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lundi, 20 juin 2016

Kerbala ou la résistance contre Daech, quelques leçons

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Kerbala ou la résistance contre Daech, quelques leçons

par Maria Poumier

Ex: http://plumenclume.org

Les chiites du monde entier se rendent pendant dix jours au pèlerinage de Kerbala au mois de mai, pour commémorer la naissance de l’imam Hussein, qui allait être massacré ainsi que sa famille, en 680. Cette année, cela fait exactement deux ans, le 5 mai 2014, que Daech s’installait, à la surprise générale, en Irak, prenant le contrôle des gisements pétroliers, la mirifique richesse du pays.

Le chiisme perpétue la lignée familiale du fondateur de l’islam. C’est plus tard qu’apparaît une faction dissidente, celle qui revendique l’autorité de la sunna, la tradition arabe, contre celle des descendants du Prophète. Et le schisme s’installe précisément à Kerbala, lors d’une terrible bataille. En termes chrétiens, on peut parler d’hérésie et de rébellion contre la théocratie héréditaire incarnée par les chiites. Ceux-ci, héritiers du christianisme  oriental et particulièrement libanais, ont bâti une église centralisée à l’image de la papauté. C’est ce qui fait jusqu’à aujourd’hui leur force, même si chaque ayatollah conserve une grande autonomie, comme autant d’évêques locaux, ce qui ne va pas sans heurts.

Cette année, le 10 mai, puis le 11 octobre, anniversaire du martyre de l’imam Hussein (le troisième imam, 626-680), une histoire de cruautés et de perfidie révoltante est intensément revécue chaque année à Kerbala, ainsi que le souvenir d'Abbas, frère d'Hussein, symbole du dévouement et de la fidélité ; tous deux sont les fils de l’imam Ali (deuxième imam, 600-661), dont on vénère le mausolée à Najaf. Le pèlerinage de Kerbala fait écho à celui de Machhad, en Iran, où l’on commémore le martyre d’un autre imam encore, l’imam Reza, également assassiné dans des conditions atroces et déloyales (huitième imam, 765-818).

Les femmes pleurent et sanglotent dans les mosquées, comme si ces massacres étaient strictement contemporains. Les hommes aussi pleurent en public, et des groupes de pèlerins se flagellent dans les rues, comme les pénitents des Semaines saintes d’Andalousie et du Mexique s’infligent des pénitences. Des chants extraordinaires s’élèvent de partout, récits épiques transmis oralement comme nos chansons de geste ; les moments relevant  clairement du miracle improbable  donnent lieu à des fragments énigmatiques et intenses, comme dans le Romancero castillan ; psalmodies élégiaques, pauses sentimentales, psaumes bibliques déchirants adressés au ciel, très proches de la ligne mélodique du Cante jondo, s’enchaînent et se relaient. Cela se passe dans la rue, aux abords du sanctuaire. Les gens marchent en reprenant des refrains, hommes, femmes, couples, enfants, nourrissons, aïeules en chaise roulante. Des groupes de femmes s’assoient sur le trottoir pour écouter les bardes, elles cachent leurs sanglots dans les pans de leur voile. Les enfants sont parfaitement sages, sans se forcer le moins du monde, et ils offrent des bonbons aux passants. Les commerçants sont discrets, sous les arcades, il n’y a pas un touriste occidental pour attirer mendiants, publicité agressive ou profanation quelconque. Une belle cloche sonne un angélus inattendu : c’est l’horloge de style Big Ben qui jouxte la mosquée de l’imam Hussein. Et les lecteurs professionnels du Coran, toujours inspirés, fervents et contagieux, se succèdent dans les mosquées, tandis que résonnent, dans chaque ville, les appels des muezzins à honorer Dieu plutôt que le Veau d’or et autres idoles devant lesquelles s’abaissent si misérablement les impies, parmi lesquels nous  Européens, ne sommes pas les moins obscènes.

