voyage, la subversion des codes littéraires s'accommode bien, en effet, du type du discours romanesque puisque la parole s'y présente encore, fût-ce illusoirement, comme celle d'un personnage engagé dans une fiction ou dans le récit de cette fiction. Tel sera encore le cas pour Mort à crédit, en dépit de l'intensification des formes de la subversion verbale que cette seconde production manifeste (emploi systématique de l'effet de parlé, vulgarismes, argot, déconstruction rationnelle plus grande de la phrase linguistique et de la phrase narrative). Par contre, dans les dernières productions de Céline, la subversion, en accentuant encore davantage les écarts au genre romanesque, aboutit à une transgression visible; le support de la lisibilité fictionnelle, à savoir le personnage, disparaît : c'est l'écrivain Céline qui « parle » désormais et la « réalité » que le langage désintègre comme la négativité que cette destruction véhicule ne trouvent plus par conséquent leur code de médiation. La superposition chaotique des genres (épique, satirique, historique, fantastique, poétique, auto-biographique, romanesque...) y est systématisée au point qu'aucun de ces codes génériques ne peut plus être pris comme code de base ou comme type de discours régulateur d'une lisibilité acceptable. Le langage résiste ici comme phénomène irréductible. Que cette transgression soit le fait de la folie, du délire autistique ou d'un refus concerté de faire de la littérature autrement qu'en la déconstruisant, c'est là un problème de lecture critique qui ne concerne pas le lecteur-consommateur de sens, lequel se contente de sanctionner l'altérité de l'écriture en refermant le livre.
 
Dans les limites du discours littéraire, tout écrit est lisible pour autant qu'il se codifie conformément à un type générique. Les subversions apportées à ce type de base, si elles troublent la sécurité idéologique du lecteur, n'en sont pas moins récupérables esthétiquement, pour autant qu'elles n'attaquent pas sa norme d'interprétation.
Les formes subversives se déchiffrent dès lors comme connotations ou comme signifiants d'enrichissement du code fondamental et leur négativité vient renforcer le système de récupération de la lisibilité.
Les formes transgressives, par contre, parce qu'elles attaquent la lisibilité dans ses fondements, font sortir de l'idéologique. Elles sont historiques et dialectiques. Les formes subversives du discours romanesque ne sont lisibles que si elles sont computables, c'est-à-dire susceptibles de s'inscrire comme des célébrations ornementales dans le temps institutionnalisé de la fiction. Fiction qui ne reste omniprésente dans la lecture que parce qu'elle est le garant du caractère strictement individuel, accidentel, non historique de la négativité. Récemment Charles Grivel, dans son ouvrage sur La Production de l'intérêt romanesque, rappelait notamment, en termes peu suspects d'essentialisme, le caractère nécessairement mythique de la lecture comme recouvrement de l'origine à travers le temps du lire. Le plaisir de lire n'est là que pour permettre celui de la relecture. Le temps romanesque, comme chute ou émergence dans la négativité, n'est présenté que pour réactiver la force hypnotique du temps idéologique, temps antérieur et postérieur à la fiction lisible. La lecture comme pratique idéologique épouse donc la structure circulaire qui conduit le sens du même au même à travers un espace qui ne peut être que tracé d'avance.
Déplacée phantasmatiquement du réel historique à la fiction, la négativité— nous dirions plus volontiers l'Historicité, lieu de travail des formes et du sens — peut être ainsi reniée pour autoriser l'aveuglement mythique, l'obturation de la conscience historique en idéologie, temps du prototype, temps du code, origine, dirait Grivel.
La négativité, pour autant qu'elle se donne à lire dans le roman, fût-elle accusée en des termes particulièrement subversifs, n'empêche donc pas pour autant le lecteur de « danser en rond » c'est-à-dire d'opérer une récupération euphorique et limitatrice du texte en le délestant de son altérité effectivement dialectique. Et ce, en fonction du code générique lui-même, qui autorise, par le processus de récupération esthétique, la lisibilité idéologique des « oeuvres ».
 
Danielle RACELLE-LATIN
Littérature, n°12, 1973, pp.86-92.
 
 
 
 
Notes
1. Voyage au bout de la nuit, Paris, Éditions Balland, 1966, p. 142.
2. Ibid., p. 265.
3. Ibid., p. 120.

samedi, 07 juillet 2012

Fabrice LUCHINI à propos de Louis-Ferdinand CÉLINE

 

Fabrice LUCHINI

à propos de Louis-Ferdinand CÉLINE

mardi, 03 juillet 2012

Roman 20-50, revue d'étude du roman du XXè siècle

Roman 20-50, revue d'étude du roman du XXè siècle

 
La revue Roman 20-50, revue universitaire d'étude du roman du XXè et XXIè siècle publiée par l'équipe d'accueil « Analyses littéraires et histoire de la langue » et du Conseil Scientifique de l'Université Charles-de-Gaulle - Lille 3, a consacré son numéro 17 de juin 1994 à Louis-Ferdinand Céline. Sous la direction d'Yves Baudelle, ce numéro, toujours disponible, réunit une quinzaine d'études sur Voyage au bout de la nuit. Voici son sommaire :
 
DOSSIER CRITIQUE : Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline
Études réunies par Yves Baudelle
 
Henri GODARD
Céline à l'agrégation
 
Philippe MURAY
C'est tout le roman ce quelque chose
 
Jean-Pierre GIUSTO
Louis-Ferdinand Céline ou le dangereux voyage
 
Michel P. SCHMIDT
Un texte méchant
 
Gianfranco RUBINO
Le hasard, la quête, le temps dans le parcours du moi
 
Philippe BONNEFIS
Viles villes
 
Denise AEBERSOLD
Goétie de Céline
 
André DERVAL
La part du fantastique social dans Voyage au bout de la nuit : Mac Orlan et Céline
 
Judith KARAFIATH
Les héritiers indignes de Semmelweis : médecins et savants dans Voyage au bout de la nuit
 
Isabelle BLONDIAUX
La représentation de la pathologie psychique de guerre dans Voyage au bout de la nuit
 
Philippe DESTRUEL
Le logographe en délit
 
Yves BAUDELLE
L'onomastique carnavalesque de Voyage au bout de la nuit
 
Catherine ROUAYRENC
De certains "et" dans Voyage au bout de la nuit
 
Günther HOLTUS
Les concepts voyage et nuit dans le Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline
 
LECTURES ÉTRANGÈRES
Marc HANREZ
Céline, Sand, Shakespeare
 
ÉTUDE DE LA NOUVELLE
Marie BONOU
Histoire d'un crime : La Nuit hongroise
 
ROMAN 20/90
Yves REUTER
Construction/déconstruction du personnage dans Un homme qui dort de Georges Perec
 
COMPTE RENDU
Catherine DOUZOU

 

Commande (le numéro 15 € franco):
ROMAN 20-50
1, Bois du Vieux Mont
62580 VIMY
 

mardi, 26 juin 2012

Le Bulletin célinien n°342 - juin 2012

Le Bulletin célinien n°342 - juin 2012

 
Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°342.

Au sommaire : 

- Marc Laudelout : Bloc-notes
- Juliette Demey : Lucette, ombre et lumière de Céline
- M. L. : Une soirée Céline aux Beaux-Arts
- Bernard Labbé : Dernier hommage à Claude Duneton
- M. L. : Céline et « Je suis Partout »
- M. L. : Gofman, le Marquis et les emmerdeuses
- René Miquel : En consultation chez le docteur Destouches [1933]
- M. L. : Le cinquantenaire vu par Jean-Paul Louis
- François Brigneau : Céline revient… Le retour de l’Aryen errant [1951]
 
Un numéro de 24 pages, 6 € franco.

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.

Le Bulletin célinien n°342 - Bloc-Notes

 
Mon ami Marc Hanrez estime que le terme « célinien » est souvent abusivement employé, y compris par le BC dans son titre. Est « célinien », selon lui, ce qui appartient à Céline. On parlera donc de l’univers célinien, du style célinien, des personnages céliniens, du comique célinien, etc. En revanche, dès lors qu’on traite, par exemple, des spécialistes de l’écrivain, il faudrait, selon lui, utiliser le terme « céliniste ». C’est ce que fit Philippe Alméras lorsque, répliquant à un confrère qui avait mis en cause son travail, il titra son droit de réponse : « Ne tirez pas sur le céliniste ! » – clin d’œil à un film célèbre oblige.
Alors, célinien ou céliniste ? Cela mérite discussion car si l’on dénomme ainsi les exégètes de l’œuvre, convient-il d’utiliser le même terme pour désigner ceux qui sont, tout simplement, des amateurs, éclairés ou non, de l’écrivain ? Dans sa liste des noms et adjectifs correspondant aux noms de personnes, le dictionnaire Le Robert ne retient, lui, que le terme « célinien ». Lequel rejoint ainsi la cohorte d’adjectifs dérivés de patronymes d’écrivains, tels « balzacien », « rimbaldien », « giralducien » ou encore « apollinarien ». Un autre ami… célinien, Christian Senn, s’est amusé à faire le relevé de tous les mots forgés autour de « Céline » tels qu’il les a récoltés au cours de ses lectures. Le mot « célineurasthénie », imaginé par un journaliste en 1933 (voir page 16), ne figure pas dans sa collecte. Mais il en a trouvé bien d’autres. Ainsi, pour désigner les fervents de l’écrivain, le choix ne se limite pas aux deux termes signalés puisqu’on trouve aussi : célinophile, célinomane, célinologue, célinialiste, célinomane, célinomaniste, célinolâtre, célinomaniaque, ... La liste n’est pas exhaustive. Pour désigner, non pas les personnes, mais la passion – ou l’ensemble des passionnés – que l’œuvre suscite, on trouve : célinie, célinerie, célinisme, célinite, etc. Sans oublier que l’écrivain lui-même a forgé des mots à partir de son nom : Célinegrad (Féerie pour une autre fois) ou Célineman [rabineux] (Bagatelles pour un massacre).
Voilà qui rappelle les travaux du regretté Alphonse Juilland (1923-2000) sur les néologismes de Céline. Ces livres, qu’il a lui-même édités, devraient figurer dans la bibliothèque de tout célinien (ou céliniste) digne de ce nom ¹. On déplore naturellement que cet éminent linguiste n’ait pu achever cette œuvre unique en son genre. Dommage aussi que Céline n’en ait rien vu alors même qu’il avait eu connaissance de cette initiative : « Pour ce jeune homme qui veut étudier mes livres, diantre, ils sont là ! Qu'il s'y plonge. De ma part dites-lui que lorsqu'il aura fini son étude je la lirai et lui donnerai mon avis ². » Au moins Cioran, vieil ami de Juilland, lui exprima-t-il son enthousiasme : « Tous ces mots, quelle nourriture ! Cela vous fortifie, vous libère du cafard, vous réconcilie avec tout ce que le quotidien comporte d'intolérable. Un stimulant ! Il faudrait que les psychiatres en proposent l'usage. » Et si cela ne suffisait pas, c’est également Alphonse Juilland qui a retrouvé la trace d’Elizabeth Craig. Sans lui, nous n’aurions pas ce témoignage bouleversant ³ sur Céline livré peu avant la mort de la dédicataire de Voyage au bout de la nuit
 
Marc LAUDELOUT 
 
 
1. Alphonse Juilland, Les Verbes de Céline, 4 vol. parus, 1 : Étude d’ensemble, 2 : Glossaire, A-D, 3 : Glossaire, E-L, 4 : Glossaire, M-P, Anma Libri [Saratoga], coll. « Stanford French and Italian Studies », 32, 1985. [vol. 1] ; Montparnasse Publications [Stanford], 1988, 1989 et 1990 [vol. 2-4] & Les adjectifs de Céline, vol. 1 [seul paru] : Glossaire, A-C, Montparnasse Publications [Stanford], 1992, 271 p. 
2. Lettre du 6 décembre 1950 in Pierre Monnier, Ferdinand furieux, L’Age d’Homme, 1979, p. 160.
3. Elizabeth et Louis. Elizabeth Craig parle de Louis-Ferdinand Céline, Gallimard, 1994, traduction Florence Vidal (le livre a initialement paru en langue anglaise)

dimanche, 24 juin 2012

Louis-Ferdinand Céline - Knut Hamsun

Louis-Ferdinand Céline - Knut Hamsun

par Marie-Laure Béraud

Ex: http://www.lepetitcelinien.com/

Dans Dialogues outre-ciel (Ed Manuella, 2010), Marie-Laure Béraud a imaginé différentes conversations entre personnalités aussi diverses que Marylin Monroe, Robert Walser, Barbara et Oscar Wilde. Voici le dialogue imaginaire entre Knut Hamsun (1859-1952), écrivain norvégien, Prix Nobel de Littérature en 1920 et Louis-Ferdinand Céline.
 

Louis- Ferdinand Céline, Knut Hamsun Louis Ferdinand râlait, trépignait, faisait les cent pas, jurait, crachait des mots qui cinglaient comme des lames acérées à tel point que les oreilles trop sensibles se ramassaient à la pelle, mais sans la moindre goutte de sang répandue. Dans cette immensité opaque et indéfinissable, il portait des habits de campagne, gros pull de laine, pantalon de velours élimé, une tenue assez négligée qui seyait parfaitement à son visage et ses cheveux en désordre. Lui les limbes il n’en avait rien à foutre il aurait préféré tout de suite aller griller en enfer. 

L F - Crénom de Dieu, tiens Dieu justement parlons-en ! C’est quoi toutes ces putains d’antichambres, ces inventions à la con ? Tous les crétins échoués ici et là, purgatoire, limbes etc… Ils n’ont toujours pas compris que leur sale cœur d’homme eh bien le bon Dieu il en a rien à foutre, qu’il les laisse choir ici pétris de leur cruauté et qu’il se marre de les avoir dupés, qu’il en pisse de rire même ! C’est un p’tit malin. Moi je m’en fous de l’espoir c’est mes clebs qui me manquent , mon perroquet et ses plumes, l'odeur de poil et de pluie mais y’avait un panneau interdit aux animaux à l’entrée et j'ai eu beau discuter avec le larbin, rien à faire, inflexible le gars, drôlement bien dressé. Du coup je suis marron enfin façon de parler puisqu’ici y’a ni odeurs ni couleurs, ils font dans la sobriété, triste à pleurer, nu, vide, gris, froid, chiant,et ces nuées d’anges qui passent et tentent de me toucher le crâne pour me refiler un peu de bonté, la juste esthétique et tout ce fatras de trucs, amidonnés, bien repassés, pile au format de l’étagère ! Eh bien non ! J'en veux pas !

Un homme au regard bleu perçant, très distingué, d’allure nordique, releva avec intérêt le mot format qui le mit en colère. Il en fit presque tomber son chapeau et ses lunettes, pris soudain de violentes convulsions. D'habitude de nature assez calme, ce qu'il venait d'entendre le fit littéralement bondir.

K- Quoi ! Encore cette histoire stupide de l’homme tel qu’en rêvent nos gouvernants ? Soumis, hagard, sans aucune histoire digne d’être révélée, juste humain par fatalité, par accident, qui se lève, qui se couche et recommence jusqu’à son dernier jour d’inconscience, sans fleurs, sans montagnes sans arbres, sans amour, sans rien qui vaille la peine. Non j’ai assez goûté les basses hésitations, les écritures sans talent, les prétentieux, les couards, les théoriciens de la vie, ceux qui pensaient avoir trouvé sans même avoir commencé à chercher, toute cette basse cour trépidant en vain. Les mots, ils n’en ont pas joui, ils en ont eu peur, une peur qui dépassait tout, aucun soubresaut sur la ligne parfaite de leur petite existence, à peine le début d’une mélodie médiocre. Mais ne seriez-vous pas Monsieur Céline ? Celui qui tant d’années après sa mort continue à déchaîner les haines et les passions ? Je me présente Knut Hamsun. Notre destin fut assez similaire savez-vous, écartés et conspués, de vraies maladies ambulantes !

L F- Oui je sais on a trinqué pour tout l'monde, mes congénères ne m’ont pas raté, la vie ne m’a rien épargné, la guerre non plus, ça vous change un homme, ensuite quand on en réchappe, on n’est plus jamais le même. Tant de cruauté ça vous fait partir l’âme en vrille, ça sèche sur pied, ça vous ôte tout sentiment de compassion, et Dieu sait que j’en ai eu de la compassion, tous ces gens misérables et malades que j’ai soignés, que j’ai même sauvés parfois, eh bien Dieu ne me l’a pas rendu, au contraire, il m’a mis au pilori. On m’a entôlé, exilé, faut dire que je l’avais cherché avec "Bagatelles" ça m’a mis dans de beaux draps cette histoire-là, d’écrire sur la haine inextinguible de l’homme pour l’homme, l’impossibilité d’aimer de ceux qui ne furent pas aimés, mais avant ça j’indisposais déjà avec mes écrits éclaboussant le rêve de tranquillité de ces bourgeois, de ces intellectuels  à la petite semaine, aux mains moites, aux mots enrobés de miel, à la langue plate et monotone. Déjà le Voyage avait fait des ravages, j’étais maudit dès le départ. Oui mes livres m’ont dévoré. Toute l’attention, la précision, la passion, le besoin que j’avais d’écrire phrases après phrases, tout cela m’a consumé peu à peu. Écrire m’a assassiné.
 
