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samedi, 30 juin 2007

R. Steuckers: Discours sur l'euro

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Robert Steuckers

«L'Euro ne sera une véritable monnaie que si l'Europe est forte et souveraine!»

     Chers amis,

     A moins de trois semaines de l'introduction officielle de l'Euro dans l'UE, à l'exception du Royaume-Uni, du Danemark et de la Suède, je voudrais rappeler trois faisceaux de faits, qui doivent encadrer toute pensée sur la nouvelle monnaie unique, que cette pensée lui soit hostile ou favorable. Je ne suis pas un

économiste et Monsieur Chalumeau, ici présent, vous présentera le volet économique de l'introduction de l'Euro avec beaucoup plus de brio que moi. Mon propos sera donc de donner quelques idées cadres et de rappeler quelques faits historiques. 

1. D'abord, l'Euro n'est pas la première monnaie à vocation européenne ou internationale. L'Union latine, de la fin du 19ième siècle à 1918, a introduit une monnaie supranationale partagée par la France, la Belgique, la Suisse, la Grèce, plus tard l'Espagne et le Portugal, suivis de la Russie et de certains pays d'Amérique latine. La première guerre mondiale, ayant créé des disparités énormes, a mis fin à ce projet d'unification monétaire, dont le moteur était la France avec son franc-or. L'Euro, dans cette perspective, n'est donc pas une nouveauté.  
2. Sur base du souvenir de l'Union latine et sur base des volontés, à l'époque antagonistes, de créer l'Europe économique autour de la nouvelle puissance industrielle allemande, l'idée de créer une monnaie pour le continent européen tout entier n'est pas a priori une mauvaise idée, bien au contraire. Le principe est bon et pourrait favoriser les transactions à l'intérieur de l'aire civilisationnelle européenne. Mais si le principe est bon, la réalité politique actuelle rend l'Europe inapte, pour l'instant, à garantir la solidité d'une telle monnaie, contrairement à l'époque de l'Union latine, où la position militaire des nations européennes demeurait prépondérante dans le mon-de.  
3. L'Europe est incapable de garantir la monnaie qu'elle se donne aujourd'hui parce qu'elle subit un terrible déficit de souveraineté. Dans son ensemble, l'Europe est un géant économique et un nain politique: on a répété cette com-paraison à satiété et à juste titre. Quant aux Etats nationaux, même les deux principaux Etats du sous-continent européen, membres de l'UE, la France et l'Allemagne, ne peuvent prétendre à l'exercice d'une souveraineté capable de résister voire de battre la seule puissance véritablement souveraine du monde unipolaire ac-tuel, c'est-à-dire les Etats-Unis d'Amérique. Les dimensions territoriales somme toute réduites de ces pays, le nom-bre restreint de leur population ne permettent pas la levée d'impôts suffisants pour se doter des éléments techniques qui seraient en mesure d'asseoir une telle souveraineté. Car aujourd'hui, comme hier, est souverain qui peut décider de l'état d'urgence et de la guerre, comme nous l'enseignait Carl Schmitt. Mais pour être souverain, il a toujours fallu disposer de moyens techniques et militaires supérieurs (ou au moins égaux) à ses adversaires potentiels. A l'heure actuelle, ces moyens sont un système de surveillance électronique planétaire, com-me le réseau ECHELON, né des accords UKUSA (Royaume-Uni et Etats-Unis), qui englobent aussi le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, anciens dominions britanniques. La maîtrise de l'espace circumterrestre par les puissances navales anglo-saxonnes découle d'une stratégie longuement éprouvée: celle qui vise à maîtriser les "res nullius" (les "territoires" qui n'appartiennent, et ne peuvent appartenir, à personne, parce qu'ils ne sont pas telluriques mais marins ou spatiaux). 

     La première "res nullius" maîtrisée par l'Empire britannique a été la mer, d'où ont été impitoyablement éliminés les Français, les Russes, les Allemands et les Japonais. Sous l'impulsion idéologique de l'Amiral Mahan et de la "Navy League" américaine, les Etats-Unis ont pris le relais En 1922, le Traité de Washington consacre la suprématie navale anglo-saxonne et japonaise (le Japon ne sera éliminé qu'en 1945), réduisant à néant la flotte allemande construite par Tirpitz et à la portion congrue les flottes française et italienne. La France subit là une gifle particulièrement humiliante et scandaleuse, dans la mesure où elle avait sacrifié 1,5 million de soldats dans une guerre atroce dont les deux puissances navales anglo-saxonnes allaient tirer tous les bénéfices, avec des sacrifices proportionnellement moindres. La domination des mers, première res nullius, entraînera la maîtrise d'un autre espace englobant, dont la maîtrise permet d'étouffer les continents, selon la "stratégie de l'anaconda" (Karl Haushofer). Cet autre espace englobant, également res nullius, est l'espace circumterrestre, conquis par la NASA et désormais truffé de satellites de télécommunications et d'observation, qui donnent aux puissances qui les alignent et les pilotent une supériorité en matière de renseignement et de guidage des tirs balistiques. Les puissances qui ne sont ni marines ni spatiales sont alors littéralement étouffées et broyées par l'anaconda naval et l'anaconda satellitaire. Français et Allemands ont toujours eu du mal à comprendre l'utilité des "res nullius" maritime et circumterrestre, malgré les avertissements d'un Ratzel, d'un Tirpitz ou d'un Castex. Les peuples rivés à la terre, soucieux de vivre selon les règles d'un droit bien solide et précis, évitant toute ambiguïté, admettent difficilement qu'un espace, même impalpable comme l'eau ou l'éther atmosphérique ou stratosphérique, n'appartient à personne. Cette qualité paysanne, ce souci du tangible qui est foncièrement honnête, hérités de Rome, s'avèrent tares devant une approche contraire qui, elle, privilégie la mobilité incessante, la conquête de lignes de communication invisibles et non quantifiables par un géomètre ou un arpenteur. 

     Voilà donc les trois faisceaux de considérations que je voudrais que vous reteniez tous après cette soirée.

     Espace circumterrestre et souveraineté militaire réelle

     Avant de conclure, je me permettrais de vous faire part de quelques autres considérations, cette fois d'ordre historique et monétaire. L'Euro nous a été présenté comme la monnaie qui concurrencera le dollar et éventuellement l'éclipsera. Face à ce jeu de concurrence, l'Euro part perdant, car le dollar américain, lui, dispose d'une couverture militaire évidente, comme l'ont prouvé les trois derniers conflits du Golfe, des Balkans et de l'Afghanistan. L'incontestable souveraineté militaire américaine se voit consolidée par un appareil diplomatique bien rodé où l'on ne tergiverse et ne discute pas inutilement et où l'on dispose d'un savoir historique bien charpenté, d'une mémoire vive du temps et de l'espace, contrairement à l'anarchie conceptuelle qui règne dans tous les pays d'Europe, victimes d'histrions politiques écervelés, dans la mesure où ils ne se sentent plus du tout responsables d'une continuité historique, qu'elle soit nationale-étatique ou continentale; cette irresponsabilité débouche sur toutes les fantaisies budgétaires, toutes les capitulations, toutes les démissions. Attitudes qui interdisent l'éclosion d'une souveraineté, donc aussi le droit régalien de battre monnaie. La conquête par l'Amérique de l'espace circumterrestre donne un avantage énorme dans la course aux renseignements, comme nous allons le voir tout à l'heure. Or, depuis le Chinois de l'antiquité, Sun Tzu, n'importe quel débutant en études stratégiques, donc en études politiques, sait que la puissance provient de l'abondance et de la précision du renseignement: 1) Sun Tzu: "Si tu connais l'ennemi et si tu te connais toi-même, tu ne connaîtras aucun danger dans cent batailles". 2) Machiavel: "Quelles sont les ressources physiques et psychiques que je contrôle, quelles sont celles que contrôle mon concurrent?". 3) Helmuth von Moltke: "Rassembler de manière continue et exploiter toutes les informations disponibles sur tous les adversaires potentiels". 4) Liddell-Hart: "Observer et vérifier de manière durable, pour savoir où, comment et quand je pourrai déséquilibrer mon adversaire".  Depuis 2500 ans, la pensée stratégique est unanime; les officines stratégiques britanniques et américaines en appliquent les axiomes; le personnel politique européen, histrionique, n'en tient pas compte. Donc l'Euro restera faible, fragile devant un dollar, peut-être économiquement plus faible dans l'absolu ou en pure théorie économique, mais couvert par une armée et un système de renseignement redoutablement efficace.

     Le seul atout de l'Euro est la quantité des échanges intérieurs de l'UE: 72%. Magnifique performance économique, mais qui nie les principes d'autarcie ou d'autosuffisance, opte donc pour un type d'économie "pénétrée" (Grjébine) et ne protège pas le marché par des instruments étatiques ou impériaux efficaces. De telles inconséquences conduisent à l'échec, au déclin et à l'effondrement d'une civilisation. 

     Autre aspect de l'histoire monétaire du dollar: contrairement aux pays européens, dont les espaces sont réduits et densément peuplés, et exigent donc une organisation rationnelle stricte impliquant une dose plus forte d'Etat, le territoire américain, encore largement vierge au 19ième siècle, constituait à lui seul, par sa simple présence, un capital foncier non négligeable, potentiellement colossal. Ces terres étaient à défricher et à organiser: elles formaient donc un capital potentiel et constituaient un appel naturel à des investissements destinés à devenir rentables dans tous les cas de figure. De surcroît, avec l'afflux d'immigrants et de nouvelles forces de travail, les exportations américaines en tabac, coton et céréales ne cessaient de croître et de consolider la monnaie. Le monde du 19ième siècle n'était pas clos, comme celui du 20ième et a fortiori du 21ième, et autorisait tout naturellement des croissances exponentielles continues, sans gros risques de ressacs. Aujourd'hui, le monde clos n'autorise pas autant d'espoir, même si les produits européens d'aujourd'hui sont parfaitement vendables sur tous les marchés du globe. Le patrimoine industriel européen et la production qui en découle sont indubitablement les atouts majeurs de l'Euro, mais, contrairement aux Etats-Unis, l'Europe souffre d'une absen-ce d'autarcie alimentaire (seules la France, la Suède et la Hongrie bénéficient d'une autarcie alimentaire relative). Elle est donc extrêmement fragilisée à ce niveau, d'autant plus que son ancien "poumon céréalier" ukrainien a été ruiné par la gestion désastreuse du communisme soviétique. Les Américains sont très conscients de cet-te faiblesse et l'ancien ministre Eagleburger constatait avec la satisfaction du puissant que "les denrées alimentaires étaient la meilleure arme dans l'arsenal américain". 

     Les deux escroqueries qui ont "fait" le dollar

     Le dollar, appuyé sur des réserves d'or provenant partiellement de la ruée de 1848 vers les filons de la Californie ou de l'Alaska, s'est consolidé également par une escroquerie retentissante, qu'il n'était possible de commettre que dans un monde où subsistaient des clôtures. Cette escroquerie a eu le Japon pour victime. Vers la moitié du 19ième siècle, désirant augmenter leurs réserves d'or pour avoir une couverture suffisante pour entamer le processus de rentabilisation du territoire américain, depuis le Middle West jusqu'à la Californie, fraîchement conquise sur le Mexique, les Etats-Unis s'aperçoivent que le Japon, isolé volontairement du reste du monde, pratique un taux de conversion des métaux précieux différent du reste du monde: au Japon, en effet, on échange un lingot d'or pour trois lingots d'argent, alors que partout ailleurs la règle voulait que l'on échangeât un lingot d'or pour quinze lingots d'argent. Les Américains achètent la réserve d'or du Japon en la payant au mode d'échange japonais, c'est-à-dire au cinquième de sa valeur! L'Europe n'aura pas la possibilité de commettre une telle escroquerie, pour consolider l'Euro. Deuxième escroquerie: la rentabilisation de l'Ouest passe par la création d'un colossal réseau de chemins de fer, dont les fameux transcontinentaux. Faute d'assez d'investisseurs américains, on fait appel à des investisseurs européens, en leur promettant des dividendes extraordinaires. Une fois les voies et les ouvrages d'art installés, les sociétés de chemin de fer se déclarent en faillite, ne remboursant dès lors ni dividendes ni capitaux. La liaison Est-Ouest par voies ferrées n'a rien coûté à l'Amérique; elle a ruiné des Européens naïfs et fait la fortune de ceux qui allaient immédiatement les utiliser.  

     Les Etats-Unis ont toujours visé le contrôle de la principale source énergétique, le pétrole, notamment en concluant très tôt des accords avec l'Arabie Saoudite. La guerre qui se déroule aujourd'hui en Afghanistan n'est ja-mais que le dernier volet d'une guerre qui dure depuis très longtemps et qui a pour objet l'or noir. Je ne m'é-ten-drai pas sur les vicissitudes de ce vieux conflit, mais je me bornerai à rappeler que les Etats-Unis possèdent sur leur propre territoire suffisamment de réserves pétrolières et que le contrôle de l'Arabie Saoudite ne sert qu'à empêcher les autres puissances d'exploiter ces gisements d'hydrocarbures. Les Etats européens et le Japon ne peuvent quasiment acquérir de pétrole que par l'intermédiaire de sociétés américaines, américano-saoudiennes ou saoudiennes. Cet état de choses indique ou devrait indiquer la nécessité absolue de posséder une autonomie énergétique, comme le voulait De Gaulle, qui pariait certes sur le nucléaire (à l'instar de Guillaume Faye), mais pas exclusivement; les projets gaulliens en matière énergétique visaient l'autarcie maximale de la nation et prévoyaient la diversification des sources d'énergie, en pariant aussi sur les éoliennes, les usines marémotrices, les panneaux solaires, les barrages hydro-électriques, etc. Si de tels projets étaient à nouveau élaborés en Europe à grande échelle, ils consolideraient l'Euro, qui, ipso facto, ne serait pas fragilisé par des coûts énergétiques trop élevés. 

     Autre atout qui favorise le dollar: l'existence du complexe militaro-industriel. Immédiatement avant la guerre de 1914, les Etats-Unis étaient débiteurs face aux Etats européens. Ils ont fourni des quantités de matériaux di-vers, d'aliments en conserve, de camions, de coton, de munitions aux alliés occidentaux, que ceux-ci ont livré leurs réserves et sont passés du statut de créanciers à celui de débiteurs. L'industrie de guerre américaine était née. Elle démontrera sa redoutable efficacité de 1940 à 1945 en armant non seulement ses propres troupes, mais aussi celles de l'Empire britannique, de l'armée levée par De Gaulle en Afrique du Nord et de l'armée soviétique. Les guerres de Corée et du Vietnam ont été de nouvelles "injections de conjoncture" dans les années 50, 60 et 70. L'OTAN, si elle n'a pas servi à barrer la route à l'hypothétique envahisseur soviétique, a au moins ser-vi à vendre du matériel aux Etats européens vassaux, à la Turquie, à l'Iran et au Pakistan. L'industrie de guerre européenne, sans doute capable de fabriquer du matériel plus performant en théorie, manque de coordination et bon nombre de tentatives amorcées pour coordonner les efforts européens sont purement et simplement torpillées: je rappelle que le "pool" européen de l'hélicoptère, qui devait unir MBB (Allemagne), Das-sault et Westland (Royaume-Uni) a été saboté par Lord Brittan. 

     En 1944, la situation est tellement favorable aux Etats-Unis, grands vainqueurs du conflit, qu'un taux fixe d'échange entre le dollar et l'or est établi: 35 $ pour un once d'or. Nixon mettra fin à cette parité en 1971, provo-quant la fluctuation du dollar, qui, entre lui et Reagan, va varier entre 28 FB et 70 FB (4,80 FF et 11,5 FF au taux actuel). Mais ces fluctuations, que d'aucuns feignaient de percevoir comme des calamités, ont toujours ser-vi la politique américaine, ont toujours créé des situations favorables: le dollar bas facilitait les exportations et le dollar élevé permettait parfois de doubler le prix des factures libellées en dollars et d'engranger ainsi des capitaux sans coup férir. On peut douter que l'Euro soit en mesure un jour de se livrer aux mêmes pratiques. 

     Revenons à l'actualité: en 1999, au début de l'année, tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour l'Euro. L'inflation diminuait dans les Etats membres de l'Union. Les déficits budgétaires nationaux se résorbaient. La conjoncture était bonne. Les Etats d'Asie, notamment les NPI, annonçaient qu'ils se serviraient de l'Euro. Avec le déclenchement de la guerre des Balkans, l'Euro passera du taux de change de 1 Euro pour 1,18 $, le 4 janvier 1999, à 1 Euro pour 1,05 $ à la fin avril, en pleine guerre dans le ciel serbe, et à 1 Euro pour 1,04 $ en juin, au moment où cessent les bombardements en Yougoslavie. En tout et pour tout, l'Euro aura perdu 11% de sa valeur (18% disent les plus pessimistes), à cause de l'opération contre Milosevic, démonisé par les bons soins de CNN. 

     La guerre du Kosovo a dangereusement fragilisé l'Euro

     Après la guerre du Kosovo, l'Euro, fragilisé, acquiert la réputation d'être une monnaie de perdants. L'Europe devient un théâtre de guerre, ce qui diminue la confiance en ses institutions, notamment en Asie. L'arrêt des bombardements ne signifiant pas la fin des hostilités dans les Balkans, on verra une UE impuissante à maintenir l'ordre dans sa propre aire géopolitique. L'économiste allemand Paul J. J. Welfens énonce six raisons concrètes pour expliquer la dévaluation de l'Euro:
   1. Il n'y aura plus de démarrage dans le Sud-Est du continent avant longtemps. L'espace balkanique, ajouterais-je, est un "espace de développement complémentaire" (Ergänzungsraum) pour l'Europe occidentale et centrale, com-me c'était d'ailleurs déjà le cas avant 1914. Une des raisons majeures de la première guerre mondiale a été d'em-pêcher le développement de cette région, afin que la puissance allemande, et subsidiairement la puis-san-ce russe, ne puisse avoir de "fenêtre" sur la Méditerranée orientale, où se trouve le Canal de Suez, dont les Français avaient été évincés en 1882. En 1934, quand Goering, sans tenir compte du désintérêt de Hitler, par-vient à créer un modus vivendi par ses accords avec les dirigeants hongrois et roumains, et surtout par son en-ten-te avec le brillant économiste et ministre serbe Stojadinovic, les services américains évoquent la création de facto (et non de jure) d'un "German Informal Empire" dans le Sud-Est européen, ce qui constitue un "casus belli". En 1944, Churchill parvient à morceler les Balkans en gardant la Grèce, en "neutralisant" la Yougoslavie au bénéfice de l'Occident et en laissant tous les pays sans façade méditerranéenne à Staline et aux Soviétiques, qui furent ainsi totalement roulés dans la farine en dépit du rôle de "grands méchants" qu'on leur donnait. La fin du Rideau de fer aurait pu permettre, à terme, de refaire des Balkans cet "espace de développement complémentaire" dans l'aire européenne. Fidèles à leur volonté de toujours balkaniser les Balkans pour qu'ils ne deviennent jamais l'appendice de l'Allemagne ou de la Russie, les Américains ont réussi à geler tout développement potentiel dans la région pour de nombreuses décennies. L'Europe ne bénéficiera donc pas de l'espace de développement sud-oriental. Par conséquent, cet état de choses ralentira la conjoncture et les premières victimes de la paralysie des activités dans les Balkans sont l'Allemagne (comme par hasardЉ), l'Italie, l'Autriche (qui avait triplé ses exportations depuis 1989) et la Finlande. L'Euro en pâtira. 

     2. Les "dégâts collatéraux" de la guerre aérienne ont provoqué des flots de réfugiés en Europe, ce qui coûtera 40 milliards d'Euro à l'UE. 

     3. L'Europe sera contrainte de développer un "Plan Marshall" pour les Balkans, qui représentera, une demie année du budget de l'UE!

     4. Les migrations intérieures, provoquées par cette guerre et par le pourrissement de la situation, notamment en Macédoine et dans une Serbie privée de bon nombre de ses atouts industriels, vont poser problème sur le marché du travail et augmenter le taux de chômage dans l'UE, alors que, justement, ce taux de chômage élevé con-stitue l'inconvénient majeur de l'économie de l'UE.

     5. La guerre permanente dans les Balkans mobilise les esprits, rappelle Welfens, qui ne songent plus à mettre au point les projets de réformes structurelles nécessaires dans l'ensemble du continent (réformes structurelles qui voient par ailleurs leurs budgets potentiels considérablement rognés). 

     6. La guerre en Europe va entraîner une nouvelle course aux armements, qui va bénéficier aux Etats-Unis, déten-teurs du meilleur complexe militaro-industriel. 

     Nous voyons donc que la solidité d'une monnaie ne dépend pas tant de facteurs économiques, comme on tente de nous le faire accroire pour mieux nous ahurir, mais dépend essentiellement du politique, de la souveraineté réelle et non de la souveraineté théorique. 

     Cette souveraineté, comme je l'ai déjà dit au début de cet exposé, reposerait, si elle existait dans le chef de l'Europe, sur un système au moins équivalent à celui d'ECHELON. Car ECHELON ne sert pas à guider les missiles, comme une sorte de super-AWACS, mais sert surtout à espionner les secteurs civils. Dans l'enquête que le Parlement Européen a ordonné récemment sur le réseau ECHELON, on a pu repérer des dizaines de cas où de grands projets technologiques européens (notamment chez Thomson en France ou chez un concepteur d'éoliennes en Allemagne) ont été curieusement dépassés par leurs concurrents américains, grâce à ECHELON. L'élimination des firmes européennes a entraîné des faillites, des pertes d'emploi et donc un recul de la conjoncture. Comment l'Europe peut-elle, dans de telles conditions, consolider sa monnaie? Pire: l'atout européen majeur, ces fameux 72% de transactions internes à l'Union, risque d'être écorné si des firmes américaines fournissent des produits de haute technologie à vil prix (puisqu'elles n'en ont pas financé la recherche!). 

     L'Euro est une bonne idée. Mais l'UE n'est pas une instance politique décisionnaire. Le personnel politique qui l'incarne est histrionique, s'avère incapable de hiérarchiser les priorités. Dans de telles conditions, nous courrons à la catastrophe.
 

     12 décembre 2001 

 

ENGLISH SUMMARY
 

«The euro will  be a real currency only in a strong and sovereign Europe!» 


Address by Robert Steuckers to the Euro colloqium in Paris-Saint-Germain, December 13 2001, and to a meeting of “European Renaissance”, Brussels, December 20 2001  
 

In the present situation Europe is unable to guarantee its new currency. There is a terrible deficit of sovereignty. Europe is an economic giant but a political dwarf.
Sovereignty means owning technical and military means comparable to the ones of the potential enemy. But today the aerial and sea spaces are mastered by the US.
The only strong point of the euro is the high level of intra-European trade; but it is counterbalanced by a contradictory policy denying protection to the European market.
Europe cannot count upon the extraordinary conditions that favoured the rise of the dollar to world supremacy: the iniquous acquisition of Japanese gold, the exploitation of European investment in US railways, the control on energy sources, the existence of the military-industrial complex, and finally the unique situation that existed after World War II..
Besides, the euro has undergone a true sabotage due to the economic and political consequences of the Kosovo war.
To sum up, the strength of any currency lies not so much on economic factors, as on the essentially political factor of true sovereignty. As long as this element is missing, Europe is running towards catastrophe.

(M.C.)

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Eau et paix au Moyen-Orient

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EAU ET PAIX AU MOYEN-ORIENT
La mer à boire : une solution durable ?
Nathalie Haller, Karen Lemasson, Laurie Menger
 

L'accès à l'eau représente un des plus grands défis planétaires. Face aux enjeux humains, économiques et politiques qu'une telle situation sous-entend, des solutions nouvelles doivent être imaginées. En analysant le cas de l'usine de dessalement d'Ashkelon en Israël, les auteurs tentent de déterminer si cette réponse peut être réellement considérée comme une voie d'avenir durable face au problème de stress hydrique dans une région sous tension.

ISBN : 978-2-296-03159-3 • juin 2007 • 138 pages

Prix éditeur : 13 €

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vendredi, 29 juin 2007

La Turquie et l'Europe

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La Turquie et l'Europe

Entretien de Robert Steuckers à la revue étudiante "Branding" - Propos recueillis par Jurgen Branckaert

1. Le 6 octobre dernier [2004], la Commission Européenne a donné un avis positif pour l’adhésion de la Turquie à l’UE, malgré de vastes protestations émises par de nombreuses forces politiques  européennes et leur arrière-ban. Nous nous posons la question : le combat contre cette adhésion est-il terminé, faut-il déposer les armes?

Non, le combat n’est pas terminé. Comme d’habitude, on a une nouvelle fois escamoté les problèmes. Car ils sont légion : le déficit de l’économie turque atteint des proportions  formidables, en dépit d’incontestables améliorations au cours de ces quelques dernières années. Mais, le passif reste trop important pour qu’il puisse être tout simplement absorbé par des subsides venus du reste le l’UE. Avec la meilleure volonté du monde, on ne peut y remédier, alors que l’Europe elle-même a un besoin urgent de nouveaux investissements structurels, notamment dans les zones plus ou moins sinistrées d’Europe occidentale, dans les Länder de l’Allemagne de l’Est, en Pologne ou en d’autres zones de l’ancien COMECON. Qui plus est, la démographie turque s’accroît sans arrêt. Les experts en questions démographiques prévoient que la population turque atteindra le chiffre de 95 millions d’âmes en 1925. Cet accroissement démographique considérable contribuera à accroître le déficit de l’économie turque et augmentera le nombre de chômeurs autochtones là-bas, qui ne pourront pas vraiment être aidés. Ensuite, si la Turquie adhère, la politique agricole commune, pratiquée depuis les origines du “Marché Commun” ne pourra plus exister et fera totalement faillite. On ne pourra tout simplement plus la financer, car, ne l’oublions pas, le pourcentage de la population turque qui vit de l’agriculture atteint le chiffre de 35%, alors qu’il n’est que de 5,6% dans le reste de l’Union. Enfin, on peut raisonnablement s’attendre à ce que, sur le plan des droits de l’homme, le gouvernement turc commette encore quelques solides gaffes, notamment au Kurdistan. A cela s’ajoute que le projet d’adhésion suscitera une forte résistance dans certains pays de l’Union qui ne sont pas spécialement turcophiles, comme Chypre et la Grèce. A mes yeux, les Etats de l’ancienne fédération yougoslave devraient bénéficier d’une priorité absolue dans leur droit historique à faire partie de la communauté des peuples européens, que prétend être l’Union. Ces Etats cultiveront évidemment une méfiance à l’endroit d’Ankara. Les cercles d’inspiration identitaire en Europe doivent poser des conditions claires, sans aucune ambiguïté :
1) Toutes les troupes turques doivent quitter sans délais et sans conditions, le Nord de l’île de Chypre;
2) Le Kurdistan doit bénéficier d’un statut d’autonomie;
3) La Turquie doit reconnaître le génocide jadis perpétrer contre les Arméniens et les Grecs;
4) La Turquie doit reconnaître sur son territoire toutes les Eglises chrétiennes orientales (notamment celles des communautés araméennes établies le long de la frontière syrienne);
5) La Turquie doit s’interdire d’apporter toute aide matérielle et tout soutien idéologique au terrorisme tchétchène;
6) La Turquie doit rendre Sainte-Sophie au culte de l’Eglise grecque-orthodoxe;
7) La Turquie doit s’abstenir de s’immiscer dans les affaires intérieures des républiques turcophones de l’ancienne Union Soviétique;
8) La Turquie doit mettre un terme à sa politique de construire des barrages sur les cours du Tigre et de l’Euphrate, qui conduit à assécher l’ensemble du Moyen-Orient.
Telles sont les principales conditions que la Turquie doit satisfaire pour devenir un membre à part entière de l’UE. Or, aucune de ces conditions ne pourra jamais être acceptée par un gouvernement turc, quelle que soit sa couleur, ce que l’on peut parfaitement comprendre du point de vue turc. Mais, du point de vue européen, ces conditions constituent le strict minimum pour une Turquie européenne crédible, pour que la Turquie prouve sa loyauté à la civilisation dont elle veut faire partie.


2. Pouvez-vous expliciter les principaux arguments historiques, culturels et politiques qui plaident contre une adhésion turque à l’UE?

Sur le plan historique, on pourrait écrire des centaines de volumes pour démontrer que l’Europe, d’une part, et la Turquie, d’autre part, sont deux mondes politiques fondamentalement différents, antagonistes et irréconciliables. En l’an 955, après la Bataille de Lechfeld en Bavière, le futur empereur romain-germanique Othon I bat les Hongrois définitivement et met un terme aux invasions constantes subies par l’Europe en provenance de la steppe eurasiatique. Les Rois de Hongrie ont dû promettre de ne plus jamais mener des campagnes et des raids en direction de l’Europe occidentale, de défendre le Danube et la plaine de Pannonie contre toutes les incursions ou invasions à venir issues du fonds du continent asiatique. Les Hongrois ont donc dû changer complètement de perspective géopolitique. Telle est l’essence de leur conversion, qui, de fait, est d’ordre géopolitique, et non pas tant d’ordre religieux. Après la chute de Constantinople en mai 1453, le Pape Pie II suggère les mêmes conditions au Sultan, qui les refuse. Pie II avait été le Chancelier de l’Empereur romain-germanique Frédéric III. Avant d’avoir assuré cette haute fonction politique, il avait été un humaniste italien, traducteur de textes antiques. Il avait notamment traduit le “De Germania” de Tacite puis esquissé un programme géopolitique européen dans son “De Europa”, où il démontrait que l’Europe était de facto le Saint-Empire romain-germanique, que le reste du continent était composé de zones périphériques, et que ce Saint-Empire ne pouvait survivre que s’il conservait la Bohème et le Brabant. Pie II est ainsi, en quelque sorte, un des pères fondateurs des nationalismes allemand et flamand. De Tacite, il avait fait sienne l’idée d’une qualité humaine “supérieure” des peuples du Nord. Mais revenons à la question turque : le Sultan refuse donc de changer, comme jadis les Hongrois, de perspective géopolitique et se pose derechef comme l’héritier de deux perspectives géopolitiques anti-européennes, plus exactement de deux “directions offensives”, de “Stoßrichtungen” contraire à celles de l’Europe. La première de ces “directions offensives” est celle des peuples turcs de la steppe qui, partis des profondeurs de l’Asie, déboulent à intervalles réguliers dans l’histoire, dans l’espace de la Mer Noire et dans le bassin du Danube sur le flanc septentrional, dans la direction de l’Egée sur le flanc méridional. La seconde de ces “directions offensives” est celle des tribus nomades venues de la péninsule arabique pour se porter vers l’Afrique du Nord, d’une part, vers l’Egée à travers l’Anatolie, d’autre part. L’existence bien tangibles de ces “directions offensives” constitue une menace mortelle pour l’Europe. La Turquie actuelle continue d’agir dans ces deux sens, même si aujourd’hui, elle le fait d’une manière moins belliqueuse et avec des arguments apparemment pacifiques. L’objectif principal du programme pan-turc est d’ouvrir une porte sur l’Europe à toutes les populations du monde turcophone entre le Bosphore et la frontière chinoise. L’objectif est d’installer ces populations en Europe et de venger et d’annuler ainsi les défaites des Huns, des Hongrois, des Avars, des Coumans, de Petchénègues, des Khazars, des Seldjouks et des Ottomans. Nous ne devons pas oublier que la mémoire politique des peuples d’Orient est une “longue mémoire”  et que le passé, à leurs yeux, n’est justement jamais “passé”, mais demeure toujours d’une brûlante actualité. Les peuples d’Orient ne souffrent pas, comme nous, d’amnésie, de troubles de la mémoire, caractéristiques majeures de la pathologie “progressiste”.

3. Pouvons-nous tirer des leçons du passé dans la campagne que nous allons mener contre l’éventuelle adhésion turque à l’UE? Quels sont les grands exemples historiques auxquels nous pouvons nous référer?

De l’histoire, nous pouvons tirer mille et une leçons. Une chose est cependant certaine : l’élite politique, que l’Europe devrait avoir, aurait pour but premier de connaître sur le bout des doigts l’histoire de la confrontation millénaire entre nos peuples et ceux des steppes et devrait aussi modeler toutes ses décisions sur ces connaissances historiques. Le grand exemple historique demeure incontestablement le Prince Eugène de Savoie-Carignan, un homme qui avait lu toutes les sources disponibles en son temps, avant de lancer ses campagnes militaires victorieuses contre les Ottomans, afin de les battre et de faire disparaître la menace qu’ils constituaient pour l’Europe. L’arme dont disposait ce petit homme chétif était une grande connaissance des sources historiques de son temps. Avec de faibles moyens, et avec la formidable armée française du traître Louis XIV dans le dos, il a réussi à battre la plus grande puissance militaire de son époque. Sun Tzu nous enseigne que l’information est extrêmement importante pour battre l’ennemi. Le Prince Eugène l’a prouvé et, dans son cas, l’information était la connaissance de l’histoire. Clausewitz soulignera aussi l’importance d’une vision historique et stratégique pour étayer le moral des officiers et transmettre cette force à la troupe. Cette règle est toujours valable : les puissances anglo-saxonnes gagnent la partie en Asie centrale et au Moyen-Orient parce que leurs livres d’histoire sont les meilleurs à l’heure actuelle.

4. Comment voyez-vous le rôle des éléments turcs dans la  population d’Europe occidentale et centrale?  Forment-ils à terme une sorte de cinquième colonne, si jamais la Turquie était admise dans l’UE? Et comment devons-nous évaluer les conséquences de la citoyenneté turque accordée de jure aux millions de turcophones d’Asie centrale, si jamais la République turque devenait membre à part entière de l’UE?

Ce n’est pas “à terme” que les Turcs d’Europe occidentale formeront une cinquième colonne, ils le sont déjà! Il y a quelques années, à Schaerbeek, plusieurs centres culturels kurdes et araméens ont été saccagés et incendiés par des bandes de jeunes Turcs mineurs d’âge, bien entraînés par les militants “Loups Gris” voire directement pas des militaires turcs, le tout sous les caméras d’une équipe de télévision turque, qui a disparu rapidement après les incidents, direction Istanbul. Le soir même, les images prises à Schaerbeek étaient diffusées sur les écrans de la télévision turque, sans que la fameuse sûreté de l’Etat belge n’ai pu ou voulu réagir! La Belgique, une fois de plus, s’était couverte de ridicule. En Allemagne, des incidents similaires se sont produits maintes fois. Quant aux Turcophones d’Asie centrale, le gouvernement turc leur donne automatiquement la citoyenneté turque, tant et si bien que le chiffre de 95 millions de citoyens turcs en 2025 n’est qu’un pieux euphémisme. La Turquie ne laissera pas tomber les Turcophones d’Asie centrale : l’Empire byzantin a été miné de l’intérieur par la pénétration pacifique d’immigrés issus des peuples pasteurs turkmènes ou turcomans, dès l’époque des Seldjouks. Les armées des Sultans étaient toujours composées pour une bonne part de cavaliers ou de fantassins turkmènes ou tatars. Ces derniers ont notamment pillé et ravagé systématiquement la Bohème, la Moravie et la Hongrie lors du dernier siège de Vienne en 1683. Sur le plan historique, les liens entre les Turcs de l’actuel Etat turc et les Turcophones de l’ancienne URSS sont très étroits. Et cela ne changera pas, même si la Turquie fait mine de se convertir faussement aux pseudo-valeurs, toutes de mièvrerie, de l’Europe libérale.

5. Qu’en est-il des opposants à l’adhésion turque en Turquie même? Selon vous, existent-il des possibilités de forger des alliances objectives avec ces forces politiques?

Les opposants turcs à l’adhésion sont, d’une part, les nationalistes “Loups Gris” et, d’autre part, les islamistes. Les “Loups Gris”, qui sont parfois très ambigus dans leurs positions, craignent que la Turquie ne devienne une colonie de l’Occident et que le pays devra abandonner sa politique traditionnelle au Kurdistan. Les islamistes craignent que les fausses valeurs de l’Occident vont miner, par leur immoralité profonde, les assises de la société turque. Comme nous n’avons ni l’intention de “coloniser” la Turquie ni de propager les valeurs délétères du libéralisme occidental, nous pouvons devenir des interlocuteurs valables pour ces résistants ethno-nationaux ou religieux de Turquie. Reste à savoir si l’histoire nous réserve cette possibilité... L’”alliance objective” me semble possible avec les nationalistes, dans la mesure où, comme eux, nous constatons qu’après le Traité de Lausanne de 1923, la Turquie est devenue un pays totalement dépendant d’abord de la Grande-Bretagne, ensuite des Etats-Unis, car le Traité l’avait privée de pétrole et d’autres ressources énergétiques. A la dernière minute, les Anglais ont annexé la région de Mossoul à l’Irak, car elle contenait d’immenses réserves de pétrole. Sans sources énergétiques, la Turquie reste un pays faible. Nous devons le faire comprendre clairement aux nationalistes turcs, mais, il est évident, qu’en dépit de l’alliance américaine et de la fidélité à l’OTAN, ils le savent. La Turquie n’a pas d’autre avenir qu’en Irak. Mais l’attitude servile qu’ont adoptée tous les gouvernements turcs face aux Américains n’a laissé aucune chance à la Turquie de récupérer Mossoul. Aujourd’hui, c’est apparemment trop tard : l’US Army y campe, flanquée de ses auxiliaires kurdes. Par ailleurs, les Américains souhaitent affaiblir l’Europe, qui devra payer interminablement les dettes et les factures d’Ankara pour remettre à flot une Turquie surpeuplée et faible sur le plan des infrastructures, tandis que les pétroliers US contrôleront Mossoul, qui revient de droit à la Turquie et lui permettrait d’être une puissance viable et indépendante. Une dernière remarque : une telle orientation mésopotamienne de la Turquie avait été possible au temps de son alliance avec l’Allemagne avant 1914 et pendant la première guerre mondiale...  Un épisode de l’histoire que nous devons impérativement relire, tant en Europe qu’en Turquie.

6. Un “niet” européen à l’adhésion turque est une chose. Mais qu’en est-il de l’alternative que l’Europe devra alors proposer à la Turquie, qui, comme nous le savons tous, est une puissance de premier plan au Moyen Orient et en Asie centrale?  Existe-t-il une possibilité de soustraire la Turquie à la sphère d’influence américaine et d’en faire un allié objectif de l’Europe, par exemple en lui proposant une sorte de partenariat, où elle sera une nation privilégiée, un partenariat qui viserait à fortifier les intérêts géopolitiques et de l’Europe et de la Turquie et qui utiliserait les énergies du peuple turc contre les ennemis de l’Europe et non pas contre l’Europe?

Un “niet” n’a de sens que s’il est un “niet” contre la volonté occulte des Turcs de conquérir l’Europe à l’aide de millions d’immigrants venus d’Anatolie, du Kurdistan ou d’Asie centrale, afin, comme je viens de le dire, de réduire à néant l’effet de leurs défaites au cours des siècles précédents. Un “niet” me parait aussi raisonnable parce que l’adhésion turque s’avèrerait rapidement impayable, surtout que nous sommes plongés depuis plus de deux décennies dans une phase de basse conjoncture. Mais, effectivement, il faut une alternative valable à l’adhésion pure et simple et le seul projet intelligent à remettre en selle est celui jadis suggéré par l’Empereur prussien de l’Allemagne, Guillaume II, c’est-à-dire un partenariat entre l’Europe toute entière et une Turquie qui retrouvera son rôle capital et historique en Mésopotamie. L’Empereur Guillaume avait convié l’Europe entière à participer à son projet de rentabiliser la Mésopotamie et la péninsule arabique, projet que l’on a appelé le projet “Berlin-Bagdad”, mais la France avait refusé cette offre de manière hautaine, parce qu’elle était travaillée par l’idée de “revanche”; elle pariait à l’époque sur la Russie pour la transformer, pour son malheur, en rouleau compresseur contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Le partenariat euro-turc était possible en ce temps-là parce que les champs pétrolifères restaient disponibles. Après la défaite de 1918, la Turquie a perdu ses principales ressources énergétiques et son alliance actuelle avec les Etats-Unis fait qu’elle ne pourra pas retrouver ces ressources. Voilà donc un fait géopolitique incontournable. Il faut en être conscient tant à Euro-Bruxelles, qu’à Berlin, Vienne ou Ankara. Les Turcs doivent aussi prendre conscience que la réduction volontaire de leur espace géopolitique par l’idéologie kémaliste pose aujourd’hui problème car une Turquie réduite à l’Anatolie sans les régions kurdes ou arabes ne peut, sur le long terme, devenir une puissance régionale réelle et viable. L’Empire Ottoman était de facto un empire multiculturel et fédéral. Dans son partenariat avec l’Europe, la Turquie ne peut demeurer un système étatique centraliste de facture jacobine. Jamais la Turquie ne pourra récupérer Mossoul sans accorder aux Kurdes, de part et d’autre de la frontière turco-irakienne, un statut d’autonomie cohérent, comme ils en disposaient sous le régime ottoman. Une Turquie fédérale, réconciliée avec l’Europe et la Russie, aura un avenir valable et digne. Sans ces réformes nécessaires, la Turquie restera un facteur de zizanie dans la région, au service de Washington. Le sort de la région de Mossoul prouve que les ennemis de l’Europe et de la Turquie sont les mêmes.  Il faut en devenir bien conscient, ici en Europe, là-bas en Turquie...

7. Une dernière question : imaginons que l’adhésion turque à l’UE soit devenue réalité; de quelle manière pourrons-nous, le cas échéant, poursuivre notre combat?  

Si cette adhésion devient réalité, l’ensemble de notre continent et de sa civilisation s’en ira à vau-l’eau.  Une évolution positive serait de voir émerger une alliance triangulaire entre la Russie, l’Europe et la Turquie autour de la Mer Noire, qui deviendrait, ipso facto, le point d’intersection des échanges entre ces trois pôles. Alexandre Douguine envisage cette hypothèse aujourd’hui à Moscou. Dans le cas d’une adhésion effective de la Turquie à l’UE, nos efforts devraient converger vers une telle alliance, ce qui impliquerait aussi que la Turquie ne se laisse plus atteler à des projets anti-européens et anti-russes, pareils à ceux que concocte Brzezinski aux Etats-Unis, depuis déjà de nombreuses décennies.


[Traduction française de l’original néerlandais]

Arte e avanguardia

L’arte e l’avanguardia


Identità di cittadini e di artisti;
fermezza inalterabile nell'idea della grandezza italiana;
consapevolezza delle necessità spirituali,
dei richiami della stirpe: costruire.

Mario Sironi


La società dell’immagine, come viene comunemente chiamata quella in cui ci troviamo a vivere e operare, ha un aspetto positivo: nonostante si stia pian piano smarrendo la buona abitudine alla lettura, come pure il semplice interesse nei confronti della cultura, si sono però nel contempo rafforzati l’importanza ed il ruolo dell’immagine e dello slogan progettato ad hoc. Questo non è necessariamente un male, nel senso che si può fare, come sempre, di necessità virtù e rovesciare il negativo nel suo opposto: lo si sta già facendo. Questo significa che l’immagine può – e deve – essere presa nelle mani dell’avanguardia culturale e divenire quindi il veicolo, il mezzo privilegiato, per comunicare in modo immediato dei messaggi, dei contenuti choc. Naturalmente il compito di comunicare in questo modo è da assegnare nel modo più ampio possibile all’arte, arte che dev’essere intesa non più come “neutrale” (l’arte per l’arte…), ma come arte che veicola una visione del mondo, un’arte magica il cui fine sia risvegliare potenze elementari, guidare l’uomo, potenziarlo, rinnovarlo per rinnovare il mondo.

Un’arte neutra?

Quando un’artista ci dice che la sua è un’”arte per l’arte”, volendo così intendere che la sua è un’arte neutrale che non sottende una visione del mondo, ma che intende invece essere per così dire “oggettiva”, cioè pura visione estetica senza senso, non fa che dell’ipocrisia spicciola, poiché l’intenzione stessa di produrre un’arte neutra è un atto volontario e intenzionale e quindi trasmette di per sé un messaggio che è quello appunto dell’artista neutro, dell’arte in cui il senso lo da il fruitore. Ma il titolo stesso dell’opera influenza l’osservatore, la stessa coscienza delle intenzioni dell’autore influenza la lettura dell’arte. Non esiste di fatto arte neutra, perché l’arte neutra stessa non è neutra, ma soltanto si vuole neutra – e il fatto che non possa essere neutra risiede proprio nel fatto che così si vuole. Solo la natura può essere, in questo senso, considerata neutra, cioè fine a se stessa. Tutto ciò che l’uomo fa è sempre frutto di un’intenzione, di una visione del mondo, è sempre il progetto che la volontà realizza. L’arte influenza il mondo, l’arte è un messaggio che tende a modificare la visione delle cose. Parlo dell’arte come mezzo privilegiato – oggi ancor più – di trasmissione di immagini forza, input elettrici, elettrochoc.

Ernst Jünger, Il cuore avventuroso. Figurazioni e capricci Jünger pone l’arte a fianco a eros e tanatos(1), quali uniche oasi di pura libertà nel mondo nichilistico, boschi in cui ritemprare lo spirito, rifugi nei quali il Leviatano non può entrare, ultime trincee difensive da cui balzare come leoni alla conquista della terra.

Dopo il Futurismo

L’avanguardia non può evitare di interessarsi all’arte né può evitare di lavorare ed operare attraverso di essa; è l’arte che anticipa i tempi ed impone mode e modi di vivere, è l’arte a rispecchiare il mondo in cui si vive e a trattenerlo in vita, ma può essere la stessa arte, per ciò stesso, a spingere un mondo alla sua fine per poi rigenerarlo.

Il Futurismo insegna che nulla resta da conservare, neppure i meravigliosi resti di
civiltà antiche, esso spinge ad un rinnovamento totale del mondo, ad una distruzione creativa di ogni cosa. Naturalmente tutto quello che il Futurismo ha detto va letto secondo differenti piani e da diverse prospettive, poiché spesso il messaggio viene volutamente esasperato affinché il contenuto profondo colga nell’intimo lo spettatore. Poco importa che l’input venga accolto consapevolmente o meno, ciò che importa è che l’impulso elettrico produca i suoi frutti. E di frutti il Futurismo ne produsse molti sotto molteplici aspetti, e ancor oggi risulta produttivo. Influenzò nei modi più disparati la sua epoca e le successive, dalle trincee della Grande Guerra all’aeropittura.

Friedrich Georg Jünger, Saggio sul gioco. Una chiave per comprenderlo Gli eredi del Futurismo, se davvero si inseriscono nel solco di questa energica “tradizione”, non possono però evitare di confessarsi che esso stesso è passato, quindi esso deve essere superato. L’eredità di questo eminente movimento artistico - «ultimo vero movimento d’arte italiano» s’è detto – non può andare sciupata, ma attraverso un processo di interiorizzazione deve venire superata, trasformata, potenziata. Questo mi sembra un atteggiamento coerente con la teoria futurista. Per questo oggi non si può parlare di Futurismo, ma semmai di Archeofuturismo o, meglio, di qualcosa ancora da inventare. Perché l’invenzione è futurista.

Il “clima culturale” di un’epoca

Pierre Drieu La Rochelle, 'Fuoco fatuo'. Seguito da 'Addio a Gonzague' Drieu La Rochelle ha scritto un bel saggio attorno a Van Gogh e Nietzsche (2), in cui in sostanza si dice che i due, vissuti negli stessi anni, e la cui opera fu pressoché parallela, rappresentano a buon diritto il “clima di un’epoca”. Infatti temi e sensibilità ritornano nell’uno come nell’altro in forme diverse, mantenendo però immutati messaggio e contenuti. Prendiamo ad esempio La notte stellata (giugno 1889) o la Notte stellata sul Rodano (settembre 1888). Riguardo alla prima opera Van Gogh scisse in una lettera: «[...] Questa mattina dalla mia finestra ho guardato a lungo la campagna prima del sorgere del Sole, e non c'era che la stella del mattino, che sembrava molto grande. Daubigny e Rousseau hanno già dipinto questo, esprimendo tutta l'intimità, tutta la pace e la maestà e in più aggiungendovi un sentimento così accorato, così personale. Non mi dispiacciono queste emozioni. [...]» (3); nella seconda un cielo stellato si riflette nel Rodano e un Gran Carro illumina il cielo blu cobalto; in entrambe le opere le luci sembrano le stelle caotiche di cui Nietzsche scrisse nella sua prosa elegante ed energica, sembrano i fuochi che irrompono nella notte del mondo moderno squarciando il velo e rinnovando tutto nella luce potente di un caos sidereo.

E come non collegare i paesaggi luminosi del Sud della Francia dipinti da Van Gogh con la passione di Nietzsche per i luoghi luminosi delle zone mediterranee, luoghi in cui egli ritrovava la gioiosa esplosione della vita, il forte calore di un sole non soffocato dalla decadenza? In questa ottica i due rappresentano le due facce di un’epoca che avanza, senza di loro non sarebbe stato possibile il Futurismo, ma senza Wagner non sarebbe stato possibile Nietzsche: parlo della tendenza sovrumanista e della sua influenza nei decenni.

L’influenza wagneriana

Mario Bortolotto, Wagner l'oscuro Wagner intese creare un’arte totale in cui parola, musica e dramma si unissero in un tutto evocativo ed indivisibile. Le sue straordinarie opere sono la ricostruzione di miti fondatori e la loro riproposizione sotto forma di tragedia, Wagner intendeva infatti tornare alla tragedia com’era vissuta dai greci, un mito collettivo attorno al quale si univa la comunità per trovarvi le sue radici, le sue immagini guida (4).

Non c’è dubbio che l’influenza della teoria e del dramma wagneriano siano giunte, attraverso Nietzsche, sino al Futurismo condizionandone molteplici aspetti. Il Futurismo volle essere arte totale: teatro, stampa, poesia, musica, cucina, letteratura, pittura, scultura… nulla venne ignorato dal Futurismo, che anzi tentò sempre una sintesi di molte sensazioni in un’unica opera, nell’intenzione di potenziare al massimo la percezione e l’intensità dell’esperienza artistica. L’ultimo vero movimento artistico italiano è stato dunque profondamente influenzato dai due giganti dell’Ottocento, Wagner e Nietzsche; il Futurismo fu una filiazione tra le migliori della tendenza sovrumanista. Questa influenza non si è ancora esaurita, ma anzi la fase mitica di questo movimento è ancora in gestazione, come il caos da cui poi nasce una nuova stella.

Arte d’avanguardia

Quello che l’arte d’avanguardia persegue per definizione è la trasformazione del mondo attraverso choc di diversa natura. Questo tipo di arte anticipa i tempi, è rivoluzionaria e conservatrice al tempo stesso perché conserva la possibilità storica del cambiamento, ed è rivoluziona perché produce la fine di un mondo esausto rigenerandolo, creando una nuova origine. L’arte d’avanguardia propone i suoi miti ed attraverso essi genera un nuovo tipo d’uomo, lo in-forma sino a edificare una nuova visione del cosmo e delle cose. Prende nelle sue mani tutto il passato e lo assume come parte del suo progetto: essa edifica il futuro attraverso un’azione che re-interpreta tutto il “fu” in funzione del “sarà”.

È un’arte ancora in via di definizione, i suoi contorni rimangono evanescenti ed essa sembra poter invadere e pervadere moltissimi e diversissimi ambiti sentendosi in ogni caso a suo agio, dominando la scena ed imponendo il suo stile inconfondibile.

Ernst Jünger, Trattato del ribelle Il problema impellente che questa arte si deve porre, ed effettivamente si è posta, è quello di “parlare il linguaggio” ed attraverso esso veicolare nuovi messaggi; dice bene Adriano Scianca, si tratta infatti di «dominare il linguaggio, quindi. Imporre una logica nuova che decostruisca i paradigmi dominanti, che dissolva e riplasmi gli schieramenti. L’avanguardia deve distinguersi per “un’azione sistematicamente e culturalmente eversiva, che miri a introdurre in circuito idee ‘avvelenate’, che punti non tanto ad influenzare, dimostrare, convincere, organizzare burocraticamente, quanto a colpire, ad affascinare, a creare dubbi, a generare bisogni, a far crescere consapevolezze, a produrre atteggiamenti e condotte destabilizzanti. Deve, in una parola, parlare e saper parlare il linguaggio del mito, crearsi da sé il proprio pubblico, far leva pienamente sia sulle tendenze spontanee di rifiuto politico della realtà del Sistema nelle sue varie articolazioni, che sugli archetipi romantico-faustiani che ancora circolano nell’inconscio collettivo europeo”.

Scioccare e sedurre. Ma per questo occorre un altro stile, che esca definitivamente dalla ritualità vuota del nostalgismo, dagli slogan triti e ritriti, dal conformismo settario. Superare gli stereotipi, parlare un linguaggio nuovo, rifiutare le logiche del Sistema per imporne di nuove, confrontarsi con il presente e progettare il futuro – ecco il nostro obiettivo» (5).

Quest’arte già esiste

Ernst Jünger, Martin Heidegger, Oltre la linea Alcuni esempi attuali di arte d’avanguardia li troviamo in Dragos Kalajic, Daniel Casarin e in Mario Romano Ricci, tutti protesi verso un’arte poetica, mitica ed eroica ad un tempo. Panorama dedicò a suo tempo un articolo in occasione della mostra dei quadri del pittore e geopolitico serbo tenutasi nel 2004 presso la Galleria di Egidio Eleuteri. Vale la pena citarne la parte finale: «Le immagini a colori smaltati (bianco, azzurro, oro, cinabro) di una visione d'alta quota distillano così una scintillante cosmogonia posta a metà tra il fumetto di fantascienza (Flash Gordon) e le aeropitture futuriste di Fillia e Tullio Crali, dove lanciatori di giavellotto, aquile e Dioscuri di pietra, prismi e comete vaganti simboleggiano identità mitiche unificanti il mondo spirituale europeo da Est a Ovest secondo una linea di continuità che associa Mosca a Roma fino alle estreme frontiere dell'Atlantico. Questo accurato panorama di «icone», variamente illustrato per simboli e allegorie animali, umane e monumentali, ci conduce quasi per mano a fare «quattro passi tra gli eroi» e dà forma alla leggenda iperborea che indica nel gelido vento del Nord Europa l'elemento ordinatore («maschile») della civiltà, in dialettica permanente con l'elemento caotico («femminile») di origine sudorientale. Tra croci celtiche e incontri figurati di Terra (donna) e Cielo (uomo), Dragos Kalajic espone con efficacia visiva il cuore di una esperienza «archeo-futurista» di una iperEuropa che partendo dalle immagini del mondo classico romano viaggia a ritroso nel tempo e riattualizza antichi culti solari con l'idea della mitica Thule, patria leggendaria dei popoli europei. E così la migliore vocazione del pittore «metapolitico», sovrapponendosi con la fantasia delle immagini «inattuali» alle prosaiche intenzioni dello scrittore «geopolitico», riassume il senso di tutta una ricerca» (6).

Jean Mabire, Thule. Il sole ritrovato degli Iperborei Alcuni bellissimi dipinti di Daniel Casarin sono stati usati come immagine di copertina in alcuni numeri passati di Orion ed in essi troviamo una notevole stratificazione di messaggi e contenutiche ci fa capire quanto la nostra gioventù abbia ancora da dire e a quale livello sappia lavorare se veramente lo vuole.

Di Mario Romano Ricci ricordo qui il pregevole libro della mostra tenuta nel gennaio 2006 a Brescia intitolata “dalla volontà creatrice all’identità”. In esso sono contenute le immagini delle sue sculture dedicate al tema; l’autore concepisce l’arte come una cornice che racchiude ogni artificio umano: creare significa dunque fare dell’arte.

Questi tre nomi non sono però rappresentativi, pur nella loro eccezionale bravura, di una scena magmatica e piuttosto nascosta e dispersa, e mancherei di rispetto e riguardo a coloro che non ho nominato se mi dilungassi oltre; preferisco allora terminare qui con gli esempi e i riferimenti ad autori a noi vicini, lasciando a ciascuno l’impegno assai piacevole di andare in cerca di questi straordinari artisti. Ciò che qui importa è far capire che artisti d’avanguardia già esistono.

Arte e informatica

Ernst Jünger, Le api di vetro Un’avanguardia non è davvero tale se non sa utilizzare appieno e fruttuosamente le tecnologie e le innovazioni che il suo tempo le mette a disposizione - ancor meglio sarebbe anticiparle. Oggi le tecnologie ci permettono di creare progetti grafici di straordinaria efficacia, ci permettono di comunicare a distanze impensabili in tempo reale, scaricare filmati dalla Rete, produrre i nostri filmati praticamente a costo zero, creare musica (elettronica) con programmi gratuiti, elaborare foto e renderle delle vere opere d’arte. L’arte oggi passa necessariamente attraverso le tecnologie informatiche. Le nostre vite sono informatizzate e, finché sapremo controllare questi straordinari strumenti, ciò sarà un bene.

Anche la pubblicità è una forma d’arte, e oggi è la più efficace: l’avanguardia deve saper sfruttare dunque i linguaggi informatici, deve imparare poi a modificarli e “dirigerli” nella direzione che vuole, deve cioè volgere il veleno in medicina.

Le elaborazioni di immagini e di testo, i soliti manifesti di concerti e conferenze a noi ben noti, diventano allora un momento fondamentale di comunicazione col mondo esterno e con coloro a noi distanti o non ancora vicini. Bisogna saper affascinare e colpire, senza rinunce di comodo. I progetti grafici elaborati da
Casa Pound, Zetazeroalfa, Noreporter, ma anche da Base Militante Progetto Torino o dal Thule Seminar ecc., hanno tutti un’impronta assolutamente innovativa in questo senso e tutta l’avanguardia ha da imparare da loro in efficacia ed impatto. È ora di svecchiare definitivamente estetica ed arte, perché soltanto in questo modo si potranno rinnovare uomini e territorio. Il lavoro artistico in questo senso è, lo ripeto, solo all’inizio, e tutti gli spiriti artistici dovrebbero mettersi in gioco, viste le immense possibilità offerte dalle nuove tecnologie.

Il cinema naturalmente non può essere ignorato e il progetto Corti e Ribelli mi pare si inserisca nel giusto solco; e per quel che riguarda il teatro non possiamo non citare la compagnia Vertex Teatro.

Tutto ruota attorno ad una vivace fantasia e ad una grande inventiva. Vulcanismo?

Ernst Jünger, Il contemplatore solitario Scrive Jünger in una lettera ad Henri Plard: «Il Lavoratore è un titano e, in quanto tale, un figlio della Terra; segue, come dice Nietzsche, il senso della Terra, e ciò sino al punto stesso in cui sembra distruggerlo. Il vulcanismo si intensificherà. La Terra non farà soltanto sorgere nuovi generi, ma anche nuovi ordini. Il Superuomo appartiene ancora alla specie […] Per cominciare, il rovesciamento degli dèi è l’assalto materiale al mondo paternalistico, con i suoi principii, i suoi preti ed i suoi eroi e non è ancora terminato. La replica sarà all’altezza dell’attacco. Esiodo e l’Edda ritornano attuali» (7).

Come si è detto il termine Futurismo sarebbe oggi “passatista” e un’arte che si voglia veramente avanguardia non può rimanere legata a formule del passato; di maggiore attualità risulta senz’altro l’ossimoro Archeofuturismo, che non ha ricevuto una chiara definizione, che d’altra parte è cosa difficile da fare. Tuttavia proporre e creare nuove definizioni e nuove formule espressive e rappresentative di un’attitudine artistica sarebbe a mio avviso utile.
Jünger parla di vulcanismo e mi pare una buona definizione per un tipo d’arte che intende rinnovare e che al contempo trae la sua energia dall’elementare. Vulcanismo richiama alla mente la terra e il fuoco, in esso si racchiudono la potenza ed il radicamento ed evoca l’immagine di un’energia inarrestabile, la forza di un’esplosione elementare che erompe dalle viscere della Terra travolgendo tutto ciò che incontra sul suo cammino. È la forza tellurica dei Titani che stringono nella mani il potere della tecnica e volgono il loro sguardo al futuro. È Futurismo alla massima potenza, una volontà che attende sepolta nella Terra il momento propizio per diffondersi come un incendio che tutto rinnova.


Francesco Boco


NOTE

(1) E. Jünger – M. Heidegger,
Oltre la linea, Adelphi, e E. Jünger, Trattato del Ribelle, Adelphi.
(2) P. Drieu La Rochelle, Eresie, Edizioni di Ar.
(3) http://www.astroarte.it/astroarte/artivisive/storia/nottestellata.htm
(4) G. Locchi, Wagner Nietzsche e il mito sovrumanista, Akropolis.
(5) A. Scianca,
Il mito e l’avanguardia, Orion.
(6) D. Trombadori, Quattro passi fra gli eroi, Panorama del 17/6/2004.
(7) In Alain de Benoist, L’Operaio fra gli dèi e i titani, Terziaria, pag. 105.

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jeudi, 28 juin 2007

K. von Eckhartshausen: des Illuminés à la Tradition

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Karl von Eckhartshausen : des Illuminés à la Tradition 

28 juin 1752 : Naissance à Haimhausen près de Dachau en Bavière de Karl von Eckhartshausen, figure de proue du Royaume de Bavière. Pendant un bref laps de temps, il fit partie de l'Ordre des Illuminés de Bavière, dont il fut exclu. Il se rendit parfaitement compte du caractère utopique et pernicieux de cet Ordre qui entendait faire du passé table rase. Après cette aventure, il œuvra à faire interdire les sectes politiques de cet acabit en Bavière. Karl von Eckhartshausen entame alors un véritable Kulturkampf contre les idées illuministes et libérales qui ne peuvent induire que des bacilles de décadence et ruiner en ultime instance les institutions politiques traditionnelles. Mais la lutte contre l'illuminisme bavarois ou autre passe par un approfondissement de la religion, y compris de ces facettes occultes, et ne doit pas se contenter de reproduire la religion telle qu'elle est. Cette position le rapproche du Tsar Alexandre I de Russie qui entendait, lui aussi, approfondir la religion traditionnelle, lui donner plus ample profondeur afin de mieux lutter contre le modernisme déliquescent. La “Sainte Alliance”, qui venait de vaincre Napoléon, héritier du fanatisme jacobin, devait se donner des assises spirituelles, dépassant les clivages entre Orthodoxes-Byzantins, Catholiques-Romains et Protestants par une nouvelle synthèse religieuse, où la notion romantique d'“Amour” occuperait la place centrale, mieux, en serait le noyau incandescent, toujours actif comme un volcan. Le siècle à venir verrait se dérouler une guerre civile philosophique comme les siècles précédents avaient connu des guerres de religion. Pour von Eckhartshausen, les adeptes de la “tolérance” sont en fait des intolérants fanatiques et dangereux. Le recours visionnaire à des forces religieuses occultées au fil des temps est la démarche qui permettra de réfuter cette idéologie intolérante de la tolérance et de contrer les manigances de ceux qui la manipulent (Robert Steuckers).

mercredi, 27 juin 2007

Atlantis, Kash et Touran

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Robert STEUCKERS: 


Les matrices préhistoriques des civilisations antiques dans l'œuvre posthume de Spengler:

Atlantis, Kasch et Turan 
 
Généralement, les morphologies de cultures et de civilisations proposées par Spengler dans son ouvrage le plus célèbre, Le déclin de l'Occident, sont les seules à être connues. Pourtant, ses positions ont changé après l'édition de cette somme. Le germaniste italien Domenico Conte en fait état dans son ouvrage récent sur Spengler. En effet, une étude plus approfondie des textes posthumes édités par Anton Mirko Koktanek, notamment Frühzeit der Weltgeschichte, qui rassemble les fragments d'une œuvre projetée mais jamais achevée, L'épopée de l'Homme. 
 
Dans la phase de ses réflexions qui a immédiatement suivi la parution du Déclin de l'Occident, Spengler distinguait quatre stades dans l'histoire de l'humanité, qu'il désignait tout simplement par les quatre premières lettres de l'alphabet: a, b, c et d. Le stade “a” aurait ainsi duré une centaine de milliers d'années, aurait recouvert le paléolithique inférieur et accompagné les premières phases de l'hominisation. C'est au cours de ce stade qu'apparaît l'importance de la “main” pour l'homme. C'est, pour Spengler, l'âge du Granit. Le stade “b” aurait duré une dizaine de milliers d'années et se situerait au paléolithique inférieur, entre 20.000 et 7000/6000 avant notre ère. C'est au cours de cet âge que naît la notion de vie intérieure; apparaît “alors la véritable âme, inconnue des hommes du stade “a” tout comme elle est inconnue du nouveau-né”. C'est à partir de ce moment-là de son histoire que l'homme “est capable de produire des traces/souvenirs” et de comprendre le phénomène de la mort. Pour Spengler, c'est l'âge du Cristal. Les stades “a” et “b” sont anorganiques. 
 
Le stade “c” a une durée de 3500 années: il commence avec le néolithique, à partir du sixième millénaire et jusqu'au troisième. C'est le stade où la pensée commence à s'articuler sur le langage et où les réalisations techniques les plus complexes deviennent possibles. Naissent alors les “cultures” dont les structures sont de type “amibien”. Le stade “d” est celui de l'“histoire mondiale” au sens conventionnel du terme. C'est celui des “grandes civilisations”, dont chacune dure environ 1000 ans. Ces civilisations ont des structures de type “végétal”. Les stades “c” et “d” sont organiques. 
 
Spengler préférait cette classification psychologique-morphologique aux classifications imposées par les directeurs de musée qui subdivisaient les ères préhistoriques et historiques selon les matériaux utilisés pour la fabrication d'outils (pierre, bronze, fer). Spengler rejette aussi, à la suite de cette classification psychologique-morphologique, les visions trop évolutionnistes de l'histoire humaine: celles-ci, trop tributaires des idéaux faibles du XVIIIième siècle, induisaient l'idée “d'une transformation lente, flegmatique” du donné naturel, qui était peut-être évidente pour l'Anglais (du XVIIIième), mais incompatible avec la nature. L'évolution, pour Spengler, se fait à coup de catastrophes, d'irruptions soudaines, de mutations inattendues. «L'histoire du monde procède de catastrophes en catastrophes, sans se soucier de savoir si nous sommes en mesure de les comprendre. Aujourd'hui, avec H. de Vries, nous les appelons “mutations”. Il s'agit d'une transformation interne, qui affecte à l'improviste tous les exemplaires d'une espèce, sans “causes”, naturellement, comme pour toutes les choses dans la réalité. Tel est le rythme mystérieux du réel» (L'homme et la technique). Il n'y a donc pas d'évolution lente mais des transformations brusques, “épocales”. Natura facit saltus. 
 
trois cultures-amibes

Dans le stade “c”, où émergent véritablement les matrices de la civilisation humaine, Spengler distingue trois “cultures-amibes”: Atlantis, Kasch et Turan. Cette terminologie n'apparaît que dans ses écrits posthumes et dans ses lettres. Les matrices civilisationnelles sont “amibes”, et non “plantes”, parce que les amibes sont mobiles, ne sont pas ancrées dans une terre précise. L'amibe est un organisme qui émet continuellement ses pseudopodes dans sa périphérie, en changeant sans cesse de forme. Ensuite, l'amibe se subdivise justement à la façon des amibes, produisant de nouvelles individualités qui s'éloignent de l'amibe-mère. Cette analogie implique que l'on ne peut pas délimiter avec précision le territoire d'une civilisation du stade “c”, parce que ses émanations de mode amibien peuvent être fort dispersées dans l'espace, fort éloignées de l'amibe-mère. 
 
“Atlantis” est l'“Ouest” et s'étend de l'Irlande à l'Egypte; “Kasch” est le “Sud-Est”, une région comprise entre l'Inde et la Mer Rouge. “Turan” est le “Nord”, s'étendant de l'Europe centrale à la Chine. Spengler, explique Conte, a choisi cette terminologie rappelant d'“anciens noms mythologiques” afin de ne pas les confondre avec des espaces historiques ultérieurs, de type “végétal”, bien situés et circonscrits dans la géographie, alors qu'eux-mêmes sont dispersés et non localisables précisément. 
 
Spengler ne croit pas au mythe platonicien de l'Atlantide, en un continent englouti, mais constate qu'un ensemble de sédiments civilisationnels sont repérables à l'Ouest, de l'Irlande à l'Egypte. ‘Kasch” est un nom que l'on retrouve dans l'Ancien Testament pour désigner le territoire de l'antique Nubie, région habitée par les Kaschites. Mais Spengler place la culture-amibe “Kasch” plus à l'Est, dans une région s'articulant entre le Turkestan, la Perse et l'Inde, sans doute en s'inspirant de l'anthropologue Frobenius. Quant à “Turan”, c'est le “Nord”, le haut-plateau touranique, qu'il pensait être le berceau des langues indo-européennes et ouralo-altaïques. C'est de là que sont parties les migrations de peuples “nordiques” (il n'y a nulle connotation racialisante chez Spengler) qui ont déboulé sur l'Europe, l'Inde et la Chine. 
 
Atlantis: chaude et mobile; Kasch: tropicale et repue

Atlantis, Kasch et Turan sont des cultures porteuses de principes morphologiques, émergeant principalement dans les sphères de la religion et des arts. La religiosité d'Atlantis est “chaude et mobile”, centrée sur le culte des morts et sur la prééminence de la sphère ultra-tellurique. Les formes de sépultures, note Conte, témoignent du rapport intense avec le monde des morts: les tombes accusent toujours un fort relief, ou sont monumentales; les défunts sont embaumés et momifiés; on leur laisse ou apporte de la nourriture. Ce rapport obsessionnel avec la chaîne des ancêtres porte Spengler à théoriser la présence d'un principe “généalogique”. Les expressions artistiques d'Atlantis, ajoute Conte, sont centrées sur les constructions de pierre, gigantesques dans la mesure du possible, faites pour l'éternité, signes d'un sentiment de la vie qui n'est pas tourné vers un dépassement héroïque des limites, mais vers une sorte de “complaisance inerte”. 
 
Kasch développe une religion “tropicale” et “repue”. Le problème de la vie ultra-tellurique est appréhendé avec une angoisse nettement moindre que dans Atlantis, car, dans la culture-amibe de Kasch domine une mathématique du cosmos (dont Babylone sera l'expression la plus grandiose), où les choses sont d'avance “rigidement déterminées”. La vie d'après la mort suscite l'indifférence. Si Atlantis est une “culture des tombes”, en Kasch, les tombes n'ont aucune signification. On y vit et on y procrée mais on y oublie les morts. Le symbole central de Kasch est le temple, d'où les prêtres scrutent la mathématique céleste. Si en Atlantis domine le principe généalogique, si les dieux et les déesses d'Atlantis sont père, mère, fils, fille, en Kasch, les divinités sont des astres. Y domine un principe cosmologique. 
 
Turan: la civilisation des héros

Turan est la civilisation des héros, animée par une religiosité “froide”, axée sur le sens mystérieux de l'existence. La nature y est emplie de puissances impersonnelles. Pour la culture-amibe de Turan, la vie est un champ de bataille: “pour l'homme de ce Nord (Achille, Siegfried)”, écrit Spengler, “seule compte la vie avant la mort, la lutte contre le destin”. Le rapport hommes/divin n'est plus un rapport de dépendance: “la prostration cesse, la tête reste droite et haute; il y a “moi” (homme) et vous (les dieux)”. Les fils sont appelés à garder la mémoire de leurs pères mais ne laissent pas de nourriture à leurs cadavres. Pas d'embaumement ni de momification dans cette culture, mais incinération: les corps disparaissent, sont cachés dans des sépultures souterraines sans relief ou dispersés aux quatre vents. Seul demeure le sang du défunt, qui coule dans les veines de ses descendants. Turan est donc une culture sans architecture, où temples et sépultures n'ont pas d'importance et où seul compte un sens terrestre de l'existence. L'homme vit seul, confronté à lui-même, dans sa maison de bois ou de torchis ou dans sa tente de nomade. 
 
Le char de combat

Spengler porte toute sa sympathie à cette culture-amibe de Turan, dont les porteurs aiment la vie aventureuse, sont animés par une volonté implaccable, sont violents et dépourvus de sentimentalité vaine. Ils sont des “hommes de faits”. Les divers peuples de Turan ne sont pas liés par des liens de sang, ni par une langue commune. Spengler n'a cure des recherches archéologiques et linguistiques visant à retrouver la patrie originelle des Indo-Européens ou à reconstituer la langue-source de tous les idiomes indo-européens actuels: le lien qui unit les peuples de Turan est technique, c'est l'utilisation du char de combat. Dans une conférence prononcée à Munich le 6 février 1934, et intitulée Der Streitwagen und seine Bedeutung für den Gang der Weltgeschichte (= Le char de combat et sa signification pour le cours de l'histoire mondiale), Spengler explique que cette arme constitue la clef pour comprendre l'histoire du second millénaire avant J.C.. C'est, dit-il, la première arme complexe: il faut un char (à deux roues et non un chariot à quatre roues moins mobile), un animal domestiqué et attelé, une préparation minutieuse du guerrier qui frappera désormais ses ennemis de haut en bas. Avec le char naît un type d'homme nouveau. Le char de combat est une invention révolutionnaire sur le plan militaire, mais aussi le principe formateur d'une humanité nouvelle. Les guerriers deviennent professionnels, tant les techiques qu'ils sont appelés à manier sont complexes, et se rassemblent au sein d'une caste qui aime le risque et l'aventure; ils font de la guerre le sens de leur vie. 
 
L'arrivée de ces castes de “charistes” impétueux bouleversent l'ordre de cette très haute antiquité: en Grèce, ils bousculent les Achéiens, s'installent à Mycène; en Egypte, ce sont les Hyksos qui déferlent. Plus à l'Est, les Cassites se jettent sur Babylone. En Inde, les Aryens déboulent dans le sous-continent, “détruisent les cités” et s'installent sur les débris des civilisations dites de Mohenjo Daro et d'Harappa. En Chine, les Tchou arrivent au nord, montés sur leurs chars, comme leurs homologues grecs et hyksos. A partir de 1200, les principes guerriers règnent en Chine, en Inde et dans le monde antique de la Méditerranée. Les Hyksos et les Kassites détruisent les deux plus vieilles civilisations du Sud. Emergent alors trois nouvelles civilisations portées par les “charistes dominateurs”: la civilisation greco-romaine, la civilisation aryenne d'Inde et la civilisation chinoise issue des Tchou. Ces nouvelles civilisations, dont le principe est venu du Nord, de Turan, sont “plus viriles et énergiques que celles nées sur les rives du Nil et de l'Euphrate”. Mais les guerriers charistes succomberont aux séductions du Sud amollissant, déplore Spengler. 
 
Un substrat héroïque commun

Cette théorie, Spengler l'a élaborée en accord avec le sinologue Gustav Haloun: il y a eu quasi simultanéité entre les invasions de Grèce, des Hyksos, de l'Inde et de la Chine. Spengler et Haloun estiment donc qu'il y a un substrat commun, guerrier et chariste, aux civilisations méditerranéenne, indienne et chinoise. Ce substrat est “héroïque”, comme le prouve les armes de Turan. Elles sont différentes de celles d'Atlantis: ce sont, outre le char, l'épée ou la hache, impliquant des duels entre combattants, alors qu'en Atlantis, les armes sont l'arc et la flèche, que Spengler juge “viles” car elles permettent d'éviter la confrontation physique directe avec l'adversaire, “de le regarder droit dans les yeux”. Dans la mythologie grecque, estime Spengler, arc et flèches sont autant d'indices d'un passé et d'influences pré-helléniques: Apollon-archer est originaire d'Asie Mineure, Artemis est libyque, tout comme Héraklès, etc. Le javelot est également “atlante”, tandis que la lance de choc est “touranique”. Pour comprendre ces époques éloignées, l'étude des armes est plus instructive que celle des ustensiles de cuisine ou des bijoux, conclut Spengler. 
 
L'âme touranique dérive aussi d'un climat particulier et d'un paysage hostile: l'homme doit lutter sans cesse contre les éléments, devient ainsi plus dur, plus froid et plus hivernal. L'homme n'est pas seulement le produit d'une “chaîne généalogique”, il l'est tout autant d'un “paysage”. La rigueur climatique développe la “force de l'âme”. Les tropiques amolissent les caractères, les rapprochent d'une nature perçue comme plus maternante, favorisent les valeurs féminines. 
 
Les écrits tardifs de Spengler et sa correspondance indiquent donc que ses positions ont changé après la parution du Déclin de l'Occident, où il survalorisait la civilisation faustienne, au détriment notamment de la civilisation antique. La focalisation de sa pensée sur le “char de combat” donne une dimension nouvelle à sa vision de l'histoire: l'homme grec et l'homme romain, l'homme indien-aryen et l'homme chinois, retrouvent tous grâce à ses yeux. La momification des pharaons était considérée dans Le déclin de l'Occident, comme l'expression égyptienne d'une volonté de durée, qu'il opposait à l'oubli impliqué par l'incinération indienne. Plus tard, la momification “atlante” déchoit à ses yeux au rang d'une obsession de l'au-delà, signalant une incapacité à affronter la vie terrestre. L'incinération “touranique”, en revanche, indique alors une volonté de concentrer ses efforts sur la vie réelle. 
 
Un changement d'optique dicté par les circonstances?

La conception polycentrique, relativiste, non-eurocentrique et non-évolutionniste de l'histoire chez le Spengler du Déclin de l'Occident a fasciné des chercheurs et des anthropologues n'appartenant pas aux milieux de la droite allemande, notamment Alfred L. Kroeber ou Ruth F. Benedict. L'insistance sur le rôle historique majeur des castes de charistes de combat donne à l'œuvre tardive de Spengler une dimension plus guerrière, plus violente, plus mobile que ne recelait pas encore son Déclin. Doit-on attribuer ce changement de perspective à la situation de l'Allemagne vaincue, qui cherche à s'allier avec la jeune URSS (dans une perspective eurasienne-touranienne?), avec l'Inde en révolte contre la Grande-Bretagne (qu'il incluait auparavant dans la “civilisation faustienne”, à laquelle il donnera ensuite beaucoup moins d'importance), avec la Chine des “grands chefs de guerre”, parfois armés et encadrés par des officiers allemands? Spengler, par le biais de sa conférence, a-t-il cherché à donner une mythologie commune aux officiers ou aux révolutionnaires allemands, russes, chinois, mongols, indiens, afin de forger une prochaine fraternité d'arme, tout comme les “eurasistes” russes tentaient de donner à la nouvelle Russie soviétique une mythologie similaire, impliquant la réconciliation des Turco-Touraniens et des Slaves? La valorisation radicale du corps à corps “touranique” est-elle un écho au culte de l'“assaut” que l'on retrouvait dans le “nationalisme soldatique”, notamment celui des frères Jünger et de Schauwecker? 
 
Enfin, pourquoi n'a-t-il rien écrit sur les Scythes, peuples de guerriers intrépides, maîtres des techniques équestres, qui fascinaient les Russes et sans doute, parmi eux, les théoriciens de l'eurasisme? Dernière question: le peu d'insistance sur les facteurs raciaux dans ce Spengler tardif est-il dû à un sentiment rancunier à l'égard des cousins anglais qui avaient trahi la solidarité germanique et à une mythologie nouvelle, où les peuples cavaliers du continent, toutes ethnies confondues (Mongols, Turco-Touraniens, descendants des Scythes, Cosaques et uhlans germaniques), devaient conjuguer leurs efforts contre les civilisations corrompues de l'Ouest et du Sud et contre les thalassocraties anglo-saxonnes? Les parallèles évident entre la mise en exergue du “char de combat” et certaines thèses de L'homme et la technique, ne sont-ils pas une concession à l'idéologie futuriste ambiante, dans la mesure où elle donne une explication technique et non plus religieuse à la culture-amibe touranienne? Autant de thèmes que l'histoire des idées devra clarifier en profondeur... 
 
Robert STEUCKERS. 
 
Domenico CONTE, Catene di civiltà. Studi su Spengler, Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli, 1994, 394 p., Lire 58.000, ISBN 88-7104-242-924-1.

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mardi, 26 juin 2007

G. Faye et la convergence des catastrophes

Guillaume Faye et la “Convergence des catastrophes”

Introduction par Robert Steuckers à la présentation par Guillaume Faye du livre “La convergence des catastrophes”, signé Guillaume Corvus, Bruxelles, Ravensteinhof, 21 janvier 2006

Dans l’introduction à l’une des versions italiennes du premier livre de Guillaume Faye, “Le système à tuer les peuples”, j’avais tenté de brosser succinctement son itinéraire politique, depuis ses années d’étudiant à l’IEP et à la Sorbonne. J’avais rappelé l’influence d’un Julien Freund, des thèses de Pareto, de Bertrand de Jouvenel sur ce jeune étudiant dont la vocation allait être de mener un combat métapolitique, via le “Cercle Spengler” d’abord, via le GRECE (Groupe de Recherche et d’Etudes sur la Civilisation Européenne) ensuite. J’avais insisté aussi sur son interprétation de Nietzsche, où, comme Alexis Philonenko, il pariait sur un rire sonore et somme toute rabelaisien, un rire déconstructeur et reconstructeur tout à la fois, sur la moquerie qui dissout les certitudes des médiocres et des conformistes. Je ne vais pas répéter aujourd’hui tout cet exposé, qu’on peut lire sur internet, mais je me concentrerai surtout sur une notion omniprésente dans les travaux de Faye, la notion cardinale de “politique”, oui, sur cette “notion du politique”, si chère au Professeur Julien Freund. L’espace du politique, et non pas de la politique (politicienne), est l’espace des enjeux réels, ceux qui décident de la vie ou de la survie d’une entité politique. Cette vie et cette survie postulent en permanence une bonne gestion, un bon “nomos de l’oikos” —pour reprendre la terminologie grecque de Carl Schmitt— une pensée permanente du long terme et non pas une focalisation sur le seul court terme, l’immédiat sans profondeur temporelle et le présentisme répétitif dépourvu de toute prospective.

Le bon “nomos” est celui qui assure donc la survie d’une communauté politique, d’un Etat ou d’un empire, qui, par la clairvoyance et la prévoyance quotidiennes qu’il implique, génère une large plus-value, en tous domaines, qui conduit à la puissance, au bon sens du terme. La puissance n’est rien d’autre qu’un solide capital de ressources matérielles et immatérielles, accumulées en prévision de coups durs, de ressacs ou de catastrophes. C’est le projet essentiel de Clausewitz, dont on fait un peu trop rapidement un belliciste à tous crins. Clausewitz insiste surtout sur l’accumulation de ressources qui rendront la guerre inutile, parce que l’ennemi n’osera pas affronter une politie bien charpentée, ou qui, si elle se déclenche quand même, fera de mon entité politique un morceau dur ou impossible à avaler, à mettre hors jeu. Ce n’est rien d’autre qu’une application du vieil adage romain: “Si vis pacem, para bellum”.

L’oeuvre immortelle de Carl Schmitt et de Julien Freund

D’où nous vient cette notion du “politique”?

Elle nous vient d’abord de Carl Schmitt. Pour qui elle s’articule autour de deux vérités observés au fil de l’histoire :

1) Le politique est porté par une personne de chair et de sang, qui décide en toute responsabilité (Weber). Le modèle de Schmitt, catholique rhénan, est l’institution papale, qui décide souverainement et en ultime instance, sans avoir de comptes à rendre à des organismes partiels et partisans, séditieux et centrifuges, mus par des affects et des intérêts particuliers et non généraux.

2) La sphère du politique est solide si le principe énoncé au 17ième siècle par Thomas Hobbes est honoré : “Auctoritas non veritas facit legem” (C’est l’autorité et non la vérité qui fait la loi/la norme). Nous pourrions, au seuil de ce 21ième siècle, qui s’annonce comme un siècle de catastrophes, tout comme le 20ième, étendre cette réflexion de Hobbes et dire : “Auctoritas non lex facit imperium”, soit “C’est l’autorité et non la loi/la norme qui fait l’empire”. Schmitt voulait dénoncer, en rappelant la science politique de Hobbes, le danger qu’il y a à gouverner les états selon des normes abstraites, des principes irréels et paralysants, parfois vecteurs de dissensions calamiteuses pouvant conduire à la guerre civile. Quelques décennies d’une telle gouvernance et les “noeuds gordiens” s’accumulent et figent dangereusement les polities qui s’en sont délectée. Il faut donc des autorités (personnelles ou collégiales) qui parviennent à dénouer ou à trancher ces “noeuds gordiens”.

Cette notion du politique nous vient ensuite du professeur strasbourgeois Julien Freund, qui était, il est vrai, l’un des meilleurs disciples de Carl Schmitt. Il a repris à son compte cette notion, l’a appliquée dans un contexte fort différent de celui de l’Allemagne de Weimar ou du nazisme, soit celui de la France gaullienne et post-gaullienne, également produit de la pensée de Carl Schmitt. En effet, il convient de rappeler ici que René Capitant, auteur de la constitution présidentialiste de la 5ième République, est le premier et fidèle disciple français de Schmitt. Le Président de la 5ième République est effectivement une “auctoritas”, au sens de Hobbes et de Schmitt, qui tire sa légitimité du suffrage direct de l’ensemble de la population. Il doit être un homme charismatique de chair et de sang, que tous estiment apte à prendre les bonnes décisions au bon moment. Julien Freund, disciple de Schmitt et de Capitant, a coulé ses réflexions sur cette notion cardinale du politique dans un petit ouvrage qu’on nous faisait encore lire aux Facultés Universitaires Saint-Louis à Bruxelles il y a une trentaine d’années: “Qu’est-ce que le politique?” (Ed. du Seuil). Cet ouvrage n’a pas pris une ride. Il reste une lecture obligatoire pour qui veut encore, dans l’espace politique, penser clair et droit en notre période de turbulences, de déliquescences et de déclin.

René Thom et la théorie des catastrophes

Comment cette notion du politique s’articule-t-elle autour de la thématique qui nous préoccupe aujourd’hui, soit la “convergences des catstrophes”? Faye est le benjamin d’une chaine qui relie Clausewitz à Schmitt, Schmitt à Capitant, Capitant à Freund et Freund à lui-même et ses amis. Ses aînés nous ont quittés : ils ne vivent donc pas l’ère que nous vivons aujourd’hui. D’autres questions cruciales se posent, notamment celle-ci, à laquelle répond l’ouvrage de Guillaume Corvus: “Le système (à tuer les peuples) est-il capable de faire face à une catastrophe de grande ampleur, à plusieurs catastrophes simultanées ou consécutives dans un laps de temps bref, ou, pire à une convergences de plusieurs catastrophes simultanées?”. Au corpus doctrinal de Schmitt et Freund, Corvus ajoute celui du mathématicien et philosophe français René Thom, qui constate que tout système complexe est par essence fragile et même d’autant plus fragile que sa complexité est grande. Corvus exploite l’oeuvre de Thom, dans la mesure où il rappelle qu’un événement anodin peut créer, le cas échéant, des réactions en chaîne qui conduisent à la catastrophe par implosion ou par explosion. On connait ce modèle posé maintes fois par certains climatologues, observateurs de catastrophes naturelles: le battement d’aile d’un papillon à Hawai peut provoquer un tsunami au Japon ou aux Philippines. Les théories de Thom trouvent surtout une application pratique pour observer et prévenir les effondrements boursiers : en effet, de petites variations peuvent déboucher sur une crise ou un krach de grande ampleur.

Corvus soulève donc la question sur le plan de la gestion des Etats voire du village-monde à l’heure de la globalisation: l’exemple de l’ouragan qui a provoqué fin août les inondations de la Nouvelle-Orléans prouve d’ores et déjà que le système américain ne peut gérer, de manière optimale, deux situations d’urgence à la fois : la guerre en Irak, qui mobilise fonds et énergies, et les inondations à l’embouchure du Mississippi (dont la domestication du bassin a été le projet premier de Franklin Delano Roosevelt, pour lequel il a mobilisé toutes les énergies de l’Amérique à l’ “ère des directeurs” —ces termes sont de James Burnham— et pour lequel il a déclenché les deux guerres mondiales afin de glaner les fonds suffisants, après élimination de ses concurrents commerciaux allemands et japonais, et de réaliser son objectif: celui d’organiser d’Est en Ouest le territoire encore hétéroclite des Etats-Unis). La catastrophe naturelle qui a frappé la Nouvelle-Orléans est, en ce sens, l’indice d’un ressac américain en Amérique du Nord même et, plus encore, la preuve d’une fragilité extrême des systèmes hyper-complexes quand ils sont soumis à des sollicitations multiples et simultanées. Nous allons voir que ce débat est bien présent aujourd’hui aux Etats-Unis.

Qu’adviendrait-il d’une France frappée au même moment par quatre ou cinq catastrophes ?

En France, en novembre 2005, les émeutes des banlieues ont démontré que le système-France pouvait gérer dans des délais convenables des émeutes dans une seule ville, mais non dans plusieurs villes à la fois. La France est donc fragile sur ce plan. Il suffit, pour lui faire une guerre indirecte, selon les nouvelles stratégies élaborées dans les états-majors américains, de provoquer des troubles dans quelques villes simultanément. L’objectif d’une telle opération pourrait être de paralyser le pays pendant un certain temps, de lui faire perdre quelques milliards d’euros dans la gestion de ces émeutes, milliards qui ne pourront plus être utilisés pour les projets spatiaux concurrents et européens, pour la modernisation de son armée et de son industrie militaire (la construction d’un porte-avions par exemple). Imaginons alors une France frappée simultanément par une épidémie de grippe (aviaire ou non) qui mobiliserait outrancièrement ses infrastructures hospitalières, par quelques explosions de banlieues comme en novembre 2005 qui mobiliserait toutes ses forces de police, par des tornades sur sa côte atlantique comme il y a quelques années et par une crise politique soudaine due au décès inopiné d’un grand personnage politique. Inutile d’épiloguer davantage : la France, dans sa configuration actuelle, est incapable de faire face, de manière cohérente et efficace, à une telle convergence de catastrophes.

L’histoire prouve également que l’Europe du 14ième siècle a subi justement une convergence de catastrophes semblable. La peste l’a ravagée et fait perdre un tiers de ses habitants de l’époque. Cette épidémie a été suivie d’une crise socio-religieuse endémique, avec révoltes et jacqueries successives en plusieurs points du continent. A cet effondrement démographique et social, s’est ajoutée l’invasion ottomane, partie du petit territoire contrôlé par le chef turc Othman, en face de Byzance, sur la rive orientale de la Mer de Marmara. Il a fallu un siècle —et peut-être davantage— pour que l’Europe s’en remette (et mal). Plus d’un siècle après la grande peste de 1348, l’Europe perd encore Constantinople en 1453, après avoir perdu la bataille de Varna en 1444. En 1477, les hordes ottomanes ravagent l’arrière-pays de Venise. Il faudra encore deux siècles pour arrêter la progression ottomane, après le siège raté de Vienne en 1683, et presque deux siècles supplémentaires pour voir le dernier soldat turc quitter l’Europe. L’Europe risque bel et bien de connaître une “période de troubles”, comme la Russie après Ivan le Terrible, de longueur imprévisible, aux effets dévastateurs tout aussi imprévisibles, avant l’arrivée d’un nouvel “empereur”, avant le retour du politique.

“Guerre longue” et “longue catastrophe”: le débat anglo-saxon

Replaçons maintenant la parution de “La convergence des catastrophes” de Guillaume Corvus dans le contexte général de la pensée stratégique actuelle, surtout celle qui anime les débats dans le monde anglo-saxon. Premier ouvrage intéressant à mentionner dans cette introduction est celui de Philip Bobbitt, “The Shield of Achilles. War, Peace and the Course of History” (Penguin, Harmondsworth, 2002-2003) où l’auteur explicite surtout la notion de “guerre longue”. Pour lui, elle s’étend de 1914 à la première offensive américaine contre l’Irak en 1990-91. L’actualité nous montre qu’il a trop limité son champ d’observation et d’investigation : la seconde attaque américaine contre l’Irak en 2003 montre que la première offensive n’était qu’une étape; ensuite, l’invasion de l’Afghanistan avait démontré, deux ans auparavant, que la “guerre longue” n’était pas limitée aux deux guerres mondiales et à la guerre froide, mais englobait aussi des conflits antérieurs comme les guerres anglo-russes par tribus afghanes interposées de 1839-1842, la guerre de Crimée, etc. Finalement, la notion de “guerre longue” finit par nous faire découvrir qu’aucune guerre ne se termine définitivement et que tous les conflits actuels sont in fine tributaires de guerres anciennes, remontant même à la protohistoire (Jared Diamonds, aux Etats-Unis, l’évoque dans ses travaux, citant notamment que la colonisation indonésienne des la Papouasie occidentale et la continuation d’une invasion austronésienne proto-historique; ce type de continuité ne s’observa pas seulement dans l’espace austral-asiatique).

Si l’on limite le champ d’observation aux guerres pour le pétrole, qui font rage plus que jamais aujourd’hui, la période étudiée par Bobbitt ne l’englobe pas tout à fait: en effet, les premières troupes britanniques débarquent à Koweit dès 1910; il conviendrait donc d’explorer plus attentivement le contexte international, immédiatement avant la première guerre mondiale. Comme l’actualité de ce mois de janvier 2006 le prouve : ce conflit pour le pétrole du Croissant Fertile n’est pas terminé. Anton Zischka, qui vivra centenaire, sera actif jusqu’au bout et fut l’une des sources d’inspiration majeures de Jean Thiriart, avait commencé sa très longue carrière d’écrivain journaliste en 1925, quand il avait 25 ans, en publiant un ouvrage, traduit en français chez Payot, sur “La guerre du pétrole”, une guerre qui se déroule sur plusieurs continents, car Zischka n’oubliait pas la Guerre du Chaco en Amérique du Sud (les tintinophiles se rappelleront de “L’oreille cassée”, où la guerre entre le San Theodoros fictif et son voisin, tout aussi fictif, est provoquée par le désir de pétroliers américains de s’emparer des nappes pétrolifières).

Aujourd’hui, à la suite du constat d’une “longue guerre”, posé par Bobbitt et, avant lui, par Zischka, l’auteur américain James Howard Kunstler, dans “La fin du pétrole. Le vrai défi du XXI° siècle” (Plon, 2005) reprend et réactualise une autre thématique, qui avait été chère à Zischka, celle du défi scientifique et énergétique que lancera immanquablement la raréfaction du pétrole dans les toutes prochaines décennies. Pour Zischka, les appareils scientifiques privés et étatiques auraient dû depuis longtemps se mobiliser pour répondre aux monopoles de tous ordres. Les savants, pour Zischka, devaient se mobiliser pour donner à leurs patries, à leurs aires civilisationnelles (Zischka est un européiste et non un nationaliste étroit), les outils nécessaires à assurer leurs autonomies technologique, alimentaire, énergétique, etc. C’est là une autre réponse à la question de Clausewitz et à la nécessité d’une bonne gestion du patrimoine naturel et culturel des peuples. Faye n’a jamais hésité à plaider pour la diversification énergétique ou pour une réhabilitation du nucléaire. Pour lui comme pour d’autres, bon nombre d’écologistes sont des agents des pétroliers US, qui entendent garder les états inclus dans l’américanosphère sous leur coupe exclusive. L’argument ne manque nullement de pertinence, d’autant plus que le pétrole est souvent plus polluant que le nucléaire. Pour Corvus, l’une des catastrophes majeures qui risque bel et bien de nous frapper bientôt, est une crise pétrolière d’une envergure inédite.

La fin du modèle urbanistique américain

Les arguments de Corvus, nous les retrouvons chez Kunstler, preuve une nouvelle fois que ce livre sur la convergence des catstrophes n’a rien de marginal comme tentent de le faire accroire certains “aggiornamentés” du canal historique de la vieille “nouvelle droite” (un petit coup de patte en passant, pour tenter de remettre les pendules à l’heure, même chez certains cas désespérés… ou pour réveiller les naïfs qui croient encore —ou seraient tentés de croire— à ces stratégies louvoyantes et infructueuses…). Kunstler prévoit après la “longue guerre”, théorisée par Bobbitt, ou après la longue guerre du pétrole, décrite dans ses premiers balbutiements par Zischka, une “longue catastrophe”. Notamment, il décrit, de manière fort imagée, en prévoyant des situations concrètes possibles, l’effondrement de l’urbanisme à l’américaine. Ces villes trop étendues ne survivraient pas en cas de disparition des approvisionnements de pétrole et, partant, de l’automobile individuelle. 80% des bâtiments modernes, explique Kunstler, ne peuvent survivre plus de vingt ans en bon état de fonctionnement. Les toitures planes sont recouvertes de revêtements éphémères à base de pétrole, qu’il faut sans cesse renouveler. Il est en outre impossible de chauffer et d’entretenir des super-marchés sans une abondance de pétrole. La disparition rapide ou graduelle du pétrole postule un réaménagement complet des villes, pour lequel rien n’a jamais été prévu, vu le mythe dominant du progrès éternel qui interdit de penser un ressac, un recul ou un effondrement. Les villes ne pourront plus être horizontales comme le veut l’urbanisme américain actuel. Elle devront à nouveau se verticaliser, mais avec des immeubles qui ne dépasseront jamais sept étages. Il faudra revenir à la maçonnerie traditionnelle et au bois de charpente. On imagine quels bouleversements cruels ce réaménagement apportera à des millions d’individus, qui risquent même de ne pas survivre à cette rude épreuve, comme le craint Corvus. Kunstler, comme Corvus, prévoit également l’effondrement de l’école obligatoire pour tous : l’école ne sera plus “pléthorique” comme elle l’est aujourd’hui, mais s’adressera à un nombre limité de jeunes, ce qui conduira à une amélioration de sa qualité, seul point positif dans la catastrophe imminente qui va nous frapper.

La “quatrième guerre mondiale” de Thierry Wolton

Pour ce qui concerne le défi islamique, que Faye a commenté dans le sens que vous savez, ce qui lui a valu quelques ennuis, un autre auteur, Thierry Wolton, bcbg, considéré comme “politiquement correct”, tire à son tour la sonnette d’alarme, mais en prenant des options pro-américaines à nos yeux inutiles et, pire, dépourvues de pertinence. Dans l’ouvrage de Wolton, intitulé “La quatrième guerre mondiale” (Grasset, 2005), l’auteur évoque l’atout premier du monde islamique, son “youth bulge”, sa “réserve démographique”. Ce trop-plein d’hommes jeunes et désoeuvrés, mal formés, prompts à adopter les pires poncifs religieux, est une réserve de soldats ou de kamikazes. Mais qui profiteront à qui? Aucune puissance islamique autonome n’existe vraiment. Les inimitiés traversent le monde musulman. Aucun Etat musulman ne peut à terme servir de fédérateur à une umma offensive, malgré les rodomontades et les vociférations. Seuls les Etats-Unis sont en mesure de se servir de cette masse démographique disponible pour avancer leurs pions dans cet espace qui va de l’Egypte à l’Inde et de l’Océan Indien à la limite de la taïga sibérienne. Certes, l’opération de fédérer cette masse territoriale et démographique sera ardue, connaîtra des ressacs, mais les Etats-Unis auront toujours, quelque part, dans ce vaste “Grand Moyen Orient”, les dizaines de milliers de soldats disponibles à armer pour des opérations dans le sens de leurs intérêts, au détriment de la Russie, de l’Europe, de la Chine ou de l’Inde. Avec la Turquie, jadis fournisseur principal de piétaille potentielle pour l’OTAN ou l’éphémère Pacte de Bagdad du temps de la Guerre froide dans les années 50, branle dans le manche actuellement. Les romans d’un jeune écrivain, Burak Turna, fascinent le public turc. Ils évoquent une guerre turque contre les Etats-Unis et contre l’UE (la pauvre….), suivie d’une alliance russo-turque qui écrasera les armées de l’UE et plantera le drapeau de cette alliance sur les grands édifices de Vienne, Berlin et Bruxelles. Ce remaniement est intéressant à observer : le puissant mouvement des loups gris, hostiles à l’adhésion turque à l’UE et en ce sens intéressant à suivre, semble opter pour les visions de Turna.

Dans ce contexte, mais sans mentionner Turna, Wolton montre que la présence factuelle du “youth bulge” conduit à la possibilité d’une “guerre perpétuelle”, donc “longue”, conforme à la notion de “jihad”. Nouvelle indice, après Bobbitt et Kunstler, que le pessimisme est tendance aujourd’hui, chez qui veut encore penser. La “guerre perpétuelle” n’est pas un problème en soi, nous l’affrontons depuis que les successeurs du Prophète Mohamet sont sortis de la péninsule arabique pour affronter les armées moribondes des empires byzantins et perses. Mais pour y faire face, il faut une autre idéologie, un autre mode de pensée, celui que l’essayiste et historien américain Robert Kaplan suggère à Washington de nos jours : une éthique païenne de la guerre, qu’il ne tire pas d’une sorte de new age à la sauce Tolkien, mais notamment d’une lecture attentive de l’historien grec antique Thucydide, premier observateur d’une “guerre longue” dans l’archipel hellénique et ses alentours. Kaplan nous exhorte également à relire Machiavel et Churchill. Pour Schmitt hier, comme pour Kaplan aujourd’hui, les discours normatifs et moralisants, figés et soustraits aux effervescences du réel, camouflent des intérêts bornés ou des affaiblissements qu’il faut soigner, guérir, de toute urgence.

L’infanticide différé

Revenons à la notion de “youth bulge”, condition démographique pour mener des guerres longues. Utiliser le sang des jeunes hommes apparait abominable, les sacrifier sur l’autel du dieu Mars semble une horreur sans nom à nos contemporains bercés par les illusions irénistes qu’on leur a serinées depuis deux ou trois décennies. En Europe, le sacrifice des jeunes générations masculines a été une pratique courante jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Ne nous voilons pas la face. Nous n’avons pas été plus “moraux” que les excités islamiques d’aujourd’hui et que ceux qui veulent profiter de leur fougue. La bataille de Waterloo, à quinze kilomètres d’ici, est une bataille d’adolescents fort jeunes, où l’on avait notamment fourré dans les uniformes d’une “Landwehr du Lünebourg” tous les pensionnaires des orphelinats du Hanovre, à partir de douze ans. La lecture des ouvrages remarquables du démographe français Gaston Bouthoul, autre maître à penser de Faye, nous renseigne sur la pratique romaine de l’”infanticide différé”. Rome, en armant ces légions, supprimait son excédent de garçons, non pas en les exposant sur les marges d’un temple ou en les abandonnant sur une colline, mais en différant dans le temps cette pratique courante dans les sociétés proto-historiques et antiques. Le jeune homme avait le droit à une enfance, à être nourri avant l’âge adulte, à condition de devenir plus tard soldat de dix-sept à trente-sept ans. Les survivants se mariaient et s’installaient sur les terres conquises par leurs camarades morts. L’empire ottoman reprendra cette pratique en armant le trop-plein démographique des peuples turcs d’Asie centrale et les garçons des territoires conquis dans les Balkans (les janissaires). La raison économique de cette pratique est la conquête de terres, l’élargissement de l’ager romanus et l’élimination des bouches inutiles. Le ressac démographique de l’Europe, où l’avortement remboursé a remplacé l’infanticide différé de Bouthoul, rend cette pratique impossible, mais au détriment de l’expansion territoriale. Le “youth bulge” islamique servira un nouveau janissariat turc, si les voeux de Turna s’exaucent, la jihad saoudienne ou un janissariat inversé au service de l’Amérique.

Que faire ?

L’énoncé de tous ces faits effrayants qui sont ante portas ne doit nullement conduire au pessimisme de l’action. Les réponses que peut encore apporter l’Europe dans un sursaut in extremis (dont elle a souvent été capable : les quelques escouades de paysans visigothiques des Cantabriques qui battent les Maures vainqueurs et arrêtent définitivement leur progression, amorçant par là la reconquista; les Spartiates des Thermopyles; les défenseurs de Vienne autour du Comte Starhemberg; les cent trente-cinq soldats anglais et gallois de Rorke’s Drift; etc.) sont les suivantes :

- Face au “youth bulge”, se doter une supériorité technologique comme aux temps de la proto-histoire avec la domestication du cheval et l’invention du char tracté; mais pour renouer avec cette tradition des “maîtres des chevaux”, il faut réhabiliter la discipline scolaire, surtout aux niveaux scientifiques et techniques.

- Se remémorer l’audace stratégique des Européens, mise en exergue par l’historien militaire américain Hanson dans “Why the West always won”. Cela implique la connaissance des modèles anciens et modernes de cette audace impavide et la création d’une mythologie guerrière, “quiritaire”, basée sur des faits réels comme l’Illiade en était une.

- Rejeter l’idéologie dominante actuelle, créer un “soft power” européen voire euro-sibérien (Nye), brocarder l’ “émotionalisme” médiatique, combattre l’amnésie historique, mettre un terme à ce qu’a dénoncé Philippe Muray dans “Festivus festivus” (Fayard, 2005), et, antérieurement, dans “Désaccord parfait” (coll. “Tel”, Gallimard), soit l’idéologie festive, sous toutes ses formes, dans toute sa nocivité, cette idéologie festive qui domine nos médias, se campe comme l’idéal définitif de l’humanité, se crispe sur ses positions et déchaîne une nouvelle inquisition (dont Faye et Brigitte Bardot ont été les victimes).

C’est un travail énorme. C’est le travail métapolitique. C’est le travail que nous avons choisi de faire. C’est le travail pour lequel Guillaume Faye, qui va maintenant prendre la parole, a consacré toute sa vie. A vous de reprendre le flambeau. Nous ne serons écrasés par les catastrophes et par nos ennemis que si nous laissons tomber les bras, si nous laissons s’assoupir nos cerveaux.

Robert STEUCKERS.

lundi, 25 juin 2007

R. Steuckers: Petite histoire des Wandervögel

Petite histoire des Wandervögel

Robert Steuckers



Origines et racines culturelles :

- antécédents des guerres anti-napoléoniennes ; 1813 ; volontaires étudiants (Discours de Fichte ; mort au combat du poète Theodor Körner ; Jahn et ses sociétés de gymnastique);
- velléités nationales et révolutionnaires des Burschenschaften étudiantes ; opposition à l'Europe de la Restauration et de Metternich : pas de représentation populaire dans les assemblées décisionnaires ; opposition à la censure (attentat de l'étudiant Sand contre le poète, dramaturge et acteur réactionnaire Kotzebue) ; => 1848.

2nde moitié du XIXe siècle :

- Révolte générale contre les effets sociaux et esthétiques de l'industrialisation de l'Europe ;

- Angleterre: atténuer la laideur des villes industrielles : messages des poètes et des urbanistes. Pré-Raphaélites, mouvement des cités-jardins autour de l'artiste et architecte Ruskin, Mouvement dit des Arts & Crafts (jusqu'au début du XXe).

- Autriche : mouvement culturel revendiquant la réconciliation de l'art et de la politique.

- Allemagne : réunification en 1871 ; industrialisation outrancière ; révolte des philosophes et des poètes : Nietzsche, Langbehn (Rembrandt-Deutscher). Langbehn aura un impact prépondérant dans le développement des idées du mouvement de jeunesse allemand. Les choses de l'esprit, le donné naturel, l'âme simple des gens du peuple doivent recevoir priorité absolue sur l'esprit marchand et industriel, sur les choses construites par l'homme, sur les calculs de la bourgeoisie.

- 1896 : Hermann Hoffmann fonde une association d'étudiants en sténographie, liée au Lycée (Gymnasium) de Steglitz, une commune verte et non industrielle de la grande banlieue de Berlin. Une idée simple germe: la jeunesse ne peut pas rester prisonnière des cités enfumées de l'ère industrielle: elle doit sortir de cette cangue et partir en randonnée (mot magique en langue allemande: wandern). Résistance des autorités scolaires, contre les excursions proposées. Résistance balayée par les parents et des pédagogues moins classiques, conscients, grâce à leur lecture de Nietzsche et de Langbehn, que l'éducation doit quitter le trop-théorique pour prendre la vie et le réel à bras le corps.

- 1898 : 1ères excursions des lycéens de Steglitz sur les bords du Rhin ; 1899 : excursions de 4 semaines dans les forêts de Bohème. Ces 2 expéditions constituent une révolution dans le système éducatif de l'Allemagne wilhelminienne. Cette pédagogie non conventionnelle, ces excursions deviennent les symboles d'une révolte générale contre l'ordre établi (école, industrie, administration, etc.).

- Karl Fischer (19 ans, plus conscient de cette révolte que Hoffmann) prend le relais de son aîné : randonnées + critique fondamentale de l'ordre établi, au nom d'une éthique de l'austérité (anti-consumériste). Ses origines sont plus populaires (ni aristocrate ni bourgeois). Fischer instaure une discipline plus militaire et organise des excursions plus aventureuses : l'association des sténographes devient une Communauté alternative (à laquelle il donne le nom classique de Gemeinschaft).

- Le 4 novembre 1901, réunion dans une brasserie de Steglitz, présidée par Fischer : on y décide la fondation d'une association dénommée Wandervogel, Ausschuß für Schülerfahrten (= Oiseau migrateur. Commission pour les excursions scolaires). Veulent renouer avec la tradition médiévale des Vagantes, des escholiers pérégrinants.

- Introduction des soirées autour de feux de camp (dans la vallée de la Nuthe, près de Steglitz), visite de châteaux en ruines et de vestiges médiévaux (romantisme; enracinement dans l'histoire nationale) ; fêtes solsticiales ; romantisme de la montagne, des hauts sommets ; culte des lansquenets ; etc. Ces grandes idées ont été véhiculées par tous les mouvements de jeunesse idéalistes jusqu'à nos jours, y compris en France.

- Sous l'impulsion de Fischer, diffusion du mouvement dans toute l'Allemagne puis dans les Sudètes, à Prague et à Vienne. Le mouvement «Wandervogel» devient l'expression d'une jeunesse joyeuse, allègre, qui aime la musique, crée ses propres chansons et ses propres mélodies, etc. Mais elle commence à rêver d'un Jugendreich, d'un règne de la jeunesse, affranchi de la tutelle des adultes.

- En 1906, Fischer se retire du mouvement, s'inscrit à l'Université de Halle, puis part pour servir dans la marine allemande, dont une unité est casernée dans la forteresse de Tsing-Gao en Chine (il ne reviendra qu'en 1921, dans une Allemagne complètement transformée).

- Wilhelm Jansen (40 ans à l'époque) prend le mouvement en main : il veut créer une jeunesse énergique à l'âme forte. Il est un bon organisateur. En 1906, année où il prend ses fonctions, les 1ères sections féminines sont mises sur pied (Mädchenwandern), à l'initiative de Marie-Luise Becker. Au départ, hostilité à cette mixité et repli sur la masculinité (notion de Männerbund). A Iéna, les groupes mixtes sont acceptés sans aucune arrière-pensées.
=> scission : Wandervögel Deutscher Bund. 2 modes cohabiteront : la mixité et la masculinité exclusive (d'où le reproche récurrent d'homosexualité).

- Jansen quitte le mouvement
=> Hans Breuer, Hans Lissner, Edmund Neuendorff. Breuer, ancien lycéen de Steglitz, sera volontaire de guerre et tombera devant Verdun le 20 avril 1918. Il crée le chansonnier du mouvement, toujours d'actualité: le Zupfgeigerhansl.

- Toutefois la diffusion du mouvement de jeunesse Wandervogel est incompréhensible sans référence à la culture alternative qui se répandait en Allemagne à la même époque ; la figure-clef de ce renouveau culturel et métapolitique est l'éditeur Eugen Diederichs, qui fonde à Florence, Leipzig et Iéna une maison d'édition en 1896 (qui existe toujours aujourd'hui, sans renier son passé), la même année où Hoffmann lance son groupe d'excursionnistes sténographes à Steglitz. Diederichs est également inspiré par Langbehn et Paul de Lagarde. Mais il ne sombre pas dans un nationalisme étroit, il vise une universalité plurielle et alternative, qu'il oppose à l'universalisme monochrome et conventionnel du libéralisme dominant.

- On peut résumer la pensée et les objectifs de Diederichs en 8 points (que la dite révolution conservatrice radicalisera après 1918 :

1) donner priorité à la vie et au dynamisme (apport de Bergson, dont il sera l'éditeur allemand) ;
2) nécessité de promouvoir une nouvelle mystique religieuse, en dehors des institutions confessionnelles rigides ; recours aux patrimoines germaniques (Edda) ainsi qu'aux religiosités traditionnelles et non chrétiennes de Chine et d'Inde ;
3) valoriser un art organique (Langbehn, les Pré-Raphaëlites anglais, Ruskin et ses cités-jardins, les prémisses de l'art nouveau/Jugendstil) ;
4) retour au romantisme en littérature ;
5) revaloriser les liens légués par le sang et le passé ;
6) penser la nature (pensée écologique avant la lettre) ;
7) forger un socialisme dynamique, anti-bourgeois, éthique, inspiré de la Fabian Society anglaise, de Jean Jaurès et de Henri de Man ;
8) susciter sans relâche la créativité chez les adolescents (Raison pour laquelle Diederichs soutient le mouvement Wandervogel).

- Notons que Diederichs fonde lui-même une société juvénile et festive (alors qu'il a largement dépassé la quarantaine) : la société SERA, qu'il finance généreusement, où des artistes et des musiciens de renom viennent animer les initiatives. La société SERA fête les solstices, milite en faveur d'une joie de vivre débarrassée des conventions rigides.



- Grand moment de l'aventure Wandervogel : le grand rassemblement de la jeunesse allemande, tous groupes confondus, sur le sommet du Hoher Meissner en 1913. Le philosophe Ludwig Klages y prononce un discours sur la nécessité de préserver le donné naturel, inaugurant ainsi la pensée écologique qui ne cessera plus d'être virulente en Allemagne (sauf pendant les années 50 et 60). A partir de ce grand rassemblement, de nombreuses initiatives locales, étudiantes, lycéennes ou ouvrières se regroupent dans une structure souple et informelle qui reçoit le nom de Freideutsche Jugend.

- En 1914, la jeunesse se porte volontaire en masse pour la "Grande Randonnée" (Die Große Fahrt), qui se terminera tragiquement pour la plupart : des 12.000 Wandervögel d'avant-guerre, 7000 ne reviendront jamais des champs de bataille. 3 valeurs éthiques fondamentales animent ces jeunes volontaires : l'absence d'intérêts (matériels et personnels), l'altruisme et la camaraderie. Cette éthique s'exprime dans le livre de Walter Flex, disponible en français*, Der Wanderer zwischen beiden Welten (= Le Randonneur entre les 2 mondes).

* : voir
http://www.crevetabous.com ou http://www.geri-freki.com/livresneufs.htm

- Ernst Jünger*, récemment décédé, a également été jeune Wandervogel en 1911-12. Il dépassera l'éthique purement naïve et romantique du Wandervogel dans les tranchées et réfléchira sur l'irruption de la technique dans la guerre.
[* : cf. Nouvelle Ecole n°48,
http://www.labyrinthe.fr//Site2/edition.as...=NEC048&... ]

- Après 1918 : nécessaire réorganisation dans un climat de guerre civile entre Rouges et Corps Francs. Enrôlement de jeunes dans les Corps Francs en Silésie contre l'armée polonaise, dans le Corps Franc Oberland contre les Rouges en Bavière.

- 3 groupes dominent dans l'immédiat après-guerre : la Freideutsche Jugend (= la jeunesse libre-allemande), les Landesgemeinden (= communautés rurales) et le Kronacher Bund (la Ligue de Kronach). Mais ils connaîtront l'échec, vu l'impossibilité de réconcilier l'esprit Wandervogel d'avant 14, l'esprit des jeunes soldats revenus du front (désillusion, amertume, lassitude face aux discours trop idéalistes/cf. Jünger, déconfessionalisation, etc.), l'esprit de la "génération 1902", qui n'a pas eu le temps de connaître le front et l'idéalise outrancièrement et hors de propos. Volonté générale : pas d'activisme politique, ni gauche ni droite, mais toujours opter pour le "renouveau" (Bergson!).

- Une personnalité se profile : le manchot Ernst Buske, non mobilisé à cause de son terrible handicap, animateur dans le Reich en guerre des groupes de jeunes non encore mobilisés, inspirateur du Altwandervogel (une ligue qui entendait préserver les valeurs et l'esprit du 1er mouvement de Fischer), juriste professionnellement actif au service d'une association paysanne en Allemagne du Nord-Ouest, personnalité forte, tranquille, mûre, idéaliste, modeste, hostile à toute grandiloquence visionnaire, pragmatique. De 1920 à 1922, Buske fonde un nouveau concept : celui de Jungenschaft. En 1925-26, ce concept est à la base de la fondation d'un nouveau grand mouvement, la Freischar (= la libre bande), qui comptera de 10.000 à 12.000 membres, dont les 3/4 avaient moins de 18 ans. La Freischar regroupait de petites unités locales d'une moyenne de 16 jeunes. Buske meurt subitement en 1930.

- La Freischar a compté en son sein de fortes et célèbres personnalités du monde des lettres et de l'université, notamment les philosophes Hans Freyer, Leopold Dingräve (du Tat-Kreis révolutionnaire-conservateur), Eugen Rosenstock-Huessy (théoricien des révolutions européennes, que l'on range à tort ou à raison dans la catégorie de la révolution conservatrice) et l'activiste socialiste Fritz Borinski (auteur d'une excellente histoire du Wandervogel et des mouvements de jeunesse). A noter également la présence au sein de la Freischar de Johann Wilhelm Hauer, futur animateur de la Deutsche Glaubensbewegung (= Mouvement de la foi allemande), un mouvement souhaitant retourner aux racines religieuses de l'Europe et réhabiliter toutes les religiosités qui fondent les communautés humaines. Le thème central de la démarche de Hauer est effectivement la communauté. Il exprimera ses idées dans un mouvement de jeunesse plus philosophiques, le Köngener Bund (=Ligue de Köngen), qui organisera des colloques et des débats contradictoires très importants, notamment avec Martin Buber.


La Freischar: "Plus jamais de guerre".

- Matthias von Hellfeld, auteur d'ouvrages sur les mouvements de jeunesse allemands des années 30, mélangeant critique et enthousiasme, nous dresse un panorama des ligues de jeunesse de l'époque (Bündische Jugend), qui venaient de prendre le relais de la Freischar après le décès de Buske en 1930. M. von Hellfeld distingue :

1. Le courant idéaliste, fidèle à l'esprit de 1913 (Rassemblement sur le Hoher Meissner, discours de Klages) et à l'esprit de la Freideutsche Jugend. La Deutsche Freischar de Buske renoue avec cette tradition et entend concrétiser son rêve de Jugendreich par l'organisation régulière de "camps de travail" (Arbeitslager) où jeunes paysans, ouvriers et étudiants peuvent se retrouver pour construire une nation solidaire. L'esprit pragmatique de Buske a pu s'y exprimer. A sa mort, la direction du mouvement est reprise en main par l'Amiral von Trotha, adversaire en 1919 d'une élimination par la force armée des officiers putschistes de Kapp (ultra-droite; en fr. cf. le livre de Dominique Venner sur les Corps francs*). Beaucoup de jeunes voient d'un mauvais oeil le contrôle de ce vieil officier conservateur. D'où des dissidences ou, plus exactement, l'autonomisation de groupes menés par de jeunes chefs charismatiques.

[* : Histoire d'un fascisme allemand : les corps-francs du Baltikum et la révolution conservatrice de Dominique Venner, dispo sur
http://shop.upsylon.com/cgi-bin/librediff/00713.html... ou sur http://www.tilsafe.com/libfr/113-LRB-FPM.html... ]

Parmi eux :

- La Deutsche Jungenschaft von 1. 11 (= Les jeunes Allemands du 1 Novembre; en abrégé: d.j.1.11), dirigée par Eberhard Koebel , qui s'était déjà heurté à Buske en 1928 (Koebel n'est exclu de la Freischar qu'en 1930). Grande originalité de ce groupe : il appréhende le monde de la technique de manière plus positive que l'ancienne tradition idéaliste, véhiculée de Fischer à Buske. Plus rebelle mais aussi plus intellectuelle, la d.j.1.11 aborde des sujets philosophiques, littéraires, s'intéresse à l'architecture et aux courants de l'art contemporain. Elle fonde un théâtre, introduit le banjo et la balalaïka russe dans le folklore du mouvement de jeunesse. Les influences scandinaves, finnoise (la tente laponne dénommé dans le jargon des mouvements de jeunesse allemands, la Kohte) et russes sont prépondérantes. La d.j. 1.11 sort du cadre strictement allemand-germanique, voire européen quand elle se met à idéaliser le samourai japonais. Koebel, dit "tusk" depuis ses voyages en Scandinavie et en Finlande (tusk = allemand en langues scandinaves), crée un style nettement nouveau, un graphisme audacieux et moderne, plus dynamique et quelque peu futuriste. L'ensemble du mouvement de jeunesse tombe bon gré mal gré sous l'influence de cette étonnante modernité, y compris les groupements confessionnels, catholiques et protestants.

- La d.j. 1.11, fidèle à son romantisme scandinave, finnois et russe, a acquis une notoriété importante en Allemagne après avoir organisé une expédition sur les rives de l'Arctique et en Nouvelle-Zemble. "Tusk" en faisait évidemment partie et nous a laissé une description intéressante de la faune et des oiseaux des îles de l'Arctique. De même, on peut lire dans son carnet de bord, une fascination pour le jour éternel de la zone polaire en été.


Eberhard Koebel, dit « Tusk »

- Qualifié de "desperado du mouvement de jeunesse", Koebel ne trouve qu'un seul allié réel, le Suisse Alfred Schmid, chef du Graues Korps (= Le Corps Gris). Koebel fonde ensuite des "garnisons rouges-grises", dont la 1ère ouvre ses portes à Berlin en 1930. Ces garnisons sont des communautés d'habitation, où les jeunes peuvent vivre et loger, en dehors de toute tutelle adulte. En 1932, Koebel évolue vers le communisme et tente de mettre sa ligue au service du PC allemand, ce qui entraîne bon nombre de désaccords. Un ancien dira : «Je n'ai pas admis que Tusk ait envoyé des jeunes pour accompagner les colleurs d'affiches communistes dans les rues de Berlin».

- Parallèlement aux garnisons rouges-grises, Koebel fonde des "Kultur-Clubs", qui ont pour mission d'éduquer les jeunes "à la révolution et au socialisme". Cette orientation non déguisée vers le communisme marxiste provoque des scissions: la d.j.1.11 se scinde en 4 groupes. Quand les nationaux-socialistes prennent le pouvoir en 1933, Tusk est arrêté par la Gestapo. En juin 1934, il émigre en Suède puis en Angleterre. Il mourra à Berlin-Est en 1955.

- Autre évolution intéressante après la mort de Buske et toujours de le cadre de la jeunesse "idéaliste" (selon la classification de von Hellfeld) : les Nerother, surtout originaires de Rhénanie. Ceux-ci inaugurent des expéditions lointaines, plus lointaines encore que celles organisées par Tusk. Ainsi, on a vu des Nerother escalader les parois des Andes et revenir avec des films extraordinaires, présentées dans les salles de cinéma de toute l'Allemagne, pour financer le mouvement, qui ne comptera jamais plus de 1000 membres. Fondateurs du mouvement étaient les frères Oelbermann. Robert sera arrêté par la Gestapo et mourra à Dachau en 1941. Karl partira en Afrique pendant la guerre et ne reviendra que 19 ans plus tard dans une Allemagne complètement transformée.

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Nerother Bund

2) L'aile "völkisch" :

Plus nationaliste, moins liée à la tradition idéaliste et hégélienne, l'aile völkisch comprenait des mouvements comme les Adler und Falken (Aigles et Faucons), les Geusen (les Gueux), les Artamanen et la Freischar Schill. Les Artamanen fusionneront avec les services agricoles du IIIe Reich (leur activité principale avait été d'organiser des colonies agricoles dans les zones rurales de l'Allemagne et en Transylvanie roumaine, où vit une forte minorité allemande). Les ministres nationaux-socialistes Himmler (police) et Darré (agriculture) en firent partie. La Freischar Schill évolua vers le nationalisme-révolutionnaire, not. selon les directives des frères Strasser. Dirigée par Werner Lass, elle a pu bénéficier de la collaboration d'Ernst Jünger.

3) Les groupes nationaux-révolutionnaires :

Ils sont surtout animés par le Rhénan Hans Ebeling (Jungnationaler Bund - Deutsche Jungenschaft) et par le socialiste révolutionnaire Karl Otto Paetel, qui fondera le Gruppe sozial-revolutionärer Nationalisten (GSNR, en fr. : Groupe des Nationalistes sociaux-révolutionnaires). Paetel évoluera vers l'anti-fascisme, s'engagera côté républicain pendant la guerre civile espagnole, connaîtra un exil new-yorkais où il contribuera à lancer le mouvement contestataire de la Beat Generation dans les années 50. Il reviendra en Allemagne pour y mourir en 1969.

Citons encore la Schwarze Jungmannschaft de Heinz Gruber et la Bündische Reichsschaft de Kleo Pleyer.

A partir de 1933 vient la mise au pas progressive des ligues de jeunesse jugées trop indépendantes. Les jeunesses hitlériennes absorbent petit à petit les militants jeunes, marginalisant les chefs (Koebel, Paetel, Ebeling) et les contraignant à l'émigration.

Que conclure de ce panorama ?

- Les principes énoncés par Diederichs dans le cadre de sa maison d'édition et de son groupe SERA restent valables, non seulement sur le plan philosophique ou idéologique mais aussi et surtout sur le plan politique; une traduction politique de ce programme en huit points me paraît possible aujourd'hui, vu que ces 8 points résument parfaitement des problématiques qui travaillent, pour le meilleur comme pour le pire, la sphère politique européenne.
- Le discours écologisant du philosophe Klages en 1913 sur le sommet du Hoher Meissner reste valable, en tant que texte fondateur de l'écologie fondamentale.
- Le pragmatisme de Buske reste valable.
- Les démarches philosophiques de Hauer restent valables: à l'individualisme et au collectivisme, il faut opposer la notion de communauté (communauté de travail, de combat, d'étude, de survie, de loisirs, etc.).
- Les innovations de Tusk sur le plan du graphisme et sur le plan de l'audace restent valables, même si on ne partage pas son engagement communiste des années 32-33. L'idée de faire des expéditions lointaines intéressantes reste valable. L'idée de ramener des documents sonores et filmés également.


Aujourd'hui, à la lumière de ce passé, un mouvement de jeunesse doit :

- conserver l'esprit du Wandern, surtout dans son propre pays. La redécouverte du terroir régional/national est un impératif de réenracinement, mais aussi un mode de contestation des voyages de masse sans aventure, où tout est prépéparé, nivelé, patronné et mâché d'avance (Club Med, etc.).
- combiner cet esprit randonneur avec un engagement philosophique cohérent et solide (modèles : Diederichs, Hauer), puis organiser cette cohérence sur le plan pratique (création d'une maison d'édition ; celle de Diederichs a tenu le coup jusqu'à aujourd'hui <elle a été fondée en 1896> en dépit des crises économiques allemandes de 1918-23, 1929, 1945-49 ; les colloques de Hauer se sont poursuivis après 1945 et le relais a été pris à sa mort ; l'initiative qu'il a lancée se poursuit toujours).
- ne pas se limiter aux randonnées, mais ne pas s'enfermer non plus dans les spéculations philosophiques stériles ;
- reste le problème de l'engagement politique: il est exact que du temps de Tusk, par exemple, le jeune idéaliste était soit nationaliste soit communiste et souvent son choix oscillait entre ces deux extrêmes. Aujourd'hui, la donne a changé dans la mesure où, comme le disait l'hebdo français Marianne, les jeunes de notre décennie n'ont plus que des soucis limités: faire de l'argent, refuser toute formation culturelle, refuser tout service à autrui, refuser de penser la politique, etc. Toutes les idéologies politiques dominantes sont responsables de ce désastre pédagogique et anthropologique, y compris les partis qui leur ont servi de véhicule. Rien qu'avoir le souci de la Cité aujourd'hui constitue déjà une contestation radicale du pouvoir en place. Donc un acte politique.

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dimanche, 24 juin 2007

Extraits de l'autobiographie d'A. Mohler

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Extraits de l'autobiographie d'Armin Mohler

Pour expliquer ses positions critiques à l'égard de l'histo­rio­graphie de la République Fédérale, Armin Mohler dans son ouvrage Der Nasenring. Im Dickicht der Vergangenheits­be­wältigung (Heitz und Höffkes, Essen, 1989), évoque quel­ques péripéties de sa jeunesse. Pour fêter ses 80 ans, nous en donnons une toute première version française à nos lec­teurs. Pour les anciens abonnés à Vouloir, cf. Willy Pieters, «Les Allemands, leur histoire et leurs névroses», n°40/42, 1987.

Mes années d'étude: Marx, Freud & Cie

Rétrospectivement, je ne regrette pas la ligne en zigzag qu'a pris mon cheminement à cette époque-là. Elle m'a permis des expériences qui m'ont préservé ultérieurement de tout encroûtement. Pendant quelque temps, je me suis défendu con­tre cette vision (fort juste) que la vie est faite de para­do­xes. Pendant de nombreuses années, j'ai tenté de voiler, de re­fouler, cette vision pertinente du paradoxal de l'existence qui s'installait pourtant lentement dans mes idées, mes sen­ti­ments et mes représentations. Je me suis soumis à une doc­tri­ne sotériologique et universaliste qui promettait de liquider tous les paradoxes et de révéler le sens du Tout. Ce fut une ex­périence qui, au moins, me préserva de fabriquer une au­tre doctrine sotériologique après m'être débarrassé d'une pre­mière.

Cette expérience a commencé quand j'avais seize ou dix-sept ans. Je voulais articuler ma révolte contre l'environ­ne­ment petit-bourgeois d'une façon “originale”, c'est-à-dire de “gauche”. Ce n'était pas si facile au milieu des années 30. La Suisse était déjà sur la voie de la “démocratie du consensus” (ou plus précisément: la démocratie des cartels). L'époque où la troupe avait tiré sur les ouvriers était passée, cela fai­sait au moins vingt ans. La couche de la population vivant dans le besoin s'amenuisait et se réduisait graduellement, pour rester confinée aux paysans des montagnes, dans les loin­taines vallées alpines. Les associations et les cartels des employeurs et des travailleurs avaient décidé de se partager pacifiquement le gâteau. Sur le plan physionomique, les bos­ses d'un camp comme de l'autre ne se distinguaient quasi­ment plus. Dans une telle situation, un marxisme radical se­rait mort de ridicule, car chaque besoin de la classe ouvrière était satisfait par la création d'une nouvelle association. Un anarchisme radical aurait tourné à vide dans un pays, où, certes, chaque autochtone ressent un malaise, mais où au­cun d'eux n'est vraiment opprimé. Personne ne pose des bom­bes contre soi-même.

S'introduire dans le monde des artistes

Parmi les mésaventures grotesques de mon existence: le fait que cette situation sociale, qui m'a fait fuir la Suisse, me rat­tra­pe dans ma nouvelle patrie d'adoption, l'Allemagne de l'Ouest. Des amis allemands, qui se moquent de moi, me po­sent malicieusement la question: «pensez-vous que certains signes permettent de dire qu'il y a “helvétisation” de la Ré­pu­blique Fédérale?». Je pense alors que peu avant la seconde guerre mondiale, seule une gauche intellectuelle avait ses chan­ces dans ma patrie suisse. Or cette chance était limitée à un domaine vraiment réduit: la caste des intellectuels, des lit­térateurs, des artistes avec leurs mécènes issus des clas­ses aisées de la société. C'est justement dans cette caste que je voulais m'introduire: elle me semblait être la porte ou­verte sur le vaste monde. En 1938, je m'inscris donc à l'uni­ver­sité de Bâle; branche principale: histoire de l'art; bran­ches secondaires: philologie germanique et philosophie.

Juste avant cette inscription, j'avais pénétré dans un nou­veau cercle de personnalités, celui des émigrés du Troisiè­me Reich, composés surtout de nombreux Juifs. Les familles juives bien établies à Bâle n'étaient pas trop ravies de cet apport nouveau. Moi personnellement, je me passionnais pour ces Juifs non assimilés. Ils nous apportaient de Berlin un petit reflet des Roaring Twenties, de Prague l'air qu'avait respiré Kafka, de Vienne un zeste de la décadence la plus fascinante de l'histoire récente. Avec les émigrés non juifs, ils prétendaient être “la meilleure Allemagne”. Mais ce furent également des émigrés juifs qui m'ont apporté les premiers éléments philosophiques et esthétiques qui contredisaient mes options libérales. Sur ce chapitre, je m'étais contenté jus­qu'alors d'étudier mon très proche compatriote, Carl Spit­te­ler, natif du Baselbiet, le pays rural autour de la ville de Bâ­le. Spitteler était un poète épique, le seul Suisse qui avait re­çu un Prix Nobel de littérature (sans compter Hermann Hes­se, qui est un naturalisé). Mais, avec la vague d'émigrés de 1938, la communauté poétique fondée par Stefan George, in­stallée à Bâle avant 1933, s'est trouvée renforcée numé­ri­que­ment, si bien que j'ai appris à connaître dans ce cercle des auteurs comme Rudolf Borchardt, Alfred Mombert, Lud­wig Derleth, et même Vladimir Jabotinsky, père fondateur d'un fascisme juif.

Mes intérêts se concentrèrent d'abord sur le plat principal, mitonné par des Suisses et des étrangers, des hommes de gauche, des avant-gardistes et des libéraux, pour être servi à cette gauche culturelle. C'était un savant mélange, parfois assez pertinent, de marxisme, de psychanalyse, de peinture abstraite, de musique atonale, d'architecture du Bauhaus, de films soviétiques, le tout nappé d'une sauce sucrée faite de pathos libéral. De ce côté du front, dans la guerre civile mon­diale, on trouvait ce qu'il y avait de meilleur dans les années 30, car on tentait de revalider le marxisme devenu un peu ca­duc en lui injectant de solides doses de psychanalyse. Wil­helm Reich n'a jamais été qu'un théoricien parmi beau­coup d'autres à avoir eu cette idée. C'était génial: faire entrer en scène de concert, Marx, le mage de la société, et Freud, le mage de l'âme, bras dessus bras dessous. Avec ce cou­pla­ge, le regard devenu un peu myope que jetait la gauche sur le monde, fut renforcé comme par un effet stéréo. A l'é­po­que aussi je croyais disposer, avec le psycho-marxisme, d'un code universel pour déchiffrer rationnellement le mon­de. Le tour de passe-passe scientifique, qui permit à cette doc­trine sotériologique nouvelle d'entrer en scène, la rendit si­multanément irrésistible. Voilà pourquoi, trois décennies plus tard, j'ai eu l'impression de voir des fantômes en Ré­pu­bli­que Fédérale quand les soixante-huitards se sont coiffés de ce vieux chapeau (mais, il est vrai, ils le portaient à la fa­çon californienne et non pas à la mode zurichoise).

Nous nous prenions pour de grands réalistes…

Chez les soixante-huitards, j'ai également découvert une ar­ro­gance élitaire identique à celle qu'affichaient mes amis a­vant-gardistes en 1938. Nous aussi avions commencé notre quê­te en évoquant la “dialectique” et le “refoulement”, nous avions forgé le jargon de notre petite clique pour nous dis­tancier des “masses”. Nous, nous savions “vraiment” ce qui se cachait “derrière” les choses. Une toile constructiviste de Piet Mondrian ne se composait pas seulement de traits droits qui formaient un angle droit, puis s'entrecoupaient, pour séparer agréablement et rythmiquement des carrés ou des rectangles rouges, bleus ou jaunes, le tout sur fond blanc (ce qui peut apaiser un individu hyper-stressé, tout com­me un beau tapis). Non, non, ce n'était pas que cette sim­ple géométrie, cela “signifiait” quelque chose. Ce que nous voyions n'était pas l'essentiel, mais ce que nous as­sociions dans l'image. Nous nous prenions pour de grands “réalistes”, mais nous n'étions que des “réalistes des uni­versaux” (et seulement, comme le veut la conditio humana, selon notre prétention).

Beaucoup d'entre nous pensaient avoir entre les mains la clef donnant accès aux énigmes de l'univers. En réalité, nous avions troublé notre regard sur le monde en usant d'un filtre d'abstractions. On devient ainsi la proie facile de ceux qui veulent nous faire gober que le vrai monde un jour vien­dra, mais dans le futur. Ou on devient la proie d'autres mar­chands d'illusions (moins nombreux mais plus dangereux) qui veulent nous faire croire que le vrai monde a déjà été, et qu'il est irrévocablement perdu. L'espoir existe, quand on com­mence à se rendre compte que l'on passe ainsi à côté de sa vraie vie, unique, spécifique et irremplaçable.

Armin MOHLER

(ex: Der Nasenring. Im Dickicht der Vergangenheitsbewältigung, op.cit., pp. 34-37).


Quand mes premières convictions se sont érodées…

Quand ai-je cessé d'être étudiant de gauche? Je sais du moins le jour où j'ai pris conscience que tout cela était absolument faux: le 22 juin 1941. Toutefois ma conviction que le psycho-marxisme était la clef de l'univers avait déjà été ébranlée.

Je n'étais pas le type prêt à déployer des efforts pendant toute sa vie pour réaliser les lunes de l'universalisme. Dans tous les cas de figure, on peut difficilement évaluer ce que l'on reçoit en héritage avant sa naissance. Personnellement, après ma naissance, j'ai eu de la chance. Mes parents vi­vaient un mariage heureux. Mon père était un homme dis­cret, mais il possédait une autorité naturelle et incontestée. Ma mère, plus entreprenante, était son complément parfait dans la vie. La maison parentale était une maison où régnait l'ordre, mais elle n'était pas ennuyeuse. Je n'ai pas été gâté. Mes parents n'en avaient pas les moyens. Les petites misè­res quotidiennes, physiques ou psychiques, n'ont jamais don­né lieu à des excitations ou des émotions hors de l'ordi­nai­re: on savait qu'elles faisaient partie du lot de tous les vi­vants. Ainsi, j'ai hérité d'un état d'esprit que je ne qualifierais pas d'optimisme mais plutôt de “goût pour la vie” (Lebens­lust).

Le mouvement frontiste en Suisse

Quand je me suis dégagé du corset des idéologies de gau­che, c'est ce goût pour la vie qui a été le moteur principal. Mais ce n'était pas le seul. Quoi qu'il en soit, ce n'est cer­tainement pas la droite suisse de l'époque qui a constitué un moteur supplémentaire. Pour autant qu'il y ait eu des grou­pe­ments qualifiables de “conservateurs” en Suisse du temps de ma jeunesse, et pour autant que ces groupements n'aient pas été édulcorés, ils étaient de nature “patricienne” et/ou catholique. Ces deux fondements m'étaient étrangers. J'étais issu de la petite bourgeoisie, je ne me suis jamais senti chré­tien et, au jour de ma majorité, j'ai quitté volontairement l'é­gli­se réformée, dans laquelle j'avais été éduqué. Le maur­ras­sisme, représenté en Suisse romande, aurait pu m'attirer. Mais le Suisse alémanique a toujours été coupé de la Suisse francophone. En général, il connaît mieux Paris ou la Pro­ven­ce. Pour un garçon comme moi, qui tentait de trouver une voie à droite, il ne restait plus que le mouvement fron­tiste en Suisse alémanique (c'est-à-dire des mouvements comme le Neue Front, le Nationale Front, le Volksbund, etc.). Ce mouvement était un de ces nombreux mouvements de renouveau qui surgissaient partout en Europe à cause de la crise économique et que les politologues contemporains qualifient de “fascistoïde”.

En 1931, au moment où les fronts connaissaient leur prin­temps, je n'avais que onze ans, sinon je me serais facile­ment laisser entraîner par eux. Ce mouvement de renou­veau, à ses débuts, pouvait compter sur l'assentiment de nom­breuses strates de la population. Il avait été initié par des jeunes loups issus des partis établis, qui voulaient créer quelque chose pour absorber le mécontentement général et la lassitude de la population contre les partis conventionnels. Pourtant, très vite, les fronts suisses ont créé leur propre dynamique. On vit apparaître des similitudes de style avec le fascisme tel qu'il se manifestait dans toute l'Europe mais, à partir de 1933, l'ombre compromettante du Troisième Reich s'est étendue sur le mouvement frontiste. Les représentants des associations de l'établissement, qui participaient à ces fronts, ont rapidement pris leurs distances, dès 1933. Les in­tellectuels, qui étaient les pendants suisses de la “Révolution Conservatrice” allemande à Zurich ou à Berne, sont resté plus longtemps dans ces formations politiques et ont béné­ficié de l'approbation de la Jeunesse dorée qui s'ennuyait. Cependant, lors des exécutions de la Nuit des Longs Cou­teaux, le 30 juin 1934, à Munich et à Berlin, plusieurs victi­mes étaient des représentants de la “Révolution conser­va­trice”; choqués, la plupart de ces intellectuels suisses con­ser­vateurs-révolutionnaires quittent la vie publique et se ré­fu­gient dans leur tour d'ivoire. Le seul siège frontiste au Par­lement suisse est rapidement perdu. Ce qui a subsisté des fronts a été marginalisé par la société libérale avec tous les moyens dont elle disposait. Les chefs les plus modérés se sont repliés sur leur vie privée. Une partie des leaders les plus radicaux se sont réfugiés dans le Troisième Reich pour échapper à la police et à la justice helvétiques. Il n'est plus resté qu'une troupe sans chefs, dont le nombre ne cessait de se réduire: des petites gens, obnubilés par une seule idée fixe, que les francs-maçons et les juifs (dans cet ordre) é­taient responsables de tous les maux de la Terre.

Le Major Leonhardt du Volksbund

Une théorie du complot aussi lapidaire n'était pas ce qu'il fallait pour un type comme moi, qui était sur le point de résoudre l'énigme de l'univers. Pourtant, un jour, je me suis ha­sardé dans l'antre du lion. J'ai assisté à un meeting du plus radical des chefs frontistes, le Major Leonhardt, chef du Volksbund, une dissidence du Nationale Front. (Comme l'ar­mée, à l'époque, était encore une institution sacro-sainte, le fils d'un Allemand naturalisé utilisait ses galons d'officier pour faire de la propagande en faveur du Volksbund). Ce mee­ting a dû avoir lieu au plus tard en 1939, car j'ai lu dans une thèse de doctorat consacrée au Volskbund, que Leon­hardt avait émigré en Allemagne en 1939 et qu'il y a trouvé la mort en 1945 lors d'un raid aérien allié. Extérieurement, il correspondait à son surnom: “le Julius Streicher suisse”. Ef­fectivement, son corps était d'allure pycnique, tassée, il sem­blait ne pas avoir de cou; il avait le même crâne pointu que Streicher, un crâne qui semblait toujours prêt à l'attaque. Il avait aussi des talents d'orateur comparables, comme j'allais ra­pidement le constater à mes dépens. Après le discours du Ma­jor —sur la Suisse “souillée” par les francs-maçons et les juifs— j'ai osé formuler une remarque. Je ne sais plus au­jourd'hui ce que j'ai dit alors. Mais je n'ai pas oublié que le Major Leonhardt a tout de suite repéré que j'étais étudiant. Il m'a directement attaqué ad personam. (Dans la thèse que j'é­voquais tous à l'heure, j'ai lu qu'il avait justifié sa rupture et celle de ses ouailles avec le Nationale Front car celui-ci était entièrement tombé sous la coupe des universitaires). Le Ma­jor a commencé à me répondre froidement, puis m'a admi­nistré une litanie d'injures, d'une voix toujours plus élevée; les insultes successives semblaient s'enrouler autour de moi comme une spirale. Leur contenu approximatif? Le contri­bua­ble suisse fait construire des universités avec son argent et qu'en sort-il? Des universitaires étrangers au monde, qui ont appris tant de choses inutiles qu'ils ne savent même plus quels sont les véritables ennemis du peuple! Leonhardt avait bien chauffé son public: les uns me regardaient avec un air nar­quois, les autres me lançaient des regards haineux; quant à moi, j'étais également échaudé car que peut-on op­poser à une telle avalanche d'insultes? Je n'ai revécu de si­tuation semblable qu'à la fin des années 60 et au début des années 70 dans les “discussions” qui avaient lieu à l'époque dans les universités ouest-allemandes.

Mobilisé dans l'armée suisse en 1940

Comme les fronts n'ont nullement contribué à me faire des­cen­dre de mon petit trône de libéral de gauche, quelle est a­lors la force qui m'en a fait descendre? Avec la distance que procure l'âge, je dois bien constater que ma mobilisation dans les rangs de l'armée suisse en 1940 a eu sa part. Le “drill” helvétique de l'époque était encore très rude: mes com­patriotes qui ont d'abord servi dans l'armée suisse puis, plus tard, dans la Waffen SS allemande, considèrent que l'in­struction dans notre pays était plus dure que celle qui prévalait dans les divisions de Himmler. Avec l'état d'esprit qui était le mien en ce temps-là, j'ai endossé l'uniforme avec des sentiments anti-militaristes. Je n'ai pas été un bon soldat et, à la fin de mes classes de conscrit, mon commandant m'a demandé si je voulais devenir aspirant officier (on le de­man­dait automatiquement à tout universitaire à l'époque). J'ai répondu “non merci!” et je suis resté simple fantassin. A ma grande surprise toutefois, je sentais que certains aspects du service me plaisaient. Ainsi la course avec paquetage d'as­saut et fusil me plaisait. Je ne pouvais pas me hisser au-dessus de la barre fixe mais j'étais un bon coureur à pied. Pour un étudiant anti-militariste, ces petits plaisirs peuvent en­core se justifier: c'est du sport. Mais, il y avait plus inquié­tant pour un pacifiste de gauche: des plaisirs quasi ataviques m'emportaient dans un domaine strictement militaire, notam­ment le drill. Je ne pouvais pas réprimer une profonde satis­fac­tion quand mon peloton, après des journées d'exercices, fai­sait claquer ses fusils sur le sol sans “effet de machine à é­crire”. (Pour les civils, cela signifie: lorsque les crosses des fu­sils tombent sur le sol en ne faisant plus tAc-TaC-taC-Tac dans le désordre et sans unisson, mais avec un seul et uni­que TAC métallique sur les dalles de la cour de la caserne). Quinze jours auparavant, je me serais encore moqué de ces “enfantillages”.

Aller au peuple

Cependant, l'expérience la plus importante de mon service mi­litaire est venue après l'école des recrues, quand je suis passé au service actif et quand j'ai été affecté à la garde de la frontière. On m'avait envoyé dans une compagnie de Schützen (= tirailleurs), composée d'hommes, aptes à porter les armes, issus de toutes les classes d'âge mais aussi, comme habituellement dans l'infanterie, d'hommes venus de tous les horizons de la vie civile. Dans une société haute­ment spécialisée, l'intellectuel éprouvera des difficultés à fai­re ample connaissance avec des “gens du peuple”. Il n'exis­te que deux institutions où il peut le faire, vingt-quatre heures sur vingt-quatre: la prison et le service militaire. Les deux ans de mon service le long de la frontière m'ont beaucoup plus apporté dans ma formation humaine que le double du temps que j'avais passé auparavant dans les universités. (…) Dans cette optique autobiographique, je me contenterai d'une citation, qui résume bien l'affaire. Elle provient de l'œu­vre d'un Suisse original, Hans Albrecht Moser (1882-1978); je l'ai tirée de son journal Ich und der andere, paru à Stutt­gart en 1962. La voici: «L'humain se trouve plus facile­ment dans l'homme normal que dans l'homme excep­tion­nel. C'est pourquoi cet homme normal m'attire da­van­tage. Pour satisfaire des besoins spirituels, il existe des livres».

Découvrir Spengler

Pour ce qui concerne les livres, je m'empresse de dire ceci: j'ai continué à en dévorer, sans discontinuité, et, parmi eux, j'ai surtout lu les grands critiques du libéralisme. Ces lectu­res ont beaucoup contribué à faire crouler mes palais imagi­nai­res et utopiques. J'avais déjà commencé à lire Nietzsche quand j'étais scout. Pendant mes deux ans de garde le long de la frontière, je suis passé aux autres grands anti-libéraux. L'expérience la plus originale que j'ai eue, c'est en lisant Os­wald Spengler. Au sommet de ma période de gauche, j'avais tenté de lire Le Déclin de l'Occident. (Bien sûr, pour appren­dre à connaître l'adversaire). Mais je n'étais pas parvenu à franchir le cap des premières pages: pour moi, le texte était absolument incompréhensible. La notoriété de cet ouvrage res­tait un mystère pour moi, même d'un point de vue thérapeu­tique. Vers la fin de ma période d'incubation, que je viens de vous esquisser —ce devait être au début de l'an­née 1941— les deux énormes volumes me sont tombés une nouvelle fois entre les mains. J'ai ouvert le premier à n'im­por­te quelle page et j'ai commencé à lire, sans m'arrêter, et au bout de quelques jours, j'avais entièrement parcouru les deux tomes. Pourquoi n'avais-je pas pu faire la même ex­pé­rience lors de ma première tentative? Quelque chose d'es­sen­tiel en moi avait changé, mais je n'en avais pas encore idée.

Armin MOHLER

(ex: Der Nasenring. Im Dickicht der Vergangenheitsbewältigung, op.cit., pp. 37-41).


Participation et ergonisme

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Participation gaullienne et "ergonisme": deux corpus d'idées pour la société de demain

Robert Steuckers

Beaucoup de livres, d'essais et d'articles ont été écrits sur l'idée de participation dans le gaullisme des années 60. Mais de toute cette masse de textes, bien peu de choses sont passées dans l'esprit public, dans les mentalités. En France, une parcelle de l'intelligentsia fit preuve d'innovation dans le domaine des projets sociaux quand le monde industrialisé tout entier se contentait de reproduire les vieilles formules libérales ou keynésiennes. Mais l'opinion publique française n'a pas retenu leur message ou n'a pas voulu le faire fructifier.

On ne parle plus, dans les salons parisiens, de la participation suggérée par De Gaulle, ni de l'idée séduisante d'"intéressement" des travailleurs aux bénéfices des entreprises, ni des projets "pancapitalistes" d'un Marcel Loichot ou d'un René Capitant. Lors des commémorations à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Charles De Gaulle, ces projets, pourtant très intéressants et, aujourd'hui encore, riches de possibles multiples, n'ont guère été évoqués. Couve de Murville, sur le petit écran, a simplement rappelé la diplomatie de "troisième voie" amorcée par De Gaulle en Amérique latine, au Québec et à Phnom Penh (1966). Si la "troisième voie" en politique extérieure suscite encore de l'intérêt, en revanche, la "troisième voie" envisagée pour la politique intérieure est bel et bien oubliée.

Outre les textes de René Capitant ou l'étude de M. Desvignes sur la participation (1), il nous semble opportun de rappeler, notamment dans le cadre du "Club Nationalisme et République", un texte bref, dense et chaleureux de Marcel Loichot, écrit en collaboration avec le célèbre et étonnant Raymond Abellio en 1966, Le cathéchisme pancapitaliste. Loichot et Abellio constataient la faiblesse de la France en biens d'équipement par rapport à ses concurrents allemands et japonais (déjà!). Pour combler ce retard  ‹que l'on comparera utilement aujourd'hui aux retards de l'Europe en matières d'électronique, d'informatique, de création de logiciels, en avionique, etcŠ‹  nos deux auteurs suggéraient une sorte de nouveau contrat social où capitalistes et salariés se partageraient la charge des auto-financements dans les entreprises. Ce partage, ils l'appelaient "pancapitaliste", car la possession des richesses nationales se répartissait entre toutes les strates sociales, entre les propriétaires, les patrons et les salariés. Cette diffusion de la richesse, expliquent Loichot et Abellio (2), brise les reins de l'oligo-capitalisme, système où les biens de production sont concentrés entre les mains d'une petite minorité (oligo  en grec) de détenteurs de capitaux à qui la masse des travailleurs "aliène", c'est-à-dire vend, sa capacité de travail. Par opposition, le pancapitalisme, ne s'adressant plus à un petit nombre mais à tous, entend "désaliéner" les salariés en les rendant propriétaires de ces mêmes biens, grâce à une juste et précise répartition des dividendes, s'effectuant par des procédés techniques dûment élaborés (condensés dans l'article 33 de la loi du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises si celles-ci attribuent à leur personnel des actions ou parts sociales).

L'objectif de ce projet "pancapitaliste" est de responsabiliser le salarié au même titre que le patron. Si le petit catéchisme pancapitaliste de Loichot et Abellio, ou le conte de Futhé et Nigo, deux pêcheurs japonais, dont l'histoire retrace l'évolution des pratiques économiques (3), peuvent nous sembler refléter un engouement utopique, parler le langage du désir, les théoriciens de la participation à l'ère gaullienne ne se sont pas contentés de populariser outrancièrement leurs projets: ils ont su manier les méthodes mathématiques et rationnelles de l'économétrie. Mais là n'est pas notre propos. Nous voudrions souligner ici que le projet gaullien global de participation s'est heurté à des volontés négatives, les mêmes volontés qui, aujourd'hui encore, bloquent l'évolution de notre société et provoquent, en bon nombre de points, son implosion. Loichot pourfendait le conservatisme du patronat, responsable du recul de la France en certains secteurs de la production, responsable du mauvais climat social qui y règnait et qui décourageait les salariés.

Deuxième remarque: qui dit participation dit automatiquement responsabilité. Le fait de participer à la croissance de son entreprise implique, de la part du salarié, une attention constante à la bonne ou la mauvaise marche des affaires. Donc un rapport plus immédiat aux choses de sa vie quotidienne, donc un ancrage de sa pensée pratique dans le monde qui l'entoure. Cette attention, toujours soutenue et nécessaire, immunise le salarié contre toutes les séductions clinquantes des idéologies vagues, grandiloquentes, qui prétendent abolir les pesanteurs qu'impliquent nécessairement les ancrages dans la vie. Jamais les modes universalistes, jamais les slogans de leurs relais associatifs (comme SOS-Racisme par exemple), n'auraient pu avoir autant d'influence, si les projets de Loichot, Capitant, Abellio, Vallon s'étaient ancrés dans la pratique sociale quotidienne des Français. Ceux-ci, déjà victimes des lois de la Révolution, qui ont réduit en poussière les structures professionnelles de type corporatif, victimes une nouvelle fois de l'inadaptation des lois sociales de la IIIième République, victimes de la mauvaise volonté du patronat qui saborde les projets gaulliens de participation, se trouvent systématiquement en porte-à-faux, davantage encore que les autres Européens et les Japonais, avec la réalité concrète, dure et exigeante, et sont consolés par un opium idéologique généralement universaliste, comme le sans-culottisme de la Révolution, la gloire de l'Empire qui n'apporte aucune amélioration des systèmes sociaux, les discours creux de la IIIième bourgeoise ou, aujourd'hui, les navets pseudo-philosophiques, soft-idéologiques, de la médiacratie de l'ère mitterandienne. Pendant ce temps, ailleurs dans le monde, les Allemagnes restauraient leurs associations professionnelles ou les maintenaient en les adaptant, Bismarck faisait voter des lois de protection de la classe ouvrière, les fascismes italiens ou allemands peaufinaient son ¦uvre et imposaient une législation et une sécurité sociales très avancées, la RFA savait maintenir dans son système social ce qui avait été innovateur pendant l'entre-deux-guerres (Weimar et période NS confondues), le Japon conservait ses réflexes que les esprits chagrins décrètent "féodaux"... Toutes mesures en rupture avec l'esprit niveleur, hostile à tout réflexe associatif de nature communautaire, qui afflige la France depuis l'émergence, déjà sous l'ancien régime, de la modernité individualiste.

L'idée de participation est un impératif de survie nationale, identitaire et économique, parce qu'elle implique un projet collectif et non une déliquescence individualiste, parce qu'elle force les camarades de travail d'une entreprise à se concerter et à discuter de leurs vrais problèmes, sans être doublement "aliénés": et par les mécanismes économiques du salariat et par les discours abrutissants des médias qui remplacent désormais largement l'opium religieux, comme l'entendaient Feuerbach, Marx et Engels, dont les idées sont trahies allègrement aujourd'hui par ceux qui s'en revendiquent tout en les figeant et les dénaturant. La réalité, qui n'est pas soft  mais hard, contrairement à ce qu'affirment les faux prophètes, a déjà dû s'adapter à cette nécessité de lier le travailleur immédiatement à sa production: l'éléphantiasis tant des appareils administratifs étatisés de type post-keynésiens que des énormes firmes transnationales ont généré, à partir de la première crise pétrolières de 1973, une inertie et une irresponsabilité croissantes de la part des salariés, donc une perte de substance humaine considérable. Il a fallu trancher stupidement, avec gâchis, au nom de chimères opposées, en l'occurrence celles du néo-libéralisme reaganien ou thatchérien. Renvoyer des salariés sans préparation au travail indépendant. Résultat, dans les années 80: accroissement exponentiel du chômage, avec des masses démobilisées n'osant pas franchir ce pas, vu que les législations de l'ère keynésienne (qui trahissaient Keynes) avaient pénalisé le travail indépendant. Autre résultat, au seuil des années 90: une inadaptation des structures d'enseignement aux besoins réels de la société, avec répétition sociale-démocrate des vieux poncifs usés, avec hystérie néo-libérale destructrice des secteurs universitaires jugés non rentables, alors qu'ils explorent, souvent en pionniers, des pans entiers mais refoulés du réel; et produisent, du coup, des recherches qui peuvent s'avérer fructueuses sur le long terme.

Les vicissitudes et les dysfonctionnements que nous observons dans notre société contemporaine proviennent de ce désancrage permanent qu'imposent les idéologies dominantes, privilégiant toutes sortes de chimères idéologiques, transformant la société en un cirque où des milliers de clowns ânonnent des paroles creuses, sans rien résoudre. La participation et l'intéressement sont les aspects lucratifs d'une vision du monde qui privilégie le concret, soit le travail, la créativité humaine et la chaîne des générations. Ce recours au concret est l'essence même de notre démarche. Au-delà de tous les discours et de toutes les abstractions monétaires, de l'étalon-or ou du dollar-roi, le moteur de l'économie, donc de notre survie la plus élémentaire, reste le travail. Définir en termes politiques notre option est assez malaisé: nous ne pouvons pas nous définir comme des "identitaires-travaillistes", puisque le mot "travailliste" désigne les sociaux-démocrates anglais ou israëliens, alliés aux socialistes de nos pays qui claudiquent de compromissions en compromissions, depuis le programme de Gotha jusqu'à celui de Bad Godesberg (4), depuis les mesures libérales du gouvernement Mitterand jusqu'à son alliance avec Bernard Tapie ou son alignement inconditionnel sur les positions américaines dans le Golfe.

Jacob Sher, économiste qui a enseigné à l'Institut polytechnique de Léningrad avant de passer à l'Ouest, participationniste sur base d'autres corpus que ceux explorés par les gaulliens Loichot, Vallon ou Capitant, a forgé les mots qu'il faut   ‹ergonisme, ergonat, ergonaire (du grec ergon, travail)‹   pour désigner sa troisième voie basée sur le Travail. Issu de la communauté juive de Vilnius en Lithuanie, Jacob Sher partage le sort de ces Israëlites oubliés par nos bateleurs médiatiques, pourtant si soucieux d'affirmer et d'exhiber un philosémitisme tapageur. Oublié parce qu'il pense juste, Sher nous explique (5) très précisément la nature éminement démocratique et préservatrice d'identité de son projet, qu'il appelle l'ergonisme. Il est démocratique car la richesse, donc le pouvoir, est répartie dans l'ensemble du corps social. Il préserve l'identité car il n'aliène ni les masses de salariés ni les minorités patronales et fixe les attentions des uns et des autres sur leur tâche concrète sans générer d'opium idéologique, dissolvant toutes les formes d'ancrage professionnel ou identitaire.

La participation gaullienne et l'ergonat sherien: deux corpus doctrinaux à réexplorer à fond pour surmonter les dysfonctionnements de plus en plus patents de nos sociétés gouvernées par l'idéologie libérale saupoudrée de quelques tirades socialistes, de plus en plus rares depuis l'effondrement définitif des modèles communistes est-européens. Pour ceux qui sont encore tentés de raisonner en termes reagano-thatchériens ou de resasser les formules anti-communistes nées de la guerre froide des années 50, citons la conclusion du livre de Jacob Sher: "Et ce n'est pas la droite qui triomphe et occupe le terrain abandonné par la gauche, malgré les apparences électorales. Certes, la droite profite de la croissance du nombre des voix anti-gauche, mais ces voix ne sont pas pro-droite, elle ne s'enrichit pas d'adhésions à ses idées. Car la droite aussi est en déroute, son principe de société a aussi échoué. Ce sont les nouvelles forces qui montent, les nouvelles idées qui progressent, une nouvelle société qui se dessine. Non pas une société s'inscrivant entre les deux anciennes sociétés, à gauche ou à droite de l'une ou de l'autre, mais CONTRE elles, EN FACE d'elles, DIFFERENTE d'elles. TROISIEME tout simplement. Comme un troisième angle d'un triangle".

Notes

(1) Cf. M. Desvignes, Demain, la participation. Au-delà du capitalisme et du marxisme, Plon, Paris, 1978; René Capitant, La réforme pancapitaliste, Flammarion, Paris, 1971; Ecrits politiques, Flammarion, 1971; Démocratie et participation politique, Bordas, 1972.
(2) "Le catéchisme pancapitaliste" a été reproduit dans une anthologie de textes de Marcel Loichot intitulée La mutation ou l'aurore du pancapitalisme, Tchou, Paris, 1970.
(3) Le conte de Futhé et Nigo se trouve également dans Marcel Loichot, La mutation..., op. cit., pp. 615-621.
(4) Au programme de Gotha en 1875, les socialistes allemands acceptent les compromissions avec le régime impérial-libéral. A Bad Godesberg en 1959, ils renoncent au révolutionnarisme marxiste, donc à changer la société capitaliste. Le marxisme apparaît comme un compromis permanent face aux dysfonctionnements du système capitaliste.
(5) Jacob Sher, Changer les idées. Ergonisme contre socialisme et capitalisme, Nouvelles éditions Rupture, 1982.

[Synergies Européennes, Nationalisme & République, Janvier, 1992]

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samedi, 23 juin 2007

L'anthropologue américain C. S. Coon

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Sur l'anthropologue américain Carleton Stevens Coon

23 juin 1904 : Naissance à Wakefield dans le Massachusetts de l'anthropologue américain Carleton Stevens Coon. Sa méthode consistait à émettre des thèses en anthropologie sur base d'un matériel archéologique. Son œuvre majeure a été The Origin of Races (1962), ouvrage controversée à une époque où les études anthropologiques sont systématiquement soupçonnées de consolider un discours "raciste". L'investigation minutieuse des preuves archéologiques ne peut pourtant pas se réduire à des slogans ineptes, que ceux-ci soient de facture "raciste" ou "anti-raciste". L'hystérie de ses contradicteurs ne remplacera évidemment jamais le fait qu'il ait examiné plus de 31.000 outils, fragments d'outils ou récipients destinés à l'agriculture, dont certains remontaient à 6050 av. J. C. et provenaient de la grotte de Hotu en Iran. Ce chantier archéologique permettait, grâce à sa bonne conservation, d'explorer plusieurs strates successives de l'évolution préhistorique et proto-historique, allant du néolithique à l'Age du Fer en passant par l'Age du Bronze. Mieux, Coon y découvrit des restes humains de l'ère glaciaire, dont l'examen lui permit d'écrire, en 1954, The Story of Mankind (= L'histoire de l'humanité), panorama de l'histoire humaine depuis l'ère glaciaire jusqu'aux temps modernes. Pour Coon, cinq souches humaines existaient avant l'apparition de l'homo sapiens. Il a donc été l'avocat de la théorie polygéniste, opposée à la théorie monogéniste, propre de ceux qui interprètent la Bible stricto sensu et appartiennent généralement aux sectes protestantes les plus rétrogrades et propre aussi des "anti-racistes" professionnels qui se piquent d'un progressisme plus religieux que scientifique. Parmi les autres ouvrages majeurs de Coon, citons The Tribes of the Rif (= Les tribus du Rif, 1931) et The Races of Europe (1939). Carleton Stevens Coon meurt le 3 juin 1981 à Gloucester dans le Massachusetts (Robert Steuckers).

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vendredi, 22 juin 2007

Don d'information, résistance à la globalisation

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Frédéric VALENTIN:

Le don d'information, résistance à la globalisation

Un pamphlet bien conçu, publié récemment par Bernard Maris (1), a ou­vert la boîte de Pandore de la cuistrerie contemporaine : les dis­cours des experts en économie. On y trouve clairement exposé qua­tre thèmes qui ferment définitivement, du moins pour des penseurs hon­nêtes, la prétention des pseudo-spécialistes en économie :

- A la fin des années 70, la démonstration mathématique de ce que le modèle de concurrence est dans une impasse totale est acquise. Gé­rard Debreu a démontré que le marché ne conduit pas, naturelle­ment, à l’équilibre. Puis, Lipsey-Lancaster et Nash établissent que le mar­ché ne donne pas l’optimum. Ainsi, de même que les planifica­teurs socialistes, s’inspirant de la théorie de l’optimum et de Walras, ont finalement assassiné leur pays, de même les libéraux éradiquent l’Europe à l’abri de superstitions ridicules.

- Les auteurs Henri Simon (prix Nobel 1978) et Maurice Allais (prix No­bel 1988) ont prouvé que les agents sont irrationnels dès que l’on introduit de l’aléa dans leurs gains. La rationalité n’est qu’un postulat commode, sans lien avec le réel. Pour avoir osé préten­dre qu’ils avaient fabriqué le modèle adéquat à la réalité, les deux No­bel Merton et Scholes ont fait plonger leur portefeuille dont les clients ont été renfloués, comme toujours, par le prélèvement fiscal sur les populations laborieuses (2).

- Si certains savants finissent par devenir malhonnêtes en se trans­for­mant en « experts », les experts qui s’autorisent de la complexité de la science économique sont toujours malhonnêtes. Il en résulte que les économistes lucides refusent de parler de la réalité éco­nomi­que : elle n’existe pas. Tout ce qui se dit est parfaitement dé­montrable mais invérifiable et insanctionnable.

- La seule économie possible est l’histoire. Confession du prix No­bel John Hicks, peu avant sa mort ; et pratique régulière de Maurice Al­lais. Edmond Malinvaud, cherchant pourquoi les économistes ne font pas de découvertes, répond maintenant que cette science est sem­blable à la casuistique.

Une fois que l’esprit a été éclairé sur l’absence d’une science éco­no­mique prouvant quoi que ce soit, le point de vue de Carl Schmitt s’impose avec force : l’économie est un moyen de contrôle social in­di­rect. Il dépend de la volonté des élites et du sens de l’action op­portune, que de désobéir et /ou ne pas obéir aux diktats fondés sur cette pseudo-science. Il existera toujours des alternatives aux vec­teurs actuels de la globalisation que sont la finance, le commerce et les médiats. Nous montrerons que la problématique du don est l’une des orientations pour remettre en cause la théorie de l’information-mar­chandise véhiculée par la globalisation. Contre l’enfer de la glo­ba­lisation, soutenons le don. A l’information marchandise, opposons la valeur qualitative du lien social fondé sur des informations données et partagées.

A – Démythifier la globalisation

La globalisation désigne l’accroissement des mobilités de tout ce qui est codifiable (3). Sont concernés : la circulation des capi­taux, les marchandises et informations qui peuvent être numérisées et se transporter indépendamment des hommes. Tout ce qui se dé­place rapidement et à faible coût (sauf, évidemment, les hommes) a fa­cilité le développement des firmes globales. Par la double impulsion des États qui ont démoli leurs frontières, et du progrès technique orienté par le type de compétition que les entreprises subissent, la glo­balisation creuse chaque jour les inégalités au sein des pays et en­tre les régions du monde, en particulier entre les emplois compéti­tifs et les emplois protégés.

Les firmes globales pratiquent de la manière suivante :

- Décomposition de la chaîne de production, depuis la recherche-dé­­ve­lop­pement d’un nouveau produit jusqu’à sa distribution, en ac­ti­vi­tés unitaires simples.

- Localisation des activités sédentaires là où elles doivent l’être.

- Installation des autres processus dans les territoires qui offrent les meil­leures conditions pour leur fonctionnement.

Les experts-économistes serviteurs des marchands cherchent à faire croi­re que le progrès technique est la seule source du chômage et des inégalités. Puisque personne ne peut refuser le progrès tech­ni­que, il n’y a rien à faire... En réalité, c’est le processus de globa­lisa­tion qui est responsable d’une grande partie du chômage, en sorte qu’un certain protectionnisme servirait les intérêts des populations. Mais, pour les castrats au service des puissances économiques, il s’agit de camoufler le fait essentiel que le libéralisme de façade sert à réinstaller la société de castes : les patrons cèdent leur pla­ce aux héritiers ; en politique et dans la haute administration, les mê­mes noms se retrouvent sur plusieurs générations. Les lettrés sont en­fon­cés dans l’oubli par la promotion des « merducons » (4) du spec­tacle (cinéma, radio, chanson, sport) qui orientent les passions des foules. Cette nouvelle caste des têtes d’affiche, leaders d’opi­nion, transmet son succès à ses descendants. L’“affirmative action” (ou discrimination positive) applique le principe de la naissance à la pla­­ce du mérite. Partout en Europe, des mafias ethniques venant du vaste monde, des sectes monothéistes spécialisées dans le grand ban­ditisme intellectuel et le crime comme les humains qui pensent, pos­sèdent à nouveau, collectivement et donc par droit de naissance pour chacun, un statut juridique de race supérieure. Le fait d’être un dé­vot de telle secte ou de venir d’ailleurs, hors d’Europe, assure au­to­matiquement une préférence sur tous et favorise l’embauche par les satrapes politiques contrôlés par les marchands.

Par le processus de globalisation, l’oligarchie qui pilote l’Occident, fu­sion de la politique et des affaires, a réussi à inverser l’ordre tra­ditionnel des fonctions : l’avoir commande le pouvoir qui donne des ordres au savoir. Le sublime libéralisme mondial est en réalité une imposition violente, par propagande, meurtres et déporta­tions, d’une idéologie religieuse monothéiste et d’une organisation cléricale. Le droit de l’homme comme réalité est la continuation de la tyrannie mo­­nothéiste : la caste des purs auto-proclamés guide le troupeau et pu­­ri­fie le monde des mal-pensants.

La justification de la globalisation par des économistes-charla­tans ca­che donc le règne d’organisations centralisées à l’échelle du globe, vé­ritables Églises dirigées par des oligarchies de trafiquants. Si, en pratique, on vit le retour de la société raciste théo­cratique, l’absence d’une noblesse au service du peuple et d’une aris­tocratie spirituelle indépendante se fait déjà cruellement sentir. La mondialisation se dé­roule donc dans un certain contexte, spatial­e­ment et temporellement localisé. Quelques mensonges pieux ont été re­levés par l’économiste Bernard Maris (5) :

- La mondialisation n’est pas le commerce, mais l’organisation con­certée au niveau mondial des grands oligopoles.

- Les changements institutionnels qui favorisent le processus de glo­balisation sont soigneusement programmés dans des institutions spé­cialisées dans la dérèglementation, comme la commission euro­péen­ne ou l’OMC.

- La globalisation n’est pas la mondialiation des échanges. Pour plus de la moitié, le commerce se limite aux filiales de firmes globales.

Le mouvement de globalisation renvoie plutôt aux enclosures qui pré­cé­dèrent la révolution industrielle. Ce fut un mouvement de destruc­tion du collectif transformé en propriétés privées. De la même ma­niè­re, la globalisation organise la privatisation du monde et, corrélative­ment, tiers-mondise les Nations. Les oligarchies de trafiquants se dé­sengagent de toute obligation de façon radicale : plus de devoirs à l’é­gard de multiples groupes : employés, âgés ou jeunes, générations à venir, conditions de vie, etc. Ne pas avoir à assumer les con­sé­quences de ses actes, voilà l’avantage des nouveaux maîtres et les rai­sons de leur préférence en faveur des religions monothéistes fon­dées sur la culpabilisation, la délation et le meurtre intellectuel de mas­se.

Sous le prétexte fallacieux de pratiquer la science économique, les ec­clesia financières entretiennent des claque-dents affirmant que la guerre de tous contre tous est un progrès. L’idéologie occidentiste, par l’abus de la métaphore guerrière, tente de voiler les conditions réelles de la privatisation du monde. De même qu’il fallut une “grande transformation” pour stopper les conséquences des enclosures, de mê­me il faudra d’autres organisations (6) pour freiner les ardeurs des maîtres de l’heure. La compréhension de leur propagande vomitive amène à repenser la logique du Don - Contre-Don qui, quoique étouf­fée par les échanges monétaires, est une voie de réappropriation de l’humanité de l’homme en ce qu’elle fait appel à la valeur qualitative du lien social.

B – Don, dette, information

La production économique a besoin d’informations et de motivation. L’information est celle du travailleur ou de l’entrepreneur sur ce qu’il doit faire pour satisfaire au mieux des besoins ou désirs. Transmettre aux divers agents économiques les informations nécessaires sur les désirs et possibilités des autres est traditionnellement considéré par les économistes comme le problème majeur qu‚un système écono­mique doit résoudre (7). Les marchés avec leurs prix, la planification avec ses transferts administratifs d’information apportent des solu­tions qui, dans l’ensemble, sont impressionnantes. Mais si la motiva­tion existe ou est développée, des agents peuvent vouloir se trans­mettre volontairement des informations économiques à titre gracieux. Car le don d’information améliore le calcul, diminue les inconvénients du coût élevé de toutes informations, et donc son imperfection et son manque. La publicité qui incite à la consommation perd une grande par­tie de sa rentabilité si l’information est donnée et transmise gratui­tement. Le don d’information limite aussi les ravages du mensonge, car la motivation du secret perd de son importance.

Le capitalisme a d’autres possibilités d’avenir que la globalisation et la société de castes à fondement raciste théocratique dans laquelle les riches et les purs (justes et pieux selon la bible) dominent le trou­peau des impurs. Mais il faut pouvoir étudier l’autogestion, l’écologie, les autonomies, les décentralisations et les démocratisa­tions, etc. Pour préférer quelque chose il faut le connaître et, pour pouvoir le réa­liser il faut, de plus, savoir que c‚est possible. Aussi, la large diffu­sion de la connaissance de possibilités de transformations sociales est nécessaire pour que ces possibilités soient comprises et effec­tuées par le maximum de personnes. Car dans le champ des réfor­mes sociales, les personnes sont tout à la fois acteurs et auteurs, le suc­cès requérant que le progrès soit perçu (la fin est immanente aux moyens en ces matières).

Le don d’informations lutte contre la négligence de l’étude des so­cié­tés possibles par rapport à celle des sociétés réalisées (présentes et passées). L’argument clef des conservatismes de toutes les factions au pouvoir est devenu que seul ce qui existe est possible. Cela prou­ve une pauvreté d’imagination et de connaissance et une inaptitude à penser logiquement. Le seul critère « mérite d’exister » n’est pas le cri­tère de qualité d’une société. La recherche des inexistants pos­si­bles, la quête des ailleurs réalisables, l’analyse des utopies réalistes sont nécessairement la plus scientifique des activités. Pour savoir ce qui, parmi l’inobservé, est possible ou ne l’est pas, il faut avoir une con­naissance en profondeur de la nature et de la structure du mon­de. Le chant révolutionnaire affirme : « la liberté guide nos pas ». En fait, c’est l’espoir de liberté, c’est-à-dire l’imagination du futur, du pos­si­ble, du désirable : l’utopie. L’utopie de maintenant, c’est de donner le plus d’informations possibles pour limiter les relations hostiles, ré­dui­re les activités de parasitisme, connaître les méthodes de la ty­ran­nie monothéiste. La société actuelle des trafiquants pieux ne devien­dra problématique que si un maximum de gens peuvent en concevoir une différente. Or, toute information transmise peut créer une dé­cou­verte nouvelle ou une prise de conscience, en se combinant avec ce que sait déjà celui qui la reçoit ; de sorte que la diffusion d’in­for­ma­tions doit emprunter toutes les voies de la communication. Par exem­ple, le don d’informations provoquerait instantanément des amélio­ra­tions dans les domaines sociaux suivants :

- Les simples annonces de demande et d’offre d’emploi, développées et systématisées.

- Les accords de livraison présente ou future de biens et services, pas­sés deux à deux.

- Chaque unité économique ferait ses propres études de marché pour l’usage de ses produits et services.

- Des groupes auraient la possibilité de se transmettre des “prix fictifs” représentant des taux de substitution entre leurs désirs, ou des taux de transformation entre leurs possibilités, ou encore se don­ne­raient les rapports entre les coûts marginaux et les productivités mar­ginales.

- Les effets externes positifs ou négatifs créés par une activité se­raient connus. Le centre de décision calculerait le profit « fictif » inté­grant ces externalités. Les mensonges comptables diminueraient.

On peut donner et contre-donner pour bien des raisons : amour de l’au­tre, gratitude, reconnaissance, sens de l’équilibre ou du devoir, re­cherche de l’estime ou du statut, crainte de perdre la face, ou pour que l’autre continue de donner. Une forme classique de lien social, l’at­tachement d’un individu à ceux avec lesquels il est en relation in­stitutionnelle, est le sentiment que la personne a envers une (des) au­tre(s) une dette qu‚elle ne peut jamais entièrement repayer : dettes envers les parents, l’Empereur (cas japonais), mais ces sentiments existent souvent envers des groupes, des collectivités, des entités so­ciales (Patrie) ou des divinités créatrices. La notion de réseau rap­pelle qu’on donne en général plus facilement lorsqu’on connaît celui qui reçoit. Le réseau permet de savoir si l’aide offerte procure plaisir et de s’informer si les autres donnent aussi.

La globalisation n‚est pas la meilleure économie possible pour le plus grand nombre. La technique ne justifie aucunement la globalisation. C’est l’absence de réflexion sur le don, sur le rôle de l’information dans les conceptions sociales qui limitent la société à l’horreur ac­tuelle. Nous montrerons ci-dessous comment la théorie de l’informa­tion marchandise, véhiculée par les organisations dominantes, ré­sulte d’une conception monothéiste du marché et débouche sur la propagande et la censure. Puis nous établirons comment le don, re­fusant que l’information n’ait qu’une valeur quantitative, renoue avec la tradition de l’homme-mesure de toutes choses, conquérant de sa li­berté.

C – La théorie de l’information-marchandise

La vulgate économique pose en hypothèse que dans un monde d’a­tomes individuels et de concurrence pure et parfaite, et en l’absence de barrières techniques ou institutionnelles, les discours de tout un cha­cun et de tous types circulent. Le monde parfait, pur et immaculé, posé a priori, permet aux énoncés d’être émis, entendus, lus, é­cou­tés, vus sans entraves. La stratégie des ententes est alors d’obtenir une rente de monopole par la censure et la propagande.

1 – Censure, propagande et information-marchandise

La censure et la propagande sont deux manières complémentaires d’ob­tenir des rentes de monopole (8) :

- La censure augmente le coût, pour les producteurs et les utili­sa­teurs, des énoncés concurrents. Elle intervient tant sur le support ma­té­riel de la pensée (livres, ordinateurs,...) que sur les idées (inter­dic­tion d’enseignement, doctrines imposées, censures doctrinales) que sur les personnes (procès, sanctions, intimidations).

- La propagande diminue artificiellement le coût des énoncés de l’au­torité. Elle suppose un contrôle monopolistique sur les médiats, ces principaux moyens de diffusion des messages destinés aux foules et à l’intelligentsia. Les sources alternatives sont plongées dans le si­lence et les populations se convertissent, peu à peu, par la répétition des énoncés, aux superstitions qui conviennent à l’autorité. L’en­sei­gnement est toujours le premier visé puisqu’il permet une pro­pa­­gande « préventive » à l’usage des futurs croyants adultes.

Censure et propagande mobilisent un personnel important organisé en ecclésia. L’acceptation de la propagande et de la censure par les foules et l’intelligentsia est recherchée à travers le mécanisme étho­logique de l’argument d’autorité : les censeurs et autres prédicateurs sont présentés comme des leaders d’opinion et des locomotives so­cia­les dont les pensées sublimes sont crédibles. La cohérence des sain­tes doctrines s’appuie sur la hiérarchie des « élus », caste su­bli­me à laquelle les médiats demandent leur consentement avant de dif­fuser un énoncé. Enfin, les bourreaux de la magistrature, par envie de plaire et crasse intellectuelle, recherchent l’hérésie à tout prix et développent l’hystérie et l’efficacité de la censure.

Propagande et censure vont de pair. Elles naissent dans des socié­tés ouvertes qu’elles ferment ensuite pour longtemps. La propagande et la censure ne peuvent tolérer les libertés de l’esprit, assimilées au péché. L’éducation évolue vers la propagande, la censure déclenche l’au­tocensure et la sottise bestiale en résulte naturellement. Ces deux phénomènes ont toujours et partout dénaturé la pensée authentique et accouché de nouveaux systèmes d’idées extravagants mais com­pa­tibles avec la tyrannie.

En occident aujourd’hui, l’offre oligopolistique de messages tant cul­turels (idéologies) qu’informationnels (nouvelles) et la censure tou­chant les œuvres, leurs supports et leurs créateurs, ramènent le mar­ché de l’information à une fiction. La demande d’informations est con­di­tionnée par l’éducation / propagande à laquelle chacun est soumis depuis son enfance. Les offreurs sont organisés en consistoires : 100 chaînes et cent fois la même chose (et les mêmes têtes). Le con­tenu des messages est toujours imprégné de la même idéologie. Le mo­ment de la consommation ne change plus le contenu : du matin au soir, le médiatique autoréfère. Et une formation intellectuelle plus in­dé­pendante a un coût prohibitif, conséquence logique de l’efficacité de la censure. Pour les trafiquants et leurs cochons truffiers, l’infor­ma­tion-marchandise est un moyen d’enrichissement et de domi­na­tion. Ils demandent donc que la valeur soit appréciée selon les cri­tè­res de toute marchandise : la structure de préférence de l’individu ab­strait.

2 – Quelle valeur pour les flux d’information ?

Le morcellement effectif du pouvoir a toujours été la seule garantie contre l’intolérance. Si propagande et censure fleurissent aujourd’hui en occident, c’est qu’elles accompagnent la concentration des pou­voirs entre les mains d’oligarchies marchandes. Celles-ci affirment que l’information obéit aux mêmes lois que celles qui régissent les échanges marchands. Pourtant, dans une information se combinent la connaissance (un savoir), la donnée matérielle (informatique), la nouvelle (domaine informationnel). Mais les trafiquants affirment qu’une information est semblable à une marchandise ou à un service: c’est une chose que l’on peut quantifier et évaluer. Un paradoxe é­merge cependant : information et appréciation se correspondent. On ne peut évaluer une information si l’on ne présuppose pas une pos­sibilité d’appréciation. Une appréciation résulte d’informations préa­la­bles... Comment fixer la valeur?

Les experts qui analysent l’information sous l’angle d’un service é­co­no­mique particulier emploient leurs instruments habituels, la pré­fé­ren­ce et l’évaluation. La valeur dépend de la qualité de la relation éta­blie entre le producteur et l’usager. En tant que service, l’information obéit à cette règle, même si elle n‚est pas « appropriable » puis­qu’elle forme le substrat sur lequel s’appuient les décisions. Chaque bran­che de l’économie, de la théorie du capital humain aux in­ves­tis­se­ments immatériels, la traite alors à sa façon. Il reste toutefois que le don, en posant la question de la gratuité, ouvre d’autres voies qui re­nouent avec la pensée philosophique traditionnelle : l’homme est la me­sure de toutes choses ; l’homme accepte des conventions ; l’hom­me est un créateur.

D – Don et valeur de l’information

Max Weber (9) a développé, au début de ce siècle, la compréhension des comportements humains fondés sur l’intérêt et sur la fidélité à une conviction. Les hommes donnent de la valeur à l’objet et valo­ri­sent leur action. Ce phénomène de l’évaluation est impliqué dans toute action qui veut réaliser un but et cherche à s’en donner les moyens. Pour Weber, la valorisation consiste à donner une dignité su­périeure à un type d’actions sur les autres. Mais il est impossible de faire que les hommes ne croient qu’à un système de valeurs et portent tous uniformément la même appréciation sur le cours des choses.

Toute relation sociale s’inscrit soit dans l’éphémère soit dans la du­rée, est fermée ou ouverte (dans un parti politique, on recrute un ma­xi­mum de membres). L’activité sociale, orientée d’après autrui, met en jeu des réciprocités (pas nécessairement de la solidarité ou de la coopération) et possède un degré de probabilité pour que les rap­ports sortent du cadre dans lequel ils sont établis (exemple : la non obéissance ou la désobéissance vident des règles ou des structures de leurs possibilités d‚existence). Le don d’information agira donc sur les formes d’activité sociale et sur le type de relations. Les fragments de Protagoras ouvrent la première piste.

1 – La tradition sophistique

Le premier fragment de Protagoras affirme : « De toutes les choses, la mesure est l’homme : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas du fait qu’elles ne sont pas » (10). L’homme-mesure s’interprète de plusieurs manières. Le grec « métron » pro­vient des racines indo-européennes *me- ; *met- ; *med-, « me­su­rer » (11). La valeur originelle a été « mesurer le temps ». Elle a eu des emplois dérivés, notamment les mesures autres que temporelles et spatiales : soit en vue d’un résultat tangible (destiner, gouverner, soigner) ; soit en vue de la cohérence du discours (inférer, déduire, apporter une preuve). L’homme-mesure est donc celui qui crée l’har­mo­nie, l’unité et la différence dans les choses. Il décèle l’existence et la manière dont les choses existent. Il laisse la possibilité aux choses d’être et de devenir. Il en valorise une sans que celle-ci en ait pour un groupe. Il peut refuser de classer et de hiérarchiser, laissant les cho­ses dans un état d‚indifférence, l’une n’ayant pas plus de valeur que l’autre. L’existence simultanée de mesures plus ou moins com­pa­ti­bles est donc normale.

L’homme-mesure est à la fois individuel et social. Il prononce des o­pi­nions et agit selon des convictions. Créant la différence, il protège la valeur potentielle des choses. Car par différence, elles demeurent sans valeur affirmée mais acquièrent une valeur latente, non quan­ti­fia­ble. Ainsi, lorsqu’on refuse de classer des informations, on affirme que ce que l’on reçoit n’a aucune importance, aucune valeur : ça nous indiffère ici et maintenant. Dans le temps, les choses in­diffé­ren­tes s’actualiseront éventuellement. C’est dans le processus de trans­formation des choses au cours du temps que la valeur s’actualise.

Il n’existe pas d’universalité des valeurs. La curiosité intellec­tuelle, la déambulation, le souhait de connaître, valorisent à certains moments telle ou telle modalité de l’être. Du fond latent des choses, informes et sans valeur, sortent les œuvres des hom­mes, la valeur créative. L’hom­me-mesure met à plat les va­leurs proclamées des choses et des qualités et refuse de se sou­mettre à une définition quantitative dé­finitive de la valeur.

Le poète français Charles Baudelaire a illustré parfaitement cette dé­marche. Le monde extérieur et notre univers intime sont entourés de mystères. Les images picturale, poétique ou musicale guident vers des correspondances où tout se vaut. Le poète est l’un de ceux qui dé­voilent les richesses du monde, et sépare la valeur d’usage d’une œuvre d’avec sa valeur marchande grâce au choc esthétique. Un tel rap­port entre l’homme et l’objet exclut toute espèce de classement et de hiérarchie.

2 – Les conventions

L’économiste écossais David Hume, au XVIIIième siècle, affirmait que la convention est le sentiment de l’intérêt commun (par exemple, la justice résulte de conventions humaines). Pour les auteurs contem­porains qui en redécouvrent l‚intérêt et la portée, elle est un réfé­rentiel sans autre raison d’être que de garantir aux actions humaines une certaine continuité, durée et pérennité. Contrairement au contrat ou à la promesse, elle résulte d’un accord unanime et libre. « C’est une solution stable et régulière, offerte par l’environnement socio-économique dans lequel les acteurs sont plongés » (12). Puisqu’elle cherche à mettre en place des relations de confiance, elle touche au domaine de l’éthique. Toute la question est de savoir sur quoi se fon­de la conviction des individus quant à la généralisation de l’adoption d’une convention. Les conventionnalistes parlent d’écran d’informa­tions (13) pour désigner l’ensemble des règles qui définissent un système d’interprétation de l’information. Un pont est rétabli avec la phi­losophie grecque qui se préoccupait déjà de l’influence des ac­teurs sur les flux d’informations et de l’interprétation de celle-ci.

Il ne suffit pas de recevoir des informations pour que les conduites de­viennent cohérentes ou coordonnées. L’individu n’est pas maître du tissu informationnel qui l’entoure : information et individu sont é­troi­tement liés. Au sein d‚un groupe, un grand nombre d’informations ne sont pas traitées mais admises comme telles. Les conventions é­vitent à chacun d’avoir à manipuler un grand nombre de données, si­gnaux, énoncés, disparates. Elles sont des écrans informationnels en­tre les individus qu’elles placent dans un espace de confiance. Elles diffusent de l’information sur les convictions partagées, les rè­gles et normes. Les écrans d’informations assurent la conviction, trans­fèrent l’information afin de répondre à la question: Comment les in­dividus savent-ils (et sont-ils convaincus) que la convention est une norme générale ? Les conventions en tant que structure d’infor­ma­tions contiennent deux dimensions: l’énoncé qui véhicule le contenu donnant du sens à la convention ; le dispositif matériel qui assure tech­niquement le transfert d’information sur l’existence de la con­ven­tion auprès de chaque individu. « En tant qu’écran d’information, la con­vention est donc à la fois composée de discours qui l’énoncent et d’objets qui mettent en relation les adopteurs » (14).

L’information n’est plus ici un flux autour duquel les individus gra­vi­tent ; elle fait écran au sens et empêche que chacun se méfie et dou­te du comportement des autres en les informant du respect de la nor­me. L’information est organisation sociale.

