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mardi, 13 octobre 2020

Un autre juin 1940

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Un autre juin 1940

par Georges FELTIN-TRACOL

Les éditeurs « installés » ne pourraient plus sortir des romans dont l’intrigue, y compris fictive, risquent de contredire la bienséance mémorielle et le dogmatisme historique officiel. C’est le cas pour L’appel du 17 juin d’André Costa paru à l’automne 1980.

AVT_Andre-Costa_5829.jpgNavigateur, pilote automobile et historien à ses heures perdues, André Costa (1926 – 2002) a dirigé L’Auto-Journal, le fleuron du groupe de presse de Robert Hersant entre 1950 et 1991. Sa passion pour les sports mécaniques en fait un journaliste féru d’essais des nouveaux modèles automobile. Souvent présent aux courses motorisées en circuit fermé ou en rallye, il écrit des ouvrages spécialisés (Les roues libres). Il se distingue aussi par L’appel du 17 juin, un brillant récit uchronique.

Le point de divergence se rapporte à la poursuite de la guerre du côté français malgré la « Débâcle » (1). À peine le cabinet du Maréchal Pétain constitué, « le général de Gaulle avait tout d’abord prévu de repartir vers la Grande-Bretagne à bord de l’appareil qui l’avait amené la veille. Le général Spears qui opérait la liaison entre Churchill et le gouvernement français l’encourageait vivement à ne pas demeurer plus longtemps en France […]. L’avion décolla vers 9 heures du matin mais de Gaulle demeura à terre, en dépit des supplications véritables de Spears (p. 31) ».

De Gaulle avec Pétain

Pendant sa courte période ministérielle, le sous-secrétaire d’État à la Guerre ne ménage pas ses efforts dans le transfert en Afrique française du Nord le maximum de matériel, de personnels et d’armement. En effet, « entre le 5 et le 25 juin, deux guerres allaient se livrer parallèlement, imbriquées l’une dans l’autre mais orientées chacune vers un but différent. La première bataille serait classique : il s’agirait de retarder la poussée des divisions allemandes vers le sud. La seconde bataille allait en revanche revêtir des aspects plus originaux. Elle résiderait en une lutte désespérée entre le temps et la distance, compliquée par une quête éperdue, à la recherche des bateaux capables de faire passer en Afrique du Nord troupes et matériel (p. 15) ». André Costa écarte toute idée de « réduit breton » comme point de résistance à l’avancée motorisée allemande.

Resté en France, Charles de Gaulle décide alors de convaincre Philippe Pétain. Vers 21 heures, le Maréchal le reçoit. La discussion est franche et directe :

« — Monsieur le Maréchal, il ne tient qu’à vous d’éviter la destruction et la plus détestable des divisions. Continuez la guerre et votre nom forcera le Destin. Depuis un mois, les Français ont été submergés d’appel. Appels à leur volonté de résistance, à leur énergie, que sais-je encore. Ce soir, monsieur le Maréchal, moi, Charles de Gaulle, que vous connaissez depuis longtemps, j’en appelle à votre sens de la France. Il faut que vous disiez à la France de continuer la bataille; sans quoi elle terminera ce siècle dans le rôle d’une nation secondaire… (p. 32) »

Les historiens nommeront cette discussion l’« appel du 17 juin ». Le vieil homme qui ne cache pas son scepticisme marqué par le sceau du réalisme, et exprime ses réticences :

« — Mais enfin, sacrebleu, vous rendez-vous compte de ce que vous demandez à un homme de mon âge ? À l’époque où je pouvais encore décemment rêver d’offensive, le sort m’a condamné à livrer la plus grande bataille défensive de l’histoire moderne. Et voici qu’aujourd’hui, vous demandez à un vieillard de quatre-vingt-quatre ans de se lancer dans une aventure de gamin; de quitter la France pour s’en aller chez les Arabes ? (p. 32) »

Le vainqueur de Verdun craint que la France occupée souffre de représailles terribles. De Gaulle, cynique, l’espère au contraire, car « en tuant des Français, les Allemands réveilleront la rage guerrière de la France. Elle saura à nouveau se battre et gagner une guerre… (p. 33) » Le maréchal Pétain cède finalement à ses arguments. Le gouvernement va se déplacer à Alger. En attendant, le nouveau président du Conseil place De Gaulle à la tête de la délégation française supposée négocier à Rethondes les conditions d’armistice. L’objectif réel est de gagner le plus de temps possible.

À Rethondes, le Führer accueille un général de Gaulle plus hautain que jamais. Les discussions se passent très mal. La France ne signera pas d’armistice. Le 22 juin 1940 à minuit, après le bombardement dévastateur de Bordeaux, le Maréchal annonce à la radio que la France continue la lutte. Il somme les Français à prendre les armes. À 8 heures du matin, le Général, promu vice-président du Conseil et ministre de la Guerre, intervient à son tour à la radio depuis « Alger, capitale provisoire de la France éternelle (p. 50) ».

Deux Frances en parallèle

Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie accueillent en quelques semaines un grand nombre de militaires, d’ouvriers spécialisés, de techniciens et de civils transportés par une « Royale » habillement commandée par son amiral de la flotte, François Darlan. Les équipages français s’illustrent aussi en coulant divers navires italiens. Et l’Espagne franquiste ? « L’Espagne pense beaucoup plus à manger et à se reconstruire qu’à se battre. Hitler ne peut promettre à Franco que des territoires qu’il ne contrôle pas et qu’il lui faudrait conquérir l’arme à la main, cela sans parler de la concurrence italienne… Au contraire, les États-Unis sont en mesure de donner du blé, simplement en échange de sa neutralité. Franco saura choisir (p. 78). » Madrid devient dès lors un excellent interlocuteur entre les parties belligérantes.

