Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 14 février 2021

Pour Claude Lévi-Strauss, défendre son identité n’est pas un crime

levi-strauss.jpg

Pour Claude Lévi-Strauss, défendre son identité n’est pas un crime

Par Nicolas Faure

Ex: https://nicolasfaure.me

Claude Lévi-Strauss est un anthropologue et ethnologue de renom, décédé en 2009 à l’âge de 100 ans. Ce monument intellectuel est respecté par tous. Mais cet homme brillant a développé plusieurs opinions qui vont à l’encontre de la pensée unique et du politiquement correct. Parmi ces prises de position qui lui vaudraient aujourd’hui le pilori médiatique, son apologie de la défense de son identité.


Le fameux discours « Race et culture » pour l’UNESCO

41XPSKTMC4L._SX326_BO1,204,203,200_.jpgEn 1971 et Claude Lévi-Strauss donnait une conférence pour l’UNESCO sur le thème Race et culture.

Sa conclusion était sans appel : la protection des particularismes identitaires d’une culture passe par une fermeture minimum aux cultures extérieures.
Selon l’ethnologue, protéger son identité ne peut pas être assimilé à du racisme ou à de la xénophobie, c’est une constante humaine que de vouloir transmettre son identité à ses descendants.

Les quelques lignes de son intervention ci-dessous sont limpides.

« La fusion progressive de populations jusqu’alors séparées par la distance géographique, ainsi que par des barrières linguistiques et culturelles, marquait la fin d’un monde qui fut celui des hommes pendant des centaines de millénaires, quand ils vivaient en petits groupes durablement séparés les uns des autres et qui évoluaient chacun de façon différente, tant sur le plan biologique que sur le plan culturel.
Les bouleversements déclenchés par la civilisation industrielle en expansion, la rapidité accrue des moyens de transport et de communication ont abattu ces barrières.
En même temps se sont taries les chances qu’elles offraient pour que s’élaborent et soient mises à l’épreuve de nouvelles combinaisons génétiques et des expériences culturelles.

Or, on ne peut se dissimuler qu’en dépit de son urgente nécessité pratique et des fins morales élevées qu’elle assigne, la lutte contre toutes les formes de discrimination participe de ce même mouvement qui entraîne l’humanité vers une civilisation mondiale, destructrice de ces vieux particularismes auxquels revient l’honneur d’avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie et que nous recueillons précieusement dans les bibliothèques et dans les musées parce que nous nous sentons de moins en moins certains d’être capables d’en produire d’aussi évidentes.

Sans doute nous berçons-nous du rêve que l’égalité et la fraternité régneront un jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité. Mais si l’humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu’elle a su créer dans le passé, capable seulement de donner le jour à des ouvrages bâtards, à des inventions grossières et puériles, elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus, sinon même leur négation.
Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l’autre, s’identifier à lui, et se maintenir différent.

Pleinement réussie, la communication intégrale avec l’autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l’originalité de sa et de ma création. Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles indispensables entre les individus comme entre les groupes s’amenuisent au point que des échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité. »

Claude Lévi-Strauss fait l’éloge des frontières

Claude Lévi-Strauss fait même l’éloge des frontières, voyant en elles une nécessité pour développer des différences.

« Une culture consiste en une multiplicité de traits dont certains lui sont communs, d’ailleurs à des degrés divers, avec des cultures voisines ou éloignées, tandis que d’autres les en sépare de manière plus ou moins marquée. Ces traits s’équilibrent au sein d’un système qui, dans l’un et l’autre cas, doit être viable, sous peine de se voir progressivement éliminé par d’autres systèmes plus aptes à se propager ou à se reproduire.

310132-claude-levi-strauss-est-decede-le-624x600-2.jpg

Pour développer des différences, pour que les seuils permettent de distinguer une culture des voisines deviennent suffisamment tranchés, les conditions sont grosso modo les mêmes que celles qui favorisent la différenciation biologique entre les populations : isolement relatif pendant un temps prolongé, échanges limités, qu’ils soient d’ordre culturels ou génétiques.
Au degré près, les barrières culturelles sont de même nature que les barrières biologiques; elles les préfigurent d’une manière d’autant plus véridique que toutes les cultures impriment leur marque au corps : par des styles de costume, de coiffure et de parure, par des mutilations corporelles et par des comportements gestuels, elles miment des différences comparables à celles qui peuvent exister entre les races; en préférant certains types physiques à d’autres, elles les stabilisent et, éventuellement, les répandent. »

Face aux accusations de racisme, Claude Lévi-Strauss tient bon

Appelé à se justifier de ses propos jugés dérangeants, Claude Lévi-Strauss reste droit dans ses bottes, condamnant même la banalisation des accusations de racisme et de xénophobie.

« Je m’insurge contre l’abus de langage par lequel, de plus en plus, on en vient à confondre le racisme et des attitudes normales, légitimes même, en tout cas inévitables.

Le racisme est une doctrine qui prétend voir dans les caractères intellectuels et moraux attribués à un ensemble d’individus l’effet nécessaire d’un commun patrimoine génétique. On ne saurait ranger sous la même rubrique, ou imputer automatiquement au même préjugé l’attitude d’individus ou de groupes que leur fidélité à certaines valeurs rend partiellement ou totalement insensibles à d’autres valeurs.
Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre et de la penser au-dessus de toutes les autres et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, qui s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché. Cette incommunicabilité relative peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de chaque communauté se conservent, et trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement.

unnamedclsrh.jpgSi comme je l’ai écrit ailleurs, il existe entre les sociétés humaines un certain optimum de diversité au-delà duquel elles ne sauraient aller, mais en dessous duquel elles ne peuvent non plus descendre sans danger, on doit reconnaître que cette diversité résulte pour une grande part du désir de chaque culture de s’opposer à celles qui l’environnent, de se distinguer d’elles, en un mot d’être soi : elles ne s’ignorent pas, s’empruntent à l’occasion, mais pour ne pas périr, il faut que, sous d’autres rapports persiste entre elles une certaine imperméabilité. »

Un intellectuel de l’envergue de Claude Lévi-Strauss tenait donc il y a quelques décennies un discours que ne renieraient pas ceux qui se battent pour défendre leur identité, menacée par l’immigration extra-européenne.

Cependant, si un nombre croissant d’intellectuels de gauche (Onfray, Finkielkraut, etc.) saisit de plus en plus l’importance de la question identitaire – même avec énormément de prudence -, la base de cette famille politique reste, elle, en grande majorité imperméable à la prise de conscience identitaire.

Nicolas Faure
26 juin 2017

mardi, 16 juin 2020

Lévi-Strauss et la civilisation cannibale

bd5f9ac5d2fdfe493f8d18ceafb69b8a.jpg

Lévi-Strauss et la civilisation cannibale

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Les voyages, la mondialisation, la civilisation, la science, le progrès ? Voici ce que cet élégant marginal écrivait au début de ses fameux et si peu lus tropiques :

« Est-ce alors que j’ai, pour la première fois, compris ce qu’en d’autres régions du monde, d’aussi démoralisantes circonstances m’ont définitivement enseigné ? Voyages, coffrets magiques aux promesses rêveuses, vous ne livrerez plus vos trésors intacts. Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. Les parfums des tropiques et la fraîcheur des êtres sont viciés par une fermentation aux relents suspects, qui mortifie nos désirs et nous voue à cueillir des souvenirs à demi corrompus. »

Le progrès ronge et dévore ce monde depuis longtemps – et l’immobilise. A l’heure où Chine et Usa s’affrontent partout dans la zone indopacifique comme on dit, on relira ces lignes écrites il y a trois quarts de siècle :

7786990226_le-projet-de-ville-flottante-en-polynesie.jpg

Projet de ville flottante en Polynésie...

« Aujourd’hui où des îles polynésiennes noyées de béton sont transformées en porte-avions pesamment ancrés au fond des mers du Sud, où l’Asie tout entière prend le visage d’une zone maladive, où les bidonvilles rongent l’Afrique, où l’aviation commerciale et militaire flétrit la candeur de la forêt américaine ou mélanésienne avant même d’en pouvoir détruire la virginité, comment la prétendue évasion du voyage pourrait-elle réussir autre chose que nous confronter aux formes les plus malheureuses de notre existence historique ? »

S’ensuite une définition plus acerbe encore :

« Cette grande civilisation occidentale, créatrice des merveilles dont nous jouissons, elle n’a certes pas réussi à les produire sans contrepartie. Comme son œuvre la plus fameuse, pile où s’élaborent des architectures d’une complexité inconnue, l’ordre et l’harmonie de l'Occident exigent l’élimination d’une masse prodigieuse de sous-produits maléfiques dont la terre est aujourd’hui infectée. Ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité. »

Alors on se console ; c’est que notre civilisation est une solide et durable catastrophe : 

« Je comprends alors la passion, la folie, la duperie des récits de voyage. Ils apportent l’illusion de ce qui n’existe plus et qui devrait être encore, pour que nous échappions à l’accablante évidence que vingt mille ans d’histoire sont joués. Il n’y a plus rien à faire : la civilisation n’est plus cette fleur fragile qu'on préservait, qu'on développait à grand-peine dans quelques coins abrités d’un terroir riche en espèces rustiques, menaçantes sans doute par leur vivacité, mais qui permettaient aussi de varier et de revigorer les semis. »

Notre érudit voyageur ajoute :

« L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat.

champ_betterave_2_560x315.jpg

On risquait jadis sa vie dans les Indes ou aux Amériques pour rapporter des biens qui nous paraissent aujourd’hui dérisoires : bois de braise (d’où Brésil) : teinture rouge, ou poivre dont, au temps d’Henri IV, on avait à ce point la folie que la Cour en mettait dans des bonbonnières des grains à croquer. Ces secousses visuelles ou olfactives, cette joyeuse chaleur pour les yeux, cette brûlure exquise pour la langue ajoutaient un nouveau registre au clavier sensoriel d’une civilisation qui ne s’était pas doutée de sa fadeur. »

Voici à quoi servent les voyages et les photos alors :

« Dirons-nous alors que, par un double renversement, nos modernes Marco Polo rapportent de ces mêmes terres, cette fois sous forme de photographies, de livres et de récits, les épices morales dont notre société éprouve un besoin plus aigu en se sentant sombrer dans l’ennui ?

Un autre parallèle me semble plus significatif. Car ces modernes assaisonnements sont, qu’on le veuille ou non, falsifiés. »

Le blanc transforme le sauvage en misérable déraciné - revoyez les statues meurent aussi de Resnais - avant de devenir lui-même ce white trash, ce misérable déraciné. Et après il pleurniche, débloque et veut se faire pardonner à tout prix…

Mais je m’oublie. Lévi-Strauss :

« J’ouvre ces récits d’explorateurs : telle tribu, qu’on me décrit comme sauvage et conservant jusqu’à l’époque actuelle les mœurs de je ne sais quelle humanité primitive caricaturée en quelques légers chapitres, j’ai passé des semaines de ma vie d’étudiant à annoter les ouvrages que, voici cinquante ans, parfois même tout récemment, des hommes de science ont consacrés à son étude, avant que le contact avec les blancs et les épidémies subséquentes ne l’aient réduite à une poignée de misérables déracinés. »

lesiecledelevistrauss_big.jpg

C’est que le voyage, qui de nos jours forme plus la vieillesse que la jeunesse, est valorisant. On va chercher du primitif, c’est plus classe :

« Car ces primitifs à qui il suffit de rendre visite pour en revenir sanctifié, ces cimes glacées, ces grottes et ces forêts profondes, temples de hautes et profitables révélations, ce sont, à des titres divers, les ennemis d’une société qui se joue à elle-même la comédie de les anoblir au moment où elle achève de les supprimer, mais qui n’éprouvait pour eux qu’effroi et dégoût quand ils étaient des adversaires véritables. Pauvre gibier pris aux pièges de la civilisation mécanique, sauvages de la forêt amazonienne, tendres et impuissantes victimes, je peux me résigner à comprendre le destin qui vous anéantit, mais non point être dupe de cette sorcellerie plus chétive que la vôtre, qui brandit devant un public avide des albums en kodachrome remplaçant vos masques détruits. Croit-il par leur intermédiaire réussir à s’approprier vos charmes ? Non satisfait encore ni même conscient de vous abolir, il lui faut rassasier fiévreusement de vos ombres le cannibalisme nostalgique d’une histoire à laquelle vous avez déjà succombé. »

Ah oui, le cannibalisme culturel… Notre grand seigneur ajoute :

Lahore-Pakistan-market-burns-13-dead.jpg

« Qu’est-ce que Lahore ? Un terrain d’aviation dans une banlieue imprécise ; d’interminables avenues plantées d’arbres, bordées de villas ; dans un enclos, un hôtel, évocateur de quelque haras normand, aligne plusieurs bâtiments tous pareils, dont les portes de plain-pied et juxtaposées comme autant de petites écuries donnent accès à des appartements identiques : salon par-devant, cabinet de toilette par-derrière, chambre à coucher au milieu. Un kilomètre d’avenue conduit à une place de sous-préfecture d’où partent d’autres avenues bordées de rares boutiques : pharmacien, photographe, libraire, horloger. Prisonnier de cette vastité insignifiante, mon but me paraît déjà hors de portée. Où est-il, ce vieux, ce vrai Lahore ? »

C’est Debord qui insiste sur le mot-clé de cette époque entropique : falsification. Comme disait William Engdahl dans le Saker, on exigede l’homme et du bétail transgéniques.

Empreint de sagesse biblique (l’ecclésiaste, les proverbes), Lévi-Strauss se demande à quelle époque il aurait fallu vivre. C’est la question de beaucoup d’insatisfaites vies, et sa réponse n’est guère rassurante :

« Alors, insidieusement, l’illusion commence à tisser ses pièges. Je voudrais avoir vécu au temps des vrais voyages, quand s’offrait dans toute sa splendeur un spectacle non encore gâché, contaminé et maudit ; n'avoir pas franchi cette enceinte moi-même, mais comme Bernier, Tavernier, Manucci... Une fois entamé, le jeu de conjectures n'a plus de fin. Quand fallait-il voir l’Inde, à quelle époque l’étude des sauvages brésiliens pouvait-elle apporter la satisfaction la plus pure, les faire connaître sous la forme la moins altérée ? Eût-il mieux valu arriver à Rio au XVIIIe siècle avec Bougainville, ou au XVIe avec Léry et Thevet ? Chaque lustre en arrière me permet de sauver une coutume, de gagner une fête, de partager une croyance supplémentaire. »

Le bon vieux temps ? Quel bon vieux temps ?

