Réalité, irréalité, surréalité... qui osera nous dire et ainsi définir et délimiter les frontières, certes tout arbitraires, de cette merveilleuse unicité du monde des apparences et de ses reflets au sein de notre plus profonde intériorité transfigurante?
Pour tout dire, ce n'est qu'au départ de cette foncière unicité de toutes choses que les correspondances vraiment s'établissent et prennent leur envol vers cet « invisiblement visible »qui nous déroute, nous trouble et nous enchante tout à la fois, en nous plongeant en plein dans cet abîme d'inconnaissance dont témoignent ceux qui savent et nous redisent la fable de l' « éternel mystère ».
En fait, il y a les états multiples de ce mystère de l' « invisiblement visible »qu'il appartient à ceux que l'on dit être les « voyants », et les « poètes »de nous révéler et de nous décrire de la manière la plus tangible, la plus de nous révéler et de nous décrire de la manière la plus tangible, la plus évidente,. Nul n'est besoin pour ce faire d'avoir recours à quelque thaumaturgie occulte ou autre, mais bien d'approcher ce qu'il est convenu d'appeler le « réel »avec la plus simple vertu d'attention. Le miracle tout aussi simple de la participation aussitôt s'opère, et le « voyant », le « poète »devient montagne, fleur ou nuage. Il devient et décrit ce qui est en apparence, aussi bien qu'au-delà et qu'en deça des apparences. Il nous dit la magie du vent qui souffles dans les arbres, le mystère de cette « mer sans cesse recommencée », ainsi que la vie profonde et tout aussi mystérieuse des choses qui nous entourent. Il saisit au vol la prodigieuse et fabuleuse aventure d'un sourire à peine esquissé et magnifie la simplicité d'un geste qui s'ébauche et peut-être se tend vers l'infini. Il devine la tension latent qui unit et sépare tout à la fois les objets qui font le décor de notre vie la plus quotidienne et il en dégage aussitôt la part d'indicible, celle qui appartient à ce dieu invisible qu'il nous a plu de départir à la moindre parcelle d'être.
Ainsi, pour qui sait le sentir et le deviner, le mystère de l' « invisiblement visible » ne cesse de se révéler à chaque instant et en toute circonstance, là même où d'aucuns ne se heurtent qu'au vide de leur propre néant. Le prodigieux naît de la magie de nos cinq sens (libre à d'autres d'y ajouter ceux qui leur conviennent) et le merveilleux, le féerique ou le « fantastique », - pour employer un mot à la mode -, peut surgir à chaque coin de rue. Il suffira de reconnaître les minutes et les rencontres insolites »pour baigner en pleine « poésie »et unique réalité, à la fois réelle, irréelle et surréelle...
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Cet assez long long préambule pour vous dire tout ce que nous voyons ou plutôt devinons dans les œuvres, peintes d'une manière ô combien minutieuse et réaliste, de trois peintres néerlandais qui ont nom Raoul Hynckes, Pijke Koch et Carel Willink. En leur pays ils eurent leur heure de célébrité, à un moment où l'art non-figuratif était encore considéré comme « dégénéré », mais depuis lors, comme nous l'écrivait l'un d'eux, ils ne sont guère plus qu'une « fiche dans un classeur nécrologique et c'est tout ». Et pourtant, et pourtant... Nous sommes encore quelques-uns à considérer leurs œuvres comme les plus belles, les plus accomplies et les plus chargées de sens de notre époque. Ces trois peintres, en effet, - et nous ne les groupons ici que par simple commodité, - ont su approcher en toute humilité, et chacun à sa manière, le grand mystère de l' « invisibilité du visible ». Par leur simple vertu d'attention et par la prodigieuse magie de leur pinceau, ils sont tous les trois parvenus, et chacun à sa manière, à nous rendre tangible la profonde unicité du réel, de l'irréel et du surréel. Leurs œuvres nous parlent le langage de l'indicible, car tout ce qu'ils peignent, - bien que tout ne soit emprunté qu'au monde des apparences les plus concrètes -, baigne dans une atmosphère chargée des correspondances les plus troublantes.
On nous rétorquera peut-être que Raoul Hynckes, pour atteindre à ce que nous appellerions la « sublimité » de son art, n'a que trop souvent recours à l'allégorie, et que ses natures mortes ne sont qu'une longue et monotone méditation sur le thème de la vanitas ; que Pijke Koch, lui aussi, ne recule pas devant l'allégorie, et que Carel Willink emprunte le meilleur de son langage poétique à certaines formules de l'insolite cher au surréalisme figuratif.
Sans doute, mais au-delà de toute cette affabulation extérieure, il y a avant tout une certaine densité intérieure qui touche aux fibres mêmes de l'être. Tout y est mystère : mystère des choses, mystère des ombres et des lumières qui les baignent, mystère du merveilleux qui affleure, se donne et se refuse, pour déboucher sur le silence même du tout-mystère.
Voilà, certes, la grande magie de ce réalisme d'au-delà le réalisme et la raison de notre dilection pour cet art si anachronique en cette époque du plus grand confusionisme pictural.
Marc. EEMANS
Fantasmagie no. 7, octobre 1961.
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