ZV9W2JhdxT2Qc7p0S9e_BBC7hRE@247x336.jpgBerlin nomme comme Gauleiter de la France occupée Otto Abetz. Afin de contrer la légitimité du gouvernement français d’Alger, il incite Pierre Laval à devenir le chef d’un gouvernement embryonnaire avec pour seuls ministres Marcel Déat à l’Intérieur et Jacques Doriot à la Défense nationale. L’auteur s’inscrit ici dans la convenance historique. On peut très bien imaginer que les militants du « Grand Jacques » suivent l’appel du Maréchal et s’engagent dans une féroce guérilla. Celle-ci n’est pas le fait comme en 1870 de francs-tireurs, mais de soldats français restés en métropole et regroupés en « Unités spéciales ». La n° 1 est directement dirigée par un prisonnier de guerre évadé et ancien corps-franc en 1939 – 1940 : Joseph Darnand. Celui-ci monte de multiples actions meurtrières contre les occupants allemands. André Costa tient probablement à rappeler ce qu’écrivait Georges Bernanos : « S’il y avait eu plus de Darnand en 1940, il n’y aurait pas eu de miliciens en 1944. » Exempt donc de toute interprétation « paxtonite », L’appel du 17 juin décrit les premières persécutions de la population juive dans tout le pays dès l’été 1940.

L’Italie n’arrive pas à s’emparer de la Corse. André Costa paraît oublier la bataille des Alpes et la déroute italienne face aux Français. Il imagine en revanche que prise en tenaille entre la ligne Maginot, le Jura et les Vosges des centaines de milliers de soldats français forment une solide poche de résistance qui disparaît par des négociations et un vote des combattants, suite à la médiation diplomatique de l’Espagne. Si quelques combattants français préfèrent regagner leur foyer en France occupée, la majorité part pour l’Afrique du Nord. Entre-temps commence la bataille aérienne d’Angleterre au cours de laquelle la Luftwaffe est presque victorieuse jusqu’au moment où les Spitfire britanniques pilotés par des Français lui inflige de sévères pertes.

Installé au Palais d’Été d’Alger, le gouvernement français déplacé organise la mobilisation totale de son empire colonial au cours de fréquentes réunions politiques et militaires. « Outre le maréchal Pétain et le général de Gaulle, les généraux Weygand, Noguès, Georges et d’Harcourt étaient présents ainsi qu’un civil, Georges Mandel (p. 149). » C’est pendant l’une de ces réunions qu’il est décidé une double offensive, navale vers la Sicile et terrestre contre la Libye italienne, le 15 août 1940. Or Hitler a prévu ce jour-là de déclencher sur Bizerte une gigantesque opération aéroportée. La Tunisie se transforme en champ de bataille. L’ampleur et la violence de l’attaque germano-italienne obligent le Maréchal à prendre lui-même le commandement du nouveau front. Cependant, les forces de l’Axe perdent leur avantage initial après plusieurs semaines d’intenses combats. Les troupes alliées s’emparent de toute la Libye italienne.

Un regard impartial

Dans ce conflit s’illustrent Pierre Kœning, Jean de Lattre de Tassigny et Philippe de Hauteclocque. Engagé volontaire dans l’armée française en 1944 – 1945, André Costa admire ces trois généraux, en particulier « Leclerc ». Cela ne l’empêche pas de saluer aussi le courage des soldats allemands et italiens. Plus étonnant, il raconte la franche amitié entre le lieutenant français Robert Desnais et l’Obersturmführer Heinz Klausmann de la division SS Totenkopf. Pour cet officier allemand francophone, les SS sont « des soldats politiques, et cette notion est certainement nouvelle pour vous. Elle signifie que nous ne luttons pas seulement sur le front. Nous voulons remporter toutes les victoires, afin de gagner toutes les paix. Pour cela, nous devons être les meilleurs, dans tous les domaines. C’est ça, la SS ! (p. 57) ». Il expose à son futur ami ébahi sa vision du monde : « La guerre aura lieu entre le passé et l’avenir. Entre la jeunesse et la sénilité. Entre la haine et l’espoir… Nous n’aurons pas trop de toutes les bonnes volontés européennes pour triompher. […] France, Allemagne… Ce sont déjà des survivances d’un passé poussiéreux ! […] Notre force sera notre droit. Notre droit à ressusciter l’empire européen de Charlemagne où ni les Juifs, ni les Slaves, ni les Arabes, ni les Noirs n’auront droit de cité, non pas en raison d’une infériorité congénitale mais, beaucoup plus simplement, parce que notre culture et nos traditions ne sont pas les leurs ! (pp. 58 – 59) »

ob_c887df_hersant-robert03.jpgIl est probable qu’André Costa ait lu la trilogie des Waffen SS français de « Maît’Jean ». Rédacteur en chef de L’Auto-Journal, il devait de temps en temps rencontrer son grand patron, Robert Hersant, ancien du Jeune Front du Parti français national-collectiviste de Pierre Clémenti. Ce passionné de l’automobile côtoyait par ailleurs Jean-Marie Balestre, président de la Fédération internationale du sport automobile (FISA) entre 1978 et 1991, qui, dans sa jeunesse, avait été un volontaire français de la Waffen SS tout en restant proche des milieux de la Résistance intérieure. Affecté au journal SS français Devenir, il rédigeait sous l’autorité de… Saint-Loup. Il est envisageable qu’après avoir épuisé leur conversation favorite consacrée aux voitures, André Costa et Jean-Marie Balestre en viennent à parler de leur engagement militaire respectif passé.

