jeudi, 20 mars 2014
Entretien avec Hongbing Song, auteur de «La guerre des monnaies»
Entretien avec Hongbing Song, auteur de «La guerre des monnaies»
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Hongbing Song pense que la Chine devrait pousser l’intégration de la monnaie à travers l’Asie, prenant exemple sur l’Allemagne, qui a abandonné le deutsche Mark, mais a pris le contrôle de l’Europe et de l’euro. Bien que n’étant pas reconnue comme une source universitaire, la série La guerre des monnaies de Hongbing Song est très populaire parmi les lecteurs. Song se considère comme un « spécialiste de la finance internationale », qui envisage l’économie en termes de « guerres ». Il croit que l’économie n’est qu’une pièce du jeu politique plutôt qu’une théorie ou une science.
Il explique son impopularité parmi les économistes du courant dominant en disant qu’il est compréhensible que « les économistes rejettent un nouveau système qui remet en question leur système de connaissances monopolistique ».
Dans ses livres, Song tente d’expliquer l’histoire et le développement du monde à travers la perspective des monnaies et de la finance. Il pense que « bien que l’histoire ne se répète tout simplement pas, l’humanité reflétée dans des périodes différentes est étonnamment semblable. » Song espère trouver une solution pour le développement du monde.
Lors de son entretien, Song mentionne que dans le passé, les Chinois ne se sont pas préoccupés des devises. L’argent, le commerce et les relations financières et commerciales ont été négligés pendant des milliers d’années en Chine.
The Economic observer : Que-ce qui vous a poussé à écrire la série La Guerre des monnaies?
Hongbing Song : J’habite aux États-Unis depuis 14 ans et j’ai passé plus de 20 ans en Chine. Si la Chine veut devenir une puissance mondiale comme les États-Unis, elle doit se concentrer sur plus de choses que sa simple puissance militaire. La principale concurrence entre les deux pays sera l’économie et les finances, plutôt que l’armée traditionnelle ou la guerre. Plus j’y réfléchissais, plus je réalisais que la puissance financière des États-Unis a été sous-estimée par la plupart des gens.
Tous mes livres tentent d’expliquer l’histoire et le développement du monde dans la perspective de la monnaie et de la finance. Les chinois ne sont pas très préoccupés par l’argent, et nous avons négligé l’argent, les échanges et l’influence de la finance sur le commerce pendant des milliers d’années.
Voulez-vous dire que nous n’avons pas conscience de l’importance de l’argent ?
Depuis les années 1940, il y a eu quelques occasions pour les Chinois d’acquérir de l’expérience dans la finance. En tant que puissance économique montante, la Chine pourrait subir des pertes dans la concurrence internationale, si nous ne possédons pas de solides connaissances sur la finance. C’est pourquoi j’ai combiné les deux notions de « monnaie » et « guerre ». Lorsque j’ai d’abord proposé ce concept, les gens étaient confus et ont demandé : « Comment une guerre pourrait éclater entre les monnaies ? » Cependant, lorsque les gens sont devenus plus conscients de l’environnement économique du monde, ils ont commencé à en accepter la possibilité.
Il n’y a pas de recherche systématique sur la concurrence des monnaies et de l’argent en Chine. Seuls les théories monétaires ou l’économie sont étudiées. La Chine a négligé l’importance de la finance comme un outil, une mesure et une arme, qui pourrait être vital pour son développement, son économie et sa sécurité nationale à l’avenir. Par conséquent, mon point central dans les quatre livres est en fait l’influence que l’argent a sur le sort d’un pays et du monde.
Qu’avez-vous trouvé ?
Basé sur un récent sondage que j’ai effectué à l’université ETH de Zurich, nous avons analysé la structure des capitaux propres de 37 millions d’entreprises transnationales et constaté que 147 des plus grands instituts financiers exercent un contrôle sur ces 37 millions d’entreprises. En outre, il y a 20 ou 30 grands groupes de sociétés de portefeuilles derrière ces 147 institutions. Cela montre comment les sociétés de portefeuilles financières minoritaires au sommet de la pyramide contrôlent effectivement la plupart des groupes transnationaux de matériaux de base et de d’énergie.
L’enquête a démontré mon hypothèse dans La guerre des monnaies 2. Il y avait 60 familles qui contrôlaient plus de 60 % des industries aux États-Unis, en dépit de leur récente disparition du classement des plus grandes fortunes du monde depuis 1940. Pourquoi ont-elles disparu, vous demandez-vous ? Est-ce à cause de la guerre ? Cependant, gardez à l’esprit qu’il n’y a pas eu depuis de guerre sur le sol américain. J’ai le sentiment qu’à cette époque, les grandes et indispensables entreprises dans le monde étaient encore contrôlées par une minorité de familles. Les grandes banques et les entreprises sont en fait très centralisées. Beaucoup de grandes familles financières ont mis en place des fonds et fait don de leurs fortunes, surtout après 1930. Ce qu’ils veulent, c’est le contrôle plutôt que la propriété. Bien qu’il y ait peut-être des philanthropes, la pratique courante de mise en place des fondations de charité ne me semble pas logique.
