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jeudi, 02 janvier 2020

Les moins de seize ans ou les solitudes pédérastiques de Tonton Gabriel

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Les moins de seize ans ou les solitudes pédérastiques de Tonton Gabriel

par Juan Asensio

(texte de 2013)

Ex: https://www.juanasensio.com

Autres textes sur le sujet: Gabriel Matzneff dans la Zone.

Nous pouvons lire, à l'entrée Robert Brasillach du truculent Dictionnaire des injures littéraires de Pierre Chalmin (1), une méchanceté écrite par Gabriel Matzneff pour Le Figaro littéraire : «Brasillach que plus personne ne lirait aujourd'hui si, au lieu d'avoir été fusillé, il était mort écrasé par un autobus en juin 1944».

Nous pourrions retourner cette saillie du reste assez stupide car Brasillach continue d'être lu, à Gabriel Matzneff, en lui faisant remarquer que plus personne ne le lirait aujourd'hui si, à la place des orifices de jeunes enfants des deux sexes, il évoquait dans ses livres si paresseux, comme tout un chacun ou presque, ceux de ses seules épouse (notre Lovelace des bacs à sable a été marié, brièvement) et (innombrables) maîtresses. Lire Gabriel Matzneff, ce n'est en effet pas être sensible à sa prétendue petite musique, ce n'est pas manifester sa dilection pour les auteurs antiques, ce n'est pas soutenir, plus ou moins silencieusement, un de ces hérauts, de plus en plus fatigué à vrai dire et qui a besoin pour se déplacer de sa canne à pommeau doré, de la droite buissonnière qui fut très souvent garçonnière, ce n'est pas s'intéresser au subtil mélange entre envolées métaphysiques et cabrioles priapistiques, ce n'est certainement pas défendre la liberté de l'esprit contre ce qu'il appelle les quakers et les quakeresses de la pruderie.

Lire Gabriel Matzneff, ce n'est même pas s'offrir un de ces petits plaisirs secrets que, bien jeune, nous nous accordions en lisant en cachette les textes de Sade et de Casanova alors même que, selon l'auteur, nous ne saurions lire la description détaillée de fines parties de plaisir entre un adulte et un jeune enfant sans éprouver nous-même un désir trouble. Or, si l'imagination d'un jeune adolescent (et même celle d'un adulte) peut être ravie, au sens premier du terme, par les pages où Sade déploie ses infernales machines de souffrances et de plaisir ou par la truculence arsouille et irrévérencieuse du Vénitien, les passages où Gabriel Matzneff évoque ses parties de jambes en l'air, eux, sont absolument tout ce que l'on voudra, libidineux, pornographiques donc cliniques, ridicules ou drôles, mais jamais érotiques.

Lire Gabriel Matzneff, c'est donc très sûrement perdre son temps. Lire Gabriel Matzneff, c'est assez vite tout de même (sauf lorsque l'on ne sait pas lire, cette cécité est fort répandue) découvrir que le maître que nous cherchions, jeune, que tout jeune enfant passant sa vie à dévorer des livres cherche plus ou moins sans le savoir, est un petit professeur bagué, cravaté et dégénéré, que l'esprit libre tant vanté dans notre société soumise à des milliers de diktats aussi invisibles que sournois n'est qu'un pleurnicheur vouant aux gémonies celles (les renégates, dit-il) qui l'ont plaqué et renié, que l'homme fort ne craignant aucune polémique est un pauvre type esseulé et qui, devenant vieux, sera non seulement toujours esseulé, de plus en plus seul à vrai dire mais surtout de plus en plus pathétique, un vit bientôt flaccide condamné à subir les gestes du personnel soignant d'une maison de retraite en guise de fier étendard affichant son mépris des «vieux culs nécrophages de la rue Sébastien-Bottin» (2), que le théologien à la mode de Vladivostok est un mécréant à la petite semaine affirmant que le Christ semble s'être «fait chair, flesh, que pour nous permettre de tringler les premières communiantes et de tailler des pipes aux petits chanteurs à la queue de bois» (pp. 12-3, l'auteur souligne), que le pécheur impénitent, Gilles de Rais saupoudré de talc ayant sa place à toutes les bonnes tables de Saint-Germain-des-Prés, écrit chacun de ses textes ou presque sans jamais parvenir à masquer son cri («Pardonnez-moi ! Pardonnez-moi !»), rêvant de «confession publique» comme au temps où le sacrement de pénitence représentait quelque chose «chez les chrétiens primitifs», et saisissant l'occasion inespérée que lui offre Jacques Chancel en réintroduisant ladite «confession publique dans nos mœurs» (p. 13) par le biais de sa collection, tout en hurlant de trouille et de sainte horreur au moment de monter sur le bûcher, alors que Gilles de Rais, lui, comme oublie de le rappeler notre hagiographe gaminophile, est devenu grand parce que ses crimes immondes sont indissociables du pardon qu'il a demandé, à genoux, aux mères et aux pères des enfants qu'il a dilacérés, violés et tués, avant de finir rôti, pour la plus grande gloire des cieux et la purification nécessaire d'un monstre trahi par le diable qu'il n'est jamais parvenu à conjurer.

Petit auteur, auteur mineur si l'on veut, Gabriel Matzneff n'est pas un homme mineur mais un petit homme ridicule et exécrable.
 

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Je ne perdrai toutefois pas mon temps à ferrailler avec ce pédéraste comme lui-même aime à se décrire, qu'il s'agisse de l'affubler de cet épithète de nature plutôt que de celui de paidophile ou pédophile qui lui convient du reste admirablement, ou de rejoindre ce vieux rétiaire cacochyme et larmoyant, autrefois éphèbe impertinent pressé de vivre et de jouir, sur le terrain boueux où il a livré l'un de ses combats les plus minables et truqués (3), insultant ceux qu'il appelle les sycophantes de persister à ne pas comprendre que son art littéraire, dont il se fait une si haute opinion, ne saurait être jugé à l'aune sordide et lilliputienne de la morale.

Je me contenterai donc de frapper au point censé être le plus douloureux pour un cacographe, étant donné que ces hongres sont toujours persuadés que non seulement ils savent écrire, mais que leur œuvre, rare ou abondante, possède quelque qualité indéniable dans la sphère esthétique. Ce point, c'est justement le livre et lui seul, sa qualité littéraire supposée donc, qui devrait le hisser hors de la tourbe puante des minables considérations moralisatrices ou sentant le vieux slip de l'ordre prétendûment conservateur voire réactionnaire qui serait la mort de notre écrivain réputé libre et affranchi de tout, et qui se laisserait pourtant mourir s'il devait passer plus d'une journée sans pouvoir bénéficier du bienfait immarcescible d'une salutaire pédicure.

Les moins de seize ans ne constituent même pas un livre scabreux, et il est infiniment drôle de relire les stupidités qui furent écrites lorsqu'il parut, sous la plume de Roland Jaccard pour Le Monde qui évoque un «livre provocant et salutaire, courageux et spirituel» ou de Thierry Garcin pour Le Quotidien de Paris qui parle d'un ouvrage ayant créé de «salutaires remous, pour avoir mis les professionnels du progressisme au pied du mur».

Ce livre, s'il constitue, en effet, une confession non point douloureuse ou choquante mais ridicule, s'il évoque la plus grande idée fixe ou obsession, le mot est de Matzneff lui-même, de l'auteur, qui avoue que ses «obsessions sont pareilles à ces baudruches qu'on attache sous les aisselles des petits enfants qui apprennent à nager : qu'elles crèvent [et il] coule à pic» (p. 14), s'il détruit donc définitivement le rempart lilliputien pitoyable que les imbéciles et les vicieux (l'un et l'autre pouvant aller de concert bien sûr) dressent comme une muraille de Chine autour de l'écrivain qui n'écrirait qu'une fiction, soit une réalité purement esthétique, forcément et férocement artistique, parfaitement éloignée de la réalité (4), ce livre est la confession, navrante bien davantage que terrible, d'une solitude.

Solitude d'un écrivant qui se croit écrivain, parce qu'il a beaucoup lu les auteurs antiques, ce qui lui permet de saupoudrer son livre de latin non pas de cuisine mais d'alcôve («Mille puellarum, puerorum mille furores», repris aux Mémoires de Casanova) et de nous rappeler que l'Antiquité consommait les très jeunes enfants de façon immodérée, et solitude parce que, comme tous ceux de son espèce, Gabriel Matzneff est un écrivain mineur qui se croit grand. Il suffit, pour se convaincre de cette nullité bienheureuse, de relire les lettres de la petite fille au vilain monsieur qui ponctuent Les moins de seize ans, et qui sont censées, nous précise l'auteur en note, avoir «été écrites par une adolescente de quinze ans». «Il n'y a pas une ligne qui ne soit d'elle», termine, on s'en doute fièrement, Matzneff (p. 19) et, ma foi, je ne sais s'il s'agit de lettres bien réelles ou d'un jeu de l'écrivain s'étant mis à la place d'une jeune fille mais, dans les deux cas, leur nullité purement littéraire est patente, tout comme est ridicule, mais j'avais déjà souligné cette étonnante dimension à propos des larmoyants Carnets noirs, leur bêtise et fadeur érotiques : «X, mon amant pain d'épice, sucre d'orge, sucre d'or, je t'aime, tu sais, je t'aime» (p. 51). Gabriel Matzneff, aussi sordide qu'un phallus gonflé à l'hélium au beau milieu d'une aventure de Maya l'abeille.

J'ose donc affirmer, contre l'évidence même semblerait-il, que la solitude est le sujet réel, profond, évident même des Moins de seize ans, et non pas les goûts sexuels de Gabriel Matzneff qui écrit pourtant qu'il n'a «jamais eu de rapports sexuels avec une personne de [s]on sexe qui soit âgée de plus de dix-sept ans, sauf une fois avec un garçon de vingt-deux, mais ce soir-là [ils avaient] fumé force sebsi de hasch, [ils étaient] complètement défoncés» (p. 22, l'auteur souligne).

Ce sujet réel, profond, évident, est la solitude et non pas la différence entre l'homosexualité, comiquement moquée, avec un don de prescience qu'il convient de saluer si nous songeons à l'épisode grotesque du mariage homosexuel («ils veulent l'honorabilité et la sécurité, le sourire de leur concierge et les palmes académiques, le certificat de bonnes mœurs et le contrat de mariage», p. 82) et la pédérastie ou plutôt, nous dit l'auteur qui pourtant prend grand soin de distinguer ces deux dernières réalités, la pédophilie (5).

