vendredi, 10 octobre 2025
Anatole France : Populaire des deux côtés des barricades
Anatole France: Populaire des deux côtés des barricades
Troy Southgate
Source: https://troysouthgate.substack.com/p/anatole-france-popul...
Croyez-le ou non, il y a eu des moments où l’extrême gauche et l’extrême droite se sont exprimées d’une seule voix, et un tel exemple concerne l’attaque dirigée contre Anatole France (1844–1924) par le mouvement surréaliste nouvellement formé. France, considéré par ses concitoyens comme le plus grand homme de lettres de l’histoire du pays et lauréat du prix Nobel de littérature en 1921, gisait impuissant sur son lit de mort tandis qu’un groupe de conspirateurs s’employait à rédiger une diatribe virulente dans laquelle leur cible déclinante serait décriée comme un conformiste complaisant, impardonnablement encensé par les deux camps politiques.
Imaginé par André Robert Breton (1896–1966), Paul Éluard (1895–1952) et Louis Aragon (1897–1982), l’article incriminé était un pamphlet de quatre pages intitulé Un Cadavre et visait à noircir le nom du poète, romancier et dramaturge socialiste en réaction au fait que ses œuvres littéraires étaient dévorées en si grand nombre. Bien que France ait été universellement vénéré, Breton expliqua que lui et ses compagnons conspirateurs
« considéraient son attitude comme la plus équivoque et la plus méprisable de toutes : il avait tout fait pour s’attirer l’approbation de la droite comme de la gauche. Il était gonflé d’honneurs et d’autosatisfaction. »
Des phrases acerbes telles que « c’est un vieil homme comme les autres », « un peu de servilité humaine quitte le monde » et « l’homme n’a plus besoin de soulever de poussière » paraissaient bien anodines à côté de la contribution d’Aragon. Intitulé « Avez-vous déjà giflé un mort ? », le poète et romancier décrivait sa cible mourante comme un homme « acclamé simultanément par l’imbécile [Charles] Maurras et le Moscou chancelant » tout en apparaissant comme « l’incarnation de l’ignominie française ».
Alors que la presse parisienne regorgeait de détails croustillants sur l’état de santé déclinant d’Anatole France, les surréalistes étaient désireux de provoquer une réaction et d’attirer l’attention sur eux-mêmes. Le pamphlet devait être distribué le jour même de la mort de France, mais les préoccupations juridiques et morales de leur imprimeur sur la nature du document furent telles qu’il ne fut publié qu’une semaine après son décès.
Comme il fallait s'y attendre, Un Cadavre déclencha un énorme scandale et le journaliste de droite Camille Mauclair (1872–1945) — qui deviendra plus tard collaborateur du régime de Vichy et travaillera pour Revivre : Grand Magazine illustré de la Race — décrivit Aragon et ses acolytes comme des « fous furieux » qui avaient les manières non seulement de « voyous mais de chacals ». Le journal pro-communiste Clarté accusa les surréalistes d’« irréflexion » pour leur attaque contre l’épicentre mondial du marxisme-léninisme, et Breton répondit en qualifiant la Révolution russe de « vague crise ministérielle » pleine « d’une misérable activité révolutionnaire » qui, ironiquement, ne méritait même pas ce nom.
Même France lui-même avait salué la fondation du Parti communiste français (PCF) et fut défendu plus tard par l’écrivain anglais George Orwell (1903–1950) en raison des déclarations humanitaires que l’on trouve dans ses romans. À une occasion, France avait parlé de la folie de vivre dans un pays qui « interdit aussi bien aux riches qu’aux pauvres de dormir sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain. » Compte tenu de sa dénonciation de la démocratie libérale, il est donc facile de comprendre pourquoi il pouvait être défendu à la fois par des communistes et des proto-fascistes.