Le monde est vraiment en désordre maintenant. Votre quatrième livre est « La période des États en guerre ». Qui selon vous en sortira « gagnant » ?
D’après la situation actuelle, les États-Unis et l’Europe sont les régions qui sont les plus susceptibles de réussir. En comparaison, la Chine n’est pas encore au même niveau. La compétition pour le leadership de l’économie mondiale se fait donc principalement entre les États-Unis et l’Europe. Bien que la Chine soit également prête, le pays n’est pas encore aussi compétent.
Votre réponse est très différente des autres. Pouvez-vous nous l’expliquer ?
Pour moi, la Chine est encore très fragile, non seulement au sens économique, mais en général aussi. L’énorme édifice économique que nous avons construit a une base très fragile. Comment pouvons-nous prétendre être une puissance mondiale si l’énergie et les matériaux ne sont pas suffisants au niveau national et que le commerce dépend principalement du marché étranger. Pour une véritable montée en puissance, son économie doit être beaucoup plus grande que sa dépendance aux marchés étrangers, comme l’expansion de l’Amérique l’a démontré. Avant son entrée dans la Seconde Guerre mondiale dans les années 1930, seulement 2 % à 3 % de sa croissance économique était attribuée aux marchés étrangers. En d’autres termes, les États-Unis n’avaient pas besoin d’un marché extérieur, et au contraire, les marchés étrangers avaient besoin des États-Unis. Même aujourd’hui, alors que cet État est devenu un immense empire dans le monde, son commerce extérieur ne représente que 8 % de son PIB, alors que le chiffre pour la Chine est de 30 %. Ce n’est que lorsque le pays n’est pas dépendant des autres qu’il peut mener sa propre voie.
Dans votre ère d’États supposés en guerre, est-ce que la Chine a un rôle décisif ?
Je ne suis pas pessimiste à ce sujet. L’idée de base est qu’un grand marché intérieur est la base pour l’ascension d’un pays. Certains ont mentionné l’internationalisation du yuan, mais il est évident que le yuan ne peut pas devenir la monnaie de réserve du monde si le marché intérieur de la Chine n’est pas le plus important du monde. L’économie chinoise est dépendante des exportations, ce qui signifie que la monnaie va refluer lorsque les marchandises seront exportées. Le Japon et l’Allemagne ont tous deux essayé l’internationalisation du mark et du yen. Toutefois, leur part dans la monnaie internationale n’a jamais dépassé 7 %, aussi à cause de leurs économies orientées vers l’exportation.
Cela pourrait servir de leçon à la Chine. Un tiers du PIB de la Chine vient de son marché intérieur, qui représente seulement un neuvième de la taille du marché américain. Le meilleur résultat pour les pays tournés vers l’exportation ne peut pas être mieux que ce qui était le cas pour le deutsche Mark ou le yen.
Quel est l’objectif stratégique de promotion de l’internationalisation du yuan ? À mon avis, la réponse est de remplacer le dollar. Cependant, est-il possible de garantir un encadrement efficace de la négociation des yuans à l’étranger maintenant ? Plus les yuans s’écoulent à l’étranger, plus cela sera dangereux. Il en va de même pour l’évaluation du yuan. Si l’administration d’État du marché des changes et de la Banque populaire de Chine met en place le taux de change à 6,36, alors que l’accord est de 5 à New York, quelle norme le marché va-t-il suivre ? Comme il y a beaucoup de dérivés financiers à l’étranger, le nombre d’accords là-bas peut dépasser celui de Pékin. Dans ce cas, la Chine pourrait perdre le droit d’établissement des prix.
C’est précisément pourquoi je regarde vers le passé. En regardant en arrière, nous pouvons observer comment la livre et le dollar ont augmenté. Lorsque l’on compare le marché intérieur des États-Unis et de la Grande-Bretagne à celui de la Chine, il est impossible de prétendre que le yuan pourrait remplacer le dollar américain d’ici les 30 prochaines années. Il serait préférable de promouvoir une monnaie asiatique et bénéficier de l’internationalisation indirecte des yuans. Cependant, il y a aussi des problèmes, tels que la façon dont l’Asie devrait être intégrée.
Voulez-vous dire la liaison de toute l’Asie ?
