vendredi, 01 février 2008
J. F. Mattéi: le regard vide
Le regard vide: essai sur l'épuisement de la culture européenne
par Jean-François MATTEI
Ed. Flammarion (2007)
Notre culture classique - les humanités que célèbrent George Steiner, Marc Fumaroli ou Alain Finkielkraut - a toujours été une " figure unique de l'inquiétude dans le courant des civilisations ", selon Jean-François Mattéi. Des plus grands penseurs du siècle passé aux " déclinologues " d'aujourd'hui, tous sont hantés par la possible extinction de la culture européenne. Qu'est-ce donc qui menace de s'éteindre ? L'Europe est certes l'héritière d'Athènes, de Rome, de Jérusalem, de Byzance et de Cordoue. Mais elle est davantage encore, telle est la thèse de cet essai, caractérisée par les modalités du regard qu'elle porte sur le monde, sur la cité et sur l'âme. C'est ce regard théorique et critique (regard se dit theoria en grec) qui a permis la diffusion universelle de sa culture, de Homère à Kundera. Mais, de critique, ce regard est devenu profondément autocritique, comme en témoigne la diatribe de Susan Sontag : " La vérité est que Mozart, Pascal, l'algèbre de Boole, Shakespeare, le régime parlementaire, les églises baroques, Newton, l'émancipation des femmes, Kant, Marx, les ballets de Balanchine, etc., ne rachètent pas ce que cette civilisation particulière a déversé sur le monde. La race blanche est le cancer de l'humanité. " Arborant le relativisme en blason et prônant la repentance, la pensée dominante refuse d'assumer l'identité de sa culture au motif que toute identité est menace. Jetant un regard vide sur leur époque, les intellectuels sont ainsi devenus des " symboles de l'expiation ", selon le mot de Lévi-Strauss à propos des ethnologues. Pour Jean-François Mattéi, la question de l'éminence, voire de la supériorité, de la culture européenne mérite d'être posée : n'est-elle pas la seule à avoir véritablement " regardé " les autres cultures ?
A propos de l'auteur :
Jean-François Mattéi, membre de l'Institut universitaire de France, est professeur émérite de philosophie à l'université de Nice-Sophia Antipolis et à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence. Il est notamment l'auteur de La Barbarie intérieure (Quadrige, 2004), De l'indignation (La Table ronde, 2005) et L'Enigme de la pensée (Les Paradigmes, 2006).
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L'étoile Volkoff
L’ETOILE VOLKOFF
Depuis le 14 septembre 2005, le firmament européen vient de perdre une de ses étoiles brillantes. Vladimir Volkoff a quitté notre monde -qu’il avait passé au scalpel de son esprit mordant- pour un royaume céleste auquel il croyait profondément. Né à Paris, en 1932, de parents russes ayant quitté la Sainte Russie pour fuir la déferlante communiste, il se prendra d’amour pour sa patrie d’accueil. Durant sa jeunesse, il fréquente les cercles royalistes. De là naîtra, pour le principe monarchique, pour la France des rois et pour les vertus aristocratiques d’honneur, de devoir, de sacrifice et de loyauté, son attachement indéfectible, d’autant plus puissant qu’il était du parti des ‘Blancs’. La guerre d’Algérie sera pour lui une occasion unique à saisir. Il y a participé, notamment comme officier de renseignement. Guerrier de cœur et d’esprit, Volkoff sera toute sa vie reconnaissant au Ciel de lui avoir donné de prendre sa part d’une guerre.
De retour en France, il se lance dans une carrière littéraire. Il y explore tous les genres : roman, essai, pièce de théâtre, biographie, bande-dessinée. Le roman Le retournement, en 1979, qui lui vaut la célébrité, est le début d’une longue série consacrée à l’espionnage. En 1982, son roman Le Montage obtient le Grand Prix de l’Académie française. Anticommuniste convaincu, sa production littéraire bénéficie, en ces temps de guerre froide, d’une diffusion mondiale. Tant que l’écrivain limitera ses traits au communisme, on lui dispensera la reconnaissance médiatique. Ce serait méconnaître Volkoff que de croire qu’il allait en tirer parti, car il respirait un anticonformisme absolu. Traditionaliste, orthodoxe de confession, son aversion pour le monde moderne était intégrale et il le fera bien fait voir.
Dans son essai Petite histoire de la désinformation, il s’est livré à l’étude des grandes manipulations de l’opinion. Il n’a épargné personne et a disséqué l’opération de désinformation mise en œuvre par les Etats-Unis au cours du conflit yougoslave. Son essai intitulé Désinformation, flagrant délit et ses deux romans L’enlèvement et Le complot ont pour théâtre l’espace ex-yougoslave, en particulier la Serbie. Il y dénonce les bombardements de l’Alliance Atlantique, inscrits dans la stratégie américaine d’installation d’une dorsale islamique au travers des Balkans. Il a milité pour la solidarité européenne avec le peuple serbe, brisé pour avoir osé résister au Nouvel Ordre Mondial américain et il en a dénoncé les entreprises de désinformation menées contre le peuple serbe, et travers lui contre toute l’Europe.
Dans son roman Le bouclage, il pose la question du Bien et du Mal au sein de la démocratie. Il arrive à la conclusion que le relativisme moral qui ronge les démocraties est le vecteur de propagation du mal et de ses avatars : rackets, viols, agressions, meurtres. L’ouvrage a recouvré une nouvelle actualité avec les émeutes des cités française. Il y décrit une opération de nettoyage des quartiers pourris d’une grande ville européenne.
Mais depuis la chute du communisme, Volkoff est peu à peu écarté des rampes médiatiques. Ses critiques contre la démocratie dans Pourquoi je suis moyennement démocrate, son éloge de l’aristocratie dans Pourquoi je serais plutôt aristocrate, ses prises de positions en faveur de la Grande Europe et de la Russie n’étaient pas de nature à plaire au système. Qu’importe, il ne tient pas plaire à ce monde là. Seule compte la vérité. Sa disgrâce ne l’a toutefois jamais privé du succès. Chacun de ses romans sera édité en Livre de poche, ce qui témoigne de ventes importantes. Il n’est pas aisé de rendre compte de l’œuvre volkofienne tant elle est dense et variée. Il a écrit plus de soixante livres, romans et essais sur des thèmes aussi divers que la Russie, la guerre d’Algérie ou Tchaïkovski, dont il était l’arrière-petit-neveu. Au total, il a produit plus de soixante œuvres. C’est dire l’impossibilité d’en faire ici le tour. Faisons une exception pour son roman Alexandra, où il imagine que la Russie -qui a échappé à la révolution bolchevique après que Nicolas II ait pris l’initiative d’une conférence de paix qui met fin à la guerre- est en proie à la décadence sous toutes ses formes, à la négation de son passé, de ses racines, au culte des plaisirs éphémères et à la désacralisation. Mais une prétendante au trône impérial, Alexandra, reprend le pouvoir et la Russie humiliée renaît, se régénère spirituellement, s’enracine à nouveau solidement dans son passé et porte son regard vers la hauteur. C’est une belle démonstration de la puissance du sacré et de la transcendance dans la transformation d’une société d’hommes.
Nuancé et subtil, Vladimir Volkoff savait rendre des personnages aux antipodes de ses idées aussi vrais et attachants que ceux qui partageaient sa vision métaphysique et politique. Sa mort nous prive d’un frère d’arme, d’un maître qui savait admirablement décrasser la réflexion des scories et inepties du monde contemporain. Il n’aura pas vu le nouveau printemps européen, mais il y sera parmi nous.
Fagnard Lecerf
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