Ce sujet réel, profond, évident, le seul à vrai dire, n'est pas ce que nous pourrions nommer la perversité de Gabriel Matzneff qui sait parfaitement que «la dissemblance psychique entre un adulte et un enfant est, elle aussi, une évidence» (p. 23) et qui jouit donc, mais en cachette, de l'étalage de cette dissemblance, comme tout pervers qui se respecte. Deux façons et deux façons seulement existent de pervertir l'innocence : la force brutale de la bête, et le coupable termine derrière des barreaux emmailloté dans une camisole de force et la ruse de l'esprit, qui est la marque des prédateurs supérieurs dont Gabriel Matzneff, qui se vante de n'avoir jamais rien arraché qui ne lui eût été par avance donné, fait évidemment partie. Je ne me prononce pas sur le type de peine que j'imagine pouvoir convenir à ce type de salopard amateur de «marginalité, [de] bohème, [de] solitude» (p. 81) et, surtout, qui n'est attiré que par une seule chose, moins les très jeunes filles et garçons qui, comme il le confesse, forment une espèce de troisième sexe (cf. pp. 24-5), que l'innocence (cf. p. 72).
 

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Ce sujet unique est la solitude, pas même le caractère clandestin des amours de Gabriel Matzneff, qui affirme qu'il se «tamponne le coquillard» de l'approbation de la société, la «transgression» étant son équilibre, sa santé, sa joie (p. 84), qui écrit que «la chasse aux gosses [doit] demeure[r] un sport périlleux, et défendu !» (p. 85), qui avoue grivoisement qu'il s'est rapproché des scouts, un temps, pour disposer plus facilement de jeunes proies (cf. p. 93, Matzneff se décrivant même comme un «membre actif, il va sans dire» des scouts, sa carte de membre certifiant donc sa qualité de «pédagogue professionnel», bonne ruse pour qu'un père sourcilleux surprenant l'auteur en train de «sodomiser» son rejeton ne puisse donc que croire qu'il s'agissait «d'un de ces «grands jeux» éducatifs dont les scouts ont le secret», p. 94), Gabriel Matzneff qui ne cesse de nous rappeler qu'il est contraint de cacher ce qu'il appelle poétiquement ses «aventures de traverse» (p. 63), de se cacher, surtout avec les garçons, pour étancher ses passions non point secrètes, puisque l’œuvre de Gabriel Matzneff est tout entière une apologie lucide, revendiquée, décomplexée (6), passionnée de la pédérastie, mais condamnable moralement et, surtout, pénalement : «Pour les garçons, c'est une autre paire de manches. Si je ne cache pas trop mon amante de quinze ans, mes aventures avec les petits garçons se déroulent dans une stricte clandestinité» (p. 29).

Je discutais, il y a quelques jours à peine, avec une matznévienne hystérique (pléonasme) qui me soutenait par A + B que Gabriel Matzneff n'avait jamais commis ses larcins pédérastes mais qu'il les avait imaginés dans ses textes, donc sublimés. En somme, nul n'avait le droit de reprocher à un écrivain ce qu'il écrivait, et de citer bien évidemment d'autres salauds des lettres comme Céline : il me fut facile de lui opposer une bonne centaine des propres textes de l'auteur pour lui rappeler que Gabriel Matzneff ne s'est jamais caché d'aimer les «très jeunes [qui] sont tentants», surtout lorsqu'ils résident dans certains pays pauvres, Maroc ou Égypte, «où les gosses attendent souvent quelque profit de leurs complaisances amoureuses» (p. 44), l'auteur confessant très clairement qu'il a donc payé des gamins bien que, s'empresse-t-il d'ajouter, «si violence il y a, la violence du billet de banque qu'on glisse dans la poche d'un jean ou d'une culotte (courte) est malgré tout une douce violence. Il ne faut pas charrier. On a vu pire» (p. 45). En effet, nous avons par exemple vu un pédéraste écrire des livres pédérastiques depuis des dizaines d'années sans que personne ou presque n'y trouve à redire, alors, de quoi nous plaindrions-nous, sycophantes envieux que nous sommes ?

Le sujet évident, profond, unique de notre livre n'est pas la concaténation de sophismes qui tous n'ont qu'un seul but : décomplexer, légitimer, ancrer au passé le plus ancien et illustre des pratiques que la société contemporaine réprouve, y compris pénalement, à tort ou à raison, ce n'est pas du tout l'objet de cette note modeste : «La pédérastie, seule forme possible de la paternité pour celui qui répugne à fonder une famille» (pp. 73-4) ou bien encore : «Les adultes qui n'aiment pas les enfants ne supportent pas que les enfants soient aimés par ceux qui les aiment» (p. 41), sophismes d'autant plus vite enchaînés que, comme le sait parfaitement Gabriel Matzneff qui s'en vante (même s'il ne parle pas, dans ce cas, de lui-même), jamais aucun de ses jeunes amants «n'a trahi le secret, jamais aucun des enfants n'a porté plainte». L'auteur évoque l'affaire, à l'automne 1973, d'un «quinquagénaire, gros, moche, borgne, qui dans un village de l'Est, proche de Forbach, organisait chez lui des ballets roses» (pp. 42-3), mais il est évident que sous le masque du repoussant «Tonton Lucien» se cache le visage si lisse et beau (comme me le confia, le regard chaviré, l'une de ses récentes maîtresses) de Gabriel Matzneff. Il en évoque d'autres, de ces affaires scabreuses, comme celle liée à Mlle Hindley et M. Brady, «accusés d'avoir séduit, torturé et assassiné deux enfants et un adolescent» en 1964, l'auteur ayant d'ailleurs pris le soin d'écrire un article de défense, une «chronique, non recueillie en volume pour l'instant», pour ces «ogres» pour lesquels il avoue avoir «un faible» (p. 46). On a vu pire.

Le sujet évident, unique, profond, inavouable des Moins de seize ans n'est même pas ce jeu malsain avec le vocabulaire religieux, le pervertissement de l'amour, la parodie sacrilège consistant à affirmer que l'amour du pédéraste pour sa proie doit «être un amour qui féconde, libère, «donne le vie», tel l'Esprit-Saint dans la prière byzantine» (p. 65), puisque Matzneff claironne qu'il a donné, avant que du plaisir, de l'amour à ses amants et maîtresses, le sujet véritable de ce livre et de chacun des livres de l'auteur n'est pas cet appel constant, répété, troublant, au Jugement, à «l'heure adorable et terrible où nous nous présenterons devant l'autel nuptial du Christ» et où «nous serons jugés sur l'amour» (p. 33).

L'unique sujet, profond, véritable, incontournable des Moins de seize ans n'est pas le sacrilège et l'évocation de la souillure physique mais surtout spirituelle que cet homme indigne inflige à l'une de ses jeunes maîtresses : «Profitant de l'absence de ses parents, nous faisons pour la première fois l'amour dans sa chambre d'enfant, dans son petit lit, parmi ses poupées» (pp. 72-3).

L'unique sujet profond, véritable, évident, scandaleux, n'est pas le détournement parodique du sacré qui peut faire écrire à Gabriel Matzneff, minable chanoine Docre, des horreurs qui devraient le conduire à macérer durant les dernières années de sa vie dans une trappe oubliée où il passera ses journées à demander le pardon de Dieu sans oser ne serait-ce que chuchoter ses prières : «Coucher avec un/une enfant, c'est une expérience hiérophanique, une épreuve baptismale, une aventure sacrée» ou bien : «Pour un esprit religieux, faire l'amour avec un/une enfant, c'est célébrer la divine liturgie, épiclèse, communion au corps et au sang, dithyrambe du seigneur Dionysos» (p. 75).

Le sujet évident, unique, profond des Moins de seize ans et en fait de tous les livres de Gabriel Matzneff n'est pas sa peur, son immense peur de voir l'une de ses chères maîtresses ou cher amant prendre la poudre d'escampette (l'auteur maîtrise la rupture, à laquelle il a consacré un livre, tout comme il nous rappelle ici, plusieurs fois, l'insensibilité amoureuse de certains de ses jeunes compagnons de jeux, cf. p. 60), mais sa peur de s'entendre dire qu'il n'y a pas eu d'amour, mais du sexe et du vice, pas de beauté, mais de la baise sordide face à la «nécessaire clandestinité» (p. 67), grande peur du mal-pensant que celui-ci exorcise comme il peut, par exemple en faisant tenir à sa maîtresse de 15 ans ce discours qui exsude la peur, sous une apparente bonhomie, le bonheur ridicule d'une gamine confondant un vieux pervers avec l'homme de sa future vie de femme : «Mais même si un jour tu devais me faire souffrir, beaucoup souffrir, jamais l'idée ne pourrait seulement m'effleurer de regretter t'avoir connu. Je suis par avance payée au centuple de mon bonheur présent» (p. 51).

L'unique sujet, profond, visible, indéniable, de Gabriel Matzneff n'est pas le seul argument qu'il juge recevable pour interdire la pédérastie, du moins, soyons prudents, la réfréner : «Une femme, à la rigueur, on la prend, puis on la jette; mais c'est un jeu qu'à moins d'être un salaud ont doit s'interdire avec les très jeunes. Quinze ans est l'âge où l'on se tue par désespoir d'amour, ne l'oublions pas» (p. 57). Ne l'oublions pas en effet, et rappelons que des femmes ou des hommes de tout âge peuvent, par amour, tenter de se suicider ou réussir à le faire, et n'oublions pas les innombrables passages des Carnets noirs où Gabriel Matzneff traite comme une chienne l'une de ses maîtresses, surnommé Gilda, jeune femme qu'il sait pourtant fragile psychologiquement, et qu'il n'hésite pas à virer chaque fois qu'il a terminé de la baiser, oh, pardon, ce terme est grossier, choisissons celui, utilisé par l'auteur, de «gamahucher». Mais Gabriel Matzneff n'était sans doute pas, nous pouvons rêver (7), à l'époque où il a écrit ses Moins de seize ans, le Monsieur Ouine d'opérette et dolent qu'il est devenu quelques années plus tard, puisque, dans les années 70, il affirmait et écrivait que le fait d'aimer «un gosse n'a de sens que si cet amour l'aide à s'épanouir, à s'accomplir, à devenir pleinement soi-même, à faire voler en éclats les barreaux de la cage familiale, à repousser d'une main légère les faux devoirs auxquels le société prétend l'assujettir» (p. 65) comme celui, sans doute, d'honorer, par sa piété, une vertu antique que Matzneff devrait connaître, sa mère et son père.

La solitude de Gabriel Matzneff est le sujet de chacun de ses livres, exprimée en termes pathétiques (au sens premier de l'adjectif qui évoque la souffrance) lorsqu'il évoque, et il a raison, le fait que «la société occidentale moderne [...] rejette le pédéraste dans le non-être, royaume des ombres, Katobasiléia» (p. 30), le pédéraste étant «réduit à la fuite, au néant, au royaume de la mort» (p. 31).

La solitude de Gabriel Matzneff est le sujet de ce livre et de tous ses autres livres, lui qui se décrit comme «l'homme du discontinu», «l'homme de l'instant» qui «n'aime pas l'avenir», seul le présent le captivant (p. 63). Il est troublant de constater que c'est justement Gabriel Matzneff qui, il y a quelques années, me conseilla de lire un livre tout à fait remarquable, L'Homme du néant, dont je rendis d'ailleurs compte dans ma série intitulée Langages viciés, ouvrage surprenant dans lequel Max Picard analyse Hitler comme surgeon historique le plus accompli de l'homme creux, c'est-à-dire gonflé de néant, réduit à vivre dans un monde et une époque caractérisés par leur discontinuité radicale.

La solitude de Gabriel Matzneff, sa meilleure compagne, ne cesse-t-il de nous rappeler, et bien évidemment sa pire ennemie, qu'il s'agit de vaincre en multipliant, au long d'une journée, les amours décomposés, en multipliant les maîtresses car non seulement avoir «tenu dans vos bras, baisé, caressé, possédé un garçon de treize ans, une fille de quinze ans» fait paraître «fade, lourd, insipide» tout le reste (p. 69), mais aussi parce que même ces petits plaisirs peuvent, à la longue, surtout lorsqu'ils sont monodiquement répétés et enchaînés depuis des années tout de même, devenir ennuyeux.

La solitude de Gabriel Matzneff non pas tant, comme Richard Millet, dernier écrivain de langue française autoproclamé, que faiseur tout à fait conscient de n'être qu'un faiseur, la petite ritournelle de cet auteur n'étant confondue, après tout, avec une littérature digne de ce nom que par les imbéciles, à savoir toute une partie de la droite blogosphérique branchée qui aime Causeur et les raouts du Cercle cosaque (quoi, vous me dites que c'est la même chose ? En effet, Leroy ou Guillebon ont déjà colonisé ces petites officines de la contestation murrayienne branchée), ainsi que la gauche léoscheerienne, qui n'a pas encore, je crois, été suffisamment caractérisée, bien qu'il s'agisse d'un épiphénomène, comme l'est du reste toute mode. Plus curieux est le soutien du Point où Matzneff signe ses chroniques ridicules, mais il est vrai que Yann Moix, l'un des plus navrants barbouilleurs de la décennie, officie au Figaro pour le bonheur de ses lecteurs, alors...

Solitude du faiseur qui écrit comme il baise, en rigolant et en passant à la suivante ou au suivant : «C'est un trip super-débandant» (p. 70) pour sûr, tout comme l'est aussi, d'un seul point de vue stylistique, la platitude avec laquelle Matzneff évoque la nullité érotique de l'une de ses maîtresses : «Tout ce qu'elle savait faire, c'était écarter les cuisses et attendre que ça se passe. Jamais une initiative, jamais une caresse un peu sensuelle, d'évidence un corps d'homme ça ne l'intéressait ni ne l'excitait, ça la gênait plutôt. Une vraie bûche» (p. 71).

La solitude de Gabriel Matzneff, pur narcissisme et même «fixation autoérotique survenue à l'époque ambiguë de l'adolescence» (8) est l'unique sujet qu'il importe de lire et de critiquer : solitude de celui qui se croit écrivain et n'est qu'écrivant, parfois même cacographe poussif qui, à force de jouer de la flûte comme un moderne Joueur de Hamelin, finit quand même par connaître son unique petit air, grâce auquel il charmera les gosses, les vieilles salopes et les vieux porcs, solitude existentielle du prédateur contraint de se cacher, en France du moins, pour assouvir sa passion pédérastique et même pédophilique, solitude amoureuse de celui qui, à mesure qu'il se transforme en momie coquette, voit ses anciennes proies se transformer en ce qu'il appelle des renégates, solitude intellectuelle de ce Casanova des cours d'école, solitude spirituelle de celui qui, après la publication d'Isaïe réjouis-toi, perdit son «père spirituel» et qui, du moins à l'époque, se déclarait «éloigné de toute vie liturgique et sacramentelle», solitude eschatologique de ce Monsieur Du Paur qui, en baisant des gamins, déclare éprouver la «nostalgie du Christ, né de la Femme et de l'Esprit, adolescent vierge qui transfigure les contraires, sexe divinisé, intégrité retrouvée, plénitude, androgyne primordial, descendu au plus profond de l'enfer pour [le] ressusciter d'entre les morts, tel l'enfant bénie qui un soir d'août a posé sa main fraîche sur [son] front ardent» (p. 115).

Finalement, notre fier entrepreneur de démolitions n'est qu'un pervers lacrymal, qui planque sa trouille et son vice sous des paletots stylistiques et des prétentions littéraires censées frapper de nullité la morale petite-bourgeoise, à laquelle il aspire pourtant tout entier, que chacune de ses jérémiades invoque pour qu'elle daigne le reprendre et lui accorder un pardon mérité.

Finalement, notre Lovelace aux mille et une maîtresses et amants n'est qu'un vieil homme, désormais, qui réclame le jugement et le pardon et fait absolument tout ce qu'il peut pour procrastiner avec ce qu'il sait constituer son unique salut, intime, visible, évident, à savoir : une solitude rédimée qui ne permettra sans doute pas à son œuvre surestimée de survivre, mais qui conférera, peut-être, un semblant d'honneur à un homme qui, par chacun de ses actes et ses écrits, a bafoué cet honneur.

Finalement, notre libre penseur, notre hérésiarque, notre impénitent mécréant n'est qu'un cathare mal dans sa peau, un jouisseur affamé de chasteté et même de continence, un pervertisseur de l'esprit d'enfance qui confond le respect de la pureté et de l'innocence enfantines avec sa fringale comique et pathétique de baiser un Christ à l'image d'un angelot, un Origène qui attire les badauds en levant bien haut une paire de ciseaux avec laquelle il menace de se châtrer, et qu'il range aussitôt dans la poche de son veston jusqu'à son prochain numéro une fois qu'il a reçu un peu d'attention.

Pauvre Gabriel Matzneff, si pressé de jouir comme un bouc en éternelle érection, pauvre diable affamé de grandeur et de cohérence rimbaldienne, spirituelle donc, qui ne tirera même pas le dernier enseignement de celui qui fut son maître, Henry de Montherlant, qui eut l'élégance de ne pas imposer à ses semblables la vision d'un homme se transformant en pourriture libidineuse.

Notes

(1) Le Livre de poche, 2012, p. 96.

(2) Les moins de seize ans (Julliard, coll. Idée fixe, 1974), p. 12. Les pages entre parenthèses renvoient à cette édition.

(3) Truqué car enfin, sauf erreur de ma part, Franz-Olivier Giesbert, un de ces cumulards des honneurs factices à la française (puisqu'il est membre du Siècle, membre de l'Association Universelle des Cultures, membre du jury du Prix P. J. Redouté, du Prix Aujourd'hui, du Prix de la Fondation Mumm, du Prix Louis Pauwels, Président du Prix de la Fondation Alexandre Varenne et membre du Conseil d'Administration de l'Établissement public du Musée du Louvre depuis octobre 2000) qui lui a ouvert les colonnes du Point est aussi membre du jury du Prix Renaudot qui a récompensé son dernier ouvrage paru, Séraphin c'est la fin !.

(4) Lisons l'auteur : «Ces idées fixes, ces passions, ces obsessions, ces expériences nourrissent ma vie, qui elle-même nourrit mes livres, car je n'ai aucune imagination, et je ne puis exprimer sur la page blanche que ce que j'ai vécu, connu, éprouvé» (p. 16). À ce titre, le passage qui suit, et qui développe le fait que des auteurs comme Dostoïevski ou Thomas Mann ont été contraints de passer par la fiction pour mettre en scène leur goût immodéré des enfants, est exemplaire et sans la moindre ambiguïté, Gabriel Matzneff soulignant le fait que, lui au contraire, va ôter son masque à Dionysos, lequel peut «manger le morceau» (p. 17).

(5) «[...] à dix-huit ans passés on n'est plus un enfant; le règne de la pédophilie s'achève, commence celui de l'homosexualité» (p. 25).

(6) «J'ai horreur de Socrate, de Platon, de toute la mélasse sublime dont ils enrobent le désir et le plaisir, j'ai horreur de la pédérastie à prétentions pédagogiques. On peut caresser un jeune garçon sans se croire obligé de lui donner une leçon de maths ou d'histoire-géo dans la demi-heure qui suit. Et qu'on ne nous casse pas les pieds avec l'amour des âmes. L'âme, ça n'existe pas, et si ça existe, ça n'existe qu'incarnée, chair dorée, duveteuse [...]» (p. 32).

(7) Nous pouvons en effet rêver, car Matzneff semble avoir toujours été ce monstre propret et impeccablement vêtu que nous montrent ses plus récentes photographies : «Le plus important service que je puisse rendre à un adolescent, après lui avoir transmis tout ce que je suis capable de lui transmettre, c'est de lui enseigner à se passer de moi» (p. 66).

(8) Gabriel Matzneff cite à la page 81 le professeur Albeaux-Fernet, dans un article du Monde daté du 7 mai 1974.

samedi, 12 mai 2018

La critique du Testament de Dieu de Bernard-Henry Lévy (1979)

mercredi, 19 avril 2017

Les nouveaux néocons: une imposture française?

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Les nouveaux néocons: une imposture française?

 
Ex: http://zejournal.mobi 

On croyait les pompiers pyromanes de Saint-Germain-des-Prés carbonisés par la funeste aventure de leurs mentors américains en Afghanistan et en Irak. Après avoir tenté de propager «leur révolution droit-de-l’hommiste» en Géorgie et en Ukraine et allumé la mèche de l’incendie libyen, les voici de retour. Tous aux abris !

1- La firme BHL et ses grenouillages médiatiques : revue de détails

Après avoir cumulé tant de fiascos, la sagesse aurait voulu qu’ils affichent un profil bas. Chassés piteusement de la porte de l’Histoire, ils reviennent par la fenêtre, en route pour de nouvelles aventures interventionnistes, armés de leurs réseaux au sein de l’establishment parisien.

SOS Racisme, Licra, Urgence Darfour, Urgence Syrie… autant d’acronymes racoleurs pour mieux endormir les masses à coup d’indignations sélectives et sur commande. «Ils», ce sont les néoconservateurs français. Des agents d’influence, directeurs de conscience, intellectuels médiatiques qui picorent dans la main de l’inoxydable milliardaire en francs Bernard-Henri Lévy, dit BHL.

Nombreux ont été les lanceurs d’alerte à démasquer l’imposture de ces faux humanistes, vrais va-t-en-guerre autoproclamés héritiers d’André Malraux ou de Raymond Aron. On ne compte plus les documentaires et ouvrages dévoilant leur discours charriant le vrai, le vraisemblable et le faux. Ils jouissent d’un accès libre dans les médias parisiens amis et partenaires (Le Point, L’Obs, L’Express, Le Monde, Le JDD, Libération, Arte…). Ce qui ne les empêche pas de disposer de leurs propres relais, comme feu la revue Le Meilleur des mondes et son avatar, La Règle du jeu.

