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mercredi, 19 septembre 2012

Marc. Eemans : Non possumus

 

Non possumus

by Marc. Eemans

 

Qu'on nous excuse ce recours au latin papal pour opposer un refus – net et catégorique – à cette déviation vers un ésotérisme teinté de science-fiction que nous croyons découvrir derrière le « thème d'Uranus » proposé par quelques « fantasmages »au IVe Salon International « Fantasmagie » de Bruxelles, dont le présent numéro [Fantasmagie no. 10, mai 1962] est en quelque sorte comme le support idéologique.

Libre à ces amis de se perdre dans les dédales d'un néo-rosicrucianisme revu et corrigé à la lueur de certaines théories à la mode du jour, qui tendent à nous faire croire que notre civilisation se trouve « en rupture et mutation ».

Nous le savons bien que nous sommes entrés – et depuis pas mal d'années déjà – dans une ère que nous appellerons volontiers celle du mépris, de la bassesse d'être et de 'avilissement. Oui, nous assistons à une irrésistible autant qu'irréversible montée d'aveugles forces telluriques qui menacent de submerger tout ce qui nous était cher et qui demeurait notre seule raison de vivre et d'espérer. Que nous sommes aussi entrés dans une ère de science nouvelles, de conquêtes interstellaires et de menaces nucléaires, qui le niera, mais en quoi cela peut-il changer l'essence-même de notre condition d'homme et de l'authenticité de notre vie réelle ?

Ne faut-il pas être un peu illuminé, comme Pierre Teilhard de Chardin, ou plutôt jobard, comme le savant américain Oppenheimer, pour affirmer que les récents progrès de la science sont en passe de faire de nous des « êtres nouveaux »? Sans doute, les technocrates d'aujourd'hui se trouvent à l'antipode de l'homme cultivé, de l' « honnête homme » de jadis, car la technocratie a succédé à la culture, en général, et à la science, en particulier. L'automation autant que la spécialisation vont 'l'encontre de la vie de l'esprit. Ainsi, nos modernes cosmonautes – pour ne parler que de ces vedettes de la technocratie – au lieu d'être les prototypes du surhomme de demain que nous annonçait Nietzsche, ne sont-ils que de simples citoyens soviétiques ou américains uniquement préoccupés de la bonne réussite du travail qui leur a été assigné. Une fois rentrés chez eux, après leur périple spatial qui relève davantage de la performance sportive, que de l’expérience scientifique, ils ne sont certainement plus que de tout petits hommes, aussi dupes que le premier monsieur Dupont ou Durand venu, de la pâture que peuvent leur offrir les modernes techniques d'abrutissement des foules que sont la grande presse, le cinéma, les sports, la radio et la télévision.

Il est évident que nous ne nous laisserons pas aveugler par ce stupide nouveau culte des idoles et que nous sommes prêts à apporter notre tribut d'admiration aux savants obscurs qui rendent possibles tant d'exploits spectaculaires. Mais, ne l'oublions pas, ce sont aussi ces savants qui sont les apprentis-sorciers üraniens » auxquels font allusion MM. Brahy et Mariën, ces apprentis-sorciers dont l'esprit d'investigation et de conquête est à la fois riche en découvertes vertigineuses et en menaces d'anéantissements apocalyptiques.

Certes, nous pourrons nous rencontrer ainsi avec certaines théories quant aux caractéristiques « uraniennes », telles que les définissent les astrologues, car, somme toute, leurs vues sur l' « ère uranienne » ne sont peut-être que de simples intuitions qui nous viennent de la nuit des temps, et dont les projections métaphoriques, ainsi que les synthèmes et symboles, peuvent parfaitement se prêter à l'analyse des mythes et archétypes de l'inconscient collectif chers à la psychologie des profondeurs.

Mais, que penser de ces tenants de la « Tradition »qui veulent insérer les progrès techniques du jour dans un schéma de superstitions selon lesquelles l'histoire du monde s’acheminerait vers un devenir religieux fait à l'image des divagations les plus sottes ?