Le Don d‚informations va-t-il alors définir à lui seul la valeur de l’in­for­ma­tion ? Ou ce don ne sera-t-il qu’un vecteur de l’échange mar­chand? En réalité, puisque le don est une convention morale à valeur im­matérielle, qui ne saurait s’identifier à la gratuité, l’association avec l’information nous conduit à l’économie de l’immatériel qui met l’accent sur l’attente d’une réaction qualitative à l’acte de donner. On sort de la logique de l’échange si on escompte, dans le don, la re­la­tion à venir (contre-don) en termes qualitatifs. Dans le don d’infor­ma­tions domine l’idée d’un retour anticipé qui prend la forme de la rela­tion donateur/donataire. Le retour s’effectuant gratuitement, la nou­veau­té réside tout d’abord dans la nouvelle perception du temps (le moment du retour est inconnu) et dans l’anticipation d’une conduite at­tendue de l’autre. Donner de l’information valorise le rapport à l’au­tre, l’aspect qualitatif de rapports communautaires par le partage d’in­for­mation. Le don d’informations dans le cadre des conventions exis­tantes aide celles-ci à résister au temps, à ne point se périmer. Il re­fu­se la marchandisation puisque l’entretien de la convention n’est pas monétarisé. Le don d’informations est à la fois invisible, sans retour attendu, sans dette à l’égard de qui que ce soit. Les conventions so­ciales définies comme des processus informationnel fonctionneront d’au­tant mieux que:

- L’interactivité entre les locuteurs est régulière.

- Celui qui reçoit l’information l’enrichit en la traitant.

- L’information circule. Le mouvement en garantit la valeur en tant que processus décisionnel.

- Chaque acteur a un statut propre : il reçoit des informations dans une zone donnée, sur des thèmes spécifiés. Il se peut que certaines informations aient une valeur marchande. Mais un grand nombre n’en auront pas.

- Le contexte dans lequel est perçu l’information n’est pas négligé.

Le don d’information pratiqué dans les réseaux interpersonnels et in­terorganisationnels accroît l’importance des liens amicaux et commu­nautaires, à la place des régulations marchandes. Le don est lui-mê­me une convention d’après laquelle on distribue des connaissances sans qu’il y ait d’utilité marchande ; des énoncés sont offerts sans hié­rarchisation directe et immédiate des contenus. La productivité du don en matière d’information réside dans la création de ressources nou­velles, puisque individus et conventions se forment mutuellement.

E – Reconquérir notre liberté

A l’écart de la globalisation et de l’information-marchandise, moyen de propagande et objet de censure, le don dévoile la question du rap­port entre l’homme et la division du travail. Les membres des groupes de production, hier comme aujourd’hui, ont besoin de connaître la valeur de leurs contributions respectives. Or le technicien, depuis la plus haute antiquité, est celui qui anticipe la valeur future. Le tech­ni­cien, comme le donneur d’informations, parie sur le futur dans sa di­men­sion qualitative. Cette anticipation des qualités à venir, par les tech­niciens et les donneurs d’informations, est une dimension de ce que les anciens Grecs nommaient la liberté.

Platon, dans La République, avait déjà posé la question de la valeur d’une production. Il avait répondu que la mesure de la valeur cor­respondait à la quantité de travail servant à la production. Il en va de mê­me aujourd’hui pour le don et l’échange d’informations au sein des ré­seaux informationnels. Pour Platon, le rapport entre les travaux qui ser­vent à produire les biens est un rapport d’équité, de justice com­mu­tative. Appliqué à l’information, l’équité s’exprime par une valeur indifférenciée. Puisque l’information est appréciée selon des valeurs qua­litatives comme la coopération, la confiance, la convention, elle ne tombe pas dans le domaine marchand et on ne peut lui appliquer les notions de coût, prix, investissement... Par ailleurs, si nous substi­tuons à La République de Platon les réseaux interpersonnels et inter-organisationnels, la division du travail devient le partage de l’infor­ma­tion et le don d’information est le moyen par lequel l’agent (l’acteur, l’hom­me, le citoyen) réalise sa liberté. Car seul un sujet actif, un hom­me libre, peut donner.

Le retour sur investissement (le rendement) de toute affectation de res­sources prend, avec le don, une autre dimension. Le donateur at­tend un retour qualitatif. En matière d’éducation par exemple, le don an­ticipe l’amélioration de la qualité du donataire qui sera utile à tous. Par là, de nouvelles ressources ont été créées. Dans le domaine de la technique, a enseigné Heidegger, nous ne devons pas en rester aux mécanismes et procédures car la technique exprime des formes de futur anticipées dont certaines seront opératoires. Le projet tech­ni­que est une anticipation selon le schéma du don, anticipation de fu­turs possibles.

Conclusion

Don, Technique et ordre social fondé sur le mérite forment un tout qui, reposant sur l’anticipation de futurs possibles, affirme la liberté de l’homme. Information-marchandise, logique de l’adaptation à la globalisation et ordre social fondé sur la naissance orchestrent le mépris de toutes les potentialités au profit de l’empire de la servitude, la tyrannie de l’opinion imposée par les médiats. La société actuelle (l’occidentisme) vit donc dans une schizophrénie qui la ronge : elle met l’accent sur la technique mais, simultanément, re­con­sti­tue les castes et traite l’information comme une marchandise. Elle fonctionne avec de multiples conventions et, parallèlement, incite à s’enrichir par des stratégies de modification de celles-ci.

L’occident a réactivé les méthodes des ecclesia monothéistes, responsables de la propagande et de la censure. Le jugement à l’é­gard des censeurs restera pour nous aujourd’hui ce qu’il fut au XIIIiè­me siècle, sous la plume de Roger Bacon : « Ils avaient commis une gra­ve erreur, ils étaient même coupables ; leur décision, injustifiable, ne pouvait que naître d’une profonde ignorance » (15). Les conven­tions valables dans les sociétés ouvertes fondées sur la technique sont qu’aucun pouvoir ne doit posséder le monopole de la doctrine. Cen­sure et propagande prouvent, une fois de plus, que les marchands sont tentés par une simplification dramatique du monde à laquelle il nous faut nous opposer de toutes nos for­ces. Le don associé à l’information émerge comme un moyen privi­lé­gié de réaliser notre liberté.

Frédéric VALENTIN.

Bibliographie :

BIANCHI Luca : Censure et liberté intellectuelle à l’université de Paris. Les Belles Lettres, 1999.

COULOUBARITSIS L. : Aux origines de la philosophie européenne. De Boeck, 1992.

FREUND Julien : Philosophie et Sociologie. Cabay, Louvain, 1984.

GIRAUD Pierre-Noël : Économie, le grand satan ? Textuel, 1998.

GOMEZ Pierre-Yves : Le gouvernement de l’entreprise. InterÉditions, 1996.

HAUDRY Jean : Études Indo-Européennes, 1992.

KOLM Serge-Christophe : La bonne économie. PUF, 1984.

LECLERC Gérard : La société de communication. PUF, 1999.

MARIS Bernard : Ah Dieu ! Que la guerre économique est jolie ! A.Michel, 1998.

MARIS Bernard : Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles. A.Michel, 1999.

MILON Alain : La valeur de l’information. PUF, 1999.

ZINOVIEV Alexandre : Le communisme comme réalité. Le livre de poche, 1983.



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jeudi, 21 juin 2007

Pensamiento de Spengler en la historiografia de América Latina

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El pensamiento de Spengler en la Historiografía de América Latina

M. Cristina Carnevale - UBA

Para Santiago

La memoria es algo más que la cárcel de un pasado infeliz.
Andreas Huyssen

 

Presentación

En este trabajo vamos a indagar sobre uno de los temas que aparecen en la historiografía latinoamericana en el período de entreguerra.  En el marco de un pensamiento sobre la crisis de la sociedad, se desarrolla un respuesta a la crisis que proviene del campo del antipositivismo y que promueve el desarrollo de un pensamiento de neoconservadurismo.  Dentro de éste escriben historia, con notable suceso editorial, varios autores que encontrarán en la morfología spengleriana explicaciones ante las crisis -de todo tipo- que se suceden en América Latina. 

 

En este caso consideramos tres países: Chile, Argentina y Uruguay, en los cuales hemos encontrado historiadores que armándose con el modelo propuesto por Spengler elaboran obras de historia entre 1920-1950.

 

(mas: http://www.accionchilena.cl/Filosofia/pensamiento_de_spengler.htm )

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Tueur à gages économiques

Les confessions d’un tueur à gages économiques

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(IRIB, juin 2007) John Perkins, l’auteur de « confession of an economic hit man » (confessions d’un tueur à gages économique) il décrit, dans son livre comment, en tant que professionnel très bien payé, il a aidé les Etats-Unis à extorquer des milliards de dollars aux pays pauvres à travers le monde en leur prêtant plus d’argent qu’ils ne pouvaient rembourser pour ensuite prendre le contrôle de leurs économies. Il y a 20 ans, Perkins a commencé à écrire un livre intitulé « la Conscience d’un Tueur à gage Economique ».

Perkins écrit, « le livre à l’origine était dédié aux présidents de deux pays, des hommes qui avaient été mes clients et que j’ai respecté et que je tenais en estime - Jaime Roldos, président de l’Equateur, et Omar Torrijos, président du Panama. Les deux sont morts dans des crashs d’avion. Leurs morts n’était pas accidentelles. Ils ont été assassinés parce qu’ils s’opposaient à l’alliance entre les dirigeants des multinationales, les gouvernement et les banques dont l’objectif est de construire l’Empire Global. Nous, les tueurs à gages économiques, n’avons pas réussi à retourner Roldos et Torrijos, alors un autre type de tueurs à gages, les chacals de la CIA, qui étaient toujours dans notre sillage, sont entrés en scène. » John Perkins écrit aussi : « on m’a convaincu de ne pas écrire le livre. Je l’ai commencé quatre fois au cours des vingt dernières années. A chaque fois, ma décision était motivée par des événements mondiaux : l’invasion du Panama par les Etats-Unis en 1980, la première Guerre du Golf persique, la Somalie, et la montée d’Oussama Ben Laden. Cependant, des menaces et des pots de vin m’ont toujours convaincu de m’arrêter. »

Perkins a finalement publié son livre intitulé « Confessions of an economic hit man » [confession d’un tueur à gages économique]. Il est avec nous dans les studios. John Perklins, qui également l’auteur de l’histoire secrète de l’empire américain; a accordée une interview à Democracy Now et tels sont les principaux qu’il a révélé:

“En gros, nous étions formés et notre travail consistait à construire l’empire américain. De créer des situations où le maximum de ressources étaient drainées vers ce pays, vers nos multinationales, notre gouvernement, et nous avons été très efficaces. Nous avons construit le plus grand empire de l’histoire du monde. Et nous l’avons fait au cours des 50 ans qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, avec peu de moyens militaires en réalité. En de rares occasions, comme en Irak, les militaires interviennent mais uniquement en dernier recours. Cet empire, contrairement à tout autre empire de l’histoire du monde, a été crée d’abord par la manipulation économique, par la fraude, par la corruption de personnes avec notre mode de vie, et à travers les tueurs à gages économiques. J’en faisais partie. ”

” J’ai été recruté lorsque j’étais encore étudiant dans une école de commerce, à la fin des années 60, par l’Agence de Sécurité Nationale [NSA - acronyme anglais, NDT], la plus grande et la moins connue des agences d’espionnage du pays. A la fin, j’ai travaillé pour des compagnies privées. Le premier tueur à gage économique était Kermit Roosevelt, dans les années 50, le petit-fils de Teddy [président des Etats-Unis - NDT], qui renversa le gouvernement Iranien, un gouvernement démocratiquement élu, le gouvernement de Mossadegh qui avait été désigné « homme de l’année » par le magazine Time. Il a réussi à le faire sans verser de sang - enfin, il y en a eu un peu, mais sans intervention militaire, juste en dépensant des millions de dollars et en remplaçant Mossadegh par le Chah d’Iran. A ce stade, nous avons compris que l’idée d’un tueur à gages économique était une très bonne idée. Nous n’avions plus à nous préoccuper d’un risque de conflit armé avec la Russie en opérant ainsi. Le problème était que Roosevelt était un agent de la CIA. Il était donc un employé du gouvernement. S’il avait été découvert, nous aurions eu de gros ennuis. Cela aurait été très embarrassant. Alors la décision a été prise de faire appel à des organisations comme la CIA et la NSA pour recruter des tueurs à gages économiques comme moi et nous faire travailler pour des sociétés privées, des sociétés de conseil, de construction. Ainsi, si on se faisait prendre, il n’y avait aucun lien avec le gouvernement”

“La compagnie pour laquelle je travaillais s’appelait Chas. T. Main à Boston, Massachusetts. Nous avions environ 2000 employés, et je suis devenu leur économiste en chef. J’avais 50 personnes sous mes ordres. Mais mon véritable job était de conclure des affaires. J’accordais des prêts à des pays, des prêts énormes, qu’ils ne pouvaient pas rembourser. Une des clauses du prêt - disons 1 milliard de dollars pour un pays comme l’Indonésie ou l’Equateur - était que le pays devait retourner 90% du prêt à des compagnies états-uniennes, pour reconstruire des infrastructures, des compagnies comme Halliburton ou Bechtel. Ce sont de grosses compagnies. Ces compagnies ensuite construisaient des réseaux électriques ou des ports ou des autoroutes qui ne servaient qu’aux quelques familles les plus riches de ces pays. Les pauvres de ces pays se retrouvaient en fin de compte avec une dette incroyable qu’ils ne pouvaient absolument pas payer. Un pays aujourd’hui comme l’Equateur consacre 50% de son budget national juste pour rembourser sa dette. Et il ne peut pas le faire. Ainsi nous les tenons à la gorge. Si nous avons besoin de plus de pétrole, nous allons voir l’Equateur et nous leur disons, « Bon, vous ne pouvez pas nous rembourser, alors donnez à nos compagnies les forêts d’Amazonie qui regorgent de pétrole. » C’est ce que nous faisons aujourd’hui et nous détruisons les forêts amazoniennes, obligeant l’Equateur à nous les donner à cause de cette dette. Ainsi, nous accordons ce gros prêt, et la majeure partie revient aux Etats-Unis. Le pays se retrouve avec une dette plus d’énormes intérêts et il devient notre serviteur, notre esclave. C’est un empire. Ca marche comme ça. C’est un énorme empire. Qui a eu beaucoup de succès.”

“Lorsque la NSA m’a recruté, ils m’ont fait passer au détecteur de mensonges pendant une journée entière. Ils ont découvert toutes mes faiblesses et m’ont immédiatement séduit. Ils ont utilisé les drogues les plus puissantes de notre culture, le sexe, le pouvoir et l’argent, pour me soumettre. Je venais d’une très vieille famille de la Nouvelle Angleterre, Calviniste, fortement imprégnée de valeurs morales. Vous savez, je crois que je suis plutôt quelqu’un de bien, et je crois que mon histoire montre réellement comment ce système et ses puissantes drogues comme le sexe, l’argent et le pouvoir peuvent exercer une séduction, parce que j’ai été réellement séduit. Et si je n’avais pas mené moi-même cette vie de tueur à gages économique, je crois que j’aurais eu du mal à croire que quelqu’un puisse faire de telles choses. Et c’est la raison pour laquelle j’ai écrit ce livre, parce que notre pays a vraiment besoin de comprendre. Si les gens de ce pays comprenaient la nature réelle de notre politique étrangère, la nature réelle de notre aide à l’étranger, comment fonctionnent les multinationales, où passe l’argent de nos impôts, je sais qu’ils demanderaient que cela change”

“Omar Torrijos, le président du Panama, avait signé un accord sur le Canal du Panama avec Carter. Vous savez que cet accord n’a été approuvé par le Congrès que par une majorité d’une seule voix. C’était un sujet très controversé. Puis Torrijos est allé de l’avant et a commencé à négocier avec les Japonais la construction d’un nouveau canal. Les Japonais voulaient financer et construire un nouveau canal au Panama. Torrijos leur en a parlé, ce qui n’a pas plus du tout à Bechtel Corporation, dont le président était George Schultz, et son conseiller principal était Casper Weinberger. Lorsque Carter a été viré (et il serait intéressant de raconter comment il a été effectivement viré), lorsqu’il a perdu les élections, et que Reagan est arrivé au pouvoir, Schultz est devenu Secrétaire d’Etat et Weinberger est devenu Secrétaire à la Défense et ils étaient très en colère contre Torrijos. Ils ont essayé de l’amener à renégocier le traité du Canal et de laisser tomber les japonais. Il a platement refusé. C’était un homme de principes. Il avait ses défauts, mais c’était un homme de principes. C’était un homme étonnant. Puis il est mort dans un crash d’avion, un magnétophone relié à une bombe avait été placé dans l’appareil. J’y étais. J’avais travaillé avec lui. Je savais que nous, les tueurs à gages économiques, avions échoué. Je savais que les chacals avaient été appelés. Puis son avion a explosé avec un magnétophone piégé. Il ne fait aucun doute pour moi que c’était un travail de la CIA. De nombreux enquêteurs latino-américains sont arrivés à la même conclusion. Bien sûr, nous n’en avons jamais entendu parler chez nous.”


Article printed from AMIBe: http://be.altermedia.info

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mercredi, 20 juin 2007

Sur le "modèle impérial"...

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Sur le "modèle impérial" pour l'Europe d'aujourd'hui...

Réponse de Robert Steuckers à un étudiant dans le cadre d’un mémoire de fin d’étude (Entretien avec Robert Steuckers).

En ce qui concerne la construction européenne, Alain de Benoist affirme préférer le modèle impérial comme mode de construction politique. Et vous, même, animateur de “Synergies européennes”?

Mon option est également “impériale”. Mais il faut s’entendre sur le mot. Les termes “imperium”, “empire”, “impérial” revêtent dans le langage quotidien des acceptions très différentes et parfois contradictoires. Je tiens tout de suite à dire que, pour moi, le terme “empire” ne signifie nullement ce mixte de militarisme et d’idéologie conquérante que l’on trouve dans les phases décadentes de la République romaine et dans le césarisme qui les a suivies, dans l’empire hellénistique d’Alexandre, dans le bonapartisme napoléonien ou dans l’hitlérisme. Ainsi que dans l’impérialisme économique de l’Angleterre victorienne ou des Etats-Unis après 1945. Pour moi, l’empire idéal est un espace vaste et multiethnique/multiculturel, de dimensions continentales (p. ex. l’Europe), où règne, en droit constitutionnel, le principe de subsi­diarité, donnant à chaque entité territoriale, à chaque communauté linguistique ou ethnique, à chaque classe sociale ou corps de métier, à chaque strate organisée de la société (ordre des médecins, des architectes, des pharmaciens, etc., universités), la liberté de s’auto-administrer en toute autonomie, sans subir des interventions de l’instance hiérarchique la plus élevée ou d’une instance établie dans une capitale lointaine. La subsidiarité valorise la proximité et l’identité des gouvernants et des gouvernés. La théorie de la subsidiarité a été énoncée par des auteurs comme Althusius, Gierke, Riehl, etc. (cf. NdSE n°17). La théorie de la subsidiarité est une option politique très présente dans l’espace géographique de l’Europe catholique et baroque (de la Flandre à la Bavière, l’Italie du Nord, la Hongrie, l’Autriche et la Croatie). Elle est un héritage du Saint-Empire médiéval et baroque.

Deux difficultés surgissent quand on manipule les notions d’empire et de subsidiarité dans l’orbite des nouvelles droites francophones.

Premièrement, Paris et la France ne font pas partie des espaces catholiques et baroques que je viens de mentionner. L’idée d’un empire bienveillant, garantissant le rapprochement systématique des gouvernants et des gouvernés, y est étrangère et y rencontre la plupart du temps une incompréhension inquiétante, bien que de très brillants universitaires français aient abordé avec brio cette question (Alexandre Marc, Guy Héraud, Chantal Millon-Delsol, Stéphane Pierré-Caps, etc. cf. NdSE n°17 & n°29). Ces auteurs constituent pour nous des références essentielles. En dépit de ses efforts méritoires, de Benoist n’a pas pu dissiper l’ambiguité existant entre la notion impériale, romaine et germanique du Saint-Empire et la notion militariste et bonapartiste dominante en France. C’est une ambiguité et une contradiction de plus dans la ND française. Alain de Benoist a toujours vivement regretté le désintérêt en France pour cette notion bienveillante de l’empire, mais a écarté de son entourage tous les hommes qui la défendaient pour s’entourer de personnages bizarres qui ne comprenaient strictement rien du tout à cette vision impériale, pluraliste et plastique de la politique ou qui s’y opposait carrément avec une rage et une obstination féroces (Philippe de Saint-Robert).

En Belgique, où la logique fédéraliste travaille le monde politique depuis des décennies, la logique de la subsidiarité et de la représentation de la societas civilis dans tous ses aspects (syndicats, mutuelles, associations professionnelles) doit présider toute réorientation idéologique. La logique de la subsidiarité et du fédéralisme sont présentes, bien que de façon incohérente et désordonnée, dans la culture politique et dans les réflexes populaires: elles doivent déboucher sur un corpus théorique cohérent puis sur une pratique politique cohérente, appelée à corriger les effets pervers et les dysfonctionnements qui ren­dent problématique la bonne marche de notre société (fédéralisme incomplet, survivances de structures incompatibles avec un fédéralisme cohérent, emprise des partis sur les corps intermédiaires de la société, surplombage des décisions par les états-majors des partis, dérives mafieuses de la partitocratie, verzuiling- pillarisation, etc.). Dans le contexte belge, flamand comme wallon, ainsi que dans tous les contextes issus du Saint-Empire, la reprise mécanique, pure et simple du débat français est impossible: l’égalitarisme-nivelleur a fait moins de ravage en Belgique (et dans le reste du Saint-Empire) qu’en France, les différences qui innervent la société ont subsisté et se sont organisées, hélas le plus souvent selon des schémas inopportuns. Cette organisation des corps intermédaires est une bonne chose en soi: ce qu’il faut corriger, c’est leurs vices de fonctionnement. Telle doit être la tâche politique majeure. La notion d’égalité des pairs (et tous les citoyens sont pairs devant le droit et devant leurs droits et leurs devoirs constitutionnels) ne saurait être battue en brèche par un discours purement idéologique, où l’on absolutise l’attitude anti-égalitaire, jusqu’à l’absurde.

Deuxièmement, affirmer l’idée impériale contre les autres modèles de constitutions ou d’Etats implique un travail au niveau du droit. Une option politique de ce type implique de proposer des modèles susceptibles de fonctionner dans le consensus et sans heurts. De tels modèles existent forcément dans la réalité ou ont existé dans l’histoire, car proposer des modèles inexistants ou purement construits participerait d’une démarche utopique. Il n’y a nulle trace d’un tel travail dans l’histoire de la “nouvelle droite” parisienne. Une des raisons de la rupture entre le GRECE, —instance qui a incarné les premières phases de l’existence de la ND en France,— et “Synergies Européennes”, —qui entend proposer des modèles cohérents pour tous les pays d’Europe à l’heure de l’unification européenne,— réside précisément dans l’absence de modélisations concrétisables de la part du GRECE, où ces matières ont été systématiquement délaissées au profit de nébuleux engouements esthétiques sans grande consistance. A terme, l’UE devra à l’évidence se doter d’une constitution cohérente reposant sur les principes de droit qui régissent

a) la confédération helvétique,
b) les constitutions fédérales allemandes, autrichiennes et belges,
c) les structures de représentation des minorités ethniques (Danois au Schleswig, Sorabes en Lusace, Slovènes en Carinthie, Allemands en Wallonie orientale, etc.), qui devront être généralisées dans toute l’Europe,
d) la conception espagnole d’un Etat asymétrique de communautés autonomes,
e) les principes théoriques qui se profilent derrière la devolution britannique (Ecosse, Pays de Galles),
f) les recherches des fédéralistes européens (Marc, Héraud, MacDougall, Peeters, etc.), que ceux-ci se soient situés à droite ou à gauche sur l’échiquier politique (nous avons le souci de mêler étroitement les applications traditionnelles du principe de subsidiarité et les projets militants et prospectifs du filon proudhonien de la gauche européenne).

Certes, l’exposé de ces doctrines juridiques et constitutionnelles ne suscite pas les enthousiasmes du grand public. Néanmoins, on ne peut pas faire l’impasse sur la question du droit constitutionnel de la future Europe, quand on prétend étudier les ressorts de la civilisation européenne dans le but de la sauver d’un certain naufrage. Je pense qu’il faut marteler et répéter à intervalles réguliers les argumentaires fédéralistes et subsidiaristes et montrer l’excellence des modèles constitutionnels que je viens de mentionner par rapport à ceux qui ont cru bon de se débarrasser des “organismes symbiotiques” et des “corps intermédaires” (cf. Bodin) de la societas civilis (Althusius; cf. NdSE n°17) pour construire fébrilement une version ou une autre de la “Cité géométrique” (Gusdorf). Au seuil du IIIième millénaire, le retour à des formes d’organismes symbiotiques, respectueux des mille et une possibilités de l’homme, n’est possible que par une généralisation des modèles fédéralistes, qui rapprochent les gouvernants des gouvernés. Le discours un peu vague sur la “société civile”, que l’on entend depuis quatre ou cinq ans en France, restera vague et confus s’il n’est pas étayé par un projet fédéraliste. Il n’y a pas d’organisation cohérente et consensuelle de la société civile sans l’adoption d’un modèle fédéral, si possible basé sur des traditions locales ou tiré d’une continuité précise, à la fois juridique et historique (droits coutumiers locaux, formes historiques de représentation, etc.). On ne peut pas, d’un côté, réclamer la défense de la société civile, et plaider de l’autre pour le maintien d’un modèle jacobin ou géométrique de l’Etat. Une telle démarche est généralement une escroquerie de la gauche. Mais on ne peut pas davantage parler des régionalismes en limitant ceux-ci à leurs dimensions culturelles et esthétiques (ou en jouant aux “transgresseurs” et en n’applaudissant que les seules violences civiles ou terroristes des zones à risques en Europe) ou ne suggérant aucun modèle juridique qui permette de sauver globalement (politiquement, économiquement, culturellement, etc.) les différences qui composent et innervent l’Europe.

La revendication “impériale” n’est pas sérieuse si elle n’est pas assortie d’un plaidoyer pour une constitution fédéraliste complexe, cohérente, étayée et plongeant ses racines dans l’histoire. A la droite française d’en tirer les conclusions, c’est-à-dire de s’affirmer pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle veut défendre: ou bien la societas civilis avec toutes ses différences symbiotiquement organisées ou bien les institutions dérivées de la Révolution française et du Code Napoléon, ou bien être une démocratie réelle et vivante de facture vieille-européenne ou bien être un “révolutionarisme institutionalisé” (et donc non fondamentalement démocratique)…

Robert STEUCKERS, mai 1998.

mardi, 19 juin 2007

Filosofia y Politica de Spengler

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Filosofía y Política de Spengler

Por Augusto Iglesias (1) - http://www.accionchilena.cl/Filosofia/Filosofiaypolitica-1.htm

Pese a su posición "políticamente correcta", esta crítica del libro de Armando González Rodríguez "Filosofía y Política de Spengler" resulta aleccionadora respecto a la importancia del texto comentado, y permite aclarar ciertos aspectos del pensamiento del maestro de modo general.

Uno de los grandes errores de los que no han leído a Spengler y gustan, sin embargo, citarlo, es el de atribuir a este pensador un cariz pesimista. Para tales escoliastas, la Decadencia de Occidente es libro amasado para nutrir de pronta desilusión a todos los derrotados de nuestra Era. Sin embargo, nada de eso podría comprobarse. Dentro de la teoría spengleriana la Historia se divide en ciclos culturales con el mismo recorrido del fenómeno de la Vida considerado éste en su trayectoria Cósmica. Como la vida orgánica las culturas nacen, se desarrollan, alcanzan la plenitud, maduran y decaen. Esta caída dura hasta finar en su desaparición, como cuerpo individualizado, dentro de la marcha de la humanidad.

Terminado el ciclo —vale decir, sobrevenida la muerte de una Cultura— el tipo de civilización que la había sustentado, desaparece. Esto, no es óbice para que los rastros de su paso por la Historia se aprovechen en cierta medida por otros ciclos culturales; o bien se desechen por éstos, caso de no convenir a la distinta morfología que el siguiente ciclo histórico vaya adoptando en sus nuevas experiencias.

Dedúcese de lo antedicho, que dentro del razonamiento spengleriano no cabe la idea del progreso indefinido. Por otra parte, el término “progreso”, en sí mismo difícil de explicar, sólo puede satisfacer a los ilusos. El valor de palabra clave que le asignan los sociólogos del siglo XIX, metiendo a la fuerza en las acepciones de este vocablo, un sentido de finalidad masiva perseguida por los pueblos en su viejo intento de planificar la marcha de la Humanidad, es, en efecto, de desconcertante improcedencia. Y Spengler, espíritu demasiado analítico para aceptar esa clase de asertos, lo deja pasar sin preocuparse mayor mente de él. Pero aún, dentro de una teoría así de falsa, como la del “progreso indefinido”, un astrónomo, v. gr., también estaría obligado a considerar su inutilidad en el Tiempo si la ajusta a las “líneas largas” de la Historia, pues resulta de evidencia estatuir que un día, en el Futuro, nuestro Planeta, irremisiblemente, deberá también morir...

Spengler es el primer pensador filósofo de la Historia de la Humanidad que considera a ésta con criterio morfológico de creación natural. Si se le tuviera que comparar con algún otro hombre magnífico de la Civilización europea, se nos ocurre que le vendría bien un paralelo con Linneo. Es así como para el tudesco que nos preocupa, las divisiones de la Historia en Antigua, Moderna, Media y Contemporánea, de uso obligado para los estudiantes de ayer y hoy en la mencionada materia, no entra en la síntesis que baraja cuando expone sus puntos de vista.

En la Historia no hay líneas rectas ni círculos concéntricos, sino ciclos culturales de agrupaciones humanas que actúan de acuerdo con sus leyes propias; lo que en última instancia significa que la fenomenología social no obedece a principios absolutos, es decir, universales e invariables, sino todo lo contrario, son de por sí independientes, pues cada ciclo cultural debe enfrentar por sí mismo sus problemas diversos y darle a éstos la solución circunstancial que les corresponde.

En un mundo así de diversificado no puede haber entonces principios invariables ni de valencia general; al contrario, para existir ellos deberán circunscribirse a las culturas respectivas de las cuales proceden. En otras palabras, estos valores no pueden ser sino relativos. Y no es asunto que pueda mirarse con desapego el hecho de que la exposición de la teoría de Spengler efectuada hacia el año 1918, coincida con la época en que Einstein moviliza la preocupación de los más altos pensadores de Europa en torno a las perspectivas generales de su teoría de la relatividad (1).

Nos apresuramos a advertir, sin embargo, que el relativismo de Spengler nada tiene que hacer con el relativismo matemático de Einstein.

Al juntar sus nombres sólo hemos querido señalar su coincidencia en el Tiempo, en el sentido de que ambos leccionan una nueva manera de interpretar fenómenos correlativos dentro del ciclo cultural en que ellos vivían, pero, no obstante, de ámbito filosófico diverso...

Hasta el momento en que Spengler funda su teoría, cuenta ocho culturas; esto es: egipcia, babilónica, china, india, greco- romana, mágica, occidental o fáustica y mexicana. Pero este existir de las culturas antedichas no implica, según él, la supeditación de unas a las otras; inclusive pueden coexistir sin penetrarse, pues cada ciclo cultural tiene características propias, encerradas como quien dice dentro de sus propias murallas y, por lo tanto, impermeables ya sea a las culturas antecedentes ya a las contemporáneas a su particular existencia histórica.

Dedúcese de lo anterior, por lógicas inferencias, que ninguno de los principios rectores de la vida moral del hombre o de los ordenamientos políticos que éste ha construido, pueden considerarse etapas de un proceso evolutivo; sino, al contrario, deben juzgarse como vivencias de carácter aislado e intrascendente que morirán después de cumplido su plazo del mismo modo que muere cuanto vive; porque ese es, fatal e irremisible, el sino de todo...

Ahora bien, de esta sucesión indefinida de “chispazos” —que eso es para nosotros la marcha de la Humanidad— ¿nada trasciende, nada aumenta el acervo hereditario de las generaciones que se suceden?, ¿todo es sólo una cadena de eslabones rotos entre cuya herrumbre la Historia vislumbra pequeñas luces, hijas de una razón cuya sinrazón nos envuelve de amargas conjeturas frente a su vacía realidad?

No; para Spengler hay entre ciclo y ciclo una hendidura o falla que permite cierta fluencia animadora entre el Pasado y el Presente.

Por esta hendidura es por donde se filtra la tónica; vale decir, las “recetas” para hacer o completar un cometido. Pero el Genio, el espíritu de un pueblo, con sus características creadoras en el plano alto de las ideas, permanece incomunicable inclusive en la morfología de su expresión artificiosa.

No hay poeta en el mundo que hoy fuera capaz de construir la Ilíada o la Odisea; y si hubiera alguno que lo intentara, su obra sería un “pastiche”, una imitación o plagio, sin alma, sin palpitaciones de vida, sin realidad cultural presente.

Esta afirmación envuelve, a su vez, otra de mayor calibre de ser, como afirma Spengler, tampoco la obra de arte magna —es decir “inmortal” de acuerdo con nuestra medida del tiempo— podría existir si no es como objeto arqueológico, esto es, como exponente de Museo; pero jamás, en ningún modo, tomando parte en nuestros sentires vitales, en los que mantienen la circulación del común entusiasmo dándole tibieza a las “opiniones” y ‘creencias”, es decir, a las ideas del proceso cultural propio.

Igual cosa podría decirse de la Moral, y, por ende, de todo principio religioso. Cierta inhabilidad congénita haría impracticable un acomodo de los ciclos culturales en un orden de correlaciones recíprocas. Si consideramos este asunto con extrema amplitud, es muy posible que el pensamiento de un islámico presionado por la moral colectiva de su pueblo, se ajuste y coincida en muchos puntos con lo que pueda opinar un puritano escocés sobre una determinada materia; el hecho de que ambos sean humanos los inducirá a pensar en ciertos casos en fórmulas similares y, a veces o muchas veces, en una medida común a toda la especie. Pero en los detalles, en las características que distinguen a un hombre de otro, en la médula misma de esos principios, en cuanto ella se refiere a la conducta individual en sus manifestaciones particulares, la moral del puritano escocés y del musulmán se mantendrán siempre separadas por un abismo, e indiferentes, por lo tanto, a sus mutuas reacciones, porque bien poco los une y mucho los separa, siendo sus idiosincrasias diversas.

Todo esto —opinarán muchos— entra en el terreno de las especulaciones filosóficas, pues nada de lo comentado hasta aquí podría considerarse como afirmación teóricamente irreductible. Al contrario, los asertos spenglerianos hasta aquí citados son, en su esencia, de repetida controversión en la realidad fluyente de los hechos.

Sería ese un razonamiento justo, me parece. No es inseguro que en los extractos vitales aducidos hasta aquí, la posición de Spengler no sea otra, que la de un filósofo en busca de ajustar sus principios al heterogéneo fenómeno de la Historia de la Humanidad. Mas, habría que agregar, en defensa del pensador tudesco, que junto a ese cuerpo de doctrinas, vaticinó él, ateniéndose a su enseñanza, una serie de hechos. Ahora bien, dentro del breve tiempo de su generación no sólo pudieron ver el cumplimiento de éstos sus lectores entusiastas, sino también, quienes habiéndolo leído le negaron por razones particulares —o “partidistas”, en el mejor de los casos— el pan, el agua y la sal...

Vamos a referirnos a esos hechos.

* *

Ha merecido particular hincapié que algunos aspectos de la doctrina spengleriana puedan considerarse como dictatoriales, o más precisamente aún, de filiación nazi.

Burdo error, explotado en forma extensa por demagogos o políticos que no han leído a este Maestro. El juicio de Spengler en este sentido es otro: cree él que los pilares de la democracia no son suficientemente firmes para soportar las sacudidas de lo que Ortega y Gasset, más tarde, llamara la “rebelión de las masas”, sacudimiento concentrado como su mayor fuerza en el ángulo económico, y que mueve en ondas amenazantes a la clase más numerosa del mundo actual, vale decir al proletariado.

La gran bandera de la democracia, la insignia por la cual todos los que creemos en ella moriríamos en su defensa, es la libertad civil. Pero eso no es todo; entre los ideales de la clase formada por los que no pertenecen a ninguna clase —opina Spengler— hállase, asimismo, no sólo el respeto al gran número —respeto que se expresa en los conceptos de igualdad, de derecho innato, y en el principio del sufragio universal— sino, también, la libertad de la opinión pública, sobre todo la de prensa... “Estos son ideales —continúa Spengler. Pero, en realidad, la libertad de la opinión pública requiere la elaboración de dicha opinión, y esto cuesta dinero; la libertad de la prensa requiere la posesión de la prensa, que es cuestión de dinero, y el sufragio universal requiere la propaganda electoral, que permanece en la dependencia de los deseos de quien la costea. Los representantes de las ideas no ven más que un aspecto; los representantes del dinero trabajan con el otro aspecto”.

Las anteriores no son palabras y sólo palabras; son hechos. Eso no quiere decir que otro sistema político pueda eludir estos graves compromisos con los hijos de Mercurio. Cualquier sistema que actualmente los pongo en práctica, forzosamente, por un proceso de evolución regresiva, habrá de virar en redondo a fin de completar el ciclo cultural de su posible desarrollo; y, completado el círculo, llegar, por ende, a la crisis, es decir, al colapso mortal.

En la teoría de estas consideraciones, mirando el panorama de su patria germana, Spengler anuncia, es cierto, el advenimiento de las puntas de lanza nacionalistas, pero no las propugna. La prueba más concluyente de este aserto es que no adhiere al nacismo cuando la crisis se produce, y, por tanto, se cumple su profecía. El no llega a ese anuncio como corifeo, sino a través de un puro trabajo intelectivo, relacionando causas y efectos después de estudiar períodos cíclicos de la Historia Universal en distintos momentos de su desarrollo morfológico. Hecho este ensayo, el filósofo que hay en él proyecta, intuitivamente, en el futuro, el encadenamiento de las series lógicas establecidas en anteriores procesos culturales.

Y aquí necesitamos hacer, de paso, una advertencia. Base de sustentación de las pocas democracias modernas son los Parlamentos, institución que para los pueblos occidentales de la llamada “Civilización Europea”, tuvo su origen en Inglaterra. Sin embargo, los primeros en dudar de la eficacia del sistema parlamentario como mercadería de exportación, fueron los ingleses, y entre ellos un pensador número uno, Edmundo Burke (1728- 1797) con más de un siglo de anterioridad a la Decadencia de Occidente del filósofo de nuestro comento. Enfrentándose a Mirabeau, Burke declara, no sin cierto cinismo: “Nosotros no pedimos nuestras libertades como derechos del hombre sino como derechos de los ingleses”.

Los tiempos han cambiado, es cierto, pero no tanto. Todavía sería el caso de preguntar: ¿Pueden los Parlamentos de hoy soportar hasta el final con victoriosas consecuencias los cambiantes de la obra comunizante?

¡Ojalá que sí! Es duro pensar lo contrario.

Aquí es donde Spengler intuye el advenimiento de los gobiernos fuertes, es decir, de acción enérgica inmediata, en reemplazo de la tramitación o lento desarrollo del proceso legal de uso corriente en los gobiernos parlamentarios.

No nos olvidemos que Spengler se halla observando las peripecias del siglo XIX, en esa etapa de transición de la política europea que desemboca en el siglo que corremos y en el cual hace crisis.

Es, por otra parte, la hora de la bancarrota o más bien dicho de la putrefacción de los partidos políticos en el Viejo Mundo. Marx también la había anunciado al producirse la insurrección proletaria de 1848; y Lenín, en 1917, la comprueba al cercenar sin dificultad la Duma, incapaz, por anquilosis, de mantener su propia dictadura; y menos para metamorfosearse en un sistema democrático. Por eso, de acuerdo con la trayectoria secular de los boyardos, dio paso a una oligarquía si no peor, más exigente o dogmática que la originada en los días tenebrosos de la Horda de Oro.

El hecho —agrade o disguste— es que el mundo en su plenitud esférica se llena, en el primer cuarto de la centuria que vivimos, de una serie, casi uniforme, de autocracias sin freno. Spengler anticipa el aparecimiento del fenómeno; no lo inventa. Los negadores de la realidad no son, por lo general, hombres de ciencia, ni filósofos; esta manera de pensar, es más bien cosa de fanáticos u obsecados. Pero Spengler asegura, además, otro hecho que aún está en camino: niega el tudesco la eficacia gubernamental de las masas; y como esta clase de dictaduras son ejercidas por oligarquías demagógicas que buscan en las mayorías económicamente inferiorizadas, su apoyo y sustento integral, Spengler anuncia, asimismo, el fracaso de esa clase de gobierno.

Los enemigos de este hombre superior, dirán ahora que su posición es anticomunista... Pero tampoco lo es; decir que Spengler fue anticomunista, vale tanto como asegurar su anti democracia. Ni lo uno ni lo otro. El es un observador y nada más que un observador. Frente al fenómeno histórico, estudia, analiza, compara. Luego, con una base cultural inmensa, como pocos hombres de su época lograron tener, intuye vivamente lo que —según sus operaciones mentales— va a ocurrir o está ocurriendo, sin que los estudiosos, sedicentemente llamados así, hubieran previsto o comprobado antes de él.

Todo esto, de acuerdo con la teoría spengleriana, involucra a la vez, como no podría ser de otro modo, un terrible desorden económico; acaso una vorágine mundial, en que el desequilibrio entre la producción y el consumo terminen por aniquilar las fuerzas sustentadoras del convivir jurídico en las naciones civilizadas. En esta pulverización de las unidades estaduales, lo único que podría cohesionar momentáneamente el viejo sentido nacionalista de los hombres, es la guerra. Y por lo tanto, el filósofo anuncia no uno sino varios de estos encuentros dramáticos, que ahora, por tener una concurrencia mundial, podrían considerarse, en cierto modo, cósmicos. Y es así como apenas terminada la Primera Gran Guerra de 1914 - 1918 el filósofo “profetisa” una Segunda, que él no alcanza a ver pues muere el 8 de mayo de 1936, tranquilamente, en su cama de hombre solitario, pero a cuyo alrededor bullían multitudinarias las ideas de miles de hombres de superior categoría que admiraban y comprendían, al mismo tiempo, la profunda veracidad de su genio.

¿Pesimismo? preguntamos de nuevo.

De buena fe habría que escribir una respuesta negativa. Anticipar la visión de hechos para el futuro, y que luego esos hechos ocurran, es cualidad que no puede ser calificada de modo tan somero y vacuo.

* *

Mi intento de dar actualidad a estas notas fue motivado por el libro de Armando González, recién sacado a luz por la Editorial Andrés Bello. Se trata de una obra maciza, quizá uno de los aportes de mayor interés escritos en Hispanoamérica, para dar a conocer con método, claridad y en síntesis de adecuada elocuencia, la Historia de las doctrinas de Oswald Spengler. El recio germano, que hacia el año 1918 moviliza la preocupación de los más altos pensadores de Europa en torno a las perspectivas del porvenir de Occidente, no es de ideas fáciles de digerir. En cuanto empieza a razonar a fin de dar solución a los problemas históricos que él mismo plantea y ambiciosamente cree resolver, comienza a barajar entre secuencias de filósofo y artista tal masa de antecedentes y conocimientos previos, que resulta casi imposible para un lector corriente o buen universitario, seguirlo con provecho y orden. En otras palabras, para leer a Spengler, en su texto original, se precisa de una erudición sólida, que, por su propia extensividad reduce el porcentaje de lectores a una fracción insignificante a mucha distancia del entero.

Sin embargo, las ideas spenglerianas son comprensivas para cualquiera persona de cultura media si el que hace la exposición emplea para ello, un método didáctico concorde con el auditorio.

En Hispanoamérica, esos intentos han sido numerosos. Inclusive, aquí mismo en Chile, Alberto Edwards, cuando comenzó a discutirse entre la gente culta la nueva teoría de la Historia que propugnaba implantar el genial tudesco, dio algunas conferencias tratando de vulgarizar esa teoría. No sé si esas lecciones de Edwards fueron recogidas en volumen, pero sí es seguro que tuvieron éxito, pues recuerdo haber asistido a una de ellas, y su público era numeroso y con una preocupación increíble para aquel tiempo, pues el nombre de Spengler era entonces casi desconocido en nuestro país.

El libro que ahora nos da Armando González, es la excepción en esa lista ya no pequeña de expositores spenglerianos. Para buscarle paralelo habría que hacerlo en nuestro Continente, en la gran República de los Estados de la Unión. Existe en esa literatura, un ensayo muy aplaudido de Edwin Franden Dankin “To Day and Destiny”. No obstante, sin pasión ni parcialidad de ninguna especie, creemos que el libro de González es más didáctico y de mucho más fácil lectura que el de Mr. Dankin.

No solamente en los puntos que hemos esbozado, sino en todos y cada uno de los que enfoca la teoría spengleriana expuesta a lo largo de sus libros básicos y particularmente de los cuatro volúmenes de la Decadencia de Occidente (N.d.E.: se refiere a la edición de ed. Osiris), Armando González lleva al lector como de la mano, aclarándole dudas y formulando las conclusiones a que el texto obliga. Y esto, con extrema acuciosidad, con limpia exposición, y valiéndose de un método didáctico que a cada instante nos revela al intelectual acostumbrado a ejercitar funciones de mentor o guía en los campos de la alta especulación filosófica.

A este propósito, antes de cerrar estas líneas quisiéramos hacer un alcance pertinente. En días pasados un publicista de conocida firma refiriéndose a la sensible ausencia de Ricardo Dávila Silva (Leo Par), echaba en cara a los manes del distinguido humanista su interés por los temas no estrictamente nacionales, englobando en su juicio a todos los que padecen del mismo mal...

“En esta inclinación —decía— de los escritores a los temas de fuera, yo no puedo dejar de ver una especie de alegre suicidio de las horas. ¿Se imagina alguien que en las bibliografías que alguna vez hayan de compaginarse sobre la literatura persa se van a considerar los estudios producidos en la costa del Océano Pacífico por un autor que escribe en español?”

Tal vez el publicista en cuestión al escribir esas palabras no se daba cuenta que con ellas intentaba aniquilar de una sola plumada el glorioso pretérito y, esperamos en Dios, también el futuro glorioso del Humanismo. Porque éste al fin de cuentas, no es otra cosa que eso: interesarse por todo lo que al hombre se refiere, como exigía Terencio.

Por lo tanto, agradecernos, asimismo, al señor González éste su aporte al comento de un libro “extranjero” hecho en el ensayo que acaba de regalarnos. Y por si alguna vez el desaliento llega a entumirle un poco las alas, deseamos traer a su memoria cierta sentencia de Samuel Johnson, inserta en uno de sus ensayos dedicados al hombre de la calle:

“Nothing has more retarded the advancement of learning than the disposition of vulgar minds to ridicule and wilify what they cannot comprehend”

“Nada ha retardo más el desarrollo del saber, que la disposición de las mentes vulgares para ridiculizar y envilecer lo que ellos no pueden comprender”.

Augusto Iglesias

06:10 Publié dans Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 18 juin 2007

Sur l'égalitarisme moderne...

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Sur l'égalitarisme moderne

Réponse de Robert Steuckers à un étudiant dans le cadre d’un mémoire de fin d’étude

Quelle différence entre Nietzsche et Marx quand on se place du point de vue de l’égalitarisme moderne? Pour Marx, l’injustice provoque l’inégalité, pour Alain de Benoist, en ce sens post-nietzschéen, l’injustice s’instaure justement parce que nous vivons dans une ère égalitaire…

(Robert Steuckers, mai 1998) - Votre question s’inscrit dans une problématique d’ordre sémantique. Vous cherchez à y voir clair dans la manipulation tous azimuts de “grands mots” du débat politico-social: justice, liberté, égalité, etc., toutes dévalorisées par les “discours-bâteaux” de la politique politicienne. Essayons ici de clarifier ce débat.