Autant de cénacles néoconservateurs bien-pensants dans lesquels les émules de BHL et de Wolfowitz donnent le ton, dessinent les contours et les limites du Bien et du Mal, n’hésitent pas à jeter l’anathème sur le premier «théoricien du complot» venu. Des professionnels du verbe et de la persuasion devant les caméras qui pianotent allègrement leur rengaine sur les maux de l’humanité.

2- Un grand détournement, des anciens soixante huitards maoistes, trotskistes

Anciens soixante-huitards maoïstes, trotskistes, convertis à la fin de la décennie 1960 à la mondialisation heureuse chère à Alain Minc, ces droits-de-l’hommistes, thuriféraires du droit d’Israël à coloniser et réprimer impunément ses indigènes palestiniens, ont compris depuis belle lurette que l’obsessionnel combat contre les fachos et les antisémites de tous bords ne fait plus recette. Aussi assiste-t-on depuis les années 1980 à un habile enfumage, sorte de décloisonnement communautaire en trompe-l’œil destinée à élargir les thèmes et les terrains d’actions. Dans cette galaxie d’ONG (SOS Racisme, Collectif Urgence Darfour, Urgence Syrie, etc.), le procédé est simple :

occuper simultanément et autant que possible le terrain de diverses causes (combat contre la négation des génocides arménien et rwandais, défense des Roms, etc.), coopter des militants extérieurs à leur réseau en échange d’une éphémère visibilité.

3- Benjamin Abtan, L’Egam, un SOS Racisme bis pour l’UE

La scène se passe le 21 septembre 2016 dans le grand amphi Émile-Boutmy de Sciences Po Paris, le même où des années durant l’honorable Dominique Strauss-Kahn dispensait son cours aussi magistral que soporifique.

À la tribune, des représentants des associations estudiantines de Sciences Po, Jeunes Écolo, Jeunes Socialistes, Unef, Uni, Dominique Sopo, président de SOS Racisme, bref le gratin du bobo parisien «progressiste» dans une représentation frisant la caricature. L’ONG European Grassroots Antiracist Movement, ou Egam, chapeaute l’événement. Quoi de plus normal, quand on va à la pêche aux subventions, que de se présenter comme «le» mouvement antiraciste européen par excellence auprès des fonctionnaires de Bruxelles….

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Pour cette conférence sur la Turquie, Benjamin Abtan, maître de cérémonie, et ses amis ont réuni un casting de choix. Le très atlantiste Bernard Kouchner y cohabite avec des responsables politiques et militants associatifs kurdes de Turquie, mais aussi des militants de la société civile (Arméniens, Kurdes gauchisants…) d’Istanbul, des représentants de la communauté arménienne de France, invités à témoigner chacun à tour de rôle sur la scène. Tous dénoncent la violente répression en cours en Turquie et la situation déplorable des minorités. Pas de débat, peu de questions, mais une rivalité dans l’art oratoire de la dénonciation. La mine grave, Benjamin Abtan semble bien rodé à l’exercice.

La lecture de sa fiche sur le site de La Règle du jeu et du réseau Linkedin nous apprend qu’après avoir été élu à la tête de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) de 2005 à 2007 et un court passage dans le conseil en affaires, cet ancien cadre de l’ONG SOS Racisme, proche de Dominique Sopo, a été conseiller des droits de l’homme de Bernard Kouchner lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères.

Nulle mention, par contre, de son passage dans le cabinet de l’ex-garde des Sceaux Christine Taubira. Si ce n’est qu’il est coauteur, en 2007, d’un ouvrage sur le génocide tutsi (Rwanda. Pour un dialogue des mémoires(1)) et s’affiche en défenseur engagé des droits de l’homme, pourfendeur de tous les négationnismes.

Outre l’Egam, qu’il dirige depuis sa création en 2010, Benjamin Abtan a habilement fondé dans la foulée du décès d’Elie Wiesel le «réseau Elie Wiesel», qui se présente comme le «réseau européen de parlementaires pour la prévention des génocides des crimes de masse et contre le négationnisme». À la tête de cet organisme droit de l’homiste, il s’engage, notamment, dans «la défense des Roms, ou encore pour la reconnaissance du génocide arménien»(2). Encore une astuce que d’emprunter le nom de ce rescapé des camps de la mort, hâtivement qualifié de «conscience du xxe siècle», oubliant par là qu’il était également un actif soutien des colons israéliens extrémistes au soir de sa vie.

4- Les «commémorations tours»

Au milieu des années 2000, l’UEJF et SOS Racisme ont initié une nouvelle formule : les «commémorations tours». Le Rwanda d’abord, la Turquie ensuite. Le message est simple et efficace : «pour la solidarité des naufragés contre la concurrence des mémoires», ce nouveau visage du racisme et de l’antisémitisme, comme le martèlent à l’envi Abtan et ses petits camarades de SOS Racisme.

À peine créée, l’Egam a fait du voyage à Istanbul le 24 avril, date de commémoration du génocide des Arméniens de 1915, une sorte de rituel. Sont du voyage des délégations mixtes comprenant des membres de l’Egam et des associations arméniennes de France cooptées (Collectif Van, UGAB).

Si d’aucuns saluent leur courage d’aller crier le mot «génocide» dans la gueule du loup, d’autres s’irritent du militantisme lucratif de ce réseau en apparence trans européen.

C’est notamment le cas d’Araz K., journaliste arménien de Turquie, pour qui les gesticulations d’Abtan dans les rues d’Istanbul ne se font que face à une caméra. «Benjamin fait des pieds et des mains pour pouvoir être le plus proche des caméras. Chaque 24 avril il répète la même scène ; le reste de l’année, on n’entend généralement pas parler de lui», tance-t-il. Il faut bien avoir de quoi justifier les demandes de subventions !

Fin 2014, l’Egam serait parvenue à décrocher une enveloppe du Conseil régional d’Île-de-France de 60.000 euros sur un budget de 121.000 euros, dont 28.000 euros en frais de personnel et 8.400 euros en frais de gestion rien que pour le déplacement d’une délégation à Istanbul pour le centenaire du génocide des Arméniens (3). Juste avant que le Conseil régional passe à droite, en octobre 2015, ils ont attribué à l’Egam 30 000 euros pour le 101e anniversaire du génocide arménien (4). Militant à temps plein, Benjamin Abtan semble être aussi passé dans l’art de maquiller son salaire aux frais des contribuables.

5- Bernard Schalscha et sa microscopique structure «Association France-Syrie Démocratie»

Dans sa stratégie de captation de ressources (matérielles et symboliques), le patron de l’Egam peut compter aussi sur la synergie mise en place avec des structures amies issues de la même mouvance :

SOS Racisme, Licra, Femen, Ni putes ni soumises, UEFJ, Confédération étudiante, Collectif Urgence Darfour…une structure millefeuilles sur laquelle viennent se greffer d’autres organisations chaque fois qu’on a besoin de leur caution symbolique.

Collectif Urgence Darfour, Ibuka, Collectif Van font partie d’un même réseau, et c’est souvent les mêmes personnes qui animent les dynamiques communes. Parmi elles, citons Bernard Schalscha, secrétaire général de l’association France Syrie démocratie (5), structure confidentielle créée de toutes pièces sur le modèle de Collectif Urgence Darfour et membre du comité de rédaction de La Règle du jeu, où il s’exprime notamment sur les questions liées aux droits de l’homme.

Soixante-huitard, «laïcard», obsédé par l’islamisme, son allure faussement négligée contraste avec les chemises impeccablement repassées de son mentor millionnaire. Toujours est-il que cet homme qui parle à l’oreille de BHL parraine le conseil des ex-musulmans, ce groupe d’«athées» fondé en 2013 (6) par le transfuge palestinien Waleed al-Husseini, auteur d’un pamphlet contre l’Autorité palestinienne (7). Du pain béni pour les militants islamophobes de tout poil, à commencer par la sulfureuse Caroline Fourest…(8).

Quand Schalscha est quelque part, son ami de toujours Jacky Mamou n’est jamais bien loin. Cet ancien trotskiste soixante-huitard French doctor en son temps, président de Médecins du Monde de 1996 à 2000, actuellement à la tête du Collectif Urgence Darfour, a le pedigree du parfait néoconservateur assumé, notamment de par sa proximité avec le Cercle de l’Oratoire (9).

Créé au lendemain des attaques du 11 septembre 2011, ce cercle néoconservateur informel d’amis se réunissant pour échanger leurs opinions sur les sujets d’actualité rassemble une palette d’écrivains chercheurs et journalistes atlantistes sous la houlette de l’ancien trotskiste et journaliste franco-israélien Michel Taubmann.

Citons, parmi ses membres, Bernard Kouchner, André Glucksmann (mort en novembre 2015) et son essayiste de fils Raphaël, le philosophe Pascal Bruckner, le consultant et ex-porte-parole de la milice des Forces libanaises en France Antoine Basbous, le géopoliticien Frédéric Encel, le chercheur Bruno Tertrais, le journaliste Philippe Val, ainsi que Mohammed Abdi, ex-secrétaire général de l’association Ni putes ni soumises…

Sans doute Schalscha croit-il en ce que lui et ses amis réalisent au nom d’une certaine conception de la liberté et du respect de la dignité humaine. Aussi, il n’a pas hésité à embrasser l’ardeur des associations engagées dans la promotion du régime de l’ancien président géorgien au milieu des années 2000, comme il l’a fait pour la Syrie(10).

6- Raphael Glucksman et le commerce lucratif en Géorgie et en Ukraine…

Entre les «révolutionnaires» de Tbilissi et ceux de Saint-Germain-des-Prés, la lune de miel a duré tant que le fantasque Mikhaïl Saakachvili, enfant chéri de Washington, était au pouvoir. Depuis, le héros de la révolution des roses de 2003 a échangé sa nationalité géorgienne contre un plat de lentilles américano-ukrainien.

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Déjà en mars 2010, SOS Racisme, dont le responsable de l’international à l’époque n’était autre que Benjamin Abtan, œuvrait en France pour promouvoir la Géorgie alors qu’au même moment Tbilissi menait une politique de discrimination contre les minorités nationales et religieuses du pays, notamment une violente répression policière contre les Arméniens de la région de Samskhe-Djavakhetie.

En dépit des rapports accablants de l’Onu, du Conseil de l’Europe et d’ONG antiracistes de France, rien n’a été fait pour dénoncer ces violences. Bien au contraire! À croire que leurs fréquents déplacements à Tbilissi sur les pas de leur gourou BHL, parti la fleur aux dents sur-le-champ de bataille, n’avaient qu’une finalité :
prendre position contre Moscou, intervenir en faveur des réfugiés de la guerre russo-géorgienne de 2008, et, dans une moindre mesure, cimenter l’alliance entre la Géorgie et Israël.
Dans son communiqué daté du 8 mars 2008, SOS Racisme et l’Union des étudiants juifs de France annonçaient hardiment la tenue d’un «concert de solidarité avec les réfugiés et pour eux un plus grand camp de réfugiés situé à la lisière de la ligne de démarcation d’Abkhazie(11).