K- Oui je vous voyais d’ici même vous débattre avec les bêtes que vous aviez provoquées et dont il était impossible de calmer la colère. Puisque je suis votre aîné mais d’assez peu nous avons connu tous deux cette époque de tumulte où j’ai eu tort et vous aussi de croire à une grande Europe possible grâce à l’Allemagne tant je détestais ces britanniques, leur arrogance de colons, leur désir de commerce, d’usines, de fumées, cette gifle odieuse à la nature, ce bruit. Je n’avais pas saisi les desseins de ce petit homme à moustache que je trouvais stratège et fort et en qui je croyais voulant à tout prix échapper à cette emprise anglaise. Je n’y ai vu que du feu, je ne me doutais pas une seconde de ses projets meurtriers, de sa folie. On a eu vite fait de me taxer d'antisémite alors que j’ai passé des jours et des nuits à télégraphier pour tenter de sauver un maximum de personnes des exécutions quand j’aurais pu fuir mon pays pour être à l’abri, d’ailleurs les allemands ont fini par me voir d’un très mauvais œil. Vous c’est assez différent puisqu’il n’était pas seulement question de politique mais d’une haine pour les juifs, exacerbée par des humiliations que certaines personnes vous auraient fait subir dans votre jeunesse et pour lesquelles il vous fallait un coupable. Alors la puissance de cette haine s’est étendue à toute l’humanité, et tel un cyclone, a tout décimé.

L F- Oui c’est sûrement ce sentiment de frustration qui a tout déclenché, c’est souvent cela qui pousse au crime, cette faiblesse de l’homme, la sensation douloureuse qu’il n’est pas reconnu, accepté, le mépris dont il est victime rend la bonté qu’il y a pourtant en lui absolument invisible, muette, paralysée. J’ai baissé les bras, me suis résigné à la contemplation de ma déchéance consentie. Vous savez bien que toute révolte mouvante est liée à l’espoir, je n’avais pas d’espoir. L'espoir est malheureux puisqu'il espère et la prière aussi puisque c'est un cri qui monte et qui vous abandonne. Mais les blasphémateurs dont je suis ne sont-ils pas un peu croyants au fond ? Toutes mes pages, toutes ces phrases qui n'étaient qu'une seule et même question contribuèrent à l'édification de ma pierre tombale. J'ai trop crié ma rage, trop répandu mon désespoir, ils n'aimaient bien que les optimistes, ceux qui racontent des trucs dont on a rien à foutre, leurs petites affaires privées avec un beau brin de plume.

K- Certainement, et comme je vous comprends sur ce point. La révolte des êtres et des mots est vitale, il faut ouvrir la porte sur l'inconnu, ne pas accepter, inventer, explorer, et cela demande une vigilance de chaque instant, un travail immense pour que les mots incarnent les émotions, qu'ils ne fassent qu'un. Cette notion de labeur, de quête infinie a par exemple tout à fait échappé à la plupart des auteurs américains trop aveuglés par une morale inhibitrice menant à un rêve unique et commun, celui de la lumière au bout du tunnel. L'Amérique exactement comme vous m’a terriblement déçu, comme vous j’ai trouvé stupide cette façon de penser que la liberté est à gagner à tout prix selon des règles précises, qu’elle devient fanatique et despotique. Cette notion de liberté si puérile a détruit sur son passage tous les petits chemins de traverse menant à l’autonomie mentale. Ils sont partis ensemble sur la même route, à la conquête d'une chimère. Rien que de prononcer le mot anarchie les faisait frémir et se signer soudain comme s’il s’étaient trouvés face à face avec le diable. L’anarchie c’était de la dynamite là-bas, un mot à proscrire, un intrus dangereux, une véritable menace pour la tranquillité de leurs âmes, un mot pourtant dont ils ne connaissaient même pas la signification.

L F- Ah l'Amérique, New-York , Detroit , Ford, les ouvriers qui bossent comme des chiens et qu'on remplace à la moindre défaillance et tout ça pour gagner un petit coin de paradis sur terre, pour contribuer à l'effort de la nation, ben merde alors! Même les putes font l'même rêve, avoir du pognon pour s'payer des déshabillés affriolants et finir en déambulant dans une petite chaumière bien nickel avec deux ou trois bambins dans les pattes. Ça me rappelle Lola la garce, et puis Molly la douce, ça c'était le bon côté de l'affaire, un peu d'oubli entre les jambes que l'coeur faisait pulser, avant de repartir pour la vraie vie violente, dégradante, exigeante. Bon heureusement y'avait la danse aussi, la danse ça vous transcendait une femme, j'ai toujours été avec des danseuses, sans doute leur côté sucre impalpable, cette façon de se glisser et d'onduler tout en rêvant, de s'enrouler autour de vous avec cette volupté inouïe. De vraies femmes dans leur mission originelle. Sans compter qu'elles pouvaient penser aussi! Bon y'a eu les autres, les hygiéniques, partout, en Afrique surtout, mais pour là-bas on était pas équipés nous les blancs becs, il faisait trop chaud et on attrapait tout un tas de saloperies dans ces corps -là et puis y'avait les moustiques et les mouches et puis on était usé par ce qu'on y voyait, question de vous plomber un homme ils s'y connaissaient! ça crevait dans tous les coins!

K- Vous êtes décidément bien cynique ! Et alors que tout porte à croire en votre nihilisme je vois dans votre regard une grande tristesse, une grande amertume, une lumière presque éteinte et c'est la preuve que vous y avez cru un peu à la vie, sinon vous afficheriez une mine victorieuse et sereine. Vous avez été vaincu par votre conscience, cet animal sournois, qui vous a tourmenté sans cesse jusqu'ici, dont vous n'avez jamais pu vous débarrasser une fois pour toutes. Sombrer dans la folie eût été préférable et à l'heure qu'il est vous auriez peut-être obtenu l'oubli et le calme dans votre trajectoire. Moi on a essayé de me faire passer pour fou à quatre vingt six ans! Ça les arrangeait bien de me coller dans un asile, de m'écarter, s'ils avaient pu ils m'auraient liquidé mais ils ne pouvaient pas se le permettre avec un prix Nobel. Oui mon propre pays m'a dépouillé de tous mes biens, m'a ruiné. Accusé de défendre le national socialisme, je voulais simplement qu'on évite cette guerre, que les norvégiens arrêtent de combattre en pure perte et surtout qu'ils ne se soumettent pas aux anglais ni aux américains.

L F- Je vous approuve, pendant cette foutue guerre ça me déprimait de voir tous ces gens partir au casse-pipe. Et puis je sais de quoi j'parle, j'en ai vu des morts et des abimés des tout sanguinolents, suintant par tous les bouts, j'en ai entendu, des cris insupportables qui vous fichaient des frissons dans l'dos. Ma médaille pour 14 -18 j'me la suis foutue au cul. J'voulais pas que ça recommence ce cirque funèbre. J'voulais plus qu'on fasse la fête à ce stupide paradoxe qui consistait pour tous ces pauvres soldats en première ligne à vendre leur vie pour survivre, à mourir pour ne pas être éliminé par cette société qui prônait l'honneur, le patriotisme, valeurs que défendent rarement les macchabés.

K- Alors la mort est une délivrance. Vous, vous avez eu avec elle un long entretien, avez tenté de voir par quel côté elle arriverait, mais peu d'hommes ont eu comme vous la conscience de son omniprésence, le talent que vous aviez de lui parler comme à un interlocuteur essentiel. D'ailleurs vous étiez mort avant de mourir, elle et vous, aviez fini par être si proches! Amis en somme! Cela m'a beaucoup impressionné, votre courage à l'affronter et même à la désirer comme une ultime maîtresse, comme la dernière conquête possible.

L F- On m'a un peu forcé la main faut dire ! Du coup j'ai un peu moins de mérite, le harcèlement et la calomnie m'ont conduit à faire plus rapidement que quiconque sa connaissance approfondie. Malheureusement ce privilège a eu un prix, et ce plaisir à provoquer la tempête, à dire non et à faire mal avec mes mots pour leur remuer les neurones, pour leur faire voir que, oui, ils sont bien tout seuls et pour toujours, ça m'a coûté un max, une peine à perpèt c'était pareil !

K- Ma façon d'écrire ne leur a pas plu, ils voulaient de jolies phrases inoffensives et romantiques, quelque chose qui laisse l'esprit en paix, qui ne réveille rien, mais je n'ai jamais pu parler d'autre chose que de cette quête impossible d'un homme qui ne trouvera pas. La faim en est une parfaite illustration, cela a été peut-être le sommet de mon art, le récit d'un estomac vide, le mystère des nerfs dans un corps affamé, l'errance d'un homme seul ne voulant pas céder aux bassesses, quelque soit le prix à payer, la quête d'un homme honnête et orgueilleux. Ma vocation fut de prouver que j'étais vivant en cherchant sans cesse, et non pas d'écrire pour distraire mon prochain avec de pauvres histoires à faire pleurer dans les chaumières .Oui j'ai voulu faire de ma langue une langue étrangère, une nouvelle musique , la transcender. Tout comme vous j'étais possédé tout entier, brûlant intérieurement de cette nécessité d'écrire. Vous savez quelque chose m'a vraiment aidé et soulagé après le vacarme de l'Amérique, après toutes ces luttes, et cette chose merveilleuse fut l'Orient, cette manière qu'on les gens là-bas de se taire et de sourire. Plus je m'en approchais moins les hommes parlaient, ils avaient compris la majesté du silence et son éloquence incomparable.

L F- Vous vous êtes montré plus sage que moi, cela ne fait aucun doute, et si j'ai souvent cru que le silence fut préférable aux âneries, je n'ai pu m'empêcher de crier dans chacun de mes livres, de défendre bec et ongles l'esprit contre le poids, le pur sang contre le percheron. Mes livres étaient mon seul refuge possible, ma maison, et mes mots son architecture. La nature et son silence vous ont aidé, moi la nature je l'ai découverte au cimetière, pour vous dire! Ma vraie inspiratrice fut la mort, tapie et ronronnant dans mon sang, qui m'a transformé dès le départ en hérisson d'angoisse.

K- Vous n'avez plus rien à craindre ici! Le crépuscule permanent dont nous sommes entourés vous et moi écarte la laideur, efface la misère et l'horreur, change la poussière en ombre, comme une malédiction en bénédiction. Ici on ne pleure plus, on ne sourit plus, on contemple dans une sorte de béatitude les agitations terrestres et vaines, c'est tout. Nous ne sommes plus. Tous deux prirent place côte à côte, sans un mot, et plongèrent leur orbites vides et noirs sur le monde lointain, où ils pouvaient apercevoir la naissance et la mort des sourires sur le visage des hommes, heureux de n'en faire plus partie.

 

Marie-Laure BÉRAUD

 

Dialogues outre-ciel, Ed. Manuella, 2010.

 

 

 





Nous remercions l'auteur d'avoir bien voulu nous faire partager ce texte.

vendredi, 22 juin 2012

XIXè Colloque international Louis-Ferdinand Céline du 6 au 8 juillet 2012 à Berlin

XIXè Colloque international Louis-Ferdinand Céline du 6 au 8 juillet 2012 à Berlin

 Le dix-neuvième Colloque international Louis-Ferdinand Céline, organisé par la Société d'études céliniennes, se déroulera du 6 au 8 juillet 2012 au Frankreich-Zentrum de la Freie Universität de Berlin (Rheinbabenallee 49, Berlin). Voici le programme complet de ces trois journées.

VENDREDI 6 JUILLET 2012

 

10h - Ouverture du colloque par François Gibault, président de la SEC

 

10h15 - Présidence François GIBAULT

Ana Maria ALVES 

 

Céline et les rapports franco-allemands

 

Christine SAUTERMEISTER 
D'un café l'autre : Céline et Marcel Déat à Sigmaringen

 

11h30
Pascal IFRI 
L'Allemagne et les Allemands dans la correspondance de Céline (1907-1939)

 

Émile BRAMI
L'Allemagne dans la correspondance de Céline (1940-1961)

 

 13h - Déjeuner
14h - Présidence Christine SAUTERMEISTER

 

Margarete ZIMMERMANN
Les représentations de Berlin dans Nord

 

David FONTAINE
Le Berlin de Céline

 

 15h30

 

André DERVAL
Allemand et anglais, entre musique et charabia

 

Ann SEBA-COLLET
Céline en bataille avec la guerre : l'Allemagne, catalyseur d'un pacifisme

 

SAMEDI 7 JUILLET 2012

 

9h45 - Présidence Margarete ZIMMERMANN

Bianca ROMANIUC-BOULARAND

Un phénomène stylistique célinien : la récurrence formelle et sémantique

 

Catherine ROUAYRENC
Les avatars de la métaphore dans les derniers romans

 

11h
Alice STASKOVA

 Figure et espace dans la trilogie allemande et dans Féerie pour une autre fois I

 

Suzanne LAFONT

 Des collabos aux Balubas : le miroir sonore de l'histoire dans la trilogie allemande

 

Véronique FLAMBARD-WEISBART
 La traversée de l'Allemagne en train

13h - Déjeuner
14h - Présidence Alice STASKOVA

François-Xavier LAVENNE

Orphée en Allemagne : la trilogie, parcours à travers les enfers et quête de l'écriture

Sven Thorsten KILIAN
L'Allemagne, ce monstre

15h30
Anne BAUDART
Céline et l'art en Allemagne

 

Johanne BÉNARD
Le théâtre dans la trilogie allemande : l'envers du décor

 DIMANCHE 8 JUILLET 2012

 

10h - Présidence André DERVAL

 

Pierre-Marie MIROUX
Le Nord chez Céline ; des racines et des ailes

 

Marie-Pierre LITAUDON
Guignol's band... au passage

 

11h15
Louis BURKARD
Les pamphlets de Céline et leur interdiction en droit

Isabelle BLONDIAUX
Pourquoi lire Céline ?

 12h30 - Assemblée Générale de la Société d'études céliniennes

 

13h - Clôture du colloque

 

Sociétés d'études céliniennes, 3, rue Monsieur, 75007 PARIS

 

 Freie Universität,Rheinbabenallee 49, 14199 BERLIN

lundi, 21 mai 2012

Le Bulletin célinien n°341 - mai 2012

Le Bulletin célinien n°341 - mai 2012

 
Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°341. Au sommaire :

- Marc Laudelout : Bloc-notes
- *** : Hommages à Claude Duneton
- Benoît Le Roux : Céline vu de Rennes en mars 1939
- Louis La Motte-Meurdel : Bagatelles pendant un massacre ou Céline à Rennes [1939]
- Paul Werrie : Entre Céline et Robert Poulet
- B. C. : Une version célinienne du mythe de Babel (2)

Un numéro de 24 pages, 6 € franco.

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.



Le Bulletin célinien n°341 - Bloc-Notes

Notre ami Claude Duneton nous a quittés le 21 mars. Coïncidence : c’est un 22 mars (1997) qu’il fut l’invité d’honneur de la « Journée Céline » organisée par le BC ¹. On lira dans ces pages un bouquet d’hommages rendus par ses confrères au chroniqueur de la langue française, à l’homme de théâtre et à l’écrivain

 

Il me revient peut-être de saluer ici le célinien émérite et pionnier. Sait-on qu’il fut l’un des premiers à adapter Céline au théâtre ? Cela se passait en novembre 1970 à Paris et il s’agissait – belle audace – d’une adaptation des Beaux draps ².  Éric Mazet s’en souvient : « Nous n’étions guère nombreux ! On avait l’air de conspirateurs. » Et d’ajouter : « Claude Duneton était un homme libre. D’une vive intelligence curieuse de tous les chemins de traverse, d’une grande culture voyageuse sans frontières et d’une malice dans le regard inoubliable ³. » Je souscris entièrement à ce point de vue en ajoutant, parmi d’autres qualités, sa grande modestie et ce courage tranquille qui lui faisait écrire des choses que la doxa feint d’ignorer. Ainsi rappelait-il volontiers que c’est l’anticommunisme, bien davantage que l’antisémitisme, que les épurateurs reprochaient à Céline après la guerre : « Jusqu’au milieu des années 1950, le sort des Juifs n’était pas vraiment détaché de celui des déportés de toutes catégories dans l’opinion des Français. Ce fut plus tard, presque dix ans après la défaite de l’Allemagne, qu’on se rendit compte, dans la foulée, du massacre distinctif – ethnique si l’on veut. (…) Céline est parti, in extremis, parce que les communistes étaient sur le point de lui faire la peau – et sans procès encore ! (…) Voilà la tare, la faute inexpiable : Céline était anticommuniste militant, et pire, antistalinien farouche, exactement, il l’avait crié à tous les échos. Mea culpa, Bagatelles, Les Beaux draps... 4 ». Outre ses préfaces pertinentes 5, on retiendra aussi de Duneton son « ode à Célne », Bal à Korsør 6,  publié en 1994 « à l’occasion de ses cent bougies ». Moins connu : son montage de textes, Appelez-moi Ferdinand, qu’il réalisa en 1980 pour la télévision française 7. Et il faudrait également citer ses chroniques langagières du Figaro qui firent souvent la part belle à Céline. Ainsi Claude Duneton n’a-t-il jamais cessé de se livrer à une défense et illustration de l’œuvre célinienne. Grâces lui en soient rendues.
 
Marc LAUDELOUT.

1. Les autres invités étaient Jean-Claude Albert-Weil, Éliane Bonabel, Nicole Debrie-Le Goullon et la Compagnie Catherine Sorba qui présenta des extraits de son adaptation de Guignol’s band.
2. Les Beaux draps. Adaptation scénique de Claude Duneton. Librairie-galerie « Les Anamorphoses », 68 rue de Vaugirard, Paris 6ème.  Mise en scène de Jean-Paul Wenzel. L’affiche du spectacle est reproduite dans le Catalogue de l’exposition Céline – Musée de l’Ancien Evêché de Lausanne, Edita, 1977.
3. Commentaire d’Éric Mazet au lendemain de la mort de Claude Duneton sur le blog « Le Petit Célinien », 22 mars 2012 [http://www.lepetitcelinien.com]
4. Préface de Claude Duneton à Céline au Danemark, 1945-1951 de David Alliot & François Marchetti, éditions du Rocher, 2008, pp. 9-13.
5. Signalons aussi ses préfaces au livre d’Éric Mazet & Pierre Pécastaing, Images d’exil. Louis-Ferdinand Céline 1945-1951 (Copenhague-Korsør (Du Lérot et La Sirène, 2004) et à la biographie de Gen Paul, un peintre maudit parmi les siens par Jacques Lambert (La Table ronde, 2007).
6. Bal à Korsör. Sur les traces de Louis-Ferdinand Céline, Grasset, Paris 1994, 122 p. Une deuxième édition a paru en 1996 dans « Le Livre de Poche » et fait l’objet, en 1999, d’une traduction danoise due à Svend Mogensen.
7. « Appelez-moi Ferdinand », montage illustré de textes de Céline (Guignol’s band et Nord) par Claude Duneton et Gérard Folin. Voix : Georges Mordillat et Jean-Pierre Sentier. Comédien : Jules Firmin Waroux. Antenne 2, 16 avril 1980.

dimanche, 06 mai 2012

Du chevalier au cuirassier Destouches : l'art du pamphlet comme un art de la guerre

Du chevalier au cuirassier Destouches : l'art du pamphlet comme un art de la guerre

par J.-Fr. Roseau

Ex: http://www.lepetitcelinien.com/

Étude comparée de la violence polémique et critique chez Jules BARBEY D'AUREVILLY et Louis-Ferdinand CÉLINE




Les prétentions aristocratiques de Céline, léguées par les récits d’un modeste employé d’assurance hanté par le mythe de la déchéance, ne relèvent pas seulement d’une reconstruction délirante ou fantasmatique du passé familial, mais tirent leur légitimité d’une généalogie désormais attestée. Comme le chouan du même nom, chargé d’informer les troupes royalistes émigrées sur les côtes anglaises durant les guerres révolutionnaires, la souche paternelle des Destouches est originaire de la Manche. Issu en ligne directe des seigneurs de Lantillère, comme il se plaît à l’indiquer dans une lettre adressée à une amie d’enfance (1), Louis-Ferdinand Céline descend d’un cousin éloigné au dixième degré de Jacques Des Touches de La Fresnaye, érigé en figure historique par le texte éponyme de Jules Barbey d’Aurevilly (2). La lumière faite sur l’ascendance aristocratique de Céline, le métier des armes devenait un devoir. Pour autant, du Chevalier au cuirassier, fallait-il en conclure une même culture guerrière, exprimée, à plus d’un siècle de distance, dans le maniement conjoint du sabre et de la plume ?

Quant à Barbey, sa posture chevaleresque est un appel du sang (3). Vaguement unis par ces lointaines racines, normandes et nobiliaires, mais plus encore par une verve brillante de polémiste forcené, ces deux atrabilaires ont une vénération commune pour l’art de batailler, et perçoivent l’écriture comme un jet d’amertume et de rage libéré. Si Barbey comme Céline ont excellé dans la carrière des Lettres en ferraillant contre la pensée dominante, c’est avant tout par l’adoption d’une langue radicale et cruelle, portant ouvertement l’empreinte d’une virulence martiale à la fois séduisante, ivre et brutale. On a pu évoquer çà et là les parentés éthiques et idéologiques de ces deux écrivains réduits à l’isolement à force de convictions politiquement anachroniques et moralement douteuses. Pourtant, noyée dans le bruit parasite de leur époque, leur voix hargneuse et provocante n’en a pas moins sonné comme un ultime refus de ce que l’opinion posait comme vérité définitive.

De la critique considérée comme un art militaire 

On trouve chez ces deux solitaires une même expérience décisive de la guerre. Pour le premier, refusé au collège militaire, le déshonneur moral de n’avoir pu s’y livrer conformément à son statut de gentilhomme, pour le second, le traumatisme incurable des séquelles corporelles et psychiques laissées par la Grande Guerre. La frustration sublimée de Barbey devait nécessairement aboutir à une langue belliqueuse, agressive et violente, transposant dans l’univers symbolique de l’écriture des procédés de nature soldatesque : escarmouche passionnée contre le culte du progrès, assaut féroce contre les fats, parade contre les bien-pensants. Si la critique aurevillienne a sans conteste une valeur de compensation, l’énergie frénétique de Céline puise quant à elle ses sources dans la violence hallucinante non seulement fantasmée, mais vécue des boucheries quotidiennes de 14. Recevant sa pension héroïque d’invalide, le sous-off’ réformé n’a pas tout dit durant ses quelques mois au front. Céline remplace Destouches. Le pamphlétaire, avec l’allure hautaine et suranné d’un duelliste piqué au vif ou d’un soldat subitement réveillé par les coups de canon, tient la littérature pour un champ de bataille. Il y règle ses comptes, fièrement, à coups de plume bien affûtée. Pour ces bretteurs, toute injure personnelle est un casus belli et l’écriture est un art de la guerre. Il y a chez eux un sens aigu de l’honneur offensé.
« Je devrais être aujourd’hui […] le maréchal d’Aurevilly », écrit Barbey à la veille de sa mort, lui qui rêvait d’une « existence passionnée, fringante, vibrante, même cahotée, pleine d’un bruit essentiellement militaire, un tumulte de charges endiablées et de sonneries éclatantes, avec le faste attirant d’uniformes empourprés et d’aiguillettes d’or sautillantes dans le galop des purs-sang » (4). Cette phrase, d’ailleurs, n’est pas sans faire penser au rythme haletant des trompettes céliniennes. Il y a chez eux un souffle épique qui tient de l’assaut littéraire. A défaut du bâton de maréchal, il aura obtenu l’honneur non moins glorieux d’être nommé « connétable des Lettres françaises ». Céline, en revanche, gradé maréchal des logis à quelques mois de la déclaration, a vécu le baptême douloureux du feu comme un fait structurant de son évolution morale, littéraire et idéologique (5). Pessimistes, Céline et Barbey d’Aurevilly le sont tous les deux face à l’espérance vaine et fallacieuse d’un progrès de l’humanité. Ils s’escriment l’un et l’autre contre la nonchalance facile des donneurs de leçons collectives qui, sur fond d’humanisme éclairé et de bonté philanthropique, prennent la défense du faible contre la brute intolérante et fanatique.

Du catholique hystérique à l’antisémite enragé 

La rhétorique fulminante de Barbey comme la voix furibonde de Céline, souvent assimilables à un tissu de vitupérations haineuses, traduit une obsession quasi-pathologique focalisée sur le mythe nauséeux d’un coupable exclusif. Le juif assume chez Céline le rôle que Barbey attribue indifféremment au protestant, au juif ou au franc-maçon. Relevant les symptômes de la décadence et du malaise social, les deux auteurs entretiennent constamment la fiction du complot étranger. Au-delà des différences culturelles et chronologiques entre d’une part l’antijudaïsme chrétien (6), qui culmina lors de l’Affaire Dreyfus, et d’autre part l’antisémitisme racial du premier XXe siècle, leurs thèses ont en commun une pseudo-justification d’ordre racial ou religieuse. Dans les deux cas, il s’agit d’une croisade dont l’enjeu correspond au pays menacé. S’il leur arrive d’essuyer un échec ou un désagrément quelconque, ils revendiquent aussitôt la pureté de l’écrivain solitaire, guerroyant pour l’esprit national, contre la corruption et la conspiration. « Faut dire…, écrit Céline, je serais d’une Cellule, d’une Synagogue, d’une Loge, d’un Parti, […] tout s’arrangerait ! sûr !» (7). Le rôle du pamphlétaire incarné par Céline ou Barbey d’Aurevilly, reclus loin des factions, est d’annoncer les cataclysmes sur un ton de prophète et de dénoncer les « coupables ». Mais, à défaut d’arguments, la haine impétueuse du pamphlet tourne en rond. Elle manifeste une tendance singulière à la névrose. Névrose antisémite, antidémocratique et « conspirationniste » qui se mue en délire frénétique. Il y a chez ces deux écrivains une outrance idéologique qui tient de la dérive malsaine et maladive. Le lexique médical, et plus précisément le lexique psychiatrique, sont en effet les premiers qui répondent à l’appel quand on souhaite qualifier cette violence passionnée du polémiste, éreintant hargneusement sa cible, hanté par un ennemi qui relève davantage du mythe que de la menace effective. Il fallait donc nécessairement que, parmi leurs principaux contradicteurs, Barbey et Céline se heurtent aux défenseurs de l’universalisme et de l’humanisme bafoués. Zola accuse le premier d’hystérie fanatique (8). Sartre prend Céline pour exemple historique de l’antisémite assimilé aux « grands paranoïaques » (9). C’est ici que la figure haïe de l’intellectuel entre dans l’arène.

Polémique contre Sartre et Zola : la haine de l’intellectuel

Barbey s’éteint en 1889, cinq ans avant la naissance de Céline. La fin du siècle aura vu émerger dans la sphère politique la figure engagée de l’intellectuel. Dans la lignée triomphante des Lumières, Zola ouvre le bal et Sartre prend le flambeau. A l’opposé, comme un revers de ce militantisme littéraire, vibre la voix grinçante du pamphlétaire réactionnaire, inaugurant la tradition « anti-intellectualiste ». Car Barbey contre Zola, ou Céline contre Sartre, c’est toujours Rivarol polémiquant contre l’abstraction théorique de Rousseau. La violence est la même. Excessive et cruelle. Les traits de leur virulence langagière, à commencer par l’injure scatologique –métaphore récurrente de leur critique anti-intellectualiste- coupe court à toute tentative de débat rationnel conforme aux schèmes spéculatifs qui structurent les discours de l’intellectuel. Le but est d’humilier. Apôtre du progrès dénonçant l’injustice et l’intolérance de ses contemporains, Zola n’est pour Barbey qu’un « fanfaron d’ordures ». Son oeuvre est tout entière construite « comme le système intestinal », produisant des effluves « de fumier et de fientes ». « M. Zola, dit-il encore, travaille dans l’excrément humain » (10). Enfin, le portrait de l’auteur culmine dans une comparaison grandiose à la Barbey : Zola, « un Michel-Ange de la crotte… ». Céline, lui, n’a pas la pudeur de Barbey. Sa prose déverse un dégoût sans mesure. Sartre est ainsi qualifié tour à tour de « petite fiente », « petit bousier », « petite crotte » et, plus franchement, de « satanée petite saloperie gravée de merde » (11). Barbey n’a pas non plus peur des gros mots lorsqu’il accuse Les Misérables, texte à tonalité pathétique et démocratique ouvrant l’ère du roman engagé, de « colossale saloperie » (12). Dépourvu d’argument et de ménagement rhétorique, leur stratégie critique repose sur l’effet vexatoire de la raillerie et de l’insulte. Rien de plus humiliant, en l’occurrence, que le motif fécal qui revient constamment. Il s’agit de blesser pour vaincre, et non pas de convaincre. Dès lors, l’intellectuel et le pamphlétaire se rejettent et s’excluent comme la passion s’oppose à la raison et le style à l’idée. Revendiquant une oeuvre intégralement fondée sur l’énergie nouvelle d’un style, Barbey et Céline condamnent tous deux la vanité des hommes à idées. Les philosophes sont, après le traître corrompu qu’ils nommeront juif ou franc-maçon, leur plus farouche ennemi. Et l’on retrouve, dans leur critique, le reproche d’un soldat à l’endroit du lâche ou du traître. Contrairement à la verve fougueuse de l’écrivain-guerrier, l’intellectuel est un « impuissant » (13). Il n’a aucune utilité sociale. Chez Céline, l’identification de l’intellectuel -et notamment de « l’agent Tartre » (14) - à la figure hideuse et répugnante du parasite, emprunte par conséquent une multitude de formes (« bousier », « cestode », « demi-sangsue »…).
Autre point commun de l’anti-intellectualisme aurevillien et célinien, la négation systématique du talent. Zola, par exemple, n’invente rien. C’est un « singe de Balzac dans la crotte du matérialisme ». Il apparaît ainsi comme une hydre sans unité, dont Barbey refuse tout talent littéraire au-delà du pastiche. Sa chair, dit-il encore, « est faite des chairs mêlées de Victor Hugo, Théophile Gautier et Flaubert ». La méthode satirique de Céline use des mêmes procédés. Le prétendu génie de Sartre ne dépasse pas celui d’un lycéen fort en thème ou d’un plagiaire habile. Sartre, en somme, est un « Lamanièrdeux… » !
Au-delà des analogies littéraires et critiques entre les deux auteurs, il existe également une convergence idéologique marquée par le refus des idéaux démocratiques et progressistes. On a déjà pointé les ressemblances du conservateur royaliste et du patriote pacifiste sous la notion d’ « anarchisme de droite » (15). Mais plus encore que son isolement face aux idées du temps, c’est bien l’art impétueux de ses écrits polémiques, drôles et sinistres à la fois, qui fait du cuirassier Destouches l’héritier littéraire de l’auteur inquiétant du Chevalier Destouches.
 
Jean-François ROSEAU
Spécial Céline n°3 (novembre/décembre 2011, janvier 2012)
Repris sur le site www.barbey-daurevilly.com le 12 décembre 2011.
 
 
 
Notes
1 - Lettre à Simone Saintu du 30 octobre 1916 : « Il y a là aux environs de Coutances un vieux château de Famille qui abritera vraisemblablement mes pénates », dans Lettres et premiers écrits d'Afrique 1916-1917, textes réunis et présentés par Jean-Pierre Dauphin, Paris, Gallimard, 1978, p. 144. Au XVIIe siècle, une branche Destouches s’était fixée à Lentillière. C’est d’elle que descend l’auteur qui signe dans ses premières lettres Louis des Touches ou encore L. d. T.
2 - Le Chevalier Des Touches paraît pour la première fois en 1864.
3 - Lettre à Trebutien, février 1855 : « En sa qualité de cadet, mon père était ce qu’on appelle en langage gentilhomme : le chevalier », dans Correspondance générale, t. IV., Paris, Les Belles Lettres, « Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1984, p. 180.
4 - Cité par Octave Uzanne, dans Barbey d’Aurevilly, Paris, A la Cité des Livres, 1927, 88 pages. Texte mis en ligne par la médiathèque André Malraux de Lisieux.
5 - Pour H. Godard, l’expérience martiale de Céline « restera la référence absolue » en littérature comme en politique, cf. Céline scandale, Paris, Gallimard, 1998, p. 47.
6 - Ce vieux ferment d’antijudaïsme traditionnel s’exprime au premier chef dans l’accusation séculaire de déicide. Cf. la critique de Barbey d’Aurevilly, dans « Les Déicides, par M. Joseph Cohen », Le Pays, 5 janvier 1852 : « ce sang accusateur dans lequel les pieds de chaque Juif marchent, à travers le monde, depuis tout à l’heure dix-neuf cent ans ».
7 - L.-F.Céline, D’un Château l’autre, Paris, Gallimard, « coll. Folio », 1957, p. 30.
8 - « Le Catholique hystérique », dans E. Zola, Mes Haines, Paris, G. Charpentier, 1879, pp. 41-55.
9 - J.-P. Sartre, Réflexions sur la question juive, Paris, Gallimard, « coll. Folio », 1954, p. 51.
10 - J. Barbey d’Aurevilly, « Emile Zola », dans Le Roman contemporain, Paris, A. Lemerre, 1902, pp. 197-239.
11 - L.-F. Céline, A l’agité du bocal, Paris, Herne, 1995, 85 pages.
12 - Correspondance générale, t. VI, Paris, Les Belles Lettres, 1986, p. 203.
13 - L.-F. Céline, Entretien avec le professeur Y, dans Romans, IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, p. 497 : « les impuissants regorgent d’idées ».
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
14 - D’un Château l’autre, ibid., p. 31 : « l’agent Tartre ! crypto mon cul ! […] sous-sous-dévalures de Zola !... »,
15 - Céline et Barbey servent d’exemples emblématiques à l’ouvrage de François Richard, cf. « La haine des intellectuels, dans Les Anarchistes de droite, Paris, Presses Universitaires de France, 1997

 

 

 

vendredi, 20 avril 2012

Quando Céline era solo un giovane corazziere in armi nella Grande Guerra

Quando Céline era solo un giovane corazziere in armi nella Grande Guerra

di Andrea Lombardi

Fonte: barbadillo


Cuirassier-Destouches.jpg Louis-Ferdinand Destouches (in arte Céline), uno dei massimi romanzieri del ‘900, dopo il successo del suo libro di esordio Viaggio al termine della notte (1932) e di Morte a credito (1936), e le polemiche suscitate da Bagatelle per un massacro (1938), operò con i suoi romanzi una vera rivoluzione dello stile narrativo, culminata nella cosidetta Trilogia del nord (Nord, Rigodon e Da un castello all’altro). Uomo dalle molte vite, soldato nella prima guerra mondiale, direttore di piantagioni, membro di una commissione sanitaria della Società delle Nazioni, medico di periferia, scrittore, bohemienne, e infine Collabo e reprobo, la prima vita di Céline sarà quella di corazziere a cavallo: infatti Louis Destouches, nato il 27 maggio 1894 a Courbevoie (Parigi) si arruolerà il 28 settembre 1912, con ferma triennale, nel 12eme Régiment Cuirassiers (12° Reggimento Corazzieri) di stanza a Rambouillet, nel dipartimento degli Yvelines nella regione dell’Île-de-France. Il 12eme “Cuir” era un’unità scelta, con una lunga tradizione militare risalente al 1668: creato da Luigi XIV per suo figlio quale Régiment “Dauphin-Cavallerie”, fu rinominato 12° Reggimento di Cavalleria nel 1791 dopo la Rivoluzione Francese. Il reparto si distinse in numerose battaglie: dalle Campagne del Re Sole alle Guerre della Rivoluzione, subordinato all’Armata del Reno; da Austerlitz, Jena e Waterloo a Solferino, alla disastrosa guerra franco-prussiana del 1870-1871. I primi tempi di servizio presso il 12° ben difficilmente potevano ricordare al giovane Louis queste antiche glorie, preso come doveva essere, da buona recluta, a spalare letame, strigliare il pelo dei cavalli e centellinare i pochi spiccoli della diaria, vessato dalla disciplina di ferro dei sottuff’ di carriera, come ricordato d’altronde da lui stesso in Casse-Pipe! Dopo un anno da militare di truppa, Louis è promosso Brigadiere il 5 agosto 1913, e quindi Maresciallo d’alloggio il 5 maggio 1914.

Il 31 luglio, a Saint-Germain, il Reggimento è mobilitato e il 2 agosto si assembra nella regione a sud di Commercy. Louis accoglierà la notizia della guerra con lo stesso entusiasmo patriottico di milioni di giovani come lui in tutta Europa, come testimoniato da questa lettera ai genitori scritta poco prima della partenza per il fronte, tanto diversa per stile e spirito dal Viaggio al termine della notte:

“Cari genitori: l’ordine di mobilitazione è arrivato partiamo domani mattina alle 9 h 12 per Étain nelle pianure della Voevre non credo che entreremo in azione prima di qualche giorno […] è una sensazione unica che pochi possono vantarsi di aver provato […] Ognuno è al suo posto sicuro e tranquillo tuttavia l’eccitazione dei primi momenti ha fatto posto a un silenzio di morte che è il segno di una brusca sorpresa. Quanto a me farò il mio dovere sino in fondo e se per fatalità non dovessi tornare… siate sicuri per attenuare la vostra sofferenza che muoio contento, e ringraziandovi dal profondo del cuore. Vostro figlio”.

Il 12°, al comando del Colonnello Blacque-Belair, e facente parte della 7ª Divisione di Cavalleria, condurrà numerose missioni di ricognizione tra la Wöevre, la Mosa e l’Argonne nell’agosto e settembre 1914: il terreno dove opererà, boscoso, con campi cintati da muretti a secco tagliati da fossi e canali, è inadatto all’impiego della cavalleria, men che meno quella pesante. La guerra del ’14 inizia a mostrarsi per quello che è: niente eroiche cariche di cavalieri, ma un cieco tritacarne. Louis scriverà allora a casa lettere di ben altro tono rispetto a quelle precedenti; l’assurdità della guerra inizia a far nascere in lui Céline:

“La lotta s’impegna formidabile, mai ne ho visto e ne vedrò di così tanto orrore, noi camminiamo lungo questo spettacolo quasi incoscienti per l’assuefazione al pericolo e soprattutto per la fatica schiacciante che subiamo da un mese davanti alla coscienza si para una specie di velo dormiamo appena tre ore per notte e marciamo quasi come automi mossi dalla volontà istintiva di vincere o morire Nessuna nuova sul campo di battaglia quasi sulla stessa linea del fuoco da 3 giorni i morti sono rimpiazzati continuamente dai vivi a tal punto che formano dei monticelli che bruciamo e in certi punti si può attraversare la Mosa a piè fermo sui corpi tedeschi di quelli che tentano di passare e che la nostra artiglieria inghiotte senza posa. La battaglia lascia l’impressione di una vasta fornace dove s’inghiottono le forze vive delle due nazioni e dove la più fornita delle due sarà la vincitrice”.

Ad ottobre il Reggimento è inviato nelle Fiandre, partecipando a duri combattimenti assieme ad alcune unità di fanteria nel settore tra Ypres e Poelkapelle; il 27 ottobre, quest’ultima località è battuta incessantemente dal tiro dell’artiglieria e delle mitragliatrici tedesche, tanto che sembra impossibile garantire con staffette le comunicazioni tra il 125° e il 66° Reggimento di fanteria, che stanno cercando di strappare l’abitato di Poelkapelle al nemico. È in questo momento che il Maresciallo d’alloggio Destouches, comandato presso il Comando di Reggimento, si fa avanti, dandosi volontario per questa missione quasi suicida. Louis riuscirà a condurre a termine il pericoloso compito, ma al ritorno, intorno alle ore 18, è ferito gravemente al braccio destro. Dopo essersi ricongiunto alla sua unità, data la mancanza di posti disponibili nelle ambulanze o tende-ospedale a causa del gran numero di feriti e moribondi, dovrà raggiungere a piedi, camminando per sette chilometri, un ospedale da campo presso Ypres. Sarà poi da lì evacuato a Hazebrouck, dove sarà operata la frattura del braccio, e poi ricoverato in degenza all’ospedale militare Val-de-Grâce a Parigi, dove subirà un secondo intervento chirurgico il 19 gennaio 1915. Dichiarato inabile al servizio a causa della sua ferita, viene riformato il 2 settembre 1915: finisce così il servizio attivo di Louis Destouches nell’Armée.

Per l’eroismo dimostrato sul campo sarà citato nell’ordine del giorno del 29 ottobre del Reggimento, insignito della Medaglia Militare il 24 novembre 1914 e della Croce di Guerra con Stella d’Argento.

La rivista L’Illustré National del dicembre 1914 dedicherà al fatto d’arme che lo vide protagonista una tavola a colori a tutta pagina: Louis-Ferdinand Céline la mostrerà sempre con orgoglio a ogni suo visitatore nell’eremo di Meudon, tanti anni e tante vite più tardi.

Bibliografia:

Dauphin-Boudillet, Album Céline

Gibault, Céline

Ruby – de Labeau, Historique du 12eme Régiment Cuirassiers (1668-1942)

Le 12eme Régiment Cuirassiers (1871-1928)


Tante altre notizie su www.ariannaeditrice.it

jeudi, 05 avril 2012

Louis-Ferdinand Céline : Le gribouilleur céleste

Louis-Ferdinand Céline : Le gribouilleur céleste

Ex: http://www.lepetitcelinien.com/

 
Victor Hugo louait Charles Baudelaire pour avoir introduit « un frisson nouveau dans la poésie ». L’homme qui à introduit un frisson nouveau dans le roman ; c’est Louis-Ferdinand Céline.

Si le XIXème siècle a eu le privilège de le voir naitre, le XXème siècle a eu celui de le voir écrire. Écrire, déstructurer, casser, broyer, pour enfin révolutionner une langue française essoufflée. On entre dans l’œuvre de Céline comme on s’élance au cœur d’une cathédrale dévastée, car, n’en déplaise à Baudelaire, pas de place ici pour le luxe, le calme et la volupté. L’écrivain compose sur les ruines de l’humanité, assassinant jusqu’à l’amour qu’il « traque, abîme, et qui ressort de là : pénible, dégonflé, vaincu… ».
Atypisme revendiqué, populisme lyrique, musicalité de la prose ; la plume de Céline est un « scalpel de mage ». Chaque virgule est un rouage d’argent dans une mécanique d’or, chaque page se « débrousse comme le temple d’Anghkor », chaque couteau tiré est une larme qui tombe, chaque mensonge est une demi-vérité. Céline était médecin des pauvres. Sans doute a-t-il autant soigné par son œuvre que par sa médecine.
L’alchimiste des mots n’a pourtant pas compté ses détracteurs. L’anti-judaïsme philosophique, qu’il partage avec bon nombre de grands auteurs, Voltaire et Hugo en tête, lui aura valu la mise à l’index et l’opprobre de ses contemporains. À la suite de la publication de ses pamphlets, Sartre « l’agité du bocal », traducteur d’Heidegger, ira jusqu’à l’accuser de collaboration avec l’ennemi. C’était oublier que si Céline pouvait tremper sa plume dans l’ambroisie, il pouvait aussi la noyer dans le cyanure. La réponse qu’il fit à Sartre éleva jusqu’au mythe l’art de la diatribe. Il y a fort à parier que le « ténia aux yeux embryonnaires » regretta longuement son commentaire. Fort de cette séance épistolaire d’acupuncture au pic à glace, sonnant comme un rappel à l’ordre, il préféra le silence au ridicule. A croire que lui aussi sortit de là : pénible, dégonflé et vaincu.
Auteur controversé, à la fois adulé et maudit, Céline n’a incarné qu’une école: la sienne. Son histoire est celle d’un nihiliste marginal, chansonnier du chaos, pessimiste et lucide à l’égard de la nature humaine. Sa vision de l’homme se résume à la victoire de Caliban sur Ariel. Force est de constater que cinquante années après, la « révolte de l’esprit sur le poids » n’a pas eu lieu.
Les controverses à l’endroit de Céline en sont les exemples les plus probants. Douce mascarade que celle qui consiste à retirer le maudit de Meudon des célébrations nationales. Preuves que les pressions communautaristes prévalent sur la légitimité des ministres français. En attendant bienveillamment que la famille Klarsfeld, descendante directe de Tomas de Torquemada, prenne la peine de se déplacer outre-manche pour demander l’autodafé en grande pompe des œuvres de Shakespeare pour son « Marchand de Venise », finissant leur voyage en Allemagne afin de prétendre à la saisie de tous les ouvrages de Schopenhauer, notamment son « Foetor Judaicus ».
Un racket moral à deux vitesses qui confine au grotesque mais qui finit pourtant noyé dans les eaux troubles du conformisme. Et tous les demi-spécialistes qui s’excitent, pérorent, rhétorent sur l’ambivalence d’un talent schizophrène. Autant de commentateurs volontaires qui lisent sans projeter et dissertent sans comprendre qu’il n’y a jamais eu qu’un seul système, qu’une seule vision du monde, qu’un seul Céline.
On peut penser que la prolongation post-mortem de l’anathème aurait convenu au docteur Destouches, voire qu’il l’aurait souhaité. Quoi de plus mesquin, en effet, que d’être couronné par un siècle qui s’est fait un sacerdoce d’ériger la tartufferie en vertu cardinale. Les époques pardonnent tout à leurs contemporains, sauf le génie. Lui qui appréhendait avec beaucoup de quiétude le repos de sa mort, je crains que sa plume n’ait jouée contre lui.
Son talent l’a rendu immortel. Et s’il vous vient l’envie de vérifier ce céleste postulat, rendez-vous au cimetière de Meudon. Asseyez-vous près de la roche qu’il partage avec son épouse « à l’ombre du monument adjudicataire et communal élevé pour les morts convenables dans l’allée du centre ». Regardez la pierre gravée, respirez, ouvrez « le voyage ». Alors vous conviendrez que cet endroit est le seul au monde ou Louis-Ferdinand Céline ne se trouve pas.

Maxime LE NAGARD
Le Bréviaire des patriotes, 22 mars 2012.

Le Bulletin célinien n°340 - avril 2012

Le Bulletin célinien n°340 - avril 2012

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°340.

Au sommaire :

- Marc Laudelout : Bloc-notes
- M. L. : Céline dans la presse
- P.-L. Moudenc : Cette prose flamboyante
- P.-L. Moudenc : Les souvenirs de Henri Mahé
- Bernard Baritaud : Pour une association Mac Orlan
- Pol Vandromme : Maurice Bardèche et Céline
- André Suarès : Les rires de crocodile [1946]
- Louis-Albert Zbinden : La blessure d’un paradis perdu [1973]
- B.C. : Une version célinienne du mythe de Babel [1]

Un numéro de 24 pages, 6 € franco.

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.

 

Le Bulletin célinien n°340 - Bloc-Notes

La bibliographie Tout sur Céline serait-elle l’Arlésienne ? Annoncée pour l’année du cinquantenaire de la mort de l’écrivain, elle n’a pas encore vu le jour. Aussi convient-il de s’en expliquer auprès des souscripteurs. Cette bibliographie a, comme on le sait, trois co-auteurs : Arina Istratova, Alain de Benoist et Marc Laudelout. Le but de l’imposante Bibliographie des écrits de Louis-Ferdinand Céline, publiée il y a plus de vingt-cinq ans par Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché, n’était pas de prendre en compte l’abondante littérature secondaire qui a été consacrée à l’auteur de Nord ¹. C’est cette situation que les auteurs de Tout sur Céline ont voulu pallier. Leur bibliographie référencera tous les livres, brochures, tirés à part, travaux universitaires et numéros spéciaux de revues, parus en langue française et dans d’autres langues, qu’il a été possible d’identifier. Elle ne citera ni les articles sur Céline, dont la recension exhaustive serait difficilement réalisable (mais a déjà été entreprise par Jean-Pierre Dauphin pour la période 1914-1961 ²), ni – sauf très rares exceptions qui ont paru justifiées – les livres qui ne consacrent à Céline que des sections ou des chapitres particuliers : histoires générales de la littérature, études diverses sur les « fascismes littéraires », etc.
Cette bibliographie comprendra cinq parties principales : (A) les publications périodiques et les séries éditoriales entièrement consacrées à Céline ; (B) les travaux universitaires (mémoires, masters et thèses) dont Céline a fait l’objet ; (C) les ouvrages publiés ; (D) la documentation filmographique (émissions télévisées essentiellement) ; (E) la documentation phonographique (émissions radiophoniques, discographie, partitions). Un complément relatif à Internet constituera la partie (F). Une dernière partie (G) recensera les associations spécialisées dans les études céliniennes.
Cette bibliographie fournira au total près de 2000 références, dont plus de 800 thèses ou mémoires universitaires identifiés. C’est précisément cette partie-là qui donne le plus de fil à retordre aux auteurs. Alors même qu’ils en étaient au stade des épreuves, ils ont encore constaté de trop nombreuses erreurs dues au fait que les travaux universitaires (non publiés) sont souvent mal répertoriés. Nombreux sont, dans ce domaine, les renseignements lacunaires ou tout simplement erronés. Cela s’explique par le fait que toutes les universités ne recensent pas de manière méthodique et précise les thèses soutenues en leur sein. La situation est, comme on s’en doute, encore plus complexe pour les mémoires de maîtrise. Les auteurs espèrent clôturer enfin ce vaste chantier cette année. Le tirage sera limité à 300 exemplaires. Tous ceux qui ont souscrit sont bien entendu assurés de recevoir cette bibliographie dès sa sortie de presse ³. Nous espérons qu’ils voudront bien ne pas (trop) tenir rigueur de ce retard aux auteurs. L’un des souscripteurs, célinien patenté et chercheur de talent, a bien voulu faire part de sa compréhension : « Pour ma part, perfectionniste comme je le suis, je sais trop bien qu’il faut prendre tout le temps nécessaire pour faire un travail se rapprochant le plus possible de la perfection. Par conséquent, même si votre bibliographie ne sortait que dans un an, je n’en ferai pas un drame. » Puissent tous les autres souscripteurs partager ce sentiment !

Marc LAUDELOUT


1. Jean-Pierre Dauphin & Pascal Fouché, Bibliographie des écrits de Louis-Ferdinand Céline, 1918-1984, BLFC, 1984. Cet ouvrage est épuisé mais une version électronique est disponible sur www.biblioceline.fr
2. Jean-Pierre Dauphin, Bibliographie des articles de presse & des études en langue française consacrés à L.-F. Céline, 1914-1961, Du Lérot, 2011.
3. La souscription est actuellement close. Le prix de vente est de 65 €, frais de port inclus.

mercredi, 21 mars 2012

Céline, profeta de la decadencia

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Céline, profeta de la decadencia

GISELLE DEXTER Y ROBERTO BARDINI

Ex: http://www.elmanifiesto.com/


"Rencorosos, dóciles, violados, robados, con las tripas fuera y siempre jodidos. (...) Hemos nacidos fieles y así morimos". El autor de esta frase es un médico, físico y viajero francés a quien nadie conoce por su verdadero apellido: Destouches.

En cambio, los ambientes literarios y culturales de todo el mundo reconocen su talento magistral como escritor bajo el nombre que eligió para entrar –sin saberlo, entonces– por la puerta grande de la literatura: Louis Ferdinand Céline (1884-1961). La frase citada pertenece, precisamente, a la obra que lo consagró internacionalmente: Viaje al fin de la noche.

Céline sucumbió, junto con un grupo de jóvenes y talentosos intelectuales franceses, a lo que Benito Mussolini llamó "la tentación fascista", en el período que va de la primera a la segunda guerra mundiales. Este "pecado", con variantes, también se dio en Bélgica, Holanda, Noruega, Finlandia, Croacia, Polonia y Hungría. Ninguno de estos países, sin embargo, contó con una congregación de autores tan brillante, trágica y malograda como la de Francia. Entre sus principales exponentes figuran, entre otros, Pierre Drieu la Rochelle y Robert Brasillach. A todos ellos se les aplicó, según los casos, la ley del "encierro, destierro o entierro"; todos ellos recibieron el despectivo apodo de colabos, es decir "colaboracionistas" con el enemigo.

Una intelectual italiana antifascista y feminista, María Antonietta Machiochi, define a Céline como "el más genial de los escritores nazifascistas". A muchos historiadores, literatos y críticos les resulta muy difícil digerir esta doble realidad que incluye el reconocimiento a su genialidad como escritor y su identidad "políticamente incorrecta". Y, por si fuera poco, hay que agregar una faceta más: su rabioso antijudaísmo.

"Uno de los gigantes de nuestra época"

Lo cierto es que no existe polémica acerca de su talento; casi todos los prólogos a sus obras incluyen, junto con el repudio a su elección ideológica, las alabanzas al estilo literario: "escritura hablada", "anárquica expresividad", "grafía desquiciada". Entre las etiquetas también hay que incluir "absoluto cinismo", "pesimismo radical", "nihilismo deslumbrante". Sus admiradores políticos, incluso, lo llaman "el profeta de la decadencia europea"... Y se podría continuar.

Uno de sus adversarios, Jean Paul Sartre, quien antes de convertirse en filósofo existencialista había sido simpatizante comunista, escribe en 1946: "Tal vez Céline sea el único que permanezca de todos nosotros". Etienne Lalou, novelista, cronista de L’Express y productor de radio y televisión, dice: "Céline ha restituido al francés hablado sus títulos de nobleza y, sin él, una parte de la literatura moderna no sería lo que es". Lalou, un creador alejado de cualquier cosa vinculada a Hitler y Mussolini, lo llama "uno de los gigantes de nuestra época".

Céline es voluntario en la Primera Guerra Mundial, de la que regresa con el 75 por ciento de su cuerpo mutilado. Al terminar el conflicto, comienza a estudiar medicina. Egresa en 1924, con una tesis sobre el médico húngaro Felipe Ignacio Semmelweis (1818-1865), a quien un colega contemporáneo definió como "un poeta de la bondad". Esa tesis se convertirá en 1937 en Semmelweis, una bella biografía sobre el investigador que luchó contra la fiebre puerperal hasta el último día de su vida. En la nota preliminar de este libro, el novelista español Juan García Hortelano (1928-1992) escribe:

"La agresividad, componente indispensable de la obra maestra, alcanza en Céline al universo entero y verdadero. En el caos, el asesinato, la injusticia, el terror y la debilidad juegan la partida; el que pueda envidar, gana; sólo perderán los débiles, para quienes la opción se limita a la fuga o la muerte. Céline, en absoluto partidario del suicidio, es el primer escapista que, refractario a la mentira, no huye. Tampoco se apiada (...).Destruye el mundo, minuciosamente (...), con el arma que supo manejar. Céline es un lenguaje nuevo. Del francés hablado, mal hablado, destiló un sistema de ruptura de la lengua, en el que reside toda su gloria".

Novela "irreductible y salvaje"

Céline se alista en la marina. De 1924 a 1928 integra misiones de la Sociedad de Naciones en África y Estados Unidos; por su cuenta, visita la Unión Soviética. Al regreso a Francia, trabaja en una clínica estatal en Clichy, un suburbio al norte de París, donde prácticamente sólo atiende a pobres. En 1940, se presenta nuevamente al ejército como voluntario pero es rechazado por las secuelas de sus heridas anteriores.

Su obra incluye los siguientes títulos: Viaje al fin de la noche (1932), Muerte a crédito (1936), Mea Culpa (publicado luego de su regreso de la Unión Soviética, 1936), Bagatelles pour un massacre (1937), L´école des cadavres (1938), Les Beaux Draps (1941), Guignol´s Band (1943), Casse Pipe (1949), Feerie pour une autre fois (1952), De un castillo a otro (1957), Norte (1960) y Rigodon, publicada después de su muerte.

Con Viaje al fin de la noche gana el premio Renaudout. Ferdinand Bardamu, el protagonista de la novela, es un héroe desilusionado y castigado que vive experiencias extremas, siempre al borde del abismo: herido en la Primera Guerra mundial, enamorado de una prostituta sin futuro, víctima de un trabajo embrutecedor en las colonias francesas en África, perseguidor del "sueño americano" –que no se parece al del publicitado mito– y de nuevo en Francia como médico rural de campesinos miserables.

Las reflexiones de Viaje al fin de la noche sobre la condición humana son amargas. Robert Saladrigas escribe en "Céline, el recluso de Dinamarca" (La Vanguardia, Cataluña, 24 de julio de 2002): "Novela única, irreductible, salvaje; un sólido monumento literario contra el que nada han podido el tiempo, los tifones de la historia ni la aberrante ideología de quien la escribió con un talento que desborda cualquier esquema en el que se pretenda encajarla. Es difícil no pensar en una poderosísima creación de la naturaleza que resulta literalmente abrumadora". En Viaje al fin de la noche se lee:

"Los hombres se aferran a sus cochinos recuerdos, a todas sus desgracias, y no se les puede sacar de ahí. Con eso ocupan el alma. Se vengan de la injusticia de su presente revolviendo en su interior la mierda del porvenir. Justos y cobardes que son todos, en el fondo. Es su naturaleza. (...) Os lo digo, infelices, jodidos de la vida, vencidos, desollados, siempre empapados de sudor; os lo advierto: cuando los grandes de este mundo empiezan a amarlos es porque van a convertirlos en carne de cañón".

Un destino trágico

Después de la caída del régimen de Vichy, la vida de Céline será una sucesión de sufrimientos que parecen copiados de sus propias novelas. Y parece confirmarse que la vida imita al arte hasta en sus aspectos más desgarradores.

Radio Londres, portavoz de la Resistencia Francesa, ofrece una recompensa por su captura, vivo o muerto. En 1944, Céline se retira de Francia junto con las tropas alemanas. Hace una escala en Alemania, donde paradójicamente sus libros están prohibidos. De ahí, busca refugio en la neutral Dinamarca. El Consejo Nacional de los Escritores, vinculado con la Resistencia, divulga una "lista negra" con doce autores colaboracionistas; él, desde luego, es uno de ellos. Entre los escritores denunciantes se encuentran muchos envidiosos del talento del "profeta de la decadencia", que no pueden tolerar el éxito de Viaje al fin de la noche.

En septiembre de 1945, un juez le dicta orden de arresto por "traición a la patria". Poco después, una denuncia anónima informa a la embajada francesa en Copenhague que el fugitivo se encuentra en esa ciudad. El 17 de diciembre de 1945, Céline es encarcelado. El novelista permanecerá en una celda de la severa prisión de Vestre Faengsel durante 16 agónicos meses. Entre otros vejámenes, sus carceleros lo mantienen sin calefacción en pleno invierno danés. Hay que tomar en cuenta que había quedado mutilado después de la Primera Guerra; además, estaba enfermo y se le agravaron sus dolencias hasta límites insoportables: enteritis, pelagra y reumatismo. Céline sale en libertad el 24 de junio de 1947, sin cargos, con 40 kilos menos.

El juicio al escritor "maldito" se lleva a cabo el 21 de febrero de 1950, en París, en ausencia de acusado y de un abogado defensor; lo condenan a un año de prisión, pena inferior a la cumplida con carácter preventivo en Dinamarca. Puede regresar a Francia recién el primero de julio de 1951. A seis años de terminada la guerra, toda su obra ha sido destruida.

Se establece con su mujer y decenas de gatos y perros en Meudon, cerca de París. En 1953 abre un consultorio médico para atender a personas sin recursos. Se hace imprimir tarjetas de presentación en las que se lee: "Louis Ferdinand Céline - Ave del paraíso". Recibe siete u ocho cartas diarias con insultos y amenazas; y otras tantas llenas de admiración y elogios. Unas y otras lo tienen sin cuidado. Escribe: "Anarquista soy, he sido, sigo siendo. ¡Y me traen sin cuidado las opiniones!"

Poco a poco, Céline recupera el prestigio literario que, a pesar de todo, le pertenece. Pero el sistema se lo devuelve a regañadientes, haciendo constar siempre que había sido –y continuaba siendo– un "maldito". En 1953, la editorial Gallimard edita nuevamente sus libros. De la larga lista de sus obras, cuatro continúan prohibidas a casi medio siglo de haber sido escritas: Bagatelles pour un massacre, L´école des cadavres, Les Beaux Draps y Mea Culpa. Y esto en Francia, país que se reconoce a sí mismo como cuna del liberalismo, precursor de la moderna democracia, practicante del lema Igualdad, fraternidad, solidaridad.

El marginado vuelve a escribir. Relata sus experiencias durante el exilio en De un castillo a otro (1957), Norte (1960) y Rigodon, publicada póstumamente. En 2002 se divulgan sus Cartas de la cárcel. Son casi 200 mensajes originalmente escritos en el áspero papel de baño carcelario, recopilados por su biógrafo François Gibault. "Sufro mi destino. No sé de qué crímenes soy culpable. Pero esta incertidumbre puede durar –me temo– años", dice Céline en una de sus cartas. Y en otra: "Es duro tener un mundo entero de odio contra uno".

En el prefacio, Gibault, refiriéndose a los panfletos antisemitas de Céline, explica que éste "sabía lo que había escrito antes de la guerra y por qué lo había escrito". Pero cuando se descubrió el genocidio judío "aquellos panfletos adquirían un cariz trágico que nadie había descubierto ni denunciado en el momento de su publicación, mientras que él mismo aparecía como un asesino". Sus escritos, elaborados para evitar la guerra, "pero con las exageraciones sin las cuales Céline no habría sido el que era y que aparecían a la luz de los acontecimientos como incitaciones a la matanza, servían de pretexto, pese haber sido escritos antes del genocidio, para una partida de caza en la que el objetivo era él".

Carlos Manzano, traductor de Cartas de la cárcel –y de la mayoría los libros de Céline en español– respalda las afirmaciones de François Gibault: "Él sentía desprecio por los alemanes, nunca fue colaborador de los nazis. Siempre lo negó y nunca se pudo demostrar nada; después, cuando volvió a Francia, se encerró y nunca quiso hablar con la prensa ni con nadie".

En mayo de 2002, el primer manuscrito de Viaje al fondo de la noche fue subastado en París por casi un millón 800 mil dólares. Las 876 páginas del original –llenas de tachaduras y correcciones– quedaron en Francia ya que la Biblioteca Nacional interpuso su derecho prioritario para que el texto no salga del país. Para los especialistas, el hallazgo del texto tiene un valor inestimable, ya que permite comprender los mecanismos mediante los cuales se construyó una de las obras más importantes y sombrías del siglo XX. Durante más de 40 años, el original fue motivo de las más increíbles versiones: se decía que fue perdido, recuperado y quemado por Céline; también que estaba oculto en Argentina, en manos de nazis refugiados.

La suma que se pagó por el histórico escrito de Céline superó el monto en que fue subastado, en 1988 por la casa Sotheby’s, el manuscrito de El proceso, de Franz Kafka: un millón y medio de dólares. El texto del primer tomo de En busca del tiempo perdido, de Marcel Proust, otro clásico, fue rematado en 2001 por Christie’s en poco más de un millón de dólares.

Dejemos algunas reflexiones finales por cuenta de Andreu Navarra Ordoño, autor de "Céline: el hombre enfadado" (revista Babab Nº 11, Madrid, enero de 2002), quien define a Viaje al fondo de la noche como "una de las más feroces sátiras contra la civilización occidental". El escritor español se pregunta: "¿Es injustificado desentenderse del mundo cuando éste se ha convertido en una estafa universal, en algo así como una trampa a gran escala? ¿Cómo no hubiera podido enfadarse ante semejante espectáculo? ¿Niega Céline alguna vez las acusaciones de que fue objeto? En absoluto. Sí nos ofrece sus reflexiones, nunca alegaciones".

Céline falleció en Meudon en 1961, a los 77 años. En algún momento de su vida, escribió: "En este mundo vil, nada es gratuito. Todo se expía: el bien, como el mal, se paga tarde o temprano. El bien mucho más caro, lógicamente".

© Giselle Dexter y Roberto Bardini

lundi, 12 mars 2012

Le Bulletin célinien n°339 - mars 2012

Le Bulletin célinien n°339 - mars 2012

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°339.

Au sommaire :

Marc Laudelout : Bloc-notes
M. L. : Milton Hindus et L.-F. Céline
Pascal Ifri : In memoriam Milton Hindus
M. L. : La rencontre à Korsør
Philippe Alméras : Milton Hindus face au géant
M. L. : Corinne Luchaire et Céline
Jacqueline Demornex : Le noir destin de Corinne Luchaire
*** : Corinne Luchaire et Céline. De Baden-Baden à Sigmaringen, un itinéraire commun.
*** : Karl Epting et l’Institut allemand (p. 23)

Un numéro de 24 pages, 6 euros franco.
Abonnement annuel : 50 €

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.

 

Le Bulletin célinien n°339 - Bloc-notes

Il est bien connu que la France croule sous un excès de règlementation. Celle-ci s’avère parfois paralysante. En témoignent les efforts contrariés de François Gibault, conseil de Lucette Destouches, pour faire restaurer la tombe des parents de Céline au cimetière du Père-Lachaise dans une concession accordée jadis à la grand-mère maternelle de l’écrivain, Céline Guillou, née Lesjean. La dernière « propriétaire » en fut Marie Joubert-Guillou, la veuve de Louis Guillou, l’« Oncle Édouard » de Mort à crédit.


La tombe étant en mauvais état, François Gibault, par ailleurs président de la Société d’Études céliniennes, a décidé, en accord avec Lucette, de la faire restaurer (1). Réponse négative de la Conservation du Père-Lachaise : « Afin que le Bureau des concessions reconnaisse des droits à votre cliente sur cette sépulture, il convient d’établir, au moyen de pièces d’état civil ou d’actes notariés, sa qualité héréditaire par rapport à Madame Veuve Guillou, la concessionnaire (2) ». Tâche ardue et pas vraiment indispensable, Lucette Destouches ne demandant pas d’être reconnue titulaire de cette concession mais seulement l’autorisation de faire restaurer la tombe de ses beaux-parents, précise François Gibault dans un courrier ultérieur. Réaction inflexible du chef du Bureau des concessions : « Seul des ayants droit dûment reconnus par l’administration sont autorisés à intervenir sur leur concession (3). » Pour que Lucette soit reconnue en tant qu’ayant droit, il aurait fallu que « Madame Veuve Guillou, née Lesjean » léguât la sépulture soit à « Marguerite Destouches, née Guillou » [la mère de l’écrivain], soit « à Louis Guillou », soit directement à « Madame Destouches, née Almansor » (4). Bel hommage (involontaire) à Georges Courteline, lui aussi inhumé au Père-Lachaise. L’administration ne devrait-elle pas, au contraire, se réjouir de voir quelqu’un – membre de la famille, de surcroît – prendre en charge les frais de restauration d’une tombe ? D’autant qu’il ne s’agit pas de la modifier en quoi que ce soit mais de la nettoyer et de redorer les noms des personnes qui y sont inhumées (5). Mais les ronds-de-cuir ne badinent pas avec le règlement.


Ultime paradoxe : François Gibault a rencontré moins de difficultés à Septeuil pour la restauration de la tombe de Raoul Marquis, le fameux « Courtial des Pereires », autre personnage de Mort à crédit (6).


Il reste à espérer qu’à l’avenir, la tombe de Céline, sise au cimetière des Longs-Réages à Meudon, pourra, elle, être entretenue sans obstacle.

Marc LAUDELOUT


Notes
1. Lucette Destouches, la Société d’Études céliniennes et François Gibault lui-même ayant décidé de prendre chacun en charge un tiers des frais de restauration de la tombe.
2. Lettre du Chef du Bureau des Concessions à François Gibault (20 décembre 2011).
3. Lettre du Chef du Bureau des Concessions au même (17 janvier 2012).
4. Entretemps, Gaël Richard, qui a eu accès au testament olographe de Marie Guillou (laquelle n’a pas eu d’enfant), a découvert que la légataire universelle était sa nièce, Germaine Decorde, épouse de Jean Croisille. Aujourd’hui la titulaire de cette concession est sa fille, la chanteuse Nicole Croisille. Espérons qu’elle réservera une réponse favorable à la requête de François Gibault.
5. Outre les parents de Céline, sont inhumés dans ce caveau (qui comprend six places) : sa grand-mère (maternelle), Céline Guillou, née Lesjean (1847-1904) ; son grand-père, Jacques Guillou (1847-1879) ; son arrière grand-père, Julien Guillou (1847-1879) ; et son oncle, Julien [dit Louis] Guillou (1874-1954).
6. Il est vrai que, dans ce cas, la procédure est plus simple, François Gibault s’étant rendu propriétaire de cette concession. La décision de restaurer cette tombe fut prise lors de la dernière assemblée de la SEC, à Dinard. En couverture : la photographie de la tombe restaurée. À noter que François Gibault envisage également la pose d’une plaque rappelant que Raoul Marquis est l’un des principaux personnages de Mort à crédit.

lundi, 06 février 2012

Le Bulletin célinien n°338 - février 2012

Le Bulletin célinien n°338 - février 2012

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°338. Au sommaire :

Marc Laudelout : Bloc-notes
François Marchetti : Mort à crédit en danois
Bilan du cinquantenaire (livres, revues, émissions télévisées, colloques, théâtre)
Öyvind Fahlström : Ma rencontre avec Céline
Jean-Paul Louis : Pascal Pia, critique de Céline
B. C. : Les images du Déluge dans Casse-pipe

Un numéro de 24 pages, 6 euros franco.
Abonnement annuel : 50 €

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.

 

Le Bulletin célinien n°338 - Bloc-notes

 

 

Après 1945, Céline ne souhaitait pas la réédition de ses textes polémiques, y compris Mea culpa (1936) jamais republié de son vivant. Par la suite, c’est à plusieurs reprises que l’ayant droit autorisa sa parution dans des éditions collectives : celle de Balland (1967), puis celle du Club de l’Honnête Homme (1982), et enfin celle des Cahiers Céline (1986). Ce libelle (20 pages dans l’édition princeps) est l’un des textes politiques les plus importants de Céline. C’est à tort qu’on l’a pris, à cause du titre essentiellement, pour une sorte de repentir. « La vraie révolution ça serait bien celle des Aveux », écrit-il pourtant dans ce texte. Au-delà du communisme ¹, la charge vise le matérialisme et l’essence même de l’homme. Tel qu’il est réellement et non pas tel que le rêvent les utopismes totalitaires. À la fin du siècle passé, il se trouvait encore des céliniens pour dénoncer « l’anticommunisme criminel » [sic] de Mea culpa. C’était, on l’aura compris, avant la chute du Mur de Berlin.
Jean-Paul Louis, lui, nous propose aujourd’hui une merveille : la version préparatoire et le texte définitif de Mea culpa, avec la reproduction intégrale du manuscrit ². Le format in-octavo a été judicieusement choisi pour présenter au mieux, folio après folio, le fac-similé du manuscrit, accompagné en regard de sa transposition en haut de page et du passage correspondant au texte final en pied de page. Cette édition scientifique du manuscrit, on la doit sans surprise à Henri Godard, familier des textes céliniens. Dans l’avant-propos, il dit l’intérêt de cette présentation : « On saisit ici visuellement à la fois, dans la graphie, la fièvre d’une écriture toujours improvisée dans l’instant et les états successifs, qui sont en l’occurrence au nombre d’au moins quatre. » Et de constater que « ses formules les plus fortes ou les plus drôles viennent souvent dans une reprise ultérieure. Ses ajouts sont des développements. Quand on a l’occasion de les isoler, ils mettent en évidence les idées auxquelles il tient le plus. » Cette édition, imprimée sur beau papier, met ainsi à l’honneur l’écrivain de combat que fut aussi Céline. Il suffit de relire ce brûlot pour se rendre compte que l’écrivain ne perd pas son talent lorsqu’il trempe sa plume dans le vitriol, bien au contraire. Et ce qui est vrai pour Mea culpa l’est aussi pour Bagatelles pour un massacre qui comporte des pages fulgurantes sur l’enfer soviétique ³, absentes du premier pamphlet. Henri Godard note que celui-ci est bien différent de ceux qui le suivront. C’est vrai en partie seulement car ce « sentiment fraternel » – « quatrième dimension » appelée de ses vœux dans Mea culpa – trouvera dans Les Beaux draps l’expression d’une manière de programme : « Il faut que les enfants des autres vous deviennent presque aussi chers, aussi précieux que les vôtres, que vous pensiez aussi à eux, comme des enfants d’une même famille, la vôtre, la France toute entière. C’est ça le bonheur d’un pays, le vrai bouleversement social, c’est des papas mamans partout. » On est assurément loin, n’en déplaise à ses contempteurs, d’un Céline misanthrope et nihiliste.

Marc LAUDELOUT


1. Même si, rappelons le, la bande-annonce du livre portait en 1936 ce seul mot : « Communisme » (peut-être proposée par Robert Denoël et avalisée par Céline). Le tirage était de 20.000 exemplaires.
2. Louis-Ferdinand Céline, Mea culpa (Version préparatoire et texte définitif. Édition d’Henri Godard avec la reproduction intégrale du manuscrit), Du Lérot, 2011, 104 pages. Tirage limité à 300 exemplaires numérotés sur bouffant ivoiré et quelques exemplaires hors commerce sur Hollande pur chiffon. Cet ouvrage ne sera pas réimprimé. Saluons, une fois encore, le remarquable travail de Jean-Paul Louis, éditeur-imprimeur.
3. Le retour d’URSS s’effectua, comme on sait, sur le paquebot le Meknès. Découverte récente : sur un livre de Panaït Istrati, Le Bureau de placement (1936), lecture de voyage d’une passagère, Céline apporta cette dédicace : « À madame Pierre Ducoudert. Souvenir d’un très agréable voyage après une terrible aventure. LF Céline. »

mardi, 31 janvier 2012

Francis Puyalte, le journalisme et Céline

Francis Puyalte, le journalisme et Céline

par Marc Laudelout

 
Francis Puyalte et Saphia Azzedine ont un point commun : leur livre comporte une épigraphe extraite de Bagatelles pour un massacre. Thème identique de surcroît : « C’est toujours le toc, le factice, la camelote ignoble et creuse qui en impose aux foules, le mensonge toujours ! jamais l’authentique... » (Puyalte) et « Les peuples toujours idolâtrent la merde, que ce soit en musique, en peinture, en phrases, à la guerre ou sur les tréteaux. L’imposture est la déesse des foules. » (Azzedine). La comparaison s’arrête là. Car, pour le reste, l’univers décrit par la beurette (« Guerre des boutons version al-Qaida », dixit un critique) ¹ et celui de Puyalte sont bien différents. Journaliste à Paris-Jour, puis à L’Aurore et au Figaro, Francis Puyalte est aujourd’hui à la retraite. Cela lui confère la liberté de dénoncer sans fard ce qu’il nomme l’inquisition médiatique, et ce à travers des exemples concrets. De l’affaire de Bruay-en-Artois au procès d’Omar Raddad, Puyalte montre comment la presse d’aujourd’hui fabrique des innocents ou des coupables et surtout comment elle parvient à imposer ce qu’il convient de penser. Jamais auparavant un journaliste n’avait aussi franchement révélé ce qui se passe dans les coulisses du quatrième pouvoir. Dans ce livre, il ne traite donc pas d’une autre de ses passions – Céline – qui lui a notamment permis de rencontrer Lucette dont il a recueilli les propos dans deux articles mémorables ². Dans Bagatelles, le mot « imposture » est l’un de ceux qui revient le plus souvent. C’est précisément ce que dénonce Puyalte dans cet ouvrage salué par un (autre) esprit libre : « Une incroyable liberté de ton, de pensée, de critique et de démolition. Un pamphlet vif, argumenté, salubre et dévastateur sur le journalisme, ses dérives, ses conforts intellectuels, ses paresses et ses préjugés. (…) Ces dysfonctionnements et vices du journalisme ont parfois été dénoncés mais jamais avec cette verve... » ³. Savoureux aussi, le premier chapitre consacré à ses débuts dans le journalisme. Il rappelle – ce n’est pas un mince compliment – les pages analogues de François Brigneau dans Mon après-guerre. Voyez plutôt : « Le lecteur ? J’apprendrai vite que ce n’est pas le principal souci de la rédaction en chef, qui planche, dès la fin de la matinée, sur la manchette de la Une. Ce qui importe, c’est un titre accrocheur, vendeur, selon le terme si souvent entendu. Il est vrai qu’un journal est fait pour être vendu, même lorsque l’actualité est pauvre. Alors, faute d’un événement d’intérêt, on va en gonfler un autre qui n’en a aucun. Au départ, il faisait hausser les épaules. À l’arrivée, il fait la manchette. Drôle de situation pour le reporter. À lui la débrouille et non la bredouille. ». On aura compris que c’est un livre décapant, très célinien dans la démarche (« Tout dire ou bien se taire »). Raison pour laquelle, on s’en doute, Francis Puyalte ne sera pas invité dans les médias. Peu importe, son livre existe et fera date.

Marc LAUDELOUT
Le Bulletin célinien n°337, janvier 2012

• Francis Puyalte. L’Inquisition médiatique (préface de Christian Millau), Éd. Dualpha, coll. « Vérités pour l’Histoire », 2011, 338 p., 38 € frais de port inclus aux Éd. Dualpha, Bte 30, 16 bis rue d’Odessa, 75014 Paris.


1. Saphia Azzedine, Héros anonymes, Éditions Léo Scheer, 2011.
2. Francis Puyalte, « Les confidences de la femme de Céline », Le Figaro, 20 mai 1992 & « Les souvenirs de la femme de Céline », Le Figaro, 30 décembre 1992. Articles repris dans Le Bulletin célinien, n° 123 et n° 127.
3. Philippe Bilger, « Au journalisme inconnu », Justice au singulier. Le blog de Philippe Bilger [http://www.philippebilger.com], 10 décembre 2011. Repris sur le site http://www.marianne2.fr

lundi, 30 janvier 2012

Céline au bout de la nuit - Entretien avec Dominique de Roux – 1966

Céline au bout de la nuit

Entretien avec Dominique de Roux – 1966

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/

 

Il y a cinq ans, mourait d’une rupture d’anévrisme, à 57 ans, « l’écrivain maudit » Louis-Ferdinand Céline. Le 1er juillet 1961, on le portait en terre. Au cimetière, douze personnes, parmi lesquelles : Roger Nimier, Claude Gallimard, Arletty, Gen Paul (le compagnon de la Butte), Lucette Almanzor (sa femme, qui l’avait protégé jusqu’au bout). Une poignée de fidèles, pour celui dont Henri Miller disait : « J’ai adoré les œuvres de Céline, et je lui dois beaucoup. Céline vit en moi. Il y vivra toujours. Voilà l’important. » Tandis que Jouhandeau proclamait : « En lui, je vénérais la Pauvreté et le prestige du Martyre. » Le prophète de la décadence occidentale exerce-t-il, par-delà la tombe, une influence sur les moins de trente ans ? L’un d’eux, Dominique de Roux, trente ans justement, vient de lui consacrer un témoignage véhément, stèle en forme de poème, sous le titre : La mort de L.-F. Céline (éditions Christian Bourgeois).
 
Il vivait quand je me suis intéressé à lui, mais je ne suis jamais allé le voir. A travers lui, je retrouve la passion et l’idée que je me fais de la Littérature, en y retranchant un anti-sémitisme que je ne puis justifier.
 
En 1963, Dominique de Roux lui consacrait le n°3 des Cahiers de l’Herne, qui groupait des inédits, des extraits de la correspondance de Céline, des essais, études, témoignages, photographies, et une bibliographie très complète des livres et articles du disparu, complété en 1965 par le n°5 des mêmes Cahiers de l’Herne, encore consacré à Céline.
 
Si des écrivains de trente ans vouent un culte au prophète maudit, il n’est donc pas complètement enfoui sous la terre ?
J’ai choisi Céline, parce que je considère qu’il est, avec Marcel Proust, le second pilier des prosateurs français, à une époque où les jeunes écrivains sont obsédés par la linguistique et la théorie. Céline a créé son propre langage : il voulait la beauté, un ordre et des assonances nouvelles.
Il hésite un instant.
On ne peut enseigner Céline. La perspective où il entraîne est d’ordre poétique. En vingt ans, la littérature s’est soustraite à la vie, l’Europe s’est engourdie, avec une société sans littérature, des gens de lettres qui s’avilissent. C’est son lyrisme qui permet à Céline d’assumer, dans son intégrité, la génération qui disparaît.
Dominique de Roux rejette une mèche en arrière.
Il refusait de jouer le jeu : dédaignait l’intendance des lettres, les préfaces, les petits fours chez la duchesse, les regards obliques, dès quarante ans, versl’Académie. C’était un homme de l’Ancien Testament : Jérémie, son carcan autour du cou, lançant l’anathème.
 
En 1932, Céline (ce Dr Destouches qui soignait gratuitement dans la banlieue parisienne) remet un manuscrit à Denoël : Voyage au bout de la nuit. Le monde est condamné à mort : Bardamu, le héros, doté d’une sensibilité aiguë, prend à sa charge une souffrance que nous sommes incapables de ressentir. Ses semblables s’acharnent sur lui. Il ne lui reste qu’à les fuir. Au rendez-vous de Samarcande, la souffrance l’attend. Elle rôde des champs de bataille à l’asile d’aliénés. La seule fuite n’est-elle pas celle qui permet d’échapper à la lucidité, celle qui bascule vers le rêve et la folie ?
Les Goncourt récusent le brûlot, en lui préférant un roman de Guy Mazeline. Leur refus rend le vaincu célèbre. Il reçoit le Renaudot, et le Voyage atteint 500 000 exemplaires, dans un tourbillon d’injures littéraires.
Les journalistes le harcelaient, dit Dominique de Roux, les salonnards le traquaient. Il fuit à Bruxelles, Varsovie, Prague, Cambridge ; en Suède, en Finlande, en Europe Centrale. Il fait le tour de la terre, sûr de l’Histoire fatale, bien avant ses contemporains.
Dominique de Roux cite une lettre de Céline : « N’avertissez personne de mon passage à Anvers ! Tout ce qui ressemble à un accueil spécial fige la vie tout autour de soi… Un livre est déjà de la mort, et souvent de la mort ratée. » Le 24 mai 1933, Céline écrit : « Toute la vie que nous menons est fausse et viciée, et abominablement contraire à nos instincts dès l’origine. »
 
Essayait-il d’anesthésier son angoisse par ces errances ? Il semble qu’il ait été hanté par la prémonition de la catastrophe.
Il était de ceux qui annoncent la fin du monde, et il la croyait, il la voyait prochaine. Pour faire entendre sa protestation, il écrit des pamphlets inouïs, il abandonne la vie pour la littérature.
 
Durant cette période d’entre les deux guerres, Jérémie-Céline annonce des calamités que ses contemporains effacent d’une pirouette et d’une pichenette :
« Nous allons vers la violence. Elle est tout près. Il faut parler de l’ensemble de ce que nous ferons quand nous serons bien fixés : dans quelque temps. » Dans une autre lettre, écrite aux Baléares, l’écrivain avoue son impuissance à s’opposer au cours des événements. La Seconde Guerre mondiale, si proche, les camps de concentration, la campagne de Russie, les bombardements, les nappes de phosphore, Hiroshima…
Il commence à souhaiter une apocalypse de destruction.
 
Jacques Deval le voit, une nuit, surgir dans son bungalow d’Hollywood et, nu, continuer d’écrire dans l’été californien. Il croise au large de Cuba, traînant le formidable manuscrit de Mort à crédit : 800 pages de mort et de négation, une puissance d’invective sans égale. Comment écrivait-il ?
A la main, d’une écriture angulaire, sur de grandes feuilles retenues par des pinces à linge. Comme Flaubert, comme tout grand écrivain, il composait des milliers depages, dont il retirait ensuite la quintessence.
 
Marie Canavaggia, sa secrétaire, raconte qu’il exigeait d’elle ce que Molière attendait de sa servante. Chargée de surveiller la frappe de la dactylo, elle devait « repérer les petites bêtes ». Fallait-il remplacer un « que je fis » par « que je fisse » ? « La faute est à maintenir, pour la cadence », répondait l’auteur. Et s’il décidait de changer un mot, il recomposait entièrement sa phrase, comme les phrases voisines.
Parfois, il revenait à la charge, des heures, une nuit, quelques jours après. Il téléphonait : « Relisez-moi cette phrase… », et opérait une nouvelle métamorphose. Un mot dans le même livre changeait d’orthographe, et aussi bien un mot du petit Larousse ou du Chautard qu’un mot de son invention.
- « mais, quelques pages plus haut, vous l’écrivez autrement ?
- Et alors ? Si on a plusieurs femmes, pourquoi coucherait-on toujours avec la même ? »
- Que ce soucie de créer fond et forme entraînerait de tortures !
Il revenait trente fois à l’œuvre, recopiant, corrigeant, angoissé, lisant sa copie à voix haute, pour dépister les retouches à effectuer.
 
Un an avant de mourir, il a confié à Jean Guénot, au magnétophone, que Proust était un grand écrivain, le dernier, le plus grand de notre génération : « Proust était maniaque, c’est à dire que, au fond, il était pas bien dans la vie… C’est l’histoire de tous les gens qui écrivent. Quand vous jouissez de la vie, pourquoi la transformeriez-vous, hein ? C’est ça qu’on se demande. Faut déjà être détraqué, hein ! Quand vous vous amusez à raconter des histoires, c’est que vous fuyez la vie, n’est-ce pas, que vous la transposez… »
 
En 1960, malade, abandonné dans une maison délabrée, sur la colline de Meudon, entouré de sa compagne et ses chiens, Céline fait penser à Léautaud. Toléré en France, après s’être réfugié à Sigmaringen puis au Danemark, il paie les positions qu’il a prises durant l’Occupation.
Il attribuait au poète le pouvoir de changer le monde. Avant la guerre, il était parti pour l’URSS en croyant à la Révolution d’Octobre, et il en revint désabusé. A Moscou, il avait rédigé 50 pages de son Mea Culpa. Quelque chose allait arriver. La destruction de l’Europe la rendrait inutilisable pour un plus grand destin.
Il avait annoncé, à Médan, en prononçant l’éloge de Zola : « Notre civilisation semble bien coincée dans une incurable psychose guerrière. Nous ne vivons plus que pour ce genre de redites destructrices. »
 
En dix jours, Céline, au comble de la rage, termine Mea Culpa.
Pour lui, dit mon interlocuteur, le marxiste est devenu un despote, le nazisme une inquisition. Rien n’est plus rien. La stratégie n’est plus la stratégie, l’amour l’amour, l’Amérique l’Amérique. L’Histoire elle-même n’est plus. La littérature n’a plus d’importance quand elle n’est que pure théorie. Les écrivains devraient tenter d’expliquer Hitler, Staline, Mao-Tsé-Toung, l’actualité-mère : ces ombres mortelles sur le dormeur occidental…
 
Je veux bien que ce visionnaire ait dépassé sa pensée, mais s’agit-il d’un délire verbal ? Son antisémitisme…
C’était un homme engagé, répond Dominique de Roux. Il reproduit assez parfaitement le déchirement de son époque, dont il représente à la fois la grandeur et l’égarement. Pour lui, le mot juif n’a pas le sens habituel. Il ne désigne pas un groupe ethnique ou religieux particulier. Le mot à ses yeux tient du magique. Il y loge toute sapeur. Le juif, pour lui, c’est le marchand de canons, les deux cents familles. Il n’aurait jamais toléré la moindre persécution raciale, puisqu’il ne pouvait supporter la douleur chez les autres.
 
Céline a-t-il joué les apprentis-sorciers, ou était-il conscient de la charge de dynamite qu’il déposait ?
Il avait le dessein de conjurer le mal présent et à venir. En prononçant le mot Juif, il croyait fixer toute une charge maléfique. Himmler traquera des innocents, tandis que Céline, hanté par ses visions, proclamait : « Nous sommes dans un monde de génération et de mort et il faut nous en débarrasser. »
 
Il souhaitait faire exploser la planète. Nul ne sait ce qu’il a pensé du soleil mortel d’Hiroshima. Dominique de Roux redresse la tête.
Il a vécu la fin des Temps Modernes, de l’ère « clausewitzienne », qui s’arrête en 1945, au moment où nous sommes entrés dans l’ère de l’atome et de la stratégie. Plus que ses hantises, ses personnages, l’humanité déchue dont il capte les cris, ont exercé une influence profonde.
 
Certains écrivains font vieillir d’un seul coup les livres qui les ont précédés. Après eux, il n’est plus possible d’écrire comme autrefois. Céline est de ceux-là. Ses clochards ont chassé les bourgeois préoccupés par leurs aventures sentimentales, dans les romans de l’entre-deux-guerres. Ils ont sonné le glas d’une esthétique périmée.
Il a surtout bouleversé le style, murmure Dominique de Roux, en introduisant les cadences du langage parlé dans l’écriture. L’ortographe phonétique, la multiplication des néologismes, l’emploi de l’argot, d’un vocabulaire technique, de locutions étrangères ramassées au cours de ses voyages. Un monde vivant, grouillant, qui a révolutionné le microcosme des salons littéraires, un gros pavé dans la mare, comme Joyce, comme Borgès…
 
Quels sont les écrivains influencés par Céline ?
Ceux qui explorent la fosse aux serpents, qui trouve « autant d’art dans la laideur que dans la beauté » : Queneau, Audiberti, Beckett, Boris Vian, Jean Genêt, et, sur un autre plan, Roger Nimier.
Il se met à rire.
Nous sommes dans une époque où les écrivains de trente ans sont des gens de lettres désuets. Une certaine maffia constitue à Paris un club d’admiration mutuelle, un cénacle privilégié. La plupart des regards des jeunes écrivains sont vides. « Le poncif d’avant-garde ennuie autant que le poncif académique », écrivait Aragon à Ezra Pound. Or, écrire, ce n’est ni faire carrière, ni prolonger ses humanités. Il faut avoir la force, ne servir que sa vision.
 
Et si Céline était mort avant d’avoir écrit ses pamphlets ?
Dominique de Roux a un geste éloquent.
Il n’aurait été question que de son génie. La guerre l’a pris de court, au moment même de son outrance. La Sorbonne l’aurait reconnu, il figurerait dans les anthologies…
 
Propos recueillis par Thérèse de SAINT PHALLE.
Le Spectacle du Monde, décembre 1966
 


A lire :

Dominique de Roux, La mort de L.-F. Céline, La Table Ronde, 2007.
Jean-Luc Barré, Dominique de Roux : Le provocateur (1935-1977), Fayard, 2005.
Dominique de Roux, Il faut partir : Correspondances inédites (1953-1977), Fayard, 2007.
Philippe Barthelet, Dominique de Roux, Coll. Qui suis-je, Pardès, 2007.

A voir :
Dominique de Roux (1935-1977)

dimanche, 29 janvier 2012

Céline et le thème du Roi Krogold

Céline et le thème du Roi Krogold

par Erika Ostrovsky

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/

 
Céline lui aussi est d'abord, avant tout : rêveur. Au centre de cette nuit qui l'entoure et qui inonde ses oeuvres, au bout de tous les chemins de l'existence qu'il explore si implacablement, se trouve un immense réservoir de poésie et de rêve. Caché, protégé du regard vulgaire ou indifférent par un mur de silence, de défi ou de dureté, Céline préserve un sens profond, une faim inépuisable de ce domaine ancien et lointain qui appartient aux vrais poètes de tous les temps : celui du conte, de la légende, du mythe. Ce domaine est la retraite secrète à l'abri du monde d'ici-bas.
La plus frappante de ces irruptions de l'élan poétique, légendaire, mythique chez Céline, se trouve dans le thème du roi Krogold qui court comme un fil conducteur à travers les pages de Mort à crédit. Thème d'abord étrange et presque enfantin, proche du conte de fée, de l'évasion pure et de l'imagination primitive, défense contre les misères du monde, il évolue, fait irruption à plusieurs endroits capitaux du roman, indique à chaque reprise l'opposition foncière entre les deux pôles de l'existence. (A la fois symbole et synthèse du monde de l'imagination, de la poésie, du rêve); le thème du roi Krogold semble hanter Céline pendant toute sa vie (1), et continue à paraître sous une forme transfigurée, élargie jusque dans les tout derniers romans.
Si nous voulons regarder de près le thème de Krogold, nous devons nous baser sur les fragments que nous trouvons dans Mort à crédit. Bien que Céline parle à plusieurs reprises de tout un manuscrit perdu, d'un « roman épique (2) », d'une « légende celte (3) », intitulée La Volonté du roi Krogold, nous n'en avons retrouvé aucune trace. Heureusement, la légende, telle qu'elle paraît dans Mort à crédit, est suffisante pour révéler des aspects très intéressants de la vision fondamentale de Céline et nous fournit donc une clef précieuse pour la compréhension de son oeuvre.
La légende elle-même fait irruption assez abruptement dans Mort à crédit, à chaque fois qu'elle apparaît. Le récit ne se fait nullement de manière suivie : il saute, s'arrête, reprend ; ce n'est pas dans l'intrigue que réside son importance. L'histoire elle-même n'a rien d'extraordinaire : elle ressemble superficiellement à maintes oeuvres médiévales qui décrivent une lutte entre deux adversaires, et pourrait presque passer pour un pastiche des romans épiques. Céline, en parlant de Krogold, le classe parmi ses oeuvres lyriques, ironiques (4), indiquant peut-être que son penchant pour l'humour se fait sentir dans la forme donnée à la légende. Cet humour révèle peut-être un souci de dissimuler l'importance fondamentale du thème de Krogold.
Le fragment le plus important est aussi le premier qui paraît dans Mort à crédit. Introduit dans un chapitre qui débute sur un plan terre à terre, il étonne par son ton élevé, son style lyrique, la profondeur de ses jugements. La lutte entre la réalité et la légende, décrite de manière frappante, font de ce chapitre l'un des plus importants du livre.
Celui qui est élu pour écouter la légende est Gustin Sabayot, homme désabusé, fatigué, un peu charlatan, connard, abruti par les circonstances, le métier, la soif, les soumissions les plus funestes. Ferdinand lui demande : Peux-tu encore, en ce moment, te rétablir en poésie ?... faire un petit bond de cœur et de bide au récit d'une épopée, tragique certes, mais noble, étincelante !... Te crois-tu capables ?... (5) Mais Gustin reste assoupi sur son escabeau, passif, indiquant dès le début qu'il sera incapable du bond qu'on réclame de lui : ce qui fait de la légende un récit prononcé dans le vide, mais qui doit être prononcé quand même.
Le récit commence après une courte introduction, en langage parlé, comme une dernière tentative pour atteindre Gustin, pour l'entraîner vers la légende. Puis, il s'élève soudainement, prenant l'allure d'un conte ; la langue devient littéraire, noble ; le rythme ralentit. Nous sommes en pleine légende. La scène est un champ de bataille : Dans l'ombre montent les râles de l'immense agonie d'une armée. Parmi eux, Gwendor le Magnifique expire, mis à mort par le roi Krogold pour l'avoir trahi. A l'aube, la mort paraît devant Gwendor. Suit le dialogue entre Gwendor et la Mort, qui est d'une importance capitale :

« As-tu compris, Gwendor ?
— J'ai compris, ô Mort ! J'ai compris dès le début de cette journée... J'ai senti dans mon coeur, dans mon bras aussi, dans les yeux de mes amis, dans le pas même de mon cheval, un charme triste qui tenait du sommeil... Mon étoile s'éteignait entre tes mains glacées... Tout se mit à fuir ! Ô Mort ! Grands remords ! Ma honte est immense !... Regarde ce pauvre corps !... Une éternité de silence ne peut l'adoucir !...
— Il n'est point de douceur en ce monde, Gwendor ! rien que de légende ! Tous les royaumes finissent dans un rêve !... »

Le chapitre se termine sur la réaction de Gustin : sa méfiance face à la beauté, son refus de « rajeunir », sa défense contre la légende, ses demandes d'explications. Mais il n'est pas facile de mettre le monde de la poésie sur la table de dissection, sous la lumière crue de tous les jours : C'est fragile comme papillon. Pour un rien ça s'éparpille, ça vous salit. Il vaut mieux ne pas
insister, s'éloigner de ceux qui ne peuvent pas comprendre.
Et cependant, quelque chose pousse l'auteur à continuer son récit. Il se tourne vers nous dans le chapitre suivant, sans grand espoir d'être compris et avec un sourire amer, semble-t-il, pour nous décrire le château du roi Krogold : ... Un formidable monstre au cœur de la forêt, masse tapie, écrasante, taillée dans la roche... pétrie de sentines, crédences bourrelées de frises et de redans... d'autres donjons... Du lointain, de la mer là-bas... les cimes de la forêt ondulent et viennent battre jusqu'aux premières murailles...
Et Gustin a, encore une fois, une réaction négative : Gustin il n'en pouvait plus. Il somnolait... Il roupillait même. Je retourne fermer sa boutique.