Furieux de ne pas pouvoir envahir la Grande-Bretagne, Hitler ordonne un raid côtier. Débarquent à Brighton, « quatre cents hommes de la Leibstandarte ainsi que les dix chars Mk1, les side-cars et les sections du génie avec leur matériel de destruction (p. 212) ». C’est un beau coup d’éclat. Un ancien étudiant allemand qui séjournait avant-guerre non loin de là effectue en compagnie de son unité blindée légère et d’un correspondant de guerre une petite promenade dans la campagne anglaise. Il se permet même de s’arrêter dans un pub, y boire une bière, de s’y faire photographier et de payer le plein d’essence. Un autre groupe arrête le général Bernard Montgomery « dont la plus grande partie de l’armée connaissait au moins de réputation le caractère irascible et tatillon (p. 209) ». Pensant qu’il s’agit de l’avant-garde de l’invasion, Churchill lâche de l’ypérite, un terrible gaz de combat. André Costa pensait-il que le Premier ministre britannique fût un indéniable criminel de guerre ?

L’épée et le bouclier

La partie la moins « travaillée » de cette remarquable uchronie reste l’aspect politique. La IIIe République s’efface au profit d’une nouvelle république, la Quatrième, dont le premier président, le Maréchal Philippe Pétain, est élu au suffrage universel direct par 98,1 % des suffrages et une abstention d’environ 8 % (p. 297). Parmi les électeurs se trouvent les indigènes à qui le gouvernement vient d’accorder la pleine citoyenneté d’autant que « la France a besoin de 200 000 soldats algériens. Pour cela, l’Algérie doit devenir réellement française. De toute manière, avec ou sans cette guerre, l’heure du choix sonnera. Si l’Algérie ne devient pas française par inclination ou par fatalité historique, elle sera algérienne (p. 227) ». André Costa se plaît à imaginer un État français uni. « Au cours de ce conflit, la France connut une chance insigne. Ses dirigeants les plus représentatifs et les plus dynamiques parvinrent à réaliser entre eux un accord véritable, malgré les différends aisément susceptibles de les opposer. Pourtant, en dépit de la valeur de cette union sacrée réalisée entre un vieux maréchal de France désenchanté et un général ambitieux, le redressement de la France n’aurait pu avoir lieu sans l’action déterminante menée par Jean Monnet (p. 253). » Juste avant de rejoindre L’Auto-Journal, André Costa fit ses classes à L’Aube, le journal démocrate-chrétien du MRP (Mouvement républicain populaire), d’où cet éloge envers l’« Anglo-Saxon girondin ».

lpdp_81431-6.jpgÉlu chef de l’État, le Maréchal nomme le général de Gaulle Premier ministre. Ce prisme institutionnel « gaullien » dénote dans l’économie générale du récit. L’auteur ne se rapporte jamais à la loi Tréveneuc du 23 février 1872 qui, en cas d’empêchement du Parlement, permet à tous les conseils généraux disponibles de choisir en leur sein deux délégués qui forment alors une assemblée nationale provisoire. Cherche-t-il aussi à réconcilier à travers ce récit fictif gaullistes et pétainistes ? Lors d’une nouvelle discussion entre les deux plus grands personnages français du XXe siècle, il fait dire à Charles de Gaulle les conséquences qu’aurait eues un éventuel armistice :

« — Certes, monsieur le Maréchal, votre gouvernement eût été légitime de droit et, la lassitude aidant, la majorité vous eût sans doute été reconnaissante de trouver dans votre renoncement personnel une prestigieuse justification à son abandon. Pourtant, çà et là, des hommes se seraient levés, que j’aurais personnellement encouragés. Ils auraient continué la guerre à quelques-uns et votre immense prestige n’aurait fait que diviser la France, en la déchirant entre l’honneur d’un nom, le vôtre, et celui d’une attitude : la volonté de vaincre ! Et cela eût duré des générations, au sein d’une France diminuée inéluctablement, aussi bien dans l’esprit de ses fils que vis-à-vis de l’étranger (pp. 80 – 81). (2) »

En entendant ces propos, le Maréchal Philippe Pétain ne peut pas ne pas s’exclamer :

« — Décidément, de Gaulle, vous voulez à toute force être l’épée de la République. Vous auriez dû vous prénommer Michel…

— Monsieur le Maréchal, j’accepte l’image qui, si je ne m’abuse, est d’ailleurs de vous, vous le bouclier de la France d’après votre propre formule.

Le Maréchal haussa les épaules.

— Pas du tout. On m’a assuré au contraire que c’étaient là vos paroles (p. 81). »

indexcolR.jpgAndré Costa se plaît ici à reprendre la célèbre formule du Colonel Rémy (alias Gilbert Renault). Ce résistant royaliste de la première heure, plus tard Compagnon de la Libération, fondateur du réseau résistant « Confrérie Notre-Dame », principal orateur du mouvement gaulliste d’opposition RPF (Rassemblement du peuple français), soutient en 1950 dans l’hebdomadaire Carrefour la « théorie des deux cordes », soit un accord tacite entre l’« épée » de Gaulle et le « bouclier » Pétain. Une version aujourd’hui hérétique dans l’université putréfiée hexagonale, mais qui reste largement valable, n’en déplaise aux sycophantes en place.