Oui. En fait, les Chinois pensent rarement à la raison pour laquelle l’économie asiatique est toujours distraite et contenue par les États-Unis et l’Europe alors que leur économie totale est déjà l’égal des deux puissances. Ils considèrent aussi rarement pourquoi tous les pays asiatiques se tournent vers les États-Unis à la place d’autres pays asiatiques en cas de problème. Si la Chine veut devenir une puissance mondiale, il est essentiel que celle-ci s’intègre à d’autres pays d’Asie.
L’intégration de l’Asie n’est elle pas difficile pour des raisons géographiques, historiques et de relations politiques ?
La racine des problèmes des pays asiatiques ne sont pas les malentendus et les obstacles historiques. Par rapport à ces problèmes secondaires, le principal facteur est externe – le fait que les États-Unis ne veulent pas que l’Asie s’unisse. Il n’y a pas eu autant de guerres en Asie, qu’il y en a eu en Europe, pourtant les pays sont encore très aliénés. Si l’Asie est intégrée en tant que communauté d’intérêt, les États-Unis n’auront aucune chance de rester une superpuissance.
C’est pourquoi j’ai décrit la réconciliation de l’Allemagne et de la France dans le livre. L’Allemagne et la France ont été réunies par la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Les deux pays étaient en guerre, lorsque la France a pris les régions de la Ruhr et de la Sarre après la Seconde Guerre mondiale et l’Allemagne a trouvé que leur développement était limité par la France après la guerre. La guerre potentielle dans les années 1950 entre les deux pays a été plus tard éliminée par l’articulation de leurs industries sidérurgiques. L’union est supra-souveraine et ouverte, appelant aussi d’autres pays à s’y joindre. C’est l’origine de la Communauté européenne et de l’Union européenne. Si les pays asiatiques ont des conflits sur la mer à l’est et au sud, pourquoi ne pas prendre l’exemple et intégrer les sources de pétrole là-bas avec une Union supra-souveraine, qui peut lier ensemble les intérêts de la Chine, du Japon et la Corée. D’ici là, aucun de ces pays ne commenceraient une guerre et un nouveau marché asiatique uni sera également créé. Quand une monnaie asiatique pourra enfin être promue, l’influence des États-Unis et de l’Europe sur la région diminuera.
Votre réflexion est typiquement américaine. Accepteriez-vous que les Chinois ne pensent pas normalement de la même manière ?
Oui. Après avoir vécu aux États-Unis, j’ai constaté que la pensée américaine et britannique est la clé de leur succès dans la conduite du monde, car elle se concentre sur l’intérêt national rationnel. Plutôt que de se concentrer sur le « visage » du pays, ils poursuivent les entreprises les plus rationnelles et les plus utiles. Le nationalisme en Chine est trop irrationnel. Ça ne fait pas de différence si nous nous plaignons des autres tout le temps. Cependant, si nous coopérons avec le Japon et unissons les pays asiatiques pour faire une organisation d’intérêt mutuel, la Chine en bénéficiera le plus. Comme dit le proverbe, même les mendiants doivent surveiller leur dos quand ils battent les chiens, comment la Chine pourrait s’opposer à l’Europe et aux États-Unis sans le secours de l’Asie ? La Chine devrait rivaliser avec l’Europe et les États-Unis pour le rôle de premier plan dans le monde. La « diplomatie de grande puissance » que nous avons trop soulignée dans le passé devrait être remplacée par une « diplomatie de voisin ». Même si nous pouvions maintenir une bonne relation avec l’Europe et les États-Unis, comment pouvons-nous attendre d’eux de nous aider sincèrement quand tout le monde est en concurrence avec l’autre pour être le leader du monde ? C’est comme essayer de trouver un poisson dans un arbre. Nous devrions nous tourner vers nos voisins asiatiques pour de l’aide en changeant notre mentalité au sujet de comment devenir le chef de file mondial.
Je ne veux pas dire que nous devrions vivre dans l’histoire, mais je veux montrer que nous ne devrions pas répéter l’histoire non plus – nous ne devons pas être divisés et gouvernés par des puissances étrangères. La Chine devrait intégrer les puissances asiatiques dans un marché commun ainsi qu’une monnaie commune. L’Allemagne a renoncé à son marché intérieur et son deutsche Mark, mais a gagné l’ensemble du marché ainsi que le contrôle de l’Union européenne. Il s’agit de la relation dialectique du « donner » et « gagner ». Comment pouvons-nous obtenir quelque chose sans donner ?
Traduction E&R
Source : The Economic Observer
00:05 Publié dans Actualité, Economie, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hongbing song, monnaies, guerre des monnaies, politique internationale, entretien, livre | | del.icio.us | | Digg | Facebook