À quelques centaines de mètres du FSB et des soldats russes, nous chanterons pour la liberté des réfugiés, avec notamment Youssou N’Dour, MC Solaar, Jane Birkin». Le grand soir des Bobos assoiffés de justice et de liberté…

Derrière cette «solidarité des ébranlés» se cache un juteux contrat liant l’administration Saakachvili à un proche de la bande de Raphaël Glucksmann (12). Ce dernier est du reste peint dans la Règle du jeu par le journaliste Laurent David Samama, soldat de la garde prétorienne de BHL, comme un parfait progressiste antiréac «citoyen du monde, fervent défenseur de l’idée cosmopolite, supranationale et européenne (13)». En cela, Raphaël Glucksmann est le digne fils de son ex-maoïste de père reconverti au néoconservatisme jusqu’à son dernier souffle.

Marié à l’époque à une Géorgienne (14), le jeune et brillant révolutionnaire en herbe conseillait «son ami» le président géorgien, qui avait confié la promotion de son pays à son agence Noé Com, animée par trois jeunes Français qu’on retrouve dans l’entourage de SOS Racisme et de Benjamin Abtan. Aujourd’hui le manège se répète en Ukraine, où BHL et son fidèle Abtan se rendent régulièrement depuis les premières étincelles de l’Euro Maïdan (15) pour soutenir le pouvoir atlantiste en place.

Non sans talent ni force de persuasion (parfois de coercition), les nouveaux néocons occupent le terrain en tissant des relations suivies avec des militants de tous bords dont ils ignoraient à peu près tout du combat. Jusqu’à preuve du contraire, leur opération de com fait recette.

Si leurs «amis indigènes» arméniens, kurdes, roms, tutsis prêtent volontiers leurs noms et leurs contributions symboliques à l’entreprise droit-de-l’hommiste (signature de pétitions, participation à des colloques et conférences, rédaction d’articles dans la Règle du Jeu etc.). S’ils ne sont toujours pas invités à goûter au gâteau, ils se consolent à la lecture d’une tribune dans la presse parisienne.

En témoigne celle coécrite par les copains de SOS Racisme et de l’Egam, dénonçant la lâcheté de Paris qui persiste à minimiser son rôle trouble au cours du génocide de 1994(16). Il y a de quoi! Surtout quand on apprend qu’excédé par leurs mimodrames, le Quai d’Orsay a fini par supprimer sa subvention annuelle à l’Egam. Heureusement qu’il existe encore des amis sincères, comme Harlem Désir à la tête du ministère des Affaires européennes, pour actionner en continu la pompe à financement…

Notes:

1- Coédité par l’UEJF et Albin Michel, cet ouvrage collectif réunit les contributions d’une palette de «néocons» historiques et cooptés autour de Benjamin Abtan : Souâd Belhaddad (caution arabe du projet), Judith Cohen Solal, Frédéric Encel, David Hazan, Richard Prasquier, Patrick de Saint-Exupéry, Dominique Sopo, Christiane Taubira, David Bénazéraf, Arthur Dreyfuss, Jonathan Hayoun et Serge Kamuhinda avec en prime une préface de Bernard Kouchner

(http://www.crif.org/fr/alireavoiraecouter/Rwanda-Pour-un-dialogue-des-memoires-(*)8971)

2- http://laregledujeu.org/contributeur/benjamin-abtan/ 

3- https://www.iledefrance.fr/sites/default/files/mariane/RA... et https://www.iledefrance.fr/sites/default/files/programme_... 

4- http://mariane.iledefrance.fr/cindocwebjsp/temporaryfiles...

5- http://francesyriedemocratie.blogspot.fr/

6- http://www.laicite-republique.org/des-athees-lancent-un-c...

7- Waleed al-Husseini, Blasphémateurs! Les Prisons d’Allah, Grasset, 2015.

8- https://crissementathee.wordpress.com/2015/06/09/le-blasp...

9- Proche du Project for a New American Century (Pnac), le think tank néoconservateur dont étaient issus les principaux membres de l’administration Bush.

10- Son but est de défendre la politique américaine auprès de l’opinion publique, le plus grand danger selon eux étant l’islamisme qu’ils qualifient d’«islamo-fascisme» ou de «fascisme vert», mais fermant les yeux sur les dérives liberticides pratiquées par les États-Unis de l’époque Bush.

11- https://fr.sputniknews.com/international/2015103110192161...

12- http://uejf.org/blog/2010/05/conference-de-presse-de-luej...

13- http://www.ojim.fr/portraits/raphael-glucksmann

14- http://laregledujeu.org/2015/06/02/22258/raphael-glucksma... Il est l’époux d’Eka Zgouladze, vice-ministre de l’Intérieur puis ministre de l’Intérieur en Géorgie sous la présidence de Mikhaïl Saakachvili. Après avoir reçu la nationalité ukrainienne en décembre 2014, elle est nommée quelques jours plus tard vice-ministre de l’Intérieur de l’Ukraine dans le second gouvernement Iatsenouk

15- ( http://www.marianne.net/Georgie-la-french-connection_a223... ) Toujours est-il qu’en 2016, la presse faisait état de la relation de Raphaël Gluksmann avec la journaliste Léa Salamé.

16- http://www.huffingtonpost.fr/benjamin-abtan/adhesion-popu...

17- http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/04/05/rwanda-i...

18- http://www.madaniya.info/2015/04/25/hommage-aux-victimes-... 


- Source : Madaniya

dimanche, 15 novembre 2015

André Glucksman: du maoïsme à l’humanitaire

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André Glucksman: du maoïsme à l’humanitaire

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Les hommages à cet ex-nouveau philosophe mort mercredi affluent de toutes parts. Comme presque tous les hommages, ils sont vides et creux avec cette différence qu’ils ont une étrange résonance lorsqu’on connaît l’histoire des intellectuels parisiens issus de mai 68. Étrange, en effet, parce que l’itinéraire d’André Glucksman interpelle et que, dans les commentaires que j’ai lus ou entendus, je n’ai constaté aucune interrogation, aucun étonnement.

Il est vrai que la mort, aujourd’hui est devenue une grande blanchisseuse qui lisse tout ce qui a été dit et fait par un homme. Il suffit de mourir pour être sanctifié. On en vient à regretter les procès en canonisation avec longue récolte d’informations puis analyses et débats. Au moins, dans l’Église catholique, ce n’est pas parce que quelqu’un meurt qu’il est un saint. Aujourd’hui, dans notre bienheureuse laïcité avec Vincent Peillon comme saint patron, il suffit de mourir pour connaître une assomption jusqu’au plus haut des cieux et recevoir post-mortem les hommages de François Hollande ou d’Angela Merkel.

J’ai une fois demandé à des admirateurs d’un écrivain mort s’ils avaient quelque critique à lui adresser. On m’a jeté un regard noir. Pour eux je crachais dans la soupe ou tirais sur l’ambulance. Soit on porte un homme aux nues soit on le pousse dans les enfers. Quand un homme meurt, comme Glucksman, il est tout de suite béatifié sans procès, à moins que, comme cela est arrivé à tant d’intellectuels de valeur, il ne soit rejeté dans des ténèbres extérieures, sans procès non plus.

Un être qui a vécu, pris position, s’est défendu dans livres et article, comme l’a fait André Glucksman, mérite mieux que cela. Il mérite qu’on s’interroge sur son parcours, et qu’on tente de répondre aux questions qu’il soulève. C’est la meilleure manière de lui rendre hommage. Or le parcours de Glucksman soulève une grave question : du maoïsme, il a passé à l’humanitaire, mais pas seulement. Il est devenu atlantiste, a soutenu l’intervention américaine en Irak et même Nicolas Sarkozy en 2007. Cela aurait dû faire obstacle à sa béatification par les intellectuels parisiens, mais non ! Il est mort, on le lisse !

gluck1,204,203,200_.jpgGlucksman a été l’assistant de Raymond Aron et après est devenu maoïste. Pour moi qui ai été élève d’Aron, il y a là quelque chose d’incompréhensible, parce que j’appelle Aron  aujourd’hui, avec tendresse et admiration, mon caisson de décontamination. Il m’a permis de sortir des délires révolutionnaires ou messianiques dans lesquels je m’étais égaré. Eh bien, il semble que sur Glucksman, Aron a eu l’effet inverse puisque c’est après avoir été son assistant qu’il est entré dans le plus fanatique des mouvements du vingtième siècle, le maoïsme. Il n’est pas possible qu’Aron, modèle de douceur et d’intelligence critique, ait fait de lui le « disciple » d’un monstre comme Mao devant qui Gengis Khan et Attila sont des enfants de cœur. Comment Glucksman (si sensible à la misère humaine après sa période maoïste) a-t-il pu s’associer à un mouvement qui glorifiait l’un des plus grands tueurs de l’histoire ? Il ne s’agit pas de l’accabler mais de s’interroger sur cette métamorphose. Ce qui me frappe est que ni lui, ni ses amis, dont plusieurs ont été  impliqués dans le maoïsme, ne s’interrogent là-dessus. Ils se contentent de dire que Soljenitsyne leur a ouvert les yeux sur le totalitarisme. Tant mieux, mais c’est court.

Comment passe-t-on, comme Glucksman, de l’adoration d’un régime totalitaire, comme l’a été le maoïsme, à l’humanitaire ? Cette question reste sans réponse chez les intellectuels parisiens qui tournent en rond dans leurs concepts. Pour comprendre le totalitarisme, il faut sortir des concepts et voir que le totalitarisme n’est pas une dictature. Il ne tombe pas du ciel comme un météore. L’oppression totalitaire ne vient pas de l’extérieur mais sait rendre les hommes complices ou collabos de ce qui les opprime.

De ce régime abominable, Alain Besançon dit qu’il est une « bête nouvelle ». Pour lui, l’Église n’a pas su voir cette bête. Les intellectuels parisiens non plus. Pourquoi cette bête est-elle nouvelle ?

Au corps politique, elle inocule un virus aussi inattendu que le sida. Les lignes entre bourreaux et victimes deviennent floues, les premiers se retrouvant à la place des seconds ou inversement, comme sur une bande de Moebius où le recto devient verso sans qu’on s’en rende compte. Quel est le ressort secret de ce mécanisme satanique ?

Il est que le totalitarisme sait tourner à son profit  notre plus profonde aspiration, celle qui nous fait nous élancer vers ce que les chrétiens appellent le « royaume ». Il explique aux futurs bourreaux et victimes qu’il va, avec leur concours, les amener au paradis. Tous les hommes aspirent au paradis (rebaptisé société sans classe sur les fonts baptismaux de la révolution). Cette aspiration est si forte qu’elle peut conduire au sacrifice, à l’immolation de soi. Pour comprendre ces choses, il faut quitter le paradigme libéral dans lequel on ne peut pas imaginer d’autre moteur aux actions humaines que le désir d’améliorer son bien-être,  sa qualité de vie. Le totalitarisme ne s’appuie pas là-dessus mais sur l’aspiration à un autre monde. En d’autres termes, il s’appuie sur ce qu’il y a de plus sacré en l’homme pour progresser. Par-là, il est infiniment pervers.

