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vendredi, 21 novembre 2025

Le guerrier impie

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Le guerrier impie

Ralf Van den Haute

Le guerrier impie ignore les présages qui mènent à sa perte, après avoir commis les trois péchés du guerrier.

C’est Georges Dumézil qui, par son travail monumental en mythologie comparée, a donné à cette discipline ses lettres de noblesse scientifiques, encourageant les jeunes chercheurs Claude Sterckx et Frédéric Blaive [1] à suivre leur intuition et à démêler le mythe indo-européen du «guerrier impie».

61EMPzvISbL._SL1500_-2008977042.jpgLa pertinence de ce thème, largement abordé dans la revue Ollodagos – Actes de la Société belge d’études celtiques, dans Studia Indo-Europaea et dans Latomus – revue d’études latines, se reflète dans le nombre de philologues qui ont poursuivi la recherche académique sur ce sujet, principalement du côté francophone : Alexandre Tourraix, Dominique Briquel, Marcel Meulder et Bernard Sergent.

Le mythe du guerrier impie est partagé par plusieurs peuples parlant une langue indo-européenne et semble totalement absent en dehors de cette aire linguistique. Blaive et Sterckx ont d’abord trouvé de nombreux exemples indiens, iraniens, scandinaves et latins de ce mythe. Plus tard, des exemples ont été découverts dans la plupart des langues indo-européennes, même celles dont les plus anciens documents manquent, comme l’antiquité slave, les ballades ossètes, certains textes de la littérature médiévale. Ce mythe ne semble en tout cas pas exister en dehors de l’aire indo-européenne : aucun exemple chinois, arabe, berbère, ouralien ou turco-mongol n’est connu.

Une autre particularité de ce mythe : Blaive et Sterckx, familiers de la structure trifonctionnelle de la mythologie indo-européenne, constatent que les trois avertissements ou erreurs qui précèdent la fin du guerrier impie ne peuvent être assimilés à cette structure trifonctionnelle. La triade, en tant que telle, se retrouve en effet, indépendamment de la structure trifonctionnelle propre aux mythes indo-européens, aussi fréquemment ailleurs.

Outre le mythe du guerrier impie, il existe aussi un mythe autour des trois péchés du guerrier, qui sont liés aux trois fonctions de Dumézil [2] : un meurtre, un viol (ou rapt ?) et un sacrilège, qui reflètent respectivement la deuxième, la troisième et la première fonction. Les trois péchés du guerrier précèdent le mythe du guerrier impie, qui commet d’abord ces trois péchés, s’attire ainsi une malédiction, puis est confronté aux présages de cette malédiction, les ignore et finit par mourir.

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L’un des plus anciens exemples connus d’un tel héros négatif est Ravana, dans l’épopée hindoue du Ramayana. Ravana tue un messager, enlève une femme et défie les dieux. S’ensuivent les présages de sa mort : une pluie de sang, des chevaux qui trébuchent et pleurent. Le cheval apparaît d’ailleurs fréquemment dans les différentes manifestations de ce mythe.

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Dans la mythologie grecque, le héros Achille de l’Iliade semble, après examen, répondre à plusieurs critères du guerrier impie. Son cheval ne prédit-il pas sa mort devant les portes de Troie s’il tue Hector ? Mais il y a plus : Achille est connu pour ses accès de colère incontrôlables, d’abord contre Agamemnon, puis contre Hector, et il menace à plusieurs reprises le dieu Apollon.

L’une des traditions indo-européennes les plus archaïques, la celtique, connaît une variante particulière de ce mythe: les Celtes impies commettent évidemment aussi les erreurs qui mènent à leur perte, mais les commettent à contrecœur et sous la contrainte absolue d’une obligation supérieure. Dans la légende irlandaise Togail Bruidhne Dhadhearga, le haut roi Conaire Mor est soumis à une série de tabous qu’il ne peut que transgresser progressivement jusqu’à sa chute finale.