Le christianisme a organisé la piété naturelle et le besoin de catharsis partagée autour des images du Crucifié. Les Evangiles racontent que les Juifs et les Romains, en une mauvaise alliance politique de circonstance, furent les bourreaux d’un innocent tellement saint qu’il en est plus que surhumain. La dévotion chrétienne pour le Calvaire, avec tout le rituel de la Semaine Sainte, découlant de la lecture du récit de la Passion selon saint Marc, réitérée à chaque dimanche des Rameaux, est tout à fait comparable à l’émotion organisée autour du souvenir des imams assassinés, et de la reprise de chaque épisode, en détail, de la trahison. Mais le christianisme choisit deux mises à distance : nous ne tenons pas les Italiens d’aujourd’hui ni les juifs d’aujourd’hui pour les assassins de notre Jésus-Christ. Et nous refusons (à l’exception précisément des Nestoriens et des Jacobites, courants dominants du christianisme assyro-syriaque) de ne voir en lui qu’un mortel comme nous : le qualifier de saint ou de prophète parmi d’autres ne nous suffit pas : il est pour nous le fils unique de Dieu, consubstantiel au Père. Ces mises à distances sont deux sages barrières élevées contre des identifications précises qui pourraient porter les chrétiens à l’agression renouvelée et à la haine vengeresse sur des peuples bien réels, dont la permanence et la continuité au long de vingt siècles sont indiscutables. En revanche, nous ne refusons pas de pratiquer l’expressionnisme et de représenter avec le réalisme le plus intense le cadavre torturé du Christ, et chacun de ses bourreaux, avec le risque de nous prendre pour les nouveaux crucifiés par les abus de tel ou tel pouvoir. Mais nous ne considérons pas légitime de sauter sur aucun tortionnaire pour le crucifier à son tour, en bonne symétrie selon la loi du talion, la loi que partagent judaïsme et islam.

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Pour l’islam, la vengeance reste un devoir relevant du sens de l’honneur. Et ce n’est pas sanguinaire dans le sens unique où on l’entend dans le monde occidental, puisque le devoir de vengeance implique celui de mettre en jeu sa propre existence, de donner toute sa vie, de se sacrifier selon la logique du djihad, du dépassement de soi. Comme dans les temps les plus anciens de toutes les sociétés guerrières primitives, dans l’idéal d’un islam vivant, il n’est de mort digne que la mort au combat, dans l’acte de donner la mort à l’adversaire.

Le judaïsme, comme l’islam, refuse la représentation visuelle de ce qui bouleverse, mais comme l’islam, il réactualise constamment la légitime revanche contre les bourreaux : culte de la Shoah, superposition mémorielle de chaque épisode où des juifs se sont sentis persécutés parce que juifs, jusque dans le passé le plus lointain. Le slogan « Identify and indemnify »[1], « cultivons et renforçons l’identité juive afin de mettre en action des attaques et des exigences de réparation sans limite dans le temps ni dans l’espace », relève de la même logique ancestrale, datant sans doute de l’époque où une tribu ne pouvait survivre qu’à condition d’exterminer, sur le territoire revendiqué en propre, toute autre population humaine. C’est la logique du lion en son domaine. L’imam Hussein et son frère l’imam Hassan (deuxième imam, 625-669) sont représentés comme deux lions ensemble. Et les chiites sont les plus fervents tenants de la généalogie comme principe d’autorité indiscutable, chaque fils étant redevable de son présent et de son avenir envers toute la lignée mâle qui l’a amené à voir le jour.

Mais pour nous, le Christ est ressuscité, et le crime de ceux qui l’avaient crucifié s’en trouve minoré dans ses retombées, on peut et on doit, dans la fidélité au Christ, proposer la paix, la réconciliation, l’amour, et construire un avenir de coopération loyale avec les éventuels descendants de tel ou tel peuple qui ait pu dans le passé assassiner le Christ, des saints chrétiens ou de simples mortels chrétiens. Pour le pape comme pour nous tous qui nous appuyons sur cette logique de dépassement de l’humain tribal, les USA et autres impérialistes associés dans l’Otan sont les nouveaux hérétiques qui placent leur « sunna », leur tradition prédatrice propre, par-dessus les vrais commandements de Dieu, impliquant respect et protection réciproques.

Par ailleurs, les musulmans et leurs autorités sont des gens pragmatiques, et savent également pratiquer la négociation et l’alliance. Seuls les wahabbites continuent de prôner l’extermination de tout ce qui n’est pas de leur goût, et Daech est la mouvance qui peut, grâce à des financements étrangers, se permettre de prendre au pied de la lettre ces recommandations.

Or pour les chiites, dans chaque contexte précis, le passage à l’univers du pardon et de la construction en commun est particulièrement difficile. Ils ont, en dehors de l’Iran et de l’Irak où ils sont majoritaires, toujours constitué la minorité pourchassée, ce qui explique   d’ailleurs qu’ils soient si sensibles au thème de la justice, et de la révolution pour bâtir l’avenir selon le modèle khomeyniste. Pour s’en tenir au présent, ils héritent de trente années de guerre au nom de l’islam sunnite : 1980-88, Saddam Hussein lançait ses troupes contre l’Iran, et tentait d’y déporter tous les chiites irakiens ; bilan : entre 500 000  et 1.200.000 morts en tout. Les USA avaient vivement encouragé cette guerre, qui servait parfaitement leur dessein de renverser le pouvoir de Khomeiny et de reprendre le contrôle de l’Iran. Mais les sunnites autour de Saddam échouèrent. Alors les Bush et autres néo-conservateurs totalement identifiés aux intérêts israéliens entreprirent deux guerres pour se débarrasser d’un dictateur incapable et arraisonner l’Iran dès qu’ils auraient pris le contrôle de l’Irak. Second échec total : les militaires US ne peuvent circuler sur le sol irakien sans se faire abattre dans des embuscades, pas plus qu’en Afghanistan, et se sont retirés d’Irak en 2011. On nous dit que désormais, conscients de leurs limites et dépendant moins du pétrole irakien que par le passé, les US souhaitent charger les Iraniens d’administrer l’Irak. Ce n’est certainement pas pour renforcer le pouvoir régional iranien, mais pour mieux affaiblir les ingérables Irakiens ; partageant toujours le schéma israélien, la caste à la manœuvre aux US veut casser l’Irak en trois nouveaux Etats, l’Etat kurde chrétien au nord devant être le plus docile, et d’ailleurs celui qui détient une bonne part du  pétrole. Bassorah, l’autre région pétrolifère, a des raisons comme le Kurdistan de se laisser tenter par l’autonomie. C’est dans le cadre de cette stratégie qu’est encouragé Daech, ennemi juré des chiites, qui a annoncé vouloir réduire Kerbala en cendres. Et l’Arabie des Saoud a ses raisons pour répandre le plus féroce wahabbisme : elle veut que la Mecque ait l’exclusivité des offrandes des pèlerins, qu’ils cessent d’arriver là-bas au terme d’un parcours qui comprend les étapes de Jérusalem, Kerbala, Najaf et Médine, Kerbala continuant d’attirer non seulement les chiites, mais aussi les autres musulmans, à la recherche du contact physique avec la sainteté, au-delà des enjeux politiques du passé, tout à fait prêts à la cohabitation pacifique au présent.

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Dans ce contexte, patriotes chiites et sunnites irakiens savent parfaitement que la seule chance pour l’Irak de ne pas assister impuissants au démembrement de leur Etat consiste à présenter un front uni contre Daech. Le wafq sunnite de Bagdad Abdoulatif al Humayin le répète, tout comme le wafq chiite de Bagdad Saïd al Moussawi. Et quand on demande au chef sunnite du camp de déplacés de Mossoul installé à Kerbala s’ils souhaitent l’intervention d’ONG humanitaires occidentales, il est clair et direct : c’est d’intervention militaire contre Daech qu’ils ont besoin, avant tout. Ce camp abrite environ 8000 personnes, manquant d’eau, d’électricité, d’écoles et de soins médicaux…