1. Pour Marx, effectivement, l’injustice sociale, la non redistribution harmonieuse des revenus sociaux, la concentration de capitaux en très peu de mains provoquent une inégalité entre les hommes. Il faut donc redistribuer justement, pour que les hommes soient égaux. Ou ils seront égaux quand ils ne seront plus victimes d’aucune injustice d’ordre matériel (bas salaires, exploitation du travail humain, enfants compris, etc.).

2. Pour la tradition dite “inégalitaire” dont s’est réclamé de Benoist au début de sa carrière “métapolitique”, l’injustice, c’est que les individus d’exception ou surdoués ne reçoivent pas tout leur dû dans une société qui vise l’égalité. En ce sens, “égalité” signifie “indifférenciation”. Cette équation est sans doute plausible dans la plupart des cas, mais ne l’est pas toujours. Alain de Benoist craint surtout le nivellement (par le bas).

Ces opinions se développent au niveau de la vulgate, de la doxographie militante.
Pour approfondir le débat, il faut récapituler toute la pensée de Rousseau, son impact sur le socialisme naissant, sur le marxisme et sur les multiples avatars de la gauche contestatrice. Néanmoins, dans le débat actuel, il convient de souligner ce qui suit:

a) Une société équilibrée, consensuelle, harmonieuse, conforme à une tradition crée d’elle-même la justice sociale, elle la génère spontané­ment, elle est travaillé par une logique du partage (des risques et des biens) et, partiellement, du don. Elle évite les clivages générateurs de guerres civiles, dont les inégalités trop flagrantes en matières économiques. La Rome antique nous donne de bons exemples en la matière, et pas seulement dans les réformes des Gracches (auxquelles se réfèrent les marxistes). Les excès de richesses, les accumulations trop flagrantes, les spéculations les plus scandaleuses, l’usure étaient réprimés par des amendes considérables, réinvesties dans les festivités de la ville. On s’amusait a posteriori avec l’argent injustement ou exagérément accumulé. Les amendes levées par les édiles couroules et plébéiennes taxaient ceux qui contrevenaient à la frugalité paradigmatique des Romains et le peuple en tirait profit. L’accumulation exagérée de terres arables ou de terres à pâturages étaient également punie d’amende (multo ou mulcto).

b) La pratique de la justice est donc liée à la structure gentilice et/ou communautaire d’une société.

c) Une structure communautaire admet les différences entre ses citoyens mais condamne les excès (hybris, arrogance, avarice). Cette condamna­tion est surtout morale mais peut revêtir un caractère répressif et coercitif dans le chef des autorités publiques (le multo réclamé par les édiles de la Rome antique).

d) Dans une structure communautaire, il y a une sorte d’égalité entre les pairs. Même si certains pairs ont des droits particuliers ou complémen­taires liés à la fonction qu’ils occupent momentanément. C’est la fonction qui donne des droits complémentaires. Il n’y a nulle trace d’inégalité ontologique. En revanche, il y a inégalité des fonctions sociales.

e) Une structure communautaire développe simultanément une égalité et des inégalités naturelles (spontanées) mais ne cherche pas à créer une égalité artificielle.

f) La question de la justice est revenue sur le tapis dans la pensée politique américaine et occidentale avec le livre de John Rawls (A Theory of Justice, 1979). Le libéralisme idéologique et économique a généré dans la pensée et la pratique sociales occidentales un relativisme culturel et une anomie. Avec ce relativisme et cette anomie, les valeurs cimentantes des sociétés disparaissent. Sans ces valeurs, il n’y a plus de justice sociale, puisque l’autre n’est plus censé incarner des valeurs que je partage aussi ou d’autres valeurs que je trouve éminemment respectables ou qu’il n’y a plus de valeurs crédibles qui me contraignent à respecter la dignité d’autrui. Mais, dans le contexte d’une telle déperdi­tion des valeurs, il n’y a plus de communauté cohérente non plus. La gauche américaine, qui s’est enthousiasmée pour le livre de Rawls, a vou­lu, dans une deuxième vague, restaurer la justice en reconstituant les valeurs cimentantes des communautés naturelles qui composent les Etats et les sociétés politiques. Reconstituer ces valeurs implique forcément un glissement à “droite”, non pas une droite militaire ou autoritaire, mais une droite conservatrice des modèles traditionnels, organiques et sym­biotiques du vivre-en-commun (merry old England, la gaieté française, la liberté germanique dans les cantons suisses, etc.).

g) La contradiction majeure de la “nouvelle droite” française est la suivante: avoir survalorisé les inégalités sans songer à analyser sérieusement le modèle romain (matrice de beaucoup de linéaments de notre pensée politique), avoir survalorisé les différences jusqu’à accepter quelques fois l’hybris, avoir simultanément chanté les vertus de la communauté (au sens de la définition de Tönnies) tout en continuant à développer un discours inégalitaire et faussement élitiste, ne pas avoir vu que ces communautés postulaient une égalité des pairs, avoir confondu l’égalité des pairs et l’égalité-nivellement ou ne pas avoir fait clairement la différence, avoir produit des raisonnements critiques sur l’égalité sans prendre en compte la valeur “fraternité”, etc. D’où l’oscillation de de Benoist face à la pensée de Rousseau: rejet complet au début de sa carrière, adhésion enthousiaste à partir de la fin des années 80 (cf. intervention au colloque du GRECE de 1988). Avec la percée de la pensée communautarienne américaine (cf. Vouloir n°7/NS et Krisis n°16), qui se réfère à la notion de justice théorisée par Rawls, la première théorie néo-droitiste sur l’égalité vole en éclat et n’est plus reprise telle quelle par la nouvelle génération du GRECE.

h) L’égalité militante, leitmotiv qui a structuré les démarches de toutes les pensées politiques dominantes en France, est une égalité qui vise l’arasement, la mise au pas des mentalités et des corps (Foucault: “surveiller et punir”), le quadrillage du territoire, qui agit par le déploiement d’une méthode systématique pour transformer la diversité grouillante de la societas civilis en une “Cité géométrique” (Gusdorf). Dans une telle démarche les communautés et les personnalités sont disciplinées, se voient imposer l’interdiction d’exprimer et leur spontanéité et leur spécificité et leur génie créatif. La volonté de restaurer cette spontanéité, cette spécificité et ce génie créatif passe par un refus des méthodes d’arasement “égalitaires”, mais n’interdisent pas de penser l’égalité en termes d’égalité des pairs et en termes de “phratries” communautaires et de fraternité au sens général (troisième terme de la triade révolutionnaire française, mais laissée pour compte dans quasi toutes les pratiques politiques post-révolutionnaires). La ND française (contrairement à ses pendants allemand et italien) a mal géré cette contradiction entre la première phase de son message (anti-égalitariste obsessionnel) et la seconde phase (néo-rousseauiste, démocratiste organique, communautarienne et citoyenne, intérêt pour la théorie de la justice chez Rawls). Elle est toujours perçue comme anti-égalitariste obsessionnelle dans les sources historiographiques les plus courantes, alors qu’elle développe un discours assez différent depuis environ une douzaine d’années, discours dont les principaux porte-voix sont de Benoist lui-même et Charles Champetier.

Spengler's cultural pessimism today

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History And Decadence: Spengler's Cultural Pessimism Today

Tomislav Sunic

http://home.alphalink.com.au/~radnat/tomsunic/sunic4.html... 

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dimanche, 17 juin 2007

Nacionalismo

Nacionalismo




Conceito,
Teoria,
Organização !


Entendemos o Nacionalismo, não como uma prática política mais, mas como uma forma de estar na vida, um estado de vivência…
Neste contexto, consideramos ser fundamental a clarificação de certos conceitos divulgados por teorias e doutrinas que, pelo mimetismo imposto pela moda e, menos eufemisticamente, pela ignorância, assumem significados que não o são.
O Nacionalismo é, em si mesmo, um conceito com nome próprio que não suporta adjectivações !
Referir um nacionalismo adjectivado (e.g. "nacionalismo revolucionário" ou "nacionalismo liberal") é pretender reduzir um conceito abrangente, incluente de toda uma "nação", a uma mera teorização política a que (quantas vezes…) nem falta a abstrusa designação de esquerda ou direita.
"A fortiori", o termo "nacionalismo" poderá ser identificado pelo nome da Nação a que se refere (e.g. "nacionalismo galego").

Por muito que estremeça o ideário histórico incutido nas populações europeias desde a normalização carolingia, na Europa de hoje um "país" não corresponde necessariamente a uma "nação", pelo contrário, a maioria dos países europeus constituiram-se por amálgama de territórios conquistados, subordinados a um Estado centralizador que se impôs, unificando nações diferenciadas.

1. Filosofia e Conhecimento

Talvez os antigos gregos tivessem razão quando afirmavam que existia uma erudição própria escondida em cada palavra.

Se prestarmos atenção ao vocábulo "filósofo" ("philosophos" em grego), um termo que surge, segundo Ponticus Heraclides (séc. IVº EP), quando Pitágoras recusa a denominação de "sophos" ("sábio") que lhe é atribuida pelo rei de Phlionte (cidade do Peloponeso) e retorquiu afirmando que mais não se considera além de "philo sophos" ("amigo da sabedoria").
Do adjectivo "filósofo", forma-se o substantivo "filosofia" ("philo + sophia"), "amizade pela sabedoria", que reflecte um encaminhamento em direcção à "sabedoria" e se opõe à noção de "possuidor de sabedoria" ("sophos").
A erudição do termo é bem patente no seu significado de "busca" da sabedoria, e de "recusa" (por impossibilidade) de a possuir !

Mas, invariavelmente, o valor erudito das palavras é fagocitado pelo utilitarismo com que se pretende aplica-las, e os vocábulos "filosofia" e "filósofo" sofreram o "habitual" tratamento de aculturação predominante.
No presente, particulariza-se como "filosofia de …" qualquer actuação teorizante nos mais diversos campos específicos, da gramática à política como da arte à lógica. Amarfanha-se, amalgama-se, oprime-se o sentido de "filosofia" com o significado de disciplinas outrora pertencentes ao "corpus philosophicus", mas que se disjuntaram constituindo áreas de estudo especifico.

Com efeito, o "pensamento" grego via na filosofia a "sabedoria", a totalidade do saber da época e um conhecimento aspirando ao universal !
Posteriormente, o "saber" foi-se compartimentando em "saberes" (ciências) enquanto o conhecimento se afirmava como compreensão dos limites e das condições da existência.
Compete pois ao ciêntifico o "saber" que permite o controlo da Natureza, e ao filósofo o "conhecimento" de uma vida acorde com a Natureza !

Se nos restringirmos ao espaço político, referir "filosofia do fascismo", "filosofia do marxismo", "filosofia do liberalismo", etc, não é culturalmente aceitável, pois que fascismo, marxismo, liberalismo, etc, são teorizações de um mesmo conceito filosófico que é a "Política", um conceito que provém de "Politeia" (da raiz grega "pólis", cidade ; em latim "civitas").
A origem do erro reside na assimilação habitual de "política" à "gestão da pólis", confundindo-se o conceito filosófico de "política" com as teorizações que propõem "gestões políticas" diversas.

Para bem compreendermos os âmbitos de acção do "conceptual filosófico" e da "teorização política", devemos ter presente as três realidades sobrepostas que a noção de "polis" engloba :
- um factor social, entendido como uma comunidade autónoma, habitualmente constituida por sinoecismo (1), fortemente estruturada, étnica e culturalmente coesa.
- um espaço, que conecta o "habitat" a um território e ao seu ecosistema.
- um Estado, dotado de poderes de regulação sobre o "espaço" e o "factor social".

Assim que, se o "factor social" e o "espaço" determinam a "Nação" (conceito filosófico), as regras de Estado são do âmbito da teorização política, embora com uma excepção qualitativa relacionada com o substracto cultural das comunidades que constituem o "factor social" da "Nação".
E esse substracto cultural constitui o que os gregos denominavam "agraphoi nomoi", comummente entendido como "leis não escritas" (costumes e tradições).
O que valoriza, na tradição ética grega, os "agraphoi nomoi", não é somente o facto de evitarem a imperfeição técnica das leis escritas ("nomoi"), mas a sua relatividade cultural (2).

Na Esparta e na Atenas clássicas, muito diferentes na teorização política, o mais importante era o conceito filosófico de comunidade de homens livres (noção espartana de "homoioi") que o grego orgulhosamente proclamava.

"Cada um, então, de acordo com sua vontade, pode fulgir... ou calar-se. Pode imaginar-se mais bela igualdade ?"
(palavras deTeseu ao arauto in "Suplicantes" de Eurípides - vv. 426-441)

Se Atenas adopta uma "politeia" teorizada na participação activa dos membros da comunidade ("politai") nos trabalhos do "Boule" (Conselho), do "Helieia" (Tribunal) e da "Ekklesía" (Assembleia), para Esparta a organização da vivência em comunidade dependia substancialmente dos costumes e do definido por alguns poucos princípios reguladores, os famosos ordenamentos ("rethra"), atribuídos a Licurgo (séc. IX ou VIII EP).

Lucius Furius Philus, no diálogo "De Res Publica", escrito por Cicero, defende (Livro III - VIII a XI) a tese de que justiça é coisa social, e não natural, que como tal varia conforme o povo e varia num mesmo povo através do tempo. É o interesse que comanda os homens.
A essa posição, Cícero opõe, por intermédio de Lelius, a lei ética, o conceito filosófico que deve ser o fundamento do Estado :
"Existe uma lei verdadeira, é a recta razão, conforme com a natureza espalhada em todos os seres, sempre de acordo consigo própria, não sujeita a perecer, que nos chama imperiosamente a preencher a nossa função, nos interdiz a fraude e dela nos afasta. Jamais o homem honesto é surdo às suas ordens e proibições; estas não têm acção sobre o perverso.
Nesta lei, nenhuma emenda é permitida, não é lícito revogá-la totalmente ou em parte. Nem o Senado, nem o povo podem dispensar-nos de a ela obedecer (…). Esta lei não é uma em Atenas, outra em Roma, uma hoje, outra amanhã, é uma única e mesma lei que rege todas as nações em todos os tempos (…) quem não obedece a esta lei ignora-se a si mesmo, e, porque ignorou a natureza humana, sofrerá por isso mesmo o maior castigo …"
(Marcus Tullius Cicero (106-43 EP) in "De Res Publica", Livro III, XXII).

No plano doutrinário a filosofia posiciona-se entre o escrito e o não escrito, entre a lei e o costume, consciente de que, pela biologia intrínseca do cérebro humano, uma "hierarquia de domínio" vai estabelecer-se entre os individuos que constituem o "factor social" que constitui a "polis", e que compete à teorização política fundamentar a organização dessa "hierarquia de domínio" no interior da comunidade, da sociedade, ou da Nação, pois esta tenderá a controlar a repartição da totalidade dos recursos (bens e serviços).
Os factores culturais envolventes deverão constituir a linha de conduta que a acção filosófica tem por obrigação impor à teorização política.

2. Teorização Política

Como demonstrou o fundador da antropología política, Pierre Clastres (1934-1977), em "La société contre l'État" (1974), a ligação entre "Política" e "Estado" não é tão evidente como habitualmente se crê, pois existem formas de organização que evitam a aglomeração do "poder" no Estado, competindo à "teoria política" desenvolver a formatação do Estado, com base numa fundamentação cultural estruturada pelos conceitos filosóficos assentes nos valores primevos dos individuos que constituem a Nação.

Parece-nos provada a necessidade de constituir um "corpus philosophicus" fundacional da "teorização política", antes de "desenhar soluções de pormenor" ou, pior ainda, copiar dos alfarrábios soluções "read-made" !

Provindo o termo do grego "theorein", "teoria" significa "contemplar, observar, examinar", e "teoria política" é, como qualquer outra teoria, um quadro de trabalho para compreensão de uma proposta.
Em linguagem corrente, uma teoria é um conjunto de conceitos, fundamentados em teorias precursoras ou em casos reais, conducentes a um resultado especulativo, a uma representação ideal.

Desde a lógica das matemática, diz-nos o primeiro teorema de Kurt Gödel (1931), que (numa teoria) existem enunciados que não são demonstráveis e cuja negação tão pouco é demonstrável !
Se assim é numa ciência exacta como as matemática… na política arriscamos navegar na mais pura virtualidade !
E para que essa virtualidade não se transforme em enunciado dogmático, devemos ter recurso à "fundamentação cultural estruturada pelos conceitos filosóficos".

Se nos fixarmos nas propostas políticas ditas nacionalistas encontraremos a nivel da teorização política "um pouco de quase tudo" !
Desde o fascismo, ao nacional-socialismo, ao nacional-bolchevismo, ao salazarismo (católico-corporativista), ao franquismo (falangista), ao europeismo (nas mais diversas tonalidades), ao monarquismo lusitanista (integralismo), e um longo etc, todos se dizem nacionalistas e afirmam o seu desejo de uma solução política "nacionalista" !

Como Blaise Pascal, façamos um pouco de "ucronia" (3).
Se toda a vontade nacionalista antes referida, chegasse a uma vitória política e, consequentemente ao "controlo do Estado", quantas horas tardariam a lançar-se (mutuamente) à cabeça, as cadeiras do "poder" ?
Como poderia um nacionalismo monárquico aceitar uma solução republicana ? E o nacional-bolchevismo colaborar com os fascistas ?

Perante o que nos demonstra a realidade, as variáveis são tantas (incluindo os "infiltrados" e os "inocentes"), tantas as teorizações políticas, que o "poder teo-democrático" em funções pode "ressonar sem sobresaltos" !

Parece-me óbvio que sem uma "fundamentação cultural" consequente as divagações prosseguirão, cada hipótese continuará a afirmar-se como sendo a mais acertada e, todas (ou quase) continuarão a considerar o "nacionalismo" como uma teoria política mais.

Não, não sou pessimista, mas tão pouco sou optimista ! Esses sentimentos não se coadunam com a análise responsável de um projecto politico.

Temos necessidade de nos elevarmos por em cima da fragmentação teórica do saber político que envolve o nacionalismo.
A filosofia não teoriza a política, mas fundamenta os conceitos necessários à sua expressão, e creio ser já tempo de enquadrar a teoria política nacionalista com o conceito adequado !

Uma das primeiras cacafonias teorizadoras com que deparamos nas páginas "web" e nos "fórum", assumidamente nacionalistas, assim como numa variada literatura existente, é a confusão entre o significado atribuido a certos vocábulos e a sua real significação. Dois dos mais sintomáticos exemplos são, "nação - pátria" e "povo - população".
Confundindo "povo" com "população", dilui-se a noção de etnicidade, uma estrutura fundacional do nacionalismo… Amalgamando "nação" com "pátria", abandonamos decididamente o campo nacionalista pelo patriótico, a visão de futuro pela simbologia do passado !
Nada mais que esclarecer os exemplos apontados e teriamos uma importante redução nos candidatos a nacionalistas.

Outro aspecto, nem o último nem o menos importante, é o enfeudamento a soluções "prontas-a-utilizar", o recurso a teorias aplicadas em periodos históricos recentes e que ainda brilham no imaginário politico de muitos.
Não nego o interesse em conhecer essas experiências, que podem, na devida perspectiva histórica, enriquecer conceitos ou complementar teorizações, mas saibamos distinguir o antigo do velho, o texto lúcido e pertinente da retórica fora de circunstância.

3. Europa e Nacionalismo

Existem posicionamentos que advogam por "pensar Europa já e agora", e outros mais críticos relativamente à oportunidade de optar desde já pela Europa. De entre os primeiros, distinguimos os que creem que uma Nação é algo de perene e que á dado adquirido como parte constituinte da Europa, e outros, bem intencionados, mas que se comportam como borboletas nocturnas encandeadas pelo "farol europeista" !
Desde uma perspectiva analítica também é por demais evidente a actividade de alguns émulos de Fausto que, com propósitos inconfessáveis, exaltam uma Europa alquímica, saida de alguma retorta do Grande Arquitecto, com o evidente objectivo de transmutar a Nação em poltronas de eurodeputado.

Quando Drieu de la Rochelle defendia uma solução europeia, essa solução passava por uma França (culturalmente dominante) aliada a uma pujante Alemanha nacional-socialista, referindo uma Europa conceptualmente fundamentada em valores étnicos e culturais que hoje somente encontramos nas hemerotecas.

Sejamos conscientes de que o denominador comum que têm, na actualidade, os povos de regiões como a Wallonie belga, o Vaud suiço ou o Vale do Ave português, é a sua acelerada perda de identidade ! A rotura drástica e dramática com os laços culturais que os uniam ao seu território. Na Europa de hoje, como na Europa que alguns (consciente ou inconscientemente) pretendem, as Nações desvanecem-se !

Que Europa se pretende ? Uma Europa sem Nações ?
Uma "pátria europeia" habitada por uma população multi-étnica e culturalmente "miscigenada" ?
A Europa financeira dos bancos e das empresas, dos negócios, da usura e dos lucros ?
Não será isso embrulhar o nacionalismo em reluzente papel e oferta-lo a quem pagar mais subsídios ?

Como já o escrevi repetidamente, e em nada altero o afirmado, estou intimamente convencido de que devemos lutar por uma Europa forte, mas, e sem lugar a dúvidas ou tergiversação, étnica e culturalmente coesa.

Que a árvore não nos esconda a floresta ! Se primeiramente não nos constituirmos em Nações autónomas de qualquer poder central e centralizador, em Nações representativas de uma realidade cultural, falar em nacionalismo é uma falácia !
Europa não é, nunca foi uma Nação, mas um conjunto de Nações étnicamente próximas (antes da invasão migratória) e culturalmente compreensíveis.
Pretender, como Lenine, uma Europa de Repúblicas Socialistas, ou uma espécie de Império "envergonhado de o ser", como propõe Jean Thiriart, ou um negócio financeiro montado numa manipulação cultural, estilo União Europeia, ou uma Europa do arquipélago das Curilhas ao dos Açores, e de Instambul a Rabat, não é, seguramente, respeitar as tradições, as "agraphoi nomoi" que são o bastião da nossa cultura !
Provavelmente, os que defendem essas "soluções", pensem (por manifesta ignorância e manipulação) que Carlos Magno foi um grande protector da cultura europeia, tal como tinha sido o Império de Roma ou a evangelização cristã...
E aí não nos encontram ! Porque é um engano, uma burla política, uma falácia…

O projecto da "Nova Ordem Mundial" é criar grandes blocos económicos sem conteúdo cultural !
Nesse sentido se vão formatando a União Europeia, a Mercosul, a Asean e a União Africana.
Posteriormente, será fácil tudo amalgamar num mercado global, num Estado global… dirigido por um governo Mundial !

A afirmação nacionalista é um conceito identitário, não é uma teorização política, nem se engloba no ardil das direitas ou das esquerdas.
E a nossa afirmação nacionalista, com respeito por todas as outras que se manifestem no território europeu, relaciona-se com a defesa da "nossa Cultura", do "nosso Povo" e, consequentemente da "nossa Nação" !
A partir desta base, poderemos participar na compreensão de uma Europa Identitária ! Não num "mercado comum" !

4. Fundamento Conceptual do Nacionalismo

Insistimos em que o trabalho inicial dos nacionalistas é determinar o fundamento conceptual do nacionalismo que provém de nós mesmo, como povo.
Várias áreas devem ser estudadas para que, a partir de conceitos claros e esclarecidos, se possa desenvolver uma "teorização política", uma proposta de organização que nos enquadre como fenómeno nacionalista e nos permita transparecer como Nação.

A História deve ser interpretada como instrumento de aprendizagem que os nossos ancestros nos deixaram, não como um acumular de lendas, de glosas míticas, de milagres fundacionais ou de acasos proféticos.
Uma Nação não nasce por decreto nem por bula papal ! Uma Nação é "um todo coeso", um laço cultural expresso por um povo num contexto territorial.

Que referência cultural se pode deduzir quando se divaga entre as mais variadas concepções de ética, de estética e de religiosidade ?
A que Nação se reporta quem devaneia entre conceitos de "território como parte da Nação" e "território como constituinte de um país" ?
Como seria interessante que, quem se pretende nacionalista, tivesse a consciência de que denominar uma "população" como "povo" não passa de uma afirmação manipulada (ou manipuladora), mas que não altera uma virgula à realidade, à distinção étnica e etológica existente sobre o terreno !

Que pretendemos ?
Fundamentar o conceito "nacionalista" e tentar viver nele e com ele, numa simbiose conseguida, ou continuar a discutir virtualidades, como se estivessemos a dialogar com o coelho de Alice no outro lado do espelho ?

Nacionalismo é a defesa de uma identidade nacional, é um conceito étnico-cultural que pretendemos se expresse através de uma "teoria política" que devemos formular, adequando a sua formatação à realidade que somos e ao futuro que pretendemos.
É a partir da Nação que deveremos pensar a Europa. Não o contrário !

Tenhamos sempre presente as palavras que proferiu, na defesa do "seu" globalismo, o barão Edmond Rothschild à revista "Entreprise", em 18 de Julho de 1970, sobre a constituição do Mercado Comum Europeu, fase que precedeu a actual União Europeia :
"… (como condição) a estrutura que deve desaparecer, o ferrolho que deve saltar, é a nação" ! (4)

Cremos firmemente que, para um futuro consequente, o trabalho dos nacionalistas (em cada Nação) deveria percorrer três etapas fundacionais (eventualmente subdivididas) :
1. Significação Conceptual
- conceitos filosóficos
2. Teorização Política
- estrutura do Estado
3. Organização e Actuação
- prospectiva

Com um razoável consenso nestas premissas, as nações europeias poderão "formatar" uma Europa Identitária !
Senão, o nacionalismo continuará a ser, para uns, um exercício intelectual, para outros, um passatempo e, para alguns… uma actividade (consciente ou não) para que "o ferrolho" se desvaneça de vez !

Despertemos a cultura imanente em cada Nação, interliguemos os conceitos e avancemos no caminho da Europa Identitária…
Como diz o poeta : "… o caminho faz-se andando !".
------------------
(1) Na Antiguidade, o sinoecismo (do grego "sunoikismós", dérivado de "sún", com, e "oikos", casa, ou seja "conjunto de casas") é o acto fundador de uma cidade. Uma reunião de várias aldeias formavam uma vila… uma cidade…

(2) A primeira lembrança que nos vem à memória refere-se ao famoso passo da tragédia de Sófocles, Antígona (450-59), onde desafiando as determinações de Creonte, rei de Tebas, Antígona presta honras fúnebres a Polinices, seu irmão, morto em combate com o seu também irmão, Eteocles.
A jovem princesa justifica seu acto alegando obediência às normas divinas, eternas e intocáveis, superiores, como valor imperativo, à proclamação do rei.

(3) "Ucronia" - História alternativa de um evento particular modificado, imaginado, através do qual o autor estabelece conclusões hipotéticas.
"Se o nariz de Cleópatra tivesse sido mais pequeno, a face da terra teria mudado" (Blaise Pascal in "Pensées", 90).

(4) Sejamos conscientes do enfrentamento entre o nacionalismo, que é garante da identidade de cada povo, e a miscigenação mundialista expressa pelo sistema, aparentemente contraditório, liberal-marxista, cujo objectivo é o total desenraizamento cultural dos povos e a criação de um governo mundial.

 

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G. Faye: Wofür wir kämpfen!

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Wofür wir kämpfen
Von der Notwendigkeit eines Kampfes um die europäische Identität

Noch nie in ihrer langen Geschichte haben die Völker europäischer Abstammung und weißer Rasse eine solche Tragödie wie die derzeitige erlebt. Meine Position erscheint zunächst äußerst pessimistisch, genauer gesagt realistisch, doch ist am Ende etwas tragischer Optimismus zu erkennen.

Zunächst erschreckt vielleicht meine erste These, aber ich denke, sie ist Teil eines nachvollziehbaren Szenarios: Die derzeitige Weltzivilisation (die man »das globale planetarische System« nennen könnte) könnte in weniger als 20 Jahren zusammenbrechen, und zwar aufgrund einer Zahl gewisser dramaturgischer Linien – sich ständig verschlimmernder und den ganzen Planeten betreffender Krisen –, die alle aufeinander zu verlaufen und sich am Bruchpunkt treffen.

Diese Krisen, die sich ständig verstärken, die erstaunlich parallel verlaufen und die untereinander eine Wechselwirkung haben, sind die folgenden:

• Verfall des Ökosystems und Erschütterungen durch klimatische Veränderungen;
• Verletzlichkeit einer globalen Wirtschaft, die zu offen, zu spekulativ und, da vom schnellen Gewinn besessen, zu kurz ausgerichtet ist;
• Erschöpfung der fossilen Energien, der Erze sowie der Ressourcen aus Land- und Fischwirtschaft, die bald nicht mehr in der Lage sein werden, die Gier des Wachstums zu befriedigen und dem Mythos einer unendlichen »Entwicklung« der Weltwirtschaft zu entsprechen;
• Aufstieg von Nationalismen und Terrorismen und wachsende Verbreitung von Nuklearwaffen;
• massenhafte und unkontrollierte Wanderungsbewegungen von Süden nach Norden;
• voraussagbare Feuersbrunst im Nahen Osten;
• allgemeine Offensive des Islam und ein mächtiges Aufeinanderprallen der Kulturen, das zu verhindern unsere Regierungen wegen Zaghaftigkeit nicht in der Lage sein werden;
• dramatische Überalterung und demographischer Niedergang in den reichen Ländern – vor allem bei den Völkern weißer Rasse –, was sich in einer bisher nicht dagewesenen wirtschaftlichen Rezession äußern wird;
• massenhafte und rasche Invasion Europas durch Einwanderer aus der Dritten Welt, die von einer zunehmenden Islamisierung begleitet wird, und, besonders in Frankreich, auf den Beginn eines – das muß so klar benannt werden – ethnischen Bürgerkrieges hinauslaufen wird;
• Zusammenbruch der fundamentalen moralischen und vitalen Werte überall im Westen zugunsten eines kollektiven suizidären Verhaltens;
• Wiederaufkommen unkontrollierbarer Epidemien.

Demographischer Winter und ethnischer Selbstmord

In seiner »Politeia« spricht Aristoteles davon, daß keine Gesellschaft und keine Stadt ohne ein Mindestmaß an ethnischer und kultureller Homogenität bestehen kann. Diese Homogenität ist der Garant für die philia, d.h. für eine allgemeine Verständigung auf gemeinsame Werte. Nun erleiden aber die europäischen Nationen – allen voran Frankreich – noch viel mehr als Nordamerika einen regelrechten Bevölkerungsaustausch: Wir haben es mit einer »Libanisierung« Europas, einem ethnischen Chaos, einer galoppierenden Islamisierung und einer rapiden Afrikanisierung unseres ethnischen Grundschatzes zu tun – ein Phänomen, das in diesen Ausmaßen seit dem Neolithikum (Jung-steinzeit, 5.000 - 2.000 v. d. Ztw.) unbekannt ist und das in den nächsten Jahren zu einer massiven Destabilisierung führen und unseren Kontinent verwandeln wird. Das alles bei nicht sehenwollender Gleichgültigkeit oder zynischer Komplizenschaft der politischen, wirtschaftlichen, intellektuellen und kulturellen »Eliten«.
Ich möchte einige Zahlen nennen: Nach Frankreich kommen jedes Jahr mehr als 300.000 Einwanderer aus der Dritten Welt, von denen die Hälfte in keiner Statistik auftaucht und nur fünf Prozent qualifizierte Arbeiter sind. Es gibt bereits sechs Millionen Moslems in Frankreich; das sind zehn Prozent der Bevölkerung, Tendenz rapide steigend. Es gibt bereits 2.000 Moscheen und ähnliche moslemische Orte des Kultes in Frankreich – mehr als in Marokko. Und es kommen pro Monat 20 hinzu – mit der Zustimmung der katholischen Kirche und der Stadträte. Eine Geburt von Dreien ist die einer moslemischen oder schwarzafrikanischen Frau. Die Fremdstämmigen haben eine doppelt oder dreimal so hohe Geburtenrate wie die »Ureinwohner«. Wenn sich nichts ändert, wird der Islam im Jahre 2020 in Frankreich, aber auch in Belgien, die stärkste Religion darstellen. Bereits heute sind 15 bis 20 % der Bevölkerung nicht mehr von weißer Rasse; bei den Jugendlichen sind es 30 %. In seinem Buch »Das afrikanische Frankreich« kommt der Soziologe und Demograph J.-P. Gourevitch zum Ergebnis, daß im Jahre 2050, wenn nichts getan wird, die Mehrheit der Bevölkerung in Frankreich nord- und schwarzafrikanischer Abstammung sein wird.


Zu all dem kommen der massive Geburtenrückgang und die Überalterung der Europäer von Lissabon bis Moskau. Man kann von einem ethnischen Selbstmord und einem demographischen Winter sprechen. Doch das scheint die europäischen Führer nicht weiter zu interessieren – die Sorge um die Geburtenrate von Weißen gilt als etwas »Faschistisches«. Schon heute – seit dem Jahr 2000 – verlieren Deutschland, Italien, Spanien usw. jährlich Zehntausende von Einwohnern – trotz einer massenhaften Einwanderung von Fremden!

Eine solche Entwicklung kann, rein mathematisch, nur zu einem wirtschaftlichen Zusammenbruch ganz Europas führen, der etwa im Jahre 2015 erfolgen könnte und der nach dem Dominoprinzip Auswirkungen auf die gesamte Welt haben wird.

Bereits Oswald Spengler hatte darauf hingewiesen, daß die weißen Völker von einer Art Gemütskrankheit befallen sein könnten, die ihren Lebenswillen untergräbt. Noch nie haben die Völker der europäischen Geschichte eine solche Tragödie erlebt, die das anthropologische Fundament Europas, aber auch seinen Überlebenswillen und seine sowohl genetische als auch spirituelle Kraft im Kern angreift.

Sollte Konrad Lorenz, als er vom Wärmetod sprach, recht gehabt haben? Könnte es sein, daß die Völker europäischer Abstammung ihren Untergang erleben, ihren »Fall«, und daß sie, wie andere Kulturen vor ihnen, nach einer langen Geschichte, die sie weitestgehend über alle anderen Kulturen hat siegen lassen, Opfer einer Erschöpfung und einer biologischen Überalterung werden?

Manche freuen sich über diesen Zustand, den meisten ist er egal. Aber wir, wir müssen diesen Fatalismus ablehnen, weil unsere Werte keine fatalistischen, sondern voluntaristische sind.

Die suizidäre Umkehrung der Werte

Es gibt ein weiteres untrügliches Zeichen: die krankhafte Umkehrung der Werte, die der Westen (besonders Europa) durchmacht und die seit den 1960er Jahren immer schneller vorangeht. Symptome dafür sind:

• stetige Verschlechterung der Ausbildung der Jugendlichen, sowohl was das Wissen anbelangt als auch die Kenntnis und die allgemeinen Regeln des zivilen Umgangs, was auf eine neue Barbarei und einen Neo-Primitivismus hinauslaufen wird;
• Ethnomasochismus, d.h. für Herkunft, ethnische Identität und Geschichte empfundene Scham- und Schuldgefühle, die zu krankhaften Bußhandlungen führen;
• Xenophilie: Fremdenidolatrie, anders gesagt die systematische Bevorzugung all dessen, was ausländisch ist;
• Homophilie oder Höherstellung der Homosexualität über die Heterosexualität als neues soziales Modell;
• Banalisierung des komfortablen Schwangerschaftsabbruchs;
• dauernde Rechtfertigung der Völkervermischung und Ermutigung zu dieser;
• Niedergang des familiären Prinzips und der Erbschaftsfolge, die lächerlich gemacht oder wie in der Zoologie präsentiert werden;
• Einreißen der Geschlechterunterschiede und Entmännlichung;
• Beeindruckende Zunahme von Betäubungs- und Aufputschmitteln, die von der politischen Kaste, die von diesen profitiert, nur lasch verfolgt wird;
• allgemeiner Egoismus und Narzißmus, paradoxerweise einhergehend mit dem gekünstelten Altruismus der Menschenrechtsreligion und einem heuchlerischen Humanismus;
• Verschwinden des ethnischen Bewußtseins bei unseren Völkern und gleichzeitige Hinnahme des ethnischen Chaos (genannt »multikulturelle Gesellschaft«) als ganz und gar zu akzeptierendem sozialem Umfeld;
• Vergessen und Verächtlichmachung unserer Wurzeln und unserer Traditionen wie auch der Zukunft unserer Kinder zugunsten eines sterilen Gegenwartskultes (Kult der kurzen Sicht);
• pseudo-optimistische Kultur des Festes und des Zusammenlebens, mit der auf ungeschickte Weise die Verzweiflung und die Ohnmächtigkeit einer Endzeit verschleiert wird;
• Verschwinden des ästhetischen Sinnes und des Sinnes für die schöpferische und disziplinierte formale Konstruktion, während sich der künstlerische Abschaum und die Betrügereien von Idioten und Unfähigen durchsetzen;
• krankhafte Häßlichkeit und Vernachlässigung von Bekleidung und Architektur;
• Faszination für den Fernseher und die elektronischen Medien, die das Wort, den Blick, das Gehör, die sinnliche Wahrnehmung und den unmittelbaren Austausch von Gefühlen ersetzen;
• Kult der Jugend und Infantilisierung in Kultur und Bildung;
• Vernichtung des Verlangens, des Erotischen und der natürlichen Sexualität zugunsten kommerzieller Pornographie und einer sexuellen Sprache, deren Paradigma die Vergewaltigung ist;
• die Zelebrierung des Sports als Show – Tagtraum für die verwirrten Massen, die nicht mehr erkennen, worum es wirklich geht (Brot und Spiele);
• unsinnige Lobhudelei des Konsums und der Scheffelei materieller Güter ohne jegliches Wohlbefinden;
• Verschwinden von Dichtkunst und des musikalischen, lyrischen, plastischen und bildnerischen Schöpfertums zugunsten von Täuschungen durch Schwindler;
• Austrocknung und Vergessen der Volkskünste und völkischer Traditionen;
• todesschimmernde Literatur und Filmkunst;
• gleichzeitige Herrschaft von unklarem und schwafelndem Intellektualismus und verarmtem, monopolistischem und jede Meinungsfreiheit erstickendem Einheitsdenken;
• Tod des volkstümlichen Humors und des Lachens zugunsten höhnischen Gekichers;
• Niedergang frischer und echter Gefühle, Verschwinden von Einfachheit und positiver Zukunftsvorhaben bei künstlichem Optimismus in den Reden der Offiziellen;
• Explosion der Kriminalität und der alltäglichen Gewalt, einhergehend mit besorgniserregender seelischer Verletzlichkeit und einer Inflation moraltriefenden Altruismus;
• Nebeneinander von versessenem und rationalisiertem Materialismus und dem Erfolg falscher, pseudo-esoterischer und im Grunde entzauberter Spiritualität.

Man könnte diese traurige Diagnose noch lange fortsetzen. All diese pathologischen Symptome des kulturellen Chaos sind solche einer Zivilisation, die am Ende eines Zyklus angelangt ist. Sie zeigten sich schon in den Dekadenzen untergegangener, von Altersschwäche befallener Völker. Doch sind sie noch nie so stark und allgemein verbreitet gewesen wie heute. Man erinnere sich der Prophezeiungen des indischen Kali Yuga, was das Zeitalter des Eisens, d.h. die endgültige Dekadenz, anbelangt: »Sie werden die Kinder in den Bäuchen der Frauen töten / Männer werden Männer ehelichen und Frauen Frauen / Kühe wird man mit Fleisch füttern / Sie werden Helden und Krieger verlachen und verachten / Könige werden zu Dieben und Diebe zu Königen.«

Keine menschliche Gesellschaft, die in einer solchen Verneinung der Naturgesetze lebt und die eine Zügellosigkeit für alles Widernatürliche und Selbstmörderische, aber eine gnadenlose Intoleranz für alles, was die Identität wieder aufrichten könnte, aufweist, kann einem schnellen Verschwinden entgehen.
Der Islam hat das gut verstanden. Er versucht, sich auf diesem Ruinenfeld als eine Art »Anti-Dekadenz-Wunderpille« durchzusetzen. Aber wir dürfen – im Unterschied zu gewissen wie die Spatzen faszinierten und den Verrat liebenden Pseudo-Identitären – die Lösungen nur in uns selbst suchen und finden.

Positive Utopien

Ich denke, daß bei einem solchen Unternehmen die demnächst stattfindenden und diese »Weltzivilisation«, dieses uns bekannte »System Welt« zum Einbruch bringenden Ereignisse von großer Hilfe sein können. Aus diesem Grunde sollten wir uns mit einer Anzahl von neuen Vorstellungen und Entwürfen vertraut machen. Die erste ist mit dem Begriff »Eurosibirien« benannt. Eurosibirien bedeutet, in einem riesigen, ethnisch homogenen und wirtschaftlich autozentrierten, d.h. sich selbst in den Mittelpunkt stellenden Bundesstaat eine Europäische Union und ein weißes Rußland neu entstehen zu lassen, die – wie ein »riesiger Igel«, um Robert Steuckers zu zitieren – niemanden bedrohen, aber die auch niemanden brauchen. Natürlich steht diese Sicht der Dinge jener von einem multirassischen »Eurasien« gegenüber.

Der zweite Entwurf ist der »autozentrierte Wirtschaftsraum«, der in radikaler Opposition zur derzeitigen freihändlerischen Globalisierung steht und der darauf abzielt, wirtschaftlich autonome Systeme für jede große ethnisch definierte Region des Planeten einzurichten. Der autozentrierte Wirtschaftsraum kommt ohne jegliches Einheitsmodell aus – jede Region folgt ihrem eigenen Rhythmus.
Die dritte Vorstellung verbindet sich mit dem Begriff »Septentrion« – eine poetische Kurzform für »solidarische Verbindung aller Völker europäischer Abstammung als zentrales Ziel«. Auf diese Weise soll gegenüber dem Rest der Welt ein Marmorblock entstehen, der nicht einfach nur etwas Romantisches und Kulturelles, sondern Politisches, d.h. auf konkreten Verträgen basierendes, sein soll.

Edelweiß

Die Ressourcen unserer verwundeten Völker bestehen noch immer, vergleichbar dem Samenkorn, das in der winterlichen Kälte unter dem Schnee und bei Frost am Leben bleibt – wie das Edelweiß. Wir haben das Glück, einer Zivilisation anzugehören, die ihre Gestalt ändern kann und die es noch immer verstanden hat, sich nach schweren Krisen zu regenerieren – wie der Vogel Phönix, der aus seiner Asche aufsteigt. Fliegt Minerva nicht im Dunkel, wenn alles verloren scheint, auf und davon? Von heute an gilt es, sich »die Welt danach« vorzustellen und die Wiedergeburt vorzubereiten. In der Geschichte sind es die aktiv handelnden Minderheiten, die gewinnen. Im Zentrum des europäischen Geistes steht der grundlegende Begriff des Schicksals (das fatum bei den Römern und die moïra bei den Griechen). Das Schicksal ist offen und unvorhersehbar; nichts steht geschrieben, und der Fluß der Geschichte kann seinen Lauf umdrehen. Kein Gott kann Prometheus auf die Knie zwingen. Eingangs seines »Fausts« sagt Goethe, der Bibel widersprechend: »Im Anfang war das Wort? Nein, im Anfang war die Tat.« Ich denke, tatsächlich stehen sowohl das Wort als auch die Tat am Anfang. Man muß sprechen und schreiben, um zu lehren und zu überzeugen, und man muß handeln, um die Dinge voranzutreiben. – Warum kämpfen wir? Nicht so sehr für uns, sondern für das Erbe unserer Vorfahren und für die Zukunft unserer Kinder.

Ich schließe meinen Beitrag mit einem Slogan, denn ich mag Slogans, auch weil die enthirnten Intellektuellen Slogans hassen: »Vom Widerstand zur Rückeroberung, und von der Rückeroberung zur Revolution.« Sind Renaissance und Revolution nicht mehr oder weniger das gleiche?

Der Aufsatz ist der Auszug eines Vortrages des Autors beim diesjährigen Deutschen Kongreß der Gesellschaft für freie Publizistik. Der gesamte Vortrag ist neben anderen im Rahmen des GfP-Reports »Sturm auf Europa – Im Fadenkreuz zwischen Masseneinwanderung und Amerikanisierung« abgedruckt und über den Buchversannd der DS, Postfach 100068, 01571 Riesa, erhältlich. 180 S., Broschur, 10,00 Euro.

Guillaume Faye

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samedi, 16 juin 2007

Evola: Oriente e Occidente

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Archivio della rivista "Orion" (Milano)

Edoardo LONGO :

Julius Evola : Oriente e Occidente

Ref.: Julius Evola, "Oriente e Occidente", La Cueste, Milano 1984, pagg. 232.


Narra un'antica leggenda che Carlo Magno, nel percorrere le contrade del suo Impero, ebbe un giorno a conoscere la singolare figura di un cavaliere detto « Senza-Memoria ».

Costui, uscito di senno, aveva perso completamente coscienza di sé e non ricordava più chi fosse. Il povero disgraziato vagava per le terre dell'Impero e, non appena incontrava un qualunque animale, si fermava, lo fissava ed iniziava ad imitarne il verso credendo, nel suo delirio, di esser proprio l'animale che gli si parava innanzi.

Costui, durante le sue folli peregrinazioni, si aggrego un giorno al seguito dell'Imperatore Carlo e fu cosi che questi lo conobbe e chiese che fosse portato al suo cospetto.

Narrano sempre le leggende che, a quel punto, l'Imperatore guardo il povero demente non con occhi pieni di ira o di disprezzo, bensi di pietà e con un velo di assorta malinconia. Forse Carlo Magno vedeva prefigurarsi nel delirio del Cavaliere Senza-Memoria il destino del proprio Impero che, nei secoli a venire, avrebbe perso il proprio ruolo centrale e la coscienza del proprio destino per divenire schiavo di nuove potenze egèmoniche ne avrebbero rapito -oltre che la potenza- anche l'anima? Forse nella follia di chi non sapeva più quai era la propria identità si celava la metafora del nostro continente, ebbro ormai di i tutte le mode d'oltre oceano e dimentico del proprio modo di essere?

Questo le leggende non lo dicono, ma...

È scorrendo le pagine di Oriente e Occidente, raccolta degli ultimi saggi fino ad oggi inediti di Julius Evola, che questa antica saga mi è tornata alla mente.

Non da oggi la cultura più anticonformista, da destra come da sinistra, si interroga sul destino del nostro continente.

È consolante che, nonostante i continui peana levati in favore dell'American way of life dai detentori del potere culturale, oggi paiono rifiorire i saggi critici verso questa massiccia trasformazione della povera Europa in un satellite (e neppure dei più importanti...) delI « americanosfera ».

Questa antologia evoliana è un segno vigoroso di anticonformismo. I saggi in essa contenuti furono pubblicati (fra il 1950 e il 1960) dalla rivista « East and West », diretta da G. Tucci ed espressione dell' ISMEO (« Istituto di Studi per il Medio ed Estre- mo Oriente »). Pertanto il taglio rigoroso e scientifico si rivolge innanzitutto agli studiosi delle forme culturali tradizionali.

Ma non è solo qui il pregio di quest'opera che ri-sulta interessante anche sotto un ulteriore profilo, come dej resto ci confermano G. Nicoletti e M. Pucciarini, curatori del volume: « Caratteristica di questo insieme di articoli è anche che in essi Evola non è solo teso a mostrare le analogie che sussistono fra Oriente ed Occidente, ma anche e soprattutto a mostrare le differenze, talvolta incolmabili, che esistono fra le diverse tradizioni, e cià al fine di mettere in evidenza quanto sia immaturo e poco realistico un semplice rivolgersi all'Oriente solo allo scopo di traslare, senza adattamenti, il patrimonio tradizionale che è proprio di tale mondo ».