Voilà ce que Glucksman n’a pas compris et que n’a pas non plus compris la grande majorité des intellectuels aujourd’hui. Pas étonnant puisque, pour comprendre, il faut entrer dans le domaine du religieux ou du sacré, domaine dans lequel les esprits éclairés, laïques, émancipés, ne veulent pas entrer ou ont peur d’entrer.

Dans ce domaine, André Glucksman n’est pas non plus entré. Significativement il a glissé brutalement du rêve d’une révolution mondiale à l’humanitaire. C’est par là qu’il est retombé dans le paradigme de la modernité pour lequel seuls comptent les besoins, terrestres. Peut-être pas, pour lui, la qualité de la vie, mais en tout cas la survie à tout prix. Quand on a perdu ses rêves révolutionnaires, seule reste la misère du monde et l’engagement pour la faire diminuer. On passe du rêve d’un homme nouveau à la guérison du malheur des hommes par le biais des droits de l’homme ou l’aide au développement. Rony Braumann, ancien maoïste et ancien président de Médecins sans frontières a  connu le même parcours. Ce désir de sauver les hommes paraît noble, mais on peut se demander, avec Benoît XVI, s’il n’a pas des effets désastreux. Pour ce pape, en effet, les droits de l’homme et l’aide au développement, en voulant changer en pain les pierres de la misère ou de l’injustice, ont finalement donné des pierres à la place du pain.

Il doit y avoir un lien entre le maoïsme (le fanatisme révolutionnaire) et l’humanitaire, mais lequel ?  Tout ce que je trouve est que l’un et l’autre proviennent du désir de changer ou sauver le monde. C’est peut-être à ce désir qu’il faut renoncer pour faire un peu de bien, comme Mère Theresa. André Glucksman, lui, n’y a pas renoncé.

Jan Marejko, 12 novembre 2015

dimanche, 09 octobre 2011

Stuff Our Betters Like

Stuff Our Betters Like

By James J. O'Meara

Ex: http://www.counter-currents.com/

Olivier Magny
Stuff Parisians Like: Discovering the Quoi in the Je Ne Sais Quoi [2]
New York: Berkley, 2011.

Chris Lehmann
Rich People Things: Real-Life Secrets of the Predator Class [3]
Chicago: Haymarket Books, 2011.

Considering how Christian Lander’s Stuff White People Like, first the blog, then the book, then the sequel, created more than a little frisson among the NPR crowd (see the Counter-Currents reviews here [4] and here [5]) it’s surprising we haven’t seen more knock-offs or outright parodies (along the lines of The Job of Sex or Bored of the Rings); in fact, as far as I know, these are the very first (not counting the rather differently intended but invaluable provocateur of White consciousness, Stuff Black People Don‘t Like [6]).

Stuff Parisians Like shares its title and numbered format with SWPL. Turns out, it’s an excellent format for studying le vie Parisiene, since “reaching a form of happiness in Paris” (the Parisiene is never just “happy” like an American — despite “the fact that all Parisians deliberately wear American clothes, watch American movies, listen to American music, use American words or fantasize about American celebrities . . . when hearing the phrase “Les Américains”, the Parisian will implacably … just be taken over by one overpowering thought . . . “Oui, mais les Américains, ils sont cons”) entails “internalizing certain codes and refusing certain habits” (p. 75).

But while Lander writes as a mildly cynical member of the group, establishing, as the more perceptive reviewers noted, his credentials precisely by gently mocking but never really challenging his group’s tastes and ideas (WASPs do love self-criticism and faux objectivity, after all!), Magny writes as a Parisian, oui, (apparently a restaurateur and oenophile no less, to judge from his website, where you can “Optimize your future interactions with Homo Parisianus [by] browsing the full list of Stuff Parisians Like [7]”), but with a difference; he disagrees heartily with his confreres, and seems to be something of a . . . well, conservative, I guess. Horreurs!

Which comes first, the dyspeptic view or the conservatism, is a toss up. Suffice to say, it makes for some very penetrating observations about an urban type that has not only fascinated Americans, but also seems remarkably like some of our own domestic species.

Thus while filled with cultural tidbits such as

  • Fans of “continental dining” should beware that the cheese course has given way to just coffee, although the addition of a little beurre sale [8] will make the sweetest concoction acceptably ascetic;
  • Wine, too is passé; lunch means water – San Pellegrino, or San-Pé [9], to the American’s amusement – dinner perhaps beer, a party definitely only hard liquor;
  • License plate numbers reveal the driver’s place of origin [10] as well as their character; the very best is 75 – Paris, of course – and the others ‘smell of mud’ or ‘depression’ in various numerical ratios, while also revealing their driving habits — “C’est ce con de 27 qui bloque tout le monde depuis deux heures.”

along with some surprises — the Parisian despises artists [11], who are perceived as lazy and un-credentialed (state-funded art degrees are almost unknown, a pretty good idea it seems to me) unlike the busy graduates of the grandes Ecoles [12]; the Parisian loves not art but his idea of France’s cultural heritage — and stuff you only need to have read an Edmund White to know — the L’ile Saint-Louis [13] is the place to be! The Luxembourg Gardens [14] are the place to be seen! — we also learn that

Parisians have an opinion about most things, thus making it clear they have a significant knowledge about most things in life.

Having theories takes this to the next level.

Theories prove that not only does the Parisian have more information and knowledge than other people, but he also processed that information through his own personal filter. The superiority filter. Parisians will use theory after theory but never warning that these are theories. Other people, including Parisians, will be fooled and will inevitably reach the conclusion that this Parisian is extremely cultivé and intelligent.

It is important to realize that very few Parisians form their own theories. Most Parisians repeat theories they heard on TV, or from their really smart uncle. No actual credit is ever given to the actual source. The actual source is always the Parisian. (pp. 89-90)

Theories, of course, are not facts; who needs facts when you have theories?

The Parisian, no matter how much he is into freedom of mind and against propaganda, rarely bothers to double-check his facts. He remains vastly foreign to elements that might otherwise feed and qualify his reflections. (p. 254)

While the American Leftist might have an opinion about, say, the Dalai Lama, the Parisian has a theory:

Le Dalai Lama is good. China is bad. Amen.

And that leads to some stuff those on the Alternative Right, or even non-Democrats, will recognize:

Worldwide, a fascist is a follower or an admirer of the pre-WWII Italian Fascist regime.

In Paris, a fascist is anyone who disagrees with a Parisian and makes a point.

The rarest use of the word facho is to define extreme right wing people. More common use of the word is to be found in situations when someone expresses beliefs and thoughts that are unacceptable to Parisians. The more brutally true the statement is, the more facho the person who says it is.

Calling someone a facho is a fantastic way for Parisians to win a conversation. [See “Winning Conversations [15]”]. When a Parisian’s dabbling is countered by superior, non-PC, implacable reasoning, the opponent will be called a facho. To seal the victory, the Parisian will say, “On peut pas discuter avec toi.” And walk away. Victory. (pp. 169-70)

Or, as Charlie Sheen would say, “Winning!”

Interestingly, both “Calling People Fachos” and “Le Dalai Lama” are not part of the “complete” list on his website; as he says himself:

If your opinion is susceptible to reach a significant number of people through a given media, Parisians will start a petition against you. It’s best to behave really . . .

One reviewer has suggested that the book’s disparaging remarks about Parisian nightlife and parties are a cheap attempt to drum up business for his wine bar. These more political passages, and his reticence about them, lead me to think he knows his Parisians too well.

Do not support small businesses — that will make you a fascist.

Dressed in black [16] and lacking testosterone ["There are three types of males in Paris: the gay-looking homosexuals, the gay-looking heterosexuals, and men over fifty"], the Parisian may seem familiar; didn’t we meet them that time in New York?

Calling people beaufs is a wonderful thing for Parisians. It allows them to assert conveniently their superiority while not going through the trouble of enduring a painstaking analysis that might lead them to interrogations about themselves or others.

But of course, it would be too easy to mock the beauf (the “redneck” if you will) for wearing white socks [17] or liking football.

Superior perceived social status is acquired by mocking habits and attitudes that are typical of upper class or even better – rich people. “He’s spending the weekend in Deauville? Can’t believe it, quel beauf!”; “Is he really driving a Hummer? Quel gros beauf!” By striking his audience with an unsuspected beauf designation, the Parisian scores serious social points: “Did he really take his nephew to Disney Land? Quel beauf!” The ultimate goal is to make all the people surrounding the Parisian wonder if, compared to him, they are not ultimately complete beaufs. (p. 7)

Le Beauf Americain

Yes, indeed, the New York State of Mind, and the feeling is mutual:

Paris is every Parisians’ wife. New York is their mistress. Parisians know how living with your wife gets old.

NY gear is very popular, especially amongst the younger generation of Parisians. The I Love New York T-shirt is a must. Worn properly, it is considered very chic in Paris. Less stylish people will opt for a NYPD T shirt. FDNY gear is exclusively reserved for the gay community in Paris. (p. 130)

Each section ends with a Helpful Tip (“When in doubt, just say putain”) and instructions on how to “Sound Like a Parisian” (which, I am sure, must contain its share of booby traps).

* * *

[18]Chris Lehmann’s Rich People Things, from its title to its cover to its number system, is clearly another SWPL title, but he and even his publishers make no mention of the earlier books; Lehmann claims his online column “began life as an afterthought title without any particular mission statement.” It’s a bit odd, considering his (well deserved) savaging of Chris Anderson (# 11. Wired Magazine) for mistaking his upstream rent-seeking for a new paradigm of free information.

Whatever. Lehmann seems part of what we might call the “unattached Left”; unattached, that is, to the conventional Democratic Party and its personality cult. No Obama-worshiping minion, he. (Unlike the Parisian, who very much likes Obama: his election proves the Parisian is right, there is no problem with immigrants, only racist fachos — see Magny‘s penultimate item.)

Thus, his targets and criticisms will be shared by many on the Alternative Right. He even quotes Steven Pinker — favorably! No paradox this; if one thinks of the traditional Left/Right field as a ping pong table, those not playing the game and just standing around share a space around it, and thus have more in common with each other than with either “player.”

He takes as his theme class analysis, not identity politics, and Americans’ peculiar lack thereof (boasted about, as Americans always find their limitations to be a source of perverse pride, as “our Exceptionalism;” Americans are proud to let everyone know they are very ‘special’ as they ride on the short bus of nations). And his targets are what takes the place — literally displaces, as a obscuring ideology — of class analysis: the “free markets and free men” mythology. So his topics tend to fall into two categories: economic myths (low taxes create jobs), and the mythical triumphant “individuals” (from Ayn Rand to Facebook and the aforementioned Wired) whose stories are thrown out by the system like squid ink.

Speaking of Rand, his chapter strikes me as one of the best objective (if you will) analyses of her work. His analysis hits the exact point where Rand gains her influence; starting out from the rather conventional standpoint of Nietzschean individualism (We the Living could even be filmed in Mussolini’s Italy) she hits the jackpot when she connects to the Horatio Alger myth of the Robber Baron era. By transposing individualism from the deterministic realm of nature to the marketplace of “free choice,” she allows her readers to vicariously imagine themselves (of course, who thinks of the Master Race without thinking oneself part of it?) being able, not so much to be heroes as to recognize them (most of us, after all, are mediocre but loyal Eddies not heroic Galts) and by serving them (buying their products and lowering their taxes) avoid the unforgivable sin of siding with the looters.

In general, Lehmann seems to be able to mouth the usual PC cliches, say, about the “genuine virtues of openness and diversity” while pointing out that:

These qualities form the basis of the twenty-first century’s corporate managerial mindset . . . a more diverse and culturally tolerant world is also a far more market-friendly world. It’s also, far from coincidentally, a world in which wealth and income disparity never seem to achieve the same vaunted status as cultural and gender diversity. (pp. 82-83)

This is not to say that Lehmann is a Traditionalist. For one thing, his good-thinking Liberal credentials show in an obsession with the Catholic Church as the citadel, or at least syneccdoche, of evil. The very first line reads:

American class privilege is very much like the idea of sex in a Catholic school — it’s not supposed to exist in the first place, but once it presents itself in your mind’s eye you realize that it’s everywhere.

My, what an original trope!

Later, he can’t even express his loathing and contempt for corporate (and, he fails to observe, Judaicly) backed frauds like Damien Hirst without making this outburst:

[W]e have entered an aesthetic universe every bit as blinkered and morally obtuse as that of the Catholic Church, when it elected to suppress classical composers in the wake of the Napoleonic Wars out of the conviction that they presented an urgent Jacobin threat to the established order of things. (p. 104)

[19]

This makes Lehmann think of Palestrina

I can’t be bothered to research this, but does anyone remember some papal bull condemning equal temperament? Myself, I get my history from fiction, and I remember Huysmans, in his Catholic phase, bemoaning the Church’s replacement of Gregorian chant with half-assed operatics by Gonoud and Faure (long before the LP-driven fashion for it, Huysmans was promoting the reconstruction work of the Abbey of Solesmes, which contributed to our more recent “early music” revival). One wants to say, like one of Lehmann’s landsmen, “from your mouth to God’s ear”; if only the Church had, successfully, stamped out that demonic manifestation known as “classical music”; see Evola in Ride the Tiger, or even Colin Wilson: passing from Mozart to Beethoven, one is wearied by all the table-pounding; or Delius: a preference for Mozart over Beethoven was his test of a new acquaintance’s cultural level.

If you can ignore the weird, unmotivated Catholic bashing, and the recurrent genuflection to PC orthodoxy, the reader on the Alternative or Traditionalist Right will be able to find much useful historical and critical discussion of our most contemporary economic and cultural busybodies and nuisances, from Malcolm Gladwell to Alan Greenspan to Frank Gehry.

However, it lacks any information on food and drink, and above all, don’t quote any of it to a Parisian.

Source: http://jamesjomeara.blogspot.com/ [20]

 


Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

URL to article: http://www.counter-currents.com/2011/10/stuff-our-betters-like/

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lundi, 07 février 2011

More Pie for Monsieur Lévy

More Pie for Monsieur Lévy

by Taki Theodoracopulos

Ex: http://takimag.com/

BHLarton492-139x190.jpgAbout fifteen years ago I received a very polite letter from Belgium asking me to list three of the most pompous and self-important people in the UK. It came with a self-addressed return envelope and stamp. The writer was known as l’entarteur, a man who would approach the pompous and vainglorious and shove a pie in their face. He would never insult the victims nor use foul language—in fact, he always remained silent—and he assured me in his letter that he used only the finest ingredients and freshest milk in his pies.

The first potential target who came to my mind was Edward Heath, but I immediately took his name off the list. Heath was too bloated, his face too red, and the last thing I wished was for him to have a stroke while covered in a lemon-meringue pie. L’entarteur agreed, and we started a lively correspondence. One of the candidates I submitted was not a Brit, but Algerian-born Frog Bernard-Henri Lévy, whom my Belgian buddy had already pelted with pies on at least three occasions. Four is a good round number, suggested yours truly.

One month later at the airport in Nice Lévy got blasted by l’entarteur like never before. The pie was giant size, and the cream made him look like a Yeti while he fumbled around and screamed bloody murder. Then les gendarmes interfered and arrested my friend, who offered no resistance. One thing the onlookers noticed was that the fuzz had trouble making the arrest because they were laughing so hard. Led in front of a judge, my NBF promised he would no longer throw pies on BHL (as the pompous Lévy is known in the land of cheese) and was let off with a fine for disturbing the peace. We lost touch with each other after that.

“There are those, mind you, who take Lévy seriously—French image-makers, PR hucksters, and other such modern pests—but serious people do not.”

gloupier.jpgLast week I almost got on a plane to Paris to help continue my Belgian friend’s good work, but I got lazy and went skiing instead. There is no pie big enough to make the bum BHL mend his wicked ways. His latest outrage involves Stéphane Hessel, a German-born Jew whose father emigrated to France in 1924 when Stéphane was seven. Hessel’s father was the model of one of the two lovers in Jules et Jim, the novel which later became a very popular film. Stéphane served in the French Army, became a prisoner of war, escaped, and joined de Gaulle. Dispatched to France to help organize the Resistance, he was captured, tortured, and sent to Buchenwald. While being transferred to Bergen-Belsen, he escaped again.

After the war he was named ambassador and worked with the United Nations. Honors and awards followed. Late last year—his 93rd—he published his book Be Indignant!, his defense of Palestinians under brutal Israeli occupation. The book became an overnight bestseller, moving 600,000 copies in three months. (Charles Glass Books, an imprint of London’s Quartet Books, has landed the UK rights and will publish it shortly.)

StephaneHessel.jpgHessel’s alma mater, the École Normale Supérieure, invited him to speak to the students. Then a pro-Israeli website objected. In comes our hero, Bernard-Henri Lévy, the multi-millionaire son of an Algerian timber tycoon, and one whose father I am sure never donned a military uniform for France or any other country. Lévy objected virulently to Hessel’s invitation, and the 93-year-old was silenced.

Well, I have not been silenced. I met the self-publicist and self-proclaimed philosopher once, and it was not pleasant. His trademark white shirt open to his navel was there for all to see—in the French Embassy, of all places—and his current squeeze, a blonde with whom I used to step out, introduced us. Lévy tried to stare me down like bullies do in sleazy clubs, but it didn’t work. I know how to handle phonies, and he’s as phony as they come. There are those, mind you, who take Lévy seriously—French image-makers, PR hucksters, and other such modern pests—but serious people do not. As a historian BHL has offered a very dark picture of French history in an attempt to draw attention to himself as an independent thinker. He is nothing of the kind and has never come up with a single philosophical proposition. In fact, he has been caught in his refutation of Kant quoting “the famous French philosopher Botul,” naively falling for a spoof perpetrated by a journalist who’d had enough of BHL’s phony pomposity.

Although I regret not having shoved a pie in his face, or a knuckle sandwich for that matter, what he did to the Pearl family deserved much more than lemon pies. BHL wrote a very bad book on Daniel Pearl’s murder but fictionalized it to the extent that Pearl’s widow and family were outraged, accusing Lévy’s ego of getting in the way of the truth. BHL’s methods are vile and, in the case of Israeli outrages against unarmed Palestinians, downright disgusting. No outrage by Israeli Zionists has ever caught his attention, but the moment the 93-year-old Hessel’s name came up, there was BHL, peacock-like, denouncing a fellow Jew who fought for his adopted country against the Nazis and suffered as a result.

Such are the joys of modern celebrities posing as hommes sérieux. BHL is a boaster and an impostor, a shameless publicity freak who has given philosophy a bad smell. We need to bake more pies. In a better world, he’d be eating knuckle sandwiches.

samedi, 29 janvier 2011

Les dernières frasques libertaires et déontologiques de BHL

Les dernières frasques libertaires et déontologiques de BHL

Ex: http://www.acrimed.org/article3520.html

BHL_par_Mor-2-cece2.jpgEncore BHL ? Oui, encore ! Mais pourquoi un tel acharnement ? Parce que l’année 2011 débute en fanfare pour le philosophe en chemise blanche, décidément sur tous les fronts. Et parce que cette fausse grandeur est en charge de la surveillance de plusieurs médias. Pauvres médias !

BHL a-t-il aidé à la censure de Stéphane Hessel ?

C’est en tout cas ce qu’affirme Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), dans un éditorial publié le 13 janvier sur le site du Crif. Richard Prasquier se félicite de l’annulation d’une conférence qui devait se dérouler à l’Ecole normale supérieure, en présence de Stéphane Hessel, mais aussi, entre autres, d’Elisabeth Guigou, de Benoît Hurel (Syndicat de la magistrature), de Leïla Shahid (représentante de la Palestine à Bruxelles) ou encore de Michel Warshawski (militant israélien). Le thème de la conférence était la solidarité avec les militants de la campagne de boycott d’Israël poursuivis en justice.

Le CRIF affirme que c’est grâce à son action que la directrice de l’ENS, Monique Canto-Sperber, a décidé d’annuler la conférence. Et, au détour d’une phrase, rend hommage à Valérie Pécresse, au rectorat de Paris, « ainsi qu’à Claude Cohen Tanoudij, prix Nobel de Physique, Bernard Henri Lévy et Alain Finkielkraut, tous anciens élèves de l’Ecole normale supérieure ». La phrase ne souffre d’aucune ambiguité : les trois « anciens » seraient, comme la ministre et le rectorat, intervenus auprès de la direction de l’ENS. BHL, ami d’Israël, aurait-il participé de près ou de loin à ce qui ressemble à s’y méprendre à une atteinte à la liberté d’expression ?

Pendant cinq jours, BHL ne réagit pas à l’éditorial de Richard Prasquier. C’est le 18 janvier, alors que « l’affaire » commence à faire du « buzz » (nous y reviendrons dans un prochain article), qu’il se signale. D’une curieuse manière. C’est en effet au Nouvel Obs, et non au Crif, que BHL fait parvenir le démenti qui suit :

« Je rentre des Etats-Unis et apprends qu’un débat autour de l’opération BDS a été annulé à l’Ecole normale. Contrairement à ce que laisse entendre votre site, je ne suis intervenu ni auprès de madame Canto-Sperber ni auprès de quiconque pour recommander l’annulation de ce débat. Je suis, par principe, même et surtout quand le désaccord est profond, partisan de la confrontation des points de vue – pas de leur "annulation" ».

Dont acte.

Dont acte ? Ou presque.