Lucide, l’auteur montre l’ambiguïté profonde des communistes français à l’heure de l’alliance entre l’Allemagne et l’URSS. Ainsi raconte-t-il une réunion clandestine d’une cellule parisienne. Le premier militant, Bourgeot, en clandestinité depuis un an, critique le pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939. La deuxième, Ginette, s’en félicite au contraire et conclut son intervention par un « faisons confiance au camarade Staline… (p. 122) ». Pour le troisième, son mari, « c’est peut-être Hitler et ses SS qui ont raison… Eux, ils annoncent la couleur. Ils savent se battre et, après avoir descendu tous les juifs de la Finance et les ploutocrates, ça ira peut-être vraiment mieux ! (p. 122) » Le dernier à intervenir est mandaté par le Parti. Refaisant tout l’historique politique de l’année écoulée, il insiste sur leur « but essentiel : le triomphe de la IIIe Internationale, animée et défendue par l’URSS ! (p. 124) » Il est si convaincant que dès le lendemain, tous distribuent dans les rues de la capitale L’Humanité autorisé à reparaître sous une censure allemande incroyablement indulgente pour la circonstance puisqu’elle laisse passer les critiques quotidiennes contre le proto-gouvernement de Pierre Laval. Très vite, la région parisienne voit se multiplier les rixes entre communistes et doriotistes.

André Costa n’aborde en revanche jamais l’attitude de Charles Maurras et de L’Action Française. Dans les circonstances qu’il décrit, la germanophobie de Maurras l’aurait sûrement incité à franchir la Méditerranée en compagnie de Thierry Maulnier, de Pierre Boutang, de Claude Roy et de Maurice Blanchot, à se rallier à une nouvelle « union sacrée » et à soutenir le maréchal Pétain et le général de Gaulle dont le quotidien défendait déjà avant 1939 les propositions tactiques. Toutefois, « dans une petite ville du Morvan (p. 195) », le commandant Joseph Darnand exécute l’éditorialiste d’un bi-hebdomadaire local favorable à Pierre Laval. L’auteur […] était un vieil avoué parfaitement honnête, fidèle de l’Action Française, officier de cavalerie de réserve et président régional d’une association d’anciens combattants (p. 195). »

Après la Pologne, la Scandinavie, l’Europe de l’Ouest, la Méditerranée occidentale et la Tunisie, les opérations se déplacent dans les Balkans. Le 22 octobre 1940, le Duce attaque à partir de sa colonie albanaise la Grèce. « Après ses échecs en Afrique du Nord et en mer Tyrrhénienne, Mussolini désirait absolument une revanche sur le plan militaire, qui lui apporterait également le réconfort politique dont il avait grand besoin (p. 279). » Cette offensive déstabilise toute la région puisque la Bulgarie intervient du côté de l’Axe. La Yougoslavie noue d’abord une alliance avec Berlin, avant de se rétracter après un coup d’État anti-allemand. Elle demande l’aide militaire à la France et à la Grande-Bretagne. Le corps expéditionnaire franco-britannique entraîne une sixième défaite militaire consécutive italienne depuis l’entrée en guerre de l’Italie en 1940. Le 24 janvier 1941, Mussolini perd le pouvoir et est arrêté. Le roi Victor-Emmanuel III d’Italie nomme le maréchal Badoglio nouveau chef du gouvernement. L’armée royale italienne commence à se retourner contre son ancien allié allemand.

Un dénouement inattendu

Début février 1941, les belligérants se neutralisent et les fronts se stabilisent peu à peu. Malgré ses récentes défaites, l’Allemagne continue à dominer une très grande partie du continent européen. L’appel du 17 juin se termine par un coup de théâtre qui mérite d’être commenté. Le 6 février 1941, en séance plénière de l’Assemblée nationale consultative, le Maréchal reçoit un message diplomatique allemand transmis par l’ambassadeur d’Espagne à Alger. Le papier provoque son évanouissement. Hitler demande l’ouverture immédiate de négociations avec la Grande-Bretagne et la France. Pourquoi ? « Ce matin, […], à 4 heures, les frontières du Reich, du Gouvernement général et de la Roumanie ont été violées par de très importantes forces soviétiques qui, attaquant en masse, ont d’ores et déjà réalisé en certains points d’importantes pénétrations (p. 333). »

André Costa laisse le lecteur imaginer la suite. Bien auparavant, il avait cependant averti que « le journaliste Jean Fontenoy […] devait plus tard mourir courageusement en se battant contre l’armée soviétique (p. 87) ». La France réfugiée en Algérie de Philippe Pétain et de Charles de Gaulle aurait-elle accepté l’offre allemande ? Vu la tonalité très anticommuniste de cette IVe République alternative, c’est une forte éventualité. Mais Alger devrait prendre en compte l’intransigeance maladive de Churchill pour qui l’Allemagne était plus dangereuse que l’URSS. De vives tensions seraient alors apparues entre les deux alliés. L’invasion soviétique aurait inévitablement obligé l’Espagne et le Portugal à participer d’une manière plus soutenue à la riposte anti-bolchevique tout en gardant leur neutralité par rapport au conflit germano-italo-franco-britannique.

Suworow_Wiktor.jpgSans le savoir, André Costa anticipe ici la thèse, contestée bien évidemment par les historiens de cour, de Victor Suvorov dans Le brise-glace (3). « Hitler croyait l’invasion inévitable, mais il ne pensait pas qu’elle serait imminente. Les troupes allemandes étant employées à des opérations secondaires, l’opération “ Barbarossa ” fut même reportée à plusieurs reprises. Elle commença enfin le 22 juin 1941. Hitler ne se rendit manifestement pas compte à quel point il avait eu de la chance. S’il avait repoussé son plan une nouvelle fois, par exemple au 22 juillet, il aurait très certainement fini la guerre bien avant 1945. Nombre d’indices tendent à prouver que la date fixée par Staline pour l’opération “ Orage ” était le 6 juillet 1941 (4). » Dans le contexte géopolitique propre à L’appel du 17 juin, à la vue des défaites successives de l’Axe, Staline peut fort bien avancer au mois de février son plan de conquête de l’Europe. L’auteur ne dit rien sur l’éventuel déclenchement parallèle, coordonné et simultané par les appareils clandestins communistes de grandes grèves générales et d’actes révolutionnaires subversifs dans l’Europe entière ainsi qu’en Afrique du Nord. Joachim F. Weber rappelle pour sa part dans la revue jeune-conservatrice Criticón (mai – juin 1991) qu’à cette époque, « pour les officiers de l’état-major allemand comme pour tous les observateurs spécialisés dans les questions militaires, c’est devenu un lieu commun, depuis 1941, de dire que l’avance allemande vers l’Est a précédé de peu une avance soviétique vers l’Ouest, qui aurait été menée avec beaucoup plus de moyens. La vérité, c’est que le déploiement soviétique, prélude à l’ébranlement des armées de Staline vers l’Ouest, n’a pas le temps de s’achever (5) ».