Evola ci tratteggia qui i profili di due mondi - l'Oriente e l'Occidente -che da sempre si sono fronteggiati, forse alla ricerca del senso della propria identità.

Ma, forse, una cosi netta differenza appartiene di più al mondo degli archetipi astratti che non a quello dell'esistenza storica... Ed è proprio (paradossalmente} nel fatto di fornire degli elementi quasi paradigmatici che sta, ad avviso di chi scrive, il pregio maggiore di quest'opera.

Nel quadro di una generale omogeneizzazione egualitaria dei valori che caratterizza questi anni crepuscolari del nostro secolo, la possibilità di tratteggiare delle diverse possibilità di confrontarsi con il mondo (sia pur idealizzandole nelle riduttive categorie di Oriente ed Occidente) è una salutare occasione di riflessione per chi crede in una dimensione plurale, composita ed antiegualitaria dell'esistenza.

Il senso della morte ed il valore della vita; il ruolo della donna; i misteri iniziatici; le differenti consonanze interiori della cultura occidentale ed orientale -nonché le loro sconcertanti linee di affinità -sono solo alcuni dei temi affrontati da Evola in questi articoli.

Non ne vogliamo affrontare qui partitamente l'analisi: per chi già conosce l'opera evoliana sarebbe inutile; per comunicarne agli altri pregi e limiti le poche righe di una recensione sarebbero insufficienti.

Perché in effetti in Oriente e Occidente emerge in chiaroscuro tutta la Weltanschauung evoliana.

Non a caso infatti larghi stralci di questi saggi furono utilizzati dall'autore per comporre « Cavalcare la tigre », libro emblematico per comprendere l’ “eredità” evoliana e tanto citato quanto poco compreso e meditato.

Ed è proprio sul significato oggi dell'opera evoliana, grazie agli spunti offertici a iosa dai libro in esame, che vogliamo spendere le ultime parole di .questa recensione.

Emerge da queste pagine l'impressione (certezza...) di una profonda conoscenza delle archetipe matrici della cultura europea.

È il caso di citare, solo di sfuggita, che Gottfried Benn parlo di « magia » dell'opera evoliana.

Emerge altresi la convinzione che dopo Evola sia necessario andare oltre Evola.

A undici anni dalla sua muorte, viste le vorticose trasformazioni avvenute nel domini della cultura e della politica, è necessario che l'intera opera evoliana venga letta attraverso rinnovati spunti interpretativi, uscendo dalle secche di uno “scolasticismo evoliano » che in questi anni ha ampiamente dimostrato la propria impotenza.

A fuoco dei temi cruciali del dibattito delle idee contemporanee le intuizioni evoliane possono trovare nuovi riscontri, nuove chiavi di lettura, e nuovi esiti culturali e metapolitici.

E lo spettro di divenire noi tutti un po' come il Cavaliere incontrato da Carlo Magno nell'antica leggenda, sarà, forse, anche cosi un po' più allontanato.

Edoardo Longo.

(Ottobre 1985).

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La Teoria Gaia

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 La Hipótesis Gaia afirma que las condiciones de la superficie de la Tierra son reguladas por las actividades de la vida

La Teoría Gaia

Por Alexis López Tapia
1996

http://www.accionchilena.cl/Ecofilosofia/lateoriagaia.htm

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R. Kjellen (1864-1922) (Franç.)

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Robert Steuckers

RUDOLF   KJELLEN 

1864-1922

Né le 13 juin 1864 dans la petite île de Torsoe au milieu du grand lac suédois de Voenern, Kjellen grandit dans une atmosphère tout empreinte de luthérisme. Il s'inscrit à l'Université d'Uppsala, ou le marque l'influence du Professeur Oscar Alin, une des têtes pensantes du mouvement conservateur suédois. En mai 1891, Kjellen est diplômé de sciences politiques et reçoit un poste de professeur à la nouvelle université de Goeteborg. Plus tard, outre les sciences politiques, il y enseigne la géographie. Cette circonstance a permis l'éclosion, chez lui, de cette synthèse entre les sciences politiques et la géographie qu'est la géopolitique. Influencé par le géographe allemand Friedrich Ratzel, il applique ses théories à la réalité suédoise (cf. Inledning till Sveriges geografi, 1900) et infléchit ses cours de sciences politiques à Goeteborg dans un sens géopolitique. En 1904, il visite les Etats-Unis avec ses étudiants et y est frappé par la qualité de l'espace nord-américain, différent et plus démesuré que l'espace européen. En 1905, Kjellen est élu au parlement de Stockholm. Désormais, à sa carrière de chercheur et de professeur, s'ajoute une carrière parallèle d'homme politique. Kjellen lutte pour que l'Union qui unit depuis 1814 la Norvège à la Suède ne se disloque pas. En vain. Le reste de sa carrière politique, il la consacre à lutter contre la bureaucratie et le socialisme et à faire passer des lois sur la démographie, la politique économico-sociale et la défense. De 1909 à 1917, il quitte la Chambre pour siéger au Sénat.

Son intérêt pour le Japon ne fait que croître au cours de ces années; il le visite en même temps que la Chine en 1909. Empruntant le transsibérien, il se rend physiquement compte de l'immensité territoriale sibérienne et centre-asiatique. A Pékin, il constate que les jours de la domination européenne en Chine sont comptés. Comparant ensuite les mentalités chinoise et japonaise, Kjellen écrit dans son journal de voyage: "L'ame du Japon est romantique tandis que celle de la Chine est réaliste-classique; l'ame du Japon est progressiste tandis que celle de la Chine est bureaucratique-conservatrice". De même, le rôle croissant de l'Etat au Japon induit Kjellen à le juger "socialiste" tandis que l'Etat chinois, peu interventionniste dans le domaine social, génère une société qui, en fin de compte, est libérale.

En 1913, alors que s'annonce la première guerre mondiale, Kjellen dresse un bilan des puissances qui entourent la Suède. Conclusion: l'Allemagne est l'alliée naturelle des Suédois, tandis que la Russie est leur adversaire depuis des siècles. Dans les débats qui vont suivre, Kjellen opte pour l'Allemagne. Avec bon nombre de professeurs et de philosophes allemands, il affirme que les idées de solidarité nationale, nées en 1914, refouleront les idées libérales/individualistes/universalistes de 1789. Au slogan révolutionnaire de "liberté, égalité, fraternité", Kjellen et ses homologues allemands opposent une autre triade, nationaliste et patriotique: "ordre, justice, fraternité".

En 1916, il est nommé professeur à Uppsala, à la chaire triplement centenaire de Johan Skytte. Au même moment, ses thèses géopolitiques et ses commentaires de l'actualité connaissent un succès croissant en Allemagne. A Uppsala, Kjellen rédige son ?uvre majeure Staten som livsform (L'Etat comme forme de vie) qui paraît en langue allemande en avril 1917 et connaît immédiatement un grand succès. C'est dans ce livre qu'il forge le terme de "géopolitique". Avant, on parlait, à la suite de Ratzel, de "géographie politique". Quand la guerre prend fin en 1918, Kjellen voit l'émergence de deux puissances planétaires: l'Angleterre et la Russie, "désormais gouvernée par une aristocratie de forme dégénérée, soit une oligarchie" et par une idéologie batarde, hégélienne dans sa forme et rousseauiste dans son contenu. A la même époque paraît un second ouvrage théorique majeur de Kjellen: Undersoekningar till politikens system  (Recherches sur le système de la politique), récapitulatif complet de ses idées en géopolitique. Pendant les quatre dernières années de sa vie, Kjellen visite plusieurs universités allemandes. Souffrant d'une angine de poitrine, il meurt le 14 novembre 1922 à Uppsala. Ses théories ont connu un impact très important en Allemagne, notamment dans l'école de Haushofer, d'Otto Maull, etc. En Suède, son principal disciple a été Edvard Thermaenius et, en Finlande, Ragnar Numelin (1890-1972). 

Les idées de 1914. Une perspective sur l'histoire mondiale(Die Ideen von 1914. Eine weltgeschichtlicher Perspektive), 1915

Cette brochure importante ne nous dévoile pas Kjellen en tant que théoricien de la géopolitique ou des sciences politiques, mais une réflexion générale sur les événements de 1914, que reprendront à leur compte les théoriciens de la géopolitique allemande des années 20 et 30 et les protagonistes de la "Révolution conservatrice". Kjellen base sa démonstration sur deux ouvrages: l'un de Werner Sombart (H?ndler und Helden;  "Les marchands et les héros"), l'autre de Johann Plenge (Der Krieg und die Volkswirtschaft;  "La guerre et l'économie politique"). Avec Sombart, il critique la triade de 1789, "Liberté, égalité, fraternité", instrument idéologique de la "bourgeoisie dégénérée par le commerce". La guerre en cours est davantage qu'une guerre entre puissances antagonistes: elle révèle l'affrontement de deux Weltanschauungen,  celle de 1789 contre celle, nouvelle et innovatrice, de 1914. La France et la Grande-Bretagne défendent par leurs armes les principes politiques (ou plutôt, anti-politiques) de la modernité libérale; l'Allemagne défend les idées nouvelles, nées en 1914 du refus de cette modernité libérale. Pour Kjellen, en 1914 commence le crépuscule des vieilles valeurs. Affirmation qu'il reprend du Danois Fredrik Weis (in Idealernes Sammenbrud;  "L'effondrement des idéaux"), pour qui les carnages du front signalent le crépuscule de l'idéalisme, l'effondrement de toutes les valeurs que la civilisation européenne avait portées au pinacle. Kjellen et Weis constatent l'effondrement de cinq jeux de valeurs fondamentales: 

1) l'idée de paix universelle; 

2) l'idéal humaniste de culture; 

3) l'amour de la patrie, qui, de valeur positive, s'est transformé en haine de la patrie des autres; 

4) l'idée de fraternité internationale portée par la sociale-démocratie; 

5) l'amour chrétien du prochain. 

Ce quintuple effondrement scelle la banqueroute de la civilisation chrétienne, transformée par les apports de 1789. Mais le premier idéologème ruiné par la conflagration de 1914 est en fait le dénominateur commun de tous ces idéaux: le cosmopolitisme, contraint de s'effacer au profit des faits nationaux. Les nationalismes prouvent par la guerre qu'ils sont des réalités incontournables. Leur existence peut provoquer la guerre mais aussi la coopération internationale. L'internationalisme n'exclut pas, aux yeux de Kjellen, l'existence des nations, contrairement au cosmopolitisme. L'internationalisme est une coopération entre entités nationales organiques, tandis que le cosmopolitisme est inorganique, de même que son corollaire, l'individualisme. Ce dernier connaît également la faillite depuis que les hostilités se sont déclenchées. 1914 inaugure l'ère de l'organisation et termine celle de l'anarchie individualiste, commencée en 1789. Désormais, l'individu n'a plus seulement des intérêts privés, il doit servir. Son orgueil stérile est terrassé, ce qui ne veut pas dire que les qualités personnelles/individuelles doivent cesser d'agir: celles qui servent bien l'ordre ou la collectivité demeureront et seront appelées à se renforcer. Romain Rolland a dit, signale Kjellen, que la guerre a dévoilé les faiblesses du socialisme et du christianisme. En effet, les soldats de toutes les puissances belligérantes se réclament de Dieu et non du Christ. Ce Dieu invoqué par les nouveaux guerriers est nationalisé; il est totémique comme Jéhovah aux débuts de l'histoire juive ou comme les dieux paiens (Thor/Wotan). Ce Dieu nationalisé n'est plus le Nazaréen avec son message d'amour. Ce panthéon de dieux uniques nationalisés et antagonistes remplace donc le messie universel. En dépit de cet éclatement du divin, il en reste néanmoins quelque chose de puissant. La paix avait été dangereuse pour Dieu: des hommes politiques avaient inscrit l'irreligion dans les programmes qu'ils s'efforçaient d'appliquer. Et si la guerre suscite l'apparition de dieux nationaux qui sèment la haine entre les peuples, elle déconstruit simultanément les haines intérieures qui opposent les diverses composantes sociales des nations. La guerre a transplanté la haine de l'intérieur vers l'extérieur. La paix sociale, la fraternité, l'entraide, les valeurs fraternelles du christianisme progressent, d'ou l'on peut dire que la guerre a accru dans toute l'Europe l'amour du prochain. En conséquence, ce qui s'effondre, ce sont de pseudo-idéaux, c'est l'armature d'une époque riche en formes mais pauvre en substance, d'une époque qui a voulu évacuer le mystère de l'existence.

Effondrement qui annonce une nouvelle aurore. La guerre est période d'effervescence, de devenir, ou se (re)composent de nouvelles valeurs. La triade de 1789, "Liberté, égalité, fraternité", est solidement ancrée dans le mental des anciennes générations. Il sera difficile de l'en déloger. Les jeunes, en revanche, doivent adhérer à d'autres valeurs et ne plus intérioriser celles de 1789, ce qui interdirait d'appréhender les nouvelles réalités du monde. La liberté, selon l'idéologie de 1789, est l'absence/refus de liens (l'Ungebundenheit, le Fehlen von Fesseln).  Donc la négation la plus pure qui empêche de distinguer le bien et le mal. Certes, explique Kjellen, 1789 a débarrassé l'humanité européenne des liens anachroniques de l'ancien régime (Etat absolu, étiquette sociale, église stérile). Mais après les événements révolutionnaires, l'idée quatre-vingt-neuvarde de liberté s'est figée dans l'abstraction et le dogme. Le processus de dissolution qu'elle a amorcé a fini par tout dissoudre, par devenir synonyme d'anarchie, de libertinisme et de permissivité (Gesetzlosigkeit, Sittenlosigkeit, Zoegellosigkeit).  Il faut méditer l'adage qui veut que la "liberté soit la meilleure des choses pour ceux qui savent s'en servir". La liberté, malheureusement, est laissée aux mains de gens qui ne savent pas s'en servir. D'ou l'impératif de l'heure, c'est l'ordre. C'est empêcher les sociétés de basculer dans l'anarchie permissive et dissolvante. Kjellen est conscient que l'idée d'ordre peut être mal utilisée, tout autant que l'idée de liberté. L'histoire est faite d'un jeu de systole et diastole, d'un rythme sinusoidal ou jouent la liberté et l'ordre. L'idéal suggéré par Kjellen est celui d'un équilibre entre ces deux pôles. Mais l'ordre qui est en train de naître dans les tranchées n'est pas un ordre figé, raide et formel. Il n'est pas un corset extérieur et n'exige pas une obéissance absolue et inconditionnelle. Il est un ordre intérieur qui demande aux hommes de doser leurs passions au bénéfice d'un tout. Kjellen ne nie donc pas le travail positif de l'idée de liberté au XVIIIième siècle mais il en critique la dégénérescence et le déséquilibre. L'idée d'ordre, née en 1914, doit travailler à corriger le déséquilibre provoqué par la liberté devenue permissive au fil des décennies. L'idée d'égalité a mené un combat juste contre les privilèges de l'ancien régime, issus du Moyen Age. Mais son hypertrophie a conduit à un autre déséquilibre: celui qui confine l'humanité dans une moyenne, ou les petits sont agrandis et les grands amoindris par décret. En fait, seuls les grands sont diminués et les petits restent tels quels. L'égalité est donc la "décollation de l'humanité". Kjellen défend l'idée nietzschéenne de surhumanité non parce qu'elle est orgueil mais plutôt parce qu'elle est humilité: elle procède du constat que le type humain moyen actuel est incapable d'accomplir toutes les vertus. Or ces vertus doivent être revivifiées et réincarnées: telle est la marque de la surhumanité qui s'élève au-dessus des moyennes imposées. Kjellen accepte le troisième terme de la triade de 1789, la fraternité, et estime qu'elle sera renforcée par la camaraderie entre soldats. Kjellen soumet ensuite la déclaration des droits de l'homme à une critique sévère: elle conduit au pur subjectivisme, écrit-il, et entrevoit les rapports humains depuis la "perspective de la grenouille". Il s'explique: l'homme quatre-vingt-neuvard, comme l'a démontré Sombart, veut recevoir de la vie et non lui donner ses efforts. Cette envie de recevoir, consignée in nuce  dans la déclaration des droits de l'homme, transforme l'agir humain en vulgaire commercialisme (obtenir un profit d'ordre économique) et en eudémonisme (avoir des satisfactions sensuelles). Depuis le début du XIXième siècle, la France et la Grande-Bretagne véhiculent cette idéologie commercialiste/eudémoniste, enclenchant ainsi le processus d'"anarchicisation" et de permissivité, tandis que la Prusse, puis l'Allemagne, ajoutent à l'idée des droits de l'homme l'idée des devoirs de l'homme, mettant l'accent sur la Pflicht  et l'"impératif catégorique" (Kant). Le mixte germanique de droits et de devoirs hisse l'humanité au-dessus de la "perspective subjectiviste de la grenouille", lui offrant une perspective supra-individuelle, assortie d'une stratégie du don, du sacrifice. L'idée de devoir implique aussitôt la question: "que puis-je donner à la vie, à mon peuple, à mes frères, etc.?". En conclusion, Kjellen explique que 1914 n'est pas la négation pure et simple de 1789; 1914 impulse de nouvelles directions à l'humanité, sans nier la justesse des contestations libertaires de 1789. Il n'est pas question, aux yeux de Kjellen et de Sombart, de rejeter sans plus les notions de liberté et d'égalité mais de refuser leurs avatars exagérés et pervertissants. Entre 1914 et 1789, il n'y a pas antinomie comme il y a antinomie entre l'ancien régime et 1789. Ces deux mondes axiologiques s'excluent totalement. Si l'ancien régime est la thèse, 1789 est son antithèse et la Weltanschauung  libérale qui en découle garde en elle toutes les limites d'une antithèse. Ce libéralisme n'aura donc été qu'antithèse sans jamais être synthèse. 1914 et l'éthique germanique-prussienne du devoir sont, elles, synthèses fructueuses. Or les mondes libéral et d'ancien régime sont également hostiles à cette synthèse car elle les fait disparaître tous deux, en soulignant leur caducité. C'est pourquoi les puissances libérales française et britannique s'allient avec la puissance russe d'ancien régime pour abattre les puissances germaniques, porteuses de la synthèse. La thèse et l'antithèse unissent leurs efforts pour refuser la synthèse. Les partisans de l'oppression et ceux de l'anarchie s'opposent avec un zèle égal à l'ordre, car l'ordre signifie leur fin. Les puissances libérales craignent moins l'absolutisme d'ancien régime car celui-ci est susceptible de s'inverser brusquement en anarchie. A l'ancienne constellation de valeurs de 1789, succédera une nouvelle constellation, celle de 1914, "devoir, ordre, justice" (Pflicht, Ordnung, Gerechtigkeit). 

Les problèmes politiques de la guerre mondiale (Die politischen Probleme des Weltkrieges), 1916

Dans l'introduction à cet ouvrage qui analyse l'état du monde en pleine guerre, Kjellen nous soumet une réflexion sur les cartes géographiques des atlas usuels: ces cartes nous montrent des entités étatiques figées, saisies à un moment précis de leur devenir historique. Or toute puissance peut croître et déborder le cadre que lui assignent les atlas. Au même moment ou croît l'Etat A, l'Etat B peut, lui, décroître et laisser de l'espace en jachère, vide qui appelle les énergies débordantes d'ailleurs. Kjellen en conclut que les proportions entre le sol et la population varient sans cesse. Les cartes politiques reflètent donc des réalités qui, souvent, ne sont plus. La guerre qui a éclaté en aout 1914 est un événement bouleversant, un séisme qui saisit l'individu d'effroi. Cet effroi de l'individu vient du fait que la guerre est une collision entre Etats, c'est-à-dire entre entités qui ont des dimensions quantitatives dépassant la perspective forcément réduite de l'individu. La guerre est un phénomène spécifiquement étatique/politique qui nous force a concevoir l'Etat comme un organisme vivant. La guerre révèle brutalement les véritables intentions, les pulsions vitales, les instincts de l'organisme Etat, alors que la paix les occulte généralement derrière toutes sortes de conventions. Dans la ligne de l'ouvrage qu'il est en train de préparer depuis de longues années (Staten som livsform)  et qui sortira en 1917, Kjellen répète son credo vitaliste: l'Etat n'est pas un schéma constitutionnel variable au gré des élections et des humeurs sociales ni un simple sujet de droit mais un être vivant, une personnalité supra-individuelle, historique et politique. Dans ses commentaires sur les événements de la guerre, Kjellen ne cache pas sa sympathie pour l'Allemagne de Guillaume II, mais souhaite tout de même rester objectif ("Amica Germania sed magis amica veritas"). 
Le livre aborde ensuite les grands problèmes géopolitiques de l'heure. Trois puissances majeures s'y affrontent, avec leur clientèle, des puissances de second ordre. Il y a l'Allemagne (avec ses clients: l'Autriche-Hongrie, la Turquie, la Bulgarie); ensuite l'Angleterre (avec la France, l'Italie, la Belgique et, dans une moindre mesure, le Japon); enfin, la Russie, avec deux minuscules clients, la Serbie et le Monténégro. Trois exigences géopolitiques majeures s'imposent aux Etats et à leurs extensions coloniales: 1) l'étendue du territoire; 2) la liberté de mouvement; 3) la meilleure cohésion territoriale possible. La Russie a extension et cohésion territoriale mais non liberté de mouvement (pas d'accès aux mers chaudes et aux grandes voies de communication océanique). L'Angleterre a extension territoriale et liberté de mouvement mais pas de cohésion territoriale (ses possessions sont éparpillées sur l'ensemble du globe). L'Allemagne n'a ni extension ni liberté de mouvement (la flotte anglaise verrouille l'accès à l'Atlantique dans la Mer du Nord); sa cohésion territoriale est un fait en Europe mais ses colonies ne sont pas soudées en Afrique. Reprenant les idées de son collègue allemand Arthur Dix, Kjellen constate que les tendances de l'époque consistaient, pour les Etats, à se refermer sur eux-mêmes et à souder leur territoire de façon à en faire un tout cohérent. L'Angleterre est ainsi passée d'une politique de la "porte ouverte" à une politique visant l'émergence de zones d'influence fermées, après avoir soudé ses possessions africaines de l'Egypte à l'Afrique du Sud (du Caire au Cap). Elle a tenté ensuite de mettre toute la région sise entre l'Egypte et l'actuel Pakistan sous sa coupe, se heurtant aux projets germano-turcs en Mésopotamie (chemin de fer Berlin-Bagdad-Golfe Persique). L'Allemagne qui n'a ni extension ni liberté de mouvement ni cohésion territoriale sur le plan colonial (quatre colonies éparpillées en Afrique plus la Micronésie dans le Pacifique). Elle a tenté, avec l'Angleterre, de souder ses colonies africaines au détriment des colonies belges et portugaises: un projet qui ne s'est jamais concrétisé. Pour Kjellen, le destin de l'Allemagne n'est ni en Afrique ni dans le Pacifique. Le Reich doit renforcer sa coopération avec la Turquie selon l'axe Elbe-Euphrate, créant une zone d'échanges économiques depuis la Mer du Nord jusqu'au Golfe Persique et à l'Océan Indien, chasse gardée des Britanniques. Les projets germano-turcs en Mésopotamie sont la principale pomme de discorde entre le Reich et l'Angleterre et, en fait, le véritable enjeu de la guerre, menée par Français interposés. La politique anglaise vise à fractionner la diagonale partant de la Mer du Nord pour aboutir au Golfe Persique, en jouant la Russie contre la Turquie et en lui promettant les Dardannelles qu'elle n'a de toute façon pas l'intention de lui donner car une présence russe dans le Bosphore menacerait la route des Indes à hauteur de la Méditerranée orientale.

A ces problèmes géopolitiques, s'ajoutent des problèmes ethnopolitiques: en gros, la question des nationalités. Le but de guerre de l'Entente, c'est de refaire la carte de l'Europe sur base des nationalités. L'Angleterre voit l? le moyen de fractionner la diagonale Mer du Nord-Golfe Persique entre Vienne et Istanboul. Les puissances centrales, elles, réévaluent le rôle de l'Etat agrégateur et annoncent, par la voix de Meinecke, que l'ère des spéculations politiques racisantes est terminée et qu'il convient désormais de faire la synthèse entre le cosmopolitisme du XVIIIième et le nationalisme du XIXième dans une nouvelle forme d'Etat qui serait supranationale et attentive aux nationalités qu'elle englobe. Kjellen, pour sa part, fidèle à ses principes vitalistes et biologisants, estime que tout Etat solide doit être national donc ethniquement et linguistiquement homogène. Le principe des nationalités, lancé dans le débat par l'Entente, fera surgir une "zone critique" entre la frontière linguistique allemande et la frontière de la Russie russe, ce qui englobe les Pays Baltes, la Biélorussie et l'Ukraine. Aux problèmes d'ordres géopolitique et ethnopolitique, il faut ajouter les problèmes socio-politiques. Kjellen aborde les problèmes économiques de l'Allemagne (développement de sa marine, programme du Levant, ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad) puis les problèmes de la Russie en matière de politique commerciale (la concurrence entre les paysannats allemand et russe qui empêche la Russie d'exporter ses produits agricoles vers l'Europe). La Russie veut faire sauter le verrou des Dardannelles pour pouvoir exporter sans entraves son blé et ses céréales d'Ukraine, seule manière d'assurer des boni à sa balance commerciale.

Kjellen approuve la politique conservatrice du Ministre britannique Chamberlain qui, en 1903, a évoqué une Commercial Union  autarcisante, protégée par la puissance maritime anglaise. Trois grandes zones se partageraient ainsi le monde: 1) l'Angleterre, avec le Canada, l'Australie et l'Afrique du Sud; 2) l'Allemagne, avec l'Autriche-Hongrie, la Fédération balkanique et la Turquie; 3) la "Panamérique". En Angleterre, la politique est portée par un paradoxe: ce sont les conservateurs qui défendent cette idée de progrès vers l'autarcie impériale qui implique aussi la non intervention dans les autres zones. La gauche, elle, est conservatrice: elle préfère une politique interventionniste bellogène dans les zones des autres. Kjellen explique ce renversement: le projet d'autarcie est peu séduisant sur le plan électoral tandis que celui de la pantarchie (du contrôle total du globe par l'Angleterre) excite la démagogie jingoiste. Chamberlain, en suggérant ses plans d'autarcie impériale, a conscience des faiblesses de l'Empire et du cout énorme de la machine militaire qu'il faut entretenir pour pouvoir dominer le globe.

Viennent ensuite les problèmes d'ordres constitutionnel et culturel. La guerre en cours est également l'affrontement entre deux modèles d'Etat, entre l'idéal politique anglais et l'idéal politique allemand. En Angleterre, l'individu prime l'Etat tandis qu'en Allemagne l'Etat prime l'individu. En Angleterre, l'objet de la culture, c'est de former des caractères; en Allemagne, de produire du savoir. A cela, les Allemands répondent que l'autonomie des caractères forts erre, sur l'espace culturel anglais, dans un monde de conventions figées et figeantes. Anglais et Français prétendent que l'Allemagne est une nation trop jeune pour avoir un style. Les Allemands rétorquent que leur masse de savoir permet un arraisonnement plus précis du monde et que leur culture, en conséquence, a plus de substance que de forme (de style). L'Angleterre forme des gentlemen alignés sur une moyenne, affirment les Allemands, tandis que leur système d'éducation forme des personnalités extrêmement différenciées se référant à une quantité de paramètres hétérogènes. L'Allemagne étant le pays des particularismes persistants, il est normal, écrit Kjellen, qu'elle prône un fédéralisme dans des "cercles" d'Etats apparentés culturellement et liés par des intérêts communs (Schulze-Gaevernitz) ou des "rassemblements organisés de forces ethniques homogènes contre les sphères de domination" (Alfred Weber). L'idée allemande, poursuit Kjellen, c'est le respect de la spécificité des peuples, quelle que soit leur importance numérique. C'est l'égalité en droit des nations à l'intérieur d'une structure politique de niveau supérieur, organisée par une nationalité dominante (comme en Autriche-Hongrie). Kjellen relie cette idée soucieuse du sort des spécificités à l'idée protestante militante du roi suédois Gustave-Adolphe, champion du protestantisme, pour qui "il fallait sauver la tolérance".

Le jeu se joue donc à trois: les Occidentaux, les Russes et les Centraux. Ou, comme il l'avait écrit dans Les idées de 1914, entre l'antithèse, la thèse et la synthèse. La guerre est également l'affrontement entre les idées de Jean-Jacques Rousseau et celles d'Immanuel Kant, entre l'insistance outrancière sur les droits et le sens équilibré des droits et des devoirs. Aux idées de Rousseau s'allient celles de Herbert Spencer, "commercialistes" et "eudémonistes", et celles, réactionnaires de Pobiedonostsev, tuteur des Tsars Alexandre III et Nicolas II. Le pur individualisme et l'oppression du pur absolutisme font cause commune contre l'ordre équilibré des droits et des devoirs, postulé par la philosophie de Kant et la praxis prussienne de l'Etat. 

L'Etat comme forme de vie (Staten som livsform), 1917

Ouvrage principal de l'auteur, ou il utilise pour la première fois le vocable de "géopolitique". Kjellen travaille à l'aide de deux concepts majeurs: la géopolitique proprement dite et la géopolitique spéciale. La géopolitique proprement dite est l'entité géographique simple et naturelle, circonscrite dans des frontières précises. Kjellen analyse les frontières naturelles montagneuses, fluviales, désertiques, marécageuses, forestières, etc. et les frontières culturelles/politiques créées par l'action des hommes. Le territoire naturel des entités politiques peut relever de types différents: types potamiques ou "circonfluviaux" ou "circonmarins". L'une des principales constantes de la géopolitique pratique, c'est la volonté des nations insulaires ou littorales de forger un pays similaire au leur en face de leurs côtes (exemple: la volonté japonaise de créer un Etat mandchou à sa dévotion) et de s'approprier un ensemble de territoires insulaires, de caps ou de bandes territoriales comme relais sur les principales routes maritimes. Kjellen étudie le territoire naturel du point de vue de la production industrielle et agricole et l'organisation politique et administrative. Kjellen souligne l'interaction constante entre la nation, le peuple et le pouvoir politique, interaction qui confère à l'Etat une dimension résolument organique.

Outre la géopolitique proprement dite, Kjellen se préoccupe de la géopolitique spéciale, c'est-à-dire des qualités particulières et circonstantielles de l'espace, qui induisent telle ou telle stratégie politique d'expansion. Kjellen examine ensuite la forme géographique de l'Etat, son apparence territoriale. La forme idéale, pour un Etat, est la forme sphérique comme pour l'Islande ou la France. Les formes longitudinales, comme celles de la Norvège ou de l'Italie, impliquent l'allongement des lignes de communication. Les enclaves, les exclaves et les corridors ont une importance capitale en géopolitique: Kjellen les analyse en détail. Mais de toutes les catégories de la géopolitique, la plus importante est celle de la position. Pour Kjellen, il s'agit non seulement de la position géographique, du voisinage, mais aussi de la position culturelle, agissant sur le monde des communications.

Le système de la géopolitique, selon Kjellen, peut être subdivisé comme suit: 

I. La Nation: objet de la géopolitique 

1. La position de la nation: objet de la topopolitique. 

2. La forme de la nation: objet de la  morphopolitique. 

3. Le territoire de la nation: objet de la  physiopolitique. 

II. L'établissement national: objet de l'écopolitique. 

1. La sphère de l'établissement: objet de  l'emporopolitique. 

2. L'établissement indépendant: objet de  l'autarchipolitique. 

3. L'établissement économique: objet de  l'économipolitique. 

III. Le peuple porteur d'Etat: objet de la démopolitique. 

1. Le peuple en tant que tel: objet de l'ethnopolitique. 

2. Le noyau de la population: objet de la  pléthopolitique. 

3. L'ame du peuple: objet de la psychopolitique. 

IV. La société nationale: objet de la sociopolitique. 

1. La forme de la société: objet de la phylopolitique. 

2. La vie de la société: objet de la biopolitique. 

V. La forme de gouvernement: objet de la cratopolitique. 

1. La forme de l'Etat: objet de la nomopolitique. 

2. La vie de l'Etat: objet de la praxipolitique. 

3. La puissance de l'Etat: objet de l'archopolitique.

La méthode de classification choisie par Kjellen, est de subdiviser chaque objet d'investigation en trois catégories: 1. l'environnement; 2. la forme; 3. le contenu. 

Les grandes puissances et la crise mondiale (Die Grossmaechte und die Weltkrise), 1921

Dernière version de ses études successives sur les grandes puissances, cette édition de 1921 ajoute une réflexion sur les résultats de la première guerre mondiale. L'ouvrage commence par un panorama des grandes puissances: l'Autriche-Hongrie, l'Italie, la France, l'Allemagne, l'Angleterre, les Etats-Unis, la Russie et le Japon. Kjellen en analyse l'ascension, la structure étatique, la population, la société, le régime politique, la politique étrangère et l'économie. Ses analyses des politiques étrangères des grandes puissances, dégageant clairement les grandes lignes de force, gardent aujourd'hui encore une concision opérative tant pour l'historien que pour l'observateur de la scène internationale. 

A la fin de l'ouvrage, Kjellen nous explique quels sont les facteurs qui font qu'une puissance est grande. Ni la superficie ni la population ne sont nécessairement des facteurs multiplicateurs de puissance (Brésil, Chine, Inde). L'entrée du Japon dans le club des grandes puissances prouve par ailleurs que le statut de grand n'est plus réservé aux nations de race blanche et de religion chrétienne. Ensuite, il n'y a aucune forme privilégiée de constitution, de régime politique, qui accorde automatiquement le statut de grande puissance. Il existe des grandes puissances de toutes sortes: césaristes (Russie), parlementaires (Angleterre), centralistes (France), fédéralistes (Etats-Unis), etc. La Grande Guerre a toutefois prouvé qu'une grande puissance ne peut plus se déployer et s'épanouir dans des formes purement anti-démocratiques. Le concept de grande puissance n'est pas un concept mathématique, ethnique ou culturel mais un concept dynamique et physiologique. Certes une grande puissance doit disposer d'une vaste territoire et de masses démographiques importantes, d'un degré de culture élevé et d'une harmonie de son régime politique, mais chacun de ces facteurs pris séparément est insuffisant pour faire accéder une puissance au statut de grand. Pour ce faire, c'est la volonté qui est déterminante. Une grande puissance est donc une volonté servie par des moyens importants. Une volonté qui veut accroître la puissance. Les grandes puissances sont par conséquent des Etats extensifs (Lamprecht), qui se taillent des zones d'influence sur la planète. Ces zones d'influence témoignent du statut de grand. Toutes les grandes puissances se situent dans la zone tempérée de l'hémisphère septentrional, seul climat propre à l'éclosion de fortes volontés. Quand meurt la volonté d'expansion, quand elle cesse de vouloir participer à la compétition, la grande puissance décroît, recule et décède politiquement et culturellement. Elle rejoint en cela les Naturvoelker,  qui ne mettent pas le monde en forme. La Chine est l'exemple classique d'un Etat gigantesque situé dans la zone tempérée, doté d'une population très importante et aux potentialités industrielles immenses qui déchoit au rang de petite puissance parce qu'il fait montre d'un déficit de volonté. Ce sort semble attendre l'Allemagne et la Russie depuis 1918.

Il existe deux types de grandes puissances: les économiques et les militaires. L'Angleterre et les Etats-Unis sont des grandes puissances plutôt économiques, tandis que la Russie et le Japon sont des grandes puissances plutôt militaires. La France et l'Allemagne présentent un mixage des deux catégories. La mer privilégie le commerce et la terre le déploiement de la puissance militaire, créant l'opposition entre nations maritimes et nations continentales. L'Angleterre est purement maritime et la Russie purement continentale, tandis que la France et l'Allemagne sont un mélange de thalassocratie et de puissance continentale. Les Etats-Unis et le Japon transgressent la règle, du fait que les uns disposent d'un continent et que l'autre, insulaire, serait plutôt porté vers l'industrialisme militariste (en Mandchourie). Les grandes puissances maritimes sont souvent des métropoles dominant un ensemble éparpillé de colonies, tandis que les grandes puissances continentales cherchent une expansion territorialement soudée à la métropole. L'Angleterre, les Etats-Unis, la France et l'Allemagne ont choisi l'expansion éparpillée, tandis que la Russie et le Japon (en s'étendant à des zones contigues situées autour de son archipel métropolitain) accroissent leur territoire en conquérant ou soumettant des pays voisins de leur centre.

L'histoire semble prouver que les empires éparpillés sont plus fragiles que les empires continentaux soudés: les exemples de Carthage, de Venise, du Portugal et de la Hollande. L'autarcie, l'auto-suffisance, semble être une condition du statut de grande puissance que remplissent mieux les empires continentaux, surtout depuis que le chemin de fer a accru la mobilité sur terre et lui a conféré la même vitesse que sur mer. Les leçons de la guerre mondiales sont donc les suivantes: la thalassocratie britannique a gagné la bataille, notamment parce qu'elle a fait usage de l'arme du blocus. Mais cette victoire de la puissance maritime ne signifie pas la supériorité de la thalassocratie: une Allemagne plus autarcique aurait mieux résisté et, en fin de compte, ce sont les masses compactes de territoires dominés par l'Angleterre qui ont permis aux Alliés de contrer les Centraux. 

Le facteur déterminant a donc été la Terre, non la Mer. L'idéal est donc de combiner facteurs maritimes et facteurs continentaux.  Faut-il conclure de cette analyse des grandes puissances que les petits Etats sont condamnés par l'histoire à ne plus être que les vassaux des grands? Non, répond Kjellen. Des petits Etats peuvent devenir grand ou le redevenir ou encore se maintenir honorablement sur la scène internationale. Exactement de la même façon que les petits ateliers se sont maintenus face  la concurrence des grandes fabriques. Les forts absorbent très souvent les faibles mais pas toujours. La résistance des faibles passe par la conscience culturelle et la force spirituelle. La pulsion centrifuge est aussi forte que la puissance centripète: l'idéal, une fois de plus, réside dans l'équilibre entre ces deux forces. L'idée de la Société des Nations y pourvoiera sans doute, conclut Kjellen. 
 


 

Bibliographie: 

Pour une bibliographie quasi complète, v. Bertil Haggman, Rudolf Kjellen, Geopolitician, Geographer, Historian and Political Scientist. A Selected Bibliography,  Helsingborg, Center for Research on Geopolitics, 1988 (adresse: Box 1412, S-25.114 Helsingborg, Suède). 

Oeuvres de Rudolf Kjellen: 

Hvad har Sverige vunnit genom unionen med Norge? Ett vøktarerop till svenska folket af Hbg, 1892; Underjordiska inflytelser pa jordytan - Om nivaf?røndringar, jordbøfningar och vulkaniska f?reteelser, 1893; Om den svenska grundlagens anda. Røttspsykologisk unders?kning, 1897; Den sydafrikanska fragan, 1898; Ur anteckningsboken. Tankar och stømningar, 1900; Inledning till Sveriges geografi, 1900; Kunna i var tid diplomati och konsulatvøsen skiljas?, 1903; Stormakterna. Konturer kring samtidens storpolitik, I-II, 1905, I-IV, 1911-1913 (avec nouvelle éd. des tomes I et II); Mellanpartiet. En fraga f?r dagen i svensk politik, 1910; Sveriges jordskalf. Foersoek till en seismik landgeografi, 1910; Sverige och utlandet, 1911; Den stora orienten. Resestudier i oestervøg, 1911; Den ryska faran, 1913; "Peter den stores testamenta". Historisk-politisk studie, 1914; Die Großmaechte der Gegenwart, 1914; Politiska essayer. Studier till dagskroenikan (1907-1913), 1914-1915; Die Ideen von 1914. Eine weltgeschichtliche Perspektive, 1915; Vørldskrigets politiska problem, 1915; Den endogena geografins system, 1915; Hvadan och hvarthøn. Tva f?reløsningar om vørldskrisen, 1915; Politiska handb?cker, I-IV, 1914-1917 (nouvelle éd., 1920); Die politischen Probleme des Weltkrieges, 1916; Staten som livsform, 1917; Studien zur Weltkrise, 1917; Schweden. Eine politische Monographie, 1917; Stormakterna och vørldskrisen, 1920; Grundriss zu einem System der Politik, 1920; Vørldspolitiken i 1911-1919 i periodiska oeversikter, 1920; Die Grossmaechte und die Weltkrise, 1921; Dreibund und Dreiverband. Die diplomatische Vorgeschichte des Weltkriegs, 1921; Der Staat als Lebensform, 1924; Die Grossmaechte vor und nach dem Weltkriege, 1930 (réédition posthume, commentée et complétée par Haushofer, Hassinger, Maull, Obst); Jenseits der Grossmaechte. Ergønzungsband zur Neubearbeitung der Grossmaechte Rudolf Kjellens, 1932 (réédition posthume patronnée par Haushofer); "Autarquìa", in Coronel Augusto B. Rattenbach, Antologia geopolitica, Pleamar, Buenos Aires, 1985. 

Sur Rudolf Kjellen: 

W. Vogel, "Rudol Kjellen und seine Bedeutung f?r die deutsche Staatslehre", in Zeitschrift f?r die gesamte Staatswissenschaft, 1925, 81, pp. 193-241; Otto Haussleiter, "Rudolf Kjelléns empirische Staatslehre und ihre Wurzeln in politischer Geographie und Staatenkunde", in Archiv fuer Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, 1925, 54, pp. 157-198; Karl Haushofer, Erich Obst, Hermann Lautensach, Otto Maull, Bausteine der Geopolitik, 1928; Erik Arrhén, Rudolf Kjellén och "unghoegern": Sammanstøllning och diskussion, Stockholm, Seelig, 1933; E. Therm?nius, Geopolitik och politisk geografi, 1937; A. Brusewitz, Fran Svedelius till Kjellén. Nagra drag ur den skytteanska lørostolens senare hist, 1945; Nils Elvander, Rudolf Kjellén och nationalsocialismen, 1956; Mats Kihlberg & Donald Suederlind, Tva studier i svensk konservatism: 1916-1922, Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1961; Nils Elvander, Harald Hjørne och konservatismen: Konservativ idédebatt i Sverige, 1865-1922,  Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1961; Georg Andrén, "Rudolf Kjellen", in David L. Sills (éd.), International Encyclopedia of the Social Sciences, vol. 8, The Macmillan Company & The Free Press, 1968; Ruth Kjellén-Bj?rkquist, Rudolf Kjellén. En mønniska i tiden kring sekelskiftet, 1970; Bertil Haggman, Rudolf Kjellen. Founder of Geopolitics, Helsingborg, 1988. 

V. aussi: 

Lucien Maury, Le nationalisme suédois et la guerre 1914-1918, Perrin, Paris, 1918; Richard Henning, Geopolitik. Die Lehre vom Staat als Lebewesen, 1931; Otto Maull, Das Wesen der Geopolitik, 1936; Robert Strausz-Hupé, Geopolitics. The Struggle for Space and Power, G.P. Putnam's Sons, New York, 1942; Robert E. Dickinson, The German Lebensraum, Penguin, Harmondsworth, 1943; Adolf Grabowsky, Raum, Staat und Geschichte. Grundlegung der Geopolitik, 1960; Hans-Adolf Jacobsen, Karl Haushofer - Leben und Werk -, 2 vol., Harald Boldt, Boppard am Rhein, 1979; Robert Steuckers, "Panorama théorique de la géopolitique", in Orientations, 12, 1990; Michel Korinman, Quand l'Allemagne pensait le monde. Grandeur et décadence d'une géopolitique, Fayard, Paris, 1990. 
 


 
 
 
Publié dans Vouloir n.9 printemps 1997

05:55 Publié dans Géopolitique, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 15 juin 2007

R. Kjellen (1864-1922) (Esp.)

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Rudolf Kjellen (1864-1922)

Robert Steuckers

Nacido el 13 de Junio de 1864 en la pequeña isla de Torsoe en medio de un gran lago sueco de Voenern, Kjellen crece en una atmósfera totalmente impronta de luteranismo. Se inscribe en la Universidad de Uppsala, donde lo marca la influencia del Profesor Oscar Alin, una de las cabezas pensantes del movimiento conservador sueco. En mayo de 1891, Kjellen es diplomado de ciencias políticas y recibe un puesto de profesor en la nueva universidad de Goeteborg. Más tarde, además de las ciencias políticas, enseña geografía.

Esta circunstancia permitió el surgimiento, de esta síntesis entre las ciencias políticas y la geografía que es geopolítica. Influenciada por el geógrafo alemán Friedrich Ratzel, aplica sus teorías a la realidad sueca (cf. Inledning till Sveriges geografi, 1900) y modifica sus cursos de ciencias políticas en Goeteborg en un sentido geopolítico. En 1904, visita los Estados Unidos con sus alumnos y es golpeado por la calidad del espacio norteamericano, diferente y más desmesurado que el espacio europeo. En 1905, Kjellen es elegido en el parlamento de Estocolmo.

Después, en su carrera de investigador y profesor, se suma una carrera paralela de hombre político. Kjellen lucha para que la Unión que unió desde 1814 a Noruega y a Suecia no se disloque. En vano. El resto de su carrera política, la consagró a luchar contra la burocracia y el socialismo y a aprobar las leyes sobre demografía, la política económico-social y la defensa. De 1909 a 1917, deja la Cámara para ocupar un escaño en el Senado.

Su interés por el Japón no hace más que crecer con el transcurso de estos años; lo visita al mismo tiempo que China en 1909. Prestado del transiberiano, físicamente se da cuenta de la inmensidad territorial siberiana y centro-asiática. En Pekín, constata que los días de dominación europea en China están contados. Comparando en seguida las mentalidades china y japonesa, Kjellen escribe en su diario de viaje: "El alma del Japón es romántica mientras que la de China es realista-clásica; el alma de Japón es progresista mientras que la de China es burocrática-conservadora."

Asimismo, la creciente función del Estado en el Japón induce a Kjellen a sentenciarla "socialista" mientras que el Estado chino, poco intervensionista en el dominio social, genera una sociedad que, a fin de cuentas, es liberal.

En 1913, mientras se anuncia la primera guerra mundial Kjellen formula un balance de potencias que rodean Suecia. Conclusión: Alemania es la aliada natural de los suecos, mientras que rusia es su adversario después de los siglos. En los debates que van a seguir, Kjellen opta por Alemania. Con un buen número de profesores y de filósofos alemanes, afirma que las ideas de solidaridad nacional, nacidas en 1914, rechazan las ideas liberales/individualistas/universalistas de 1789. En el slogan revolucionario de "libertad, igualdad, fraternidad", Kjellen y sus homólogos alemanes se oponen a otra tríade, nacionalista y patriótica: "orden, justicia, fraternidad."

Es nombrado profesor en Uppsala, en la cátedra triplemente centenaria de Johan Skytte. Al mismo tiempo, sus tesis geopolíticas y sus comentarios de la actualidad tienen un creciente éxito en Alemania. En Uppsala, Kjellen redacta su obra maestra Staten som livsform (El Estado como forma de vida) que aparece en alemán en abril de 1917 y tienen inmediatamente un gran éxito. Es en este libro donde inventa el término de "geopolítica". Antes, se hablaba, según Ratzel, de "geografía política".

Cuando la guerra toma fin en 1918, Kjellen ve el surgimiento de dos potencias planetarias: Inglaterra y Rusia, "además gobernada por una aristocracia de forma degenerada, ya sea una oligarquía" y por una ideología bastarda, hegeliana en su forma y rousseauísta en su contenido. En la misma época aparece una segunda obra maestra teórica de Kjellen: Undersoekningar till politikens system (Trabajos sobre el sistema de la política), recapitulación completa de sus ideas en geopolítica.