De deux choses l’une :
– soit le Crif dit la vérité, et BHL tente désespérément de se démarquer de cette initiative peu glorieuse, probablement en raison du « buzz » qu’elle a suscité ;
– soit le Crif ment. Mais dans ce cas, pourquoi BHL qui, chacun le sait, se sent très concerné par tout ce qui le concerne, a-t-il attendu cinq jours avant de réagir ? Pourquoi ne pas avoir exigé qu’un erratum soit publié sur le site de ceux qui sont à la source de cette « mauvaise » information, et non sur le site du Nouvel Obs, qui s’est contenté de la relayer ? Et pourquoi Richard Prasquier n’a-t-il pas, à l’heure où nous écrivons, changé la moindre virgule de son éditorial du 13 janvier ?

Autant de questions qui, pour l’instant, demeurent sans réponse. On ne doute pas que l’affaire ne manquera pas de connaître de nouveaux développements et rebondissements. A l’image d’une autre affaire impliquant BHL, celle qui l’oppose à Bernard Cassen.

BHL salit de nouveau Bernard Cassen...

Nous l’avions rapporté dans un précédent article : dans son Bloc-notes du 23 décembre, BHL commettait une bourde infamante : confondre, en évoquant les « Assises contre l’islamisation de l’Europe », Bernard Cassen, ancien directeur du Monde diplomatique, et Pierre Cassen, animateur de Riposte laïque. Cette utile confusion avait permis à Bernard-Henri de remettre au goût du jour l’un de ses thèmes favoris : les passerelles entre « rouges » et « bruns ». Si la bourde a été rapidement corrigée, BHL n’a toujours pas présenté ses excuses à Bernard Cassen. Bien au contraire...

En effet, dans son Bloc-notes du 6 janvier, il remet le couvert, évoquant « le double procès que [lui] intentent, pour le même article, un groupuscule d’extrême droite et un ancien du Monde diplo ». Par un (pas très) subtil procédé rhétorique, BHL réussit finalement là où il avait échoué deux semaines plus tôt : amalgamer Bernard Cassen et l’extrême droite. L’usage de l’expression « double procès  » est en effet lourde de sens : Cassen et le Bloc identitaire n’étaient peut-être pas côte à côte aux « assises », mais ils le sont désormais dans une croisade commune contre le philosophe en chemise blanche. En somme, BHL, adepte de la prophétie auto-réalisatrice, avait raison avant tout le monde. Soyons certains que cette clairvoyance ne manquerait pas, si l’affaire devait prendre une tournure judiciaire, d’être saluée par les tribunaux.

… et offre une tribune au Bloc identitaire

Tribunaux que la direction du Point semble vouloir éviter, puisqu’elle a accordé au Bloc identitaire, sympathique groupement de jeunes gens épris de valeurs progressistes, un droit de réponse aux approximations de Bernard-Henri Lévy. Comme nous l’avions signalé, l’accusation de « tentative d’assassinat contre Jacques Chirac » portée contre cette organisation était des plus contestables : le Bloc identitaire en tant que tel n’existait pas à l’époque, et c’est Maxime Brunerie, un proche de l’ancêtre du Bloc, Unité radicale, qui avait tenté de tirer sur le chef de l’Etat.

Le Bloc identitaire a donc pu, grâce à la rigueur de BHL, s’adresser, entre autres, au lectorat du Point. Une audience quantitativement inédite pour une organisation qui, bien qu’elle récuse le terme de groupuscule, n’a pas franchement pignon sur rue. Et même si Bernard-Henri a rédigé une « mise au point » à la suite du droit de réponse, le résultat est là : BHL aura offert, à cause de la démesure et de l’emphase habituelles de ses propos, une formidable tribune au Bloc, sans aucun doute ravi de cette publicité à moindres frais. Nous présentons à BHL toutes nos félicitations, auxquelles nous nous empressons d’en ajouter d’autres, au sujet de son courage et de sa lucidité quant à la révolution tunisienne.

BHL et la Tunisie, épisode 1 : le résistant de la 26e heure

Les quelques motivés qui suivent l’actualité du philosophe médiatique ont constaté qu’il a été, durant de longues semaines, silencieux sur la situation en Tunisie. Et soudain, le miracle est arrivé.

Le 13 janvier, (veille du départ de Ben Ali), depuis les États-Unis où il se trouve alors, Bernard-Henri Lévy lance – sur l’antenne d’Europe 1 – un appel dont le retentissement dépasse, et de loin, l’Appel de Londres lancé par le général de Gaulle. Le site « officieux » de BHL se charge, dès le lendemain, de mettre en valeur cette initiative. Les bonnes causes sont avant tout celles qui sont bonnes à la promotion de BHL-Moi-Je. 

Extrait : « Les Tunisiens vivent leur 1789. Et Bernard-Henri Lévy est de ceux qui ont compris que, pour gagner une bataille comme celle-ci, le Net est aujourd’hui un outil incontournable. Il sait les risques juridiques qu’il prend. Mais que faisaient d’autres ceux et celles de ses aînées qui, naguère, signaient des appels pour l’avortement ou pour l’insoumission dans la guerre d’Algérie. C’est la même logique, toujours ». Quand BHL ne met pas lui-même en scène sa légendaire modestie, ses amis se chargent de le faire pour lui.

Mais quelle est donc la prouesse qui nous a valu ce modeste éloge ? Le résistant BHL a posté un message sur Twitter via le compte de sa revue La règle du jeu : « Hackers de tous les pays, unissez-vous. Soutenez les Anonymous. Piratez, bloquez les sites officiels de la Tunisie de Ben Ali. BHL ». Les Anonymous sont des hackers qui, depuis plusieurs semaines, multipliaient les attaques informatiques contre les sites du régime tunisien… sans avoir attendu le réveil de BHL.

Et pourtant, toujours sur le site, on apprend que, malgré le retard à l’allumage de BHL, son « Tweet » « a fait le tour de la Toile ». Vérification faite, le tour fut rapide, comme en témoigne cette capture d’écran, réalisée plus de quarante-huit heures après la publication de l’appel :

 

Un écho international à la hauteur du courage de Bernard-Henri, résistant de la vingt-sixième heure.

BHL et la Tunisie, épisode 2 : Arabes, musulmans, même combat !

Après la chute de Ben Ali, Bernard-Henri ne tient plus en place. Dans son Bloc-notes du 18 janvier, titré « Leçons tunisiennes », il tire, à chaud, ses premiers bilans de la révolte populaire. On apprend ainsi que l’un des éléments notables du soulèvement tunisien est qu’il s’agit d’une « insurrection arabe » (c’est la deuxième « leçon ») : « Eh oui. Rappelez-vous ceux qui nous disaient qu’il y a des peuples faits pour la révolte et d’autres qui ne le sont pas ». Pour BHL, les événements de Tunisie sont la démonstration qu’il n’y a pas de peuple imperméable aux principes démocratiques : « les principes démocratiques sont des principes universels ». Même les Arabes, donc ! Saluons le courage avec lequel Bernard-Henri se défend contre la droite xénophobe et néo-coloniale...

Suit alors une prophétie quasi planétaire : « Aujourd’hui, la Tunisie. Demain, la Libye de Kadhafi. La Syrie de la famille Assad. Peut-être l’Iran d’Ahmadinejad ». Une déclaration qui nous vaudra peut-être un erratum de plus puisque, cher Bernard-Henri, les Iraniens ne sont pas Arabes : ce sont des Perses. Mais c’est vrai qu’après tout la majorité d’entre eux sont aussi des musulmans. L’amalgame est d’autant plus fâcheux qu’il est courant chez ceux que BHL prétend pourfendre dans sa chronique, « ces apôtres de la guerre des civilisations pour qui l’idée même d’un pays musulman et, en particulier, arabe ouvert aux droits de l’homme était une contradiction dans les termes ». On espère que Bernard-Henri saura, avant de nous infliger ses prochaines « leçons » politico-philosophiques, réviser ses leçons d’histoire-géographie.

Selon les fans de BHL, BHL triomphe aux Etats-Unis

Cette approximation est peut-être une conséquence de l’épuisant séjour de BHL aux États-Unis, destiné à promouvoir le livre coécrit avec Michel Houellebecq, Ennemis publics : une tournée qui, d’après le site de la revue de BHL, fut, comme l’annonce le titre de l’article qui lui est consacré, un « Triomphe, aux USA, pour Bernard-Henri Lévy et Michel Houellebecq ». Promotion réussie d’un livre, dont on nous dit qu’ « il semble qu’il soit parti pour faire un tabac ».

En témoigneraient, notamment, les critiques de la presse écrite états-unienne. Maria de França, qui a signé l’article de La règle du jeu, mentionne ainsi « la critique, excellente, signée par Sam Munson dans le Wall Street Journal ». Une critique, il est vrai, plutôt élogieuse. Puis l’article évoque « Les deux critiques, moins favorables mais importantes, signées, dans le New-York Times, par Dwight Garner (page culturelle quotidienne) et Ian Buruma (supplément Livres du week end) ».

Les extraits qui suivent, tirés de la critique de Ian Buruma, montrent ce que La règle du jeu appelle une critique « moins favorable » :

« On peut lire ce livre, un dialogue entre deux célèbres auteurs français, comme un roman comique, une brillante satire traitant de la vanité des écrivains […] ».

« Le running gag qui imprègne l’ensemble de la discussion est cette vaine prétention selon laquelle BHL, l’intellectuel le plus célébré et le plus médiatique [1] en France, et […] l’auteur de best-sellers Michel Houellebecq seraient détestés, persécutés et méprisés par à peu près tout le monde […] ».

« Ce qui est hilarant […] est l’usage des hyperboles […] ».

Et encore :

– « [A propos de la façon dont BHL revendique ses « engagements » (Daniel Pearl, Ayaan Hirsi Ali, Sarajevo, etc.)] : c’est ce que les Allemands appellent un Hochstapler, quelque chose qui se situe entre le vantard et l’imposteur, une célèbre figure comique dans la littérature européenne. (...) »

« Tout est brillamment exécuté. Mais je crains d’avoir à dire que rien de tout ceci n’est destiné à être lu comme un roman comique. Tout est fait avec le plus grand sérieux du monde ».

Etc.

Une critique « moins favorable » ? BHL et ses amis ont, décidément, le triomphe modeste, et manient tout aussi bien l’euphémisme que l’hyperbole. C’est sans doute cela, le « style BHL », complément indispensable de la rigueur et de la probité qu’il met au service du microcosme médiatique et de sa surveillance.

Parole de pape

Un style dont l’emphase et la solennité tiennent en général lieu d’argumentation.

Dans son Bloc-notes du 6 janvier, BHL professe : « Benoît XVI est parfaitement fondé à dire que les chrétiens sont, aujourd’hui, à l’échelle de la planète, le groupe religieux "en butte au plus grand nombre de persécutions" ». Aucun chiffre, aucune enquête, ne viennent étayer ce propos nuancé. Il faut dire que la source de BHL est connue pour sa modération et son objectivité.

Rideau.

Julien Salingue (avec Henri et Serge)