La nouvelle donne à l’Est bouleverse le déroulement de cette autre Seconde Guerre mondiale. Plutôt que bombarder Pearl Harbour, l’Empire du Japon révise ses objectifs et cherche à se venger de sa défaite récente à Khalkhyn-Gol (6). La faction militaire du Kodo-ha regagne sa suprématie face à sa concurrente Tosei-ha. L’armée japonaise envahit la partie septentrionale soviétique de l’île de Sakhaline, l’Extrême-Orient et la Sibérie. Privés d’attaque dans le Pacifique, les États-Unis restent-ils toujours neutres ? On comprend bien qu’André Costa ne souhaite pas s’aventurer sur tous les prolongements contrefactuels esquissés par la fin ouverte de son roman. Regrettons seulement que L’appel du 17 juin ne soit qu’une belle uchronie.

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : L’économiste et stratège Jacques Sapir, aidé de Franck Stora et de Loïc Mahé, reprend cette trame uchronique dans un ouvrage Et si la France avait continué la guerre… en deux volumes (1940 et 1941 – 1942, Tallandier, 2012).

2 : Saluons la prescience d’André Costa des trente prochaines années !

3 : Victor Suvorov, Le brise-glace, Olivier Orban, 1989. Ancien officier du GRU (renseignement militaire) soviétique, Victor Suvorov est le pseudonyme de Vladimir Bogdanovitch Rezoun.

4 : Idem, p. 279.

5 : Joachim F. Weber, « Opération Barbarossa : les forces en présence et les conclusions qu’on peut en tirer », dans Vouloir, n° 83 – 84 – 85 – 86, novembre – décembre 1991, p. 43.

6 : cf. Jacques Sapir, La Mandchourie oubliée. Grandeur et démesure de l’art de la guerre soviétique, Éditions du Rocher, coll. « L’Art de la Guerre », 1996.

• André Costa, L’appel du 17 juin, JC Lattès, 1980, 333 p.

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vendredi, 25 janvier 2013

Maréchal toujours là !

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« Maréchal toujours là ! »

par Georges FELTIN-TRACOL

 

Depuis trois décennies au moins, la repentance et l’obsession mémorielle univoque polluent les recherches historiques. Si le phénomène contamine la guerre d’Algérie après avoir investi la traite négrière et la colonisation, il remonte à la dénonciation de l’État français du Maréchal Pétain que les autorités officielles et médiatiques qualifient de « gouvernement de fait » ou d’« illégal ». Or la réalité n’est jamais aussi manichéenne; elle est plus complexe et… surprenante.

 

Alors que l’Université hexagonale écarte les sujets déplaisants pour la pensée unique, il faut saluer une historienne, Cécile Desprairies, qui vient de publier un ouvrage au titre révélateur : L’héritage de Vichy. Ces 100 mesures toujours en vigueur. Elle démontre en effet que plus de soixante-dix ans après la fin de cette « période sombre » subsistent diverses mesures prises par ce régime « illégitime » ! « Quel est le sort des 16 786 lois et décrets promulgués entre 1940 et 1944 ? Ces mesures sont déclarées pour la plupart nulles et les textes attentatoires aux libertés publiques et discriminatoires à l’égard des citoyens envoyés aux poubelles de l’Histoire. Mais certaines d’entre elles – soixante-huit exactement – perdurent telles quelles ou légèrement modifiées… (p. 11) » À partir de cette observation explosive pour le conformisme dominant, Cécile Desprairies fait une recension assez objective.

 

L’ouvrage se veut pédagogique. On examine la persistance de la « Révolution nationale » à travers huit thèmes principaux, à savoir la vie quotidienne, l’alimentation, la culture, l’éducation, les métiers, les pratiques sportives, la santé et les équipements et transports. Le livre se présente comme un recueil d’exemples souvent structurés en trois parties : « Un peu d’histoire », « Le sujet traité sous Vichy », « Et aujourd’hui ? ».


Un quotidien toujours vichyste !
 
À partir de cette nomenclature, on découvre ce que la France contemporaine doit beaucoup à l’État français. « Prenant acte de la défaite, Pétain s’efforce de construire un ordre nouveau, imprégné d’une idéologie traditionaliste et réactionnaire, et tempéré par un courant technocratique (p. 11). » Il en découle des initiatives qui ont franchi le temps et qui sont maintenant des habitudes sociales bien ancrées. Signalons par exemple la sirène à Midi de chaque premier mercredi du mois, l’heure d’été (certes rétablie en 1976, mais elle reprenait un choix de l’occupant allemand), l’obligation d’afficher à l’entrée du restaurant un menu à prix fixe, le développement de la future restauration collective, la création de l’agrégation de géographie distincte de l’agrégation d’histoire, l’enseignement scolaire du dessin et de la musique, la mise en place de chorales scolaires, la fondation de l’Institut des hautes études cinématographiques… C’est à cette époque que commence l’enseignement à distance. La tendance décentralisatrice du régime encourage les premiers cours de breton, de provençal et d’occitan dans le secondaire. « Par l’un de ces retournements dont l’histoire est coutumière, la promotion des langues régionales est faite par un ministre jacobin (p. 137). »
 
