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dimanche, 18 avril 2021

La insubordinación de España: un livre indispensable pour les Espagnols sur la brèche

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La insubordinación de España: un livre indispensable pour les Espagnols sur la brèche

José Antonio Bielsa Arbiol

Ex : http://adaraga.com/

En l'absence d'une perspective adéquate, nous ne disposons pas encore d'un canon exportable pour la philosophie espagnole du premier quart du 21ème siècle. Malgré cela, nous ne risquerons rien si nous affirmons catégoriquement, ici, que Carlos X. Blanco deviendra (avec le temps) l'un des noms les plus importants de ce canon, qui est actuellement en voie de constitution.

L'auteur d'œuvres aussi différenciées (et remarquables) que La Caballería Espiritual, De Covadonga a la nación española ou les récents Ensayos antimaterialistas, ne doit pas être confondu avec cette légion creuse de plumitifs lacaniens qui travaillent dans la ferme de Doña Ideosofía (tout en versant du sirop marxisto-culturel et du politiquement correct dans chacune de leurs déjections intellectuelles gélatineuses).

Carlos X. Blanco est un métaphysicien habile qui a écouté la voix profonde  des montagnes: d'abord comme esthète (il le démontre dans son œuvre narrative), puis comme penseur ontologique, dans la lignée qui va de Parménide et Aristote à Spengler et autres penseurs similaires ; ses préoccupations tournent donc autour du principe d'identité : il n'est pas possible de jeter les bases d'une révolte contre le monde moderne si l'on n'a pas forgé au préalable un support doctrinal correctement stable, c'est-à-dire systématique. Ce support était déjà codifié dans la production littéraire et académique de notre auteur. Et s'il manquait encore quelque chose, voici que paraît La insubordinación de España, la quintessence de ses préoccupations ultimes sur l'Être (avec une majuscule) et l'énigme historique de l'Espagne, préoccupations ultimes qui  oscillent entre la philosophie de l'histoire et la sociologie prédictive.

La insubordinación de España comporte un heureux prologue-manifeste du grand journaliste Raúl González Zorrilla, suivi des quatre parties qui réunissent les principales thèses de l'ouvrage. Comme notre objectif n'est pas d'"éviscérer" le contenu du livre, nous nous contenterons d'annoter certaines des idées qui ressortent, explicitement ou non, du livre.

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L'idée maîtresse que le livre illustre est peut-être que "le déclin de l'Europe n'est pas une copie exacte du déclin du monde classique ou du déclin de la Renaissance gothique-scolastique qui a débuté au 14ème siècle. Le déclin de l'Europe s'apparente à un tremblement de terre cosmique. Un séisme cosmique, c'est-à-dire un point de rupture sans possibilité de récupération: une catastrophe sublimée dont il ne restera que des particules de poussière après la démolition culturelle convenue par le Grand Capital. "L'économie capitaliste mondialisée et la technolâtrie menacent sérieusement la possibilité de survie de l’âme humaine. L'Homo sapiens simplement biologique pourra survivre, en laissant de côté les catastrophismes sur la guerre nucléaire ou la non-durabilité écologique...". Les quatre parties évoquées, successivement et par complémentarité, traitent des précédents de ce tremblement de terre, et très concrètement de ses préparatifs sur la scène espagnole : "L'Espagne va tomber", "Le meurtre de l'Espagne", "L'Espagne comme katehon" et "Notre nouveau et infâme 711". Dès leur titre, on peut deviner leur contenu, qui est percutant à tous égards, mais surtout instructif.

Cependant, il y a dans le livre de Carlos X. Blanco une idée fixe qui nous ramène à la philosophie pessimiste de l'histoire d'Emmanuel Kant, qui, dans la huitième proposition de son Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, établirait qu'"il y a donc une scission au cœur de l'histoire, entre ce qui est vécu par les individus, leurs passions, leurs luttes, leurs ambitions, et ce qui se passe au-delà d'eux sur le plan universel, l'exécution d'un plan caché de la nature pour établir une constitution qui régit parfaitement la politique intérieure et aussi, dans le même but, la politique extérieure".

Sur cette question capitale, impossible à appréhender aujourd'hui dans sa totalité en raison de l'hyper-fragmentation des connaissances et de la tyrannie du virtuel, s'ancre la problématique métaphysique existante qui assomme l'Espagnol ordinaire : ce sujet déconnecté de son passé, moralement infirme et intégralement malade à force de prendre soin de sa santé physique, est une aberration anthropologique pour l'Espagne, puisqu'il nie la nature substantielle même de l'être espagnol. La majeure partie des Espagnols d'aujourd'hui, cette masse somnolente, bipède et archaïque de l'après-Régime de 1978, pleurnicharde et amorphe, sans racines et apostate, brise par sa simple (in)existence la dignité de l'Espagnol historique et extemporané, cette figure robuste dont le passé glorieux n'est conservé que dans nos dépôts doctrinaux (littérature, art, architecture, etc.).

Une main invisible, en somme, gouverne les destinées de chaque Espagnol bâillonné et à jamais régressé: il semblerait que le prix de notre sauvetage soit inabordable, et qu'en devenant une masse en perdition (donc après trois siècles d'infiltration maçonnique progressive et de libéralisme prédateur), nous ayons perdu la dernière prise spirituelle solide pour nous protéger contre la froidure métallique postmoderne. Il y a un plan caché, comme l'a justement clarifié Kant, qui échappe à nos prévisions et même à notre destin historique (le non-être), non plus celui de la nation oublieuse de ses morts, mais celui d’une entité solidaire inexistante qui meurt dans les ruches sombres de nos villes agonisantes, où les lumières criminelles des télévisions illuminent les visages mortuaires des derniers Espagnols... vivants.

Contre cette catastrophe de l'esprit se bat l’auteur de La insubordinación de España, un texte qui propose des solutions et un diagnostic. Je remercie l'auteur d'avoir osé philosopher debout, devant les ruines, sans corsets conventionnels ni autres outils d'autocensure.

Carlos X. Blanco: La insubordinación de España. Letras Inquietas (Abril de 2021)

José Antonio Bielsa Arbiol

José Antonio Bielsa Arbiol est un historien, philosophe, critique de cinéma, enseignant et écrivain. Il est titulaire d'une licence en histoire de l'art et d'une licence en philosophie de l'université de Saragosse. Il publie régulièrement des articles et des essais dans des magazines, des journaux de presse et des journaux numériques sur différents sujets, et écrit également des scénarios de films, des romans, des nouvelles et de la poésie. Il est marié et vit à Saragosse où il enseigne la philosophie.