Durante los cuatro últimos años de su vida, Kjellen visita varias universidades alemana. Sufriendo de una angina de pecho, muere el 14 de noviembre de 1922 en Uppsala. Sus teorías tuvieron un impacto muy importante en Alemania, principalmente en la escuela de Haushofer, de Otto Maull, etc. En Suecia, su principal discípulo fue Edvard Thermaenius y, en Finlandia, Ragnar Numelin (1890- 1972)

LAS IDEAS DE 1914. UNA PERSPECTIVA SOBRE LA HISTORIA MUNDIAL, 1915

Este folleto importante no nos descubre a un Kjellen como teórico de la geopolítica o de las ciencias políticas, sino una reflexión general sobre los hechos de 1914, que tomarán en cuenta los teóricos de la geopolítica alemana de los años 20 y 30 y los protagonistas de la "Revolución conservadora". Kjellen basa su demostración en dos obras: una de Werner Sombart ("los comerciantes y los héroes"), la otra de Johann Plenge ("La guerra y la economía política"). Con Sombart, critica la tríada de 1789, "Libertad, igualdad, fraternidad", instrumento ideológico de la "burguesía degenerada por el comercio." La guerra en curso es mas prejudicial que una guerra entre potencias antagonistas: revela el enfrentamiento de dos Weltanschauungen, la de 1789 contra la nueva e innovadora de 1914.

Francia y Gran Bretala defienden con sus armas los principios políticos (o más bien, anti-políticos) de la modernidad liberal. Para Kjellen, en 1914 comienza el crepúsculo de los antiguos valores. La afirmación que retoma del danés Fredrik Weis ("La caída de los ideales"), para quien las carnicerías del frente señalan el crepúsculo del idealismo, la caída de todos los valores que la civilización europea había llevado al pináculo. Kjellen y Weis constatan la caída cinco juegos de valores fundamentales:

1. la idea de paz universal.

2. el ideal humanista de cultura.

3. el amor a la patria, que, de valor positivo, se ha transformado en odio a la patria de los otros.

4. la idea de fraternidad internacional llevada por la social-democracia;

5. el amor cristiano al prójimo.

Este quíntuple colapso sella la bancarrota de la civilización cristiana, transformada por los aportes de 1789. Pero la primera ideología arruinada por la conflagración de 1914 es de hecho el denominador común de todos estos ideales: el cosmopolita, obligado a ser eliminado en beneficio de los hechos nacionales. Los nacionalismos prueban por la guerra que son realidad inevitables. Su existencia puede provocar la guerra pero también la cooperación internacional. El internacionalismo no excluye, a los ojos de Kjellen, la existencia de las naciones, contrariamente al cosmopolitismo.

El internacionalismo es una cooperación entre las entidades nacionales orgánicas, mientras que el cosmopolitismo es inorgánico, del mismo modo que su corolario, el individualismo. Este último conoce igualmente la quiebra después que las hostilidades se desencadenaron. 1914 inaugura la era de la organización y termina la de la anarquía individualista, iniciada en 1789. Además, el individuo ya no tiene solo intereses privados, debe servir. Su orgullo estéril es derribado, lo que no puede decir que las cualidades personales/individuales deben dejar de aparentarse: las que sirven bien al orden o a la colectividad continuarán y serán llamados a reforzarse. Romain Rolland dijo, señala Kjellen, que la guerra descubrió las deficiencias del socialismo y el cristianismo. En efecto, los soldados de todas las potencias beligerantes se valen de Dios y no de Cristo. Aquel Dios invocado por los nuevos guerreros es nacionalizado; es totémico como Jehová en los principios de la historia judía o como los dioses paganos (Thor/Wotan). Este Dios nacionalizado ya no es el Nazareno con su mensaje de amor. Este panteón de dioses únicos nacionalizados y antagonistas reemplaza así al Mesías universal. A pesar de esta fragmentación de lo divino, queda no obstante algo poderoso. La paz había sido peligrosa para Dios: los hombres políticos habían asentado la irreligión en los programas que se esforzaban por explicar. Y si la guerra suscita la aparición de dioses nacionales que siembran el odio entre las personas, sustituyen simultáneamente a los odios internos que oponen a los diversos componentes sociales de las naciones. La guerra transplantó el odio del interior hacia el exterior.

La paz social, la fraternidad, la ayuda mutua, los valores fraternales del cristianismo progresan, se puede decir que la guerra incrementó en toda Europa el amor por el prójimo. En consecuencia, lo que se derriba, son los seudo-ideales, esta es la armadura de una época rica en formas pero pobre en sustancia, de una época que quiso evacuar el misterio de la existencia.

La caída que anuncia una nueva aurora. La guerra es un periodo de efervescencia, de futuro, o Europa se recompone de nuevos valores. La tríada de 1789, "Libertad, igualdad, fraternidad", está sólidamente anclada en la mente de las antiguas generaciones. Será difícil de expulsarla. Los jóvenes, por el contrario, deben adherir a otros valores y no interiorizarse más en las de 1789, ya que impedirían aprehender las nuevas realidades del mundo. La libertad, según la ideología de 1789, es la ausencia/rechazo de las ataduras. Así la negación más pura que impide distinguir el bien y el mal. Ciertamente, explica Kjellen, 1789 despejó la humanidad europea de los vínculos anacrónicos del antiguo régimen (Estado absoluto, etiqueta social, iglesia estéril). Pero luego de los hechos revolucionarios, la idea del ochenta y nueve de libertad se fijó en la abstracción y en el dogma. El proceso de disolución que inició terminó por disolverlo todo, para convertirse en sinónimo de anarquía, de libertinaje y de permisividad. Hay que meditar el adagio que quiere que la "libertad sea la mejor de las cosas para aquellos que saben servirse de ella. De allí el imperativo de la hora, es el orden. Esto es impedir que las sociedades caigan en la anarquía permisiva y disolvente. Kjellen es consciente que la idea de orden puede ser mal utilizada, tanto como la idea de libertad. La historia está compuesta de una serie de sístole y diástole, de un ritmo sinusoidal donde juegan la libertad y el orden.

El ideal sugerido por Kjellen es el de un equilibrio entre estos dos polos. Pero el orden que está naciendo en las trincheras no es un orden paralizado, austero y formal. No es un corsé exterior y no exige una obediencia absoluta e incondicional.

Es un orden interior que exige a los hombres dosificar sus pasiones en beneficio de un todo. Kjellen no niega así el trabajo positivo de idea de libertad del siglo XIX pero critica la degeneración y el desequilibrio. La idea de orden, nacida en 1914, debe trabajar para corregir el desequilibrio provocado por la libertad convertida en permisiva al final de los decenios. La idea de igualdad ha dirigido a un combate justo contra los privilegiados del antiguo régimen, procedentes de la edad Media.

Pero su hipertropía condujo a otro desequilibrio: el que confina la humanidad en un término medio, o los pequeños son engrandecidos y los grandes aminorados por decreto. De hecho, solo los grandes son disminuidos y los pequeños quedan tal cuales. La igualdad es por tanto "la decapitación de la humanidad". Kjellen defiende la idea nietzcheniana de la sobrehumanidad no por orgullo sino más bien por humildad: procede del balance de que el tipo humano medio actual es incapaz de cumplir todas las virtudes. Ahora bien estas virtudes deben ser revivificadas y reencarnadas: tal es la marca de la sobrehumanidad que se educa por encima de los promedios impuestos. Kjellen acepta el tercer término de la tríada de 1789, la fraternidad, y se estima que será reforzada por la camaradería entre los soldados. Kjellen expone luego la declaración de los derechos del hombre a una crítica severa: conduce al subjetivismo puro, escribe, y entreve las relaciones humanas desde la "perspectiva de la rana".

Explica: el hombre del ochenta y nueve, como lo demostró Sombart, quiere recibir de la vida y no darle sus esfuerzos. Estas ganas de recibir, consignada in nuce en la declaración de los derechos humanos, transforma el actuar humano en vúlgar comercialismo (obtener en beneficio del orden económico) y en eudemonismo (tener satisfacciones sensuales). Desde el principio del siglo XIX, Francia y Gran Bretaña vehiculan esta ideología comercial/eudemonista, poniendo en marcha así el proceso de anarquisación y de permisividad, mientras que Prusia, después de Alemania, agregan a la idea de los derechos del hombre la idea de los deberes del hombre, insistiendo en el Pflicht y el "imperativo categórico" (Kant). El mezcla germánica de derechos y deberes eleva a la humanidad por encima de la "perspectiva subjetivista de la rana", ofreciendo una perspectiva supra-individual, separada de una estrategia de don, de sacrificio. La idea de deber implica inmediatamente la pregunta: "¿qué puedo dar a la vida, a mi pueblo, a mis hermanos, etc.? En conclusión, Kjellen explica que 1914 no es la negación pura y simple de 1789; 1914 impulsa nuevas direcciones a la humanidad, sin negar la precisión de las disputas libertarias de 1789.

No hay problema, a los ojos de Kjellen y de Sombart, para rechazar sin más las nociones de libertad y de igualdad sino rechazar sus avatares exagerados y pervertidos. Entre 1914 y 1789, no existe una antinomia como existe entre el antiguo régimen y 1789. Estos dos mundos axiológicos se prohíben totalmente. Si el antiguo régimen es la tesis, 1789 es su antítesis y la Weltanschauung liberal que deriva vigilancia en ellas todos los límites de una antítesis. Este liberalismo habrá sido entonces solo una antítesis sin nunca ser una síntesis. 1914 y la ética germano-prusa del deber son, síntesis fructuosas. Por lo tanto, los mundos liberal y del antiguo régimen son igualmente hostiles a esta síntesis ya que las hace desaparecer a los dos, recalcando su caducidad. Esto se debe a que las potencias liberales francesa y británica se alían con la potencia rusa del antiguo régimen para derribar las potencias germánicas, portadoras de la síntesis. La tesis y la antítesis unen sus esfuerzos para rechazar la síntesis. Los partidarios de la opresión y los de la anarquía se oponen con un interés similar al orden, porque el orden significa su fin. Las potencias liberales amenazan menos al absolutismo del antiguo régimen porque esta es susceptible de invertirse bruscamente en anarquía. En la antigua constelación de valores de 1789, sucederá una nueva constelación, la de 1914, "deber, orden, justicia".

LOS PROBLEMAS POLÍTICOS DE LA GUERRA MUNDIAL, 1916

En la introducción de esta obra que analiza el estado del mundo en plena guerra, Kjellen nos expone una reflexión sobre los mapas geográficos de los atlas usuales: estos mapas nos muestran entidades estáticas fijas, capturadas en un momento proceso de su futuro histórico. Por tanto toda potencia puede crecer y superar el cuadro que le asignan los atlas. Al mismo tiempo en que crece el Estado A, el Estado B puede, disminuir y dejar el espacio en desierto, vacío que cita las energías desbordantes en otra parte. Kjellen concluye que las proporciones entre el suelo y la población varían sin cesar. Los mapas políticos reflejan así las realidades, que, a menudo, ya no lo son. La guerra que estalló en agosto de 1914 es un hecho conmovedor, un movimiento que atrapa al individuo de espanto. Este temor del individuo proviene del hecho que la guerra es una colisión entre los Estados, es decir, entre las entidades que tienen las dimensiones cuantitativas que sobrepasan la perspectiva fuertemente reducida del individuo. La guerra es un fenómeno específicamente estático/político que nos fuerza a concebir el Estado como un organismo viviente. La guerra revela bruscamente las verdaderas intenciones, los pulsos vitales, los instintos del organismo estado, mientras que la paz las oculta generalmente detrás de todos los tipos de convenciones. En la línea de la obra que está preparando desde hace muchos años y que se publicará en 1917, Kjellen repite su credo vitalista: El Estado no es un esquema constitucional variable a merced de las elecciones y de los humores sociales ni un simple sujeto de derecho sino un ser viviente, una personalidad supra-individual, histórica y política. En sus comentarios sobre los hechos de la guerra, Kjellen no oculta su simpatía por Alemania de Guillermo II, sino que desea sin embargo seguir objetivo. El libre aborda luego los grandes problemas geopolíticos de la hora. Tres potencias mayores se enfrenta, con su clientela, las potencias de segundo orden. Esta Alemania (con sus clientes: Austria-Hungría, Turquía, Bulgaria), luego Inglaterra (con Francia, Italia, Bélgica, y, en una menor medida, el Japón); al final, Rusia, con dos clientes minúsculos, Serbia y Montenegro.

Tres exigencias geopolíticas mayores se imponen a los Estados y a sus extensiones coloniales:

1) la extensión del territorio; 2) la libertad del movimiento, 3) la mejor cohesión territorial posible.

Rusia tiene la extensión y la cohesión territorial pero no la libertad de movimiento (no el acceso a los mares cálidos y a las grandes vías de comunicación oceánica). Inglaterra tiene la extensión territorial y la libertad de movimiento pero no cohesión territorial (sus posesiones están dispersas en el conjunto del globo). Alemania no tiene ni la extensión ni la libertad de movimiento (la flota inglesa bloquea el acceso al Atlántico en el Mar del Norte), su cohesión territorial es un hecho en Europa pero sus colonias no están encadenadas a África. Retomando las ideas de su colega alemán Arthur Dix, Kjellen constata que las tendencias de la época consistían, para los Estados, en encerrarse sobre ellos mismos y juntar su territorio haciendo un todo coherente. Inglaterra es así pasado de una política de la "puerta abierta" a una política que se enfoca en el surgimiento de las zonas de influencia cerradas, luego de haber reunido sus posesiones africanas de Egipto a África del Sur (del Cairo al Cabo). Es tentada luego de situar toda la región entre Egipto y el actual Pakistán bajo su copa, enfrentándose a los proyectos germano-turcos en Mesopotamia (ferrocarril Berlín-Bagdad-Golfo Pérsico). Alemania que no tiene ni la extensión ni la libertad de movimiento ni la cohesión territorial sobre el plano colonial (cuatro colonias dispersas en África más la Micronesia en el Pacífico). Tentó, con Inglaterra, de reunir sus colonias africanas en perjuicio de las colonias belgas y portuguesas: un proyecto que nunca fue concretizado. Para Kjellen, el destino de Alemania no está ni en África ni en el Pacífico. El Reich debe reforzar su cooperación con Turquía según el eje Elba-Eufrates creando una zona de intercambios económicos desde el Mar del Norte hasta el Golfo Pérsico y el Océano Indico, casería conservada de los británicos. Los proyectos germano-turcos en Mesopotamia son la principal manzana de la discordia entre el Reich e Inglaterra y, en efecto, la verdadera problemática de la guerra, dirigida por los Franceses intermediarios. La política inglesa busca fraccionar la diagonal que divide el Mar del Norte para acabar en el Golfo Pérsico, poniendo a Rusia contra Turquía y prometiéndole los Dardanelos que no tiene de todos modos la intención de dárselos ya que una presencia rusa en la Bósfora amenazaría la ruta de las Indias a la altura del Mediterráneo oriental.

A estos problemas geopolíticos, se añaden los problemas etnopolíticos: en líneas generales, la cuestión de las nacionalidades. El objetivo de la guerra de Entente, es rehacer el mapa de Europa sobre la base de las nacionalidades. Inglaterra ve el medio de fraccionar la diagonal Mar del Norte-Golfo Pérsico entre Viena y Estambul.

Los poderes centrales, reevalúan la función del Estado agregado y anunciante, por la voz de Meinecke, que la era de las especulaciones políticas había terminado y que conviene por tanto hacer la síntesis entre el cosmopolitismo del siglo XVIII y el nacionalismo del siglo XIX en una nueva forma de estado que era supranacional y atenta a las nacionalidades que abarca. Kjellen, por su parte, fiel a sus principios vitalistas y biólogos, estima que todo Estado sólido debe ser nacional por tanto étnicamente y lingüísticamente homogéneo. El principio de las nacionalidades, lanzado en el debate por la Entente, hará surgir una "zona crítica" entre la frontera lingüística alemana y la frontera de la Rusia rusa, lo que abarca los Países Bálticos, la Bielorrusia y Ucrania. A los problemas de órdenes geopolítico y etnopolítico, se debe añadir los problemas socio-políticos. Kjellen aborda los problemas económicos de Alemania (desarrollo de su marina, programa de Levant, línea de ferrocarril Berlín-Bagdad) luego los problemas de Rusia en materia de política comercial (la competencia entre el campesinado alemán y ruso que impide a Rusia exportar sus productos agrícolas hacia Europa). Rusia quiere hacer saltar el cerrojo de los Dardanelos para poder exportar sin obstáculos su trigo y sus cereales de Ucrania, única manera de asegurar del resto a su balanza comercial.

Kjellen aprueba la política conservadora del Ministro británico Chamberlain que, en 1903, evocó una Unión Comercial autárquica, protegida por la potencia marítima inglesa. Tres grandes zonas de repartirían así el mundo: 1) Inglaterra, con Canadá, Australia y Africa del Sur, 2) Alemania, con Austria-Hungría, la Federación balcánica y Turquía; 3) la "Panamérica". En Inglaterra, la política es guiada por una paradoja: son los conservadores que defienden esta idea hacia la autarquía imperial que implica también la no intervención en las otras zonas. La derecha, es conservadora: prefiere una política intervensionista en las zonas de otros. Kjellen explica esta caída: el proyecto de autarquía es poco atractivo sobre el plano electoral mientras que el de la pantarquía (del control total del mundo por Inglaterra) estimula la demagogia jingoísta. Chamberlain, sugiriendo sus planes de autarquía imperial, es conciente de las debilidades del Imperio y del enorme costo de la máquina militar que se debe mantener para poder dominar el mundo.

Vienen en seguida los problemas de ordenes constitucionales y culturales. La guerra en curso es igualmente la confrontación entre dos modelos de Estado, entre el ideal político inglés y el ideal político alemán. En Inglaterra, el individuo prima al Estado mientras que en Alemania el Estado prima al individuo. En Inglaterra, el objeto de la cultura, es formar caracteres; en Alemania, producir del saber. A esto, los alemanes responden que la autonomía de los caracteres fuertes se equivocan, sobre el espacio cultural inglés, en un mundo de convenciones fijas y paralizantes.

Los ingleses y franceses afirman que Alemania es una nación muy joven para tener un estilo. Los alemanes replican que su masa de saber permite la inspección de un barco más exacto del mundo y su cultura, en consecuencia, tienen más sustancia que forma (DE ESTILO). Inglaterra forma caballeros alineados en un promedio, afirman los alemanes, mientras que su sistema de educación forma personalidades extremadamente diferenciadas refiriéndose a una cantidad de parámetros heterogéneos. Alemania siendo el país de los particularismos persistentes, es normal, escribe Kjellen, que recomienda un federalismo en los "círculos" de Estados aparentemente culturales y ligados por intereses comunes o "aparentemente" organizados por fuerzas étnicas homogéneas contra las esferas de dominación" (Alfred Weber). La idea alemana, prosigue Kjellen, es el respeto de la especificidad de los pueblos, cualquiera que fuera su importancia numérica. Esta es la igualdad en derecho de las naciones al interior de una estructura política de nivel superior, organizada por una nacionalidad dominante (como en Austria-Hungría). Kjellen conecta esta idea inquieta del tipo de especificidades a la idea protestante militante del rey sueco Gustavo Adolfo, campeón del protestantismo, por el cual "se debía salvar la tolerancia".

El juego entonces se juega de tres: los Occidentales, los rusos y los centrales. O, como lo había escrito en Las ideas de 1914, entre la antitesis, la tesis y la síntesis. La guerra es igualmente el enfrentamiento entre las ideas de Jean-Jacques Rousseau y las de Immanuel Kant, entre la insistencia excesiva sobre los derechos y el sentido equilibrado de los derechos y los deberes. A las ideas de Rousseau se unen las de Herbert Spencer, "comercialistas" y "eudemonistas", y las reaccionarias de Pobiedonostev, tutor de los Zares Alejandro III y Nicolás II. El individualismo puro y la opresión del puro absolutismo hacen causa común contra el orden equilibrado de los derechos y deberes, postulado por la filosofía de Kant y la praxis prusiana del Estado.

EL ESTADO COMO FORMA DE VIDA, 1917

La obra principal del autor, donde él utiliza por primera vez el vocablo de "geopolítica". Kjellen trabaja con la ayuda de dos conceptos mayores: la geopolítica propiamente dicha y la geopolítica especial. La geopolítica propiamente dicha es la entidad geográfica simple y natural, circunscrita en las fronteras precias. Kjellen analiza las fronteras naturales montañosas, fluviales, desérticas, pantanosas, forestales, etc, y las fronteras culturales/políticas creadas por la acción de los hombres. El territorio natural de las entidades políticas pueden pertenecer tipos diferentes: tipos potámicos o "circunfluviales" o "circunmarinos". Una de las principales constantes de la geopolítica práctica, es la voluntad de las naciones insulares o litorales de forjar un país similar al que está frente a sus costas (ejemplo: la voluntad japonesa de crear un Estado manchú en su devoción) y apropiarse un conjunto de territorios insulares, de cabos o de franjas territoriales como paradas en las principales rutas marítimas. Kjellen estudia el territorio natural desde el punto de vista de la producción industrial y agrícola y la organización política y administrativa.

Kjellen subraya la interacción constante entre la nación, el pueblo y el poder político, interacción que confiere al estado una dimensión decididamente orgánica. Además de la geopolítica propiamente dicha, Kjellen se preocupa de la geopolítica especial, es decir de las cualidades particulares y circunstanciales del espacio, que inducen a tal o tal estrategia política de expansión. Kjellen luego examina la forma geográfica del estado, su apariencia territorial. La forma ideal, para un Estado, es la forma esférica como para Islandia o Francia. Las formas longitudinales, como las de Noruega o Italia, implican la extensión de las líneas de comunicación. Los enclaves, las exclaves y los corredores tienen una importancia capital en geopolítica: Kjellen las analiza en detalle. Pero de todas las categorías de la geopolítica, la más importante es la de la posición. Para Kjellen, se trata no solo de la posición geográfica, de la vecindad, sino también de la posición cultural, actuando sobre el mundo de las comunicaciones.

El sistema de la geopolítica, según Kjellen, puede estar dividido como sigue:

I. La Nación: objeto de la geopolítica.

1. La posición de la nación: objeto de la topopolítica.

2. La forma de la nación: objeto de la morfopolítica.

3. El territorio de la nación: objeto de la fisiopolítica.

II. El establecimiento nacional: objeto de la ecopolítica.

1. La esfera del establecimiento: objeto de la emporopolítica.

2. El establecimiento independiente: objeto de la autarquipolítica.

3. El establecimiento económico: objeto de la economipolítica.

III. El pueblo portador del Estado: objeto de la demopolítica.

1. El núcleo de la población: objeto de la pletopolítica.

2. El alma del pueblo: objeto de la psicopolítica.

IV. La sociedad nacional: objeto de la sociopolítica.

1. La forma de la sociedad: objeto de la filopolítica.

2. La vida de la sociedad: objeto de la biopolítica.

V. La forma de gobierno: objeto de la cratopolítica.

1. La forma de Estado: objeto de la nomopolítica.

2. La vida del Estado: objeto de la praxiopolítica.

3. El poder del Estado: objeto de la arcopolítica.

El método de clasificación elegido por Kjellen, es subdividir cada objeto de investigación en tres categorías: 1. medio ambiente; 2. la forma; 3. el contenido.

LOS GRANDES PODERES Y LA CRISIS MUNDIAL, 1921

Ultima versión de sus estudios sucesivos sobre los grandes poderes, esta edición de 1921 añade una reflexión sobre los resultados de la primera guerra mundial. La obra empieza por un panorama de los grandes poderes: Austria-Hungría, Italia, Francia, Alemania, Inglaterra, los Estados Unidos, Rusia y Japón. Kjellen analiza la ascensión, la estructura estática, la población, la sociedad, el régimen político, la política extranjera y la economía. Sus análisis de las políticas extranjeras de los grandes poderes, destacan claramente las grandes líneas de fuerza, incluso actualmente guardan una concisión operativa tanto por el historiador como por el observador de la escena internacional.

Al final de la obra, Kjellen nos explica cuáles son los factores que hacen que una potencia sea grande. Ni la superficie ni la población son necesariamente factores multiplicadores de poder (Brasil, China, India). La entrada del Japón en el club de las grandes potencias prueba por otro lado que el status de grande ya no están reservada a las naciones de raza blanca y de religión cristiana. Por tanto, no existe ninguna forma privilegiada de constitución, de régimen político, que concede automáticamente el status de gran potencia. Existen grandes potencias de todos tipos: cesaristas (Rusia), parlamentarias (Inglaterra), centralistas (Francia), federalistas (Estados Unidos), etc. La Gran Guerra no obstante ha probado que una gran potencia ya no puede desplegarse y florecer en las formas puramente antidemocráticas.

El concepto de gran potencia no es un concepto matemático, étnico o cultural sino un concepto dinámico y fisiológico. Ciertamente, una gran potencia debe disponer de un vasto territorio de masas demográficas importantes, de un grado de cultura elevado y de una armonía de su régimen político, pero cada uno de sus factores tomados por separado es insuficiente para hacer acceder una potencia al estatus de grande.

Para ello, es la voluntad la determinante. Una gran potencia es por tanto la voluntad servida por los medios importantes. Una voluntad que quiera acrecentar el poder. Las grandes potencias son en consecuencia Estados extensivos, que se tallan en zonas de influencia sobre el planeta. Estas zonas de influencia demuestran el status de grande. Todas las grandes potencias se sitúan en la zona temperada del hemisferio septentrional, único clima limpio para el florecimiento de fuertes voluntades. Cuando la voluntad de expansión muere, cesa el hecho de querer participar en la competencia, la gran potencia decrece, retrocede y fallece políticamente y culturalmente. Se reincorpora a este los Naturvoelker, que no ponen el mundo en forma. China es el ejemplo clásico de un Estado gigantesco situado en la zona temperada, dotada de una población muy importantes y a las potencialidades industriales inmensas que pierde los privilegios al rango de la pequeña potencia, ya que muestra un déficit de voluntad. Este tipo parece prever Alemania y Rusia desde 1918.

Existen dos tipos de grandes potencias: las económicas y las militares. Inglaterra y los Estados Unidos son grandes potencias más bien económicas, mientras que Rusia y Japón son grandes potencias más bien militares. Francia y Alemania presentan una mezcla de dos categorías: el mar privilegiado, el comercio y la tierra, el despliegue del poder militar, creando la oposición entre nacionales marítimas y naciones continentales. Inglaterra es puramente marítimo y Rusia puramente continental, mientras que Francia y Alemania son una combinación de talasocracia y de poder continental. Los Estados Unidos y el Japón transgreden la regla, de modo que unos dispongan de un continentes y que el otro, insular, sea llevado más bien hacia el industrialismo militarista (en Manchuria). Las grandes potencias marítimas son con frecuencia metrópolis que dominan a un grupo diseminado de colonias, mientras que las grandes potencias continentes buscan una expansión territorialmente conectada a la metrópolis. Inglaterra, Estados Unidos, Francia y Alemania han elegido la expansión diseminada, mientras que Rusia y el Japón (extendiéndose a zonas contiguas situadas alrededor de su archipiélago metropolitano) incrementan su territorio conquistando o sometiendo países vecinos de su centro.

La historia parece probar que los imperios dispersos son más frágiles que los imperios continentales contiguos: los ejemplos de Cartago, Venecia, Portugal y Holanda. La autarquía, la autosuficiencia, parece ser una condición de estatus de gran poder que representan mejor los imperios continentales, sobretodo desde que el ferrocarril incrementó la movilidad sobre la tierra y le confirió la misma velocidad que en el mar. Las lecciones de las guerras mundiales son por tanto las siguientes: la talasocracia británica ganó la batalla notablemente porque hizo uso del arma del bloqueo. Pero esta victoria de la potencia marítima no significa la superioridad de la talasocracia: una Alemania más autárquica sería mejor resistida y, a fin de cuentas, son las masas compactas de territorios dominados por Inglaterra que han permitido a los Aliados oponerse a los Centrales. El factor determinante por tanto fue la Tierra, no el Mar. El ideal es entonces combinar factores marítimos y factores continentales.

¿Se debe concluir de este análisis de las grandes potencias que los pequeños Estados están condenados por la historia a no ser más que los vasallos de los grandes? No, responde Kjellen. Los pequeños estados pueden convertirse en grandes o volver a convertirse o incluso mantenerse honorablemente en la escena internacional. Exactamente de la misma forma que los pequeños talleres se mantuvieron frente a la competencia de las grandes fábricas. Los fuertes absorben con mucha frecuencia a los débiles pero no siempre. La resistencia de los débiles pasa por la conciencia cultural y la fuerza espiritual. La pulsión centrífuga es tan fuerte como el poder centrípeto: el ideal, una vez más, reside en el equilibrio entre estas dos fuerzas. La idea de la Sociedad de las Naciones la suministrará sin duda, concluye, Kjellen.

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Regard sur le scepticisme

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Regard sur le scepticisme: des Grecs au Grand siècle

Communication de Robert Steuckers au Colloque de SYNERGIES EUROPÉENNES-France, Metz, 26 juin 1999

Le scepticisme est un courant philosophique qui se manifeste tou­jours postérieurement à la domination de grands systèmes con­ceptuels, tout comme il pourrait s’opposer aujourd’hui à une idéologie dominante, à des constellations politiques répétées à la suite d’élec­tions-spectacle, à une vulgate imposée et martelée à satiété par les médias.

Refuser la logique de l’oeil unique

L’étymologie du terme “scepticisme” est intéressante, selon Lambros Couloubaritsis. En grec, nous explique-t-il, skeptomai désigne le regard attentif —appréhendeur et curieux— qui porte vers deux ou plusieurs directions possibles et non pas un regard fixe —fixé une fois pour toutes— ne portant que dans une et une seule direction. Nietzsche a retenu cette leçon: la pluralité des regards est né­ces­saire; il l’exprime notamment dans Généalogie de la morale. Sarah Kofman nous le rappelle et l’explique clairement: Nietzsche refuse la logique de l’oeil unique (cyclopéen), il veut toujours voir autrement. Celui qui dit “raison pure”, “spiritualité absolue”, “connaissance en soi”, n’a qu’un seul oeil, ne jette qu’un seul regard qui ne doit pas avoir de directions (au pluriel!), ne doit pas pivoter sur lui-même, scruter, fouiller l’horizon, changer de perspective. Pour appréhender le monde dans toutes ses facettes, il faut avoir plus d’yeux, autant d’yeux que d’affects, sinon, dit Nietzsche, on châtre l’intelligence (des sceptiques grecs à Nietzsche, la pensée européen­ne opte pour une approche plurilogique).

Dans l’histoire de la philosophie grecque, le scepticisme arrive après trois étapes majeures:

1. Celle de Socrate, qui évoque deux possibilités: l’homme raisonne et choisit la meilleure option de l’alternative.

2. Celle de Platon qui opte pour la dialectique qui débouche sur un seul choix possible.

3. Celle d’Aristote, qui hérite de la dialectique de Platon, évoque une multiplicité de choix, mais où, finalement, un seul choix est le bon.

Pyrrhon d’Elis (365-275), premier exposant du scepticisme grec, estime que cette obligation philosophique de déboucher sur un seul choix constitue une fausse route pour la pensée (“A” ou “Non-A”). Pour Pyrrhon, aucun choix tranché n’est finalement pertinent, car, ainsi, on exclut toujours de sa démarche ou de sa spéculation une multitude de pans du réel. On les ignore. On refuse les potentialités qu’ils recèlent en jachère. Un choix tranché est toujours mutilation du réel pour le père de l’école sceptique. Le risque d’une telle position est l’indécision. L’avantage qu’elle offre, en revanche, est de pouvoir tenir compte d’un maximum de paramètres, et, partant, de ne pas se laisser surprendre par des paquets d’imprévus, de faits de monde que le dogmatique aurait banni de son horizon. Puis de décider en meilleure connaissance de cause.

Pyrrhon d’Elis en Inde

Pyrrhon d’Elis est en quelque sorte l’héritier des sophistes, qui furent les premiers sceptiques, car ils n’accordaient aucune valeur privilé­giée à leur choix, mais optaient pour le choix qui les arrangeaient hic et nunc, sans que ce choix ne revête un statut de vérité. Pyrrhon d’Elis a accompagné Alexandre le Grand jusqu’en Inde. Il a vrai­sem­blablement eu des contacts avec la pensée indienne, plus plastique, plus moulée sur la pluralité intrinsèque du monde. Sa position de ba­se est une méfiance à l’endroit de toute domination de la rhétorique, tout comme notre scepticisme contemporain devrait être une méfian­ce à l’endroit de tout discours et de toute image médiatique.

Ensuite, Pyrrhon se méfie des jugements de valeur, car, en les énon­çant, le penseur, le locuteur, le médiateur ajoute(nt) derechef un pré­dicat à la chose, qui ne lui appartient pas en propre. La chose est dé­cré­tée belle ou laide, juste ou injuste, bonne ou mauvaise, sans que l’on ne puisse fondamentalement prouver qu’elle l’est. La Serbie de Mi­losevic ou l’Irak de Saddam sont décrétés laid(e), injuste et mau­vais(e), sans que ce jugement de valeur, asséné sans interruption, ne puisse être corroboré (dans les médias américains, on parle de “Ro­gue states”, en allemand de “Schurkenstaten”). Pour Pyrrhon, le sage doit suspendre ce type de jugement, pratiquer l’epochè. Un prédicat, aux yeux de Pyrrhon, est toujours subjectif, toujours dérivé de con­ven­tions qui me sont propres, qui sont le propre de mon environne­ment culturel, de mes circonstances, mais qui ne peuvent se greffer sans dégâts sur une réalité autre. L’adjonction de prédicats à la cho­se constitue donc toujours une oblitération. Par le collage de pré­di­cats, le dogmatique affirme qu’une chose possède des attributs, alors qu’elle ne les possède pas en propre. Il nie également, en survalo­ri­sant tel ou tel prédicat, la valeur intrinsèque de toutes les autres qua­lités de la chose (dans les cas aujourd’hui médiatisés de la Serbie et de l’Irak, on focalise l’attention des masses de téléspectateurs ou d’au­diteurs sur une définition plaquée, subjective, arbitraire, fabri­quée, et non pas sur l’histoire plurimillénaire ou pluriséculaire du pays, sur sa configuration géographique ou hydrographique, etc., c’est-à-dire sur les phénomènes réels et concrets qui le constituent). Conclusion: les jugements de valeur ne rendent pas objectivement compte du réel. Le sage doit donc être indifférent à ces jugements de valeur (adiaphoria) et partir du principe de l’équipotence des phéno­mènes, où les phénomènes sont jaugés avec équité.

Regard aigu, vitalisme implicite

Pour l’optique pyrrhonienne, seule la Vie dans son ensemble a du sens. Diogène Laërce dit de Pyrrhon: “Il a pris la vie pour guide”. Le scepticisme est ainsi, non seulement un regard plus aigu porté sur les choses du monde, mais un vitalisme implicite (que nous re­ven­diquons par ailleurs). Le vitalisme pyrrhonien s’oppose à tout dogma­tisme car les dogmatiques ne cessent de disserter sur ce que de­vraient être les choses en soi, sans jamais percevoir tangiblement cet en soi et en oubliant ce qu’est phénoménalement la chose dans ces multiples facettes. Pyrrhon réclame dès lors un retour délibéré à l’ex­périence et à la vie (ce qui nous rappelle la Leiblichkeit de Nietzsche, la corporéité).

Le pari sur la Vie va de paire avec un pari pour le plaisir. Mais celui-ci ne s’obtient que si l’on s’abstrait de tout trouble, de tout tracas inutile, de toute fausse question. L’epochè sert à se débarrasser de ces troubles et tracas; il faut suspendre l’impact qu’ils ont sur nous, car sinon nous nous cassons la tête pour résoudre ou concrétiser des chimères intellectuelles. L’absence de trouble se dit en grec: ataraxia, état d’âme optimal, où l’on se détache des fausses querelles, des problèmes sans objet, etc. Face aux variantes politiciennes de l’idéologie dominante contemporaine, nous proposerions également une ataraxia, tout comme Evola, dans le monde en ruines de notre après-guerre, avait proposé une apolitéia, attitude de l’”homme différencié”. Les querelles au sein de la gauche ou de la droite ne résolvent nullement les problèmes de fond de notre société. Ces disputes entre deuxième gauche et troisième gauche, réalos et fundis chez les Verts allemands, belges ou français, etc. trahissent plutôt des problèmes de personnes et non des problèmes concrets.

Seul un esprit libre sait rire

Alexis Philonenko nous rappelle la leçon qu’a tirée Nietzsche de sa lecture de Pyrrhon et de Sextus Empiricus: “Se taire et rire”. Le philosophos, cuistre à la pensée rigide et démontrée une fois pour toutes, nous dit, en fronçant les sourcils, que l’on ne peut rire des valeurs intangibles, irréductibles, non renversables (des droits de l’homme, de la République, de la communauté occidentale des valeurs ou de l’OTAN, son bras armé, etc.). Pyrrhon et Nietzsche, au contraire, nous enseignent et nous enjoignent à en rire à gorge déployée, car, à travers le rire, souffle le vent de la liberté. Voilà pourquoi seul un esprit libre sait rire.

Pyrrhon était originaire d’Elis, d’où était également venu Hippias, illustre sophiste. Hippias était un empiriste absolu: pour lui, il n’y avait pas d’êtres intelligibles en dehors des manifestations sensibles des objets. Pyrrhon avait rencontré Anaxarque, disciple de l’atomiste Démocrite et de Protagoras, pour qui toute théorie de la perception borne toute réalité à la réalité sensible et à la relation phénoménale; pour Protagoras, il était illusoire de prétendre voir ou saisir la “vraie nature” des choses.

Pyrrhon nous a donc enseigné

- à discerner le noyau d’une chose (sa phénoménalité au-delà de tous les discours construits);

- à admettre qu’on ne peut l’appréhender in extenso, dans toutes ses facettes, et surtout, dans toutes les potentialités qu’elle recèle. La cho­se reste toujours obscure (adhla). Je ne peux donc jamais affir­mer qu’une chose est telle ou telle, mais nous est seulement connue par le truchement de représentations relatives à la situation, aux cir­constances (tropos). Le scepticisme conduit à percevoir la relativité de toute chose.

- à rechercher quel bénéfice, quel avantage, stratégique ou autre, je puis tirer de ce regard que je pose sur la chose qui m’apparaît sans jamais se révéler entièrement? Le scepticisme déploie là une stra­tégie vitale concrète, sereine, libre d’affects incapacitants (apa­thie).

Créons une ataraxie a-médiatique

Les autres figures du scepticisme antique sont

- Timon de Phlionte (320-230), dont le penchant pour la dive amphore était légendaire, provoquant une verve endiablée contre les dogmatiques,

- Aenésidème le Crétois et

- Sextus Empiricus.

Aenésidème énonce une théorie de la diversité irréductible du monde et de la relativité de toutes nos perceptions et sensations, vu que les circonstances et les lieux modifient sans cesse les perspectives. Sex­tus Empiricus (IIième et IIIième siècles ap. J.C.) a vécu en plein effervescence religieuse du Bas-Empire. Il se proclame disciple de Pyrrhon d’Elis et rédige des “esquisses pyrrhoniennes” ou Hypo­typoses pyrrhoniennes. Sextus Empiricus, médecin de son état, explique qu’aucun argument des zélotes religieux n’est valable en soi. Le risque d’une telle position est le conformisme, mais au­jourd’hui un rejet de toutes les lunes médiatiques ne saurait dé­boucher sur le conformisme. Sans cesse, les médias sollicitent artifi­ciellement nos émotions; un scepticisme actualisé doit opposer à ces sollicitations une epochè contemporaine, se fermer à ces discours ineptes, créer une ataraxie a-médiatique.

Les avatars du scepticisme antique nous lèguent une anecdote si­gnificative: en 155 av. J. C., Athènes est condamnée à payer une amende à Rome pour avoir pillé la Cité d’Oropos. Les Athéniens envoient une ambassade à Rome pour plaider leur cause; elle est composée de Carnéade, Critolaos et Diogène de Babylone. Car­néade, philosophe sceptique, montre que la notion de justice est rel­a­tive, que les arguments des uns et des autres peuvent être valables, sont équipotents, qu’en l’occurrence tant les Athéniens que les Romains ont raison. Carnéade applique la règle du doute universel, démontre que les lois sont des conventions entre les hommes qui peuvent être reconduites, discutées, modifiées, etc. Les trois am­bassadeurs athéniens tiennent ensuite salon dans Rome, intro­duisent le scepticisme dans les esprits. Caton l’Ancien, très puissant et influent à cette époque, leur donne raison, fait que l’amende est suspendue mais ordonne que les trois philosophes soient expulsés de Rome. Le scepticisme permet une diplomatie sereine, casse la raison du plus fort (qui n’est pas plus valable que celle du plus faible). Un modèle de négociation, dont auraient pu s’inspirer les Albright et autre Solana, avant de déclencher la dernière guerre du Kossovo.

La postérité du scepticisme est vaste: elle pourrait englober Descartes, Hume, Kant et l’empirisme logique, Popper, etc. Bornons-nous à citer deux figures du XVIième siècle, Erasme et Montaigne, et une du XVIIième, Gassendi.

L’éloge de la folie d’Erasme

La notoriété d’Erasme a franchi les siècles surtout par L’éloge de la folie (Laus Stultitiae) de 1511. La “folie” chez Erasme revêt un double sens:

1) se dégager des tics et manies des philosophes; la “folie” est chez lui la gaité, la joie, l’innocence, l’absence de prétention; elle critique les illusions de la vertu, des cuistres et de la société. Erasme décrit les divers ridicules dans lesquels sombrent les hommes. Erasme prend l’homme tel qu’il est et non pas tel qu’il se prononce dans sa “dignité”, dans les poses et les grimaces sociales qu’il adopte pour se faire valoir. Pour l’auteur de l’Eloge de la folie, l’homme se définit par ce qu’il vit, par les événements qu’il crée ou qu’il subit. Dans les statuts de l’association “Europa”, que nous avons fondée en 1993 à Bruxelles, nous avons introduit le principe de la défense des droits de l’homme, tel qu’il est, dans sa “carnalité” et dans son cadre culturel, dans sa situation spatio-temporelle, et non pas tel que l’ont imaginé de pseudo-philosophes en chambre ou des idéologues fumeux ou des politiciens sans foi ni loi qui manipulent les esprits simples et tirent de ces vilenies toutes sortes de profits sonnants et trébuchants.

2) Mais il y a une deuxième dimension à la “folie” selon Erasme. Pour lui, la “folie du chrétien” consiste à croire sans spéculation, à ne pas vouloir créer une nouvelle religion. Dans Enchiridion militis chrisitani (= Le manuel du militant chrétien; 1504), Erasme accepte le cadre civilisationnel catholique sans chercher à le justifier, car le justifier conduirait à énoncer des théories ou des doctrines réfutables, à engager des discussions sans fin, foncièrement stériles (nous re­trouvons là l’horreur de la discussion pour la discussion qu’éprou­veront plus tard Donoso Cortès et Carl Schmitt). Erasme nous en­seigne à accepter le cadre spatio-temporel, tel qu’il est, sans pour autant sombrer dans le conformisme, car le conformisme, c’est se fa­briquer une “dignité”, se composer un personnage, prendre des po­ses, se donner un “look”, et s’y accrocher ridiculement.

Montaigne, sceptique dans les tourbillons de la vie

En 1576, Montaigne termine la rédaction de son Apologie de Raimond Sebond. Dans quel contexte a-t-il rédigé ce maître-ouvrage des lettres françaises du XVIième siècle? Son père, âgé, mal-voyant, lui avait demandé de traduire les écrits d’un philosophe catalan du XVIiè­me siècle, auteur de la Theologia naturalis sive liber creatu­rarum. Montaigne, par piété filiale, s’est exécuté, mais a ajouté au texte traduit une foule de commentaires, notamment issus de sa lec­ture très attentive du De rerum naturae de Lucrèce et des Hypoty­poses pyrrhoniennes de Sextus Empiricus. Montaigne, contrairement à un préjugé malheureusement assez courant, était un homme actif, en prise directe sur les problèmes de son temps, et non pas un oisif enfermé dans sa tour-bibliothèque. Montaigne était plongé dans les courants tourbillonnants de la vie de son époque mouvementée.

Ses commentaires, en marge de la traduction du livre de Raimond Se­bond, nous enseignent:

- que la raison ne peut rien établir de définitif; elle reflète toujours une étape temporaire de la caducité des choses; les raisonneurs sont malhonnêtes, ils nuisent au bonheur de nos vies; ils sont vaniteux et ridicules. «L’homme qui n’est rien, s’il pense être quelque chose se séduit soi-même et se trompe».

- que les jugements sont toujours marqués d’incertitude, d’où l’inanité des assertions/affirmations qui se veulent éternelles et universelles.

Du point de vue politique, Montaigne nous dit que les lois sont la mer flottante des opinions d’un peuple et d’un prince, qui l’un comme l’autre, changeront un jour d’opinion et d’avis. Montaigne dit ainsi clairement qu’il n’y a pas de lois humaines universelles. Ses ré­flexions nous aident à mieux comprendre l’opposition entre légalité et légitimité (Carl Schmitt) ou entre “pays légal” et “pays réel” (Maurras).

Gassendi: dégager l’homme de ses liens de mille nœuds

Pierre Gassendi (1592-1655), autre philosophe intéressant pour notre propos sur les sceptiques, était chanoine à Digne et professeur à Aix. Il fut le correspondant de Galilée et un critique de l’aristotélisme (qu’il considérait comme un “système”), proche des libertins érudits (mais sans oublier ses devoirs d’ecclésiastiques). Gassendi fut un critique de Descartes. Il publia des travaux sur Epicure et se situa entre le libertinisme et l’orthodoxie religieuse. Pour Gassendi, on ne peut enfermer la liberté de l’esprit dans aucune doctrine. Quatre points majeurs de son œuvre doivent retenir notre attention dans le cadre du présent exposé:

◊ Très vite dans la vie de l’homme, l’esprit est ligoté de mille nœuds, les conventions le retiennent dans ses liens.

◊ La philosophie a pour tâche de nous faire retrouver notre liberté.

◊ Bon nombre de philosophes font fausse route en imposant à l’entendement chaînes et entraves. Ces philosophes sont attachés au râtelier comme du vil bétail (Gassendi anticipe ici les travaux de Simmel, Heidegger, Lukacs et Sartre, tous critiques des conventions et des pesanteurs institutionnelles).

◊ Le spectacle de la nature peut mener à Dieu. L’harmonie de la nature est la simple preuve de l’existence de Dieu. Le regard qui appréhende ce spectacle est un regard pluriel, un regard jeté par mille yeux (et nous revenons à Nietzsche!).

Conclusion

Notre propos était de montrer la trajectoire du scepticisme des Grecs au Grand Siècle. Cependant il serait injuste de terminer abruptement sans au moins citer David Hume, rénovateur de la veine sceptique, en réhabilitant le rôle des sens dans l’appréhension du monde extérieur. Le recours aux sens corrige ou annule dogmes et abstrac­tions. Mais, l’œuvre de Hume recèle un risque: devenir un positivisme trop étriqué. Ou bien, nouvelle lecture, avec sa volonté de faire confiance aux sens, Hume cherche-t-il à pénétrer les mystères du réel? Le débat est ouvert. Il est une interpellation de la modernité. Sûrement l’objet d’un prochain débat de notre atelier philosophique.

Robert STEUCKERS.

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 Bernard GROETHUYSEN, Anthropologie philosophique, Gallimard, 1953-80.

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 LUCIEN de SAMOSATE, Sectes à vendre, Ed. Mille et Une nuits, 1997. Présentation par Joël GAYRAUD.

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 The Internet Encyclopedia of Philosophy, «Carneades (213-129 BCE.)», http://www.utm.edu/research/iep/c/carneades.htm...



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