Lors de la guerre contre l’Iran, nombre de chiites irakiens ont combattu pour l’Irak contre l’Iran, tandis que d’autres, sunnites, refusaient d’attaquer l’Iran ; maintenant, lorsque l’imam sunnite de Bagdad demande 5000 volontaires pour renforcer l’armée irakienne contre Daech, ce sont 20 000 jeunes hommes qui se présentent, de toute confession. L’autorité suprême résidant à Najaf, l’ayatollah al Sistani, est celui qui a lancé les troupes de volontaires au secours de l’armée irakienne pour combattre Daech, dès juin 2014. Il incarne la volonté d’unité des Irakiens, par-dessus tout enjeu de pouvoir selon l’appartenance religieuse. Contre l’intoxication médiatique occidentale, c’est un devoir que de promouvoir cette logique patriotique de défense du territoire national par-dessus les clivages religieux. On ne peut que souhaiter que le gouvernement irakien accepte l’emprise croissante de Moktada al-Sadr, celui qui, à partir du culte familial à ses héros, son père et son oncle tombés au combat, peut mobiliser les tribus de toute confession, car il a su organiser la déroute US, et il est immensément populaire.

Front commun chiites-sunnites : il ne s’agit ni de vœu pieux  inopérant, ni d’un mot d’ordre démagogique pour cacher aux Occidentaux hypercritiques une hargne toujours aussi vivace entre les deux courants religieux : il s’agit de la seule stratégie  gagnante réaliste.

On peut s’étonner de la récurrence d’un réseau d’alliances familiales bien réel : au sein d’une même tribu, il peut y avoir des chiites et des sunnites, et les mariages faisant fi des  rancunes ancestrales sont bien réels. L’extermination du concurrent sur un territoire donné est de nos jours, sur la planète devenue  village global sans issue de secours, une absurdité, car elle conduit toujours à un double anéantissement, et à la préparation du prochain massacre en réparation du précédent. L’alliance par le biais du mariage d’amour à la vie à la mort et négocié par les deux familles, est le passage obligé pour l’abolition des rancunes. Il faut impérativement que se forment et se consolident des liens intimes entre les gens d’origine diverse. Dans une autre dimension, l’aéroport de Najaf a ouvert en 2008, comme une première pousse de la renaissance après les dégâts énormes infligés à la ville par les US : c’est un symbole d’unité dans le développement et d’ouverture.

Les leçons pour nous Européens, sont multiples. La loyauté et la capacité de pardon semblent avoir progressé en Occident, à mesure que les guerres entre Européens, construites sur des différences de religion, ont reculé ; la laïcisation de nos sociétés, paradoxalement, a fait progresser respect et coopération, c’est-à-dire applications pratiques du principe révolutionnaire et universel chrétien : aimez-vous les uns les autres, y compris vos ennemis, n’en restez pas à la loi du talion qui est intrinsèque au choix de l’appartenance tribale par-dessus tout. Si l’on tisse des liens familiaux entre communautés, ce qui équivaut à un métissage consenti par chacun au niveau de la conscience intime et de sa descendance, la vendetta à grande échelle n’est plus une fatalité: en famille, on parvient à peu près à s’entendre, être en froid peut ne pas déboucher sur des massacres brûlants. Si les familles mélangées imposent leur principe amoureux pour la perpétuation de la vie, les méfiances et provocations entre descendants de juifs, musulmans et chrétiens peuvent ne pas être réactivées à chaque génération. Si des projets de rapine se réactivent et se parent de prétextes religieux, comme dans l’ambition de Daech, c’est quand des pouvoirs étrangers s’en mêlent, et attisent le feu à coup de milliards.

Malheureusement, si les guerres de religion intra européennes se sont atténuées, et si les guerres interethniques peuvent parfaitement être évitées, il reste notre spécificité occidentale : nous nous enferrons dans le clivage idéologique droite gauche, qui a pris la place du fanatisme religieux : c’est le mur à abattre chez nous, dans notre conscience, et le poison qu’on nous inocule, de l’étranger, parce qu’il est fonctionnel pour nous affaiblir.