Dans ces deux pages de Mort à crédit, Céline réussit à nous donner une synthèse de sa vision fondamentale. Nous reconnaissons d'abord l'opposition foncière entre le domaine de la poésie, de la légende ou du mythe, et celui de la vie quotidienne. Le bond qui projette l'homme, au-dessus, en dehors de cette vie, le moment où il se « rétablit en poésie », est le seul qui puisse le sauver d'un avilissement quasi total. Ici, cette conviction fondamentale nous est présentée de façon pessimiste, car Gustin n'est nullement capable de se rétablir en poésie. Dans son métier de médecin (et, en ceci, il est en quelque sorte le double de Ferdinand, comme Robinson l'était pour Bardamu dans le Voyage), il a été inondé par toute la misère du quartier où il exerçait : Eczémateux, albumineux, sucrés, fétides, trembloteurs, vagineuses, inutiles, les « trop », les « pas assez », les constipés, les enfoirés du repentir, tout le bourbier, le monde en transferts d'assassins, était venu refluer sur sa bouille, cascader devant ses binocles depuis trente ans, soir et matin.
C'est Gwendor le Magnifique qui paraît le premier. Le décor est important. C'est sur un énorme lit de mort, sur un champ de bataille que nous le voyons, agonisant, entouré de blessés qui râlent dans l'ombre. Lentement, le silence se fait, étouffant tour à tour cris et râles, de plus en plus faibles, de plus en plus rares... A l'aube, la Mort paraît. Le dialogue de Gwendor avec elle résume sa propre vie, la vie humaine.
La Mort devient la voix de la lucidité, de l'amère réalité. Elle fait contraste avec la douce mélancolie de Gwendor, avec ses idées romanesques et presque naïves, ses efforts pour trouver des solutions à la misère de la vie et de la mort.
Le roi Krogold, qui paraîtra plus tard dans la légende, impose déjà sa présence dans les premières remarques et dans la description de son château. Nous savons qu'il est brutal, qu'il rend sa terrible justice sans pitié. Son château, comme lui, est un formidable monstre, une masse taillée dans la roche, pleine d'oubliettes, une vraie demeure de bourreau. N'avons-nous pas là déjà l'évocation de tous les domaines monstrueux que Céline va décrire dans ses romans ultérieurs, la fondation de ces châteaux cauchemardesques qui vont s'élever dans ses dernières œuvres ? Et les armes royales, le serpent tranché au cou saignant qui proclame Malheur aux traîtres ! ne flotteront-elles pas à la cime de toutes les forteresses bourrées de cachots qui hantent les dernières œuvres de Céline ? Ici, cependant, Krogold et son château symbolisent, sans plus, tout ce qui est opposé à Gwendor : la cruauté, la victoire, l'autorité établie, la vie impitoyable.
Le côté bourreau du roi Krogold ressort plus clairement dans les autres parties de la légende que nous trouvons à divers endroits de Mort à crédit.
Grâce à lui, les forces bestiales, barbares, l'emportent ; la défaite totale, la subjugaison des victimes, de tous ceux qui ont osé s'opposer à son règne, s'accomplit. Et même dans la légende, l'amère vérité s'impose : le monstre n'est pas vaincu par le héros; la justice ne triomphe pas. C'est là le fond de la pensée de Céline qui se révèle. Il revient toujours à la surface dans ses œuvres.
Et la légende elle-même, domaine de l'imagination et du rêve qui s'incarne en Gwendor, n'est-elle pas aussi menacée que lui ? Pour triompher, les forces de la brutalité doivent rejeter ou détruire celles de la poésie. En effet dans Mort à crédit, la légende devient un danger pour son auteur, car on l'accuse d'avoir débauché le petit André par ce moyen, d'être un révolté dangereux qui sème l'indiscipline à travers les rayons de Monsieur Lavelongue. Il doit donc être châtié comme traître à l'ordre établi. Pour ses proches, il devient le maudit qui, c'est évident, finira sur l'échafaud. Il faut l'éloigner comme un pestiféré.
Ferdinand lui-même, ahuri par les conséquences de ses incursions dans le monde défendu de la poésie, devient peureux et commence à se défendre contre les tentations du rêve, de la légende. Mais il y a toujours danger qu'elles reviennent. Nora, au « Meanwell College », le menace par sa féerie, son sortilège, par des ondes, des magies, et il se défend de toutes ses forces. Le monde poétique agit avec puissance. C'est lui qu'incarne Nora à côté de l'érotique : elle émanait toute l'harmonie, tous ses mouvements étaient exquis... C'était un charme, un mirage... Quand elle passait d'une pièce à l'autre, ça faisait comme un vide dans l'âme.
En fait, Nora ressemble à Wanda la Blonbe, évoquée dans la légende du roi Krogold. Le plus grand danger, cependant, se présente quand l'enchantement de Nora est renforcé par celui des légendes, par l'éblouissement d'un livre de contes anciens. Mais celui qui a été châtié pour avoir autrefois dévoilé son dévouement au monde de la poésie, n'en veut plus souffrir ; et Ferdinand rejette celui-ci de manière féroce, brutale : Je me suis cramponné au gazon... J'en voulais plus, moi, merde ! des histoires J'étais vacciné !...
Je m'en rappelais pas moi des légendes ?... Et de ma connerie? A propos ? Non ? Une fois embarqué dans les habitudes où ça vous promène ?... Alors, qu'on me casse plus les couilles ! Cependant, il est impossible de renoncer à ce monde si puissant (6) ; Ferdinand, adulte, n'est nullement guéri de son penchant d'enfant et raconte toujours sa légende à Gustin. Il nous dit à la deuxième page du roman (qui, chronologiquement, en est la dernière) : J'aime mieux raconter des histoires. J'en raconterai de telles qu'ils reviendront exprès, pour me tuer, des quatre coins du monde. Phrase étrangement prophétique : ce sera, en effet, le destin de Céline poète.
Si la légende du roi Krogold raconte la défaite de Gwendor (le Poétique), si le roman lui-même semble décrire les attaques du monde brutal qui menace, ou les marchés dégradants qu'il faut quelquefois conclure, les dénonciations mêmes qui sont parfois nécessaires (7), Mort à crédit dans sa totalité affirme le rêve, la poésie, la légende. Non que Céline partage, avec Marcel Proust, la conviction que le domaine de l'imagination est tout-puissant. Il est vrai que la légende de Krogold, comme celle de Golo, est une projection magique, mais elle ne peut pas transfigurer la réalité. Elle reste opposée à celle-ci, île de rêve ou de poésie — fragile, facilement salie ou détruite. L'image de Krogold ne peut pas, comme celle de Golo, effectuer la métamorphose du bouton de porte de la réalité. C'est plutôt l'image qui est déchirée, anéantie, si le bouton de la porte est brusquement secoué par une main brutale ou indifférente. En dépit de cela, cependant, le côté légendaire, féerique, poétique revient continuellement dans l'oeuvre de Céline, par des moyens obliques, dans des phrases isolées, des apartés presque...
Et la légende du roi Krogold, même si Céline déplore sa disparition, n'est pas vraiment perdue. Elle ne nous donne pas seulement une clef importante pour Mort à crédit, mais elle se réanime de maintes manières dans toute son oeuvre. Ses thèmes ont des racines tellement profondes dans l'esprit de l'auteur qu'elles ne peuvent que se frayer un chemin dans ses écrits. Nous n'avons qu'à regarder les derniers romans pour voir combien les lignes du roi Krogold, esquissées d'abord de manière assez sommaire, se sont élargies et approfondies : le château de Krogold, dont nous ne voyons que la silhouette dans Mort à crédit, se concrétise pour atteindre toutes ses proportions ahurissantes dans l'immense domaine habité de monstres qu'est Kräntzlin, ou le château cauchemardesque de Siegmaringen où les démons sont des familiers. C'est là aussi que nous retrouvons un Krogold d'autant plus terrible qu'il est devenu femme : Nicha qui règne avec ses dogues et règle l'ouverture des portes de l'enfer. Mais l'autre face de la légende se réaffirme aussi. La beauté, la douceur, l'harmonie, la pitié, la poésie essentielle que nous trouvions chez Gwendor, s'étendent sur des êtres divers: des jeunes filles gracieuses qui passent un instant dans une vie(8) ; de vieilles dames fragiles qui habitent le monde de la poésie, chez lesquelles on ressent une « musique de fond », comme Mme Bonnard (9) ; des animaux qui ont une justesse, une beauté, même dans leur agonie (10), les danseuses finalement, qui s'acheminent vers toute la poésie, l'harmonie possible à l'homme, et à leur tête celle qui en est l'incarnation : Lili, Arlette, Lucette.

Erika OSTROVSKY
Céline et le thème du Roi Krogold, Herne, 1972.

mercredi, 11 janvier 2012

Le Bulletin célinien n°337 - janvier 2012

Le Bulletin célinien n°337 - janvier 2012

 
Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°337. Au sommaire :

- Marc Laudelout : Bloc-notes
- Pierre Assouline : Céline et Hergé
- *** : Anticélinisme primaire
- M. L. : Dans les revues et les livres
- M. L. : Céline dans la presse clandestine
- Noël Arnaud : Boris Vian, le style et Céline
- M. L. : Francis Puyalte, le journalisme et Céline
- M. L. : Le cas François Chalais
- François Chalais : Notes sur Guignol’s band [1944]
- Jean-Pierre Doche : Théâtre (Stanislas de la Tousche)
- Charles-Louis Roseau : Céline ou le génie de l’écriture « à la manière de »

Un numéro de 24 pages, 6 € frais de port inclus.
Abonnement pour l’année 2012 (11 numéros) : 50 €


Le Bulletin célinien
B.P. 70
Gare centrale
BE 1000 Bruxelles

Le Bulletin célinien n°337 - Bloc-notes

 
On sait que les titres des brûlots céliniens font l’objet de contresens. Lors du colloque de février, à Beaubourg, un vétéran du célinisme voulut spécifier leur signification véritable. Tentative d’explication rejetée avec fracas. Feu mon ami Pierre Monnier, mobilisable en 1939, rappelait volontiers la bande de Bagatelles – « Pour bien rire dans les tranchées » –, afin d’indiquer de quel massacre il s’agissait dans l’esprit de Céline (1). Précision toujours d’actualité : pour beaucoup, dès lors qu’il s’agit de massacre sous la plume de Céline, cela ne peut être que celui des juifs.

Lors de la rentrée solennelle de la Conférence du stage, un jeune avocat, Fabrice Epstein, a prononcé un Plaidoyer pour la publication des pamphlets de Louis-Ferdinand Céline. Quant aux contresens, jugez plutôt : « [Céline] publie — 1937, Bagatelles pour un massacre. Devinez le massacre de qui !? ; 1939, L’École des cadavres. Devinez quels cadavres !? ; 1941, Les Beaux draps. Devinez pour qui il prépare un linceul... ». Avant de rédiger le texte de cette conférence, Me Epstein s’est documenté auprès de son confrère François Gibault et d’Émile Brami. Que ne leur a-t-il demandé la signification de ces titres ! Cela nous aurait épargné ces commentaires tendancieux (2). Je note que c’est aussi grâce à François Gibault qu’il a pu rencontrer Lucette Destouches. Pour la remercier de son accueil, lui a-t-il annoncé que, dans son allocution, il se proposait de gratifier son mari d’épithètes aussi tempérées que « abominable », « génocidaire » ou « répugnant » ? Étrange démarche enfin que celle consistant à plaider pour la réédition des pamphlets et à poursuivre une maison d’édition qui les publie à l’étranger. Motif invoqué ? L’illégalité de cette vente, lesdites rééditions étant faites sans l’aval de la veuve de Céline (3).

Notre robin se révèle ainsi plus catholique que le pape de la Célinie, François Gibault, défenseur des intérêts de Lucette. Le souci des prérogatives de l’ayant droit inspire donc Me Epstein. Encore eût-il pu questionner le manque de cohérence qui consiste à interdire la réédition de trois pamphlets mais à permettre celle de Mea culpa, des lettres aux journaux de l’occupation et de la préface de L’École des cadavres. Paraphrasant le proverbe yiddish placé en exergue de sa plaidoirie, je conclurai en affirmant que si la justice s’attache à poursuivre les écrits d’un auteur mort il y a cinquante ans, elle pourrait aussi mettre en accusation la société – critiques et public – qui les a, pour une grande part, favorablement accueillis à l’époque. Mais n’est-ce pas précisément ce qu’implique ce plaidoyer ? L’originalité de la démarche étant de faire condamner pénalement ces écrits et, dans le même élan, de plaider pour qu’ils soient réédités (4).

Marc LAUDELOUT
Le Bulletin célinien n°337, janvier 2012.


1. Rappelons que la défaite de 1940 fit 60.000 soldats français morts en six semaines de combats.
2. Il serait aussi bien inspiré de réviser ses connaissances historiques. Ainsi il écrit que Céline « est pressenti pour diriger l’Institut des Questions juives… mais, pas de chance, ce sera Darquier de Pellepoix » ? Soit deux erreurs en une phrase. Pour la première affirmation, Epstein aurait dû consulter le tome 2 de la biographie de son confrère Gibault (p. 257) ; quant à la seconde, tous ceux qui s’intéressent à cette période ne confondent évidemment pas IEQJ (Institut d’Étude des Questions juives) et CGQJ (Commissariat général aux questions juives). Lorsqu’on veut traiter d’un sujet, il importe de bien le connaître. Coïncidence amusante (qu’ignore sans doute Me Epstein) à propos de cette époque : son cabinet, rue des Pyramides, est voisin de l’immeuble qui fut le siège du PPF (!).
3. Réédition d’autant plus scandaleuse que, horresco referens, elle s’accompagne, pour l’un de ces textes, d’un « commentaire critique de Robert Brasillach », comme le souligne le conférencier. Si l’on ajoute que ces livres sont édités au Paraguay, ancien refuge de nazis en fuite, cette initiative devient, on le comprend, intolérable.
4. Considérant cette allocution comme « la plus importante de cette année célinienne surchargée », Henri Thyssens, lui, a tenu à « saluer ce jeune avocat qui a eu le courage de briser le silence (…) qui entoure l’œuvre de Céline ». La teneur de ce discours est-elle de nature à compromettre sa carrière naissante ? Chacun jugera…
(texte disponible sur www.lepetitcelinien.com)

vendredi, 30 décembre 2011

Céline contre le Spectacle

Céline contre le Spectacle par Stéphane Zagdanski

« Savez-vous ce que l'on demande d'abord à un fou lorsqu'il arrive à l'hôpital ? L'heure qu'il est et où il se trouve. L'heure, je peux vous la dire: onze heures du matin, et c'est aujourd'hui dimanche. Où je me trouve ? Eh bien ! dans un monde de cinglés où il faut vraiment faire un effort pour garder son bon sens, un effort de modestie, surtout ! Nous sommes au siècle de la publicité et la publicité compte désormais plus que l'objet. »

Dès l’adolescence, Céline se montre angoissé par la mort – ce qui est commun –, et soucieux de ne pas noyer cette angoisse sous la parlotte – ce qui l’est moins. À quinze ans, étudiant en Angleterre tandis que sa tante Joséphine agonise, il écrit à ses parents : « Aussitôt que l'échéance finale sera arrivée, écris-moi un mot ou envoie-moi un télégramme. “Mort” suffit. En un mot, puisque tout espoir est perdu… »
« “Mort” suffit » ! Cette idée qu’en bavardant on masque la fatalité qui, en coulisses, fait de toute vie une « mort à crédit », Céline n’y renoncera jamais. C’est à partir d’elle qu’il fomentera son acerbe critique sociale, virulemment anarchiste, d’une perspicacité à toute épreuve tant que la paranoïa antisémite ne s’en mêle pas. Cette lucidité en fera un des rares précurseurs de la critique du Spectacle que Debord, par d’autres biais et selon un tout autre système de références, a poussée à son comble.

Les lecteurs de Voyage au bout de la nuit se souviennent de la déclaration de foi anarchiste de Bardamu qui ouvre le roman. Mais a-t-on remarqué que l’intervention primordiale d’Arthur Ganate est frappée au sceau du pessimisme le plus froid concernant la propagande du progrès : « Siècle de vitesse ! qu’ils disent. Où çà ? Grands changements ! qu’ils racontent. Comment çà ? Rien n’est changé en vérité. Ils continuent à s’admirer et c’est tout. » Tout Céline est déjà là, qui critiquera dans les années 50 la télévision, la radio et la publicité comme machines à abrutir en flattant la vanité humaine des « perruchelets paoniformes ».
La guerre de 14, bien sûr, appose un poinçon de sang au pessimisme substantiel de Céline. Il a, comme il l’écrit dans Voyage, « l’imagination de la mort », les autres non. Ce qui signifie qu’il ne se paye pas de mots, les autres si. À Joseph Garcin, qui a connu comme lui cet « enfer dont il ne faudrait pas revenir », il écrira le 1er septembre 1929 : « Vous avez saisi l'essentiel, le reste n'est que fatras de mots sans portée... ».

Dès 1916, dans une lettre à son père où il raconte avoir lu tous les journaux parus en France, il témoigne de son incroyance radicale en toute propagande, remarquant comme le mensonge s’appuie sur un certain style faisandé qu’il passera sa vie à vitupérer : L’« éloge pompeux de réformes qui s'imposent », s’accompagne « de phrases cascadeuses, ridicules de rhétorique empanachée ». Et 40 ans avant le « Ne travaillez jamais » de Debord, Céline avoue : « On prétend que le travail anoblit, je prétends qu'il avilit. »

En 1914, Céline n’a pas seulement côtoyé et étudié la mort, il a vu la déliquescence de toutes les vanités ; les hommes se sont révélés à lui comme autant d’écorchés de l’âme dans leurs petitesses sans fard. C’est aussi à cette déchéance, si peu conforme au mythe de l’Empire colonial, qu’il assistera en Afrique après la guerre, dont il rend également compte dans Voyage. « Sur la Meuse et dans le Nord et au Cameroun », écrit-il à Garcin en 1933, « j'ai bien vu cet effilochage atroce, gens et bêtes et lois et principes, tout au limon, un énorme enlisement… ». La même année, à son ami Élie Faure qui tente de le convaincre du bien-fondé du socialisme, Céline énonce le principe de son inconvertibilité idéologique, de ce qu’il nommera plus tard, concernant son anarchisme, sa « boussole personnelle, indéréglable » : « Crever pour le peuple oui – quand on voudra – où on voudra, mais pas pour cette tourbe haineuse, mesquine, pluridivisée, inconsciente, vaine, patriotarde alcoolique et fainéante mentalement jusqu'au délire. » C’est l’époque où Céline admire encore Bergson et Freud, dont le pessimisme structurel l’influence grandement. Céline écrit en 1933 à Albert Thibaudet : « L'énorme école freudienne est passée inaperçue. Toute la haine raciale n'est qu'un truc à élections. Le tourment esthétique n'est même pas murmurable. » Il demande à son amie juive viennoise Cillie Ambord de lui traduire Trauer und Melancholie, et lui écrit juste après l’accession d’Hitler au pouvoir : « Je suis bien content de vous savoir pour le moment en sécurité mais la folie hitler va finir par dominer l'Europe pendant des siècles encore. Mr Freud n'y peut rien. » Et en bon freudien, Céline se doute que nazisme et fascisme prospèrent sur la servitude volontaire : « Ici », écrit-il à Garcin le 15 février 1934, « c'est l'hystérie collective, voilà le fascisme en route, on attend l'homme à poigne avec ou sans moustaches. Les Français sont masochistes. Progrès ? où quand ? je ne vois qu'une vieille nation ratatinée. »

Ce qui caractérise la lucidité de Céline, c’est qu’il ne choisit aucun camp. Ni le socialisme ni le fascisme, ni l’URSS ni l’Amérique. Écoeuré par l’humain en soi, il rédige en 1934 Mea Culpa, un premier pamphlet, avant Bagatelles, qui reste un chef-d’oeuvre de clairvoyance concernant la servitude volontaire, une déclaration de guerre à toutes les utopies, tous les optimismes : « Il faudrait buter les flatteurs, c'est ça le grand opium du peuple... L'Homme il est humain à peu près autant que la poule vole. Quand elle prend un coup dur dans le pot, quand une auto la fait valser, elle s'enlève bien jusqu'au toit, mais elle repique tout de suite dans la bourbe, rebecqueter la fiente. C'est sa nature, son ambition. Pour nous, dans la société, c'est exactement du même. »

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