Sous le gouvernement perspicace et technocratique de l’amiral Darlan, les régions sont conçues dans leurs tracés actuels. Ainsi la Loire-Inférieure et Nantes sont-ils détachés de la Bretagne. Par ailleurs, « sous Vichy, l’appellation Île-de-France commence à se généraliser – et remplace peu à peu celle de Groß Paris – pour désigner la région parisienne administrative et non plus seulement géographique (p. 228) ». Desprairies voit dans la nouvelle carte des futures régions administratives l’influence du géographe allemand, membre du N.S.D.A.P., Walter Christaller, dont les travaux influenceront aussi dans la décennie 1960 le Commissariat au Plan en matière d’Aménagement du territoire (les métropoles d’équilibre). Soucieux à la fois d’aménager l’espace français et d’améliorer le cadre de vie de la population parisienne, le régime pétainiste réorganise les transports parisiennes (ébauche de la R.A.T.P.), construit de nouvelles stations de métro, élabore la carte hebdomadaire de travail qui deviendra par la suite la « Carte orange », puis le Pass Navigo. S’esquisse enfin un projet ambitieux de périphérique routier séparant Paris de ses communes voisines…
 
Avant que Sarközy place sous la tutelle du ministère de l’Intérieur la police et la gendarmerie, Vichy l’avait déjà fait. Il étatise aussi dès 1941 les polices municipales et fonde une police nationale dont les recrues sont formées dans les premières écoles de police. Quant à la carte nationale d’identité, elle est étendue à l’ensemble de la population et rendue obligatoire. La présence allemande contraint à remplacer les panneaux écrits de signalisation par des panneaux pictographiques que le code de la route entérinera ensuite, et favorise les activités sportives avec les débuts du ski en haute montagne, de l’alpinisme, de l’éducation physique enseignée et du handball, un sport d’origine allemande.

Affirmation de l’appareil bureaucratique
 
Fidèle à sa tradition paternaliste, corporatiste et sociale-chrétienne, « Vichy représente un moment privilégié du développement de l’État social : allocation de salaire unique, retraite aux vieux travailleurs salariés, supplément familial de traitement pour les fonctionnaires… datent de cette période (p. 12) ». Citons d’autres mesures comme le « Noël du Maréchal » qui deviendra le « Noël des entreprises », la « Journée nationale des Mères » qui sera bientôt la « Fête des Mères », l’accouchement sous X, la fonction de président – directeur général, et la mise en place des comités sociaux d’entreprises et des comités de sécurité bientôt respectivement renommés « comités d’établissement » et « comités d’hygiène et de sécurité dans les conditions de travail ». L’État français légifère sur le salaire minimum, les accidents du travail, la charge de médecin – inspecteur du travail et impose le numéro de sécurité sociale encore en vigueur.
 
La récompense de « meilleur ouvrier de France » vient, elle aussi, de ces « Années noires ». Par cette politique sociale ambitieuse, « le régime de Vichy avait tenté de mettre en place une “ société d’ordres ”, selon le mot de l’historien François-Georges Dreyfus. En cela, il a réussi (p. 155) ». Sont ainsi créés les ordres professionnels des médecins, des architectes et des experts-comptables. Mais ce versant néo-corporatiste est contrebalancé par des initiatives modernisatrices telles la reconnaissance du travail féminin. La loi du 22 septembre 1942 « institue […] un régime de liberté d’exercice du travail par la femme mariée (p. 140) ». Il en résulte une nette étatisation comme le souligne l’historien immigrationniste Gérard Noiriel : « La révolution nationale entraîne une accélération brutale du processus d’étatisation de la société française, illustrée par l’argumentation spectaculaire du nombre des fonctionnaires (qui progresse de 26 % en cinq ans) (1). »
 
Une attention particulière est portée à la santé avec l’apparition des hôpitaux publics, des carnets de santé et de vaccination, l’extension des allocations familiales et la lutte accrue contre l’alcoolisme avec la fin du droit de bouilleurs de cru. La qualité et le terroir sont exaltés grâce aux A.O.C. (appellations d’origine contrôlée). Cet intérêt social n’est pas une simple caution théorique. « L’idée que l’État doit s’efforcer de résoudre les malheurs du peuple est devenue une évidence pour tous les hommes politiques, y compris pour les partisans de la Révolution nationale, écrit Noiriel. Certes le nouveau régime rejette la démocratie et le suffrage universel. Néanmoins, à aucun moment Pétain et ses collaborateurs n’ont soutenu l’idée qu’il fallait en revenir à un système politique fondé sur l’exclusion des classes populaires. À ma connaissance, on ne trouve dans aucun texte officiel l’idée que les pouvoirs publics ne devraient pas se préoccuper du sort du peuple. Bien au contraire, tout le projet politique de Vichy vise à convaincre l’opinion que le nouveau pouvoir peut résoudre ces problèmes mieux que la IIIe République (2). »
 
Sur les influences inavouées et méconnues entre les deux régimes, Cécile Desprairies ne cache pas que « sur un certain nombre de points, le gouvernement [de Vichy] parachève sans les nommer les initiatives du Front populaire que la IVe République entérinera (p. 12) ». En réalité, la IIIe République dans ses dernières années, l’État français, la France libre et les IVe et Ve Républiques poursuivent les mêmes objectifs. Par exemple, la protection de l’enfant délinquant si chère à Robert Badinter et aux chantres de l’excuse permanente revient au garde des Sceaux du Maréchal Raphaël Alibert… Quant au délit de non-assistance à personne en danger, on apprend que c’est à l’origine une loi de circonstance qui répond aux attentats anti-allemands. Ces quelques cas mis en exergue font écrire à l’auteur que « Vichy a été un régime autoritaire et répressif mais au sein de son œuvre législative, nous devons reconnaître la part d’héritage qu’on lui doit. Certaines lois et pratiques […] ont été constructives, même si pour beaucoup d’entre elles leur application a dû attendre la IVe République pour être efficace (p. 13) ».