18:56 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anatole france, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, surréalistes, surréalisme | |
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mercredi, 01 juin 2022
Anatole France sur la guerre en Ukraine – et la folie américaine
Anatole France sur la guerre en Ukraine – et la folie américaine
par Nicolas Bonnal
L’Amérique est toujours en guerre, un peu comme sa marâtre anglaise ; elle a fait détruire l’Ukraine et prépare l’anéantissement de l’Europe comme en 1942-43 (on rase l’Occident et on laisse l’Orient à Staline); ensuite l’infatigable ira exterminer russes et chinois; et si elle peut au bout détruire une nouvelle fois le monde, elle sera exaucée car on pourra tout reconstruire ou faire des croisières au milieu des ruines (Julius Evola sera bien attrapé). Anatole France nous explique pourquoi dans l’Ile aux pingouins (merci à un lecteur anonyme).
C’était il y a plus de cent ans. Avant la guerre, on fait les présentations (Titan, Babel, géant, Walhalla du business comme dans le film Network, etc.) :
« Après quinze jours de navigation son paquebot entra, la nuit, dans le bassin de Titanport où mouillaient des milliers de navires. Un pont de fer, jeté au-dessus des eaux, tout resplendissant de lumières, s'étendait entre deux quais si distants l'un de l'autre que le professeur Obnubile crut naviguer sur les mers de Saturne et voir l'anneau merveilleux qui ceint la planète du Vieillard. Et cet immense transbordeur charriait plus du quart des richesses du monde. »
On arrive dans la Nouvelle Atlantide façon Francis Bacon (on y reviendra à celui-là) :
« Le savant pingouin, ayant débarqué, fut servi dans un hôtel de quarante-huit étages par des automates, puis il prit la grande voie ferrée qui conduit à Gigantopolis, capitale de la Nouvelle-Atlantide. Il y avait dans le train des restaurants, des salles de jeux, des arènes athlétiques, un bureau de dépêches commerciales et financières, une chapelle évangélique et l'imprimerie d'un grand journal que le docteur ne put lire, parce qu'il ne connaissait point la langue des Nouveaux Atlantes. Le train rencontrait, au bord des grands fleuves, des villes manufacturières qui obscurcissaient le ciel de la fumée de leurs fourneaux: villes noires le jour, villes rouges la nuit, pleines de clameurs sous le soleil et de clameurs dans l'ombre. »
Le très crétin professeur obnubilé se croit dans un pays pacifique (il n’a pas lu Smedley Butler) :
« —Voilà, songeait le docteur, un peuple bien trop occupé d'industrie et de négoce pour faire la guerre. Je suis, dès à présent, certain que les Nouveaux Atlantes suivent une politique de paix. Car c'est un axiome admis par tous les économistes que la paix au dehors et la paix au dedans sont nécessaires au progrès du commerce et de l'industrie. »
Gigantopolis est une dromocratie (comme dirait Virilio) :
« En parcourant Gigantopolis, il se confirma dans cette opinion. Les gens allaient par les voies, emportés d'un tel mouvement, qu'ils culbutaient tout ce qui se trouvait sur leur passage. Obnubile, plusieurs fois renversé, y gagna d'apprendre à se mieux comporter: après une heure de course, il renversa lui-même un Atlante. »
On arrive au parlement (style grec néoclassique) :
« Parvenu sur une grande place, il vit le portique d'un palais de style classique dont les colonnes corinthiennes élevaient à soixante-dix mètres au-dessus du stylobate leurs chapiteaux d'acanthe arborescente.
Comme il admirait immobile, la tête renversée, un homme d'apparence modeste, l'aborda et lui dit en pingouin:
—Je vois à votre habit que vous êtes de Pingouinie. Je connais votre langue; je suis interprète juré. Ce palais est celui du Parlement. En ce moment, les députés des États délibèrent. Voulez-vous assister à la séance?
Introduit dans une tribune, le docteur plongea ses regards sur la multitude des législateurs qui siégeaient dans des fauteuils de jonc, les pieds sur leur pupitre. »
La séance commence – et les justes guerres et autres guerres du droit commercial ou autre. On commencera par la Mongole (c’est entre la Chine et la Russie) :
« Le président se leva et murmura plutôt qu'il n'articula, au milieu de l'inattention générale, les formules suivantes, que l'interprète traduisit aussitôt au docteur:
—La guerre pour l'ouverture des marchés mongols étant terminée à la satisfaction des États, je vous propose d'en envoyer les comptes à la commission des finances….
»Il n'y a pas d'opposition?…
»La proposition est adoptée.
»La guerre pour l'ouverture des marchés de la Troisième-Zélande étant terminée à la satisfaction des États, je vous propose d'en envoyer les comptes à la commission des finances….
»Il n'y a pas d'opposition?…
»La proposition est adoptée. »
Après Anatole nous explique pourquoi cette grande nation commerçante adore comme l’Angleterre faire tout le temps et partout la guerre. Lisez bien c’est génial :
—Ai-je bien entendu? demanda le professeur Obnubile. Quoi? vous, un peuple industriel, vous vous êtes engagés dans toutes ces guerres!
—Sans doute, répondit l'interprète: ce sont des guerres industrielles. Les peuples qui n'ont ni commerce ni industrie ne sont pas obligés de faire la guerre; mais un peuple d'affaires est astreint à une politique de conquêtes. Le nombre de nos guerres augmente nécessairement avec notre activité productrice. Dès qu'une de nos industries ne trouve pas à écouler ses produits, il faut qu'une guerre lui ouvre de nouveaux débouchés. C'est ainsi que nous avons eu cette année une guerre de charbon, une guerre de cuivre, une guerre de coton. Dans la Troisième- Zélande nous avons tué les deux tiers des habitants afin d'obliger le reste à nous acheter des parapluies et des bretelles. »
La suite n’est pas mal non plus :
« À ce moment, un gros homme qui siégeait au centre de l'assemblée monta à la tribune.
—Je réclame, dit-il, une guerre contre le gouvernement de la république d'Émeraude, qui dispute insolemment à nos porcs l'hégémonie des jambons et des saucissons sur tous les marchés de l'univers.
—Qu'est-ce que ce législateur? demanda le docteur Obnubile.
—C'est un marchand de cochons.
—Il n'y a pas d'opposition? dit le président. Je mets la proposition aux voix.
La guerre contre la république d'Emeraude fut votée à mains levées à une très forte majorité.
—Comment? dit Obnubile à l'interprète; vous avez voté une guerre avec cette rapidité et cette indifférence!… »
Cerise sur le gâteau, le coût humain :
—Oh! c'est une guerre sans importance, qui coûtera à peine huit millions de dollars.
—Et des hommes….
—Les hommes sont compris dans les huit millions de dollars. »
N’oublions pas que nos commerçants anglo-saxons sont malthusiens aussi. Il leur faudra 500 millions d’hommes, comme indiqué en Géorgie.
On laisse le maître conclure :
« Alors le docteur Obnubile se prit la tête dans les mains et songea amèrement:
—Puisque la richesse et la civilisation comportent autant de causes de guerres que la pauvreté et la barbarie, puisque la folie et la méchanceté des hommes sont inguérissables, il reste une bonne action à accomplir. Le sage amassera assez de dynamite pour faire sauter cette planète. Quand elle roulera par morceaux à travers l'espace une amélioration imperceptible sera accomplie dans l'univers et une satisfaction sera donnée à la conscience universelle, qui d'ailleurs n'existe pas. »
Mais si que la conscience universelle existe, ou la communauté internationale, ils l’ont dit à la télé !
On répète car c’est merveilleux :
—Les hommes sont compris dans les huit millions de dollars. »
Sources :
http://www.bouquineux.com/index.php?telecharger=1970&...
https://fr.wikisource.org/wiki/Nouvelle_Atlantide_(trad._...
20:51 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anatole france, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française, nicolas bonnal | |
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