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Le plus célèbre héros celtique, Cuchulainn, subit un destin similaire le dernier jour de sa vie: il ignore les incantations des femmes qui sentent sa mort approcher et d’autres présages sombres, comme sa propre fibule qui tombe de ses mains et blesse son pied, son cheval Liath Macha qui refuse d’être attelé et lui montre trois fois son flanc gauche. Il part néanmoins combattre l’armée ennemie qui ravage l’Ulster. En chemin, il rencontre trois sorcières qui font rôtir un chien sur un feu de branches de sorbier. Elles aspergent le chien de poison et prononcent des malédictions. Cuchulainn est soumis à un geis, un tabou qui lui interdit de passer devant un feu sans partager le repas qui y est préparé. Un autre tabou lui interdit de manger la viande de son homonyme : or, le surnom du héros irlandais est justement « chien de Culann ». Cuchulainn fait mine de ne pas remarquer les sorcières, mais elles l’interpellent et lui offrent de la main gauche – autre mauvais présage – un morceau du chien. Cuchulainn ne peut que l’accepter, ce qu’il fait de la main gauche, et le mange. Il perd aussitôt la moitié de sa force. Il part tout de même au combat, mais ses ennemis parviennent à le placer à nouveau devant un dilemme fatal, et il succombe finalement, désarmé.

La plupart des épopées mythiques indo-européennes connaissent un héros négatif sous la forme d’un guerrier au caractère excessif et arrogant, pour qui rien ni personne n’est sacré et qui ne respecte aucun ordre, même divin. La vie d’un tel guerrier ne peut être que criminelle jusqu’à ce que le champion du camp opposé le vainque et rétablisse l’ordre du monde.

La nature fatale et prophétique du cheval dans différentes cultures indo-européennes a déjà été décrite à la fin du XIXe siècle, principalement par des philologues allemands. Le présage du cheval qui pleure ou trébuche (tombe) est fréquent et annonce la mort du guerrier impie. Meulder a constaté que l’absence totale de ce motif dans d’autres cultures, comme la tradition populaire hongroise ou chez les Kirghizes où c’est au contraire un bon présage, confirme qu’il s’agit d’un mythe purement indo-européen.

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Le mythe du guerrier impie a des prolongements dans la littérature européenne. Chez Jacob Grimm, par exemple, le faux pas du cheval annonce un malheur. Dans la Njallsaga norvégienne, la saga de l’incendie de Njall, cela arrive à Gunnar, un guerrier impie. Mais aussi dans la Saga du roi Harald de la Heimskringla, le cheval du roi Harald se cabre au moment où celui-ci veut attaquer l’Angleterre. Le roi d’Angleterre espère à haute voix que cela signifie la fin de la chance de Harald. Et en effet, celui-ci est mortellement touché par une flèche.

Il existe encore de nombreux exemples où le motif du guerrier impie semble pertinent : l’empereur païen Julien dans sa lutte contre les Parthes, Charlemagne, Jules César. Tout guerrier qui semble impie ne l’est pas forcément : il convient de noter que les historiens romains étaient particulièrement habiles à noircir les dernières années de vie de leurs adversaires politiques, ce qui peut donner l’impression que le mythe du guerrier impie est très présent dans la culture latine – alors que les formes archaïques de la mythologie indo-européenne étaient à peine encore présentes dans l’Empire romain.

Cette contribution n’est rien de plus qu’une brève introduction à ce mythe indo-européen fascinant. Ceux qui souhaitent en savoir plus sur ce sujet devront principalement se tourner vers la littérature francophone des auteurs mentionnés plus haut. Une certaine familiarité avec le mythe du guerrier impie et celui des trois péchés du guerrier devrait permettre de découvrir soi-même ces motifs dans les textes archaïques.

Source: Traduction d’un texte paru dans Traditie, Jaarboek voor traditionele erfgoedbeleving in de lage landen, Brasschaat 2025. ISBN 9789491436260

Notes:

[1] Frédéric Blaive en Claude Sterckx : Le mythe Indo-européen du guerrier impie, L’Harmattan, Parijs 2014

[2] Georges Dumézil (1898-1986) a réussi, grâce à la mythologie comparée, à ouvrir une nouvelle voie et à mettre au jour les structures idéologiques sous-jacentes des mythes auxquelles ceux-ci doivent leur cohérence interne. Le résultat en est la découverte du système trifonctionnel comme idéologie principale dans la pensée indo-européenne archaïque. Dumézil a principalement étudié des textes sources de l’Inde archaïque, de Rome et de la Scandinavie : ces textes sont accessibles et contiennent des couches mythologiques très anciennes et bien conservées.