Guénon nous avait quitté nos illusions en dénonçant le siècle à perruques dans la crise du monde moderne. Et Lévi-Strauss remarque l’inconfortable de sa position :

« Mais je connais trop les textes pour ne pas savoir qu’en m’enlevant un siècle, je renonce du même coup à des informations et à des curiosités propres à enrichir ma réflexion. Et voici, devant moi, le cercle infranchissable : moins les cultures humaines étaient en mesure de communiquer entre elles et donc de se corrompre par leur contact, moins aussi leurs émissaires respectifs étaient capables de percevoir la richesse et la signification de cette diversité. En fin de compte, je suis prisonnier d’une alternative : tantôt voyageur ancien, confronté à un prodigieux spectacle dont tout ou presque lui échappait - pire encore inspirait raillerie et dégoût ; tantôt voyageur moderne, courant après les vestiges d’une réalité disparue. »

Et d’ironiser sur les romantiques du futur :

« Dans quelques centaines d’années, en ce même lieu, un autre voyageur, aussi désespéré que moi, pleurera la disparition de ce que j’aurais pu voir et qui m’a échappé. Victime d’une double infirmité, tout ce que j’aperçois me blesse, et je me reproche sans relâche de ne pas regarder assez. »

Enfin, notre savant ne rate jamais une pointe contre les américains qui le persécutent administrativement du reste à Porto-Rico. Il ironique encore sur cette « civilisation » :

« À Porto Rico, j’ai donc pris contact avec les Etats-Unis ; pour la première fois, j’ai respiré le vernis tiède et le wintergreen (autrement nommé thé du Canada), pôles olfactifs entre lesquels s’échelonne la gamme du confort américain : de l'automobile aux toilettes en passant par le poste de radio, la confiserie et la pâte dentifrice ; et j’ai cherché à déchiffrer, derrière le masque du fard, les pensées des demoiselles des drugstores en robe mauve et à chevelure acajou. »

ménagère années 50-entête.jpg

C’est que ces grands démocrates sont des méfiants :

« …ensuite et surtout les soupçons que j’avais prêtés à la police martiniquaise relativement à mes documents ethnographiques, et dont je m’étais si judicieusement protégé, la police américaine les partageait au plus haut point. Car, après avoir été traité de judéo-maçon à la solde des Américains à Fort-de-France, j’avais la compensation plutôt amère de constater que, du point de vue des U.S.A., il y avait toute chance pour que je fusse un émissaire de Vichy, sinon même des Allemands. »

Une autre pique, et pas des moindres, sur nos sacrés missionnaires américains :

« J’ai connu beaucoup de missionnaires et j’ai apprécié la valeur humaine et scientifique de plusieurs. Mais les missions protestantes américaines qui cherchaient à pénétrer dans le Mato Grosso central autour de 1930 appartenaient à une espèce particulière : leurs membres provenaient de familles paysannes du Nebraska ou des Dakota, où les adolescents étaient élevés dans une croyance littérale à l’Enfer et aux chaudrons d’huile bouillante.

Certains se faisaient missionnaires comme on contracte une assurance. Ainsi tranquillisés sur leur salut, ils pensaient n’avoir rien d’autre à faire pour le mériter ; dans l’exercice de leur profession, ils témoignaient d’une dureté et d'une inhumanité révoltantes. »

Source:

Claude Lévi-Strauss – Tristes tropiques, pp. 27-37, p. 341

mardi, 06 février 2018

Lévi-Strauss et l'imperméabilité des cultures

cls4.jpg

Lévi-Strauss et l'imperméabilité des cultures

Ex: Arrêt sur Images : WWW.ARRETSURIMAGES.NET

Claude Lévi-Strauss, "dernier géant de la pensée française", mort la semaine dernière, toute la presse, et la Nation entière, ont rendu un hommage justifié. Mais sous les brassées de fleurs, sont apparues (sur Internet, évidemment) quelques disgracieuses mauvaises herbes : en l'occurence, d'étranges phrases sur l'Islam dans "Tristes tropiques", phrases pouvant passer pour islamophobes.

Ecrites aujourd'hui, ces phrases le désigneraient aussitôt à la vindicte. Alors? Quelle mouche a piqué Lévi-Strauss en 1955 ? Est-ce parce qu'il a rédigé son livre-culte, de son aveu même, en état de "fureur", le considérant comme un livre mineur? Ces phrases sont-elles à replacer dans le contexte général d'une aversion de l'ethnologue à l'égard de toutes les religions monothéistes? Et à propos, pourquoi donc l'observateur pionnier des cultures dites "primitives" a-t-il accepté, avec gourmandise, les honneurs surannés de l'Académie ? Pour le dire crûment : le progressiste a-t-il viré réac? Questions naïves, que nous avons souhaité poser naïvement.

Ce "best of" vous a plu ? Retrouvez l'intégralité de l'émission sur:
WWW.ARRETSURIMAGES.NET

mardi, 11 juillet 2017

Quand Claude Lévi-Strauss critiquait violemment mai 68

Levi-strauss_260-810x538.jpg

Quand Claude Lévi-Strauss critiquait violemment mai 68

Breizh-Info.com – Claude Lévi-Strauss est un anthropologue et ethnologue de renom, décédé en 2009 à l’âge de 100 ans. 

Ce monument intellectuel est respecté par tous. 

Mais cet homme brillant a développé plusieurs opinions qui vont à l’encontre de la pensée unique et du politiquement correct.

Après son apologie de la défense de son identité, découvrez son diagnostic sur Mai 68 dans cet extrait du livre De Près et de loin, un long entretien du grand ethnologue avec Didier Éribon.

Claude Lévi-Strauss évoquait dans ce passage mai 68 mais ses propos s’appliquent parfaitement aux temps actuels.

« Mai 68 m’a répugné »

Didier Éribon : Comment avez-vous vécu mai 68 ?

Claude Lévi-Strauss : Je me suis promené dans la Sorbonne occupée. Avec un regard ethnographique. J’ai également participé avec des amis à quelques séances de réflexion. Il y a eu chez moi une ou deux réunions.

D.E. : Mais vous n’avez pas pris position dans le courant des événements ?

C.L.-S. : Non. Une fois passé le premier moment de curiosité, une fois lassé de quelques drôleries, mai 68 m’a répugné.

D.E. : Pourquoi ?
 
C.L.-S. : Parce que je n’admets pas qu’on coupe des arbres pour faire des barricades (des arbres, c’est de la vie, ça se respecte), qu’on transforme en poubelles des lieux publics qui sont le bien et la responsabilité de tous, qu’on couvre des bâtiments universitaires ou autres de graffiti. 

Ni que le travail intellectuel et la gestion des établissements soient paralysés par la logomachie.

« Mai 68 a eu lieu parce que l’université se détruisait »

D.E. : C’était quand même un moment de bouillonnement, d’innovation, d’imagination… Cet aspect-là aurait dû vous séduire.

C.L.-S. : Je suis désolé de vous décevoir, mais pas du tout. Pour moi, mai 68 a représenté la descente d’une marche supplémentaire dans l’escalier d’une dégradation universitaire commencée depuis longtemps. Déjà au lycée, je me disais que ma génération, y compris moi-même, ne supportait pas la comparaison avec celle de Bergson, Proust, Durkheim au même âge. Je ne crois pas que mai 68 a détruit l’université mais, plutôt, que mai 68 a eu lieu parce que l’université se détruisait.

D.E. : Cette hostilité à mai 68 n’était-elle pas une rupture totale avec vos engagements de jeunesse ? [Durant l’adolescence et au début de sa vie d’adulte, Claude Lévi-Strauss a été un fervent socialiste, passionné par Marx, ndlr]

C.L.-S. : Si je veux rechercher les traces de cette rupture, je les trouve beaucoup plus tôt, dans les dernières pages de Tristes Tropiques. Je me souviens m’être évertué à maintenir un lien avec mon passé idéologique et politique. Quand je relis ces pages, il me semble qu’elles sonnent faux. La rupture était consommée depuis longtemps.

Didier Éribon, De Près et de loin, Odile Jacob, 1998 ; rééd. 2001, pages 115-117.