Rêveries sans bien grande importance, sans doute, mais aussi étrange goût du paradoxe et de l'affirmation gratuite. Et, par ailleurs aussi, que de visions rétrogrades, que de professions de foi réactionnaires, et que de logomachie ! On se croirait parmi les primates de la pensée philosophique ou les analphabètes de la Christian Science devant des sornettes aussi flagrantes que l'énoncé que voici que certains n'ont pas hésité à proposer à notre méditation : « Uranus ensuite pourra porter l'Humanité vers une fraternité réelle et non plus théorique. Le véritable christianisme enseigné par une Eglise plus démocratique, telle que le conçut son fondateur, deviendra universel, et le culte du Saint-Esprit prendra une grande importance ».

Devons-nous y opposer une profession de foi agnostique, anti-chrétienne et anti-démocratique, pour nous présenter comme des néo-païens non-conformistes et passablement révolutionnaires ? Non, ce ne serait que ridicule, et puis ne nous répondrait-on pas que nous n'y avons rien compris et que nous ne sommes que de pauvre esprits cartésiens auxquels échappe la grâce de l'Illumination initiatique...

Mais, comment l'art fantastique et magique peut-il s'accommoder de tant d’ésotérisme primaire ? Pour les épigones du surréalisme figuratif, il suffira peut-être de démarquer certaines recettes qui remontent aux fantasmagories d'un Jérôme Bosch ou d'un Brueghel et que le Salvador Dali des bonnes années a su réactualiser dans le sillage du comte de Lautréamont. Ce ne seront que perspectives fuyantes en des paysages désertiques ou lunaires avec des personnages déboîtés ou larvaires aux ombres allongées, des matières molles ou viscérales, des spectres un peu grotesques ou hideux, le tout plongé dans une atmosphère d'apocalypse.

Quant aux admirateurs d'un surréalisme évolué selon les plus récentes formules de l'abstraction chaude ou lyrique, que d'aucuns considèrent comme le nec plus ultra de l'expression automatique, il leur suffira de s'adonner à l'art des nébuleuses ou des éruptions solaires et de peindre des cosmogonies agrémentées ou non de planètes et d’étoiles filantes...

Le fantastique uranien s'intègre ainsi facilement dans l'incongru, le cauchemaresque et la science-fiction, à moins qu'il ne prétende être le véritable art magique, celui des signes secrets et des anagogies qui relient mystérieusement le passé au futur.

Mais pourquoi le fantastique ne s'en tiendrait-il pas à la sancta simplicitas, à la simple poésie de l’œil, du sein, de la rose, du feuillage, de l'écorce, de l'écume de la mer, de la conque, du cristal, de la pierre, de l'écaille, de la plume, de l'algue, du nuage, de l'os, « autant d'éléments », comme le rappelait encore Thomas Owen dans une récente préface de catalogue fantasmagique, « qui participent à l'expression fantastique » ?

Et pour finir, que l'on nous permette de préférer au « thème d'Uranus », celui de l'Amour, de l'amour sublime, car dans le doux sourire d'une femme aimée nous découvrons infiniment plus d'infini fantastique que dans toutes les infinitudes de l'univers.

Marc. EEMANS

Fantasmagie no. 10. Numéro spécial sur le thème d'Uranus, mai 1962.

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mardi, 18 septembre 2012

Trois maitres néerlandais du « réalisme magique »

 

 
 

Trois maitres néerlandais du « réalisme magique »

by Marc. Eemans

Raoul Hynckes - De ijzeren hand, 1935.

Réalité, irréalité, surréalité... qui osera nous dire et ainsi définir et délimiter les frontières, certes tout arbitraires, de cette merveilleuse unicité du monde des apparences et de ses reflets au sein de notre plus profonde intériorité transfigurante?

Pour tout dire, ce n'est qu'au départ de cette foncière unicité de toutes choses que les correspondances vraiment s'établissent et prennent leur envol vers cet « invisiblement visible »qui nous déroute, nous trouble et nous enchante tout à la fois, en nous plongeant en plein dans cet abîme d'inconnaissance dont témoignent ceux qui savent et nous redisent la fable de l' « éternel mystère ».