L’accouchement méconnu de la France contemporaine
 
On oublie par ailleurs que de nombreux fonctionnaires commencèrent leur carrière au service du vainqueur de Verdun et que les novations du régime les marquèrent durablement. « Les technocrates qui travaillent à l’œuvre de modernisation suivront après 1942 des voies très différentes, certains s’engageant dans la résistance ou rejoignant Alger, d’autres choisissant le parti de la collaboration. Certains feront parler d’eux après 1945 : Pierre de Calan, Claude Gruson, Maurice Couve de Murville… Michel Debré est à Alger, auprès du général Weygand. Bon nombre de ces futurs hauts fonctionnaires de la IVe ou de la Ve République (Paul Delouvrier, Simon Nora… mais aussi des non-fonctionnaires comme Hubert Beuve-Méry ou Jean-Marie Domenach) se retrouvent à l’École nationale des cadres d’Uriage, créé au lendemain de la défaite par Pierre Dunoyer de Segonzac (3). »
 
Cette continuité se retrouve dans le domaine juridique peu traitée, il est vrai, par Cécile Desprairies. La législation actuelle contient encore bon nombre de décisions prises par l’État français. Le remembrement agricole, base de la « révolution silencieuse » des années 1950 – 1960, procède de la loi du 9 mars 1941 et du décret du 7 janvier 1942 validés ensuite par une ordonnance du 7 juillet 1945. Mieux, la loi du 25 novembre 1941 réduit à neuf le nombre de jurés en cours d’assises et autorise les trois magistrats professionnels à assister aux délibérations du jury et à y participer. Le décret du 22 mars 1942 consacré au délit d’entrave à la circulation ferroviaire s’applique toujours en dépit de l’abrogation de plusieurs articles. Une de ces dispositions punit encore d’une amende de quatrième catégorie d’un montant de 135 € toute « violation de l’interdiction de cracher dans une dépendance d’un service public »…
 
Dénié avec force par certains gaullistes, l’État français de Vichy appartient en fait à une variante autoritaire de la République et n’est pas un accident institutionnel. En analysant l’esquisse constitutionnelle du Maréchal, Jacques Godechot relève que « ce projet, qui ne vit pas le jour, est cependant intéressant, car plusieurs de ses articles passeront dans les constitutions et lois ultérieures (4) ». La Révolution nationale s’inscrit dans une tradition française alternative aux modèles républicain et royal qui a donné le Consulat, le Premier Empire (sous réserve de périodisation précise) et le Second Empire non libéral. À l’heure où le Conseil constitutionnel a pris une dimension nouvelle non négligeable alors que son mode de désignation demeure déficient et partial, il serait bon de s’inspirer du projet de 1942 qui envisageait une Cour suprême de justice dont le recrutement mériterait un examen attentif de la part de nos « gouvernants ».
 
L’aura constitutionnel de Vichy s’étendit jusqu’au Général de Gaulle comme le rapporte Michel Debré lors de la rédaction de la Constitution de 1958. « Une fin d’après-midi de juillet, le Général me demande de proposer au comité du soir un article qui eût sanctionné officiellement le titre de “ Chef de l’État ”. Ce que je fais d’autant plus aisément que ce titre consacrait le Droit, tel que nous l’élaborions. Mais par ma proposition, je provoque un tollé. Guy Mollet évoque Vichy et le titre conféré au Maréchal Pétain. Les autres ministres et Cassin lui-même opinent dans le même sens. Je fais observer que c’est une grande querelle pour une voyelle et une consonne. Le Président de la République est “ Chef d’État ”. Est-ce vraiment si dangereux de le dire “ Chef de l’État ” ? Oui, apparemment. L’histoire impose des souvenirs. Le Général reste silencieux. Je n’insiste pas et passe à un autre projet d’article (5). » Une fine analyse du texte initial de la Ve République montrerait que les idées constitutionnelles de Vichy s’y retrouvent, en particulier concernant la fonction et le titre de « Premier ministre ». Par conséquent, les Français devraient accepter, l’esprit tranquille, l’héritage polymorphe de l’État français et mieux comprendre cette période plus cruciale qu’ils ne le croient pour la seconde moitié du XXe siècle.

Georges Feltin-Tracol

Notes
 
1 : Gérard Noiriel, Les origines républicaines de Vichy, Hachette – Littérature, Paris, 1999, p. 163.
 
2 : Idem, pp. 57 – 58.
 
3 : Hervé Coutau-Bégarie et Claude Huan, Darlan, Fayard, Paris, 1989, p. 486. Les auteurs rappellent que Maurice Couve de Murville, futur Premier ministre de De Gaulle entre 1968 et 1969, se mit « à la disposition du haut-commissariat (p. 676) » dirigé depuis Alger par l’amiral Darlan ainsi que le futur responsable gaulliste Olivier Guichard.
 
4 : Les constitutions de la France depuis 1789, présentation de Jacques Godechot, G.F. – Flammarion, Paris, 1979, p. 342.
 
5 : Michel Debré, Trois républiques pour une France. Mémoires, tome II – Agir 1946 – 1958, Albin Michel, Paris, 1988, p. 374.
 
Cécile Desprairies, L’héritage de Vichy. Ces 100 mesures toujours en vigueur, préface d’Emmanuel Le Roy Ladurie, Armand Colin, Paris, 2012, 255 p., 27,50 €.
 

 


 

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vendredi, 17 septembre 2010

Pétain, De Gaulle: deux figures d'un tragique destin

Pétain, De Gaulle : deux figures d’un tragique destin

Pétain, De Gaulle… Réfléchissons un instant à ces personnages d’une époque lointaine. Et d’abord, quelle étonnante destinée que celle du maréchal Pétain ! Avoir été porté si haut et avoir été jeté si bas ! Dans la longue histoire de la France, d’autres grands personnages furent admirés, mais aucun sans doute n’a été plus aimé avant d’être tant dénigré.

Son malheur fut d’hériter, non seulement d’une défaite à laquelle il n’avait pris aucune part, mais plus encore d’un peuple, jadis grand, qui était tombé effroyablement bas. Pourtant, de ce peuple, jamais il ne désespéra. Le général De Gaulle, dont le destin croisa si souvent le sien, ne nourrissait pas les mêmes espérances, sinon les mêmes illusions. « J’ai bluffé. confiera-t-il vers 1950 à Georges Pompidou, mais la 1 ère armée, c’était des nègres et des Africains (il voulait dire des « pieds-noirs »). La division Leclerc a eu 2 500 engagés à Paris. En réalité, j’ai sauvé la face, mais la France ne suivait pas. Qu’ils crèvent ! C’est le fond de mon âme que je vous livre : tout est perdu. La France est finie. J’aurai écrit la dernière page. » (1)

Cela, même aux pires moments, Pétain eût été incapable de le penser.

Il était né en 1856 dans une famille de paysans picards, sous le règne de Napoléon III, avant l’automobile et avant l’électricité. Trois fois, il connut l’invasion de sa patrie, en 1870, en 1914 et en 1940. La première fois, il était adolescent et son rêve de revanche fit de lui un soldat.

En 1914, il avait 58 ans. Son indépendance d’esprit l’avait écarté des étoiles. Simple colonel, il se préparait à la retraite. L’assassinat à Sarajevo d’un archiduc autrichien et l’embrasement de l’Europe en décidèrent autrement. L’épreuve, soudain, le révéla. Quatre ans plus tard, il commandait en chef les armées françaises victorieuses de 1918 et recevait le bâton de maréchal de France. De tous les grands chefs de cette guerre atroce, il fut le seul à être aimé des soldats. Contrairement à tant de ses pairs, il ne voyait pas dans les hommes un matériel consommable. Le vainqueur de Verdun était l’un des rares à comprendre qu’il ne servait à rien d’être victorieux si le pays était saigné à mort.

Il y a bien des explications à la défaite de 1940, mais pour le vieux Maréchal, l’une des causes premières se trouvait dans l’effroyable saignée de 14-18. L’holocauste d’un million et demi d’hommes jeunes avait tué l’énergie de tout un peuple.
La première urgence était donc de maintenir ce peuple autant que possible à l’abri d’une nouvelle tuerie. Simultanément, Pétain espérait une future renaissance d’une « révolution nationale ». On l’en a blâmé. Certes, tout pouvait être hypothéqué par l’Occupation. En réalité, il n’avait pas le choix. La « révolution nationale » ne fut pas préalablement pensée. Avec toutes ses équivoques, elle surgit spontanément comme un remède nécessaire aux maux du régime précédent.

Aujourd’hui, dans la sécurité et le confort d’une société en paix, il est facile de porter sur les hommes de ce temps-là des jugements définitifs. Mais cette époque brutale et sans pitié ne pouvait se satisfaire de pétitions morales. Elle exigeait à chaque instant des décisions aux conséquences cruelles qui pouvaient se traduire, comme souvent en temps de guerre, par des vies sacrifiées pour en sauver d’autres.

À Cangé, en conseil des ministres, le 13 juin 1940, ayant pris la mesure exacte du désastre, le maréchal Pétain, de sa voix cassée, traça la ligne de conduite qui allait être la sienne jusqu’au bout, en 1944 : « Je déclare en ce qui me concerne que, hors du gouvernement, s’il le faut, je me refuserai à quitter le sol métropolitain. Je resterai parmi le peuple français pour partager ses peines et ses misères. »

Pour qui n’assumait pas de responsabilité gouvernementale, il était loisible de prendre un autre parti et de relever symboliquement le défi des armes. Et il est salubre que quelques audacieux aient fait ce choix. Mais en quoi cela retire-t-il de la noblesse à la sacrificielle résolution du maréchal Pétain ?

Les adversaires du général De Gaulle ont tenté de minimiser la portée et la hauteur de son propre geste, l’appel à une résistance ouverte. Ils ont fait valoir que l’ancien protégé du Maréchal ne s’était pas embarqué dans l’aventure sans parachute. Ils ajoutent qu’affronter les Allemands, depuis Londres, derrière un micro, était moins périlleux que de le faire en France même, dans un face à face dramatique, inégal et quotidien. Peut-être. Mais, parachute ou pas, le choix rebelle du Général était d’une rare audace. Fruit d’une ambition effrénée, ripostent ses détracteurs. Sans doute. Mais que fait-on sans ambition ?

Ce type d’ambition, cependant, faisait défaut au maréchal Pétain. A 84 ans, avec le passé qui était le sien, il n’avait plus rien à prouver et tout à perdre.

Si notre époque était moins intoxiquée de basse politique et de louches rancunes, il y a longtemps que l’on aurait célébré la complémentarité de deux hommes qui ont racheté, chacun à leur façon, ce qu’il y eut de petit, de vil et d’abject en ce temps-là.

Dominique Venner

Notes:

1. Georges Pompidou, Pour rétablir une vérité, Flammarion, 1982, p 128

Source : DominiqueVenner.fr

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