00:11 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : claude lévi-strauss, entretien, mai 68, france | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 22 septembre 2016

Race et Histoire, de Claude Lévi-Strauss

rh-cls.jpg

Race et Histoire, de Claude Lévi-Strauss
par Vaslav Godziemba
Ex: http://lesocle.hautetfort.com 

rh-0.jpgRace et Histoire est un livre de l'anthropologue, ethnologue et philosophe Claude Lévi-Strauss, publié en 1952. Au départ connu uniquement des cercles de la sociologie de l'époque, il est actuellement l'un des traités les plus célèbres de l'auteur. Sa lecture et son analyse, ayant connu leurs heures de gloire dans les années 70-80, tendent actuellement à être refrénées par les corps intellectuels et enseignants des grandes institutions de sciences politiques, faute à son contenu jugé paradoxalement trop polémique. En véritable scientifique, Lévi-Strauss analyse ici les rapports complexes et intimes existants entre cultures, identités, et races, posant les bases de ce qui représente à ce jour le regard le plus puissant de l'ethnologie moderne, de l'anthropologie, et plus généralement de la vie et de la mort des civilisations2.

C’est en 1952, alors que l’UNESCO publiait une série de brochures consacrées au « problème du racisme dans le monde », que Claude Lévi-Strauss avait été démarché afin de commenter celles-ci. De là naquit l’essai critique Race et Histoire, recueil de réflexions quant aux notions d’identité, de race et de culture3. L’œuvre, si elle se veut initialement une réponse aux assertions soulevées dans les brochures antiracistes de l’UNESCO, dépasse de très loin le cadre du simple commentaire critique, devenant un essai d’ethnologie et de sciences politiques à part entière, et dont la profondeur de réflexion le rend intemporel.

Il ne fait aucun doute que la méfiance des institutions à l'égard de l’essai, touchant au véritable enjeu du XXIe siècle et aux réflexions qui sont les nôtres, mérite de s'y arrêter.

Vaslav Godziemba, pour le SOCLE

La critique positive de Race et Histoire au format .pdf

 « Que les peuples ne vivent pas trop près les uns des autres, sinon, c’est la guerre, mais pas trop loin non plus, sinon, ils ne se connaissent plus et alors, c’est la guerre ! »

Claude Lévi-Strauss

I.  L’auteur de Race et Histoire : Claude Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss, né le 28 novembre 1908 à Bruxelles et mort le 30 octobre 2009 à Paris est un anthropologue et ethnologue français de la seconde moitié du XXe siècle, qui a exercé une influence décisive sur les sciences humaines, devenant notamment l'une des figures fondatrices du structuralisme.

Il a été professeur honoraire au Collège de France, y a occupé la chaire d'anthropologie sociale de 1959 à 1982. Il était également membre de l'Académie française dont il est devenu le premier centenaire. Depuis ses premiers travaux sur les peuples indigènes du Brésil, qu'il avait étudiés sur le terrain entre 1935 et 1939, et la publication de sa thèse Les Structures élémentaires de la parenté en 1949, il a produit une œuvre scientifique dont les apports ont été reconnus au niveau international. Il a ainsi consacré une tétralogie, les Mythologiques, à l'étude des mythes. Mais il a également publié des ouvrages qui sortent du strict cadre des études académiques, dont le plus célèbre, Tristes Tropiques, publié en 1955, l'a fait connaître et apprécier d'un vaste cercle de lecteurs1.

Ses travaux, articulée par une cohérence rarement trouvée chez ses contemporains, ont permis de donner ses lettres de noblesse à la notion de « Sciences Humaines », souvent reléguées au rang de pseudosciences à cause de la subjectivité dont celles-ci sont imprégnées. Cette volonté de transparence objective, se voulant exsangue de toute idéologie sous-jacente, caractérise sa pensée.

cls-1.jpg

II.  Critique Positive de Race et Histoire

Commentaire liminaire et structure de l’œuvre

L'œuvre de Lévi-Strauss4 se découpe en dix chapitres thématiques portant chacun sur les réflexions qu'il jugera fondamentales afin de répondre de manière satisfaisante à la doctrine antiraciste formulée par l’UNESCO, et de comprendre les enjeux culturels et identitaires de demain. Le septième chapitre, La place de la civilisation occidentale, comprise « à l'intérieur du cortège des cultures et identités existantes », mérite toute notre attention.

Critique Positive de l’essai

La première topique de Lévi-Strauss concerne la Race et la Culture. L'auteur, dont la démarche logico-déductive se ressent dès les premières lignes, cherche à définir de manière univoque les problèmes et les notions ayant trait à la Race et à la Culture. Certaines vérités scientifiques ethnologiques, validées par la génétique et la biologie moderne, sont mises en lumière ici :

  • Les races humaines existent, dans le sens d'une diversité génétique permettant de caractériser différents « pools », ou « groupes génétiques » différents. Il est rationnel au sens de la biologie d'affirmer typiquement « L'homme blanc européen est différent de l'homme nord-africain »
  • Il y a de fait sur cette Terre, un être animal particulier car culturel : l'Homme. Celui-ci se définit donc à deux niveaux de nomenclatures différents : l'un biologique (celui du domaine des sciences dures), l'autre culturel (celui des sciences humaines)
  • Le racisme est incorrect scientifiquement, en tant que théorie visant à lier les caractéristiques biologiques aux « productions sociologiques et psychologiques des hommes », et à les hiérarchiser en conséquence. Il est même pour Lévi-Strauss le « péché originel de l'anthropologie », celui de Gobineau et des racistes de la fin du XIXe, car générateur de conclusion ne reposant sur aucune démarche réellement scientifique.

        Diversité des races, diversité des cultures

cls-2.jpgToute la subtilité de l'auteur, qui parle en scientifique et non en donneur de leçon de morale, consiste à rappeler qu'en l'état actuel de nos connaissances scientifiques, il n'y a aucune corrélation entre le phénomène génétique et le phénomène culturel, compris en sa large acceptation. On peut donc en première approche qualifier la pensée de Lévi-Strauss comme un structuralisme scientifique, a-raciste (et non anti-raciste comme on le verra par la suite). En effet là où le raciste proclame « La culture est conséquence déterminée de la biologie », Lévi-Strauss ne répond pas, comme les penseurs de l’UNESCO, héritiers de l'Universalisme chrétien dévoyé « Cette vision de l'Homme est infondée car immorale », mais que son manque de fondement provient de son manque de consistance scientifique, en tant qu'inférence logique déterminée et confirmée par l'expérience. Les sciences de la seconde moitié du XXe siècle n'auront malheureusement pas apporté plus de réponse à ces questions, déclarées taboues par les forces politiques qui gouvernent l'Occident depuis la sortie de la guerre.

Mais l'auteur prend garde à ne pas tomber dans le travers qu'il prête aux brochures de l'UNESCO. Car cette thèse, quoique diamétralement opposée à celle du racisme biologique, repose en réalité sur le même procédé logique, fondé sur un préjugé idéologique : l'antiraciste fonde la dignité universelle du genre humain sur une uniformité biologique idéelle de l'espèce ! Lui aussi participe par conséquent à valider cette relation de cause à effet. Son effet pervers sera alors paradoxalement de nier la réelle diversité inhérente au genre humain et les conséquences de cette-dernière, bonnes comme mauvaises. Poussé à son aboutissement, l'antiraciste orthodoxe s'arrimera, pris au piège de sa « morale », à une explication des phénomènes humains par les seules grilles de lecture sociale et économique, commettant ainsi des contre-sens dangereux qui auraient pu être évités en faisant place à la donne ethnico-culturelle.

Finalement, puisque la biologie est en l'état actuel impuissante à fournir un cadre explicatif satisfaisant quant à la diversité des cultures humaines, il faut, éventuellement en l'attente d'un cadre théorique acceptable, s'arrêter à observer et à fonder la diversité et l’inégalité des hommes sur la diversité et l’inégalité des cultures en tant que composantes privilégiées de l'identité des groupes humains.

Ici viennent donc naturellement se poser des questions fondamentales : comment s’exprime la diversité culturelle ? Est-elle une force ou une faiblesse ?

Il est avéré que l’on peut parler de différences culturelles au sein d’un même « tronc commun » culturel (tel l’Angleterre et l’Amérique en donnent un parfait exemple). Inversement il existe des sociétés humaines qui, rentrées très récemment en contact, paraissent appartenir à la même civilisation. Ainsi il faut admettre qu’il y a au sein des sociétés humaines, des forces « conservatrices », qui vont tendre au maintien et même à l’accentuation des particularismes, et des forces « intégrantes », qui iront dans « le sens de la convergence et de l’affinité » d’avec les autres. Le langage, pour Claude Lévi-Strauss, en donne un exemple saisissant. Là où le français, l’anglais, le russe, pourtant de même origine initialement, vont avoir tendance à se différencier, certaines langues vont a contrario se rapprocher, se mêler et se confondre avec d’autres. Le russe, quoique slave d’origine, s’est ainsi rapproché de par certains de ses traits phonétiques avec les langues finno-ougriennes et turques de son voisinage géographique immédiat. De la même manière, on note que le français a tendance à se confondre avec certains traits de la langue arabe dans les zones d’Ile-de-France à forte proportion de populations afro-maghrébines non-assimilées. L’auteur pose par conséquent qu’il existe un « optimum », eut égard aux relations mutuelles entre sociétés, de diversité « au-delà duquel les sociétés ne sauraient aller » sans danger de s’éteindre, phagocytées par l’apport allogène. Cet optimum varie fonction de nombreux paramètres tels que le nombre de sociétés prises en considération, leurs masses démographiques, leurs éloignements géographiques, les moyens de communication à disposition, la Volonté de puissance des sociétés considérées, etc. Le fantasme de la société « sclérosée » antiraciste s’avère dès lors un leurre idéologique. En effet s’il n’est pas douteux d’affirmer que les sociétés échangent, communiquent, se font la guerre, et dans des mesures relatives, se métissent entre elles, il est pour ainsi dire écrit dans leur « code génétique », car essentiel à leur survie, qu’elles désirent avant tout être soi, se distinguer et conserver leur intégrité, sans quoi elles perdraient leurs essences et mourraient.

Le paradoxe est pourtant violent : l’ethnocentrisme inhérent à la démarche de conservation de son intégrité a tendance naturellement à dépouiller l’Autre de son humanité. Ainsi, en anthropologue avisé, Lévi-Strauss remarque que dans la démarche naturelle des groupes humains, la notion même d’ « Humanité » disparait aux frontières de la tribu, du clan, voire même du village. Le reste du monde humain vivant – ceci est une constante universelle chez les hommes – apparait dès lors comme « sauvage », « non-humain », « barbare ». Il prend comme exemple, absolument baroque et pathétique, l’épisode de la découverte des Grandes Antilles, où alors que les Espagnols envoyaient des délégations afin de trancher la question de savoir si les indigènes possédaient ou non une âme, dans le même temps, ces derniers tentaient de vérifier, en noyant et immergeant les hommes blancs qu’ils avaient fait prisonniers, si leurs corps étaient autant sujet à la putréfaction que les leurs !

rh-1.jpg

Figure 1 : « Il est écrit dans le  code génétique des sociétés qu’elles désirent avant tout être soi, se distinguer et conserver leur intégrité »

Femmes biélorusses en costume traditionnel, anonyme (1999)

Un des biais les plus aboutis afin de conserver avec l’Autre une relation de respect mutuel a été celui des grands systèmes philosophiques de l’Europe : les universalismes que sont le christianisme et ses héritiers (kantisme, néokantisme, marxisme, droitsdelhommisme, …), affirmant de facto l’égalité et donc l’exigence morale de fraternité entre tous les hommes, permettaient de donner à l’Autre une dignité inédite. Cependant, au-delà de la menace évidente que représente à nos yeux ses doctrines poussées dans leurs retranchements dévoyés, Lévi-Strauss souligne que « La simple proclamation de l'égalité naturelle entre tous les hommes et de la fraternité qui doit les unir, sans distinction de races ou de cultures, a quelque chose de décevant pour l'esprit, parce qu'elle néglige une diversité de fait, qui s'oppose à l'observation ». Il en est de même pour les déclarations des droits de l’homme, énonçant un idéal « oublieux du fait que l’Homme ne réalise pas sa nature dans une humanité abstraite, mais dans des cultures traditionnelles où les changements révolutionnaires laissent des pans entiers et s’expliquent eux-mêmes en fonctions d’une situation strictement définie dans le temps et dans l’espace ». Et c’est précisément pour en finir avec cette incapacité à donner un fondement satisfaisant à la respectabilité universelle du genre humain, confronté à une vérité naturelle qui le transcende, que l’homme européen du XIXe a pu fournir un large spectre de doctrine voulant chacune à leur façon résoudre l’antinomie, du darwinisme social et des thèses racistes à l’universalisme communiste. Il est un fait historique qu’aucune n’a pu, à moyen ou long termes, fournir une explication qui ne soit pas une insulte à la pensée éclairée et un cadre satisfaisant une paix réelle entre les peuples.

Ainsi l’auteur affirme que la manière la plus efficace de respecter la véritable diversité des cultures est de préserver le droit naturel de chacune d’elle à trouver son optimum, par l’acceptation et/ou le rejet des apports qui lui sont extérieurs. La diversité apaisée au sens de Lévi-Strauss ne se fonde pas sur le métissage généralisé, qui conduirait à une uniformité totale et à la mort des civilisations, mais sur le respect réciproque par les groupes humains de la différence de l’Autre en tant qu’Autre.

        Le regard porté sur les sociétés archaïques ou les chimères du progrès

Par la suite, Lévi-Strauss invite à une réflexion autour de la valeur d’une culture ou d’une civilisation, des inégalités – apparentes ou réelles – existantes entre celles-ci, et de la relativité de la notion de « progrès », entendu dans son acceptation occidentale.

cls-3.jpgLévi-Strauss distingue pour les besoins de ses démonstrations trois types de culture que chaque société peut, de son propre point de vue, soumettre à son entendement : 1. Celles qui sont ses contemporaines, mais qui se trouvent à un autre lieu du globe ; 2. Celles qui se sont manifestées dans un espace commun à la sienne, mais à des temps antérieurs ; 3. Enfin celles qui cumulent à la fois l’éloignement spatial et temporel. En ce qui concerne les cultures du troisième groupe, le problème s’avère réglé d’avance : quoiqu’elle compose, selon les chiffres de l’ethnologie moderne, 90 à 99% de la totalité des civilisations qui ont existé depuis l’éveil de l’homme à la culture, la majorité ne sera jamais connue de façon satisfaisante, particulièrement en raison du manque de traces écrites qui la caractérise. Toute assertion globale à leur endroit apparait dès lors douteuse pour l’esprit scientifique.

Les cultures du premier groupe, à savoir nos contemporaines éloignées spatialement, sont selon Lévi-Strauss victime d’une vision qualifiée d’évolutionnisme culturel, inconsciemment véhiculée par les doctrines séculaires de la civilisation européenne. En effet au regard de l’aspect rudimentaire des productions de certaines cultures, il est pour ainsi dire a priori « évident » de voir en elle une « étape » antérieure de notre propre développement. On les qualifiera dès lors d’ « archaïques » sans plus de questionnement à leur sujet. Le voyageur occidental naïf se complaira dès lors à visiter l’âge de pierre en Nouvelle-Guinée, le Moyen-âge au Proche-Orient, ou un semblant de « siècle de Louis XIV » dans le Pékin d’avant la première guerre mondiale.

En réponse, Lévi-Strauss pose que le fait de qualifier une culture qui apparait primaire d’« archaïque », quoique jugement de valeur propre à toute civilisation, est invalidée par les recherches anthropologiques les plus basiques. Appelant à sortir d’une vision par le prisme de la grille de lecture du progrès à l’occidental, il rappelle que les productions culturelles et sociales de cultures éloignées de la nôtre sont difficilement atteignables à l’homme vivant hors de la sphère de la culture qu’il juge. On constate que la complexité de certaines cultures jugées « primitives » n’a rien à envier à celle de nos systèmes techniques, politiques ou à nos modes d’organisations sociales. A titre d’exemple, les chinois avaient dès le XIe siècle créé la machine à vapeur, soit plus de sept siècles et demi avant la révolution industrielle en Angleterre. Cela signifie qu’ils avaient des moyens techniques objectivement plus raffinés que ceux dont disposait l’Europe à la même période. Ce qui manquait à l’esprit scientifique chinois fut en l’occurrence le manque de vue sur l’application que l’on pouvait faire de cette technique.

L’opposition entre culture progressive, qui accumulerait les avancées culturelles et techniques, et culture inerte, résulterait moins d’une différence objective de raffinement des productions sociales que d’une vision déformée par notre subjectivité culturelle. Ainsi certaines cultures nous apparaitraient comme stationnaires, « non pas nécessairement parce qu’elles le sont, mais parce que leur ligne de développement ne signifie rien pour nous, n’est pas mesurable dans les termes du système de références que nous utilisons ». En effet si l’on prend l’un des critères occidentaux emblématiques d’évolution, à savoir la mise à disposition de l’homme de moyens mécaniques fonctionnels de plus en plus puissants, il parait évident que les civilisations américaines et européennes remporteraient le haut du classement, loin devant les peuples océanien et africain. Or le simple fait de changer de critère d’évaluation permettrait, c’est là l’objet d’une grande partie des travaux de Lévi-Strauss, de renverser cette hiérarchie. A titre indicatif, il n’est pas absurde de croire que si la capacité à créer un système politico-spirituel stable dans le temps et préservant les populations de l’affaiblissement de leur volonté de puissance et du nihilisme avait été pris comme critère, les pays asiatiques et moyen-orientaux seraient loin devant les peuples européens de la seconde moitié du XXe siècle !

rh-2.jpg

Figure 2 : « Certaines cultures nous apparaitraient comme stationnaires car leur ligne de développement ne signifie rien pour nous, n’est pas mesurable dans les termes du système de références que nous utilisons »

Membres des Baigas, tribu primitive du nord de L’Inde volontairement coupée du monde moderne (2013)

Toute l’attention de l’ethnologue sera dès lors porter sur la compréhension des spécificités de développement et de rapports au Monde qui caractérisent chaque peuple. Lévi-Strauss exhorte à cet égard le lecteur, par la mise en lumière de ce genre d’a priori naturel, à adopter cette même démarche. Et c’est uniquement à cette condition de compréhension de l’Autre, en tant qu’il est Autre dans toutes ses composantes, que peut s’instaurer un véritable dialogue apaisé entre les peuples, où chacun garde sa spécificité, sans concession d’aucune sorte à l’Universalisme sécularisé. A cela Lévi-Strauss ajoute par ailleurs que la notion occidentale de progrès, héritière du modèle de déroulement historiciste de la Bible dans la tradition chrétienne, et reprise après sécularisation par Hegel et Marx, entre en opposition avec l’étude historique et anthropologique. Si l’auteur ne nie pas que des progrès indéniables aient été réalisés en tout domaine depuis l’éveil à la culture de l’Homme, sa linéarité n’a rien d’évident. La simple logique formelle permet en première instance de mettre en lumière la caducité de la thèse : si le progrès était constant et linéaire, il n’y aurait pas de décadences définitives. Or des civilisations sont mortes, donc la linéarité et la nécessité du progrès n’existe pas. Les avancées civilisationnelles se font en réalité par à-coup, de manière chaotique, brutales. A titre d’exemple, l’Europe n’a connu que peu de ce que Jacqueline de Romilly appelait des « miracles historiques »5, ces époques de foisonnement intellectuel ayant permis au continent de maintenir le rang qui est le sien au sein du concert des nations : l’Antiquité Grecque, la Renaissance et la Révolution Industrielle, pour citer les plus emblématiques.

        La question de la supériorité de la civilisation occidentale

Lévi-Strauss fait remarquer que même à pousser à bout la logique du relativisme culturel, en affirmant que l'inégalité entre les cultures est infondée car il nous serait absolument impossible de sortir de nos structures mentales culturelles pour juger convenablement d'autres, un constat demeure: il y a une civilisation qui plus que toute autre dans l'histoire du monde semble faire l'unanimité quant à sa supériorité par rapport aux autres, la Civilisation Blanche Occidentale.

Le contexte d'écriture de l'œuvre est ici important à souligner: Lévi-Strauss fournit son analyse en des temps où la totalité des pays du globe a reçu, à des degrés variables selon la culture considérée, l'influence de l'Occident, en termes de structures mentales et d'organisation sociale. Le mode de vie de celui-ci a ainsi fait des émules au sein des populations de couleurs. Que ce soit à tort ou à raison, par la destruction coloniale de modèles culturels préexistants, l'assimilation des peuples extérieurs, ou naturellement par leur volonté propre, les peuples de la Terre aspiraient à une occidentalisation de leurs mœurs. À la tribune de l'ONU et dans les grandes organisations internationales de l'époque, les représentants des pays du tiers-monde n'avaient de cesse de marteler que le « plus grave problème de l'occidentalisation de leur société » était précisément « la lenteur et la petitesse de cette occidentalisation » ! Triste constat pour le défenseur de la diversité des cultures qu'était Claude Lévi-Strauss. Mais la science transcende froidement l'ethos individuel, et il lui a été longtemps forcé de constater « qu'il ne servirait à rien de vouloir défendre l'originalité des cultures humaines contre elles-mêmes ». Ainsi cette course à l'uniformisation devra s'achever de trois manières différentes :

1. Par une occidentalisation intégrale de la planète, avec des variantes relevant du folklore ici et là

2. Par la création de modèles syncrétiques, comme la Chine, l’Inde ou le monde musulman laisserait suggérer

3. Par un mouvement de reflux de l’occidentalisation, arrivée à une expansion physique « incompatible avec les mécanismes internes qui assurent son existence »

Il est à noter à cet égard que l'auteur, spectateur critique de l'évolution des sociétés au début du XXIe (Lévi-Strauss est mort en 2009, encore actif intellectuellement), pourra donner ici un semblant de réponse. Loin de s'étioler dans une américanisation heureuse, les grands blocs culturels et civilisationnels ont eu tendance, regardant ce mouvement de l'Histoire comme une agression, à accentuer le phénomène inverse : celui du réveil des « forces conservatrices » en cas d'ingérence au sein de leur modèle respectif. Ainsi la volonté d'émancipation des BRICS de la tutelle américaine, le réveil identitaire du Moyen-Orient (illustré par la montée en puissance des mouvements wahhabites et salafistes), de l'Inde ou de la Chine, apparaissent des conséquences directes de ce phénomène. Le cas de la Chine donne dans cette optique un double exemple archétypal des théories lévistraussiennes : conscient de son infériorité technique et économique de fait par rapport à la Civilisation Occidentale, l'Empire du Milieu aura permis l'entrée du modèle capitaliste anglo-saxon sur son territoire et des sciences et techniques européennes, sans pour autant renier son identité propre. Là où les mondialistes béats croyaient, pour ramasser leur pensée en une formule, que « Le iPhone créerait l'émancipation individuelle et la démocratie », le géant chinois a au contraire fourni l'illustration parfaite de cet optimum de diversité des structures internes d'un pays, prenant ce qui lui a semblé meilleur chez le voisin, rejetant le reste.

Ainsi c’est l'observation de ces processus qui permirent à Lévi-Strauss de répondre à la question centrale : sur quoi se fonde le consentement des peuples de la Terre à proclamer quasi-unanimement la supériorité de l'Occident ?

cls_4.jpgLévi-Strauss affirme que c'est l'objectivité des critères de hiérarchisation, intime à la pensée occidentale, qui permettent de la fonder, et qui peuvent se ramener, selon Leslie White6, à deux principaux : 1. L’accroissement continuel de la quantité d’énergie disponible par habitant et 2. La protection et la prolongation de la vie humaine capacitive. Ainsi tout homme désire, sauf cas pathologique, prolonger sa vie en pleine santé sur Terre. Quelle réponse plus admirable a été fournie à cet enjeu que la médecine et le mode de vie occidental ne sauraient offrir ? Toutes les sociétés (c'est une structure universelle) requièrent un accroissement de connaissances, de techniques et de savoir-faire afin de modeler leurs environnements selon leurs normes. Quel outil plus raffiné et plus efficace à cet effet que sont la Mathématique, la Science et la Technique occidentales ? Nous pourrions même aller plus loin (mais ce serait déjà rentrer dans une forme de subjectivisme idéologique) en posant pour principe qu'il y a en tout être humain une Volonté d'émancipation individuelle du cadre des méta-structures collectives, et que l'individualisme européen triomphant et prosélyte offre un médium privilégié à cette émancipation.

En conclusion sur le sujet, on s'accordera à dire que la supériorité de la Civilisation Occidentale s'entend avant tout comme l'accord entre les cultures de cette supériorité, fondée sur des critères objectifs, et répondant aux besoins essentiels et universels de toute culture humaine.

        L’accumulation culturelle et l’écart différentiel vital

Dans les dernières parties de l’essai, Lévi-Strauss tentent d’analyser et de comprendre ce qui fonde véritablement l’inégalité entre les cultures et les civilisations humaines, si cette inégalité est absolue ou relative à la culture du point de vue de laquelle on se place, et, ayant résolu ces questions, de voir sur quelles bases se fondent les relations et les collaborations entre les cultures.

Comprendre l’origine de l’inégalité entre les cultures revient à expliquer pourquoi existe-t-il des cultures « cumulatives », progressant à mesure de leur avancée dans le temps, pour arriver à un niveau de raffinement donné, et a contrario des cultures « stationnaires », ou « moins cumulatives », ne progressant pas ou peu. Pour y répondre, Lévi-Strauss fait appel à la notion de probabilité, outil mathématique réservé jusqu’à son époque aux seules sciences dures et expérimentales, telles que la thermodynamique statistique énoncée un siècle plus tôt par Boltzmann. Si l’on considère une culture donnée, une série d’évènements aléatoires dont les issues sont soit le progrès p, soit la régression r, soit le statu quo s, dépendants de divers facteurs internes et externes à la culture étudiée [X1, X2, X3.. Xn], et enfin la probabilité P d’arriver à un certain cumul de progrès p, on arrive à prouver dans quelle mesure il est naturel à l’échelle du monde que les civilisations les plus avancées soient plus rares, voire uniques, car bénéficiant de facteurs et d’un enchaînement d’évènements aléatoires propices au progrès de celles-ci. C’est précisément la rareté des séries d’évènements aléatoires favorables qui permet d’expliquer l’échelle de « cumul » et le degré plus ou moins élevé de raffinement d’une culture. Et c’est à partir de cette application des arbres événementiels probabilistes à l’ethnologie que Lévi-Strauss descend conformément aux conclusions de sa démonstration la Civilisation Occidentale du piédestal sur lequel elle reposait. Il déclare qu’il faut « être assurée du fait que si la révolution industrielle n’était pas apparue d’abord en Europe occidentale et septentrionale, elle se serait manifestée un jour sur un autre point du globe ». En d’autres termes, l’Europe n’aurait pas de mérite, pas de fierté à tirer de cette supériorité, car elle aurait très bien pu se retrouver par une autre combinaison aléatoire de facteurs propices à un autre endroit du globe, à un autre moment de l’Histoire, pour une autre culture.

rh-3.jpg

Figure 3 : « La supériorité de la Civilisation Occidentale est (…) fondée sur des critères objectifs, et répondant aux besoins essentiels et universels de toute culture humaine »

L’école d’Athènes, Raphaël (1509-1512)

Il m’est apparu que cette assertion, quoique valable dans la mesure de sa logique abstraite, était assez grossière à deux égards principaux. Premièrement elle n’est corroborée par aucun fait historique. On peut toujours spéculer sur le fait que la collusion d’autres types de facteurs (climatiques, culturelles, mythologiques, coutumiers, techniques, etc.) aient pu faire apparaitre la même avancée objective aux yeux de l’Humanité toute entière à un autre endroit que sur le continent européen. Reste qu’en l’attente d’un contre-exemple, cette « série d’évènements aléatoires » porte un nom et une définition précise : l’Europe. Et qu’on le veuille ou non, la démarche scientifique interdit de déclarer erroné un énoncé qu’elle n’a pas falsifié. La thèse qui consiste à dire « C’est l’Europe en tant qu’Europe qui a produit la révolution industrielle » est tout aussi correct scientifiquement que celle de Lévi-Strauss, et parait même plus adéquate à la réalité. Deuxièmement elle est réductrice car tendant vers un déterminisme structuraliste qui ôterait ainsi à l’Homme son libre arbitre. Car quoique modelée par des représentations mentales inhérentes à sa sphère culturelle, il a tout de même été de la volonté des hommes de faire cette révolution industrielle ! Et cette volonté, de par le moule culturel bien spécifique duquel elle émane, ne pouvait par définition se retrouver uniquement dans celui-ci : en Europe !

La deuxième assertion, moins polémique cette fois, pose que la diversité des cultures humaines et l’émulation qui réside entre elles sont à l’origine des séries cumulatives d’évènements favorables, et donc du progrès au sein d’une civilisation. Entendons-nous bien ici : Lévi-Strauss ne dit à aucun moment que la diversité ethnique interne d’une société et le métissage des cultures rendraient celles-ci plus fortes. Au contraire nous avons vu à quel point ces phénomènes représentaient la mort des particularismes, et donc des cultures considérées. Il s’agit en réalité des interactions que les cultures ont entre elles, prenant des formes diverses (échanges commerciaux de matières premières et de savoir-faire inédits, relations diplomatiques, disputations théologiques, rivalités et conflits de toutes sortes, etc.), qui permettent de stimuler l’accumulation et l’agrégation par et à une culture particulière de l’apport des autres, tout en gardant sa spécificité. Le développement de l’Europe et son raffinement civilisationnel ne peut ainsi s’entendre que dans l’optique de la diversité culturelle unique du continent et de son génie à savoir importer et assimiler à sa juste mesure des pans entiers de cultures exogènes. On peut à cet effet lister sans fin les matières premières rapportées de terres exotiques par les missionnaires et découvreurs et qui ont contribué au raffinement de la culture européenne. Pour ne prendre que l’exemple de la France, il est bon d’avoir à l’esprit que le modèle français des Grandes Ecoles d’Ingénieurs instauré par Napoléon Ier fut importé de Chine, alors utilisé pour sélectionner de manière satisfaisante et égalitaire les hommes d’exception d’un pays devant jouer avec à la fois un territoire très étendu géographiquement et un pouvoir autocratique centralisateur.

Lévi-Strauss répond ainsi au problème en concluant qu’il n’y a pas de société cumulative « en soi et par soi ». L’Histoire cumulative résulte ainsi plus pour une culture de sa conduite que de sa nature. Et l’auteur d’affirmer le corollaire logique de la proposition, à savoir qu’il n’y a qu’une seule tare qui puisse réellement affliger un groupe humain : la solitude.

Il exhorte ainsi le lecteur, l’UNESCO et les instances internationales à prendre garde à la notion dangereuse de « civilisation mondiale » voulue par certaines forces politiques. N’exprimant aucune réalité ni culturelle, ni anthropologique ou biologique, Lévi-Strauss écrit que la notion de civilisation mondiale « est forte pauvre, schématique, et que son contenu intellectuel et affectif n’offre pas une grande densité ». Ainsi il met en garde contre la notion moderne de « diversité », entendue comme le métissage ethnico-culturel des peuples dans une seule uniformité. Celle-ci, dangereuse, implique à l’inverse de sa sémantique, la parfaite homogénéité de la culture. Tout l’effort des cultures contemporaines consistera dès lors à prendre garde à préserver ce que Lévi-Strauss nomme un « écart différentiel », à savoir un éloignement optimal des cultures les unes par rapport aux autres, afin de préserver leur spécificité, soit de rester en vie, et de maintenir le processus des échanges cumulatifs permettant le progrès de chacune d’entre elles.

III.  Conclusions : Défense des particularismes et dialogue des cultures

A la lecture de Race et Histoire de Claude Lévi-Strauss, on devine aisément pourquoi l’essai a été mis à l’index par les instances d’obédiences mondialistes qui peuvent nous gouverner. Loin d’être, comme beaucoup de sociologues de gauche l’ont présenté, une ode au melting pot à l’américaine, cet essai invite en filigrane l’Européen à une actualisation de ses modes de pensées et de compréhension des races et des cultures à l’heure du crépuscule de sa civilisation.

Potiere-jalouse_754.jpgBien sûr le relativisme culturel dont fait preuve Lévi-Strauss pour les besoins de ses démonstrations parait de prime abord en contradiction avec son appel renouvelé à maintenir coûte que coûte nos spécificités civilisationnelles. Mais dans les temps troubles que nous traversons actuellement, le paradoxe est loin d’être insoluble.

A l’heure de l’affaiblissement de la volonté de puissance européenne et où l’optimum de diversité interne de nos sociétés a été largement dépassé, il est une exigence morale, car garante de notre survie, de faire valoir nos « forces conservatrices » et de réfréner les « forces inclusives » qui nous phagocytent ! Pour reprendre l’optique de Lévi-Strauss, il semble impossible de fonder un dialogue des cultures et un échange véritables si l’un des interlocuteurs n’est pas sûr de son identité propre.

Race et Histoire doit ainsi être vu comme un écho à la saillie prophétique de Paul Valéry au début du XXe : « Nous autres, civilisations, savons désormais que nous sommes mortels ! ». Il est un double appel lancé à la civilisation européenne. Premièrement un appel à tenir bon et à ne pas céder au nihilisme, sans quoi l’individu européen mourrait avec sa civilisation, soutenu par un corpus rationnel de proposition scientifique allant dans ce sens. Deuxièmement un appel à porter sur les autres peuples et cultures un regard humble et respectueux. Car en effet puisque la civilisation européenne est menacée par l’ingérence et l’uniformisation américano-libérales, il est de notre devoir de collaborer avec les autres races et cultures de la planète victimes elles aussi de cet impérialisme.

Il ne fait à cet égard aucun doute que la Russie, comme allié géopolitique naturel, se devra d’être un interlocuteur privilégié dans ce dialogue des cultures et ces avancées mutuelles qui en découleront.

Le progrès au XXIe siècle émanera de la reconnaissance de la légitimité de la multipolarité, soit du respect des particularismes culturels et civilisationnels en tant que tels.

Cette reconnaissance, qui saura être un appui de taille sur la scène internationale afin de légitimer la défense de nos valeurs, raisonne déjà dans les slogans politiques de France et d’ailleurs :

« Patriotes de tous les pays, unissez-vous ! »

Pour le SOCLE

  • Le racisme est incorrect scientifiquement, en tant que théorie visant à lier les caractéristiques biologiques aux productions sociologiques et psychologiques des hommes.
  • L’antiraciste fonde la dignité universelle du genre humain sur une uniformité biologique de l'espèce. Lui aussi participe par conséquent à valider cette relation de cause à effet.
  • Il y a au sein des sociétés humaines, des forces conservatrices, qui vont tendre au maintien et à l’accentuation des particularismes, et des forces intégrantes, qui iront dans « le sens de la convergence et de l’affinité » d’avec les autres.
  • Il existe un optimum de diversité au-delà duquel les sociétés ne sauraient aller sans danger de s’éteindre à cause d’un apport allogène trop fort.
  • Cet optimum varie fonction de nombreux paramètres: masses démographiques, éloignements géographiques, moyens de communication à disposition, etc.
  • Il est écrit dans le « code génétique » des sociétés de désirer avant tout être soi, se distinguer et conserver leur intégrité, sans quoi elles perdraient leurs essences et mourraient.
  • Aucun des universalismes de la modernité n’a pu fournir un cadre satisfaisant, une paix réelle entre les peuples.
  • La manière la plus efficace de respecter la véritable diversité des cultures est de préserver le droit naturel de chacune d’elle à trouver son optimum, par l’acceptation et/ou le rejet des apports qui lui sont extérieurs.
  • La diversité apaisée se fonde sur le respect réciproque par les groupes humains de la différence de l’Autre en tant qu’Autre.
  • Qualifier une culture qui apparait primaire d’« archaïque » est jugement de valeur invalidé par les recherches anthropologiques les plus basiques.
  • L’opposition entre culture progressive, qui accumulerait les avancées culturelles et techniques, et culture inerte, résulte d’une vision déformée par notre subjectivité culturelle.
  • La linéarité et la nécessité du progrès n’existe pas. Des civilisations sont mortes. Les avancées civilisationnelles se font par à-coup, de manière chaotique, brutales.
  • Il y a une civilisation qui semble faire l'unanimité quant à sa supériorité par rapport aux autres : la Civilisation Blanche Occidentale.
  • La supériorité de la Civilisation Occidentale se fonde sur des critères objectifs répondant aux besoins essentiels et universels de toute culture humaine.
  • Aujourd’hui, on assiste à un retour des particularismes, les cultures de couleurs prennent ce qui leur a semblé meilleur et utile chez le voisin occidental, rejetant ce dont elles ne voulaient pas.
  • Les interactions que les cultures ont entre elles (échanges commerciaux de matières premières et de savoir-faire inédits, relations diplomatiques, rivalités et conflits de toutes sortes, etc.) permettent de stimuler une culture particulière par l’apport des autres, tout en gardant sa spécificité.
  • Le développement de l’Europe et son raffinement civilisationnel sont dus à la diversité culturelle unique du continent et de son génie à savoir importer et assimiler à sa juste mesure des pans entiers de cultures exogènes.
  • L’Histoire cumulative d’une culture résulte davantage de sa conduite que de sa nature.
  • La notion de civilisation mondiale n’exprime aucune réalité ni culturelle, ni anthropologique ou biologique.
  • La notion moderne de « diversité », dangereuse, implique à l’inverse de sa sémantique, la parfaite homogénéité de la culture.
  • Tout l’effort des cultures européennes consistera pour demain à prendre garde à préserver un « écart différentiel » avec les autres, à savoir un éloignement optimal par rapport aux autres, afin de préserver leur spécificité.

IV.  Repères bibliographiques

  1. Denis Bertholet, Claude Lévi-Strauss, Paris, Odile Jacob, coll. « poches », 2008
  1. Michel Izard, Préface de Race et Histoire, Gallimard, « Folio essais », 2002
  1. Race et Histoire, brochures éditées par l'Unesco, 1952
  1. Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire, Folio Essais, 2014
  1. Jacqueline de Romilly, Pourquoi la Grèce ?, Le Livre de poche, 2010
  1. Leslie A. White, The science of culture, New York, 1949, p.196