16:16 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, mythologie, guerrier, guerrier impie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 31 janvier 2011

The Warrior & the City

The Warrior & the City

Dominique Venner

Ex: http://www.counter-currents.com/

Translated by Greg Johnson

Hoplite_Armour.jpgIn 1814, at the end of the Napoleonic wars, Benjamin Constant wrote with relief: “We have arrived at the age of commerce, the age that must necessarily replace that of war, as the age of war necessarily had to precede it.” Naïve Benjamin! He took up the very widespread idea of indefinite progress supporting the advent of peace between men and nations.

The age of soft commerce replacing that of war . . . We know what the future made of that prophecy! The age of commerce was imposed, certainly, but by multiplying wars. Under the influence of commerce, science, and industry—in other words “progress”—wars even took on monstrous proportions that nobody could have imagined.

There was, however, some truth in Constant’s false forecast. If the wars continued and even thrived, on the other hand, the figure of the warrior lost his social prestige to the profit of the dubious figure of the tradesman. This is the new age in which we still live, for the time being.

The figure of the warrior was dethroned, and yet the institution of the military has endured more than any other in Europe after 1814. It has endured from the time of the Iliad—thirty centuries—while transforming, adapting to all changes in ages, war, societies, and political regimes, but still preserving its essence, which is the religion of pride, duty, and courage. This permanence in change is comparable only to that of another imposing institution, the Church (or the churches). The reader is shocked. A surprising comparison! And yet . . .

What is the army since Antiquity? It is a quasi-religious institution, with its own history, heroes, rules, and rites. A very old institution, older even than the Church, born from a need as old as humanity, and which is nowhere near ceasing. Among Europeans, it was born from a spirit that is specific to them and which—unlike the Chinese tradition, for example—makes war a value in itself. In other words, it was born from a civic religion arising from war, whose essence, in a word, is admiration for courage in the face of death.

This religion can be defined as that of the city in the Greek or Roman sense of the word. In more modern language, it is a religion of the fatherland, great or small. As Hector put it 30 centuries ago in Book XII of the Iliad, to deflect an ill omen: “It is not for a good outcome that we fight for our fatherland” (XII, 243). Courage and fatherland are connected. In the last battle of the Trojan War, feeling beleaguered and doomed, Hector tears himself from despair with the cry: “Oh well! No, I do not intend to die without a fight, nor without glory, nor without some great deed that is retold in times to come” (XXII, 304–305). One finds this cry of tragic pride in all epochs of a history that glorifies the ill-fated hero, magnified by an epic defeat: Thermopylae, the Song of Roland, Camerone, or Diên Biên Phu.

Chronologically, the warrior band comes before the state. Romulus and his bellicose companions first traced the future boundaries of the City and laid down its inflexible law. For having transgressed it, Remus was sacrificed by his brother. Then, and only then, did the founders seize the Sabine women to ensure their descent. In the foundation of the European state, the order of free warriors precedes that of families. This is why Plato saw Sparta as far closer to the model of the Greek city than Athens.[1]

Weak though they may be, today’s European armies constitute islands of order in a crumbling environment where fictions of states promote chaos. Even diminished, an army remains an institution based on strong discipline and participating in civic discipline. That is why this institution carries in it a genetic seed of restoration, not by seizing power or militarizing society, but by reasserting the primacy of order over disorder. It is what the compagnonnages of the sword did after the disintegration of the Roman Empire and so many others after that.

Note

1. In Les métamorphoses de la cité, essai sur la dynamique de l’Occident (Paris: Flammarion, 2010), based on the reading of Homer, Pierre Manent highlights the role of warlike aristocracies in the foundation of the ancient city.

Source: http://www.dominiquevenner.fr/#/edito-nrh-52-homme-de-gue...