En fait, il y a les états multiples de ce mystère de l' « invisiblement visible »qu'il appartient à ceux que l'on dit être les « voyants », et les « poètes »de nous révéler et de nous décrire de la manière la plus tangible, la plus de nous révéler et de nous décrire de la manière la plus tangible, la plus évidente,. Nul n'est besoin pour ce faire d'avoir recours à quelque thaumaturgie occulte ou autre, mais bien d'approcher ce qu'il est convenu d'appeler le « réel »avec la plus simple vertu d'attention. Le miracle tout aussi simple de la participation aussitôt s'opère, et le « voyant », le « poète »devient montagne, fleur ou nuage. Il devient et décrit ce qui est  en apparence, aussi bien qu'au-delà et qu'en deça des apparences. Il nous dit la magie du vent qui souffles dans les arbres, le mystère de cette « mer sans cesse recommencée », ainsi que la vie profonde et tout aussi mystérieuse des choses qui nous entourent. Il saisit au vol la prodigieuse et fabuleuse aventure d'un sourire à peine esquissé et magnifie la simplicité d'un geste qui s'ébauche et peut-être se tend vers l'infini. Il devine la tension latent qui unit et sépare tout à la fois les objets qui font le décor de notre vie la plus quotidienne et il en dégage aussitôt la part d'indicible, celle qui appartient à ce dieu invisible qu'il nous a plu de départir à la moindre parcelle d'être.

Ainsi, pour qui sait le sentir et le deviner, le mystère de l' « invisiblement visible » ne cesse de se révéler à chaque instant et en toute circonstance, là même où d'aucuns ne se heurtent qu'au vide de leur propre néant. Le prodigieux naît de la magie de nos cinq sens (libre à d'autres d'y ajouter ceux qui leur conviennent) et le merveilleux, le féerique ou le « fantastique », - pour employer un mot à la mode -, peut surgir à chaque coin de rue. Il suffira de reconnaître les minutes et les rencontres insolites »pour baigner en pleine « poésie »et unique réalité, à la fois réelle, irréelle et surréelle...

*

Cet assez long long préambule pour vous dire tout ce que nous voyons ou plutôt devinons dans les œuvres, peintes d'une manière ô combien minutieuse et réaliste, de trois peintres néerlandais qui ont nom Raoul Hynckes, Pijke Koch et Carel Willink. En leur pays ils eurent leur heure de célébrité, à un moment où l'art non-figuratif était encore considéré comme « dégénéré », mais depuis lors, comme nous l'écrivait l'un d'eux, ils ne sont guère plus qu'une « fiche dans un classeur nécrologique et c'est tout ». Et pourtant, et pourtant... Nous sommes encore quelques-uns à considérer leurs œuvres comme les plus belles, les plus accomplies et les plus chargées de sens de notre époque. Ces trois peintres, en effet, - et nous ne les groupons ici que par simple commodité, - ont su approcher en toute humilité, et chacun à sa manière, le grand mystère de l' « invisibilité du visible ». Par leur simple vertu d'attention et par la prodigieuse magie de leur pinceau, ils sont tous les trois parvenus, et chacun à sa manière, à nous rendre tangible la profonde unicité du réel, de l'irréel et du surréel. Leurs œuvres nous parlent le langage de l'indicible, car tout ce qu'ils peignent, - bien que tout ne soit emprunté qu'au monde des apparences les plus concrètes -, baigne dans une atmosphère chargée des correspondances les plus troublantes.

On nous rétorquera peut-être que Raoul Hynckes, pour atteindre à ce que nous appellerions la « sublimité » de son art, n'a que trop souvent recours à l'allégorie, et que ses natures mortes ne sont qu'une longue et monotone méditation sur le thème de la vanitas ; que Pijke Koch, lui aussi, ne recule pas devant l'allégorie, et que Carel Willink emprunte le meilleur de son langage poétique à certaines formules de l'insolite cher au surréalisme figuratif.

Sans doute, mais au-delà de toute cette affabulation extérieure, il y a avant tout une certaine densité intérieure qui touche aux fibres mêmes de l'être. Tout y est mystère : mystère des choses, mystère des ombres et des lumières qui les baignent, mystère du merveilleux qui affleure, se donne et se refuse, pour déboucher sur le silence même du tout-mystère.

Voilà, certes, la grande magie de ce réalisme d'au-delà le réalisme et la raison de notre dilection pour cet art si anachronique en cette époque du plus grand confusionisme pictural.

Marc. EEMANS

Fantasmagie no. 7, octobre 1961.

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