Il faut donc, depuis la France, actualiser et dynamiser la ligne Villepin de 2003 : contre les visées impériales des Saoud, des Israéliens et des néo-conservateurs US, favoriser tous les rapprochements entre sunnites et chiites pour sauvegarder l’unité de l’Irak. Ce n’est pas à nous d’approfondir leurs contentieux, malentendus ou défaillances. Mais c’est à nous de sortir la France des griffes des mêmes Etats prédateurs : US, Israël, Arabie saoudite. Les jeunes volontaires irakiens qui donnent leur vie dans le combat contre Daech sont les héros et les saints de notre temps, et ils se battent pour nous. La moindre des choses est de nous battre pour eux. Notre pape, autorité de référence même pour ceux qui ne se disent pas chrétiens, a raison : d’abord protéger les plus éprouvés, ceux qui, la mort dans l’âme, nous demandent l’hospitalité. Le devoir d’hospitalité ne concerne pas que les musulmans, qui en font un principe inébranlable. Ainsi la rancœur cèdera le pas à la reconnaissance, aux obligations  réciproques. Les gens qui se retrouvent parqués dans des camps de réfugiés sont en majorité des gens qui ont tout perdu par la faute de ceux qui détruisent leurs pays depuis l’étranger, de préférence en dissimulant leur ingérence. C’est Israël, les US et l’Arabie saoudite qu’il nous appartient de combattre, dans la guerre sainte mondiale de notre temps.

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A Bagdad, comme nous manifestions notre étonnement devant le sang-froid des gens de Kerbala, la ville qui attire ces jours-ci, exactement comme tous les ans, les pèlerins par centaines de milliers, voire millions, alors que Daech les menace explicitement, et multiplie les attentats dans la capitale elle-même, et à moins de 100 km de Kerbala, le cheikh sunnite Abdoulatif al Khomeyim nous a dit : « vous les Français êtes abattus parce que Daech commet des crimes chez vous aussi : retrouvez la foi, et vous n’aurez plus peur ». Et un chiite dévoué à la médiation entre les différentes communautés qui peuplent la France ajoute, selon la tradition de toutes les religions : « celui qui ne croit en rien n’est rien, mais chacun, lorsqu’il touche le fond du désespoir, ressent aussi la main tendue de Dieu vers lui ».

En France, après un attentat, les jeunes retournent sur les lieux du massacre pour bouffer, avant d’aller manifester pour la castration générale souriante, couleur « arc en ciel » sous prétexte de liberté et d’égalité. A Kerbala, les jeunes vont revivre à la mosquée le martyre de l’imam Hussein et ils repartent au front avec un courage renouvelé. Les uns sont les alliés aveugles des US et de l’Arabie saoudite, dociles à tout lavage de cerveau utile à la domination mentale sioniste. Les autres gagneront inéluctablement, parce qu'ils ont la santé mentale, et savent se projeter dans l’avenir, les femmes remplissant leurs devoirs de mères, les hommes remplissant leurs devoirs de guerriers. 

Merci à Kerbala pour ces leçons.

Références : Guide de l’Irak, par Gilles Munier, éd. Jean Picollec, Paris, 2000 ; articles de Wikipedia, très riches, sur chiisme, Irak, guerres du XX° siècle en Irak. Site Irak-Actualités, animé par Gilles Munier.

jeudi, 16 juin 2016

Quand les Wahhabites massacraient les habitants de Kerbala (1801)

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Quand les Wahhabites massacraient les habitants de Kerbala (1801)

Par Jean-Baptiste Rousseau

(Extrait de "Description du Pachalik de Bagdad" - Treuffel et Würtz - Paris - 1809)*

Ex: http://www.france-irak-actualite.com

…(…)… Quinze lieues plus bas que Hilla, au-delà de l’Euphrate dans le Désert, on voit les ruines de Coufa, ville célèbre dans les fastes de l’Islamisme.

A l’occident de Hilla, et à six lieues du fleuve, se trouve Imam Hussein, qu’on doit considérer plutôt comme un gros bourg, que comme une ville bien peuplée. Ce bourg peut contenir sept à huit mille habitants, et ses murailles de terre sont entourées de jardines et de champs cultivés, qu’arrose et fertilise un bras de l’Euphrate, un zabet y commande au nom du pacha.

Ceux qui ont lu l’histoire des Arabes savent que Hussein, fils d’Ali, ayant été appelé en 680 par les habitants de Coufa pour s’asseoir sur le siège pontifical, partit de Médine avec sa famille, et eut le malheur de périr en route, victime de la fureur du khalife Yézid, qui le fit assassiner proche de la ville dont les citoyens lui avaient déféré les honneurs du rang suprême.

Il fut enterré dans la plaine de Kerbala où il avait expiré d’une manière si tragique. On lui éleva d’abord un simple mausolée, et quelques années après les partisans d’Ali bâtirent dans le même endroit une ville qui reçut le nom de Hussein.

Ce lieu si révéré par les Schias a essuyé en différents temps des outrages insignes ; et les Wahabis qui le surprirent il y a quelques années, comme le verrons tout à l’heure, y commirent des désordres affreux. En 851, le khalife Mutawakkel, protecteur de la secte des Sunnis, en avait fait démolir la majeure partie ; ses successeurs achevèrent de le détruire, et ce ne fut que sous les derniers pontifes arabes qu’on le vit sortir de ses ruines, lorsque la mémoire de Hussein fut rétablie et remise en vénération. Depuis cette époque, Schah Ismaël fondateur de la dynastie persane des Séfévis (vulgairement appelés Sofis) , ayant introduit dans ses états la secte de Schias, ordonna par un édit solennel, que la ville et le tombeau de l’Imam fussent réparés et embellis. Les autres souverains de la même race qui occupèrent le trône après Ismaël, entretinrent avec un égal zèle la dévotion de leurs sujets envers Hussein.

Ce pieux exemple a été suivi par les derniers monarques qui ont régné en Perse : chacun d’eux à l’envi a voulu manifester par de riches présents son extrême respect pour le petit-fils du prophète, de façon que la chapelle sépulcrale de Hussein est devenue le dépôt de tout ce qu’il y avoit de plus précieux dans le trésor de ces princes. On sait que l’eunuque Aga Mohammed khan employa, il y a environ douze ans, cinq millions de piastres, pour revêtir de briques de cuivre doré, les minarets ainsi que la coupole de la mosquée d’Imam-Hussein.

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Les richesses immenses qui s’étaient accumulées dans le sanctuaire d’Imam Hussein faisaient depuis longtemps l’objet de l’insatiable cupidité des Wahabis : ils en méditaient sans cesse le pillage et comptaient tellement sur le succès de leur projet, que quand ils voulaient parler d’un jour heureux et solennel pour eux, ils désignaient celui qui devait les rendre maîtres d’une place si attrayante par la quantité de trésors qu’elle renfermait.

Le jour tant désiré arriva enfin. Ce fut le 20 avril de l’année 1801, qu’ils surprirent la ville, au moment où la majeure partie des habitants l’avaient quittée pour aller à quelques lieues de là, faire leurs dévotions sur le tombeau du père de leur patron. Ces barbares mirent tout à feu et à sang : et après avoir fait un butin immense, tel que les plus grandes victoires n’en procurent jamais, ils se retirèrent fort tranquillement, sans que le gouvernement de Bagdad qui fut informé à temps de leur désastreuse apparition, osât troubler leur retraite ; ils étaient venus au nombre de quinze mille. Les cruautés qu’ils commirent sont inouïes ; vieillards, femmes, enfants, tout périt sous leur glaive impitoyable ; on les vit même dans la fureur qui les animait, éventrer les femmes enceintes, et mettre en pièces sur les membres sanglants le fruit qu’elles portaient. Des gens dignes de foi qui ont eu le bonheur d’échapper à cette affreuse boucherie, m’ont assuré à Bagdad, avoir vu quelques-uns de ces hommes féroces se repaître du sang de leurs infortunées victimes.

L’on évalua dans le temps à plus de quatre mille, le nombre de personnes qui avaient péri dans cette affreuse catastrophe. Les Wahabis emmenèrent, à leur sortie d’Imam-Hussein qu’ils saccagèrent pendant deux jours et deux nuits, deux cents chameaux chargés de riches dépouilles. Non contents d’avoir assouvi leur rage sur les habitants, ils rasèrent les maisons, et firent de la riche chapelle de l’Imam un cloaque d’immondices, et de sang ; ils endommagèrent aussi les minarets et les coupoles de la mosquée, dont ils avaient pris d’abord les briques pour de l’or massif ; mais ayant reconnu ensuite qu’elles n’étaient que du cuivre doré, ils ne crurent pas devoir perdre leur temps à démolir totalement ces édifices dont les décombres ne leur eussent été d’aucune utilité.

Depuis cette malheureuse époque, le roi de Perse a fait réparer le lieu sacré, et le pacha y entretient aujourd’hui une division de Lavends, pour le mettre à couvert d’une nouvelle invasion. Tous les ans il y vient de la part du monarque persan un khan, dont l’emploi est de protéger les pèlerins de sa nation, qui accourent de tous les points de l’Empire pour recevoir les bénédictions de l’Imam, en échange des dons précieux qu’ils font à la chapelle.

La ville d’Imam-Ali, presque aussi grande et aussi peuplée que celle d’Imam- Hussein, est à six lieues de cette dernière, dans une plaine aride où la nature ne versa jamais ses bienfaits. C’est le lieu de la sépulture du gendre de Mahomet, d’Ali, que les Persans révèrent jusqu’à l’idolâtrie, et en l’honneur duquel ils ont bâti une superbe mosquée dont les minarets et les coupoles sont recouverts comme à Imam-Hussein, de briques de cuivre doré. Les Persans regardent le favori intime du Très Haut, et l’appellent la Force ou le Lion de Dieu. Le territoire d’Imam-Ali est d’une stérilité dont on ne saurait se former une idée, et n’offre que des aspects hideux, et des morceaux de sable que la chaleur du soleil enflamme en été. Autrefois les habitants de ce lieu étaient obligés d’aller jusqu’à l’Euphrate pour se procurer de l’eau ; mais depuis environ une quinzaine d’années, le frère de l’Empereur du Mogol y a fait construire un canal qui a coûté des sommes immenses ; on n’a pas pu cependant le perfectionner à cause des tourbillons de sable que la violence du vent y verse sans cesse, et qui le combleraient totalement, si on n’avait pas le soin de les nettoyer tous les ans. Quant aux vivres, c’est de Hilla et de plusieurs villages des bords du fleuve qu’on les exporte pour approvisionner la place.

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Imam-Ali n’était pas moins renommé qu’Imam-Hussein, pour la grande quantité d’objets précieux que la pieuse libéralité des Schias avait accumulés dans son enceinte ; mais depuis le sac de cette dernière ville, on a transféré toutes les richesses qui se trouvaient accumulées ici, à Imam-Moussa près de Bagdad, afin de les soustraire à l’avidité des Wahabis. Malgré cette précaution, ces brigands n’ont pas manqué de se présenter à diverses reprises devant Imam-Ali avec l’intention d’en faire le pillage ; mais soit que l’Imam les ait fait repoussés constamment par une force invisible, comme le prétendent les Persans, soit que les mesures des Wahabis ayant été mal combinées, ils n’ont jamais pu venir à bout de leur entreprise.

*L’orientaliste Jean- Baptiste Rousseau (1780-1831) fut consul de France à Bassora en 1805. Il y avait pris la suite de son père Jean-François appelé Rousseau de Perse, ancien directeur de la Compagnie des Indes et consul à Bassora et Bagdad.