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vendredi, 17 septembre 2010

Du verlan

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Du VERLAN

 

L'origine de cette façon de s'exprimer est indéterminable: il est probable que l'inversion des syllabes existe depuis que l'homme a structuré un langage. L'utilisation du verlan est tout aussi hypothétique, pour masquer un mot cru, une vérité trop dure, pour que la domesticité présente ne comprenne pas... L'inversion portait sur un mot ou sur les deux ou trois mots clés de la phrase, et elle était orale. Les premières traces de verlan écrit remontent au début du 19ème siècle, dans les écoles militaires napoléoniennes: remarques ironiques sur un instructeur, rendez-vous pour faire le mur, descriptifs laconiques sur une bonne fortune... Dès le milieu du siècle, le processus s'était étendu aux lycées et collèges, surtout dans les pensionnats.

 

renaud.jpgLa comparaison de ces petites notes laisse apparaître des constantes dans l'écriture: l'orthographe est respectée (d'où, il est plus correct d'écrire verlen), sont supprimées les lettres muettes en fin de mot, les doubles consonnes lorsqu'elles se retrouvent en début, les apostrophes sont bannies et le mot élidé est soudé au mot suivant; le S et le ILLE entraîne des modifications selon la phonétique (baiser = zébai, baisser = sébai); le verlan distingue les terminaisons avec consonnes prononcée et celles avec E muet (travail = vailtra, travaille = yevatra); aucune abréviation n'est notée et les diphtongues sont coupées en deux sons le plus souvent (viens = invi); les mots d'une syllabe sont laissés tels quels.

 

Ce système d'écriture simple pouvait être très rapidement décrypté, aussi, lorsque certains personnages de la Commune ont repris le verlan, ils ont utilisé un double codage basé sur le jeu des sons: le message décomposé en syllabes phonétiques puis rangé en ordre inverse était retranscrit en d'autres mots pour donner un texte en français dont la clarté était douteuse; en cas d'interception, le décodeur s'acharnait sur le sens obscur des phrases et ne songeait pas à l'inversion; mais, s'il y pensait, tout était prévu: le verlan avait subi bien des métamorphoses. Les abréviations étaient courantes (M. D. = è me dé), l'argot ou les régionalismes entre “pays” firent leur apparition; on admit les variations d'un même phonème (o ou au, mais aussi p ou b, d ou t, etc...) et les approximations (viens et vingt).

 

Les sons composés pouvaient être ou non scindés (gla = gue la), les diphtongues notées ou non (reviens = in vi re ou vien re), la liaison marquée ou non (Paul et Jacques = po le ja que); les mots à une syllabes pouvait être inversés lettre à lettre (col = loc), les lettres muettes étaient soit ignorées soit rajoutées. Le but était de proposer quelques lignes cohérentes mais sibyllines; lorsque l'on tente de décoder ce type de phrases, on tombe presque toujours sur plusieurs possibilités ou sur un groupe de sons difficilement traduisibles parce que les mots nous sont devenus étrangers (patois ou français patoisant). En outre la ponctuation du texte original est supprimée au bénéfice du texte verlan.

 

Certains écrivains proches du milieu communard ont introduit dans leur œuvre le procédé, séduits par l'aspect ludique et, pour certain d'entre eux, pour le plaisir de savoir le lecteur en train de lire des insanités sans les soupçonner (Verlaine et Rimbaud par exemple sont particulièrement osés).

 

Le verlan dégénère lui aussi victime de l'inculture ou d'autres cultures: si le mot s'écrit aujourd'hui avec AN, c'est parce que, ailleurs, EN se prononce IN, mais, en français, il n'y a aucune raison de modifier l'orthographe du son. La phonétique n'est même plus respectée ou, plus exactement, elle respecte un accent étranger. Ce qui pourrait être un jeu culturel n'est plus que l'expression de la vulgarité et de la déchéance intellectuelle.

 

Marie BRASSAMIN.

 

00:05 Publié dans Langues/Linguistique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : langues, linguistique, langue, argot, verlan | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook