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jeudi, 31 mai 2007

Pour la Vie, contre les structures abstraites!

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Intervention lors de la 8ième Université d'été de "Synergies européennes", Trente, juillet 1998

Pour la Vie, contre les structures abstraites !

Par Maître Jure VUJIC

Que signifie au juste la revendication de la vie face aux structures ab­straites? Dans le cadre d'une ap­pro­che philosophique, cela conduit vers une intention de réduire la portée des démarches de la pensée consciente et de ses médiations, et de po­ten­tia­liser celle de l'inconscient ou de la vie immédiate par une saisie de la réalité humaine en deça des formes et des constructions sociales et po­litiques artificielles et abstraites par essence, des traditions historiques désuètes et des cristallisations cul­turelles stéri­les.

Cette démarche philosophique que l'on pourrait qualifier soit d'“irra­tio­naliste” soit de “vitaliste” sous-entend même l'importance de la philosophie de Kant constatant les limites de la raison théorique et dont les prolon­gements critiques engendrent un double courant: l'un axé sur la volonté morale et sur une dialectisation de la raison (Fichte et Hegel) qui débouche par réaction dans le marxisme et le “matérialisme dialectique”; l'autre, qui revendique l'immédiateté de la vie, l'intuitionisme et le primat de l'instinct, procède du courant de pensée engendré par Schopenhauer, véritable père de l'irrationalisme contemporain, et trouve ses rami­fi­cations philosophiques chez Nietz­sche, Jung, Adler et même Freud, l'existentialisme français de Sartre et la philosophie existentielle de la vie que l'on retrouve chez Bergson, Schel­ling, Kierkegaard, Maurice Blon­del. L'école allemande, avec Wil­helm Dilthey, G. Misch, B. Groet­huysen, Ed. Spranger, Hans Leise­gang, A. Dempf, R. Eucken, E. Troeltsch, G. Simmel, ainsi que la phi­losophie naturaliste de la vie d'Os­wald Spengler et Ludwig Klages.

Le dénominateur commun que l’on retrouve dans chacun de ces courants de pensée hétéroclites et qui réside dans la revendication du principe de vie face au constructivisme abstrait, étant donné la diversité des pers­pectives qui l’expriment, ne se laisse pas enfermer dans un schéma d’interprétation global à la manière dont procède Georges Lukacs, le célèbre marxiste hongrois, qui considère la pensée irrationaliste allemande comme typiquement bourgeoise et « réactionnaire », en tenant pour définitivement acquis que l’histoire des idées est subordonnée à des forces primaires agissantes : situation et développement des forces de production, évolution de la société, caractère de la lutte des classes, etc…

Ce qui est certain, c’est que ce cou­rant de pensée vitaliste ou « irra­tionaliste » remet en question l’idée de progrès historique, la linéarité et le mythe progressiste, et qu’il re­pré­sente ainsi la contrepartie du courant de pensée qui, du XVIIIième siècle français à travers Kant et la révolution française, débouche dans la dialec­tique hégélienne et marxiste ; con­tre­partie dans la mesure où il déprécie le pouvoir de la raison, que ce soit en contestant  l’objectivité  du réel, que ce soit en réduisant  la connaissance intellectuelle à son efficacité techni­que, que ce soit en se réclamant d’une saisie mystique de la réa­lité « absolue »,  décrétée  irration­nelle dans son essence. La lutte contre l’abstraction et la raison a des formes aussi variées que les mo­tivations qui l’engendrent. Elle peut notamment aboutir à faire un principe de la notion d’absurde qui a surgi chez Scho­penhauer et plus tard chez Cioran.

De Leibniz à Kant et Schopenhauer

A l’opposé du rationalisme de la pensée occidentale, du principe de raison suffisante énoncé par Leibniz, du cartésianisme, la revendication de la vie dont Schopenhauer se fera le principal promoteur, sous-entend que l’intelligence ou la raison n’est pas à la racine de toute chose, qu’elle a surgi d’un monde opaque, et que les principes qu’elle introduit demeurent irrémédiablement à la surface de la réalité, puisqu’ils lui sont, comme l’intelligence elle-même, surajoutés. Le corollaire d’une telle conception est que la réalité qui fonde toutes les existences particulières est elle-même sans fondement, sans raison, sans cause (générale), que notre manière de raisonner, dès lors, est valable seulement pour ce qui est des rapports que les êtres et les choses entretiennent dans l’espace et dans le temps.

Au-delà d’un impératif absolu de la loi morale de type kantien, qui fonde le constructivisme de type ontologique et abstrait, Schopenhauer se fait le chantre d’une sourde impulsion à vivre, antérieure à toute activité logique, que l’on peut saisir au plus profond de soi-même pour une appréhension directe avant sa déformation abstraite dans les cadres de l’espace et du temps, et qui se révèle comme une tendance im­pulsive et inconsciente. Schopen­hauer, dans sa réflexion,  reprend  des motifs  hérités du « divin Platon » dans l’allégorie de la caverne qui nous révèle que le monde que nous percevons est un monde d’images mouvantes.

Schopenhauer et le « Voile de Maya »

D’autre part, il empruntera à la tradition de l’Inde l’idée que les êtres humains sont enveloppés dans le « voile de Maya », c’est-à-dire plon­gés dans un monde illusoire. Scho­penhauer restera persuadé que les fonctions  psychiques ne repré­sen­tent, par rapport à la réalité primaire et absolue du vouloir-vivre (Wille zum Leben)   qu’un aspect secon­dai­re, une adjonction,  une superstruc­ture  abstraite. A la tentation de l’il­lusoire, de l’abstrait et de l’absurde, que l’on menait vers un pessimisme radicale, Schopenhauer proposait le remède de la négation du vouloir-vivre, une forme supérieure d’ascé­tisme.

A l’idée d’humanité, qui lui paraît absurde, il oppose des « modèles » éter­nels qu’il empruntera au pla­to­nisme. Cet emprunt lui sert à ex­pli­quer les types de phénomènes du vouloir dans l’espace et dans le temps, phénomènes reproduisant incessamment des modèles, des formes, des idées éternelles et immuables. Il y a des idées infé­rieu­res, ou des degrés élémentaires, de la manifestation du vouloir : pe­san­teur, impénétrabilité,   solidité,  fluidi­té, élasticité,  magnétisme, chimis­me ; et les idées supérieures qui appa­rais­sent dans  le  monde orga­nique et dont  la  série  s’achève dans l’hom­me  concret.

Transformant la primauté du vouloir-vivre schopenhauerien en primauté de la volonté de puissance, opposant au renoncement préconisé par Scho­penhauer une affirmation-glori­fication de la volonté, Nietzsche se fait l’annonciateur de l’homme vital, de l’homme créateur de valeurs, de l’homme-instance-suprême,    en mê­me temps que de grands bou­leversements qui préfigurèrent le nihilisme européen  du XXième siè­cle. Et cela, au temps du positivisme abstrait et du constructivisme, c’est-à-dire à un moment où la prudence l’emporte et où la vie humaine paraît confortablement ancrée dans des institutions sécurisantes. Sur le chemin où l’homme européen s’est trouvé engagé jusqu’à présent, déterminé par l’héritage de l’Antiquité et par l’avènement du christianisme, la revendication de la vie chez Friedrich Nietzsche qui, par sa critique radicale et impitoyable de la religion, de la philosophie de la science, de la morale s’exprime à travers sa phrase lancinante : « Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite ».

Nietzsche : vitalisme et tragique

Le  vitalisme de Nietzsche se ré­vélera tout d’abord dans son œuvre La naissance de la tragédie, puis à travers la dichotomie qu’il institue entre l’esprit apollinien, créateur d’images de beauté et d’harmonie, et l’état dionysiaque, sorte d’ivresse où l’homme  brise  et dépasse les li­mites de son individualité. Apollon, symbole de l’instinct plastique, dieu du jour, de la clarté, de la mesure, force plastique du rêve créateur ; Dionysos, dieu de la nuit, du chaos démesuré, de l’informe, est pour Nietzsche le grand élan de la vie qui répugne à tous les calculs et à tous les décrets de la raison. Les deux figures archétypales sont pour Nietzsche la révélation de la nature véritable de la réalité suprême, l’an­tidote contre les structures existen­tielles  et  psychologiques  abstraites et sclérosées. C’est  dans  cette  opti­que que Nietzsche con­damnera la révo­lution  rationnelle de Socrate, dont il pense qu’elle  a tué l’esprit tragique au profit de la raison,  de l’homme  ab­strait  et  théorique.

Pour Nietzsche, être forcé de lutter contre les instincts, c’est la formule de la décadence : tant que la vie est ascendante, bonheur et instinct sont identiques. Avec Socrate et, après lui, le christianisme venant aggraver le processus, l’existence s’est, selon Nietzsche, banalisée  sur la  base d’un immense   malentendu qui ré­side dans la morale chrétienne de perfectionnement, ce que Deleuze nommera plus tard la morale des dettes et des récompenses.

Ce que Nietzsche veut dévoiler, c’est la toute-puissance de l’instinct, qu’il tient pour fondamental : celui qui tend à élargir la vie, instinct plus fort que l’instinct de conservation tendant au repos, que la crainte alimente et qui dirige les facultés intellectuelles abstraites. La volonté créatrice chez l’individu  est ce par quoi il se dé­passe et  va  au-delà  de lui-même ; il s’agit de se transcender et de s’é­prouver comme un passage ou com­me un pont. Le vitalisme de type héroïque conduira Nietzsche à dé­noncer le nihilisme européen en y contribuant par sa philosophie « à coups de marteau » à se faire, à coups d’extases, l’annonciateur du surhomme  et de l’Eternel  retour  face à l’homme abstrait et théorique et au mythe progressiste de l’hu­manité.

C’est ce qui fera dire à l’écrivain grec Nikos Kazantzaki qui appellera Nietzsche  le « grand martyr », parce que  Nietzsche  lui a appris à se dé­fier de toute théorie optimiste et abstraite.

Freud, apologiste des instincts vitaux

Avec Freud, nous pouvons quitter le domaine de la philosophie puisqu’il s’agit d’un médecin spécialisé en neuro-psychiatrie, dont toutes les théories en appellent à son expé­rience clinique. Mais il convient d’ob­server que les deux plans, celui de la réflexion philosophique et celui des sciences humaines ne peuvent être séparée  abstraitement. Freud for­gera,  pour qualifier l’élargissement de ses théories,  le terme de mé­ta­psy­cho­logie, en estimant que la réa­lité qu’il désigne est celle des pro­cessus inconscients de la vie psy­chique, qui permet de dévoiler ceux qui déterminent, par projection, les constructions   métaphysiques. Freud, irrationaliste au sens onto­logique du terme et apologiste des instincts vitaux du subconscient hu­main restera néanmoins un pes­simiste biologique.

C’est ainsi qu’au regard des deux grands   dissidents de la psychana­lyse qu’il a créée, son pessimisme diffèrera  de la confiance  d’Adler dans  la force ascensionnelle de la vie, comme de la vague nostalgie d’un  paradis  perdu  qui  imprègnera la pensée de Jung. Pour Adler, le besoin de s’affirmer chez l’être humain  reste  prédéterminant dans sa pensée, la vie est une lutte dans laquelle il faut nécessairement triompher ou succomber. Face aux abstractions de la raison qui nous menacent,  la  poussée  vitale,  ne peut  être valablement    appréhendée que  d’une manière  dynamique sous la forme  de  tendances,  d’impul­sions,  de  développement.  L’essen­tiel pour comprendre l’être humain, ce n’est pas la libido et ses trans­formations, c’est la volonté de puis­sance sous ses formes diverses : auto-affirmation, amour-propre, be­soin  d’affirmer son  moi, besoin de se mettre en valeur.

L’idée de communauté chez Adler

Adler identifie au sentiment social la force originelle qui a présidé à la formation de buts religieux régu­lateurs, en parvenant à lier d’une certaine manière entre eux les êtres humains. Le sentiment représente avant tout pour lui une tendance vers une forme de collectivité qu’il con­vient d’imaginer éternelle. Quand Adler parle de la communauté, il ne s’agit jamais pour lui d’une col­lectivité abstraite de type sociétaire actuel, ni d’une forme politique ou religieuse  déterminée. Il faut en­tendre le terme au sens d’une com­munauté  organique   idéale  qui  se­rait comme l’ultime réalisation de l’évolution  chez  Carl Gustav Jung ; le pouvoir  des archétypes n’est que la projection de l’affirmation de la vie face à la superstructure psycholo­gique conditionnée par les contin­gences externes et abstraites.

Jung : l’inconscient originaire, source de vie

Jung  dispose  d’une  véritable « vi­sion du monde » à partir de données intra­psychiques  et  qui sont à la base de sa  métapsychologie,  ainsi  que  de  sa psychologie analytique. Jung in­siste sur l’origine même de la conscience,  émergence  dont il pen­se  qu’elle s’est  lentement dévelop­pée  par  retrait  des  projections, ain­si que sur l’autonomie créatrice d’un inconscient impénétrable par un ou­tillage biologique. Toutes ses élu­cidations sont inscrites dans la per­spective d’un inconscient originaire, source de « vie », d’une ampleur in­commensurable, et d’où surgit quel­que chose de vrai. Pour lui, aucune théorie  ne peut vraiment expliquer les rêves, dont  certains plongent dans  les profondeurs de l’incons­cient. Il faut les prendre tels qu’ils sont : produits  spontanés,   naturels et objectifs de la psyché qui est elle-même la mère et la condition du conscient.

La doctrine de Jung postule l’exis­tence  de l’inconscient collectif, sour­ce des archétypes qui mani­festent des images et des symboles indé­pendants  du temps et de l’es­pace. Pour Jung, le psychisme in­dividuel baigne dans l’inconscient collectif, source  primaire  de l’éner­gie  psy­chique à l’instar de l’élan vital de Bergson. Selon Jung, l’homme mo­derne qui se trouve plongé dans des virtualités abstraites, a eu le tort de  se couper de l’inconscient   col­lec­tif, réalité vitale et objective, ce qui aurait  creusé un hiatus entre savoir et croire.

Animisme, instinctivisme, symbolique ontologique

La sagesse   jungienne   débouche  sur un anti-modernisme dont la con­dition de validité est que le monde eût été meilleur dans les époques à mentalité magique, qui privilégiait l’animisme, l’instinctivisme et le symbolisme ontologique  par  rap­port au rationalisme abstrait et em­pirique des temps modernes. Avant d’aborder  une succincte présen­ta­tion de la philosophie à proprement parler  existentielle, il convient de faire un détour sur une certaine  forme  d’irrationalisme  philosophi­que que l’on peut qualifier d’exis­tentialisme  ou  d’humanisme crispé et dont  la figure de proue  reste  Jean-Paul Sartre.

La raison dialectique, issue de la ré­volution française, de Hegel à Marx, implique une critique de la raison classique, plus spécifiquement de la manière dont celle-ci concevait les principes d’identité et de non-con­tradiction ;  et sa visée n’est plus de se détacher de la réalité historique et sociale pour la penser en dehors du temps, mais, au contraire,  d’ex­pri­mer l’orientation même de cette réa­lité. C’est ainsi que Karl Marx décré­tait, dans ses fameuses thèses sur Feuerbach,  qu’il ne s’agit plus d’in­ter­­­préter le monde, mais de le transformer.

Sartre et la totale liberté de l’homme

Ces remarques visent à situer l’at­titude de Jean-Paul Sartre,  philoso­phe  existentialiste  de  l’engagement et de la liberté, hostile à tout retrait hors  de la réalité historique et so­ciale. Promoteur au départ d’une conception  irrationaliste  de  la li­ber­té, il a voulu, à partir d’elle, exercer une action politique et sociale révo­lutionnaire, ce qui l’a forcément con­duit à se rapprocher du courant de pensée communiste. Dans L’Etre et le Néant, Sartre entreprend de dé­monter la totale liberté de l’homme. Il veut prouver que la liberté humaine surgit dans un monde « d’existants bruts » et « absurdes ». La liberté, c’est l’homme lui-même et les choses au milieu desquelles elle apparaît : lieu, époque, etc., con­stituant la situation. Lorsque Sartre nous  dit que  l’homme  est  con­dam­né à la vie et à la liberté, il faut entendre que celle-ci n’est pas fa­cultative, qu’il faut choisir inces­sam­ment, que la liberté est la réalité mê­me de l’existence humaine.

Quant aux choses abstraites dans lesquelles  cette  liberté  se ma­nifes­te,  elles  sont  contingentes au sens d’être là, tout simplement, sans rai­son, sans nécessité. Il y a donc pour Sartre, sur le plan ontologique, une dualité radicale entre la liberté (le pour-soi) et le monde (l’en-soi). Il n’en  demeure   pas moins que l’en­ga­gement  marxiste-léniniste de Sartre dénote chez lui une certaine intégration  dans  les  circuits ab­straits  d’une idéologie contestatrice pour ses débuts ; et réactionnaire dans l’après-68.

Chez Sartre, l’existentialisme con­sistait à intégrer dans le souci d’ex­ercer  une action politique et sociale et de la justifier, l’apport du courant hégélo-marxiste à une théorie ayant d’abord consacré le primat de la vie immédiate comme liberté absolue au sein d’une réalité parfaitement opa­que ; effort qui confère à son hu­manisme  une  singulière crispation et le conduit   irrémédiablement   dans les méandres de l’abstraction idéologique.

A l’instar de cet existentialisme de type sartrien, la « philosophie de la vie » qui se développera du 19ième au 20ième siècle en Allemagne et en France privilégie les notions de vi­talisme, de personnalisme, d’ir­réversibilité,  d’irrationnel  par  rap­port au statisme, à la logique, à l’ab­strait, à la généralité et au schéma­tisme. C’est dans ce courant de pen­sée que s’inscrit Henri Bergson, promoteur de l’idée « d’élan vital », qui s’oppose au mécanicisme, au matérialisme et au déterminisme.

L’Etre est conçu comme une force vitale qui s’inscrit dans son propre rythme,  dans  une donnée onto­logique spécifique. L’intuition reste l’impératif  pour  tout être humain pour appréhender l’intériorité et la totalité.  La vie reste et transcende la matière,  la conscience  et  la mé­moi­re et appelle l’élan d’amour qui seul est à même de valoriser l’intériorité, la liberté et la volonté créatrice.

Le vitalisme de Maurice Blondel

Le vitalisme de Maurice Blondel ré­side dans l’affirmation et la su­pré­matie de l’action qui est la véritable force motrice de toute pensée. On peut déceler dans les conditions existentielles de l’action l’interaction d’une pensée cosmique, et Blondel proclamera que la vie « est encore plus que la vie ». Parallèlement à ce courant  de  pensée français s’in­sé­rant dans la philosophie de la vie, se développera   une philosophie de la vie purement allemande, de type scien­tifico-spirituel,  qui appréhen­dera   le phénomène de la vie dans ses  formes  historiques,   spirituelles et constituant  une véritable école d’in­terprétation des phénomènes spirituels dans le cadre de la phi­losophie,  de la pédagogie, de l’his­toire et de la littérature.

Wilhelm Dilthey assimilera le phé­nomène de la vie sans a priori mé­taphysique au concept de la « com­préhension » (Verstehen), avec des prolongements structuralistes et typologiques. Dans le sillage de son école  se distingueront    des pen­seurs tels que G. Mische, B. Groet­huysen, Ed. Spranger, Hans Lei­segang, A. Dempf. Dans cette continuité,  Georg Simmel  concluera que la vie, qui est par essence informe, ne peut devenir un phé­nomène que lorsqu’elle adopte une forme, ce qui suppose qu’elle doit elle-même se transcender pour être au-dessus  de  la vie. Dans le cadre de l’école  structuraliste de la philo­sophie de la vie allemande, s’illu­streront  Oswald Spengler, qui dé­crivit le déclin de l’Occident comme une morphologie de l’histoire de l’humanité,  et  surtout  Ludwig Kla­ges, qui prophétisera la ruine du monde au nom de la suprématie de l’esprit,  car l’esprit étant  l’ennemi de la vie anéantit la croissance et l’é­panouissement  de la nature in­no­cente et originelle.

De Chateaubriand à Berdiaeff

Chateaubriand disait, dans Les Mémoires d’Outre-tombe : « La mode est aujourd’hui d’accueillir la liberté d’un rire sardonique, de la regarder comme une vieillerie tombée en désuétude avec l’honneur. Je ne suis point  à  la mode,  je pense que,  sans la liberté, il n’y a rien dans le monde ; elle donne du prix à la vie ; dussé-je rester le dernier à la défendre, je ne cesserai de proclamer ses droits ». Nul autre penseur et écrivain que Nicolas Berdiaeff, le mystique aristo­crate russe du 20ième siècle ne don­nera autant de résonance à ces paroles  en insistant constamment sur  l’étroite  correspondance  entre  la liberté et l’impératif de la vie face aux diverses séductions des struc­ures  abstraites de la pensée, de la psychologie, de l’idéologie qui en­gendrent diverses formes d’escla­vagisme. L’homme est tour à tour esclave de l’être, de Dieu, de la na­ture, de la société, de la civilisation, de l’individualisme, de la guerre, du nationalisme, de la propriété et de l’argent, de la révolution, du collec­tivisme, du sexe, de l’esthétique, etc.

Les mobiles internes de la phi­lo­sophie  de  Berdiaeff restent  con­stants  depuis  le début : primauté de la liberté sur l’être, de l’esprit sur la nature, du sujet sur l’objet, de la personne  sur le général et l’univer­sel, de la création sur l’évolution, du dualisme  sur le monisme, de l’a­mour sur la loi. La principale source de l’esclavage de l’homme et du processus  engendré  par l’abstrac­tion  et  l’illusion constructiviste ré­side dans l’objectivation et la socia­lisation à outrance de l’Etre, dans l’atomisation sociétaire et indivi-dualiste qui détruit les formes or­ganiques de la communauté ; cette dernière est fondée sur l’affirmation de l’idée personnaliste et au­then­tiquement aristocratique, donc diffé­rencialiste ;  l’affirmation  de  la qua­lité en opposition avec la quantité, la reconnaissance  de  la  primauté  de la personne impliquant bien celle d’une  inégalité   métaphysique,   d’u­ne diversité,  celle  des distinc­tions, la désapprobation de tout mé­lange.

Berdiaeff, en  dénonçant  toute  forme de statolâtrie, a  considéré  que la plus grande séduction de l’histoire humaine est celle de l’Etat dont la force assimilante est telle qu’on lui résiste  malaisément.  L’Etat n’est pas une personne, ni un être, ni un organisme,  ni une essentia ; il n’a pas son existence propre, car il n’existe  que  dans  et par les hom­mes dont il se compose et qui re­présentent, eux, de vrais centres existentiels. L’Etat n’est qu’une pro­jection, une extériorisation, une ob­jectivation des états propres aux hom­mes eux-mêmes. L’Etat qui fait reposer  sa  grandeur  et sa puis­sance sur les instincts les plus bas peut  être  considéré comme le pro­duit d’une objectivation comportant une  perte complète de la per­son­nalité, de la liberté et de la ressem­blance humaine. C’est l’expression extrême de la chute. La base mé­taphysique de l’anti-étatisme chez Berdiaeff  est  constituée  par le pri­mat de la vie et de la liberté de l’être, de la personne, sur  la  société.

Miguel de Unamuno et l’homme concret

Dans  le prolongement  de  Berdiaeff, et pour conclure, Miguel de Una­mu­no, dans son œuvre Le sentiment tragique de la vie, proclamera la suprématie de la concrétude de la personne  face  à  l’humanité  ab­straite par cette phrase : « Nullum hominem  a  me  alienum puto ». Pour lui, rien ne vaut, ni l’humain ni l’humanité, ni l’adjectif simple ni le substantif  abstrait,  mais  le substan­tif concret : l’homme. L’homme con­cret, en chair et en os, qui doit être à la  base  de toute philosophie vraie, qui  se  préoccupe  du  sentimental, du  volitionnel, de la projection dans l’infini intérieur de l’homme donc de la vie et d’un certain sentiment tra­gique de la vie qui sous-entend  le pro­blème de notre destinée indi­vi­duelle et personnelle et de l’im­mor­talité de l’âme.

Maître Jure VUJIC.  

 

 

 

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mercredi, 30 mai 2007

Merleau-Ponty: la chair du politique

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Myriam REVAULT D'ALLONNES : Merleau-Ponty - La chair du politique

Michalon, Coll. "Le Bien Commun", ISBN 2-84186-150-3, 2001, 8,99 Euro.

Approche captivante de l'œuvre de Merleau-Ponty, l'homme qui a voulu donner substance à la pensée et à la politique. Les questionnements des années 50 sont bien oubliés de nos jours, tant on les trouve désormais lassants et sans objet. Cependant, la volonté de Jacques Merleau-Ponty "d'inscrire la politique et l'histoire dans la 'chair du monde'", afin de s'interdire "toute clôture doctrinale" où le politique est conçu d'emblée et sans appel comme "entièrement maîtrisable". On le voit, un retour rétrospectif aux questionnements de Merleau-Ponty permettrait, à ceux qui ne sont pas paresseux et ne reculent pas devant la tâche ardue de travailler une philosophie au langage difficile, de fustiger les clôtures de la "pensée unique", dont Sartre fut en quelque sorte un pionnier, après avoir abandonné son existentialisme libertaire, sa critique des masques hypocrites, etc. (c'est dans ce sens que le pitre Bernard-Henry Lévy réhabilite Sartre et lui consacre un gros ouvrage : Lévy se place délibérément dans le sillage du Sartre figé et donneur de leçon, contre Merleau-Ponty, professeur de réalisme). Dans un langage chaleureux, mais clair, limpide et rigoureux, Myriam Revault d'Allonnes, va droit au but, presque à chaque page : ""Revenir aux choses mêmes" [comme le préconisait Merleau-Ponty], c'est retrouver le premier contact avec le monde, le contact "naïf" auquel on redonnera un statut philosophique" (p.19). Ou encore : ""Comprendre" n'est pas de l'ordre de la pure intellection : le monde est d'abord ce que je vis et non ce que je pense. Je "communique" avec lui, mais je ne le possède pas car il est "inépuisable"" (p. 20). Mieux : "La philosophie n'est pas au-dessus de la vie, elle ne se tient pas en surplomb [...]. Pas plus qu'il n'y a de "parole philosophique absolument pure", pas plus on ne peut concevoir "une politique purement philosophique"" (p. 30). Et encore : "Tout recours à l'histoire universelle coupe le sens de l'événement, rend insignifiante l'histoire effective et est un masque du nihilisme" (p. 57). "L'homme politique qui a, une bonne fois, accepté de prendre en charge "l'irrationalité du monde" ne cédera pas plus aux vertiges des bons sentiments et de la morale du cœur qu'il n'éludera ses responsabilités devant les conséquences de ses actes" (pp. 66-67).

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De Feuerbach à Nietzsche

De Feuerbach à Nietzsche : réhabilitation des sens et des corps

Analyse : Wolfgang WAHL, Feuerbach und Nietzsche. Die Rehabilitierung der Sinnlichkeit und des Leibes in der deutschen Philosophie des 19. Jahrhunderts, Ergon Verlag, Würzburg, 1998, DM 84, ISBN 3-932004-93-0.

La pensée occidentale conventionnelle est nettement marquée par un rejet des corps et des sens. Wolfgang Wahl constate pourtant que cette tradition (sinistre) a été rejetée, tacitement ou implicitement, par toute la pensée européenne, tout au long de sa trajectoire, car elle a sans cesse exprimé le souci de replacer l’homme dans la vie et de le soustraire aux chimères intellectualistes. Wahl ne pense pas que le rejet de l’intellectualisme débouche automatiquement sur un refus de l’esprit et de la raison. Mais, a contrario, débouche sur l’affirmation d’un autre type de raison, plus en prise avec les variations du monde vivant, les hautes et les basses intensités de la vie, les perspectives chaque fois différentes que nous imposent toute pérégrination et toute quête dans le monde réel. Pour Wahl, de Montaigne au XVIIIième siècle, la France et l’Angleterre ont aligné des philosophes sensualistes et vitalistes, bien avant l’Allemagne, pays plus longtemps soumis à la censure et à la répression. Néanmoins, le détour par la mystique chrétienne (Jacob Böhme, Christoph Oetinger), permet à la culture germanique au début du XIXième de déployer une réhabilitation plus profonde et plus achevée du corps et des sens. Alexander Gottlieb Baumgarten, philosophe des Lumières, développe dans Aesthetica (1750-58, deux vol.), non pas une simple théorie de l’art, mais une scientia cognitionis sensitivae, où les sens ne sont plus posés d’office comme des affects à la source de l’erreur, mais comme constitutifs du processus de cognition, comme analogon de la raison intellectuelle. Même si Kant apparaît souvent comme l’exemple par excellence du « refoulement du corps » et attribue aux sens un rôle purement passif et réceptif dans le processus de la connaissance, une analyse précise de son œuvre nous permet d’entrevoir chez lui déjà, avant l’éclosion de tout le vitalisme affiché du XIXième siècle philosophique allemand, une réhabilitation timide des sens, car Kant, en effet, leur accorde une place précise et incontournable dans le travail de consolidation de la pensée. Kant ira plus loin, nous rappelle Wahl : dans sa théorie dynamique de la matière (in : Allgemeine Naturgeschichte und Theorie des Himmels, 1755), il amorce une théorie de la connaissance reposant sur la sensibilité propre du corps. Dans son Opus postumum, le corps est défini comme condition a priori de l’expérience ; cette définition, posée par un philosophe rigoureux, rationnel jusqu’à la caricature et dualiste, ouvre la porte à toutes les futures affirmations vitalistes. C’est donc dans le corpus et dans l’œuvre posthume du rationaliste le plus emblématique que s’enracine la contestation la plus évidente de ce rationalisme et de ses enfermements. La conception dynamique de la matière chez Kant suscitera l’intérêt croissant des philosophes de l’ère romantique, dont le plus précis et le plus systématique sera Schelling, par ailleurs lecteur attentif de Böhme et Oetinger. Schelling inclut l’homme dans la théorie kantienne de la matière dynamique, alors que le philosophe solitaire de Königsberg gardait l’homme en dehors de cette dynamique. Avec Schelling et ses disciples, le monde devient un organisme : la nature n’est plus une masse de choses mortes, pur objet et pur produit, natura naturata, mais un Tout systémique et unitaire, une force vitale primordiale en devenir constant, une natura naturans, matrice d’une activité absolue et infinie. Le moi reconnaît ce Tout, cette force primordiale et cette activité incessante avec émerveillement et se languit d’y participer. Son corps et ses sens ont participé à cet élan de reconnaissance et ont poussé le moi à se plonger dans ce réel effervescent. La Nature, le Moi, le réel et la raison ne font qu’un. La liberté consiste à accepter cette unité et à y participer joyeusement. Pour Feuerbach et pour Nietzsche, la raison autonomisée, détachée de la Nature et des pulsions du Moi, est un leurre, une négation du témoignage des sens. Le Moi est d’abord un corps qui ressent, voit, sent, entend, palpe et goûte (pluralité que défend aujourd’hui Michel Onfray en France). Toute une métaphysique et toute une ontologie ont nié cette présence aprioristique et incontournable du corps et des sens. La philosophie doit donc retrouver la pan-imbrication de tout dans tout et de tout dans le Tout, c’est-à-dire retrouver le tantra (car tantra signifie « tissage »), que constatent les sens du corps et que nie l’intellect désincarné. Le retour à la pan-imbrication permet de saisir et d’appréhender la pluralité du réel, d’accepter joyeusement (le « gai savoir ») sa constitution faite de couches multiples qui se chevauchent et/ou se superposent et/ou se compénètrent. Ce « gai savoir » induit l’application de pratiques plus souples et mieux modulées en tous domaines de l’activité humaine. Comme l’écrit Merleau-Ponty, héritier de ce recours aux corps et aux sens : « Le monde n’est pas ce que je pense, mais ce que je vis ; je suis ouvert au monde, indubitablement je communique avec lui, mais il n’est pas ma propriété, il est inépuisable (…). La philosophie, c’est en vérité apprendre à voir le monde sous un angle toujours nouveau et, de ce fait, une simple narration  —une histoire narrée—  peut révéler le sens du monde aussi “profondément” qu’un traité de philosophie » (Robert Steuckers).

 

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L'écrivain croate Vladimir Nazor

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L'écrivain croate Vladimir Nazor

30 mai 1876: Naissance à Postire dans l’île de Brac de l’écrivain croate Vladimir Nazor. Il est resté croate et paysan dans ses inspirations et son œuvre en dépit des influences européennes diverses que subit la Croatie, pays à l’intersection des mondes slaves, germaniques et romans. Le caractère paysan et croate transparaît dans la veine mystique panthéiste et dionysiaque de son œuvre, qui le rapproche de Maurice Maeterlinck, écrivain flamand de langue française.

Pendant la seconde guerre mondiale, il s’engage dans les partisans de Tito, ce qui lui permet d’accéder au poste de président de l’assemblée croate (une fiction du régime titiste). Malgré cet engagement communiste, son panthéisme ne s’estompe pas et il puise son inspiration dans les héros nationaux sud-slaves et dans la mythologie païenne slave. Ses satires politiques doivent leur inspiration à des figures comme Baudelaire, Leopardi ou d’Annunzio, tous trois très éloignés du matérialisme marxiste.

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mardi, 29 mai 2007

Racines de la "nouvelle droite"

Les racines de la "Nouvelle Droite" 

Lorenzo PAPINI, Radici del pensiero della Nuova Destra. La riflessione politica di Alain de Benoist, Giardini, Pisa, 1995, ISBN-88-427-0260-9, 29.000 Lire.

Etude fouillée sur la trajectoire d'Alain de Benoist depuis Europe-Action, les Ca­hiers Univer­si­tai­res et Défense de l'Occident. Pour Lorenzo Papini, docteur en scien­ces politiques formé à Pi­se, enseignant à Rome, le fondement de la pensée de Benoist, d'après ses écrits de jeu­nes­se, est un "racisme grand-européen", pui­sé chez Renan, Gobineau et Chamberlain, vi­sant la défense de la "race blanche" et la création, à terme, d'un "Empire blanc", qu'il appelait le "Witland", entité my­thi­que à laquelle il rêvait, à l'époque, avec les racialistes américains (Ku-Klux-Klan, etc.) et sud-africains (White suprematists). A cette é­po­que, l'orientation du fu­tur chef de file de la "nouvelle droite" est encore ra­di­ca­le­ment occidentaliste: De Gaulle est ac­cusé d'avoir "trahi la race" (Europe-Action, 20 décembre 1965), d'ê­tre un "imposteur com­mu­niste" et d'avoir "brisé l'Alliance At­lantique" (ibid., juillet 1967). Tels étaient les péchés de jeu­nesse que de Be­noist ne cessera plus de re­nier, en exprimant parfois des remords pathé­ti­ques, à partir de la création du GRECE, où il opte pour une stratégie "métapolitique", qui dé­bou­chera sur la for­mulation d'un anti-racisme dif­férentialiste et sur une réfutation du pro­mé­théisme initial de ce mouvement. Il faut reconnaître que, de ce point de vue, l'évolution d'A­lain de Benoist est in­té­res­sante, constitue une évolution étonnante et positive. Pa­pini retrace clai­rement cette trajectoire, comme Taguieff l'avait fait en Fran­ce, dans son livre intitulé Sur la nou­velle droite. L'étude de Papini permet à l'étu­diant, à celui qui ne connaît pas la ND ou n'en a entendu que vaguement par­ler, d'avoir un fil d'Ariane pour la découvrir. A signaler dans ce li­vre: l'excellent cha­pitre, clair et concis, sur la réception de Nietzsche par de Benoist.

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Le dépérissement de la politique

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Myriam REVAULT D'ALLONNES : Le dépérissement de la politique - Généalogie d'un lieu commun

Flammarion, coll. "Champs", n°493, ISBN 2-0808-0032-9, 2001.

Comme nous allons le voir en lisant sa monographie très pertinente sur Jacques Merleau-Ponty, Myriam Revault d'Allonnes veut une politique et une pensée incarnées dans le flux de l'histoire réelle. Dans la querelle qui a opposé Sartre à Merleau-Ponty, elle voit l'opposition, dans les années 50 à 70, entre un idéalisme figé, sans ancrage dans le réel mouvant, et une volonté de retourner à ce réel et d'y œuvrer, parfois humblement. Dans Le dépérissement du politique, livre dense, que nous lirons conjointement aux travaux plus anciens et plus classiques de Julien Freund, Myriam Revault d'Allonnes entend souligner que le politique, s'il dépérit et semble accuser un ressac problématique, ne peut pas pour autant disparaître : elle conclut "à sa fragilité essentielle qui résiste à la sempiternelle prophétie de la fin". L'homme politique doit avoir le souci du monde, et de la transmission des valeurs, même fragiles, que génère ce monde, bref d'assurer des continuités contre ceux qui rêvent d'un paradis terminal et parfait, trop parfait pour être humain, ou qui veulent déclencher un enfer, trop effrayant et surtout trop fondamentalement chaotique pour être à son tour véritablement humain. Mieux : à la suite de Machiavel, qui savait toujours ramener les choses à leurs proportions exactes, Myriam Revault d'Allonnes croit à la "virtù" des Romains, ou à celle que Tacite prêtait aux Germains, "c'est-à-dire", dit-elle, "au courage, vertu philosophique et politique par excellence".

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Espana y Eurasia

Para ser global, España necesita pensar el mundo a través de Eurasia

Luis Martínez Montes, miembro de la carrera diplomática que actualmente ejerce de Consejero de la Misión Permanente de España en la OSCE, organización presidida este año 2007 por España, reflexionó sobre el papel de Eurasia, en una entrevista concedida a la Fundación CIDOB. Martínez Montes, que combina su labor como diplomático con la elaboración de ensayos en los que reflexiona sobre temas candentes de la realidad internacional, es autor de España, Eurasia y el nuevo teatro del mundo, un Documento CIDOB de reciente publicación desde el que propone elaborar un plan en el Ministerio de Asuntos Exteriores y de Cooperación para dar respuesta a una nueva realidad emergente: Eurasia.

Tu estudio España, Eurasia y el nuevo teatro del mundo gira en torno a la emergencia de Eurasia. ¿Es la emergencia de nuevos centros de atención mundial una de las claves internacionales hoy en día?

Existe una fascinación, teñida de cierta ansiedad, ante el ascenso de países como China y la India; o ante la reafirmación “energética” de Rusia y las ambiciones nucleares de Irán. Octavio Paz, un poeta visionario, decía que el signo de nuestro tiempo no es la “revolución”, sino la “revuelta”: un cambio que es regreso a los orígenes. La emergencia en nuestros días de esos nuevos centros de poder mundial constituye un retorno a una situación de las relaciones internacionales anterior a la era bipolar e incluso previa a la hegemonía de Occidente. Al mismo tiempo nos encontramos ante un fenómeno novedoso, puesto que las potencias emergentes tienen a su disposición recursos e instrumentos de poder desconocidos en el pasado y ahora proporcionados por las fuerzas convergentes de la geopolítica y de la globalización. Ese es, precisamente, el sentido último del concepto de “emergencia”: la aparición de propiedades nuevas en un sistema o conjunto de sistemas a partir de realidades preexistentes. Así se explica esa ambigua y desconcertante mezcla de familiaridad y extrañeza que sentimos al observar y analizar el mundo de hoy. Por una parte, contemplamos la irrupción del pasado en el presente, ya sea en la forma de renovadas identidades religiosas o nacionales o en la resurrección de civilizaciones en apariencia petrificadas y ahora camino de convertirse en polos alternativos de poder mundial. Por otra, ese mismo pasado redivivo es transformado al contacto con fuerzas y corrientes que ya prefiguran el futuro. Y ese futuro, guste o no a quienes hasta ahora en Occidente pretendían detentar el monopolio de la interpretación histórica, va a ser plural.

¿Qué significado tiene la emergencia de Eurasia? ¿Cómo están reaccionando las diferentes potencias europeas ante este fenómeno

La emergencia de Eurasia es el resultado de la convergencia de las dos grandes fuerzas que constituyen la fábrica de nuestro mundo. En lo geopolítico – los cambios en la distribución espacial del poder – es la resultante de la fragmentación y recomposición interna de los dos grandes bloques que dominaron el macrocontinente durante la Guerra Fría. En lo referente a la globalización, la apertura de mercados antes cerrados a los flujos de capital, energía e información están provocando importantes transformaciones y desplazamientos en la cartera de recursos de los diversos actores euroasiáticos. Al mismo tiempo, la crisis por la que atraviesa el proyecto supranacional de la Unión Europea está en el origen de la reaparición de proyectos de hegemonía entre las grandes potencias tradicionales como Gran Bretaña, Alemania y Francia. La diferencia con el pasado es que ahora tienen que contar en sus cálculos con las potencias (re)emergentes – Rusia, China, la India- y con los nuevos actores surgidos de la implosión soviética. Las repúblicas del Cáucaso y de Asia Central han descubierto la influencia que les otorga el ser países de origen y tránsito de recursos como el gas o el petróleo, amén de albergar importantes yacimientos de minerales estratégicos, y no están dispuestas a aceptar pasivamente ser las víctimas de un nuevo Gran Juego.

Acercándonos a la política exterior española, ¿cuál sería el propósito de establecer un Plan Eurasia? ¿Cómo podría entroncarse ese Plan con otros ya existentes y con el resto de la política exterior española?

Por razones históricas España ha seguido una política exterior centrada en tres “ejes”, Europa, Iberoamérica y el Mediterráneo / Oriente Medio. No discuto que éstas sean áreas prioritarias para nuestro país. Pero pensar y actuar como si se tratara de ámbitos autónomos desconectados del contexto global no es realista. Retornando al ejemplo de Eurasia, la reafirmación de las potencias tradicionales y el activismo de las emergentes en regiones cada vez más alejadas de su inmediata vecindad está alterando decisivamente los equilibrios en cada una de nuestras áreas privilegiadas de acción. Pensemos en los crecientes intereses de la India en empresas europeas; de Rusia en Argelia o de China en Marruecos, por no hablar de las inversiones de este último país en Iberoamérica o en el África Subsahariana. Hemos de ser conscientes de que para un país que ha alcanzado la magnitud de España ya no es sostenible concebir y ejecutar una política exterior propia de una “potencia regional media”. En el mundo de hoy sólo tendrán capacidad de acción y decisión autónomas los actores que piensen y actúen en términos globales y sean capaces de explorar y aprovechar las múltiples redes que conectan ámbitos geográficos y temáticos antes separados. La era de los compartimentos estancos y las áreas de influencia está dejando paso a la de los vasos comunicantes, de las redes. De ahí que, para tener una presencia global, España necesite pensar el mundo a través de Eurasia. Ya disponemos de una trayectoria definida, que conviene adaptar constantemente a las nuevas realidades, en ámbitos como la UE, Iberoamérica y el Mediterráneo. También nos hemos dotado recientemente de planes geográficos específicos como el Plan Asia o el Plan África. El principal valor añadido de un Plan Eurasia estribaría precisamente en poner de relieve el papel central del macrocontinente en la creciente interconexión entre realidades en apariencia distantes y dispares. Por ejemplo, quienes estén centrados en seguir los acontecimientos en Venezuela, en Marruecos o en Sudán tendrían así acceso en tiempo real acerca de cómo decisiones adoptadas en Pekín, Moscú, Astana o Bruselas afectan instantáneamente a sus respectivos ámbitos de interés. Por otra parte, un Plan Eurasia debería prestar una especial atención a Eurasia interior, es decir, a los actores y dinámicas que se entrecruzan en el espacio post-soviético, sobre todo en el Cáucaso y Asia Central. Se trata de zonas a las que hasta ahora no habíamos prestado toda la atención que se merecen, a diferencia de nuestros vecinos más activos,que sí disponen de una visión global. En suma un Plan Eurasia, sumado a los existentes e incardinado en una Estrategia de Política Exterior, habría de contribuir a ese salto de calidad que permitiría a España pasar de potencia (tri) regional a potencia media global con capacidades de gran potencia en ámbitos regionales seleccionados de acuerdo con nuestros intereses. Es un reto que como sociedad creo que nos podemos plantear de forma realista en el transcurso de esta generación. Nos va el futuro, y casi me atrevería a decir el presente, en ello.

Conscientes del interés de Luis Martínez Montes en alimentar los debates y las reflexiones en el ámbito de las relaciones internacionales, ¿en qué proyectos está trabajando actualmente?

El Documento ahora publicado por CIDOB forma parte de una empresa intelectual y vital más amplia. Siempre he intentado seguir el consejo que Khrisna da al arquero Arjuna en el Bhagavad Gita, uno de los libros sapienciales que debiera formar parte de un bagaje espiritual cosmopolita: el conocimiento es superior a la acción y ésta es superior a la inacción. Conocimiento y acción son uno y el mismo camino. Así, concibo la indagación intelectual sobre la naturaleza de Eurasia o sobre las variaciones de poder en otras áreas del mundo como parte de mi labor práctica como diplomático. Creo además, sinceramente, que la difusión del conocimiento y la incitación al debate en temas propios de las relaciones internacionales constituyen no sólo una responsabilidad ciudadana, sino un requisito indispensable para asentar una política exterior sobre bases sólidas. Una opinión pública ignorante es una opinión pública desorientada y susceptible de incurrir en oscilaciones extremas. A ello se suma el que, debido a razones conocidas, nuestro país carece todavía de una asentada tradición de reflexión orientada a la acción sobre enteras regiones del mundo. Mis futuros proyectos van un poco en esa línea. Por ejemplo, acabo de terminar otro ensayo para CIDOB sobre las implicaciones del ascenso de China sobre la hegemonía estadounidense. El siguiente paso sería completar una visión panorámica del nuevo teatro del mundo prestando atención a dinámicas particulares pero de alcance mundial. Centrándonos en Eurasia, me interesan las relaciones entre China y Japón; la función de Asia Central como encrucijada histórica y las relaciones triangulares entre Rusia, China y la UE. Soy consciente de que son proyectos amplios que sobrepasan mis capacidades y requieren de una contribución colectiva como la que pueden aportar fundaciones como CIDOB, Casa Asia, las universidades y las excelentes escuelas de negocios con que cuenta nuestro país.


Article printed from Altermedia Spain: http://es.altermedia.info

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lundi, 28 mai 2007

Sur l'Action Française

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Une révolution classique?

Sur l’Action française

« Maurras nous apportait l’exemple, exaltant à nos âges, du combat à contre-courant, de l’affirmation minoritaire, d’une intraitable énergie intellectuelle, du refus de tout compromis dans la pensée et dans l’action et aussi une méthode politique, un réalisme - les nations existent, les forces existent, la survie des sociétés humaines n’est possible qu’à un certain prix et sous certaines conditions, on ne peut vouloir ceci ou cela qu’en acceptant les conséquences » Thierry Maulnier

 

« C’est à Maurras et à Nietzsche (...) que je dois d’avoir été débarbouillé du romantisme et introduit à la connaissance du coeur humain, au classicisme qui me défendait également contre le chatoiement de la fresque hégélo-marxiste et les odeurs de sève du fascisme »

Jacques Laurent

 

Ces deux citations d’écrivains formés à l’école de l’Action française illustrent l’apport de Maurras à l’histoire de la pensée française. Un livre récent de F. Huguenin retrace un siècle de vie intellectuelle et littéraire, tout un pan trop méconnu de l’histoire des idées. L’auteur est diplômé de Sciences-Po et l’éditeur, il y a quelques années, de l’excellente revue Réaction, qui a inexplicablement cessé de paraître.

 

Disons tout de suite que la monumentale étude de F. Huguenin n’a pas totalement satisfait notre appétit d’ogre: le livre terminé, et vigoureusement crayonné, on reste sur sa faim, vaguement agacé par ses lacunes et les préjugés de son auteur, prudemment catholique, rassurant jeune-homme-de-droite (un peu comme E. de Montety, l’auteur d’une intéressante biographie de T. Maulnier parue en 1994, ou comme des collaborateurs de Réaction qui officient aujourd’hui au Figaro). Tout ceci manque de punch et d’audace, et, avouons-le, fleure un peu la naphtaline. Mais ne soyons pas injuste: l’ouvrage est monumental (plus de 600 pages), bien construit (mais dénué de bibliographie), bien informé. Manifestement, F. Huguenin s’est imposé de sérieuses recherches et a rencontré des anciens de l’AF... mais pas Pierre Monnier, dont l’excellent livre de souvenirs A l’ombre des grandes têtes molles (La Table ronde 1987) n’est même pas cité. Mais Monnier est peut-être trop hérétique, trop inclassable pour M. Huguenin? En outre, on aurait aimé que fût abordée, même rapidement, l’influence évidente de Maurras dans les pays voisins: l’Espagne, l’Italie, le Portugal... et même la petite Belgique!

 

Revenons à Maurras (Acad. fr., 1868-1952). Sous sa férule, se construit au tournant du siècle un laboratoire d’idées qui aura une influence énorme sur les intelligences françaises et européennes. Critique implacable du jacobinisme niveleur et totalitaire, « principe d’affaiblissement de la France », apôtre de la décentralisation et du principe de subsidiarité, du fédéralisme et de la monarchie sociale et autoritaire, hiérarchique et communautaire, Maurras a été le maître de plusieurs générations, qui ont appris chez lui le refus tant de l’imposture démocratique - règne de l’Argent et des groupes occultes -, que des aventures totalitaires. Le mérite principal du travail de F. Huguenin est en effet de sérieusement nuancer la thèse de Zeev Sternhell sur la genèse française du fascisme (aujourd’hui battue en brèche par le livre de Marc Crapez, La Gauche réactionnaire, Berg): Maurras a toujours défendu un ordre minimum, organique et bienveillant, celui du Prince. L’autorité royale ne peut  être confondue avec le pouvoir absolu du dictateur fasciste, qui prône un ordre maximum et totalitaire: pour Mussolini, l’individu n’est rien et l’Etat est tout. Pour un maurrassien, ceci est une monstruosité héritée de la Révolution de 1789. T. Maulnier, qui fera un temps figure de successeur quasi officiel de Maurras le dit clairement: « L’Etat qu’il faut réformer n’est pas eulement l’Etat irresponsable et faible, mais l’Etat envahisseur et tentaculaire ». Ou encore: « Une société réellement équilibrée n’est pas celle où l’individu est sacrifié à la nation, ni celle où la nation est sacrifiée à l’individu, mais celle où se trouve résolue, effacée, l’opposition abstraite entre l’individu et la société (...) Il faut faire éclater l’imposture d’un régime qui a promis de faire de chacun un homme libre, et qui a fait de chacun un esclave doublé d’un dix millionnième de tyran ».

 

De 1898 à 1914, l’AF est à son apogée. Citons Huguenin: « Toute l’AF est dans cette réunion improbable, populaire et aristocratique, intellectuelle et activiste, politique et esthétique de tempérament et d’héritages divers ». Le mouvement unit bouillonnement doctrinal, et ce dans tous les domaines (littéraire, esthétique, politique, métaphysique) et action sur le terrain. De grands écrivains le soutiennent: Barrès, Bourget, Rebell, Bainville. Ses maîtres sont Bonald, Taine, Renan, Maistre, Fustel de Coulanges, Proudhon, Balzac, Racine, Comte. Un Institut est créé, avec de multiples chaires: tout de suite, l’AF se pose en école du goût, de la sensibilité et de l’intelligence. Proust dira de Maurras qu’à ses lecteurs, il offre « une cure d’altitude mentale ». Une librairie, une maison d’édition, deux revues et un quotidien forment l’armature d’un mouvement justement qualifié d’insurrectionnel, de révolutionnaire. Il s’agit bien de lutter contre l’emprise de l’argent sur la France, que Balzac avait déjà annoncée en son temps et que Maurras, avec un réel génie littéraire, décrit ainsi dans ce texte atrocement prémonitoire « Le patriciat dans l’ordre des faits, mais une barbarie vraiment démocratique dans la pensée, voilà le partage des temps prochains: le rêveur, le spéculatif pourront s’y maintenir au prix de leur dignité ou de leur bien-être; les places, le succès ou la gloire récompenseront la souplesse de l’histrion: plus jamais, dans une mesure inconnue aux âges de fer, la pauvreté, la solitude, expieront la fierté du héros et du saint: jeûner, les bras croisés au-dessus du banquet, ou, pour ronger les os, se rouler au niveau des chiens ». On le voit, l’AF d’avant 1914 constitue clairement une rupture avec l’ordre bourgeois, un mouvement de résistance.

 

Maurras se révèle comme l’un des grands platoniciens modernes: disciple de Parménide pour l’unité entre pensée et Etre, le chef de l’AF exalte aussi « le dur rire du dieu solaire (qui) épanouit dans le seul Platon ses bienfaits ». Il s’agit bien de renaissance classique, d’une révolte archaïque contre le monde moderne. C’est cet esprit archaïque, en un mot païen, que F. Huguenin ne veut pas trop comprendre: son christianisme foncier joue ici le rôle d’obstacle épistémologique. Le « paganisme » - réel chez Maurras - est qualifié de « mal » par Huguenin (p. 148) et le pauvre Hellène, « privé de foi », est montré du doigt, dangereusement prêt de trébucher dans des « ténèbres » évidemment définitives. Rhétorique catholique, qui sent la trouille du coup de règle et l’obéissance « cadavérique ». Et qui masque la vérité. Car Maurras ne fut jamais chrétien, mais catholique forcé, nostalgique de l’ordre gréco-romain, que l’Eglise sauvegarda avant de le trahir. Les vrais chrétiens avaient déjà repéré que Maurras n’était pas des leurs: ne fustige-t-il pas dans un texte de jeunesse - mais tout est dans la jeunesse d’un homme, après, il triche et travestit ses inclinations profondes - « l’Evangile des quatre Juifs obscurs »? L’Eglise, ne l’oubliera pas, qui cassera les reins d’un mouvement qualifié d’agnostique, déjà affaibli par la Grande Guerre: ce sera l’ignoble condamnation de 1926, chef-d’oeuvre de duplicité et d’opportunisme.

 

Après la grande saignée de 14-18, l’AF est brisée. Elle perd ce caractère conquérant et le meilleur de son esprit, cet instinct insurrectionnel, se retrouvera chez ses dissidents. Rapidement, ce sera l’inaction française, la dérive conservatrice, l’intellectualisme abstrait.... mais avec de beaux restes, superbes même. L’AF  exerce, jusqu’à la guerre, une influence incomparable: de Dumézil à de Gaulle, de Maulnier à Bernanos, toute l’intelligence française (non communiste) apprend à lire dans Maurras, Daudet ou Bainville. Beaucoup s’éloigneront du Maître, mais tous en resteront marqués à vie. Après 1944, avec l’effondrement sans gloire du régime de Vichy, le mouvement ne survivra qu’à l’état de résidu. Certes, un Boutang, dont, comme le dit justement Huguenin, il faudra un jour écrire la biographie, un Thibon, voire un Raoul Girardet, continueront de publier des textes étincelants sur la maladie moderne. Des revues comme La Nation française ou Réaction joueront leur rôle de refuge et de conservatoire, mais l’élan est brisé. De leur côté, les « Hussards », héritiers de l’anti-romantisme maurrassien assureront la survie d’une révolte esthétique, frivole pour certains, mais ô combien importante pour deux générations de rebelles. Blondin, Déon, Jacques Laurent, Mohrt, et aussi Mourlet, Matzneff, de Spens ou Volkoff passeront le flambeau de cette rebellion aristocratique à de jeunes lecteurs, qui, à leur tour noirciront des pages. En ce sens, nous sommes sans doute plus nombreux à devoir davantage à ces écrivains qu’à Maurras, Bardèche ou de Benoist!

 

Le destin de l’Action française doit être médité avec le respect dû à des devanciers, qui ne doit toutefois pas se figer en culte hagiographique. Il faut s’inspirer des points forts de ce mouvement: école de goût, apprentissage d’une méthode, incarnation d’une métaphysique, exemple du renoncement (Maurras était un pur), critique étincelante de la modernité. Il faut aussi analyser sans passion les faiblesses de l’AF: son ignorance de l’héritage celtique et germanique de la France, sa germanophobie absurde (qui servit parfaitement les intérêts britanniques), son insuffisante réflexion géopolitique (La France seule), son immobilisme, etc. Faiblesse intrinsèque de ses meneurs, habileté du régime à défendre la République, toujours douée quand il s’agit de neutraliser un ennemi intérieur (pour l’extérieur, c’est moins sûr: voir la Ligne Maginot)?

 

Ceci devrait permettre de se pencher sur une autre école, celle de la Nouvelle Droite française, qui, fort prometteuse à ses débuts, n’atteignit jamais l’influence énorme de l’AF, mais connut un inachèvement, un déclin comparable, après quelques belles années. Il est vrai que la ND, ou plutôt les nouvelles droites dans leur ensemble, ont vite négligé le goût et la sensiblité au profit de l’intellectualisme et de l’élitisme abstraits. Il y a près d’un siècle, Paul Bourget avait déjà mis en garde la jeune droite de son temps: « Que ni l’orgueil de la vie, ni celui de l’intelligence ne fassent de toi un cynique et un jongleur d’idées ». 

 

Patrick Canavan

 

F. Huguenin, A l’école de l’Action française, Lattès 1998, 159FF.

Sur la droite littéraire, consulter le livre assez malhonnête de J. Verdès-Leroux, qui est quelque chose au CNRS: Refus et violences. Politique et littérature à l’extrême droite des années 30 aux retombées de la Libération, Gallimard 1996.  

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dimanche, 27 mai 2007

The American Enemy

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Roger, Philippe

The American Enemy: The History of French Anti-Americanism.

Translated by Sharon Bowman. 536 p. 6 x 9 2005

Cloth $35.00 ISBN: 978-0-226-72368-6 (ISBN-10: 0-226-72368-2) Spring 2005
Paper $22.50 ISBN: 978-0-226-72369-3 (ISBN-10: 0-226-72369-0) Fall 2006

Georges-Louis Buffon, an eighteenth-century French scientist, was the first to promote the widespread idea that nature in the New World was deficient; in America, which he had never visited, dogs don't bark, birds don't sing, and—by extension—humans are weaker, less intelligent, and less potent. Thomas Jefferson, infuriated by these claims, brought a seven-foot-tall carcass of a moose from America to the entry hall of his Parisian hotel, but the five-foot-tall Buffon remained unimpressed and refused to change his views on America's inferiority.

Buffon, as Philippe Roger demonstrates here, was just one of the first in a long line of Frenchmen who have built a history of anti-Americanism in that country, a progressive history that is alternately ludicrous and trenchant. The American Enemy is Roger's bestselling and widely acclaimed history of French anti-Americanism, presented here in English translation for the first time.

With elegance and good humor, Roger goes back 200 years to unearth the deep roots of this anti-Americanism and trace its changing nature, from the belittling, as Buffon did, of the "savage American" to France's resigned dependency on America for goods and commerce and finally to the fear of America's global domination in light of France's thwarted imperial ambitions. Roger sees French anti-Americanism as barely acquainted with actual fact; rather, anti-Americanism is a cultural pillar for the French, America an idea that the country and its culture have long defined themselves against.

Sharon Bowman's fine translation of this magisterial work brings French anti-Americanism into the broad light of day, offering fascinating reading for Americans who care about our image abroad and how it came about.

“Mr. Roger almost single-handedly creates a new field of study, tracing the nuances and imagery of anti-Americanism in France over 250 years. He shows that far from being a specific reaction to recent American policies, it has been knit into the very substance of French intellectual and cultural life. . . . His book stuns with its accumulated detail and analysis.”—Edward Rothstein, New York Times
                                                                                            
“A brilliant and exhaustive guide to the history of French Ameriphobia.”—Simon Schama,
New Yorker

TABLE OF CONTENTS

Introduction
Prologue
Part I - The Irresistible Rise of the Yankee
1. The Age of Contempt
2. The Divided States of America
3. Lady Liberty and the Iconoclasts
4. From Havana to Manila: An American World?
5. Yankees and Anglo-Saxons
6. Portraits of Races
7. "People of Enemy Blood"
8. The Empire of Trusts: Socialism or Feudalism?
Part II - A Preordained Notion
9. The Other Maginot Line
10. Facing the Decline: Gallic Hideout or European Buffer Zone?
11. From Debt to Dependency: The Perrichon Complex
12. Metropolis, Cosmopolis: In Defense of Frenchness
13. Defense of Man: Anti-Americanism Is a Humanism
14. Insurrection of the Mind, Struggle for Culture, Defense of the Intelligentsia
Conclusion
Notes
Index

Mousquetaires et libertins

Mousquetaires et libertins : l’itinéraire des "Hussards" 

« Nous sommes quelques-uns dont les traits communs sont un certain sérieux, un besoin de vérité, un air sombre. Mais les choses sont établies de telle sorte que nous faisons figure d’esprits légers. Nous ne respectons ni les lois ni les êtres qui nous gouvernent. Nous ne faisons pas leurs prières: lecture quotidienne et suivie des journaux de la République, discours hebdomadaires sur le Cours des Choses, contribution à la conscience morale universelle... Nous sommes les libertins du siècle ».   Roger Nimier

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Dans le portrait fraternel qu’il trace de Nimier, l’écrivain Jean Mabire cite ce beau passage de la Lettre d’un fils à son père: ces lignes de 1950 n’ont pas pris une ride, à l’instar des livres d’un seigneur des Lettres françaises trop tôt disparu. Depuis l’article célèbre de B. Frank, tout le monde ressasse le mythe des Hussards, quarteron d’écrivains qualifiés de « fascistes », personnages faibles et légers, évidemment suicidaires, friands d’alcool (ce n’est pas toujours faux), de voitures et de salons, etc. Ce cliché, simpliste et réducteur, masque toute la réalité, que décrit fort bien un livre récent de Christian Millau, qui, avant de devenir un chroniqueur gastronomique mondialement connu, fréquenta Nimier et sa bande.

Au galop des hussards, publié par l’un de ces « hussards », à savoir Bernard de Fallois, retrace les années 50, devenues mythiques: l’intelligentsia de gauche, Sartre en tête, dominait lourdement Paris et faisait régner, déjà, une sorte de politiquement correct, moins larmoyant que celui que nous connaissons, plus brutal, moins subtil (les communistes, déclarés ou cryptés, constituaient encore une force) et sans doute moins efficace. Nimier, jeune surdoué, eut le courage de faire front aux pions et aux flics de salon, réhabilitant des aînés « suspects », dont Céline, Morand, Chardonne ou Jouhandeau. L’époque était féroce: lorsqu’en 1950, Le Hussard bleu est pressenti pour le Goncourt, de braves humanistes font courir le bruit que l’auteur serait un ex-milicien. Or, Nimier s’était engagé en janvier 1945, à 20 ans, pour l’Extrême Orient. Vu son jeune âge, il dut rester en France, où il faillit périr d’ennui.  Nimier, tel Déon ou Laurent, ne fut jamais fasciste pour une raison bien simple: comme l’avait pressenti Malraux, pour être fasciste, il faut être pessimiste et actif,  - ce qui est le propre des âmes de qualité - mais, surtout, dénué d’un principe auquel rester fidèle, ce qui est ici le propre des nihilistes. Or Nimier est fidèle à la civilisation française classique, celle des mousquetaires, de Ronsard, de Balzac et de Dumas. Monarchiste, nostalgique d’une France aimable et paysanne, à la gentillesse racée, il ne pouvait qu’être rétif aux emportements totalitaires, trop fin pour céder aux sombres séductions des cathédrales de lumière. S’il joua parfois au fasciste de salon, c’était, comme nombre de ses cadets, par dégoût, pour ne pas devoir expliquer à des limaces en quoi consiste le principe de légitimité. Posture baroque, certes, mais point trop fatigante et qui permet de déplaire au plus grand nombre, ce qui n’est jamais à négliger. Voilà sans doute la principale leçon du rebelle Nimier: à chaque lecture, il nous réapprend la hauteur, le style. Never explain, never complain.

En quelques années, ce jeune prodige publie une rafale de romans et d’essais brillants qui font de lui l’un des grands de sa génération: romancier, critique à l’immense culture, analyste de la décadence française, homme d’influence. Nimier est partout, aide tout le monde, sans sectarisme. Comme le dit Millau: « Roger ne sera jamais du côté des vainqueurs mais toujours des perdants. Il porte en lui le goût de l’échec et l’échec est sa noblesse. C’est un rebelle qui n’a que faire de la victoire. Elle l’ennuie. C’est un solitaire couvert d’amours et d’amitiés mais qui ne courbe pas le cou, comme les autres, vers le collier et la laisse ». En quelques lignes, Millau nous dépeint les qualités, une raideur de la nuque, et les tares, une fascination morbide pour la défaite, d’une certaine droite française. Faisons tout de même remarquer que, sur le plan littéraire, cela donne de beaux résultats. Nimier, Drieu, Morand ou Céline, bien plus que maints théoriciens, sont passionnément lus des dizaines d’années après leur mort et continuent d’inspirer de jeunes rebelles... En est-il de même avec Robbe-Grillet, Sartre ou de Beauvoir, la donneuse de leçons qui parlait sur Radio-Vichy fin 43?

Millau nous rend son ami très proche et fait bien comprendre à quel point l’homme était supérieur: rien de vil chez lui,  du courage et une belle capacité de travail (Nimier était un lecteur infatigable et un découvreur hors pair). Son livre de souvenirs, très pudique, nous présente d’autres grands comme Céline: « Pour faire un roman, j’écris dix mille pages et j’en tire huit cents. Céline qui parle avec les mots de tous les jours... Tu rigoles? C’est du travail, c’est un métier, la transposition. Le lecteur s’attend à un mot et moi, je lui en colle un autre. C’est ça le style. Le sujet, ça ne compte pas. » Ou Morand, un très grand lui aussi, dont l’épouse, ex-princesse Soutzo s’exclame dans les dîners: « je n’ai jamais vu autant de Juifs que depuis qu’on les a exterminés. N’est-ce pas extraordinaire? ». Précisons que, contrairement à tant d’admirateurs des Juifs après la tourmente (et plutôt inactifs sous l’Occupation), Hélène Morand en sauva au moment opportun, quand c’était réellement dangereux. Mais ce genre de déclarations incendiaires ne devait pas aider Paul Morand à rentrer à l’Académie, d’autant plus qu’il avait contre lui la grande Zorah et Monseigneur Mauriac.

Millau apporte aussi d’utiles précisions sur la guerre d’Algérie, notamment sur certains milieux militaires hostiles au mythe absurde de l’Algérie française et à la négociation avec les progressistes, dont on connaît aujourd’hui les résultats.

Lors de la crise algérienne et de la petite guerre civile qui s’ensuivit, nombre de « hussards », adeptes de la littérature dégagée (mais qui avaient déjà pris parti avant et après 1939), se retrouvent partisans. Déon, Laurent, Laudenbach, se muent en conspirateurs, se lancent dans la bagarre avec un panache inimitable.

Le mérite du livre de Millau est de nous restituer cette après-guerre, qui vit une kyrielle d’irréguliers ferrailler contre les croisés du progressisme. Millau annonce, à la fin de son livre, l’ordre classique pour le prochain siècle. Puisse-t-il être entendu par les dieux car face à l’homogène qui semble aujourd’hui triompher, face à tous ceux qui abdiquent ou pactisent, une nouvelle bouffée d’air pur est urgente, vitale même.

Patrick Canavan

C. Millau, Au galop des hussards, Editions de Fallois, 1998. 120F.

Sur l’époque, il faut lire l’essai de P. Louis, La Table ronde: une aventure singulière, La Table ronde, 1992, et  la belle dérive d’O. Frébourg, Nimier. Trafiquant d’insolence, Editions du Rocher 1989.

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samedi, 26 mai 2007

Note sur le Prince Karl Anton Rohan

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Note sur le Prince Karl Anton Rohan, catholique, fédéraliste, européiste et national-socialisteµ

 

Né le 9 septembre 1898 à Albrechtsberg et décédé le 17 mars 1975 à Salzbourg, le Prince Karl Anton Rohan fut un écrivain et un propagandiste de l'idée européenne. Jeune aristocrate, ce sont les traditions "noires et jaunes" (c'est-à-dire impériales) de la vieille Autriche des familles de la toute haute noblesse qui le fascinent, lui, issu, côté paternel, d'une famille illustre originaire de Bretagne et, côté maternel, de la Maison des Auersperg. Il a grandi à Sichrow dans le Nord-est de la Bohème. Marqué par la guerre de 1914, par les expériences de la révolution bolchevique à l'Est et de l'effondrement de la monarchie pluriethnique, Rohan décide d'œuvrer pour que se comprennent les différentes élites nationales d'Europe, pour qu'elles puissent se rapprocher et faire front commun contre le bolchevisme et le libéralisme.

 

Après la fondation d'un "Kulturbund" à Vienne en 1922, Rohan s'efforcera, en suivant un conseil de J. Redlich, de prendre des contacts avec la France victorieuse. Après la fondation d'un "comité français" au début de l'année 1923, se constitue à Paris en 1924 une "Fédération des Unions Intellectuelles". Son objectif était de favoriser un rassemblement européen, Grande-Bretagne et Russie comprises sur le plan culturel. Dans chaque pays, la société et les forces de l'esprit devaient se rassembler au-delà des clivages usuels entre nations, classes, races, appartenances politiques et confessionnelles. Sur base de l'autonomie des nations, lesquelles constituaient les piliers porteurs, et sur base des structures étatiques, devant constituer les chapiteaux, des "Etats-Unis d'Europe" devaient émerger, comme grande coupole surplombant la diversité européenne.

 

Rohan considérait que le catholicisme sous-tendait le grand œcoumène spirituel de l'Europe. Il défendait l'idée d'un "Abendland", d'un "Ponant", qu'il opposait à l'idée de "Paneurope" de son compatriote Richard Coudenhove-Kalergi. Jusqu'en 1934, le Kulturbund de Rohan est resté intact et des filiales ont émergé dans presque toutes les capitales européennes.

 

Aux colloques annuels impulsés par Rohan (Paris en 1924, Milan en 1925, Vienne en 1926, Heidelberg et Francfort en 1927, Prague en 1928, Barcelone en 1929, Cracovie en 1930, Zurich en 1932 et Budapest en 1934), de 25 à 300 personnes ont pris part. Les nombreuses conférences et allocutions de ces colloques, fournies par les groupes de chaque pays, duraient parfois pendant toute une semaine. Elles ont été organisées en Autriche jusqu'en 1938. Dans ce pays, ces initiatives du Kulturbund recevaient surtout le soutien du Comte P. von Thun-Hohenstein, d'Ignaz Seipel et de Hugo von Hofmannsthal, qui a inauguré le colloque de Vienne en 1926 et l'a présidé. Les principaux représentants français de ce courant étaient Ch. Hayet, Paul Valéry, P. Langevin et Paul Painlevé. En Italie, c'était surtout des représentants universitaires et intellectuels du courant fasciste qui participaient à ces initiatives. Côté allemand, on a surtout remarqué la présence d'Alfred Weber, A. Bergsträsser, L. Curtius, Lilly von Schnitzler, le Comte Hermann von Keyserling, R. von Kühlmann et d'importants industriels comme G. von Schnitzler, R. Bosch, O. Wolff, R. Merton, E. Mayrisch et F. von Mendelssohn.

 

Rohan peut être considéré comme l'un des principaux représentants catholiques et centre-européens de la "Révolution conservatrice"; il jette les bases de ses idées sur le papier dans une brochure programmatique intitulée Europa et publiée en 1923/24. C'est lui également qui lance la publication Europäische Revue, qu'il a ensuite éditée de 1925 à 1936. Depuis 1923, Rohan était véritablement fasciné par le fascisme italien. A partir de 1933, il va sympathiser avec les nationaux-socialistes allemands, mais sans abandonner l'idée d'une autonomie de l'Autriche et en soulignant la nécessité du rôle dirigeant de cette Autriche dans le Sud-est de l'Europe. A partir de 1935, il deviendra membre de la NSDAP et des SA. En 1938, après l' Anschluß, Rohan prend en charge le département des affaires extérieures dans le gouvernement local national-socialiste autrichien, dirigé par J. Leopold. En 1937, il s'était fait le propagandiste d'une alliance entre un catholicisme rénové et le national-socialisme contre le bolchevisme et le libéralisme, alliance qui devait consacrer ses efforts à éviter une nouvelle guerre mondiale. Beau-fils d'un homme politique hongrois, le Comte A. Apponyi, il travaille intensément à partir de 1934 à organiser une coopération entre l'Autriche, l'Allemagne et la Hongrie.

 

Après avoir dû fuir devant l'avance de l'armée rouge en 1945, Rohan est emprisonné pendant deux ans par les Américains. Après sa libération, Rohan ne pourra plus jamais participer à des activités publiques, sauf à quelques activités occasionnelles des associations de réfugiés du Pays des Sudètes, qui lui accorderont un prix de littérature en 1974.

 

L'importance de Rohan réside dans ses efforts, commencés immédiatement avant la première guerre mondiale, pour unir l'Europe sur base de ses Etats nationaux. Très consciemment, Rohan a placé au centre de son idée européenne l'unité des expériences historiques et culturelles de l'Est, du Centre et de l'Ouest de l'Europe. Cette unité se retrouvait également dans l'idée de "Reich", dans la monarchie pluriethnique des Habsbourgs et dans l'universalisme catholique de l'idée d'Occident ("Abendland", que nous traduirions plus volontiers par "Ponant", ndt). Les besoins d'ordre culturel, spirituel, religieux et éthique devaient être respectés et valorisés au-delà de l'économie et de la politique (politicienne). Cet aristocrate, solitaire et original, que fut Rohan, était ancré dans les obligations de son environnement social élitiste et exclusif tout en demeurant parfaitement ouvert aux courants modernes de son époque. En sa personne, Rohan incarnait tout à la fois la vieille Autriche, l'Allemand et l'Européen de souche française.

 

Dr. Guido MÜLLER.

 

(entrée parue dans: Caspar von SCHRENCK-NOTZING (Hrsg.), Lexikon des Konservatismus, L. Stocker, Graz, 1996, ISBN 3-7020-0760-1).

 

vendredi, 25 mai 2007

Kamikaze Diaries

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Ohnuki-Tierney, Emiko

Kamikaze Diaries: Reflections of Japanese Student Soldiers.

246 p., 12 halftones. 6 x 9 2006

Cloth $25.00 ISBN: 978-0-226-61950-7 (ISBN-10: 0-226-61950-8) Spring 2006
Paper $15.00 ISBN: 978-0-226-61951-4 (ISBN-10: 0-226-61951-6) Spring 2007

“We tried to live with 120 percent intensity, rather than waiting for death. We read and read, trying to understand why we had to die in our early twenties. We felt the clock ticking away towards our death, every sound of the clock shortening our lives.” So wrote Irokawa Daikichi, one of the many kamikaze pilots, or tokkotai, who faced almost certain death in the futile military operations conducted by Japan at the end of World War II. 

This moving history presents diaries and correspondence left by members of the tokkotai and other Japanese student soldiers who perished during the war. Outside of Japan, these kamikaze pilots were considered unbridled fanatics and chauvinists who willingly sacrificed their lives for the emperor. But the writings explored here by Emiko Ohnuki-Tierney clearly and eloquently speak otherwise. A significant number of the kamikaze were university students who were drafted and forced to volunteer for this desperate military operation. Such young men were the intellectual elite of modern Japan: steeped in the classics and major works of philosophy, they took Descartes’ “I think, therefore I am” as their motto. And in their diaries and correspondence, as Ohnuki-Tierney shows, these student soldiers wrote long and often heartbreaking soliloquies in which they poured out their anguish and fear, expressed profound ambivalence toward the war, and articulated thoughtful opposition to their nation’s imperialism. 

A salutary correction to the many caricatures of the kamikaze, this poignant work will be essential to anyone interested in the history of Japan and World War II.

TABLE OF CONTENTS

Acknowledgments
Author's Note
Preamble
Introduction

Chapter 1: Sasaki Hachiro
“What is patriotism? . . . the killing of millions of people and depriving billions of people of basic human freedom . . . ?”
 
Chapter 2: Hayashi Tadao
“All will crumble / Japan will meet its finale”
 
Chapter 3: Takushima Norimitsu
“Why must we fight? We no longer have any purpose for fighting.”
 
Chapter 4: Matsunaga Shigeo and Matsunaga Tatsuki
“War is another name for murder. . . .”
 
Chapter 5: Hayashi Ichizo
“We are assigned the location of our death.”
 
Chapter 6: Nakao Takenori
“Am I to simply die without any meaning to my life?”
 
Notes
References
Index

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Du symbolisme du cheval

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Du symbolisme du cheval

 

Le culte du cheval commence très tôt dans l'histoire de l'hu­manité : on trouve des représentations imagées du che­val sur les gravures rupestres et dans les cavernes. Le che­val est également enterré avec le défunt très tôt. La sym­bo­lique du cheval est toutefois ambivalente: elle est simul­ta­nément solaire et lunaire. Dans la mythologie védique, le cheval blanc représente le soleil; dans le Rig-Veda, l'astre du jour est clairement désigné sous le nom d'«étalon».

 

Un voyage entre les neuf mondes

 

Les chevaux n'accompagnent que les hommes importants et aussi les dieux : le plus connu des chevaux divins est sans conteste Sleipnir, le coursier d'Odin (« celui qui glisse rapi­dement »). Il possède huit jambes et est représenté par une étoile à huit rayons; le neuvième point, soit le centre, représente le siège du cavalier. Le chiffre "neuf" est le chif­fre sacré d'Odin, qui désigne la Vie, plus exactement les neuf mois de la grossesse et aussi les neuf mondes. Il y a identité entre Sleipnir et l'Arbre du Monde, Yggdrasil ( = Che­val/Porteur d'Yggr, lequel est Odin). Lorsque Odin che­vauche son coursier, cette course est identique à un voyage entre les neuf mondes. Le cheval est un véhicule (comme aussi dans d'autres religions), tandis que l'esprit du cavalier ou du conducteur (de char) prend position.

 

Dans la Chasse Sauvage aussi, le père cosmique Odin (All­vater Odin) chevauche Sleipnir, né du vent, aux côtés des morts, également montés, ce qui révèle la fonction trans­cen­dante du cheval: il dépasse les limites du monde et de la conscience; il est celui qui porte les hommes dans l'autre monde, il guide les âmes, est de la sorte un psychopompe, comme l'attestent bon nombre d'offrandes trouvées dans les tombes.

 

Le jour et la nuit, la fertilité

 

Le cheval appartient, dans la mythologie, tant au monde de la lumière qu'à celui des ombres : il est tout à la fois "Skin­faxi", celui dont la crinière est de lumière, et "Hrimfaxi", celui dont la crinière est de suie; ces deux chevaux appor­tent le jour et la nuit. Le cheval blanc ailé est un symbole solaire, comme l'est Pégase dans la mythologie grecque. Par­mi les découvertes archéologiques faites sur le site scan­­dinave de Trundholm, nous avons ce splendide cheval, tirant sur un char le disque solaire. Dans cette fonction, le cheval est un être qui maintient et conserve la vie; c'est en tant que tel qu'il apparaît chez les Vanes et les divinités de la fertilité.

 

Sigmund Freud, dans sa manie de tout vouloir sexualiser, a donné au symbole du cheval, récurrent dans les rêves, la si­gnification de "puissance (sexuelle)", ce qui est une in­di­ca­tion évidente à l'adresse des messieurs qui sont tombés bas de la selle, dont ils avaient rêvé: c'est le cheval qui fait le ca­valier !

 

En tant que soleil ou que coursier cosmique, le cheval est é­galement symbole de l'intelligence: «Le cavalier royal sym­bolise la maîtrise totale par la puissance de l'esprit» (cf. Marlene Baum). Lorsqu'il est remplacé par un lion, ce­lui-ci incarne alors "le soleil qui sèche l'humidité et dissipe le brouillard" (cf. J. C. Cooper). Il y a en effet un rapport étroit entre le cheval et l'eau: Poséidon, le dieu de la mer, est représenté sous les traits d'un cheval. C'est lui qui en­gendre le premier cheval des origines, Skyphios, puis d'au­tres chevaux. «Ce lien du cheval à l'eau est d'origine nor­dique et provient des peuples de la Mer du Nord et de la Bal­tique»  (cf. Marlene Baum). Le "Cheval des Vagues" est un "kenning" (une métaphore), propre à l'Edda, pour dési­gner les plus longs bateaux des Vikings. Les nuages sont les chevaux de combat des Walkyries. Chez les Grecs, Pégase ap­porte les orages et la pluie. Les chevaux tiraient des ba­teaux, des traîneaux et des chariots (comme, par exemple, dans le cas du char solaire de Trundholm, qui date environ de 1300 avant l'ère chrétienne).

 

Dans les premiers âges, le cheval était évidemment un mo­yen de transport, si bien que la force motrice de l'automo­bile, qui l'a remplacé, se mesure encore en "chevaux". C'est une signification que l'on peut transposer dans le domaine spirituel. C'est ainsi que l'on peut expliquer certaines règles particulières, concernant le cheval, comme dans le cas des prêtres païens germaniques, auxquels il était interdit de chevaucher des étalons. On prédisait l'avenir d'après les hen­nissements des chevaux blancs (les "Schimmel"), car on estimait que ceux-ci entretenaient un rapport plus direct a­vec les sphères des l'au-delà. Les Germains comme les Grecs juraient sur la tête de leurs chevaux. La signification religieuse du cheval, moyen de transport, lui assurait une double position dans le "Futhark" ou l'"Oding", soit la série com­plète des runes, propres à tous les peuples germa­ni­ques: il y est le Raidho, le :r:, de "Reise", voyage, et de "Ritt", chevauchée, et, en même temps, l'Ehwaz, l':e:, le che­val ["Ehwaz", terme en germanique ancien, se rap­proche du terme latin "equus", ndt].

 

Force chtonienne

 

Dans la mythologie celtique, la divinité équestre Epona pos­sède une force chtonienne, la reliant au monde des morts. Dans le chamanisme, on souligne surtout l'impor­tan­ce du passage entre les mondes, c'est-à-dire entre les dif­fé­rents états de conscience, ce qui se retrouve dans le per­son­nage mythologique d'Odin, qui, d'après la foi des Ger­mains de l'antiquité, avait reçu une initiation de type cha­ma­nique. Le gibet, auquel le pendu est accroché, est dé­signé comme le "cheval du pendu" [cf. le récit où Odin subit une pendaison pour apprendre le secret des runes, ndt]. Nous venons de voir qu'un rapport similaire unit symbo­li­quement Yggdrasil et Sleipnir, qui sont mis en équation. Cet­te interprétation se retrouve dans la religion chrétien­ne, qui a pris le relais du paganisme germanique des origi­nes, car un poème anglais du 14ième siècle désigne la croix comme le "cheval du Christ".

 

Le cheval est également un animal que l'on offre en sacri­fice. La cérémonie du sacrifice, dans les religions, consti­tue une tentative de faire passer un souhait dans la réalité. En ce sens, elle est un acte qui sanctionne un passage, donc réalise un état de transcendance. L'eucharistie, que l'on célèbre après le sacrifice du cheval, doit unir le dieu au­quel s'adresse le sacrifice, le cheval sacrifié et les sa­cri­ficateurs. Les interdits, imposés par le christianisme et relatifs à la consommation de viande chevaline (qui furent décidés en 742 lors du "Concile germanique"), attestent d'une tentative d'extirper une coutume religieuse païenne et tout ce qu'elle signifie. Cependant, le souvenir de cette coutume persiste encore dans le vocabulaire allemand : dans le terme "Stuten" (type de biscuit, dont la dénomina­tion signifie "jument") et dans l'expression de "Honigkuchen­pferd" (= Cheval de pain d'épice), ersätze  symboliques de l'antique consommation de viande chevaline.

 

Dans le « Phèdre » de Platon

 

Dans son Phèdre, Platon décrit l'âme humaine comme étant composée de trois parties: l'une symbolisée par un noble cheval, l'autre par un canasson dépourvu de noblesse, et la troisième par un conducteur de char. Les crânes de cheval, que l'on trouve suspendus traditionnellement sur les pi­gnons des fermes en Basse-Saxe, ont une signification apo­tropaïque (i.e . dévier la mort et le malheur de la maison). Le cheval apparaît aussi comme un cauchemar nocturne, qui induit la peur. Toutes ces coutumes relient le symbo­lis­me du cheval à l'âme et à la vie de l'âme.

 

Les Indiens d'Amérique du Sud considèrent que le cheval et son cavalier ne font qu'un, alors que nous y voyons toujours une dualité. Ils ne comprenaient pas la symbiose, qui pou­vait s'opérer entre l'animal porteur et l'homme porté, parce que le cheval leur était étranger. Dans la symbolique, le che­val et le cavalier forme une dualité primordiale, origi­nelle : il y a là alliance de la vitalité et de l'intelligence, du corps et de l'esprit, du ciel et de la terre.

 

Le cheval demeure présent dans nos rêves

 

Pour répondre à la question, quel rôle joue le cheval dans la vie psychique et spirituelle de l'homme contemporain?, nous ne pouvons répondre que par une autre question: l'hom­me n'est-il que le parasite du cheval ou existe-t-il une symbiose entre eux? L'automobile, qui a largement rempla­cé le cheval dans l'univers lourdement matérialiste qui est le nôtre désormais, est effectivement notre esclave méca­ni­que, car, contrairement au cheval, elle est sans vie, sans volonté propre. Pas étonnant dès lors que l'automobile n'a jamais pu véritablement remplacer le cheval; on constate, effectivement, que l'homme continue à voir des chevaux dans ses rêves, même s'il ne les voit et ne les connaît pas dans sa vie quotidienne. La présence de chevaux dans les rêves confirme l'hypothèse de Carl Gustav Jung, qui parlait du cheval comme d'un archétype (plus exactement comme l'archétype de la mère), comme d'un symbole tapi dans le subconscient collectif profond. Certes, le fier cavalier, mon­­tant le cheval archétypal de notre inconscient, peut pa­raître un anachronisme, il n'en demeure pas moins vrai que la symbolique liée au cheval, avec ses significations mul­tiples, continue d'être bien vivante : le cheval reste par exemple symbole de liberté, perceptible notamment dans l'en­gouement des masses pour les cavaliers gardiens de vaches des plaines de l'Ouest de l'Amérique du Nord (les "cow-boys"), dont le cheval est évidemment le principal at­tri­but. Par ailleurs, le mythe du chevalier, qui est un cava­lier, conserve toute sa vigueur: à la caste des chevaliers ap­partenaient jadis ceux qui pouvaient entretenir un che­val, le monter et le mener à la guerre.

 

Intermédiaire entre les sexes

 

Le cheval n'est pas seulement confiné à la virilité;  il est bien plutôt une sorte d'intermédiaire entre les sexes (cf. Mar­lene Baum). Dans les sports équestres, l'homme et la fem­me sont à égalité. Pour beaucoup, le cheval est plutôt un symbole de l'animalité en l'homme. Dans cette fonction, il fait office de miroir. Le cheval sans cavalier représente "dès la mythologie grecque, le thème de la souffrance déri­vée du conflit irrésolu entre l'homme et la nature" (Marlene Baum). La séparation du cheval et du cavalier est l'image originelle de la césure; dans cette optique, les centaures de la mythologie grecque sont des êtres n'ayant pas encore subi cette césure. Cette césure fait ressentir à l'homme, de­puis la lointaine aurore de la conscience, qu'il est un être fait d'incomplétude, une incomplétude qui le fait souffrir con­tinuellement, et qui, de ce fait, fonde les croyances re­li­gieuses et pousse l'homme à créer.

 

D. A. R. SOKOLL.

(texte tiré de la revue Hagal, 3. Jg., 2/2000).

 

Bibliographie:

 

BAUM, Marlene : Das Pferd als Symbol: Zur kulturellen Bedeutung einer Symbiose, Frankfurt am Main, Fischer, 1991. COOPER, J. C. : Illustriertes Lexikon der traditionnellen Sym­bole, Wies­baden, Drei Lilien, 1986.

LURKER, Manfred (Hrsg.) e. a. : Wörterbuch der Symbolik, 2 erw. Aufl., Stuttgart, Kröner, 1983, pp. 525-526.

SOKOLL, D. A. R. : Den Baum reiten : Die neun Welten der ger­ma­nischen Mythologie, Wuppertal, 1999.

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jeudi, 24 mai 2007

M. Weber et le polythéisme des valeurs

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Max Weber: polythéisme des valeurs et éthique de la responsabilité

 

L'homme moderne paie un prix non dérisoire à la modernité: l'impossibilité d'ignorer que lui-même est l'artifice des valeurs en lesquelles il croit.

 

Au fur et à mesure que décroît la transcendance, le monde moderne apparaît nietzschéennement «humain, trop humain».

 

«Qu'arrivera-t-il donc à l'homme, sur le plan spirituel, dans un contexte où la conduite de la vie sera toujours plus rationalisée?». C'est par cette question que W. Hennis synthétise tout le sens de la recherche de Max Weber, souligne la nécessité actuelle d'une lecture attentive, ouverte sur le présent, de son œuvre.

 

L'essence, les orientations et l'avenir du "monde moderne" sont les thèmes qui accompagnent la condamnation d'une société dans laquelle le progrès technique et l'opulence des moyens mis à disposition pour gérer la vie des individus ne correspondent nullement ni à un niveau éthique élevé et convenable ni à une conscience civique et démocratique plus mûre. Mais, pour Max Weber, qu'est-ce que le "monde moderne"? C'est le monde de la calculabilité totale, l'émergence d'une réalité rationnellement "calculée" et "calculable".

 

La prémisse du rationalisme occidental moderne se retrouve toute entière dans ce processus d'épuration des Weltanschauungen, où celles-ci sont dépouillées graduellement de tous leurs éléments magiques, anthropomorphiques ou simplement grevés d'un sens. Ce processus est celui du "désenchantement" et il nous vient de loin. Il a commencé par la sortie hors du jardin d'Eden, après laquelle les premières formes de dépassement volontaire des éthiques magiques ont commencé à se manifester. «Plus le rationalisme refoule la croyance à la magie du monde, plus les processus à l'œuvre dans le monde deviennent "désenchantants" et perdent leur sens magique, se limitent à "être" et à "survenir" au lieu de "signifier"».

 

Dans un monde dominé et défini par le "calcul rationnel", il n'y a plus rien à "désenchanter": la réalité n'est plus qu'un amas de purs mécanismes causaux où rien n'a plus le moindre sens propre; quant à la position de l'homme, elle devient toute entière "mondaine", par la laïcisation et la routine des rôles sociaux, où on ne juge plus qu'à l'aune de la compétence bureaucratique et méthodique. Au fur et à mesure où la transcendance décroît, où les principes se réduisent à des habitudes et des méthodes quotidiennes, le monde moderne devient ce que Nietzsche appelait "humain, trop humain". Le contraste avec les sociétés précédentes, traditionnelles, vient de ce que ces dernières étaient entièrement liées par un puissant symbolisme magique et religieux. Le monde moderne se présente, face à ces sociétés traditionnelles, comme une "rupture qualitative".

 

Mis à part la nostalgie des certitudes perdues, caractéristiques d'une vision du monde non encore frappée par le désenchantement, cet état de choses montre que nos contemporains sont convaincus de l'impossibilité de récupérer le passé et de la nécessité de réaliser pleinement les valeurs que l'époque moderne a affirmées: «La liberté et l'autonomie de la personne. L'individu est responsable de la constitution des valeurs et de leurs significations à travers la rationalisation de son action, c'est-à-dire de sa capacité à se donner une règle et de la suivre, plutôt que d'agir sur base de ses impulsions».

 

Le primat de la rationalité a permis à l'homme moderne d'atteindre un degré de liberté jamais connu au préalable, auquel il est évidemment possible de renoncer, mais seulement, dit-on, en accomplissant un "sacrifice de l'intellect", comme le font "ceux qui ne sont pas en mesure d'affronter virilement le destin de notre époque" et préfèrent retourner "dans les bras des vieilles églises".

 

Weber n'a pas manqué de souligner combien "le monothéisme traditionnel, introduit dans notre civilisation par le judaïsme et le christianisme, après une préparation au niveau éthique et métaphysique par le platonisme, est entré en crise". La conception rationalisée de la divinité ferme à l'homme tout accès à la transcendance. Le déclin de la "belle et pleine humanité", induit par l'éthique protestante avec son idée de dévouement professionnel, finit par nous projeter exclusivement en direction de la sphère mondaine, conférant aux puissances matérielles et contingentes de l'économie la prééminence coercitive que nous connaissons. Dans les pages de conclusion de L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, l'idée maîtresse de Weber revient à dire que le "manteau subtile" de cette préoccupation pour les biens extérieurs est devenue une "cage d'acier", dont on ne peut plus échapper. Dans ces pages fondamentales, la modernité finit par apparaître comme une convergence de forces vers un effet unique: la prédominance de la rationalité formelle et désenchantée de l'économie sur tout l'agir humain.

 

La rationalité propre de l'ère moderne et la rationalisation religieuse sont étroitement liées.

 

Se libérer de la magie, donc amorcer le processus de désenchantement, sanctionne la disparition de toute signification transcendante dans le monde, et, pour cela, ouvre toutes grandes les portes aux forces séculières.

 

En outre, si nous prenons acte de cette caractéristique majeure de la modernité, qui est de ne pas pouvoir être reconduit à un principe unificateur, nous voyons que notre vie est en réalité une multiplicité de principes, chacun étant incorporé dans une sphère de valeurs autonomes dotées chacune d'une dynamique propre; chaque sphère est irréductible à toute autre. Il s'ensuit que la modernité est une cage de cages, où aucune ne peut plus dominer l'autre en lui imposant ses propres principes.

 

Si nous examinons ces images dans l'optique de l'individu qui s'y trouve immergé, nous ne pouvons pas ne pas noter comment, à la fin du long cheminement historique et évolutif du "désenchantement" et de la rationalisation, l'individu de la modernité tardive se trouve paradoxalement confronté à un polythéisme renouvelé. «Les dieux antiques, dépouillés de leur fascination et, par suite, réduits au niveau de puissances impersonnelles, se dressent hors de leurs tombeaux, aspirent à dominer nos vies et reprennent leur lutte éternelle. Ils ont simplement changé d'aspect, ils arrivent comme dans le monde antique, encore sous l'enchantement de ses dieux et de ses démons; comme les Grecs qui sacrifiaient tantôt à Aphrodite tantôt à Apollon, et chacun d'entre eux en particulier aux dieux de leur propre cité, les choses sont encore telles aujourd'hui, mais sans l'enchantement et sans le charme de cette transfiguration plastique, mythique mais intimement vraie».

 

Le problème soulevé par Max Weber et par son analyse du processus de rationalisation demeure absolument actuel. Parler d'un conflit des valeurs signifie nécessairement revenir à une discussion sur les critères régulateurs de l'action dans une société qui ne reconnaît aucune norme ou aucune valeur universelles.

 

La rationalisation procède au "désenchantement" de la réalité, mais ne peut annuler le besoin de l'homme de donner une signification au monde lui-même et de faire en sorte que du chaos "de l'infinité privée de sens du devenir" naisse en fin de compte un cosmos caractérisé par l'ordre et la signification. A ce propos, Max Weber nous rappelle l'enseignement de Platon: «Le fruit de l'arbre de la connaissance, fruit inévitable même s'il est insupportable pour la commodité des hommes, ne consiste en rien d'autre que dans le devoir de considérer que toute action singulière importante et, de ce fait, la vie prise comme un tout, est un enchaînement de décisions ultimes, par l'intermédiaire desquelles l'âme choisit son propre destin  —et, en conséquence, le sens de son agir et de son être». Le conflit entre les valeurs se révèle ainsi une lutte pour le sens.

 

Une fois que tombe la possibilité de se référer à des modèles universellement valables, il reste à l'homme moderne la possibilité de donner une signification à sa propre existence en modulant son action sur des valeurs qu'il a choisies consciemment et qu'il a suivies dans la cohérence.

 

Un modèle éthique de ce type pose évidemment des problèmes dont la résolution n'est pas facile. Mais le remède, dit Weber, doit être recherché dans l'acceptation consciente du défi lancé par la modernité: on s'inspire des principes d'une éthique, à travers laquelle l'individu reconnaît et affirme, face à lui-même, sa propre responsabilité.

 

C'est dans le même esprit que Nietzsche avait écrit: «Personne ne peut te construire les ponts sur lesquels tu devras traverser le fleuve de la vie, personne en dehors de toi-même».

 

Luigi BECHERUCCI.

 

(article paru dans Area, juillet-août 2000, pp. 70-71).

 

 

 

mercredi, 23 mai 2007

Cauchemar géopolitique des Etats-Unis

Le cauchemar géopolitique des Etats-Unis


Une analyse pertinente des sérieuses défaites enregistrées sur plusieurs fronts, internes et externes, par l'administration Bush qui, aux abois, risque de provoquer une nouvelle guerre.



Copyright Asia Times
Copyright Asia Times

Le cauchemar géopolitique des Etats-Unis

En attirant l'attention sur l'Irak et le rôle évident joué par le pétrole dans la politique américaine actuelle, l'administration de Georges Bush- Dick Cheney a juste fait ceci : il a attiré l'attention des puissance mondiales déficitaires en ressources énergétiques sur une bataille stratégique pour l'énergie et plus particulièrement le pétrole.

Ceci a déjà des conséquences sur l'économie mondiale en terme de coût du baril de pétrole actuellement à 75 dollars. Maintenant cela prend la dimension de ce qu'un ex secrétaire à la défense américaine a appelé un « cauchemar géopolitique » pour les Etats-Unis.

La création par Bush, Cheney, le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld et Cie d'un cauchemar géopolitique est aussi la toile de fond pour comprendre le changement politique dramatique au sein de l'administration américaine ces derniers mois, un éloignement de la présidence de Bush. En deux mots : Bush - Cheney et leur bande de néo conservateurs durs pro guerre, qui entretiennent une relation spéciale sur les capacités d'Israël, en Irak et dans tout le Moyen Orient, ont eu leur chance.

Cette chance c'était de remplir le but stratégique des Etats-Unis de contrôler mondialement les ressources pétrolières, pour assurer le rôle hégémonique des Etats-Unis, pour la prochaine décennie et plus. Non seulement ils ont raté cet objectif de cette domination stratégique, ils ont aussi fortement ébranlé la base même de l'hégémonie mondiale continue américaine, ou comme dans le jargon de Rumsfeld / Pentagon : « full spectrum dominance » de domination totale.

La décision du président bolivien Eva Morales, après avoir rencontré ses homologues vénézuelien et cubain, Hugo Chavez et Fidel Castro, de nationaliser les ressources en pétrole et en gaz de son pays, est la dernière démonstration du déclin de la projection du pouvoir des Etats-Unis.

La doctrine de Bush dans la balance

Alors que la réalité de la politique étrangère américaine est obscurcie par la rhétorique sans fin de « défense de la démocratie », et ainsi de suite, c'est utile de rappeler que la politique étrangère des Etats-Unis depuis l'effondrement de l'Union Soviétique était ouverte et explicite. C'était de prévenir à tout prix la concrétisation d'un rassemblement potentiel de nations qui pourraient défier la domination des Etats Unis. C'est la politique américaine telle qu'exposée par Bush dans son discours de juin 2002 à l'académie militaire américaine à West Point, New York.

Là, le président a décrit l'éloignement radical de la politique explicite des Etats-Unis dans deux domaines vitaux : une politique de guerre préventive, si les Etats-Unis étaient menacés par des terroristes ou des états voyous, engagés dans la fabrication d'ADM, deuxièmement, le droit à l'auto défense autorise les Etats-Unis a lancer des attaques par préemption contre des agresseurs potentiels, les détruisant avant qu'ils ne lancent des attaques contre les Etats-Unis.

La nouvelle doctrine américaine, la doctrine Bush, proclamait aussi, « le devoir des Etats-Unis c'est de poursuivre des actions militaires unilatérales quand il est impossible de trouver des solutions multilatérales. » Cette doctrine va plus loin et déclare que la politique américaine c'est que « les Etats-Unis ont eu, et ont l'intention de garder, une puissance militaire non égalée ». Les Etats-Unis mènerait toute action nécessaire pour continuer à être l'unique super puissance militaire mondiale. Ceci ressemble à la politique de l'empire britannique avant la première guerre mondiale, plus précisément que la flotte royale britannique doit être plus grande que les deux plus grandes flottes mises ensemble.

La politique américaine comprenait aussi des actions pour des changements de régime dans le monde sous le slogan d'« étendre la démocratie ». Comme Bush l'a dit à West Point : « l'Amérique n'a pas d'empire à étendre ou d'utopie à établir. Nous souhaitons pour les autres ce que nous souhaitons pour nous – mêmes – sécurité contre la violence, les récompenses de la liberté, et l'espoir d'une vie meilleure. »

Ces fragments d'une politique ont été rassemblés en une politique officielle en septembre 2002, dans un texte du Conseil de Sécurité National intitulé « Stratégie Nationale de Sécurité des Etats Unis ». Ce texte a été écrit pour aval par le président par la conseillère à la sécurité nationale de l'époque Condoleezza Rice.

Elle, de son côté, s'est servi d'un document préparé auparavant en 1992 sous la présidence de Bush père, par le néo conservateur Paul Wolfowitz. La doctrine de Bush et de Rice a été entièrement délimitée en 1992 dans un guide de planification de la défense intitulé « ébauche finale » réalisé par le secrétaire à la défense pour la politique Wolfowitz, et connu à Washington sous le nom de « doctrine de Wolfowitz. ». Wolfowitz déclare alors que, avec la disparition de la menace d'une attaque soviétique, les Etats-Unis étaient la seule super puissance qui devrait poursuivre son agenda mondial, inclus la guerre de préemption et des actions de politique étrangère unilatérales.

Une fuite interne de l'ébauche au New York Times a conduit à l'époque Bush père à dire que ce n'était « q'une ébauche et non la politique américaine ». en 2002 c'était devenu la politique américaine.

La doctrine Bush stipulait que des actions « militaires de préemption » étaient légitimes quand la menace « émergeait » ou était « suffisante », même s'il restait des incertitudes quant au moment, l'endroit, de l'attaque de l'ennemi. » Ceci laissait un trou suffisamment large pour qu'un tank Abrams puisse s'y engouffrer, selon des critiques. L'Afghanistan, par exemple, a été déclaré une cible légitime pour un bombardement militaire américain parce que le régime des talibans avait dit qu'il livrerait Osama Ben Laden seulement quand les Etats Unis auraient apporté la preuve qu'il était derrière les attaques du World Trade Center et du Pentagon le 11 septembre 2001. Bush n'a pas donné de preuve. Il a effectivement lancé une guerre de préemption. A l'époque, peu ont pris la peine de se pencher sur les subtilités des lois internationales.

La doctrine de Bush était et est une doctrine néo conservatrice de guerres préventives et de préemption. Cela s'est avéré être une catastrophe stratégique pour les Etats-Unis pour son rôle d'unique super puissance. Ceci est la toile de fond pour comprendre tous les évènements d'aujourd'hui comme ils se déploient dans et autour de Washington.

Le futur de cette doctrine de politique étrangère de Bush – et en fait la future capacité des Etats-Unis à s'accrocher à cette position d' unique super puissance ou unique quelque chose – c'est ce qui est actuellement mis en jeu en ce qui concerne le futur de la présidence de Bush. Il est utile de noter que Wolfowitz écrivait dans son ébauche de 1992 pour le secrétaire à la défense de l'époque, Dick Cheney.

L'administration Bush en crise

Le signe le plus fascinant d'un changement important au sein de l'administration politique américaine à l'égard de la doctrine de Bush et de ceux qui sont derrière celle-ci, c'est le débat qui se développe sur le texte de 83 pages d'abord publié sur le site officiel de l'université d'Harvard, critiquant le rôle dominant d'Israël dans la fabrique de la politique étrangère des Etats-Unis.

Cependant, ce qui est profondément significatif cette fois c'est que les principaux medias, inclus Richard Cohen dans le Washington Post, ont défendu les auteurs Stephen Walt et John Mearsheimer. Même une partie de la presse israélienne l'a fait. Le tabou de parler publiquement de l'agenda pro Israël des néo conservateurs a, apparemment, été brisé. Ceci suggère que la veille garde de l'administration de la politique étrangère, des gens comme Brzezinski et Brent Scowscroft et leurs alliés, accroissent leur pression pour reprendre en main la direction de la politique étrangère. Les néo cons ont prouvé être un échec colossal dans leur défense des intérêts stratégiques américains tels que les perçoivent les réalistes.

Cet article « Le lobby israélien et la politique étrangère américaine »* a été écrit par deux personnes forts respectées, des réalistes en matière de politique étrangère américaine qui conseillent le département d'état. Les auteurs sont ni des skinheads néonazis, ni antisémites. Mearsheimer est professeur de science politique et codirecteur du programme sur la politique de sécurité internationale à l'université de Chicago. Walt est un recteur d'académie et a une chaire d'enseignement à la Kennedy School of Government d'Harvard. Tous les deux sont membres de la Coalition pour une Politique Etrangère Réaliste. On les appelles les « réalistes », et cela inclus Henri Kissinger, Scowcroft, et Brzezinski.

Certaines de leurs conclusions à propos du lobby israèlien soulignent que :

« aucun lobby n'a réussi à autant détourner la politique de l'intérêt national américain tel qu'on peut l'envisager, tout en convaincant simultanément les américains que les intérêts des Etats-Unis et ceux d'Israël étaient essentiellement les mêmes. "

Ceux qui soutiennent Israël ont fait la promotion de la guerre contre l'Irak. Les hauts fonctionnaires de l'administration qui ont conduit la campagne étaient aussi à l'avant garde du lobby pro israélien, comme Wolfowitz ; le sous secrétaire à la politique de défense Douglas Feith ; Elliott Abrams, responsable à la Maison Blanche des affaires du Moyen Orient, David Wumser, responsable des affaires du Moyen Orient auprès de Dick Cheney vice président, Richard Perle, le plus néo con des néo cons, directeur du comité de politique de défense, un organisme de conseil regroupant des experts en stratégie.

Un effort similaire est actuellement mené pour bombarder les installations nucléaires iraniennes.

L'AIPAC (le Comité pour les Affaire Publiques Américaines et Israéliennes) se bat pour ne pas être enregistré comme groupe d'agents étrangers, parce que cela mettrait de sérieuses limites à ses activités auprès du Congrès, particulièrement dans le domaine des élections législatives. Les politiciens américains sont très sensibles aux campagnes de financement et autres formes de pression politique et les principaux médias continueront probablement de montrer de la sympathie pour Israël quoiqu'il fasse.

C'est utile de citer les buts officiels de la Coalition pour une Politique Etrangère Réaliste, dont Walt et Mearsheimer font partie, pour avoir une meilleure compréhension de leur position dans le combat que se joue actuellement entre les différentes factions de l'élite américaine. Le site internet de cette Coalition affirme :

"Sur fond d'un conflit de plus en plus meurtrier en Irak, la politique étrangère américaine se déplace dans une direction dangereuse, celle d'un empire. Des tendances impérialistes inquiétantes sont apparentes dans la stratégie de Sécurité Nationale Américaine de l'administration Bush. Ce document plaide pour le maintient de la domination militaire américaine du monde, et il le fait d'une façon qui encourage d'autres nations à former des coalitions et alliances pour faire contre poids. Nous pouvons nous attendre, et nous le voyons maintenant, à ce que de multiples contre pouvoirs se forment contre nous. Les peuples répugnent et résistent à la domination, aussi bénigne soit-elle."

Les auteurs Walt et Mearsheimer notent également, que Perle et Feith ont mis leur nom sur un document de politique en 1996 réalisé pour le gouvernement de l'époque de Benjamin Netanyahu en Israël et intitulé « Une rupture nette : une nouvelle stratégie pour renforcer la nation »*

Dans ce document, Perle et Feith conseillaient à Netanyahu que pour reconstruire le sionisme on doit abandonner toute idée d'échanger la terre pour la paix avec les palestiniens, et d'abroger les accords d'Oslo. Ensuite, Saddam Hussein doit être renversé, et la démocratie établie en Irak, ce qui se montrerait contagieux ensuite chez les autres voisins arabes d'Israël. C'était en 1996, 7 ans avant que Bush ne lance une guerre presque unilatérale pour un changement de régime en Irak.

Quand Tim Russert, de la TV NBC dans l'émission très populaire « Meet The Press » a posé des questions à Perle sur sa liste géopolitique de changements de régimes au bénéfice d'Israël, il a répondu :« qu'est ce qu'il y a de mal à cela. »

Pour que tout cela puisse réussir, Perle et Feith ont écrit : « Israël aura à obtenir un soutien américain étendu. » Pour s'assurer de ce soutien, ils ont conseillé au premier ministre israélien d'utiliser « un langage familier aux américains, en s'inspirant des thèmes utilisés par les administrations américaines précédentes pendant la guerre froide, et qui s'appliquent aussi à Israël ». Un chroniqueur du journal israélien Haaretz a accusé Perle et Feith de « marcher sur une ligne mince entre leur loyauté aux gouvernements américains et les intérêts israéliens. »

Aujourd'hui, Perle a été obligé de faire profil bas à Washington après avoir initialement été à la tête du directorat de la politique de la défense de Rumsfeld. Feith a été obligé de quitter le département d'état, pour le secteur privé. Ceci c'était il y a plus d'un an.

Des vagues de démissions chez Bush

Le directeur du personnel de la Maison Blanche, un homme loyal à la famille Bush depuis 25 ans, Andrew Card, est parti, et dans une annonce qui a apparemment choqué les durs chez les néo conservateurs, tel que William Kristol, vendredi, Porter Goss le dirigeant pro néo conservateur de la CIA a annoncé brusquement sa démission en une phrase.

Le départ de Goss a été précédé d'un scandale qui monte en puissance et qui implique le N°3 de la CIA, le directeur exécutif Kyle « Dusty » Foggo. En décembre dernier, l'inspecteur général de la CIA a ouvert une enquête sur le rôle de Foggo dans un contrat frauduleux CIA Pentagon. Foggo est aussi lié à un scandale sexuel entrain de faire surface qui implique le parti républicain à la Maison Blanche et qui ferait pâlir l'affaire de Monika Lewinsky qui a provoqué de nombreux problèmes pour Bill Clinton. Comme Goss a violé la priorité à l'ancienneté en nommant Foggo N°3 de la CIA, les medias font le lien entre la démission de Goss et les scandales imminents sexuels et de chantage qui vont éclaté autour de Foggo.

Le cas Foggo est lié à l'affaire concernant le membre républicain du Congrés tombé en disgrâce Randall « Duke ». Des procureurs fédéraux ont accusé, l'un des amis les plus proches de Foggo, comme co-conspirateur non écroué, l'homme d'affaires de San Diego Brent Wilkes, d'avoir participé à un plan pour faire chanter Cunningham, l'ex représentant au congres de San Diego.

Cunningham, lui, est lié au républicain condamné pour blanchiment d'argent Jack Abramoff. Foggo supervisait des contrats dont l'un d'entre eux au moins avait été passé avec la société accusée de payer des pots de vin au membre du Congres Cunningham. Le Wall Street Journal, rapporte que Foggo était un ami proche depuis le lyçée avec le sous traitant pour la Défense Brent R. Wilkes, et qu'une enquête criminelle est en cours se concentrant sur le fait de savoir « si Mr Foggo a utilisé sa position à la CIA pour malhonnêtement orienter des contrats vers les sociétés de Mr Wilkes. »

Wilkes a été impliqué dans les accusations contre Cunningham co-conspirateur non inculpé, qui aurait payé 630 000 dollars en pots de vin à Cunningham pour aider à obtenir des contrats de la défense fédérale et autres. Aucune plainte n'a été déposée contre Wilkes, bien que les procureurs fédéraux travaillent au montage d'un dossier contre lui et Foggo.

Le FBI et les procureurs fédéraux, enquêtent sur des preuves que Wilkes a offert des cadeaux à Foggo, et a payé pour différents services, notamment des orgies à Watergate ( maintenant Westin) tandis que Foggo était dans une position de l'aider à obtenir certains contrats de la CIA.

La démission de Goss fait suite aux demandes du public pour la démission immédiate de Rumsfeld à cause de la débâcle militaire en Irak, à la suite des critiques émises par un chœur grandissant d'anciens généraux de l'armée américaine.

Dernière péripétie dans ce processus de sape du régime de Bush, un incident à Atlanta jeudi dernier devant une audience supposée favorable à la politique étrangère et où Rumsfeld a pris la parole. Pendant le temps des questions, il s'est trouvé confronté à ses mensonges concernant les raisons s'entrer en guerre contre l'Irak.

Ray Mac Govern, un vétéran ayant passé 27 ans à la CIA et qui autrefois faisait les brèves synthèses en matière de renseignement le matin auprès de Bush père, a engagé un long débat avec Rumsfeld. Il a demandé pourquoi Rumsfeld avait insisté avant l'invasion de l'Irak qu'il y avait une évidence sûre liant Saddam et al Qaeda.

« Etait ce un mensonge, Mr Rumsfeld, ou était ce une production venant d'ailleurs ? Parce que tous mes collègues de la CIA avaient mis ceci en doute de même que la commission sur le 11 septembre. » Mc Govern a dit à Rumsfeld médusé « Pourquoi nous avez-vous menti pour nous entraîné dans cette guerre qui n'était pas nécessaire ? »

Ce qui suit est significatif des changements opérés dans les médias influents concernant leur approche actuelle de Rumsfeld, Cheney et Bush. Le Los Angeles Times rapporte:

« Au début de la discussion, Rumsfeld est resté imperturbable comme d'habitude : « je n'ai pas menti ; je n'ai pas menti à cette époque ; » avant de se lancer dans une défense vigoureuse des déclarations de l'administration avant la guerre sur les ADM.

Mais Rumsfeld s'est inhabituellement tu quand Mc Govern l'a pressé sur des affirmations faites qu'il savait ou se trouvait ces armes non conventionnelles.

« Vous avez dit que vous saviez où elles étaient », a dit Mc Govern.

« Je ne l'ai pas dit. J'ai dit que je savais où se trouvaient des sites suspects » a rétorqué Rumsfeld.

Mc Govern a alors lu des déclarations que le secrétaire à la défense avaient faites que les armes étaient situées près de Tikrit, Iraq et Bagdad… »

Rumsfeld est resté plongé dans un silence tombal. La totalité de cette discussion a été filmée et retransmise à la télévision.

Il est clair que les jours de Rumsfeld sont comptés. Karl Rove devrait être co-inculpé avec l'aide de Cheney, Lewis « Scooter », pour l'affaire des fuites concernant Valérie Plame. Rappelons que cette affaire portait sur des supposées preuves concernant de l'uranium acheté par Saddam Hussein, et qui ont servi à persuader le Congrès à renoncer à une déclaration de guerre et à donner carte blanche à Bush.

Tous ses fils sont entrain d'être prudemment rassemblés par une faction réaliste ré -émergeante, en une tapisserie qui peut conduire à une mise en accusation en temps voulu, peut être aussi du vice président, le vrai pouvoir derrière la présidence.


Une politique étrangère désastreuse avec la Chine

Dans ce contexte, l'insulte diplomatique de Bush au président chinois Hu Jintao venu en visite, est désastreuse pour les Etats-Unis sur la scène internationale. Bush a agi selon un script écrit par des néo conservateurs anti Chine, délibérément rédigé pour insulter et humilier Hu à la Maison Blanche.

D'abord, il y a eu l'incident au cours duquel un journaliste de Taiwan, un membre du Falungong, présent dans une salle de conférence de la Maison Blanche dont les entrées sont passées au peigne fin, a déclamé une tirade contre les violations par la Chine des droits de l'homme, et ce, pendant plus de trois minutes, sans qu'on n'essaie de le faire sortir, à une conférence de presse filmée.

Puis, l'hymne national chinois a été joué pour Hu, présenté comme l'hymne national de la République de Chine – Taiwan. Ce n'était pas un lapsus de la part des responsables du protocole à la Maison blanche, mais un effort délibéré pour humilier le dirigeant chinois.

Le problème, c'est que l'économie américaine est devenue dépendante des importations chinoises, également du fait que les chinois détiennent des bons du trésor américains. La Chine est actuellement celui qui détient le plus de ces réserves américaines soit environ 825 billions de dollars. Si Beijing décide de sortir du marché des bons américains, même seulement en partie, cela provoquerait une chute du dollar et l'effondrement du marché immobilier de 7 trillions de dollars, une vague de banqueroutes, et un chômage massif. C'est une option réelle, même si elle est peu probable actuellement.

Hu, n'a cependant pas perdu son temps à déplorer les affronts faits par Bush. Il est allé immédiatement en Arabie Saoudite, pour une visite d'état de 3 jours, pour signer des accords commerciaux, de défense, et de sécurité. Ceci n'est pas une petite claque à la figure de Washington lancée par la famille royale saoudienne traditionnellement « loyale » aux USA.

Hu a signé un accord pour que la SABIC (Saudi Basic Industries Corp) un puissant congloméra industriel saoudien, construise une raffinerie de pétrole et réalise un projet de pétro chimie d'une valeur de 5,2 billions. Au début de cette année, le roi d'Arabie Saoudite, Abdullah, a fait une visite d'état à Beijing.

Depuis l'accord passé entre la maison des Saud et l'administration américaine sous F. Roosevelt offrant une concession exclusive à Aramco, entreprise américaine, et non aux anglais, pour développer le pétrole saoudien en 1943, l'Arabie Saoudite était considérée par Washington comme sphère d'intérêt stratégique commun.

Puis Hu est allé au Maroc, au Niger, et au Kenya, tous vus comme des « sphères d'intérêts américains ». Il y a seulement 2 mois, Rumsfeld était au Maroc pour offrir des armes. Hu offre de financer l'exploration de sources d'énergie dans ces pays.


Le SCO et les évènements avec l'Iran

Les derniers développements concernant l'Organisation de Coopération de Shanghai (Shanghai Coopération Développement, SCO) et l'Iran, montre une fois de plus les changements dramatiques concernant la position géopolitique des Etats-Unis.

Le SCO a été crée à Shanghai en juin 2001, par la Russie et la Chine, avec 4 autres républiques d'Asie Centrale de l'ancien Union soviétique : le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l'Uzbekistan. Avant le 11 septembre 2001, et la déclaration par les USA de « l'Axe du Mal » en janvier 2002, le SCO était juste un groupe de discussion sur la toile de fond géopolitique pour Washington.

Aujourd'hui, le SCO, dont évitent de parler les medias influents américain, est entrain de définir une nouvelle politique de contrepoids à l'hégémonie américaine et son monde « unipolaire ». Au prochain rendez vous du SCO, le 15 juin, l'Iran sera invité à devenir un membre à part entière.

Et le mois dernier à Téhéran, l'ambassadeur chinois Lio G Tan a annoncé qu'un accord pétrolier et sur le gaz était en voie d'être signé entre la Chine et l'Iran.

Cet accord porte sur 100 billions de dollars, et comprend le développement du vaste champ pétrolifère de Yadavaran. La compagnie chinoise Sinopec serait d'accord pour acheter 250 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié pendant 25 ans. Pas étonnant que la Chine ne se précipite pas pour soutenir Washington contre l'Iran au Conseil de Sécurité de l'ONU. Les Etats-Unis ont essayé de mettre une forte pression sur Bejing pour arrêter l'accord, pour des raisons géopolitiques évidentes, mais sans succès. Une autre défaite majeure pour Washington.

L'Iran avance aussi d'autres plans pour délivrer du gaz naturel via un pipeline au Pakistan et à l'Inde. Les ministres de l'énergie des trois pays se sont rencontré à Doha récemment et on prévu de se revoir ce mois ci au Pakistan.

Les progrès concernant le pipeline est un mauvais coup contre les efforts de Washington d'écarter les investisseurs de l'Iran. Ironiquement, l'opposition américaine poussent ces pays dans les bras les uns des autres, « un cauchemar géopolitique pour Washington ».

A la réunion du SCO le mois prochain, l'Inde, que Bush essaie personnellement de booster comme un « contre poids « à la Chine sur la scène géopolitique asiatique, sera aussi invitée à se joindre à l'organisation, de même que la Mongolie et le Pakistan. Le SCO est entrain de gagner de manière conséquente en poids géopolitique.

Le député ministre des affaires étrangères iranien Manouchehr Mohammadi a dit à Itar –Tass (agence de presse russe ndt) à Moscou le mois dernier que la position de membre du SCO de l'Iran pourrait « faire que le monde soit plus juste ». Il a aussi parlé de la construction d'un arc pétrole gaz Iran Russie, dans lequel les deux grands producteurs d'énergie pourraient coordonner leurs activités.

Les Etats-Unis sont laissés en zone froide en Asie

L'admission de l'Iran au sein du SCO ouvre beaucoup d'options pour l'Iran et la région. Du fait d'être membre du SCO, l'Iran pourra participer aux projets de celui-ci, ce qui veut dire en retour avoir accès à une technologie très recherchée, aux investissements, au développement du commerce et des infrastructures. Ceci aura des implications majeures pour la sécurité énergétique mondiale.

Le SCO a mis sur pied une commission de travail comprenant des experts avant la réunion au sommet de juin pour développer une stratégie commune du SCO en Asie, discuter des projets de pipelines, d'exploration pétrolière et d'activités liées. L'Iran se trouve sur la deuxième plus importante réserve de gaz du monde, et la Russie a la plus grande. La Russie est le deuxième plus important producteur de pétrole après l'Arabie Saoudite. Tout ceci, ce ne sont pas de petits mouvements.

L'Inde a désespérément besoin d'un accord avec l'Iran pour son approvisionnement en énergie, mais est aussi sous pression de Washington de ne pas le faire.

L'année dernière, l'administration Bush a essayé d'obtenir le « statut d'observateur » au SCO mais sa demande a été repoussée. Ceci, avec les demandes du SCO que Washington réduisent sa présence militaire en Asie Centrale, la coopération plus profonde entre la Russie et la Chine, et les déboires de la diplomatie américaine en Asie Centrale – ont accéléré une réévaluation de la politique de Washington.

Apres son tour en Asie centrale en octobre 2005, Rice a annoncé une réorganisation du bureau de l'Asie du sud du département d'état, pour inclure les états d'Asie centrale, et un nouveau plan américain d' « Asie centrale élargie ».

Washington essaie d'éloigner les états d'Asie centrale de la Russie et de la Chine. Le gouvernement du président Hamid Karzai à Kabul n'a pas répondu aux ouvertures faites par le SCO. Etant donné ses liens avec Washington, il a peu de choix.

Gennady Yefstafiyev, un ancien général des services secrets russes a dit : « les objectifs à long terme américains en Iran sont évidents : de provoquer la chute du régime actuel, d'établir son contrôle sur le pétrole et le gaz, et d'utiliser le territoire iranien comme la route la plus courte pour le transport des hydrocarbures sous contrôle américain des régions d'Asie centrale et de la mer caspienne, en contournant la Russie et la Chine. Ceci sans oublier la signification stratégique et militaire de l'Iran.

Washington a basé sa stratégie sur le fait que le Kazakhstan soit son partenaire clé en Asie centrale. Les Etats-Unis veulent étendre leur contrôle physique sur les réserves en pétrole de ce pays, et concrétiser le transport du pétrole Kazakh via le pipeline Baku-Ceyhan, de même que se créer un rôle dominant dans la sécurité de la mer Caspienne. . Mais le Kazakhstan ne joue pas le jeu. Le président Nursultan Nazarbayev s'est rendu à Moscou le 3 avril pour réaffirmer sa dépendance continue aux pipelines russes. De même, la Chine passe des accords importants en matière d'énergie et de pipeline avec le Kazakhstan.

Pour rendre pire les problèmes géopolitiques de Washington, bien que s'étant assuré d'un accord militaire d'utilisation d'une base en Uzbekistan après septembre 2001, les relations de Washington avec l'Uzbekistan sont désastreuses. Les efforts de Washington pour isoler le président Islam Karimov, en utilisant les mêmes tactiques de la « révolution orange » ukrainienne, ne fonctionnent pas. Le premier ministre indou Manmohan Singh s'est rendu à Tashkent le mois dernier.

De même, le Tajikistan dépend étroitement du soutien de la Russie. Au Kirghizstan, malgré des tentatives clandestines de créer des dissensions au sein du régime, l'alliance du président Kurmanbek avec le premier ministre Félix Kulov qui a le soutien de Moscou, tient.

En l'espace de 12 mois, la Russie et la Chine ont réussi à bouger leurs pièces sur l'échiquier géopolitique d'Eurasie de telle sorte que ce qui était au départ un avantage géostratégique en faveur de Washington devienne l'opposé, avec des Etats-Unis de plus en plus isolés.

C'est potentiellement la plus grande défaite stratégique de projection de la puissance des Etats-Unis de la période post seconde guerre mondiale. C'est aussi la toile de fond de la ré-émergence de cette soi disante faction réaliste dans la politique US.

F. William Engdahl

Article paru le 9 mai 2006 sous le titre « The US's géopolitical nightmare « sur la site Asia times on line www.atimes.com. Copyright Asia Times traduction bénévole pour information à caractère non commercial par MD pour Planète Non Violence.

F.William Engdahl est auteur de « A Century of War: Anglo-American Oil Politics and the New World Order, Pluto Press Ltd.
Pour le contacter : www.engdahl.oilgeopolitics.net.

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Psychologie jungienne et figure d'Odin

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La psychologie jungienne face à la figure d'Odin

Horst Obleser, psychiatre d'obédience jungienne, a sorti en 1993 un ouvrage entièrement consacré à Odin, le dieu dont personne ne sait où il va ni qui il est. Muni d'une longue lance, le doigt orné d'un superbe anneau d'or magnifiquement décoré, un corbeau perché sur son épaule, un autre corvidé évoluant au-dessus de lui, flanqué de deux loups gris foncé, chevauchant un destrier fabuleux à huit pattes, il est le dieu de l'errance, du savoir et des guerriers. Il voit et sait tout. S'exprime exclusivement en vers. Ne boit que du vin ou de l'hydromel. Cette description épuise quasiment tout ce que les sources nous ont appris de ce dieu. C'est peu de choses. L'Europe centrale germanique est donc dépourvue d'un corpus mythologique élaboré, à la façon des traditions avestique ou védique. L'Europe germanique est donc mutilée sur les plans mythologique et psychique. Thérapeute, Horst Obleser le déplore, surtout dans le domaine de l'éducation: l'enfant germanique, contrairement à l'enfant indien par exemple, n'est pas plongé dans un corpus d'histoires et d'images "orientantes", qui lui expliquent l'agencement du monde, par le biais de contes et d'histoires, et le console, le cas échéant, quand il doit faire face aux déchirements et aux affres de l'existence. Il ne reste aux peuples germaniques qu'un rationalisme superficiel, dérivé du christianisme, dont ils ne comprennent guère les sources mythologiques proche-orientales, nées sur un territoire à la géologie, la faune et la flore très différentes. A l'heure actuelle, les images artificielles répandues par les médias se superposent à ce rationalisme christianomorphe lacunaire, interdisant à nos enfants de posséder in imo pectore des images et des références mythiques issues d'une psyché et d'un inconscient propres. Consolations et rêves ne dérivent pas de contes et de symboles transmis depuis de longues générations et surtout issus de la terre occupée depuis toujours par les ancêtres. Lacune qui doit mobiliser l'attention du thérapeute et l'induire à s'ouvrir aux recherches sur la mythologie.

Obleser: «Nous vivons dans une culture qui est fortement imprégnée de pensée chrétienne, mais une pensée chrétienne qui est néanmoins traversée d'idéaux guerriers. Un esprit aventureux conquérant se profile graduellement derrière [notre culture christianisée], qui devrait nous permettre de nous identifier à des héros ou des héroïnes. Mais cet état de choses n'exclut pas le fait, qu'au contraire d'autres cultures, comme les cultures grecque, égyptienne, hébraïque, indienne ou persane, nous ne possédons plus que des mythes théogoniques et cosmogoniques très fragmentaires» (pp. 15-16). «Dans l'espace germanique méridional, quasiment aucune tradition n'a survécu. Il nous reste la consolation qu'un mythe commun à tous les peuples germaniques n'a sans doute jamais existé. Les mythes germaniques ont sombré très profondément dans le passé, et sont en grande partie oubliés. A leur place, des images issues de la culture gréco-romaine, des mythes égyptiens ou, par l'intermédiaire de la christianisation, les mythes hébraïco-judaïques de la Bible, ont pris en nous un territoire psychique important. Sous toutes ces images étrangères, demeurent tapis les anciens mythes celtiques et germaniques, qu'il s'agit de redécouvrir» (p. 16).

Pourquoi? Caprice de philologue, de chercheur, d'intellectuel? Pire: lubie de psychiatre? Non. Nécessité thérapeutique! La fragilité psychique de l'Européen, et de l'Allemand en particulier, vient de ce MOI mutilé, nous enseigne C. G. Jung. Dans cette optique, Obleser écrit: «Le caractère des Germains peut se décrire sur deux plans, à partir de ce que nous savons de la personnalité du dieu Odin: d'une part, nous trouvons "une virilité dure, violente, tournée vers elle-même"; et, d'autre part, "une curieuse tendance oscillante" qui émerge tantôt dans l'individu tantôt dans le peuple tout entier». Et il poursuit: «Ninck nous parle dans ce contexte d'une virilité héroïque qui se caractérise par la force, la puissance, la dureté, la capacité à résister à l'adversité, qui se conjugue au goût prononcé pour le combat, pour l'audace et pour l'action décidée en conditions extrêmes. A tout cela s'ajoute encore un désir prononcé de liberté et d'indépendance. Certes, ce sont là des qualités que l'on retrouve, de manière similaire ou non, dans d'autres peuples, chez qui importent aussi les capacités à mener la guerre et les batailles» (pp. 271-272).

Autre caractéristique germanique, que l'on retrouve chez Odin: la pulsion à errer et à voyager. «Même chez les Celtes, proches parents des Germains, on ne retrouve pas cette pulsion exprimée de manière aussi claire. Le nombre impressionnant des Wanderlieder [Chants de randonnées, de voyage] dans la littérature ou le folklore allemands constitue autant d'expressions de cette pulsion, même s'ils ne sont plus qu'un souvenir terni de l'antique agitation perpétuelle des Germains. Cette facette essentielle de l'âme germanique a dû constituer une part importante de nos coutumes, qui s'est perpétuée dans les gildes d'artisans, et plus particulièrement chez les apprentis et les maîtres charpentiers, jusqu'à nos jours: l'apprenti, justement, doit pérégriner et passer un certain laps de temps à aller et venir à l'étranger. Ninck croit que le trait de caractère qui porte les peuples germaniques à pérégriner se répercute dans le langage quotidien, où l'on s'aperçoit des innombrables usages des mots "fahren" et "gehen" (…). Nos vies sont perçues comme des voyages, notamment quand nous parlons de "notre compagnon ou de notre compagne de route" (Lebensgefärhte, Lebengefärhtin) pour désigner notre époux ou notre épouse (…). L'importance accordée au mouvement dans la langue allemande se repère dans l'expression idiomatique "es geht mir gut", "je me porte bien", qui ne se dit pas du tout de la même façon en grec, où l'on utilise des vocables comme "avoir", "souffrir", "agir", ni en latin, où l'on opte pour "être", "avoir" ou "se passer" (…)» (p. 272).

Le substrat (ou l'adstrat) chrétien nous interdit donc de comprendre à fond cette propension à l'errance, le voyage, la pérégrination. Pour Obleser, seul le mystique médiéval Nicolas de Flues (Nikolaus von Flüe), renoue avec ces traits de caractère germaniques dans ses écrits. Il vivait en Suisse, à proximité du Lac des Quatre Cantons, entre 1417 et 1487. Il était paysan, juge et député de sa communauté rurale et montagnarde. A partir de sa cinquantième année, il s'est entièrement consacré à ses exercices religieux. Au cours desquels, il a eu une vision, celle du «pérégrin chantant» (Der singende Pilger). Dans mon "esprit", dit Nicolas de Flues, j'ai reçu la visite d'un pérégrin, coiffé d'un chapeau ample (attribut d'Odin), les épaules couvertes d'un manteau bleu ou gris foncé, venu du Levant. Derrière l'archétype de ce pérégrin, avatar médiéval d'Odin qui a réussi à percer la croûte du sur-moi chrétien, se profile aussi l'idéal de la quête du divin, propre à tous les mystiques d'hier et d'aujourd'hui. Ce pérégrin et cet idéal n'ont plus jamais laissé Nicolas de Flues en paix. La quête rend l'homme fébrile, lui ôte sa quiétude, lui inflige une souffrance indélébile. De plus, tout pérégrin est seul, livré à lui-même. Il fuit les conformismes. Il entre fréquemment en trance, terme par lequel il faut comprendre l'immersion dans la prière ou la méditation (le pérégrin de Nicolas de Flues prononce, sur le mode incantatoire, de longues séries d'"Allélouïa", en arrivant et en repartant, indiquant de la sorte que sa méditation —et sa joie de méditer— se font en état de mobilité, de mouvance, comme Odin). Pour C. G. Jung, Odin est "ein alter Sturm- und Rauschgott", un dieu ancien de la tempête (ou de l'assaut) et de l'ivresse (de l'effervescence). Pour Marie-Louise von Franz, la vision de Nicolas de Flues est une rencontre de l'homme germanique avec lui-même, avec l'image mythique de lui-même, que la christianisation lui a occultée: au tréfonds de sa personnalité, il est ce pérégrin, méditant et chantant, profond mais toujours sauvage, esseulé.

Jung trace un parallèle entre cette pérégrination odinique (ou cette vision de Nicolas de Flues) et le mouvement de jeunesse Wandervogel (ou ses avatars ultérieurs tels les Nerother, grands voyageurs, la d.j.1.11 de l'inclassable Eberhard Köbel, surnommé "tusk" par les Lapons qu'il allait régulièrement visités, etc.). Ce n'est donc pas un hasard si la caractéristique majeure de ce mouvement de jeunesse spécifiquement allemand ait été le "Wandern", la randonnée ou l'expédition lointaine vers des terres vierges (les Andes, l'Afrique pour un des frères Ölbermann, fondateurs des Nerother, la Nouvelle-Zemble arctique, la Laponie, etc.). Jung: «En randonnant inlassablement sur les routes, du Cap Nord à la Sicile, avec sac à dos et luth, ils étaient les fidèles serviteurs du dieu randonneur et vagabond». Et Jung ajoute qu'Odin est aussi un dieu qui saisit, s'empare des hommes ("ergriffen", "Egriffenheit"), les entraîne dans sa magie tourbillonnante.

Obleser rappelle la christianisation de la Germanie païenne. Sous Charlemagne, les armées franques soumettent les Saxons, encore païens, par le fer et par le feu. Psychologiquement, il s'agit, dit Obleser (p. 280) d'une soumission de l'âme germanique au "sur-moi" de la dogmatique chrétienne. Ce qui a pour corollaire une propension exagérée à la soumission chez les Allemands, devenus incapables de reconnaître leur propre, leur identité profonde, derrière le filtre de ce pesant "sur-moi". Une reconnaissance sereine de son "cœur profond" permet à tout un chacun, aussi au niveau collectif du peuple, d'intérioriser des forces, pour bâtir ses expériences ultérieures en toute positivité. L'histoire allemande est dès lors caractérisée par une non intériorisation, une non canalisation de ces forces particulières, qui font irruption et se gaspillent en pure perte, comme l'a démontré l'expérience tragique du IIIe Reich. Et comme le montre aussi la rage fébrile à faire du tourisme, y compris du tourisme de masse vulgaire, en notre époque triviale.

Charlemagne, après ses expéditions punitives en Saxe et en Westphalie, a toutefois fait codifier par ses scribes toutes les traditions germaniques, transmises auparavant par oral. Si nous avions pu conserver ces manuscrits, nous aurions pu reconstituer plus facilement cette psyché germanique, et guérir les travers d'une psychologie collective ébranlée et déséquilibrée. Louis le Pieux, malheureusement, ordonnera de brûler les manuscrits commandés par son prédécesseur. Ce geste fou de fanatique, déboussolé par une prêtraille écervelée, a laissé une blessure profonde en Europe. Les traditions centre-européennes, tant celtiques que germaniques, voire plus anciennes encore, ont été massivement évacuées, détruites, pour ne laisser que quelques bribes dans les traditions locales, qui évoquent un "chasseur nocturne", chevauchant dans la tempête.

Les recherches actuelles permettent donc de définir Odin comme une divinité de l'énergie, mais une énergie qui était au départ contrôlée, dans le contexte originel païen. Les pulsions de mobilité, la dimension guerrière de l'âme germanique, la propension à la méditation visionnaire et fulgurante, personnifiées par Odin, étaient compensées par les forces plus tempérées de Thor, par l'intelligence créatrice (et parfois négative) de Loki, par l'intelligence équilibrée d'Hönir, par la fidélité de Heimdall, par les pulsions d'aimance voire les pulsions érotiques de Freya. L'ensemble de ce panthéon permettait une intégration complète de la personnalité germanique. Obleser: «Par la christianisation violente, le développement [de la personnalité populaire germanique] a subi une fracture aux lourdes conséquences, qui ne peut plus être guérie, et que ne peuvent compenser des visions comme celles de Nicolas de Flues. Par la christianisation, ce ne sont pas seulement des détails de nos mythes qui ont été perdus, mais surtout le lien direct au savoir ancien, auquel nous pouvons encore vaguement accéder, vaille que vaille, par des moyens détournés, mais que nous ne pouvons plus restituer. L'influence d'Odin et de ses actes sont évidemment des pierres constitutives de notre psyché, même si nous n'en sommes plus conscients. Il faut dès lors regretter que nous ne pouvons plus aujourd'hui les comprendre, les encadrer et les saisir, alors qu'elles nous ont insufflés des caractéristiques hautement dynamiques» (p. 294).

Bref, l'ouvrage d'un thérapeute, qui a compris, dans la tradition de Jung, que le paganisme n'est pas seulement une vision de l'esprit, un esthétisme infécond, mais une nécessité équilibrante pour la personnalité d'un peuple, quel qu'il soit.

Detlev BAUMANN.

Horst OBLESER, Odin. Psychologischer Streifzug durch die germanische Mythologie, Stendel, Waiblingen, 1993, 334 pages, ISBN 3-926789-14-X.

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1908: annexion de la Bosnie-Herzégovine

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Erich KÖRNER-LAKATOS :

Rappel historique : comment la Bosnie a-t-elle été incluse dans l'Empire austro-hongrois en 1908

Il y a 95 ans, la monarchie danubienne, dualiste car à la fois autrichienne et hongroise, procédait à son dernier accroissement territorial. Le 5 octobre 1908, l'annexion est devenue réalité, après 30 ans d'occupation. Cela signifie que, désormais, la Bosnie et l'Herzégovine font partie intégrante de la monarchie austro-hongroise. Il s'agit effectivement d'un accroissement territorial substantiel pour l'Empire des Habsbourg, alors qu'il venait de perdre, au 19ième siècle, des territoires importants en Italie du Nord, d'abord la Lombardie, ensuite la Vénétie.

Cependant, le 5 octobre 1908, l'ensemble du territoire de Bosnie-Herzégovine, qui avait été occupé par les forces impériales autrichiennes et hongroises, n'est pas annexé : le Sandjak de Novi Pazar est évacué et restitué au Sultan (dans la terminologie administrative ottomane le terme “Sandjak” signifie “arrondissement” ou “département”; à l'époque, le territoire du Sandjak de Novi Pazar est devenu dans le langage courant le “Sandjak”, tout simplement). Mais les Turcs, qui y maintiennent des garnisons, n'y resteront pas longtemps : après la première guerre balkanique, ce territoire est partagé entre la Serbie et le Monténégro.

Le Sultan émet de faibles protestations, pour la forme, mais obtient de la part de l'Autriche-Hongrie des compensations financières importantes pour la perte de souveraineté qu'il est bien obligé de consentir. Pour l'homme malade du Bosphore, dont la monnaie ne vaut quasiment plus rien, ces compensations sont les bienvenues. Pour Vienne, il y a suffisamment de motifs pour justifier cette annexion. D'abord, Vienne se méfie de la Serbie qui souhaite agrandir son territoire en englobant la Bosnie et l'Herzégovine, dont la population est fortement apparenté aux Serbes, par l'histoire, la langue et la religion.

Le rôle du Monténégro

De même, la petite principauté du Monténégro souhaite aussi agrandir son territoire. Son prince, Nikita (ou : Nikola) a reçu le surnom du “beau-père” de l'Europe, car il a casé ses filles dans plusieurs dynasties européennes. Il considère que l'Herzégovine est une “terra irredenta” pour les Monténégrins, car elle a fait par­tie à la fin du moyen âge, du “pays des montagnes noires”, au sein d'une défunte principauté de Zeta. Le prin­ce monténégrin a des ambitions : il perçoit son petit Etat comme le Piémont du futur Etat grand serbe. En 1910, il se proclame roi du Monténégro dans sa résidence rurale de Cetinje. La fortune ne lui sera pas clémente : en 1918, il perd son trône et s'exile, pour le reste de ses jours, sur la Côte d'Azur.

Mais le motif principal de l'annexion de la Bosnie-Herzégovine à l'Autriche-Hongrie a été la révolution des Jeu­nes Turcs de 1908, qui a transformé l'Empire ottoman en une monarchie constitutionnelle. Dans le nouveau parlement d'Istanbul, devraient normalement siéger des députés de Bosnie et d'Herzégovine, ce qui, pour Vienne, puissance occupante de la région depuis 30 ans, risque de poser de sérieux problèmes.

Jetons un regard rétrospectif sur l'année 1878, où les troupes austro-hongroises pénètrent sur le territoire bosniaque. La guerre entre la Russie et la Turquie sévit depuis 1877. Officiellement, l'Autriche-Hongrie reste neutre, mais, par le truchement d'un accord secret, elle est liée au Tsar et se trouve de facto à ses côtés dans ce conflit, qui se termine par la défaite de la Turquie et par la Paix provisoire de San Stefano (une localité proche de Constantinople) en mars 1878. Les autres puissances européennes, et surtout l'Angleterre, craignent un accroissement de la puissance de la Russie des Tsars et de son allié bulgare. L'Empereur François-Joseph est contrarié, lui aussi, car, malgré son pacte secret avec le Tsar, on ne lui concède pas le droit de procéder à une annexion, mais, plus simplement, le droit d'occuper la Bosnie-Herzégovine, un foyer de désordre permanent, surtout à cause des pratiques rigides du personnel ottoman chargé de collecter l'impôt. L'Empereur veut dominer la région définitivement car seule une maîtrise stratégique de l'espace bosniaque permet de protéger la bande littorale dalmate, très exposée.

Pour cette raison, on en vient à réviser le Traité de San Stefano lors du Congrès de Berlin. L'article 25 du Traité qui y sera signé à la fin des négociations, le 13 juillet 1878, autorise la monarchie austro-hongroise à occuper et à administrer la Bosnie-Herzégovine, qui reste, comme auparavant, ottomane au regard du droit des gens. Le ministre des affaires étrangères d'Autriche-Hongrie, le Comte Andrassy confirme au Sultan que celui-ci garde sa souveraineté sur le pays occupé (Convention du 21 avril 1879).

Une occupation difficile

Les Autrichiens et les Hongrois avaient imaginé que les populations de Bosnie-Herzégovine, longtemps maintenues sous le joug ottoman, allaient faire bonne accueil aux troupes impériales aux uniformes chamarrés. Ils furent déçus : les troupes impériales ont dû se frayer un accès au territoire par la force des baïonnettes. Ce fut une vraie campagne militaire. 150.000 soldats impériaux sous les ordres du Feldzeugmeister, le Baron Joseph von Philippovic, commandeur du 13ième Corps d'Armée en Bosnie, et du Feld-Maréchal Baron Jovanovic (18ième Division d'Infanterie) en Herzégovine, ont dû affronter des francs-tireurs musulmans et disloquer des unités de volontaires turcs. Ce n'est qu'à la fin du mois d'octobre 1878, après avoir consolider les forces impériales avec de nouveaux renforts, que le contrôle du pays fut enfin acquis.

Les régions acquises n'appartenaient formellement à aucune des deux composantes de la “Double Monarchie” : ni à la Hongrie qui ne souhaitait pas augmenter sa population slave ni à la partie à majorité allemande (Cisleithanie; ndt : la Cisleithanie comprenait aussi les populations tchèque, slovène et italophone du Trentin). En effet, les “royaumes et les pays” représentés au sein de la Diète Impériale, soit la moitié cisleithanienne de l'Empire —on n'utilisera officiellement le terme “Autriche” pour les désigner qu'à partir de 1915). Du coup, l'équilibre précaire entre les deux parties de l'Empire est en danger. De surcroît, aucune des deux parties ne veut assumer la charge financière que représente la nouvelle composante, dont le développement laisse franchement à désirer : on la considère à l'époque comme “à moitié civilisée”. Elle est en tout cas dépourvue d'infrastructures modernes. Les juristes forgent alors une solution sur le modèle que l'Allemagne de Bismarck avait imaginé pour l'Alsace-Lorraine : la Bosnie-Herzégovine est un “Reichsland” commun et aura pour chef administratif le ministre impérial et royal des finances, commun à la Cisleithanie et à la Hongrie. C'est une personnalité exceptionnelle. Il s'appelle Benjamin Kallay von Nagy-Kallo. Il exercera cette fonction de 1882 à 1903. Il fera office d'étroit conseiller du monarque pour tout ce qui concerne le territoire occupé.

Ce territoire, majoritairement bosniaque, avec Sarajevo pour centre, minoritairement herzégovien avec Mostar comme capitale régionale. L'Herzégovine est, comparée à la Bosnie, une petite bande territoriale située au nord du Monténégro. L'ensemble a 51.200 km2 et 1,9 million d'habitants. Sur le plan religieux, la situation est extrêmement complexe, conformément à tous les problèmes d'ordre ethnographique chez les Slaves du Sud. 43,5% de la population est Serbe et orthodoxe (les orthodoxes sont en général tous considérés comme Serbes); 23% sont catholiques et croates (on les appelle aussi les “Latins” et sont sous la houlette de l'Ordre des Franciscains); 32,3% son musulmans (on les dit “Turcs”, indépendamment de leurs origines ethniques). Les Musulmans constituent la couche dominante de la population des points de vue social et économique. A Sarajevo, on trouve une petite minorité de “Spaniols” : ce sont des descendants des Juifs expulsés de la péninsule ibérique après la Reconquista de 1492; ils avaient trouvé une nouvelle patrie dans les pays dominés par le Sultan.

Service militaire obligatoire pour les jeunes Bosniaques

Deux ans après le début de l'occupation, les choses deviennent claires car la Double Monarchie prend des mesures : le Reichsland de Bosnie-Herzégovine demeure pro forma sous la souveraineté du Sultan, mais, sur le plan administratif, il s'aligne désormais sur les critères en vigueur en Hongrie et en Cisleithanie. Sur les plans douanier et monétaire, il ne se distingue pas des autres territoires impériaux et royaux. Ce n'est plus l'étranger. Ensuite, une autre mesure entre en vigueur, véritable camouflet au visage du Sultan d'Istanbul : la Double Monarchie institue le service militaire obligatoire pour les jeunes Bosniaques. Les Bosniaques stationnés à Vienne, capitale de l'Empire et Résidence de l'Empereur, deviennent la coqueluche des petites servantes viennoises. Du point de vue militaire, les régiments bosniaques de l'Armée Impériale et Royale se sont comportés avec bravoure, surtout sur le front italien, où ils étaient la terreur de l'ennemi.

Toutes ces mesures administratives ne concernèrent nullement la région du Sandjak, car celle-ci n'avait été occupée que pour empêcher Serbes et Monténégrins d'avoir une frontière commune. Dès que la campagne militaire pour l'occupation de la Bosnie et de l'Herzégovine eut pris fin, le Sandjak redevient ottoman du point de vue administratif et on rend à la Sublime Porte le district de Mitrovica, situé plus loin au sud. Qui plus est, le Sandjak est encore moins développé que le reste du pays occupé. Toute tentative de rentabiliser cette région serait une tâche trop lourde pour l'Autriche-Hongrie.

L'annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1908, bien que douteuse du point de vue du droit des gens, ne suscite guère de scrupules moraux dans la Double Monarchie. Mais, tous comptes faits, le Reichsland de Bosnie-Herzégovine, a profité énormément de la gestion impériale et royale. Contrairement à la situation qui prévalait avant 1878, le territoire se couvre de voies de chemin de fer. Les Austro-Hongrois construisent 6500 km de routes et de voies carrossables. Les systèmes de santé et d'éducation font des progrès énormes. Avec méthode et force moyens financiers, la zone occupée est hissée au niveau des autres possessions de la Couronne.

Conclusion : La “crise de l'annexion” se tasse bien vite, dès le début de l'année 1909 : la France et l'Angleterre avaient hurlé parce qu'on ne respectait pas à la lettre le Traité de Berlin; les Allemands sont eux aussi offusqués par la procédure, qu'ils jugent unilatérale. Mais Belgrade cultive son amertume sans désemparer : les plans de construire une Grande Serbie sont à l'eau. On rumine vengeance. Cinq ans plus tard, ce seront les coups de feu fatidiques de Sarajevo. C'était le 28 juin 1914.

Erich KÖRNER-LAKATOS.

(article paru dans Zur Zeit, Vienne, n°21/2003; trad. franç.: Robert Steuckers).

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Sur Josef Nadler

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Sur Josef Nadler

23 mai 1884: Naissance à Neudörfl en Bohème du Professeur de littérature allemande Josef Nadler, qui développera une approche régionale et provinciale de l’histoire littéraire allemande. Pour le Prof. Nadler, chaque auteur possède dans son style et dans le choix de ses thématiques un cachet régional, propre à la “tribu” de son territoire d’origine. Auteur d’une histoire de la littérature allemande en quatre volumes, où il démontre le caractère sub-national de chaque aspect de la littérature et l’importance du terroir, il appliquera sa méthodologie à la littérature de la Suisse alémanique. Une méthode qui pourrait bien évidemment s’appliquer aux autres littératures européennes et non européennes. Armin Mohler compte Josef Nadler parmi les exposants scientifiques de la “révolution conservatrice”. Josef Nadler fera carrière après 1945 à Vienne.

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Ewald Banse: géographe allemand

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Ewald Banse: géographe allemand

23 mai 1883: Naissance à Brunswick (Braunschweig) du géographe allemand Ewald Banse, dont l’œuvre a eu un impact considérable sur le développement de la géopolitique moderne. Il a notamment développé l’idée d’une “psychologie née du paysage” (Landschaftseelenkunde), puis s’est penché sur le “géopolitique défensive”, la Wehrgeopolitik, sur laquelle l’école de Karl Haushofer publiera bon nombre d’ouvrages à grand tirage.

L’un d’entre eux sera saisi par les autorités nationales-socialistes en novembre 1933. La raison de cette action de censure est vraisemblablement due, écrit Armin Mohler, à l’impact, jugé négatif, de cet ouvrage à l’étranger. Il avait suscité la riposte d’un Lieutenant-Colonel français, Henry Melot, qui publiera en un volume ses réponses au Docteur Banse en 1934. Cette polémique, dans les cercles militaires et géopolitiques, en France et en Allemagne, indique, de fait, l’importance politique de l’œuvre de Banse, l’un des maîtres à penser de Karl Haushofer. Une polémique qui mériterait d’être réétudiée aujourd’hui, car elle éclairerait nos contemporains sur les prolégomènes(*) de la seconde guerre mondiale, au-delà de toutes les vérités de propagande qui continuent à pervertir le débat.

(*) prolégomènes : Ensemble de notions préliminaires nécessaires à l’étude d’une science, d’une question particulière.

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Prince de Ligne

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Sur le Prince Charles-Joseph de Ligne

23 mai 1735: Naissance à Bruxelles du Prince Charles-Joseph de Ligne. Dès l’âge de 17 ans, le jeune Prince des Pays-Bas méridionaux s’engage dans les armées impériales autrichiennes, carrière qui le conduira en 1808 à obtenir le grade de Feldmarschall. Il se distinguera surtout dans la Guerre de Sept Ans et dans la guerre de Succession de Bavière.

Toute sa vie, il restera un loyaliste. Nommé ambassadeur autrichien auprès de Catherine II à Saint-Pétersbourg, il encouragera la conquête de l’Ukraine littorale et de la Crimée contre les Turcs et fera appel à la création d’une nouvelle Sainte-Alliance, capable de bousculer définitivement l’envahisseur ottoman hors des terres européennes et helléniques. Il combattra dans les rangs autrichiens et russes contre les Turcs de 1787 à 1792, contribuant à chasser définitivement ceux-ci de la rive septentrionale de la Mer Noire.

Obligé de quitter les Pays-Bas à la suite de la révolte délirante des Statistes intégristes catholiques et des Vonckistes (illuminés libéraux), il se réfugie à Vienne, où il restera jusqu’à sa mort en 1814, car les Pays-Bas du Sud seront envahis par les hordes de sans-culottes à partir de 1792, plongeant le pays dans une misère morale dont il n’est plus jamais ressorti. La légèreté et la grâce de l’écriture du Prince de Ligne n’ont évidemment pas leur place dans un monde dominé par des catholiques bornés ou des illuminés maçonniques, dont les seules préoccupations sont de médiocres agitations politiciennes (Robert Steuckers).

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mardi, 22 mai 2007

Note sur Wilhelm Stapel

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Note sur Wilhelm Stapel

 

Né le 27 octobre 1882 à Calbe dans l'Altmark et décédé le 1 juin 1954 à Hambourg, Wilhelm Stapel était un écrivain politique, issu d'une famille de la petite classe moyenne. Après avoir achevé des études de bibliothécaire et avoir passé son "Abitur" (équivalent allemand du "bac"), il fréquente les universités de Göttingen, Munich et Berlin et obtient ses titres grâce à un travail en histoire de l'art. Au départ, vu ses orientations politiques, il semble être attiré par le libéralisme, mais un libéralisme de facture spécifique: celui que défendait en Allemagne Friedrich Naumann. Son idée du nécessaire équilibre entre "nation" et "société" le conduit à rencontrer Ferdinand Avenarius et son "Dürer-Bund" (sa "Fédération Dürer") en 1911. Un an plus tard, Stapel devient rédacteur de la revue de cette fédération, Der Kunstwart. Il a conservé cette fonction jusqu'en 1917. A la suite d'une querelle avec Avenarius, Stapel réalise un vœu ancien, celui de passer à une activité pratique; c'est ainsi qu'il prend la direction du "Hamburger Volksheim" (le "Foyer du Peuple de Hambourg"), qui se consacrait à l'éducation de jeunes issus de milieux ouvriers.

 

A ce moment-là de son existence, Stapel avait déjà entretenu de longs contacts avec le "Deutschnationaler Handlungsgehilfenverband" ("L'Association Nationale Allemande des Employés de Commerce"), et plus particulièrement avec sa direction, regroupée autour de M. Habermann et de Ch. Krauss, qui cherchaient un rédacteur en chef pour la nouvelle revue de leur association, Deutsches Volkstum. A l'automne 1919, Stapel quitte son emploi auprès du Volksheim et prend en mains l'édition de Deutsches Volkstum (à partir d'avril 1926, il partagera cette fonction avec A. E. Günther). Stapel transforme cette revue en un des organes de pointe de la tendance révolutionnaire-conservatrice. Il s'était détaché de ses anciennes conceptions libérales sous la pression des faits: la guerre d'abord, les événements de l'après-guerre ensuite. Comme la plupart des Jungkonservativen (Jeunes-Conservateurs), son attitude face à la nouvelle république a d'abord été assez élastique. Il était fort éloigné de l'idée de restauration, car il espérait, au début, que la révolution aurait un effet cathartique sur la nation. La révolution devait aider à organiser le futur "Etat du peuple" (Volksstaat) dans le sens d'un "socialisme allemand". Dans un premier temps, Stapel sera déçu par la rudesse des clauses du Traité de Versailles, puis par la nature incolore de la nouvelle classe politique. Cette déception le conduit à une opposition fondamentale.

 

Bon nombre de ses démarches conceptuelles visent, dans les années 20, à développer une critique de la démocratie "occidentale" et "formelle", qui devait être remplacée par une démocratie "nationale" et "organique". D'une manière différente des autres Jungkonservativen, Stapel a tenté, à plusieurs reprises, de proposer des esquisses systématiques appelées à fonder une telle démocratie. Au centre de ses démarches, se plaçaient l'idée d'une constitution présidentialiste, le projet d'un droit de vote différencié et hiérarchisé et d'une représentation corporative. Pendant la crise de la République de Weimar, Stapel a cru, un moment, que les "Volkskonservativen" (les "conservateurs populaires") allaient se montrer capables, notamment avec l'aide de Brüning (qui soutenait la revue Deutsches Volkstum), de réaliser ce programme. Mais, rapidement, il s'est aperçu que les Volkskonservativen n'avaient pas un ancrage suffisant dans les masses. Ce constat a ensuite amené Stapel à se rapprocher prudemment des nationaux-socialistes. Comme beaucoup de Jungkonservativen, il croyait aussi pouvoir utiliser la base du mouvement de Hitler pour concrétiser ses propres projets; même dans les premiers temps de la domination nationale-socialiste, il ne cessait d'interpréter le régime dans le sens de ses propres idées.

 

On trouve une explication aux illusions de Stapel surtout dans son ouvrage principal, paru en 1932 et intitulé Der christliche Staatsmann ("De l'homme d'Etat chrétien"), avec, pour sous-titre "Eine Theologie des Nationalismus" ("Une théologie du nationalisme"). Tout ce texte est marqué par une tonalité apocalyptique et est entièrement porté par un espoir de rédemption intérieure. Stapel, dans ce livre, développe la vision d'un futur "Imperium Teutonicum", appelé à remodeler le continent européen, tout en faisant valoir ses propres principes spirituels. Il y affirme que les Allemands ont une mission particulière, découlant de leur "Nomos", qui les contraint à apporter au monde un ordre nouveau. Cette conception, qui permet à l'évidence une analogie avec la revendication d'élection d'Israël, explique aussi pourquoi Stapel s'est montré hostile au judaïsme. Dans les Juifs et leur "Nomos", il percevait un adversaire métaphysique de la germanité, et, au fond, le seul adversaire digne d'être pris au sérieux. Mais Stapel n'était pas "biologisant": pendant longtemps, il n'a pas mis en doute qu'un Juif pouvait passer au "Nomos" germanique, mais, malgré cela, il a défendu dès les années 20 la ségrégation entre les deux peuples.

 

Le nationalisme de Stapel, et son anti-judaïsme, ont fait qu'il a cru, encore dans les années 30, que l'Etat national-socialiste allait se transformer dans le sens qu'il préconisait, celui de l'idéologie "volkskonservativ". C'est ainsi qu'il a défendu l'intégrité de Hitler et manifesté sa sympathie pour les "Chrétiens allemands". Cela lui a valu de rompre non seulement avec une bomme partie du lectorat de Deutsches Volkstum, mais aussi avec des amis de combat de longue date comme H. Asmussen, K. B. Ritter et W. Stählin. Ce n'est qu'après les pressions d'Alfred Rosenberg et du journal Das Schwarze Korps que Stapel a compris, progressivement, qu'il avait succombé à une erreur. La tentative de son ancien protégé, W. Frank, de lui procurer un poste, où il aurait pu exercer une influence, auprès de l'"Institut pour l'Histoire de la Nouvelle Allemagne" (Reichsinstitut für die Geschichte des neuen Deutschlands), a échoué, après que Stapel ait certes insisté pour que les Juifs soient séparés des Allemands, mais sans accepter pour autant qu'ils perdent leurs droits de citoyens ni qu'ils soient placés sous un statut de minorisation matérielle. Le pogrom du 9 novembre 1938 lui a appris définitivement qu'une telle option s'avérait désormais impossible. A cette époque-là, il s'était déjà retiré de toute vie publique, en partie volontairement, en partie sous la contrainte. A la fin de l'année 1938, il abandonne la publication de Deutsches Volkstum (la revue paraîtra par la suite mais sans mention d'éditeur et sous le titre de Monatsschrift für das deutsche Geistesleben, soit "Mensuel pour la vie intellectuelle allemande").

 

Sa position est devenue plus critique encore lors de la crise des Sudètes et au moment où s'est déclenchée la seconde guerre mondiale: il s'aperçoit, non seulement qu'il s'est trompé personnellement, mais que le système politique dans son ensemble vient d'emprunter une voie fatale, qui, dans tous les cas de figure, conduira au déclin de l'Allemagne. Par l'intermédiaire de Habermann, qui avait des relations étroites avec C. F. Goerdeler, il entre en contact en 1943 avec certains cercles de la résistance anti-hitlérienne. Beck aurait estimé que le livre de Stapel, paru en 1941 et intitulé Drei Stände ("Trois états"), était capital pour la reconstruction de l'Allemagne. Mais ce lien avec la résistance allemande n'a pas servi Stapel après la guerre, même si J. Kaiser et Th. Heuss avaient tous deux signé pour lui des attestations garantissant sa parfaite honorabilité. On a limité de manière drastique après la guerre ses possibilités de publier. Pour s'adresser à un public relativement large, il n'a pu, après 1945, qu'utiliser le "Deutsches Pfarrerblatt" ("Journal des pasteurs allemands"), qu'éditait son ami K. B. Ritter.

 

Son dernier livre Über das Christentum ("Sur le christianisme"), paru en 1951, constitue un bilan somme toute résigné, montrant, une fois de plus, que la pensée de Stapel était profondément marquée par la théologie et le luthérianisme.

 

Dr. Karlheinz WEISSMANN.

(entrée parue dans: Caspar von SCHRENCK-NOTZING (Hrsg.), Lexikon des Konservatismus, L. Stocker, Graz, 1996, ISBN 3-7020-0760-1).

 

 

 

 

 

Saddam éliminé parce qu'il voulait facturer en euro

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Gerhoch REISEGGER :

Saddam a été éliminé parce qu'il voulait facturer son pétrole en euro et non plus en dollars!

Gerhoch REISEGGER est conseiller d'entreprise indépendant actuellement. Précédem­ment, il a connu une carrière de chef d'entreprise dans le domaine de l'informatique. Il a été le directeur du marketing d'une filiale autrichienne d'un consortium américain d'ordinateurs. Il est officier de réserve dans l'armée fédérale autrichienne. Il a étudié la physique à la “Technische Universität” de Vienne. Il a fait de longs séjours profes­sion­nels à l'étranger, surtout dans le domaine de l'informatique. Depuis quelques années, il déploie une grande activité de publiciste et de conférencier sur les thèmes de l'économie mondiale et de la géopolitique. Il a notamment pris la parole lors de congrès inter­nationaux de l'«Académie Russe des Sciences». Le thème de sa conférence de 2001 était: « Sur la situation géopolitique dix après l'effondrement de l'Union Soviétique ». Il a aussi participé au congrès international sur la globalisation et les problèmes de la nou­velle histoire, en 2002 à Moscou. Il a participé à plusieurs universités d'été et sé­minaires de “Synergies Européennes”, notamment à Sababurg en novembre 1997, à Trente en 1998 et à Pérouse (Perugia) en 1999. Il a participé à l'organisation d'un symposium à l'U­niversité des Saints Cyril et Méthode à Thyrnau/Trnava, sur l'Europe centrale, l'Union Européenne et la globalisation (novembre 2000). Ses contributions sont parues dans de nombreuses revues à Munich, Graz, Vienne, Berlin, Belgrade, Bruxelles, Sofia, Moscou et Bruges. Il est également le fondateur de la Société Johann Heinrich von Thünen en Au­triche, dont les objectifs sont de promouvoir de nouveaux projets dans les domaines de l'agriculture, de la sylviculture et de l'économie politique en général. Il est le président de cette société depuis 1996. Ces dernières années, Gerhoch Reisegger a effectué de nom­breux voyages d'étude en Macédoine, en Serbie, en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, en Slovaquie, en Hongrie et en Grèce. Il s'intéresse tout particulièrement à l'histoire po­li­tique et économique des Balkans et des pays d'Europe centrale et orientale.

Les extraits, traduits ci-dessous, sont extraits de son livre intitulé Wir werden schamlos irregeführt ! Vom 11. September zum Irak-Krieg, Hohenrain, Tübingen, 2003, ISBN 3-89180-068-1, pp. 293 à 308.

En novembre 2000, l'Irak décide de vendre son pétrole contre des euro, ce qui a eu pour effet immédiat la reprise des bombardements par les Anglo-Américains. La Malaisie semblait prête à le suivre dans cette voie. Quant à la Russie, elle cherchait à forger une alliance stratégique sur base de l'énergie, non seulement avec l'UE mais aussi avec d'autres puissances du continent eurasiatique. Ce remaniement planétaire aurait évidemment eu pour effet immédiat de mettre un terme à la politique du “pétrole libre”, dont les Etats-Unis sont les premiers bénéficiaires, parce que le pétrole est facturé en dollars, lesquels sont accumulés à des fins spéculatives. Les Etats-Unis n'auraient plus pu faire pression sur les autres puissances en arguant de leurs privilèges, dont ils jouissent parce qu'ils émettent la devise servant à l'achat des hydrocarbures. C'est ainsi qu'ils ont établi leur puissance dans le monde. Mais, si le projet de Saddam Hussein et des Malais, voire des Russes, aboutissait, la fin de l'hégémonie américaine deviendrait à terme une certitude. A la condition, bien sûr, que l'UE accepte ce nouveau jeu sans être sabotée par la Grande-Bretagne (or ce sabotage est parfaitement prévisible, vu l'attitude prise par Blair dans le conflit contre l'Irak).

Un contrôle monopolistique sur les sources d'énergie dans le monde

Nous avons derrière nous cent années de domination anglo-saxonne dans le domaine du pétrole. Rappelons quelques faits historiques : le tandem germano-ottoman s'oppose à l'Angleterre lors de la construction de la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad, ce qui induit Londres à déclencher la première guerre mondiale. Après la seconde guerre mondiale, les assassins d'Enrico Mattei et du Roi Faysal d'Arabie Saoudite empêchent in extremis l'abandon du dollar par les Arabes et l'alliance euro-arabe. En 1990, l'Irak tombe dans le piège : l'ambassadrice américaine April Glaspie fait savoir à Saddam Hussein que toute invasion irakienne du Koweit serait une affaire arabo-arabe, dans laquelle les Etats-Unis ne prendraient pas position. Cette ruse a permis de déclencher une guerre contre l'Irak sans avoir à demander au Congrès américain d'avaliser une guerre d'agression. Au même moment, des forces secrètes provoquent la dissolution de l'Union Soviétique, puis de la CEI, puis de la Fédération de Russie, en favorisant l'émergence de nouveaux Etats “indépendants”, aussitôt reconnus, dans la “ceinture pétrolière” autour du Caucase. L'objectif est identique, comme le souligne sans vergogne Zbigniew Brzezinski dans Le grand échiquier. Cet objectif est le suivant : exercer au bénéfice des Etats-Unis un contrôle monopolistique sur les sources d'énergie dans le monde.

Le geste de Saddam Hussein, s'il avait réussi, aurait porté au dollar un coup fatal et donné à l'euro l'élan qui lui manquait. Personne ne semble avoir analysé les choses dans cette perspective. Pourtant d'autres indices corroborent notre vision : lorsque les Allemands et les Russes avaient envisagé la création d'une alliance monétaire germano-russe, Alfred Herrhausen, impulseur de cette idée, l'a payé de sa vie en 1989 (…). Examinons la situation de manière plus précise. Que s'est-il passé au cours de ces récentes années, de manière occultée? Les médias américains taisent le véritable motif de la guerre contre l'Irak : il s'agit d'imposer leur devise dans les transactions pétrolières. Le gouvernement américain veut empêcher à tout prix que les pays de l'OPEC suivent l'exemple de l'Irak et prennent l'euro pour devise de ces transactions. Ce serait la fin de l'hégémonie américaine. Comme l'Irak dispose des secondes réserves mondiales en quantité, les Etats-Unis, pour des raisons stratégiques évidentes, veulent s'emparer de celles-ci afin de briser le cartel de l'OPEC en exploitant à fond les réserves irakiennes. Toute autre solution aurait fait courir de hauts risques à l'économie américaine, car celle-ci repose entièrement sur la domination du dollar dans les transactions pétrolières et en tant que devise de réserve. Les Etats-Unis ont pu, jusqu'ici, satisfaire leurs appétits pétroliers démesurés : grâce à leur privilège, qu'ils détiennent depuis 1945, les Etats-Unis produisent des dollars (“fiat money”) et le reste du monde doit leur fournir des marchandises contre ces pétro-dollars.

Saddam Hussein avait promis de facturer son pétrole en euro

Mais, à partir du moment où Saddam Hussein promet de facturer son pétrole en euro, les Etats-Unis savent qu'ils ne pourront plus mobiliser une coalition internationale contre lui, comme ils l'avaient fait auparavant. Plus personne, dans les chancelleries et chez les véritables décideurs, ne croyait la propagande américaine, arguant que “Saddam cherchait à jouer le monde”, alors qu'il satisfaisait à toutes les demandes de l'ONU et que les 300 inspecteurs des Nations Unies, déployés en Irak, n'avaient strictement rien trouvé comme “armes de destruction massive”. Malgré toute la rhétorique qu'ils ont utilisée, Bush et la CIA ne sont pas parvenu à faire croire au monde que Saddam Hussein et Al Qaida étaient de mèche.

La seule raison de faire tomber Saddam Hussein résidait dans sa décision de novembre 2000, de facturer le pétrole en euro et non plus en dollar. En prenant cette décision, son sort était scellé. Bush, un obligé de l'industrie pétrolière, partageait avec ces dernières un projet géostratégique clair, qui nécessitait le déclenchement d'une deuxième guerre du Golfe, sur des prétextes entièrement “fabriqués”, s'il le fallait. Qui plus est, l'Irak a changé en euro ses réserves de 10 milliards de dollars qu'il avait placées auprès de l'ONU, dans le cadre du programme “nourriture contre pétrole”. Cette guerre n'a donc rien à voir avec les aspects dictatoriaux du régime de Saddam Hussein ou avec la détention d'armes de destruction massive. Son objectif premier est d'intimider les pays de l'OPEC, qui, s'ils suivaient le programme de Saddam Hussein, risqueraient de se voir infliger le même sort. Il s'agit bien entendu de les empêcher de suivre ce “mauvais exemple” irakien. Saddam Hussein s'est décidé pour l'euro au moment où celui-ci valait 0,80 dollar. C'est ce qui explique pourquoi le dollar à perdu 20% de sa valeur par rapport à l'euro depuis la fin de l'année 2002 (cf. Charles Recknagel, « Iraq : Baghdad Moves to Euro », http://www.rferl.org/nca/features/2000/11/01112000160846.asp ).

Que ce serait-il passé si l'OPEC avait brusquement adopté l'euro? Tous les Etats exportateurs de pétrole et leurs banques centrales auraient dû changer leurs réserves de devises en euro et abandonner le dollar. Le dollar aurait perdu automatiquement la moitié de sa valeur, avec toutes les conséquences que cela aurait entraîné pour l'économie américaine, c'est-à-dire une épouvantable inflation. Les investisseurs étrangers ayant acheté des actions et des titres libellés en dollars, s'empresseraient de s'en débarrasser, provoquant une prise d'assaut des banques comme dans les années 30. Le déficit américain en commerce extérieur, qui est énorme, ne pourrait plus être maintenu en équilibre. L'Etat américain serait de facto en faillite. La double crise russe et latino-américaine scellerait le sort de la première puissance militaire mondiale.

La priorité : éviter le crash définitif du dollar

Les choses semblent claires : le problème du pétrole dépasse de loin la problématique soulevée par l'Irak de Saddam Hussein, et englobe l'Iran, l'Arabie Saoudite et le Venezuela. Le danger pour le dollar est si grand que même les problèmes actuels de l'économie américaine peuvent attendre; la priorité est d'éviter le crash définitif du dollar, qui serait irrémédiable si l'OPEC adopte l'euro. Le rôle de la Russie, de l'Inde et de la Chine dans le “grand jeu” est parfaitement clair aussi : le territoire de ces trois puissances occupe le “pont terrestre” eurasien, autrement dit, dans les termes mêmes de Brzezinski, la “nouvelle route de la soie”. La domination de l'espace eurasien semble plus solide que la domination exercée via le dollar. Jusqu'à présent, les Etats-Unis ont dominé les autres puissances grâce à leur dollar, par le monopole que leur devise nationale exerçait sur le commerce mondial. La machine militaire américaine doit servir à forcer les autres à revenir sur le “chemin de la vertu”, c'est-à-dire à un commerce mondial uniquement axé sur le dollar.

Les médias américains cachent également les raisons qui poussent le gouvernement Bush à parler systéma­ti­que­ment d'un “axe du mal” : l'Iran, inclus dans cet axe en même temps que son ancien ennemi mortel Saddam Hus­sein, souhaite lui aussi vendre son pétrole contre des euro (cf. Roy Gutman & John Barry, « Beyond Bagh­dad: Expanded Target List»,http://www.unansweredquestions.net/timeline/2002/newsweek081102.html). La ban­que centrale iranienne est favorable à ce passage à l'euro, maintenant que la devise de l'UE s'est conso­li­dée. En 2002, l'Iran a converti une bonne part de ses réserves en euro, probablement plus de la moitié, comme l'explique Mohammad Abasspour, membre de la Commission du développement au parlement iranien (cf. «Fo­rex Fund Shifting to Europe», in : Iran Financial News, 25 août 2002;

http://www.payvand.com/news/02/aug/1080.html ). Cette politique suivie par l'Iran est un indice fort, dé­mon­trant bien que les Iraniens, à leur tour, veulent opter pour l'euro, comme devise des transactions pétro­liè­res (cf. « Economics Drive Iran Euro Oil Plan. Politics Also Key »,

http://www.iranexpert.com/2002/economicsdriveiraneurooil23august.htm ). Dans un tel contexte, qui s'éton­ne­­ra que l'Iran devienne la prochaine cible de la “lutte contre le terrorisme”?

Le Venezuela, quatrième producteur de pétrole et également membre de l'OPEC, pourrait opter pour la même politique. Hugo Chavez a commencé, à son tour, une politique commerciale de troc avec les pays voisins, en é­changeant du pétrole contre des marchandises dont le peuple vénézuélien a un besoin urgent. Le Venezuela ne dispose pas de grandes réserves de dollars : en pratiquant le troc, il sort ipso facto du cycle conventionnel des transactions pétrolières. Les Etats-Unis n'ont jamais cessé de conspirer contre Chavez. Indice : Bush a approuvé le putsch militaire manqué d'avril 2002, où la CIA a certainement joué un rôle actif, a tiré les ficelles (cf. Larry Birms & Alex Volberding, « US is the Primary Loser in Failed Venezuelan Coup », in : Newsday, 21 avril 2002;

http://www.coha.org/COHA%20_in%20_the_news/Articles%202002/newsday_04_21_02_us_venezuela.htm). Mais ces intrigues permanentes de Washington pourraient pousser plus rapidement le Venezuela de Chavez à adopter l'euro et de réaliser une politique que les Etats-Unis cherchent à tout prix à éviter.

Le chantage nord-coréen

Les médias américains taisent une autre tendance qui se fait jour dans la politique économique mondiale : d'autres pays que le Venezuela, l'Iran ou certains pays de l'OPEC convertissent leurs réserves en euro, comme la Chine et, plus récemment, la Russie (cf. « Euro continues to extend its global influence », http://www.europartnership.com/news/02jan07.htm ). La Corée du Nord, autre pays inclus dans l'“axe du mal”, s'est officiellement décidée, le 7 décembre 2002, d'opter pour l'euro plutôt que pour le dollar dans ses transactions commerciales avec le reste du monde (cf. Caroline Gluck, « North Korea embraces the euro », 1/12/2002). La Corée du Nord cherche sans nul doute à se venger du très dur embargo sur le pétrole que lui ont imposé les Etats-Unis. Les Nord-Coréens espèrent sans doute faire fléchir les Etats-Unis, obtenir des matières premières et des denrées alimentaires importantes en promettant à Washington de conserver le dollar comme devise de leurs transactions. Le programme nucléaire nord-coréen est probablement un instrument de ce chantage.

Javad Yarjani, chef du département d'analyse des marchés pétroliers auprès de l'OPEC, a tenu un discours très intéressant en Espagne en avril 2002 (cf. « The Choice of Currency for the Denomination of the Oil Bill », http://www.opec.org/Newsinfo/Speeches/sp2002/spAraqueSpainApr14.htm ). Ce discours traitait de la problématique de la devise dans les transactions pétrolières. Les médias américains ont censuré cette information. Yarjani a notamment dit ceci : « A la fin des années 90, plus des quatre cinquièmes des transactions en devises et la moitié des exportations mondiales se font en dollars. En outre, la devise américaine forme deux tiers des réserves officielles de devises dans le monde. Le monde dépend donc du dollar pour son commerce; les pays sont donc liés aux réserves en dollars, alors que cette devise existe sans aucun rapport avec la part produite par les Etats-Unis dans la production mondiale. La part du dollar dans le commerce mondial est bien plus élevée que la part du commerce international américain… La zone euro détient une part bien plus importante du commerce mondial que les Etats-Unis; tandis que les Etats-Unis ont un déficit commercial gigantesque, la zone euro, elle, est en équilibre… En outre, il convient de remarquer que la zone euro est un importateur plus important de pétrole et de produits dérivés que les Etats-Unis… A court terme, les pays membres de l'OPEC continueront à accepter des paiements en dollars. Mais, dans l'avenir, ils n'excluent pas une facturation et un paiement en euro… Si l'euro en vient à ébranler la solidité du dollar, il faudra l'inclure a fortiori comme critère de paiement des transactions pétrolières. Dans ce cas, nous verrons émerger un système qui sera bénéfique à bon nombre de pays. Si l'intégration européenne se poursuit et si l'économie européenne se consolide, ce système deviendra une réalité ».

L'euro deviendra-t-il la devise des transactions pétrolières dans le monde?

Ce discours, fondamental pour comprendre les enjeux d'aujourd'hui, prévoit un élargissement de l'UE en 2004, où cette dernière comptera alors 450 millions d'habitants, avec un PIB d'environ 9,5 milliards. Cet élargissement constituera à coup sûr un encouragement pour les pays de l'OPEC qui souhaitent passer à l'euro. Nous ne comptons pas dans notre calcul les potentiels de l'Angleterre, de la Norvège, du Danemark et de la Suède, qui ne sont pas membres de l'Union monétaire. Depuis avril 2002, quand Yarjani a tenu son discours en Espagne, le rapport dollar-euro s'est inversé, et le dollar ne cesse de chuter.

Si la Norvège se décide à facturer son pétrole en euro et si l'Angleterre adopte l'euro, ce sera un tournant important pour l'OPEC, qui choisira ipso facto l'euro. Pour la Norvège, la décision suédoise aura une valeur d'exemple, à laquelle le Danemark ne pourra pas se soustraire. Une fois de plus, c'est l'Angleterre qui pose problème : c'est d'elle que dépendra le futur statut de l'euro : deviendra-t-il la devise des transactions internationales ou non? Quoi qu'il en soit, le monde s'est mis tout entier en mouvement pour contester la suprématie du dollar. Dans deux ou trois ans, l'OPEC prendra sa décision finale.

L'économie américaine sera mortellement frappée, car, comme je l'ai déjà dit, elle est intimement lié au rôle du dollar en tant que devise de réserve. Un effondrement du dollar aurait pour effet d'intervertir les rôles entre les Etats-Unis et l'UE dans l'économie mondiale, ce que Washington peut difficilement accepter. Raison pour laquelle les menaces militaires américaines seront déterminantes dans l'attitude des pays de l'OPEC. La politique égoïste de Washington, qui méprise les traités du droit international, qui déploie un militarisme agressif, trouvera tôt ou tard ses limites. La rhétorique belliciste de Bush n'a pas placé les Etats-Unis sous un jour avantageux. Washington passe désormais pour une puissance agressive, fautrice de guerre, qui ne tient même plus compte des décisions de l'ONU et n'agit qu'à sa guise.

Un futur effondrement américain?

L'hégémonie américaine prendra fin tôt ou tard. Les Etats-Unis ne peuvent pas éternellement faire appel à la force militaire pour maintenir leur suprématie. Au contraire, les gesticulations militaires, même si elles sont en apparence couronnées de succès, sont un indice de faiblesse et de déclin. Le sociologue français Emmanuel Todd, qui avait prédit la fin de l'URSS en 1976, vient de poser un diagnostic similaire pour les Etats-Unis. Les causes principales du futur effondrement américain sont les suivantes, d'après Todd : un prix trop élevé pour le pétrole et une dévaluation trop importante du dollar.

Cet effondrement comporte évidemment des risques politiques majeurs, mais le plus grand danger qui nous guette est une détérioration drastique de l'économie japonaise. A plus ou moins long terme, le Japon ne pourra pas faire face à un prix trop élevé du pétrole (45 dollars par baril). Si les banques japonaises subissent un krach, leur trop grande dépendance vis-à-vis du pétrole, une dépendance qui est de l'ordre de 100%, entraînera une réaction en chaîne en Asie du Sud-Est, qui aura des effets immédiats en Europe et en Russie. Après cette triple crise extrême-orientale, européenne et russe, les Etats-Unis seront touchés à leur tour.

Quelle est la situation qui encadre tout cela?

◊ La guerre américaine contre le terrorisme entraîne déjà, comme on peut le constater chaque jour, d'immenses déficits, avec, en prime, une balance commerciale américaine plus déficitaire que jamais.

◊ Beaucoup de pays en voie de développement suivent l'exemple du Venezuela et de la Chine, ainsi que d'autres pays, et changent leurs réserves de devises, constituées principalement de dollars, en euro et en or.

◊ L'OPEC pourrait très bien passer à l'euro ou se doter d'une devise propre, couverte par les réserves de pétrole. Le monde islamique prévoit d'autres initiatives, comme, par exemple, celle que suggère le Premier Ministre de Malaisie, Mahathir : la création d'un “dinar-or”. Pour cette raison Mahathir a été déclaré “ennemi public numéro un” par le spéculateur Georges Soros.

◊ Les pays en voie de développement, dont les réserves en dollars sont réduites, pourraient également transformer leur économie en économie de troc. Ce système est plus facile à gérer actuellement, via des opérations d'échange effectuées par le biais de techniques informatiques. Ces pays pourraient commercialiser ainsi leurs matières premières, sous-évaluées sur les marchés mondiaux dominés par le dollar et les Etats-Unis. Le Président vénézuélien Chavez a signé treize contrats de troc de ce type, prévoyant l'échange de matières premières indispensables au Venezuela contre du pétrole.

◊ Les Etats-Unis ne pourront financer indéfiniment leur déficit commercial (± 5% du PIB) et la guerre permanente qu'ils ont déclenchée, sous prétexte de lutte contre le terrorisme.

Les pétro-dollars, instruments de la puissance américaine

Les élites américaines le savent, mais ne veulent pas le faire connaître via les médias : la force du dollar ne repose pas en soi sur les capacités réelles de l'économie nationale américaine. En réalité, la force du dollar repose depuis 1945 sur le privilège d'être la devise de réserve internationale et la devise “fiat” pour les transactions pétrolières dans le monde entier (les fameux “pétro-dollars”). Les Etats-Unis font effectivement imprimer des centaines de milliards de ces pétro-dollars que les Etats nationaux, dans le monde entier, utilisent pour acheter du pétrole auprès des producteurs de l'OPEC, à l'exception de l'Irak, partiellement du Venezuela, qui hésite encore à passer à d'autres formes de transactions, et prochainement l'Iran. Ces pétro-dollars sont renvoyés aux Etats-Unis par les pays de l'OPEC, où, par le truchement de “Treasury Bills” ou d'autres titres ou valeurs libellés en dollars ou encore, par des investissements immobiliers, ils sont réinvestis dans les circuits américains. Ce retour des pétro-dollars à l'Amérique est le prix que les pays producteurs de pétrole doivent payer pour acheter la tolérance américaine à l'égard de ce cartel que constitue l'OPEC.

Le dollar est donc l'instrument de la suprématie globale des Etats-Unis, car seuls les Etats-Unis sont autorisés à l'imprimer. Le dollar, devise “fiat”, est à la hausse depuis seize ans, en dépit du déficit record de la balance commerciale américaine et en dépit des dettes énormes que l'Amérique a contractées.

Les réserves en dollars doivent impérativement être reconverties en dépôts américains, ce qui entraîne un surplus de capitaux en circulation pour le bénéfice de l'économie américaine. Mais après une année de corrections importantes, les actions américaines gardent la santé depuis une période de 25 ans. Le surplus de la balance américaine des capitaux, provenant des investissements étrangers, finance le déficit de la balance commerciale. Qui plus est, toute valeur libellée en dollar, indépendamment du lieu où elle se trouve, est de facto une valeur américaine. Comme le pétrole s'achète et se vend en dollars, en vertu de la puissance américaine consolidée en 1945, et comme le dollar est une devise créée quasiment ex nihilo pour le commerce du pétrole, on peut dire effectivement que les Etats-Unis possèdent les réserves pétrolières mondiales : celles-ci sont à leur disposition. Plus les Etats-Unis produisent des “green backs” (des dollars), plus les valeurs américaines augmentent. La politique du dollar fort constitue donc un double avantage et bénéfice pour les Etats-Unis.

Augmenter la production de pétrole dans l'Irak occupé pour faire crouler l'OPEC

Cette situation actuelle, marquée par l'injustice, ne se maintiendra que si :

◊ les peuples du monde continuent à acheter et à payer le pétrole dont ils ont besoin, de même que d'autres matières premières, en dollars;

◊ la devise de réserve pour les transactions pétrolières mondiales reste le dollar, et le dollar seul.

L'introduction de l'euro constitue un facteur nouveau, qui constitue la première menace pour la suprématie économique américaine.

Au vu de toutes ses données, les Etats-Unis vont donc déclencher une guerre contre l'Irak, chasser Saddam Hussein et augmenter démesurément la production de pétrole en Irak, afin de vendre le pétrole à bas prix et, ainsi, détruire le cartel que constitue l'OPEC, ce qui aura pour conséquence d'empêcher l'ensemble des pays producteurs de passer à l'euro. Tel est le véritable enjeu de la guerre contre le terrorisme ou l'axe du mal. La mise en scène ne trompe personne d'éclairé : les Etats-Unis ont d'ores et déjà annoncé la couleur. Ils imposeront un gouvernement militaire américain dans l'Irak conquis, afin de pouvoir mener leur politique. La première mesure qu'ils prendront sera de ramener l'Irak dans le giron du dollar. A partir de ce moment-là, un gouvernement fantoche gouvernera le pays comme en Afghanistan. Bien entendu, les champs pétrolifères seront placés sous la garde des soldats américains. La junte de Bush pourra quintupler la production du pétrole irakien, de façon à faire sauter les quotas imposés par l'OPEC (pour l'Irak : deux millions de barils par jour). Plus personne, dans de telles conditions, ne voudra encore réduire ses quotas. Mais, les Etats-Unis devront quand même compter sur une résistance des pays de l'OPEC.

Pendant le programme “pétrole contre nourriture”, l'Irak a vendu en cinq ans pour 60 milliards de dollars de pétrole, ce qui fait moins d'un million de barils par jour. Après quelques investissements nécessaires dans les infrastructures d'exploitation, la production irakienne pourra facilement passer à sept millions de barils par jour (2,5 milliards de barils par an). Si l'on tient compte du fait que la production mondiale est de 75 millions de barils par jour et que l'OPEC en produit 5 millions par jour, on comprend aisément que la politique américaine vis-à-vis du pétrole irakien vise ni plus ni moins la destruction de l'OPEC, ce qui fera baisser le prix du pétrole à plus ou moins dix dollars le baril. Les pays importateurs de pétrole économiseront ainsi chaque année 375 milliards de dollars. D'où cette phrase entendue aux Etats-Unis : « The Iraq war is not a money­maker, but it could be an OPEC breaker » (La guerre contre l'Irak ne rapportera sans doute pas d'argent, mais cassera sûrement l'OPEC).

L'OPEC devra réagir

Cette réflexion, posée par un belliciste américain, est forcément venue à l'esprit des représentants de l'OPEC. Les Américains considèrent que ce jeu dangereux est la “meilleure des solutions”, du moins si tout se passe bien. Mais, l'OPEC ne restera pas sans réagir, si les Américains pompent le pétrole irakien à leur profit et à tire-larigot. Assister à ce pillage les bras ballants équivaut à un suicide pour l'OPEC. Déjà la résistance à l'encontre des projets américains dans le monde est éloquente, même si les centaines de milliers de gens qui défilent dans les rues n'en sont pas conscients. A terme, les pressions et les initiatives américaines pourraient bien échouer.

L'OPEC devra passer à l'euro pour les transactions pétrolières, rien que si elle veut assurer sa survie. Une telle décision signifierait la fin du dollar américain comme devise hégémonique, la fin du statut d'unique hyperpuissance.

Il y a un an environ, l'hebdomadaire britannique The Economist évoquait le paradoxe de la puissance américaine (cf. John Nye, « The new Rome meets the new Barbarians », The Economist, 23.3.2002; Nye est le Doyen de la “Kennedy School of Government” de Harvard et l'ex-Assistent Secretary of Defence, en 1994-1995, est, avec Samuel Huntington, éditeur de Global Dilemmas, au centre même du nouveau cénacle de ceux qui forgent et déterminent l'actuelle politique extérieure américaine). L'article de Nye dans The Economist dit bien qu'à long terme la puissance américaine ne pourra pas subir de défis sérieux, mais qu'elle se trouve néanmoins face à des challenges qui vont l'obliger à s'unir à d'autres Etats au sein de “coalitions”, afin de ne pas devoir recourir sans cesse à la force militaire brutale pour contraindre le monde à fonctionner selon la volonté américaine, mais à créer les conditions d'un soft power, d'une puissance douce. L'argumentation de John Nye est un savant dosage de vérités factuelles incontestables, de désinformations savamment distillées, d'analyses cohérentes et de menaces à peine voilées.

Dans sa démonstration, la partie la plus intéressante, à mes yeux, est celle où il évoque les “trois types de puissance”. C'est-à-dire :

◊ la puissance militaire;

◊ la puissance économique et

◊ la puissance qui découle des “relations transnationales telles qu'elles existent au-delà de tout contrôle exercé par les gouvernements” (exemples : les transferts par voie électronique de sommes d'argent gigantesques au sein même du système bancaire international, les réseaux terroristes qui apparaissent toujours immanquablement quelque part, les trafics internationaux d'armes et de drogues, les “hackers” d'internet ou des systèmes informatiques).

L'analyse de la puissance américaine par John Nye

La présence de ces trois formes de puissance est une évidence objective. Mais elles ne sont pas nouvelles. Clausewitz, et Sun Tzu dans la Chine antique, n'ont jamais réduit leurs analyses de situation aux forces quantitatives des armées. Clausewitz constatait, c'est bien connu, que la guerre est la poursuite de la politique par des moyens militaires, mais des moyens militaires qui sont toujours mêlés à d'autres moyens. La politique américaine n'échappe pas à cette règle clausewitzienne.

Nye perçoit la puissance militaire américaine comme “unipolaire”. Il veut dire par là que les Etats-Unis seuls sont aujourd'hui en mesure de “projeter” leurs forces armées nucléaires ou conventionnelles partout dans le monde, donc de menacer tous les Etats de la planète et de leur faire effectivement la guerre. Dans l'état actuel des choses, cette remarque est vraie, sans nul doute, mais, quoi qu'on en dise, l'armée russe est toujours une donne dont il faut tenir compte et elle dispose aussi d'armes nucléaires balistiques. Quant à la Chine, elle est tout simplement trop importante quantitativement, pour être vaincue par la puissance militaire américaine. L'incertitude qui règne aujourd'hui quant à la puissance réelle des armées russes et chinoises vient du fait que la Russie et la Chine sont des nations de grande culture et de longue mémoire et qu'elles ne vont évidemment pas tenter quoi que ce soit, au risque de provoquer une conflagration universelle. Par conséquent, cette sobriété russe et chinoise fait que les menaces américaines fonctionnent… encore (comme le disait Madeleine Albright : «… we have the means and the will to use it » ; = nous avons les moyens et la volonté de les utiliser).

Quant à la deuxième dimension de la puissance, c'est-à-dire la puissance économique, John Nye avoue qu'elle est aujourd'hui multipolaire, avec, pour protagonistes, l'Europe, le Japon et les Etats-Unis. Ensemble, ces trois puissances valent les deux tiers du PIB mondial. Mais cette vision des choses repose sur une distorsion des faits monétaires réels, avec une devise gonflée artificiellement parce qu'elle est la devise standard, la “fiat-money”. L'Amérique, contrairement à ce que John Nye veut bien nous dire, est de facto en faillite. Elle vit d'importations non payées en provenance du reste du monde. Il peut parler de “multipolarité” autant qu'il le voudra, la menace qui pèse le plus lourdement sur les Etats-Unis se situe bien au niveau de la puissance économique.

Le rôle des banques

La troisième dimension, celle des relations transnationales, est un cas particulier. Nye ne nous parle que modérément du rôle des banques et insiste plutôt sur celui des hackers et d'internet. Or le rôle des banques demeure cardinal; en temps de paix, le système bancaire est l'arme préférée des Etats-Unis quand il s'agit de déstabiliser les pays étrangers. Nye nous parle d'une “puissance largement répandue dans le monde et, à son propos, il paraît inutile de parler d'unipolarité, de multipolarité ou d'hégémonisme”. Nye minimise donc les effets d'une “puissance anonyme”, alors qu'elle est celle du dollar; en fait, il veut dissimuler les usages qu'en font les Etats-Unis, car les impulsions données par Washington au système bancaire international constituent les moyens secrets mis en œuvre par la puissance américaine. Quand on ne sait pas par qui on est attaqué, ni l'endroit où cette attaque se déploie, la riposte s'avère difficile, sinon impossible. Les Etats-Unis jouent ici un rôle crucial, ou pour être plus précis, ce sont surtout les instances dominantes de la côte Est des Etats-Unis qui le jouent. Prenons par exemple la situation du Japon. Si les Japonais souhaitaient brusquement mettre un terme à leurs problèmes de finances et de dettes, il leur suffirait de liquider pour 1000 milliards de dollars de titres libellés en cette devise, qui sont en leur possession. Une telle action précipiterait les Etats-Unis dans le marasme le plus total. Les Américains le savent. C'est pourquoi l'ancien ministre des finances américain O'Neill a clairement déclaré que cette “option” n'était pas “ouverte” pour les Japonais.

Les agencements de la puissance économique fonctionneront comme facteurs de puissance uniquement si le reste du monde continue à se laisser imposer les règles voulues par les Etats-Unis, c'est-à-dire aussi longtemps que le dollar servira de devise de réserve.

Nye nous a donc clairement évoqué, dans son article de The Economist, quels sont les domaines clefs de la puissance actuellement dans le monde, mais aussitôt évoqués, il les drape dans une brume de désinformation. Il nous dit que la stabilité des finances internationales est d'une importance vitale pour le bien-être des Américains, mais que, pour y parvenir, les Etats-Unis ont besoin de la coopération d'autres puissances, afin d'assurer cette stabilité pour l'avenir. Mais cette requête, quémandant la coopération de tierces puissances, est un indice du commencement de la fin. Toute construction qui perd l'une de ses colonnes porteuses s'effondre.

Petit secret du “nouvel ordre mondial” : le reste du monde pourrait jeter les Etats-Unis en bas de leur piédestal, dès le moment où il proclamerait la fin du dollar comme devise standard des échanges internationaux. C'est un dilemme crucial auquel l'Amérique ne pourra pas sortir dans l'avenir proche. Mais le processus de la chute ne s'est pas encore mis en marche, parce que l'ensemble des pays occidentaux en serait également ébranlé et les dirigeants de ces pays craignent d'affronter de tels bouleversements. Mais ces craintes pourraient fort bien se dissiper quand il apparaîtra de plus en plus clairement que les Etats-Unis se conduisent comme le “Super-Etat-Voyou”, menaçant tous les pays du monde. Cette conduite inacceptable risque de faire émerger une donne : celle que les Etats-Unis veulent à tout prix éviter.

L'Iran et le Venezuela pourraient choisir l'euro

L'économie japonaise pourrait fort bien s'effondrer. L'Iran, le Venezuela et plusieurs autres pays pourraient choisir l'euro comme devise pour les échanges commerciaux internationaux. La décision de l'OPEC de passer à l'euro pourrait accélérer le processus. Qui plus est, en dépit de ces risques très réels, les Etats-Unis n'ont pas cessé de pratiquer leur politique désastreuse, avec :

◊ un accroissement massif de leur déficit ;

◊ une absence de volonté réelle de faire passer un système de supervision général des actions en bourse (le SEC; “Stock Exhcange Control”) ;

◊ un échec de leurs politiques économique et fiscale.

La plupart des Américains n'en n'ont pas idée, car leurs médias ne leur en parlent pas. On gave les citoyens américains —comme du reste les citoyens européens— de consommation et de loisirs. Seuls internet et les réseaux de samizdat fournissent encore de véritables informations.

CONCLUSION :

Dans un premier temps, il semble plus que probable que toute tentative d'un pays de l'OPEC, de passer à l'euro, se verra combattue par les Etats-Unis, soit par des moyens directement militaires, soit par des opérations camouflées des services secrets. Sous le prétexte de la guerre permanente contre le terrorisme, le gouvernement américain manipule les citoyens des Etats-Unis et de tous les autres pays du monde, via les médias qu'il domine, et trompe l'opinion mondiale sur les véritables motifs économiques de la guerre contre l'Irak. Cette guerre n'a évidemment rien à voir avec les menaces imaginaires que Saddam Hussein aurait fait peser sur la région en déployant des armes de destruction massive, tout aussi imaginaires, comme on le sait aujourd'hui. Le motif de cette guerre est de perpétuer la domination du dollar comme devise dans les transactions pétrolières. Ce n'est pas un contexte qui s'est développé seulement au cours des derniers mois : les décisions avaient déjà été prises avant l'accession au pouvoir de l'équipe de Bush, représentant des lobbies pétroliers. De plus, la banqueroute virtuelle des Etats-Unis est un fait avéré depuis bien plus longtemps. Les attentats du 11 septembre a été un “second Pearl Harbor”, comme bon nombre d'observateurs l'ont d'ores et déjà constaté. Avec ces attentats, la propagande de guerre a pu commencer à battre son plein.

La confrontation dollar / euro semble inévitable, même si l'euro, au départ, avait été voulu par les Américains. Après les guerres de religion et d'idéologie, nous verrons l'avènement d'une nouvelle catégorie de guerres : les guerres de devises.

11 septembre 2001 = nouveau Pearl Harbor

Les gens se sont posé plusieurs questions après le 11 septembre 2001 : sur les motivations de ces attentats, d'une part, sur les possibilités réelles de les perpétrer, d'autre part, parce qu'on mettait en doute la présentation qu'en avaient faite les médias. Les gens veulent aller au bout des choses. Sur le plan purement physique, nous devons d'emblée rejeter la thèse officielle avancée par les Etats-Unis sur ces attentats, soit la thèse qui prétend que des terroristes islamistes ont utilisé des avions comme bombes volantes pour détruire les deux immeubles qui symbolisaient la politique globaliste des Etats-Unis; de même, la motivation fabriquée de toutes pièces par les grands médias est dénuée de tout fondement : on ne peut en rien affirmer que ces attentats constituent la vengeance du monde islamique contre l'impérialisme américain. Or si l'on rejette la thèse officielle de Washington et des médias à sa dévotion, on pose ipso facto la question de savoir quelles sont les véritables causes intérieures qui ont motivé ces attentats. On ne peut plus éluder cette question avec le mépris habituel, en disant qu'elle participe de la “théorie de la conspiration”. L'hypothèse la plus plausible est la suivante : à moyen terme, les Etats-Unis et les médias qu'ils téléguident ne pourront plus dissimuler aux citoyens du monde l'imminence d'une crise économique et d'un effondrement des marchés financiers; par conséquent, il leur fallait trouver un bouc émissaire. L'argumentation tient la route. Vu la dimension gigantesque de la crise qui nous attend, l'événement devait être hyper-frappant, aussi frappant que l'avait été Pearl Harbor, qui a servi de prétexte pour l'entrée en guerre des Etats-Unis en décembre 1941. Le 11 septembre 2001 est par conséquent, aux yeux des esprits critiques et lucides, un nouveau Pearl Harbor, un prétexte idéal pour entamer un nouveau processus de guerres en chaîne.

Si l'on a observé, comme je l'ai fait, la situation économique réelle du monde depuis quelques années, on constate que les médias ne révèlent jamais au public la situation réelle et manipulent les informations. Ce silence et ce tissu de mensonges attestent de l'ampleur de la catastrophe qui nous attend. A l'aide de l'arithmétique la plus élémentaire, on doit déjà pouvoir constater qu'une bulle financière aussi énorme éclatera tôt ou tard. La bulle financière qui a crû sur les marchés financiers de manière exponentielle éclatera effectivement et donnera lieu à un krach épouvantable. Les bénéfices artificiels, engrangés à la suite de bilans faussés, n'existent que sur le papier et doivent immanquablement conduire à la faillite.

A. Greenspan : sommes-nous proches d'une dictature mondiale?

Bon nombre de démonstrations faites par A. Greenspan, avant qu'il ne devienne le chef de la “Federal Reserve Bank” prouvent qu'il savait tout cela, aussi bien que n'importe quel individu capable de raisonner correctement. Greenspan est devenu entre-temps l'homme le plus puissant de l'économie américaine et donc du monde entier. Va-t-il laisser aller les choses à vau-l'eau? Je ne le pense pas. Et je me rappelle quelques réflexions émises par Barnick, qui nous annonçait l'avènement d'une ère nouvelle : nous sommes, disait-il, bien près d'une dictature mondiale, appelée à gérer les ressources qui se raréfient et pour garantir un “ordre social” cohérent aux masses désormais atomisées et dépourvues de moyens. Ces réflexions, qui se veulent d'ordre philosophique, sont intégrées depuis des années dans les “think tanks” des planificateurs américains. Les exemples sont légion : bornons-nous à citer Huntington et Brzezinski, dont les idées servent à consolider et à justifier des opérations dont les objectifs sont essentiellement économiques et géopolitiques. Ces réflexions philosophiques ont donc un impact direct sur la réalité du monde : les observateurs européens, chinois et surtout russes s'en rendent parfaitement compte.

La situation est analysée d'une manière quelque peu différente à Moscou, où l'on est parfaitement conscient des issues dramatiques potentielles qu'elle aura. A la mi-mai 2001, un congrès s'est tenu au Kremlin, dont l'objet était : « Les temps après le dollar ». Après le dollar comme devise de réserve, s'entend. A Moscou, on spécule déjà sur le chute de l'actuel système monétaire. I. P. Panarine, de l'Académie Diplomatique du Ministère des Affaires Etrangères de la Fédération de Russie, optait pour une position euro-centrée. Il pensait que les Etats-Unis éclateraient en groupes d'Etats séparés, voire antagonistes, d'ici une dizaine ou une quinzaine d'années, à cause de la crise économique. Indépendamment de cette analyse russe, mentionnons une étude plus ancienne, celle du Russe germano-balte Georg Knüpfer qui prédisait en 1963 déjà que les Etats-Unis éclateraient en quatre morceaux antagonistes et ne seraient plus capables d'exporter la guerre, comme ils l'avaient toujours fait (cf. Der Kampf um die Weltherrschaft). Si Al Gore, représentant du grand capital, avait remporté les élections, le risque d'un éclatement des Etats-Unis aurait été plus grand encore que sous la houlette de Bush. Les Etats-Unis sont prêts à tout, y compris à multiplier les interventions militaires, pour conserver l'influence du dollar sur le monde entier.

Tels sont les plans concoctés dans l'orbite de la finance américaine. Dans le fond, il s'agit d'une déclaration de guerre pour une guerre économique totale, car les conséquences sont clairement perceptibles :de nombreux pays ont été détruits économiquement au cours de ces dernières décennies.

Pillage du monde par le dollar

Avec un dollar surévalué, les Etats-Unis se sont approprié dans le passé récent le fruit du travail des peuples, leurs ressources énergétiques (dont le pétrole) sans contrepartie. Mais, parce comportement, ils préparent, sans vouloir s'en rendre compte, l'abandon par ces peuples du dollar au profit d'une autre montagne de papier, l'euro. Les Américains ont acheté les entreprises performantes (pas les autres), les mines, les champs pétrolifères, les droits d'exploitation de ceux-ci, à l'aide de leur “fiat money”. Ils ont pillé les économies des peuples étrangers, pour les exploiter à fond puis les laisser péricliter en dévaluant le dollar. Par cette manière de procéder, les Etats-Unis se sont approprié le capital réel des peuples et, par les dévaluations successives et bien calculées du dollar, ils ont épongé leurs dettes gigantesques, que, de toutes les façons, ils n'auraient jamais pu payer. Ces dettes sont ensuite éparpillées à travers le monde entier, qui, au lieu de posséder du capital réel —c'est-à-dire des entreprises productives, des matières premières, etc.— ne possèdent plus que des montagnes de dollars sans valeur.

On verra si le programme actuel des élites américaines va réussir ou échouer. Mais, quoi qu'il en soit, l'euro existe. Quant au franc suisse, il n'est plus vraiment un “havre sûr”, depuis les dernières décisions du gouvernement helvétique : par toutes sortes de trucs, de ruses et de tromperies, ce gouvernement a réussi à fourguer aux Suisses une modification constitutionnelle, permettant de lever la couverture or du franc suisse. Vu sous cet angle, le travail des globalistes a le vent en poupe.

Gerhoch REISEGGER.

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Bellicisme et pacifisme aux Etats-Unis

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Bellicisme et pacifisme chez les conservateurs américains

Article rédigé immédiatement avant le déclenchement des hostilités contre l'Irak au printemps 2003. Dresse un tableau des clivages, qui demeurent encore aujourd'hui.

Les bombes ne pleuvent pas encore sur Bagdad. Les néo-conservateurs américains s'énervent: le Président Bush, disent-ils, est tombé dans un piège, quand il a accepté de nouvelles procédures onusiennes et de nou­velles inspections. Tels sont les propos que l'on peut lire dans les colonnes du Weekly Standard, sous les plumes de William Kristol et Robert Kagan. Ces deux journalistes partent du principe que Saddam Hus­sein est en mesure de mettre en œuvre immédiatement des armes de destruction massive. Si les contrô­leurs de l'ONU ne trouvent pas de preuves évidentes, c'est dû, affirment-ils, à la manière parfaite qu'a Sad­dam Hussein de camoufler ses plans réels. Ensuite, c'est fatal, les poltrons européens ne veulent pas voir la vérité…

Les deux poids lourds du journalisme néo-conservateurs n'écrivent plus le mot "allié(s)" qu'entre guille­mets. C'est surtout la France et, dans une moindre mesure, l'Allemagne, qui sont les objets de leur colè­re. Mais ils soupçonnent aussi la présence de "traîtres" au sein même du gouvernement américain. Tous les membres du gouvernement, estiment-ils, ne soutiennent pas les efforts de guerre de toutes leurs for­ces possibles. C'est surtout le ministre des affaires étrangères Colin Powell et son représentant, Richard Ar­mitage, qu'ils considèrent comme des freins, raison pour laquelle Kristol, dans le Weekly Standard, croit per­cevoir l'émergence et l'action délétère d'un "Axe d'apaisement".

Le "moindre pet de mouche" en Asie centrale…

La clique néo-conservatrice qui donne le ton et qui est constituée de conseillers gouvernementaux, af­fir­me sans ambages qu'elle appelle à la constitution d'un "Empire américain", ce qu'elle avait déjà réclamé a­vec tambours et trompettes dans l'éditorial du Weekly Standard, immédiatement après le 11 septembre 2001. Dans une réaction violente, à chaud, quand l'honneur national américain venait d'être frappé de plein fouet, un journaliste du nom de Max Boot annonçait que la politique étrangère des Etats-Unis "ne de­vait plus se contenter de cuire des petits pains". La politique extérieure américaine est encore beau­coup trop prudente, estimait ce va-t'en-guerre. Les Etats-Unis ne pratiquaient pas trop d'immixtion, mais trop peu: tel est le problème, selon lui! Si, après la guerre froide, les Etats-Unis ne s'étaient pas retirés d'Af­ghanistan, les choses se seraient déroulées autrement. Car le "moindre pet de mouche" en Asie cen­trale, estime ce Boot, "doit susciter une réaction de notre part".

Le "9/11", comme on désigne le 11 septembre dans le jargon des médias américains, constitue une césure dans l'histoire des Etats-Unis. La répétition incessante de séquences de films pris ce jour-là crée le sen­ti­ment d'une menace permanente. L'administration Bush a su profiter des sentiments de l'heure. Bientôt les Amé­ricains se doteront d'un "ministère pour la protection du pays" (homeland), chargé d'assurer la sé­cu­ri­té intérieure; il aura l'autorisation de surveiller chaque déplacement des citoyens, contrôler chaque let­tre, chaque courrier électronique, chaque coup de téléphone. Cette situation n'a plus rien à voir avec les i­déaux traditionnels de liberté en Amérique, inaugurés par les "Pères fondateurs". La "guerre contre le ter­rorisme" justifie les moyens.

Les néo-conservateurs américains ont vécu un réveil le 11 septembre 2001. Le monde entier vivait dans l'ar­riération et cette tare ne pouvait être soignée que si on lui administrait une cure sévère de "démo­cra­ti­sation". Selon les paroles du journaliste Michael Ledeen, cela devient : «Chaque jour, nous opérons une dé­chirure au sein du vieil ordre, que ce soit en économie, en sciences, en littérature, en art, en ar­chi­tec­tu­re ou dans le domaine du cinéma, et même en politique et en droit. Nos ennemis ont toujours haï ce tour­billon d'énergie et de créativité. Car ce tourbillon menace leurs traditions (quelles que puissent être cel­les-ci) et ils ont honte de ne pas pouvoir tenir notre cadence. Nous devons les détruire, afin de pousser en avant notre mission historique».

Est-ce Ledeen ou Lénine qui parle ainsi? De telles phrases, on en trouve à profusion dans le livre de Le­deen, intitulé The War against the Terror Masters. Il ne s'agit pas seulement de jongler avec de fortes pa­roles. Ces phrases trahissent l'état d'esprit dans lequel évoluent les néo-conservateurs aujourd'hui. Même de fidèles partisans du Parti Républicain se frottent les yeux. «Tant le conservatisme moderne que le li­bé­ra­lisme moderne à la Clinton sont indifférents face aux effets arasants et destructeurs de la globalisation sur les cultures et les valeurs traditionnelles, non seulement dans le vaste monde mais aussi, ici, en Amé­ri­que», remarquait récemment un collaborateur du Washington Times, à la suite d'une recension de la nou­velle revue The American Conservative.

Depuis le début du mois d'octobre, cette nouvelle revue bimensuelle fait beaucoup de bruit dans les cer­cles de droite aux Etats-Unis (cf. "Les mouvements américains pour la paix", in: Au fil de l'épée, Recueil n°40, décembre 2002). Les éditeurs de cette revue sont Pat Buchanan, Taki Theodoracopoulos et Scott McConnell. C'est évidemment Pat Buchanan le plus connu des trois. En dépit de son échec à la can­di­da­ture des présidentielles, il est resté une figure connue dans tout le pays, apparaît régulièrement sur les é­crans de télévision. Son dernier livre, The Death of the West, a été un véritable best-seller, avec plus de 200.000 exemplaires vendus aux Etats-Unis. Le financement de départ pour The American Conservative vient très vraisemblablement des poches de Taki Theodoracopoulos (des bruits circulent qui parlent d'une som­me de 5 millions de dollars). Ensuite, cet héritier d'un armateur d'origine grecque s'avère un édito­ria­lis­te très mordant, et ajoute à la revue une touche de glamour (il a collaboré au Spectator de Londres et au New York Press).

Des néo-conservateurs aux racines gauchistes dures…

The American Conservative vole dans les plumes des néo-conservateurs de l'acabit de William et Irving Kri­stol, de Jonah Goldberg, de Charles Krauthammer ou de Norman Podhoretz. «Nous étions déjà "con­ser­va­teurs" quand tous les Podhoretzs de ce monde fricotaient encore avec l'Oncle Joe Staline», ironise Theo­do­racopoulos, en faisant référence aux racines gauchistes dures de tous ces nouveaux "con­ser­va­teurs". Simultanément, cette équipe qui entoure Buchanan cherche à se protéger : sa critique, à l'en­con­tre des intellectuels néo-conservateurs ne doit pas mal s'interpréter comme étant de l'"antisémitisme", ex­pli­que McConnell dans une conférence de presse. Il fait allusion ainsi à un courant officieux, toujours pré­sent, jamais soumis à analyse, dans les débats politiques aux Etats-Unis, soit à la position spéciale des grou­pes qui soutiennent Israël.

Dans la question irakienne, les questions touchant à la sécurité d'Israël jouent un rôle important. Le parti des faucons au Pentagone —en tout premier lieu le représentant du ministre de la défense Paul Wolfo­witz, le Président du Defence Policy Board, Richard Perle, et le sous-secrétaire d'Etat Douglas Feith— est exac­tement le même groupe, à peine discret, qui défend l'idée d'un sionisme sous la protection des Etats-U­nis. Dans un article de fond, intitulé "The Israel Lobby", Michael Lind explique la nature de ce lien. Lind est un Républicain, ancien rédacteur en chef de la revue National Interest. Aujourd'hui, il critique la po­li­ti­que extérieure américaine d'un point de vue qualifiable de "libéral de gauche". Son article sur le "lobby pro-israélien" est paru en avril 2002 et, fait significatif, n'a pas été directement publié aux Etats-Unis, mais loin du Nouveau Monde, dans le magazine britannique Prospect, une revue du "New Labour". Il a sus­cité d'âpres débats.

Les électeurs juifs aux Etats-Unis ne représentent qu'une petite minorité de quelque 3% de la population. Ce­pendant les organisations sionistes parviennent à exercer une influence bien plus prépondérante sur la po­litique étrangère américaine que tous les autres groupes lobbyistes. L'AIPAC ("American Israel Public Af­fairs Committee") occupe dans ce contexte une position clef, dans la mesure où il détient une fonction de co­or­dination des activités. Son travail est efficace : chaque année, Israël reçoit environ trois milliards de dol­lars provenant de l'argent des contribuables américains, plus d'autres milliards venant de dons privés. De­puis 1979, quelque 70 milliards de dollars de l'aide officielle au développement sont arrivés en Israël, gé­néralement sous la forme de soutiens militaires. Cela peut paraître paradoxal, vu la situation actuelle, mais c'est le père de George W. Bush qui s'est plaint ouvertement en septembre 1991 de la pression qu'exerçaient les organisations pro-israëliennes: «Sur la colline du Capitole, il y a un millier de lobbyistes qui œuvrent au Congrès pour obtenir des garanties de crédit pour Israël».

L'alliance des fanatiques protestants et de la droite radicale sioniste

Traditionnellement, la plupart des électeurs juifs votent plutôt à gauche. Ce qui les dérange chez les Ré­pu­bli­cains, c'est le contact étroit que ceux-ci entretiennent avec la droite chrétienne. Des représentants de "Christian Coalition", comme Pat Robertson, n'hésitent pas, à l'occasion, de prononcer sans vergogne des discours grandiloquents sur "le complot judéo-maçonnique, vieux de 200 ans". Mais, simultanément, en dépit de cette idéologie conspirationniste, ces Républicains chrétiens sont des défenseurs acharnés d'Is­raël, pour des raisons d'interprétation biblique. Bien sûr, ils sont aussi les partisans zélés d'une nou­velle guerre dans le Golfe. Lind voit là à l'œuvre l'alliance entre les fanatiques protestants et la droite ra­di­cale sioniste, qui menace le processus de paix au Proche-Orient.

Si, parmi les intellectuels, on se querelle encore avec vigueur pour juger de la moralité ou de l'immoralité d'une attaque contre l'Irak, l'opinion publique, elle, estime déjà que la guerre annoncée est inévitable. Elle pose des questions plus prosaïques, surtout celle de savoir combien cette opération va coûter. Une étu­de du parti démocrate dans la Chambre des Représentants part du principe qu'une guerre, en cas de "vic­toire rapide" coûtera environ 60 milliards de dollars. Si les Irakiens se défendent sur quelques points im­portants seulement de leur territoire ou s'ils concentrent leurs points de résistance autour de Bagdad, il fau­dra que les Américains s'engagent davantage au sol. Alors, estiment les analyses du "Congressional Bud­get Office", le coût de la guerre s'élèvera à 140 milliards de dollars, ce qui ne représente que 1,5% du PIB. Dans ce cas, la guerre ne coûterait que de la menue monnaie…

Professeur d'économie à la Yale University, William D. Nordhaus, dans la dernière livraison de la New York Review of Books, présente une contre-évaluation des coûts de l'opération guerrière, qui apparaît bien moins optimiste : «Il est plus que probable que les Américains sous-estiment les effets économiques qu'en­traînerait une guerre contre l'Irak». Outre les dépenses directes pour les combats, il faut prendre en comp­te les charges que nous coûterait une éventuelle occupation du pays pendant plusieurs années. A ces deux catégories de coûts, il faut ajouter les dépenses pour la reconstruction de l'Irak, c'est-à-dire les frais dits de "nation building", et pour les aides humanitaires. Mais le plus gros morceau, que l'administration Bush refuse de prendre en compte, ce sont les effets indirects négatifs d'une guerre en Irak sur le marché du pétrole et sur la conjoncture aux Etats-Unis. Dans le pire des cas, si l'élimination de Saddam Hussein ne se passe pas de manière aussi aisée que prévue, le professeur Nordhaus prévoit un coût total d'environ 1,6 billions de dollars, ce qui aura des répercussions évidentes sur l'économie américaine.

Catherine OWERMAN.

(article paru dans Junge Freiheit, n°49/2002 - http://www.jungefreiheit.de ).

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lundi, 21 mai 2007

Causalidade, Necessidade e Cultura

Causalidade, Necessidade e Cultura


"Tudo o que existe no Universo é fruto do "acaso" e da "necessidade"
Demócrito de Abdera (460-370 EP)

O desenvolvimento cultural das comunidades humanas é consequência da capacidade intelectual do Homem, da manifestação livre do seu saber e do seu conhecimento, desenvolvimento esse permanentemente contrariado por principios dogmáticos estruturados como doutrinas, religiosas ou políticas, por teorias fundamentalistas de grupos laicos e sacerdotais interessados na manutenção de um "status-quo" capaz de manter os privilégios de que disfrutam, encerrando o desenvolvimento cultural e pretendendo transforma-lo em pseudo-dialécticas que, no abandono consciente das suas estruturas tradicionais e fundacionais, conduz inapelavelmente à sua regressão.
A falácia do igualitarismo, da divindade soterológica ou da finalidade hedonista da existência, conduz ao bloqueamento cultural e, consequentemente, ao desmoronar dos valores éticos que alicerçam a comunidade afectada que, gradualmente, vai inflectindo no sentido da superstição e da existência segundo um modelo acultural que lhe garante a sobrevivência.

Pela sua própria idiossincracia, o efeito dogmático bloqueia todo e qualquer diálogo com a expressão cultural vivente no seio das comunidades, e que formata o seu processo intelectual de compreender os laços que a constituem e o meio em que evolui.
A esse bloqueio, os gregos denominavam "aporia" (1), ou seja, o que consideravam não ter solução, ou o que criava "perplexidade", "embaraço" ou "incerteza", e quando aplicado a um debate, traduzia o reconhecimento por parte de todos os interlocutores da impossibilidade de definir uma noção, a "inexistencia de ligação entre argumentos", um "impasse de raciocinio".
Mais particularmente, Aristóteles designava como "aporia" um conjunto de afirmações separadamente plausíveis, mas falsas se consideradas em conjunto, considerando que a reconciliação de tais proposições, perante soluções alternativas, eram um trabalho de máxima importância para os filósofos.

Perante semelhante enfrentamento entre o dogma paralisante, e portanto culturalmente regressivo, e a estrutura cultural "tradicional" (2), surge a questão sobre se existe um objectivo na existência do ser-humano, algum processo "teleológico" (3) da vida, e se quando consideramos estar, "a priori", perante uma "aporia", na realidade estamos na presença de um embaraço, de um desafio à nossa capacidade de "animal racional" ("zoon logikon") que nos impõe atravessar o "Rubicão", e instalalarmo-nos num processo de desenvolvimento intelectual, ou ficar passivos na crença em mistificações simplistas de divindades etéreas criadas à imagem da nossa ignorância e da nossa curiosidade.

A "teleologia" pressupõe uma espontaneidade no ser vivo, uma energia vital que poderiamos aproximar da "entelequia" (4), termo com que Aristóteles pretendeu designar a "energia da vida", "algo que tende por si mesmo a atingir o seu próprio fim".
Com efeito, a evolução biológica aparece como uma fase de um processo evolutivo composto de três fases diferenciadas, embora interligadas num mesmo processo geral, que para uns se subdivide em "fase inorgânica ou pré-biológica", "orgânica ou biológica" e "humana ou pós-biológica", e para outros, em "protoplasma", "célula" e "animal", como niveis em que se manifestam os graus de integração e organisação dos seres vivos.

Se há ou não um "propósito" nesta evolução, é assunto discutível, embora presentemente não se admita uma teleología no conjunto do processo evolutivo, mas sim processos parciais teleonómicos, isto é, processos que possuem uma "direcção própria".

Os "epistemólogos" (5) ocuparam-se da explicação dos processos evolutivos, concretamente na evolução biológica e concluiram que a explicação evolutiva não é, nem pode ser, uma explicação de natureza dedutiva, mas que pode haver explicações dos processos evolutivos através de leis demonstrativas de como, de um grupo de condições iniciais, se desenvolve (ou "se desenvolveu") um determinado processo, que produz certas outras condições, regidas por leis próprias.
(consulte-se Ernest Nagel, filósofo, epistemólogo - 1901/1985).

Os sistemas vivos seriam teleológicos, relacionando-se com o "cenário" em que vivem, através de um sistema de informação que o naturalista alemão Jakob von Uexkull denominou de "Umwelt", que significa algo como "o-mundo-que-nos-rodeia".
A teleologia seria pois, uma perfeita afirmação da entropia, ou seja, um encaminhamento permanente da ordem à desordem para construir outra ordem.
Nas transformações de energia, "entropia" é a tendência para um estado de desordem molecular no qual a energia deixa de ser utilizável como trabalho.
O segundo principio da termodinâmica, estabelecido por Carnot e Clausius, enuncia esta tendência à degradação da energia, enquanto o primeiro principio afirma a conservação da quantidade, mas através da transformação da qualidade, que se degrada dispersando-se em calor não utilizável.
Este conceito estendido da física, à biologia, à economia e à sociología, tomou nesta última o sentido geral de tendência à desorganisação e à desestruturação.

Aristóteles, na "Ética a Nicómaco", desenvolve o principio da causalidade para evidenciar uma finalidade subjacente à finalidade das coisas.
Esta finalidade contida no "Ser" e que o leva a "devir o que ele é", é denominada "telos" por Aristóteles, e daí provém a "teleologia", um conceito filosófico que diz haver um principio director, uma finalidade que actua na natureza e que a faz realizar o que ela é.
Aristóteles faz notar a extraordinária universalidade deste principio, do qual nada parece afastar-se, como se uma "mão invisível" orientasse o processo. Tenhamos presente que jamais o "Estagirita" atribuiu a essa "mão" uma qualquer noção de divindade !

Na actualidade, uma aproximação sistémica da teleologia e da teleonomia apresenta-as como noções que se relacionam com o objectivo a atingir, com a finalidade, que pode ser declarada (como intenção expressa) ou interpretada a partir da observação dos comportamentos que parece tenderem para um objectivo atribuido pelo observador.

Compreendamos que se algum processo teleonómico nos coloca perante a decisão de sermos servos hedonistas existindo em sociedades controladas por oligarquias anónimas, ou homens livres vivendo em comunidades por nós dirigidas, a opção é nossa, reside na nossa capacidade de ser rebelde, de construir a alternativa cultural que nos permita continuar a viver como rebeldes, e não como servos de oligarquias ou de divindades.

Biologicamente, o "acaso", o fortuito, cria situações que podem ser inócuas e desprezadas, ou aproveitáveis e que a "necessidade" impõe ; sociologicamente, compete-nos a nós determinar a "necessidade".
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(1) Do gr. "a", que priva ou nega, e "poros", passagem, solução.
Certos diálogos de Platon chocam com a "aporia", como no "Eutifron" ("Euthyphron") quando procura uma definição para o que é piedade.
O termo surge mais tarde na Europa, e.g., na "Grammaire genérale" de N. Beauzée, em 1767, para descrever uma figura de retórica relacionada com a "dúvida intransponível" e, no século XIX, continua a ser definido como processo de retórica pelo dicionário Littré, e no século XX, o termo "aporia" é bastante utilizado no discurso filosófico para significar os problemas insolúveis a que conduzem os raciocinios de certos filósofos.
O denominado "teatro do absurdo" coloca em cena situações que poderiam ser consideradas de "aporia", como no caso de Samuel Beckett (1906-1989) cujo personagem, no seu isolamento, acaba por se isolar de si mesmo e dos outros e não vê o seu destino que no silêncio ou na morte (in "En attendant Godot" - 1953), enquanto o dicionário Robert, a partir de 1970, regista o vocábulo como : "(…) dificuldade de ordem racional aparentemente sem solução".

(2) Tradição não é sinónimo de estagnação ou de saudosismo, mas sim de evolução de estruturas fundacionais.
Entendemos por "saudosismo" um patológico desejo do passado, diferentemente do sentimento de "saudade", absolutamente respeitável, pois só sente "saudade" quem tem memória.

(3) Mencionamos "processo teleológico da vida" referenciando "teleológico" como adjectivo que provém de "teleologia" (do gr. "télos", finalidade + "logos", conhecimento), vocábulo proposto por Ernest Mayr (1905-2005) em 1974, significando "doutrina que considera terem todos os seres uma finalidade" e concebendo o mundo como um sistema de relações entre meios e fins, opondo-se a uma visão mecanicista.

(4) Vocábulo criado por Aristóteles para designar a tendência natural de qualquer "sistema" a procurar realizar-se plenamente, a atingir o limite das suas potencialidades.
"Entelequia", do antigo lat. "entelechia", proveniente do gr. "entelecheia" ("en", em + "telos" finalidade e "echein", ter), "ter ou ser uma finalidade". Para alguns, está próximo do termo gr. "energeia" ("energia"). "Força vital". "Vitalismo" (Ortega y Gasset).

(5) Do gr. "épistémê", conhecimento, e "logos", razão, discurso.

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L'Irak contre les "Mongols"

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L'Irak contre les Mongols ou Saddam Hussein géopolitologue!

Texte d'une conférence prononcée par Max Steens devant l'Ecole des Cadres de Synergies Européennes à Bruxelles en 2003. Ce texte, sous bien des aspects, demeure pertinent, en dépit du temps écoulé et de la mort de Saddam Hussein.

1) Saddam Hussein lecteur de Brzezinski?

Le "maître de Bagdad", comme le nomment les journalistes, a prononcé ce 17 janvier, à l'occasion de l'an­niversaire commémoration du lancement de la guerre du Golfe, il y a douze ans, un discours des plus inté­res­sants, qu'il faut savoir entendre dans la brèche opérationnelle et active qu'il sous-tend.

S'adressant à son peuple avec moult images et expressions, issues de sa culture et de son histoire, il a ren­voyé les Etats-Unis à ce qu'ils sont dans les comparatismes historiques (souvent boiteux, certes, qui sont évoqués de part et d'autre, mais néanmoins actifs). A savoir, les Mongols de l'ère moderne !! Je pense, avec Carl Schmitt, que tout discours d'un homme politique, tenant un pouvoir concret, peut définir une doc­trine, et ceci, pour le meilleur comme pour le pire! Alors —et malgré l'intérêt que l'on peut avoir pour Té­­moudjinn, alias Gengis Khan, et pour la tentative héroïque du Général Baron Roman Féodorovitch von Un­gern-Sternberg de s' en inspirer— force est de constater que c'est bien "ce qu'ils sont", plus que tout au­tre forme d'impérialité.

Saddam Hussein est d'ailleurs en accord, en cela, avec le stratège-géopolitologue Zbigniew Bzrezinski. Il ne s'agit pas, dans la bouche du dictateur irakien, d'une formule creuse, mais d'un constat de com­pa­ra­tisme "historico-morphique", au sujet du statut de ce que d'aucuns ont le culot d' appeler l'"Empire amé­ricain". Le "maître de Bagdad" et le professeur , conseiller du Center for Strategic and International Stu­dies de Washington (DC), sont donc d'accord, ils s'accordent sur ce qu'est la puissance américaine sur la surface du globe! Ne pourrait-on les faire se rencontrer afin de boire une tasse de thé? Cela ne servirait à rien. Les héritiers de l'Empire Mongol, qui, je le rappelle, ont comme caractéristique de n'imposer aucun Or­dre territorial cohérent en visant à la domination universelle, de ne proposer aucuns nomos de la Terre, ces cavaliers nomades et pillards n'ayant pas les conceptions de la territorialité qui nous animent.

Le modèle mongol du Pentagone

Je cite Brzezinski, qui passe en revue, dans son étude sur l'Amérique et le reste du monde, les différentes for­mes impériales, et qui, à propos de l' Empire de Gengis Khan, déclare: Seul l'extraordinaire Empire Mongol approche notre définition de la puissance mondiale (in: Le Grand échiquier, Paris, 2000, p. 40, coll. Pluriel/ Hachette; édition de poche). Révélation capitale, s'il en est, et qui devrait nous en­join­dre à des rapprochements décisifs! Ainsi, il rappelle que cet Empire gengiskhanide a pu "soumettre (sic) le Ro­yaume de Pologne, la Hongrie, le Saint-Empire (resic) , plusieurs principautés russes, le califat de Bag­dad et l'Empire chinois des Song.

Dans sa franchise, qui n'est que plus blessante et révélatrice de notre condition misérable en Eurasie, il pour­suit: la puissance impériale mongole est fondée sur la domination militaire (tiens, tiens…), grâce à l'ap­plication brillante et sans pitié d'une tactique remarquable…! En effet, où est la pitié dans la mise en pla­ce de la domination américaine sur la planète depuis plus de cent ans?

Certainement pas en Amérique dans le génocide du peuple amérindien, ni dans l'instauration des dicta­tu­res sud-américaines aux 19ième et 20ième siècles en faveur de Washington et de Wall Street, dictatures où la tête d'un péon ne valait pas un cent, ni à Dresde dans les corps fondus des civils allemands brûlés vifs com­me leurs compagnons en holocauste de Tokyo, de Nagasaki, mais aussi de Hanoï, ou d'Hué, sous l'ac­tion de l'agent orange, corps napalmisés comme des mauvaises herbe1; je ne pense pas que la pitié ait ja­mais résidé dans la volonté de parfaire un blocus qui envoie à la mort des dizaines de milliers d'enfants ira­kiens qui n' ont rien fait, qui ont le tort de naître dans un Pays qui gêne les visées stratégico-com­mer­ciales d'un pays qui se pense comme la mesure du monde (et quelle mesure!!), comme, autrefois, les Ir­landais n'avaient qu'à mourir de faim sous les bons yeux de sa Très Gracieuse Majesté, les rois ou la reine d'An­gleterre.

Brzezinski, insiste, de manière pesante, sur le fait que les Mongols n'apportaient ni système économique et financier ni sentiment de leur supériorité culturelle, lequel existait dans les autres Empires. Voilà donc la mission stratégique de l'Etat américain; en effet, s'il s'inscrit dans la veine mongole, comme le veut Brze­zinski, il lui faut pallier ces défauts, d'autant plus que ces caractéristiques sont consubstantielles du ca­ractère éphémère de l'Empire de Temoudjinn. On remarquera que ces lacunes de l'empire gen­gis­kha­ni­de sont exactement celles qui caractérisent remarquablement bien les USA: l'expansion tous azimuts du dol­lar et l'intégration globalitaire du monde, condamné à être mis au diapason des règles économiques pro­posées par la seule Amérique. Cette dernière pouvant toutefois, à tous moments, les refuser sur son pro­pre sol ou, tout simplement, sous la forme de réciprocité si elles leur nuisent. Pas de barrières com­mer­ciales sur la planète, pas d'exception culturelle, nous vous l'ordonnons mais laissez instaurer des quo­tas et des mesures autarcique chez nous, je vous en prie! Il ne faudrait pas confondre les Maîtres et les esclaves, s'il vous plait de la tenue!

Ce n'est pas étonnant, dans cette mesure, que le parachèvement du condominium américain que veut Brze­zinski, insiste sur cet aspect et sur la diffusion de la culture américaine. Même si elle n'est pas trop sû­re de sa force en réalité, l'avancée de la démocratie (de type démo-libérale s'entend), des droits de l'hom­me (blanc et sioniste, disait Jacques Vergès!), et consécutivement de l'American Way of Life, assu­re­ront la puissance de cette troisième caractéristique impériale: la force d'une culture. Force plus ma­té­riel­le qu'autre chose, certes, mais qui base sa prédominance sur l'éradication des autres et sur l'oubli de tou­tes autres formes de sentir, penser, percevoir. Il ne peut en être ainsi, il ne pourra en être car il faut re­fuser le chemin du néant.

2) Une alliance du turquisme et du wahhabitisme contre les peuples libres d'Eurasie

Prévoyant et préparant la chute de Saddam Hussein, qui a revendiqué dans son discours le droit de toute na­tion à vivre —ce qui nous semble une revendication bien légitime— des réunions ont lieu, en ce mo­ment, entre Saoudiens, Turcs et Egyptiens. Le premier ministre turc Abdullah Güll (AKP), s'attèle à établir une alliance avec un prince saoudien, Abdullah bin Abdulaziz Al Saud (cf. Le Figaro, édition du 18-19/1/2003, p. 2), et avec Hosni Moubarak, qui s'engage à trahir définitivement toute possibilité égyp­tienne d'emprunter une voie politique propre, lui permettant de sortir de son triste état de fellahisation (com­me disait Spengler), dans laquelle l'avait poussée définitivement la colonisation anglo-saxonne, après l'é­limination de Mehmet Ali, et de laquelle entendait la sortir le germanisme en action avec l'aide de Ga­mal Abdel Nasser.

Turcs et Saoudiens, forces d'obscurcissement et ennemis ontologiques de l'Europe et de l'Eurasie, s'enten­dent donc à merveille afin de proposer un plan de liquidation du Parti Baath, ainsi que des hommes in­fluents qui le composent dans l'entourage de Saddam Hussein. On voit à quelle trahison s'apprête Mouba­rak, tombé à genoux devant l'ottomano-wahhabisme. Il s'agit de soudoyer les hommes et les officiers du Par­ti, à l'exception de l'entourage immédiat et de la famille; détail révélateur: il s'agit bien de la liqui­da­tion d'un projet, d'une vision du monde, d'une réorganisation de la région et des rapports de force en pré­sence et non de plier des "sbires".

Napoléon pensait que pour manipuler les hommes, il existait deux moyens, la corruption et le fouet! Le fouet ne sera pas utilisé; les Saoudiens, qui tiennent en main le régime le plus ignoble que la terre n'ait ja­mais porté, le réservant aux femmes et aux esclaves philippines qu'ils emploient dans leurs palaces-ca­si­nos, hideuse expression de la collusion americano-wahabite. Leur environnement esthétique relève effec­ti­vement plus de Las Vegas que de l'Alhambra. La corruption s'appliquerait sous la forme d'une amnistie ju­ridique pour inciter les fidèles baathistes à abandonner le dictateur et à l'anéantir en le condamnant à la solitude.

Bas les masques!

Que vient faire, dans ce point focal du conflit, cette alliance de la Turquie (dite laïque, alors qu'elle par­ti­ciperait à la liquidation du Baathisme, républicaine et je ne sais quoi encore!), qu'il nous faudrait ac­cepter au sein de l'Europe, avec l'islaméricaine Arabie Saoudite, théocratie islamique de mouture wahha­bite, alliée-adversaire des USA? Alliée militaro-stratégique et économique et néanmoins concurrente ou ad­versaire (n'en déplaise à Guillaume Faye) des USA dans la lutte commerciale pour la main mise sur le pé­trole. Ces forces que Jean Parvulesco appelle les forces du Non-Être (et qui comportent encore d'autres é­lé­ments à peine "dicibles"!) agissent de façon de plus en plus visible. L'alliance du dollar et du pétrole re­prend de plus belle, moyennant des zones d'influence accordée à l'islamisme et à l'américanisme, sous l'œil avide de la politique et de la diplomatie turque, saisissant l'opportunité de récolter de substantielles pré­bendes, dépassant largement ses bons services au sein de l'OTAN.

Afin de reconstituer la pérennité du condominium, qui régnait avant l'ébranlement du 11 septembre, —ce­lui étant sans doute plus ou moins factice, du moins manipulé par on ne sait quel nombre de services et de contre-services et ayant principalement une "fonction vidéosphérique légitimisante"— il est fort pro­bable que la Turquie fasse office de grand intercesseur entre les deux adversaires-concurrents, l'A­mé­ri­que et l'islamisme (saoudien), ces deux monstres de prosélytisme monothéiste, monothéisme du marché et monothéisme coranique, alliés à nos dépens.

La Turquie recevrait le droit de s'activer dans les "Balkans eurasiens", tout en étant "boostée" plus que ja­mais dans son lobbying en faveur de son entrée dans l'Union Européenne.

La France : terrain de tous les dangers

Il n'est pas sans signification, dans ce contexte, que la France soit le terrain de tous les dangers. Visible­ment, la France, via Jacques Chirac, a pris, en matière de Grande Politique, conscience de la tragédie qui peut résulter des heures que nous vivons. Face aux Etats-Unis d'Amérique, qui en sont à un tel niveau d'ou­trecuidance et de menace pour la paix du monde, Chirac a pris position en réactivant un certain gaul­lis­me révolutionnaire au sens où l'entend Jean Parvulesco, visionnaire, s'il en est, de la Weltpolitik, poli­ti­que où sont dépassés les clivages habituels. Chirac est le chef d'un Etat de l'Extrême-Occident qui vient de mettre en garde, personnellement, G. W. Bush, sur sa volonté de lancer une guerre unilatérale que, vi­siblement, il s'apprête à lancer, même seul. L'attitude récente de Chirac montre bien que tous les cri­tè­res et conditions pour justifier l'action militaire ne sont que des os à ronger pour les belles âmes occi­den­ta­les et mondialistes qui font office de gribouilles dans la presse, à la télévision, ou dans les tissus asso­cia­tifs, et dont l'Histoire ne s'encombre pas.

Cette prise de position rejoint l'esprit du discours de Phnom Penh prononcé en 1966 par le Général De Gaulle et de l'action sacrificielle du Président Laval; elle témoigne, sans doute, et je l'espère, d'une prise de conscience du Grand Jeu qui se déploie dans le Heartland.

La Russie a sans doute un grand rôle dialectique dans cette prise de conscience, comme le souligne fort ju­dicieusement Parvulesco, l'auteur du Retour des Grands Temps. En effet, la Russie, qui est aux prises avec le terrorisme tchétchène, est consciente de la turcisation des Balkans eurasiens, favorisée par l'ad­mi­nistration du Pentagone et de l'OTAN, ainsi que de l'islamisation montante de ces contrées, favorisée par l'Arabie et le Pakistan. Tout dialogue euro-russe portera à la conscience cet enjeu vital et historial d'em­pêcher ce qu'il convient de nommer un néo-ottomanisme, vu que sont favorisés et la "turcité" et l'is­la­misme.

Jacques Chirac doit comprendre qu'il peut saisir là l'occasion unique de rendre à la France sa cohérence eu­ropéenne, depuis longtemps perdue, dans cette question impériale (et impérieuse), dans cette question de la marche consciente et immémoriale vers notre Empire. En effet, il existe des forces néfastes, en Fran­ce, qui s'emploient à appuyer les revendications turques quant à son entrée dans notre communauté d'E­tre et de destin. Il ne nous appartient pas de savoir à quelles pathologies, intérêts ou incompréhensions de l'Histoire répondent ces énergumènes, il convient de les combattre et de réduire à néant leur projet ab­ject. En restant fidèles au Testament de Charles-Quint…

Je tiens à souligner, à ce propos, le soutien total que mérite Valéry Giscard d'Estaing quand il s'oppose à l'en­trée de la Turquie dans l'UE. Lui, qui fut ridiculement injurié par le ministre turc des affaires étran­gè­res, qui l'assimila à une figure de l'"anti-progressisme", du "passé", de la "réaction"… J'aimerais demander à ce sinistre monsieur qu'il s'informe: il n'y a que dans son Pays, qui bricole avec les concepts les plus abs­cons de l'Occident essoufflé, que l'on croit au "Progrès absolu" et que les partis politiques s'intitulent "Par­ti du Progrès, de la Liberté et du Droit, de la Justice" ou, pourquoi pas, de "l'Expansion économique"…Si, si, le parti qui remporta les législatives turques (l'AKP) récemment, s'auto-désigne comme le "Parti de la ju­stice et du développement"! La criminalisation automatique, de ceux qui osent mettre ses prétentions en doute, est sous-jacente dans ce label "politiquement correct"; on voit à quel géhenne sont renvoyés ses ad­versaires: à l'injustice et à la régression, fichtre, voilà qui collera à merveille avec l'idiosyncrasie amé­ricaine, se pensant comme "peuple élu", agissant au nom du bien universel, et avec l'islamisme des au­todafés; l'enfer, ce n'est plus les autres, c'est pour les autres!

Il s'agit là d'un fétichisme de l'étiquette politique légués par l'introduction, en France, des idéaux des Con­dor­cet, Saint-Simon, voire Comte, etc… Ce n'était déjà pas fameux à l'époque, mais les instances idéo­lo­giques dominantes en France les ont repris avec la ferveur de ceux qui n'y comprennent pas grand chose… Il en résulte des singeries, rien d'autres. Enfin, ces idées étaient en bout de course et, je signale aima­ble­ment, que l'Histoire a démontré leur inanité; je conseille à tous les excellents livres du Professeur P. A. Ta­guieff, notamment sur la question centrale du progrès.

La haine des trotsko-ricains favorables à l'Axe Washington-Ankara

Chirac a pris une position qui honore la France, montrant dans quel ridicule s'est encore une fois plongée la Belgique par la bouche de son ineffable ministre de la défense, le sieur Flahaut (dit "Fléau")2; en re­joi­gnant la position des d'Estaing et Stoiber, après que le chancelier Kohl ait donné la ligne de conduite de l'Eu­rope, à propos de la question turque, après l'appui donné à Giscard par l'ex-Chancelier Helmut Schmidt, fin analyste de la situation internationale, Chirac a provoqué, plus que jamais, la haine des trot­sko-ricains, de son pays, généralement favorables à l'axe Washington-Ankara.

D'autres, après le sociologue Emmanuel Todd 3, défendent l'intégration de la Turquie dans l'Europe. Cet in­dividu, que l'on croyait tout de même capable d'analyses plus pertinentes, y voit une chance pour le mo­dèle jacobin, or, fort heureusement, la France s'est engagée en vue d'une décentralisation régionale, com­me cela avait été le vœu du référendum de 1969. Ainsi, il nous faudra nous méfier du sénateur fran­çais Michel Pelchat, président du groupe des amitiés France-Turquie —qui va recevoir ma réponse sous for­me de communiqué— tellement le drôle est à côté de ses pompes, mais je suppose que c'est normal, vu qu'il en cire d'autres!

La France rentre dans une phase critique où elle pourrait enfin rejoindre et l'idéalité et la réalité de l'Eu­ro­pe en devenir, en renonçant une fois pour toute à l'idée perfide de l'alliance ottomane, en vue de jouer seu­le sur le continent, et en entrant, libérée de ses illusions et de ses aveuglements, dans le camp des Im­périaux, où elle aurait pleinement sa place car elle pourrait constituer une redoutable forteresse ma­ri­ti­me et spatiale sur le rimland atlantique, en lisière immédiate du cœur géopolitique de l'Europe, du no­yau territorial de l'impérialité germanique et occidentale. L'avertissement lancé par Chirac à Bush doit ê­tre le détonateur de cette voie révolutionnaire à suivre, vu l'action anti-européenne et anti-russe de l'al­liance wahhabito-ottomano-ricaine actuellement à l'œuvre.

Panoptisme et univers carcéral

Il est grand temps de comprendre le futur de notre condition humaine sur la planète Terre si cette al­lian­ce vainc un jour: c'est le pénitencier (ou la galère!) pour tout le monde! Sous l'œil de l' américano-panop­tis­me (satellitaire et électronique) et des gouverneurs de prisons turcs ou musulmans. L'humanité vivrait sous leur regard et selon l'aune de toute chose que développe l'humanitarisme, et ce formidable rè­gle­ment de prison que sont les "droits de l'homme". En réalité le droit de recevoir des bons ou des mauvais points selon le comportement de chacun en échange d'une punition éventuelle, le bonheur résidant dans l'ab­sence de punition. Condition de taulards! L'Humanité et le globe comme grand pénitencier, voilà la réa­­lité de la condition humaine à venir sous l'œil des kapos et matons médiatiques. Finie l'Histoire, fini le Po­­litique, finies les Révolutions possibles et l'action des peuples libres… Après la police du globe, le globe com­me prison. Vision accréditée par les régimistes de facture "rawlsienne", actifs dans les médias et les grou­pes associatifs, cet état de l'humanité assurant une juste "égalité des chances", façon pénitentiaire (a­vec un statut particulier pour ces régimistes médiacrates, je suppose que ce sera celui de kapo).

Contre l'alliance wahhabito-turco-ricaine! Contre l'Humanité réduite à un pénitencier! Contre la dhim­­misation et la chiourmisation des peuples d'Eurasie! Soutien total à la légitimité historique du Saint-Empire! Soutien total à Giscard d'Estaing et Jacques Chirac dans leur combat pour la paix! Sou­tien à l'Irak baasiste dans sa résistance aux mongols modernes ! Soutien total à Vladimir Poutine et à la Russie éternelle!

Max STEENS,

Bruxelles, 20/1/2003.

(1) Est-ce la réussite des Etats-Unis, de ne pas employer d'armes de destruction massive mais de traiter les hommes de chair et de sang comme des plantes à détruire, à exterminer leur refusant leur statut d'humanité? Est-ce que dans les repentances et les vagues de pardon et de devoir de mémoire que certains tentent d'imposer; y aura-t-il un jour un mot pour tous ces hommes? Car la vraie question est bien de savoir si une vie humaine vaut une vie humaine? Il est clair que pour les USA la réponse est négative (je pense même qui si il est jaune, il a encore moins de valeur à leur yeux). Un Japonais, un Amérindien, un Allemand, un Vietnamien mais aussi quiconque gênerait la marche de la théo­dicée du peuple américain risque de subir leurs foudres, avalisée subito presto par leur puritanisme qui les enjoints à se considérer comme le peuple élu.

(2) Qui vient de livrer, une fois encore la Belgique à l'accueil des troupes US, il faut dire le sourire au lèvres car le bon­homme raffole de passer à la télévision, expliquant qu'il ne saurait en être autrement. Ménageant ainsi la bonne collaboration otanesque de la Belgique à son maître ricain, de qui Verhofstadt et Michel sont les parangons. Il faut no­ter la juste répartition des rôles au PS, le triste sire de la maffia rose di Rupo essayant tant bien que mal de prononcer un discours devant ses ouailles où il s' affirme comme un opposant à la guerre… oui du point de vue de la belle âme car il s' agit pour lui que du non-envoi de troupes belges (ce sur quoi, il rejoint le Vlaams Blok!), le reste est de l'ordre de la pétition de principe… Principe déjà trahi par son camarade Flahaut. A jamais, le PS s'est déshonoré (pour autant qu'il ait jamais eu d'honneur…), trahi, et ne mérite pas une voix, pas un soupçon d'estime, juste une saine répugnance et ne mérite qu'une chose —outre notre dégoût : que des hommes courageux leur enlèvent à jamais la possibilité de se nom­mer "socialistes", ce qu'ils ne sont pas.

(3) Todd, certes, est apprécié dans nos milieux non-conformistes, allergiques aux "salades" des médias, pour ses travaux sur les structures familiales en Europe et dans le monde, mais il semble aussi, par ailleurs, que nos milieux pratiquent, par trop souvent, une rigidité mentale qui les empêchent d'intégrer la possibilité d'une multiplicité simultanée de points de vues, généralement divergents; croyant qu'un "ami" politique ou qu'une proposition "amie" dans un domaine implique ipso facto une "amitié" dans un autre domaine, sur un autre terrain, sur un autre champ, dans une autre ac­tion, … Funeste erreur. Assurer la cohérence des combats n'implique pas la cohérence des alliances.

06:10 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook