mercredi, 04 juin 2025
Le Chinatown de Polanski et le dévoilement de l’Amérique
Le Chinatown de Polanski et le dévoilement de l’Amérique
Nicolas Bonnal
« Le désert croît. Malheur à qui recèle des déserts ! » (Zarathoustra).
Mère de toutes les images et de tous les vices de la planète ciné-télé Los Angeles est une ville-simulacre qui n’aurait pas dû naître, pas dû pousser sur un désert. Elle l’a fait quand même, et de quelle manière ; et sa récente punition inexplicable et terrifiante à la fois marque comme pour Hawaï (autre terre du rêve et du cinéma) une énième descente aux enfers et au désert. Mais cette ville qui est une anti-ville peut descendre plus bas et le fera sans doute.
A propos du Chinatown de Polanski, film le plus important sans doute du cinéma (tout y est voile de la Maya, sauf cet enfant mexicain à cheval venu d’un autre monde, celui de la licorne de Ridley Scott et d’un moyen âge chrétien), on rappellera que le film explique comment ce monstre tératologique, la ville du cinéma donc (voir le quatrième partie de ma Damnation des stars publiée chez Filipacchi il y a trente ans déjà) est venue au monde. Car le film tourne autour de ça, des eaux, de la terre et du ciel sec.
On y découvre un personnage (l’une des victimes, la plus importantes), inspiré par William Mulholland qui a donné son nom à deux chefs-d’œuvre du cinéma postmoderne comme on dit : Mulholland Drive de David Lynch et l’excellent Mulholland Falls du maori Tamahori qui reprend une thématique proche d’Aldrich (celui d’En quatrième vitesse of course) : les inventions démoniaques (la bombe nucléaire) créent des monstres non pas physiques (ce serait trop facile…) mais psychologiques. C’est aussi cela qui aussi a créé ce Deep State indéracinable dont on connait les intentions globales et locales depuis le Covid. Le film de Polanski reprend la thématique de Rosemary : le Diable (celui de Baudelaire) va prendre le monde en charge, et directement encore. De Manhattan (revoyez Ghostbusters et les révélations qui y sont faites par Harold Ramis) à Los Angeles l’Amérique est « couverte ».
Sur Mulholland autant savourer Wikipédia :
« Dans les années 1880-90, Frederick Eaton et William Mulholland comprennent que l'obstacle principal à l'extension de la ville de Los Angeles est son approvisionnement en eau. Ces derniers se rendent compte que la vallée de l'Owens possède un trop-plein d'eau provenant de la Sierra Nevada et qu'un aqueduc pourrait conduire cette eau jusqu'à Los Angeles.
Au 20ème siècle la vallée de l'Owens (photo) devient la scène d'affrontement où corruption et manipulation opposent les résidents locaux et la ville de Los Angeles pour obtenir les droits sur l'eau… »
Le film fait allusion à une guerre caïnite de l’eau :
« Les guerres de l'eau en Californie (anglais : California Water Wars) désignent les différends entre la ville de Los Angeles et les fermiers de la vallée de l'Owens en Californie concernant les droits de l'eau. Les conflits découlent principalement de l'emplacement dans une zone semi-aride de Los Angeles et la disponibilité de l'eau de la Sierra Nevada dans la vallée de l'Owens. »
Enfin voyons pour le grand homme au bilan génial mais contestable :
« William Mulholland (Belfast, Irlande, 11 septembre 1855 – Los Angeles, Californie 22 juillet 1935) (photo) est un ingénieur américain d'origine irlandaise qui travailla en Californie et fut une figure marquante de l'histoire de Los Angeles.
Il a dirigé la construction du premier aqueduc de Los Angeles, qui a permis à la cité de devenir l'une des plus grandes villes du monde. L'exploitation de l'aqueduc a conduit cependant aux conflits connus sous le nom de guerres de l'eau en Californie, et à un désastre écologique dû à l'assèchement du lac Owens et de la vallée du même nom. En mars 1928, sa carrière prend fin lorsque, 12 heures après que lui et son assistant y ont effectué une inspection de sécurité, le barrage de St. Francis s'effondre, causant un grand nombre de morts et des dégâts considérables… ».
Le double de Mulholland refuse de « commettre la même erreur ». C’est là que les moutons interviennent (dans le film…). Bientôt on va lui envoyer les égorgeurs.
J’ai déjà dit que le film noir sert à dénoncer ou simplement dévoiler un monde criminel, un monde si dystopique qu’il débouche en univers de SF. Le monde criminel en Occident est invincible et le sait ; il n’aime pas être dénoncé mais il aime bien être révélé parfois. Ici le scénariste Robert Towne (Robert Bertram Schwartz, auteur aussi de Bonnie & Clyde et de l’exceptionnel Shampoing d’Hal Ashby) se surpasse et se défoule même.
Le méchant du film, qui a violé sa fille, lui a fait une enfant et tue finalement son associé et gendre, est joué par John Huston. Il se nomme Noah Cross et on voit comme un règlement de comptes se profiler là. Après tout on est à l’époque où l’inspecteur Columbo (présumé italien) envoie tous les riches Wasp en prison. Le film évoque sèchement une atmosphère antisémite: notamment dans la maison des retraités qui servent de prête-noms au groupe d’oligarques mêlés à cette opération de confiscation des eaux (Nicholson évoque la prostration des populations en pleine sécheresse, il est donc assuré que JAMAIS NOUS NE NOUS REVEILLERONS).
C’est une des données du film noir: on dénonce un monde taré qu’on ne peut renverser (on a juste remplacé les élites Wasp, voir McDonald ou Todd). Le film réveille et rendort: on reste dans le chaos de ce quartier auquel le flic ne comprend rien, Chinatown donc, surtout quand à la fin la police abat la victime (Faye Dunaway) et laisse le méchant (le père autoritaire d’Adorno, vicieux et intouchable) s’échapper. A la même époque l’exceptionnel directeur de la photo Alonso (premier mexicain ou presque respecté à Hollywood) éclaire – c’est le cas de le dire – l’Adieu ma jolie de Mitchum (il vole la vedette au réalisateur inconnu) et confère une aura magique à ce retour de bâton historique. La crise du pétrole passe par là, les Reset à venir et le Vietnam passent facture. On est définitivement sortis de l’innocence rooseveltienne dont parlait ma prof Denise Artaud à sciences-po. Mais y eut-il jamais un âge innocent pour l’Amérique, ce pays créé par l’esprit et non par la nature, comme dit Dostoïevski dans les Possédés ? Née de la sédition, de la Traite, du refus oligarque de payer des impôts, du dieu maçonnique, de la rage de faire du fric et de nuire à l’Europe, l’Amérique n’a pas d’innocence à nous vendre. Et « son air d’innocence ne reviendra plus » (Debord) : voir l’excellent livre de Zinn. Le projet immobilier de Gaza promu par Trump et ses acolytes nous rappelle très bien ce bref passage de Tintin en Amérique : voici vingt-cinq dollars, vieil hibou ; on prend ton territoire et on construit une ville nouvelle. Quant à la vieille civilisation hispanique et catholique de Mexique ou de Californie, on la retape pour les touristes et les thésards.
Comme dit Guillaume Faye dans son Système à tuer les peuples (c’est pourquoi l’enfant mexicain est un fantôme, les Mexicains ne reviennent que comme consommateurs obèses et péons du « cheap labor » du Donald) :
« L'humanisme apolitique, en revanche, comme tout ce qui relève de la raison égalitaire, s'avère obscène et castrateur. Los Angeles : monstrueuse verrue du bout de l'Occident, modèle de la future civilisation mondiale et californienne, où le mode de vie remplacera le politique. Rien d'étonnant, dans de telles conditions, que nous assistions à une dépolitisation de la classe politicienne bien plus, contrairement aux plaintes des politiciens qui ne connaîtront décidément jamais leur peuple, qu'à une dépolitisation de la société civile. »
C’est la Kali fournie qui dévore le monde, un peu comme l’araignée géante Ungoliant de Tolkien (voyez mon livre), qui se dévore en même temps – et sans complexes.
Le pire est que le film bien léché offre un panel d’images splendides héritées de l’Espagne coloniale ou du Spanish Revival architectural où Columbo déniche ses coupables Wasp. La beauté recyclée et muée en simulacre de Los Angeles (les annales gelées…) se retrouvera dans L. A. Confidential (film adoré par Jean Parvulesco qui me l’avait recommandé) ; Curtis Hanson explique que ce film lui fut inspiré par ce drame avec Bogart tourné dans un patio espagnol, qui montre un scénariste de cinéma massacrer et torturer son monde. Le cinéma c’est Nicholas Ray…
Venons-en à Nicholson. Dans le film il s’appelle Guittes et on nous dit que le nom fut inspiré par un ami de Jack. Je veux bien mais il se trouve que je vérifie, que Guittes veut dire divorce en hébreu et que ce détective pourchasse les maris pour obtenir de généreuses pensions : on le lui reproche pendant tout le film. Le Klein d’œil si j’ose dire est énorme ; je trouve ceci sur le site passionnant des Chabad (voir lien) :
« Parmi les lois détaillées dans la paracha de Ki Tetsé, il y a une section traitant du divorce. Le Rabbi analyse dans ce discours le concept de divorce tel qu’il s’applique entre les époux, et entre l’homme et D.ieu. Il examine certains paradoxes dans le traité talmudique sur le divorce (Guittine) et dans le nom donné, dans la loi juive, au document qui consomme la séparation. Ces paradoxes ont en commun de suggérer que bien que le divorce soit, extérieurement, une séparation, ce n’est pas là sa véritable nature. La pensée ‘hassidique, avec l’accent qu’elle met sur la découverte de l’essence de D.ieu et de l’homme, se fait devoir de percer le cœur de cette question : dans la mesure où l’essence de l’univers est l’unité de D.ieu, la séparation peut-elle être réelle et définitive ? »
Il y a bien divorce d’avec Dieu, le monde créé par le capital américain (voir Zinn, toujours) s’avérant infernal. Qui nous dit d’ailleurs que ce fantôme d’enfant que l’on voit n’a pas été emporté par les eaux ?
Sur la machine américaine à divorcer (et à déplacer l’argent finalement) je me suis rappelé ce splendide passage de Francis Parker Yockey :
« La vie familiale américaine a été profondément désintégrée par un régime déformant la culture. Dans un foyer américain classique, les parents ont en réalité moins d'autorité que les enfants. L'école, tout comme les églises, n'impose aucune discipline. La fonction de formation de l'esprit des jeunes a été abandonnée par tous au profit du cinéma. »
Todd croit que les Wasp ont été dépossédés vers 1965 ; rude erreur, car comme l’explique Yockey toujours :
« En Amérique, le mariage a été remplacé par le divorce. Ceci est dit sans intention paradoxale. Dans les grandes villes, les statistiques montrent qu'un mariage sur deux se termine par un divorce. À l'échelle nationale, ce chiffre est d'un sur trois. Cette situation ne peut plus être qualifiée de mariage, car son essence réside dans sa permanence. Le commerce du divorce est un vaste marché qui fait prospérer avocats, détectives privés et autres charlatans, et qui nuit aux valeurs spirituelles de la nation, comme en témoigne l'indifférence émotionnelle des enfants américains. »
L’enfant prostré (penser à Shining) est une constante en effet du cinéma américain et ce avant la télé et le popcorn. Yockey enfonce son clou :
« L'érotisme occidental, ancré dans la chevalerie de l'époque gothique, et l'impératif d'honneur qui en découle, hérité de siècles d'histoire occidentale, ont été bannis. L'idéal de Wedekind, le déformateur culturel qui prônait la bohème obligatoire en Europe au tournant du XXe siècle, a été réalisé par le régime déformateur culturel américain. Un puritanisme inversé a émergé. » Avec wokisme et transsexualisme au bout de la route…
Je rappelle que le premier à avoir évoqué le problème du couple et de la famille américaine (la femme philosophe, l’homme affairiste) est Gustave de Beaumont (portrait, ci-dessus), compagnon de voyage de Tocqueville. Pour Beaumont (cité par Marx), le prêcheur américain exerce un business comme un autre. Il n’y a pas eu d’innocence américaine, et « l’Amérique n’a pas eu d’enfance mystérieuse » (voir notre texte et surtout Marie, ou de l’esclavage).
Chinatown mériterait un chapelet d’articles et sans doute un livre – comme tous les grands films de Roman Polanski. On rappellera ces lignes de Joseph Kessel, juif rebelle qui comme Stefan Zweig (qui aurait pu faire fortune à Hollywood) refuse cette américanisation du monde :
« Mais dans les plus grandes artères, il n’y a pas de passants. Les automobiles roulent, roulent sans arrêt les unes derrière les autres, comme les anneaux d'une chaîne sans fin, entre les trottoirs déserts. C'est la seule ville au monde où l'on voit les camelots vendre les journaux au milieu de la rue, aux carrefours où les signaux lumineux et les bras mécaniques arrêtent, pour quelques secondes, le flux des voitures. »
Ce monde récolte la distance (on se rapproche de Debord…) :
« Mais pour voir un ami, pour acheter un grapefruit- dans ces marchés aux piles rigoureuses qui ressemblent à des halls d'usine -, il faut faire des kilomètres et des kilomètres. »
Il ajoute :
« Vitesse, rendement, précision, correction : voilà les caractéristiques essentielles de l'existence. »
Mais ce monde va s’exporter et s’imposer rapidement. Le phénoménal Daniel Boorstin explique quelque part que la conversation mondaine tourne autour des autoroutes et du réseau routier dans les dîners mondains à L.A., mais le modèle aberrant bien sûr triomphe.
Il ne manquerait que ça.
Dans son Colloque entre Monos et Una Poe, aristocrate virginien élevé en Angleterre, se déchaîne :
« Hélas ! nous étions descendus dans les pires jours de tous nos mauvais jours. Le grand mouvement, – tel était l’argot du temps, – marchait ; perturbation morbide, morale et physique. »
Il relie très justement et scientifiquement le déclin du monde à la science:
« Prématurément amenée par des orgies de science, la décrépitude du monde approchait. C’est ce que ne voyait pas la masse de l’humanité, ou ce que, vivant goulûment, quoique sans bonheur, elle affectait de ne pas voir.
Mais, pour moi, les annales de la Terre m’avaient appris à attendre la ruine la plus complète comme prix de la plus haute civilisation. »
Quelques sources :
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2025/05/16/l...
https://fr.chabad.org/library/article_cdo/aid/3761610/jew...
https://www.dedefensa.org/article/le-feminisme-us-par-del...
https://www.amazon.fr/damnation-stars-Nicolas-Bonnal/dp/2...
https://www.boervolkradio.co.za/boeke/Imperium.pdf
https://files.libcom.org/files/A%20People%27s%20History%2...
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Inde, Pakistan et Cachemire
Inde, Pakistan et Cachemire
Raphael Machado
Une nouvelle escalade au Cachemire pourrait conduire à une guerre nucléaire. Qu'est-ce qui se cache derrière cela ?
Le fait que les tensions entre l'Inde et le Pakistan ne s'apaisent pas montre que la phase actuelle de ce conflit qui dure depuis des décennies est, à tout le moins, suffisamment importante pour mériter une brève analyse.
La cause immédiate de l'escalade actuelle entre l'Inde et le Pakistan (qui a déjà entraîné l'expulsion de citoyens des deux pays, la rupture de traités et de relations commerciales, la mobilisation de troupes, ainsi que quelques escarmouches) a été un attentat terroriste perpétré par un groupe appelé « Front de résistance », qui serait une ramification du groupe salafiste Lashkar-e-Taiba, basé au Pakistan. L'attentat en question a causé la mort de près de 30 touristes qui visitaient le Cachemire, pour la plupart des Indiens.
Le conflit n'est toutefois pas récent. En pratique, dans une certaine mesure, il semble avoir été fomenté dès le début par les Britanniques. Lors de la préparation de la partition après la fin de la domination britannique dans l'Hindustan, la question de la fragmentation de cet ensemble en au moins deux parties s'est posée. Comme il était impossible de transformer une région aussi complexe du monde en deux États-nations à base ethnique, les Britanniques ont préparé le terrain pour ce qui s'en rapprocherait le plus, à savoir deux États-nations dont la prétention à l'« homogénéité » était fondée sur la religion.
Au départ, l'intérêt était de courtiser l'élite islamique du Bengale afin de l'instrumentaliser contre les hindous, mais cela a semé à long terme les graines d'un conflit qui s'est avéré inévitable, car pour des raisons historiques, les deux pays comptaient des populations appartenant à la religion majoritaire de l'autre pays. C'est d'ailleurs dans l'élite islamique qui cherchait à s'occidentaliser que se trouve la racine du « séparatisme islamique » en Inde, comme en témoignent les idées de Sayyed Ahmad Khan, qui ont ensuite été dépassées par les idées plus « traditionalistes » de Muhammad Iqbal et Muhammad Ali Jinnah.
Le Cachemire se trouvait en plein milieu de la fracture hindoustani, et malgré une population majoritairement islamique, son élite dirigeante était hindoue. Au départ, le Cachemire a donc refusé de s'intégrer au Pakistan ou à l'Inde, et a prétendu s'établir comme un État indépendant. Les Pakistanais ont jugé cette décision absurde et, dans leur irrédentisme, ont tenté de s'emparer du Cachemire par la force, ce qui a conduit son gouvernement à demander son annexion à l'Inde en échange d'une protection. L'Inde, quant à elle, était disposée à absorber le Cachemire, considérant qu'il était la patrie de tous les Indiens, dans une vision impériale supra-religieuse. Le Cachemire a donc été le théâtre de trois conflits entre l'Inde et le Pakistan, en 1947, 1956 et 1999.
Au-delà des questions religieuses qui ont entrées en jeu, la région a revêtu une importance géostratégique propre. De par sa position géographique (située au carrefour de l'Inde, du Pakistan, de la Chine et de l'Afghanistan, au pied de l'Himalaya), le Cachemire est l'axe du sous-continent indien. Ses fleuves constituent d'excellentes frontières défensives naturelles pour les deux parties, et ses terres sont extrêmement fertiles.
Pour le Pakistan, aujourd'hui, le Cachemire revêt une importance encore plus grande en raison du projet de corridor sino-pakistanais reliant le Xinjiang au port pakistanais de Gwadar. Cependant, le projet traverse une partie du Cachemire administrée par le Pakistan, de sorte qu'un conflit généralisé dans la région enterrerait le projet et couperait probablement le Pakistan de la Chine. Le corridor est fondamentalement nécessaire pour réduire la dépendance du Pakistan vis-à-vis des États-Unis et de l'Arabie saoudite.
C'est dans ce contexte d'intérêt pakistanais pour le Cachemire qu'il faut également lire la politique étrangère du pays sur ce sujet depuis les années 1980. Après avoir été vaincu militairement par l'Inde, l'ISI (les services de renseignement pakistanais, qui constituent presque un État parallèle) a commencé à utiliser l'Afghanistan pour former des insurgés destinés à être utilisés au Cachemire dans le but de déstabiliser la région et, avec un peu de chance, de la séparer de l'Inde. Tel a été la constante de la projection de puissance du Pakistan non seulement au Cachemire, mais aussi en Afghanistan même et dans le reste de la région.
Pour l'Inde, quant à elle, outre l'importance propre du Cachemire pour des raisons historiques et géoéconomiques, il y a la volonté de Modi de laver l'honneur de l'Inde après la débâcle honteuse au Bangladesh, lorsque l'Inde a simplement assisté à la perte de son principal allié régional au profit d'une révolution colorée, sans réagir (même face à la persécution des hindous dans ce pays voisin).
Il est impossible de savoir si ces tensions déboucheront sur un conflit important, mais il existe des indices forts de préparation de ressources militaires des deux côtés. Le point important ici est que le Pakistan a pour doctrine de « frapper en premier » avec des armes nucléaires si l'existence de son État est menacée par une défaite militaire. L'Inde, quant à elle, n'utiliserait des armes nucléaires qu'en réponse à l'utilisation d'armes nucléaires par le Pakistan.
Il est important de souligner ici que ces deux pays sont des partenaires importants de la Russie et qu'ils jouent tous deux un rôle dans la stratégie méridionale par laquelle la Russie a compensé la perte de ses partenariats européens et occidentaux. Un conflit au Cachemire entre les deux pays n'intéresserait donc que l'Occident.
Le mieux dans ce cas serait que la Russie, la Chine et l'Iran agissent directement pour apaiser les esprits et pacifier la situation, car ces pays ont beaucoup à perdre dans ce conflit et, dans la pratique, si la situation dégénère, les répercussions pourraient finir par affecter la planète entière.
13:43 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, géopolitique, asie, affaires asiatiques, pakistan, inde, cachemire | |
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Immigration massive et suicide de la gauche
Immigration massive et suicide de la gauche
par Moreno Pasquinelli
Bron: https://socialismomultipolaridad.blogspot.com/2025/05/inm...
Les dernières données indiquent qu'au cours des six premiers mois de 2015, environ un demi-million d'immigrants ont demandé l'asile politique à l'Union européenne, contre 600.000 au cours des douze mois précédents. [N. de T. : l'article date d'il y a 10 ans, mais il n'a pas pris une ride; de toute évidence, les chiffres de l'émigration extra-européenne vers notre continent ne font qu'augmenter].
Nous reviendrons bientôt avec une fiche d'information spécifique sur le thème particulier des demandeurs d'asile et des réfugiés. Il est clair que les véritables persécutés politiques sont une infime minorité et que la grande majorité des immigrants sont plutôt des « réfugiés économiques ». Ces chiffres objectivement impressionnants, selon tous les analystes, sont destinés à rester constants, voire à augmenter. Pourquoi sont-ils destinés à augmenter ? Parce que la mondialisation et les politiques de vol inhérentes aux mécanismes impérialistes accentueront les écarts entre riches et pauvres et entre pays oppresseurs et nations opprimées.
Il va sans dire que pour mettre réellement fin aux exodes massifs, la solution consiste à mettre fin à cette mondialisation impérialiste. Contrairement à ce qu'affirment les apologistes de l'ordre établi, c'est donc là le problème, et non la solution. Une solution qui semble lointaine dans le temps car elle implique une révolution mondiale, un renversement du système économique et politique international.
Ce n'est pas un hasard si les apologistes de la mondialisation, qui ont le monopole des médias, qualifient ces flux migratoires de « transcendants » et d'« imparables ». Ce qu'ils nous disent en réalité, c'est que la mondialisation doit être considérée comme irréversible, que ceux qui commandent aujourd'hui commanderont toujours et que les pratiques économiques néolibérales actuelles sont irrévocables.
Les défenseurs de la mondialisation sont, à leur manière, cohérents lorsqu'ils attendent et louent les exodes économiques d'un côté et, par conséquent, l'« accueil » de l'autre : les exodes et l'accueil sont les deux faces d'une même médaille.
L'exode économique venu de la périphérie pauvre pour se dirigier vers le centre « opulent » est fonctionnelle pour les dominants à bien des égards. Pour cinq motifs en particulier:
(1) injecter dans le centre des millions de personnes désespérées, prêtes à vendre leur force de travail pour presque rien, renforce, dans le centre, la tendance à une baisse générale des salaires et à une concurrence sauvage entre les travailleurs, au profit du capital ;
(2) l'exode massif contribue à la désertification des pays d'où émigrent les populations et sert les classes dominantes de ces pays car, en désamorçant les tensions sociales endogènes, il consolide leur domination ;
(3) à l'inverse, l'immigration massive contribue de manière décisive à détruire le tissu social ou le demos des pays d'accueil. Ce demos constitue non seulement le substrat matériel, juridique et spirituel des États-nations (sans lequel ils sont destinés à se dissoudre dans le magma social ou faire émerger le creuset dans lequel de petites oligarchies transnationales pourront régner), mais aussi le lieu où le mouvement ouvrier s'est historiquement constitué en tant que communauté de classe opposée au capital ;
(4) Dans ce creuset impérial, la démocratie et les droits fondamentaux des citoyens sont voués à disparaître à leur tour, pour laisser place à des États policiers et à des relations néo-féodales de servitude et d'asservissement, à l'exception des droits cosmétiques et formels accordés aux « minorités » et des espaces communautaires inoffensifs que sont les ghettos. L'espace juridique et étatique impérial, de par sa nature, ne peut être démocratique.
(5) Enfin, permettons-nous d'avancer une cinquième raison spécifique concernant l'Union européenne.
L'arrivée de dizaines de millions d'immigrants est stratégiquement utile au projet délirant de supprimer les États-nations actuels et de transformer l'Union en un empire. Pour dissoudre les communautés nationales et les remplacer par la communauté européenne, les élites dirigeantes ont besoin d'introduire un élément désintégrateur externe, qui dissolve les différentes identités historiques et nationales. Selon l'élite européenne dominante, l'immigration massive doit également servir cet objectif.
Nous ne sommes pas aveugles. Nous savons qu'il existe de nombreuses autres raisons éthiques plus nobles qui poussent beaucoup de gens, tant à gauche que dans le monde catholique, à demander que tous les immigrants soient accueillis. Ils veulent une société « inclusive », capable d'accueillir tous les êtres humains qui demandent l'asile et le droit de séjour. Nous avons essayé d'expliquer qu'au moins en ce qui concerne notre pays, l'Italie, dans les conditions concrètes dans lesquelles il se trouve, l'immigration massive n'est pas viable. Une exigence éthique et morale peut être correcte dans l'abstrait, mais elle peut être pratiquement irréalisable, pour ne pas dire absolument désastreuse. Faire d'un principe éthique un impératif politique catégorique (comme dans ce cas l'objectif « d'accueillir tout le monde ») provoque en réalité deux désastres aujourd'hui : le premier est que nous nous rallions aux élites mondialistes qui s'entraident ainsi au lieu de se battre ; le second est la conséquence du premier, à savoir qu'il s'éloigne du prolétariat, le laissant à la merci de la montée des forces xénophobes et racistes.
Nous ressentons comme nôtres les valeurs solidaires du socialisme, ainsi que la piété chrétienne qui nous commande d'aimer notre prochain. Il existe cependant une limite insurmontable: aimer l'autre ne peut conduire à la haine de soi, à sa propre annihilation.
Aimer son prochain comme soi-même, si cela n'est pas une déclaration vide et hypocrite, si ce n'est pas l'invocation d'une pauperitas mystique universelle, implique de garantir aux hôtes arrivants les mêmes droits et avantages dont jouit l'hôte autochtone. Il n'existe aucune condition dans ce système pour étendre ces droits et avantages ; l'immigration, en réalité, contribue à les retirer à ceux qui les ont conquis au prix de décennies de sacrifices et de luttes. Est-ce vraiment de l'amour pour son prochain que de favoriser les exodes en sachant que ces millions d'êtres humains vivront comme des « rebuts », dans l'exclusion et la misère ? N'est-ce pas plutôt un jeu pour le capitalisme néolibéral vorace qui aspire en fait à la pauvreté générale ?
Il ne semble donc pas que ce soit par amour chrétien pour son prochain qu'un certain parti de gauche prône l'acceptation de tous. Il y a ceux qui sont idéologiquement fascinés par le cosmopolitisme libéral et antinational et ceux qui, au nom d'un internationalisme mal compris, en viennent à haïr leur propre pays, ce qui, au fond, est une haine d'eux-mêmes et de leur propre peuple, accusé d'avoir oublié ses idéaux, d'avoir répudié, rejeté et isolé le meilleur de ses enfants, ceux qui n'ont jamais renoncé à ces idéaux.
Ce sont des chemins différents, mais tous deux mènent au suicide.
Source : https://sollevazione.blogspot.com/2015/09/immigrazione-di...
13:23 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : immigration, réfugiés, europe, actualité, affaires européennes | |
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Le christianisme faustien
Le christianisme faustien
Carlos X. Blanco
Les anciennes sociétés « patriarcales » pouvaient considérer la femme comme un « morceau de viande », si elle était belle, comme un objet à consommer (tout comme les éphèbes, ces jeunes garçons désirables en Grèce ou dans le monde musulman). De même, ces sociétés – différentes et antérieures à la faustienne – avaient tendance à considérer la femme comme une simple reproductrice, comme un système végétatif et passif.
Selon Spengler, en revanche, la culture faustienne procède à une hyper-spiritualisation de la femme. Au-delà des questions théologiques, la Vierge Marie apparaît symboliquement comme la reine des cieux et la dame de l'univers, symbole profond de la continuité (en tant que Mère, Mère de Dieu et Mère des hommes). Cette projection de la Vierge vers les cieux et vers les profondeurs les plus lointaines est un élément symbolique essentiel du catholicisme (germano-latin), inconnu sous d'autres latitudes et à d'autres époques (le christianisme primitif de la pseudomorphose, encore « magique » et non faustien, le christianisme d'Orient, etc.).
L'intronisation de Marie, sa projection céleste, son élévation au-dessus des anges et sa condition divinisée, « très proche » du Christ et de Dieu le Père lui-même, sont des aspects clés pour comprendre la culture classique qui, dans sa vigueur juvénile, se développe dans le nord de l'Espagne et de l'Europe peu avant l'an 1000:
« Dans l'art religieux occidental, il n'y a cependant pas eu de thème plus sublime que celui de la mère avec l'enfant. Le gothique naissant transforme la Marie Theotokos des mosaïques byzantines en Mater dolorosa, en mère de Dieu, en mère par antonomase. Dans le mythe germanique, la mère apparaît — sans doute pas avant l'époque carolingienne — sous les figures de Trigga et Frau Holle. Le même sentiment réapparaît dans les belles expressions des minnesinger, telles que Frau Sonne, Frauwelte, Frau Minne.
Une émotion maternelle, attentionnée, résignée, plane sur le monde de l'humanité gothique ; et lorsque le christianisme germanique et catholique prend pleinement conscience de lui-même, avec la conception définitive des sacrements et, simultanément, du style gothique, il ne place pas au centre de son image cosmique le Sauveur souffrant, mais la mère qui souffre.
En 1250, dans la cathédrale de Reims, grande épopée de pierre, la place d'honneur au milieu du portail principal n'est plus occupée par l'image du Christ, comme à Paris et à Amiens, mais par la Vierge mère. Et à la même époque, l'école toscane d'Arezzo et de Sienne — Guido da Siena — commence à insinuer dans le type byzantin de la Theotokos l'expression de l'amour maternel. Viennent ensuite les Madones raphaëliennes, qui servent de transition vers le type baroque, ce mélange de l'aimée et de la mère que l'on retrouve chez Ophélie et Marguerite, dont le secret est révélé dans la transfiguration, à la fin du deuxième Faust, dans la fusion avec la Marie gothique. » [DdO, I, 385-386].
La beauté féminine de la statuaire antique est d'un tout autre genre. On pourrait même dire qu'elle ne rivalise pas avec la beauté masculine, presque laissée de côté, travaillée de manière si impressionnante et éphémère par la sculpture hellénique du nu :
« L'imagination hellénique, en revanche, a créé des déesses qui étaient soit des Amazones comme Athéna, soit des hétaïres comme Aphrodite. Tel est, en somme, le type antique de la féminité parfaite, qui trouve ses racines dans le sentiment fondamental d'une fertilité végétative » [ibid.].
Spengler considère que le nu classique « antique », symbole très puissant, est incompatible avec l'art faustien, spiritualisé à son plus haut degré. Dans la sculpture gothique, qui peuple abondamment nos cathédrales, le nu est purement accessoire, imposé par le thème traité (Ève au Paradis, les âmes des défunts, etc.). C'est un nu qui sert de symbole et d'allégorie d'une réalité différente de lui-même : la chair comme symbole de l'âme, le corps comme péché, l'innocence face à la vie artificielle du monde, etc. Au contraire, le nu hellénique est lui-même un symbole. Ses statues (mais aussi les vases peints) exposent directement une culture : ces corps nus ne renvoient pas à quelque chose de transcendant ; ils nous disent simplement : c'est ainsi que nous voulons être.
La beauté de Marie dans l'art chrétien faustien est une beauté spirituelle : un visage doux et noble qui protège et regarde avec amour l'Enfant, mais aussi tous ces enfants que sont les hommes mortels, les croyants qui aspirent non seulement à la protection d'une grotte, comme celui qui rentre chez lui par une nuit d'orage et remercie les toits de sa maison de le protéger des éclairs déchaînés. Ce n'est pas la « grotte » de l'âme magique, mais l'infinité d'un ciel bleu qui, au-delà des nuages déchirés et dramatiques (tels sont souvent les nuages du Septentrion, contrairement aux nuages cotonneux de la Méditerranée), est peuplé d'étoiles.
Selon Spengler, il n'existe pas un seul christianisme. Dans les régions d'Europe occidentale, alors que celle-ci se défendait encore farouchement contre les musulmans, en Asturies et dans l'Empire carolingien, une protestation sourde et cachée contre le christianisme « magique » a commencé, une sorte de rédemption spirituelle des peuples germaniques et celtiques. Le royaume d'Oviedo accueille les Mozarabes qui portent encore en eux des gouttes de sang gothique et des instincts pré-faustiens, mais sous la domination des Maures, ceux qui se sentent déjà « magiques » comme eux décident de rester. A partir de Tolède vers le sud, dans les deux tiers de l'Espagne, restent les chrétiens « magiques » de la pseudomorphose, de plus en plus arabisés, soumis à une acculturation croissante, victimes de moqueries et condamnés à disparaître. Les implacables chevaliers asturiens, quant à eux, les premiers hommes faustiens d'Espagne, finiront par passer au fil de l'épée - au fil des siècles - non seulement les Berbères, les Syriens et les Arabes - envahisseurs - ou leurs descendants, mais aussi les anciens frères hispaniques, anciens chrétiens de la pseudomorphose et à l'âme « magique », depuis longtemps renégats et convertis. Dans l'Empire également, les Carolingiens avaient affaire à des survivances « arabes » dans le Midi qui, sous des apparences dualistes ou strictement unitaristes, presque mahométanes, résistaient à recevoir l'air froid et nouveau du Nord. Un nouveau Dieu s'imposait dans les cœurs.
« Le christianisme occidental est au christianisme oriental ce que le symbole de la perspective est au symbole du fond doré. Et le schisme définitif se produit presque simultanément dans l'Église et dans l'art. Le paysage commence à être conçu comme fond de scène ; et simultanément, les âmes religieuses commencent à comprendre l'infinité dynamique de Dieu. Et lorsque les fonds dorés disparaissent des tableaux religieux, disparaissent également des conciles occidentaux ces problèmes ontologiques, magiques, concernant la divinité, ces problèmes qui ont profondément ému tous les conciles orientaux, celui de Nicée, celui d'Éphèse, celui de Chalcédoine. » [LDO, I, 365].
Une âme dynamique, la faustienne, a cherché un Dieu dynamique. Et elle l'a trouvé. La scolastique, avec ses précieuses réflexions sur l'infinité de Dieu, a préparé le terrain à l'infinité mathématique et cosmologique que l'on retrouvera plus tard chez Nicolas de Cues ou Leibniz. L'« infinité dynamique de Dieu », et non l'Être éternel et statique « qui est », s'impose dans la chrétienté germano-catholique.
Le Dieu du chrétien faustien est irreprésentable. Mais il ne l'est pas au sens iconoclaste de l'Orient (Byzance, Islam), par crainte du blasphème, par crainte de sa lumière aveuglante, par le caractère même, terrible – et pas seulement fascinant – de la divinité (Rudolf Otto: mysterium tremendum et fascinans). Il est irreprésentable en raison de l'infinité dynamique de l'Être qui est Lui-même son Être. Nous « avons » tous un être (participé de Dieu), mais Lui est l'Être et est puissance infinie :
« La pluralité des corps dans lesquels se manifeste et s'exprime le cosmos antique exige un monde de dieux qui lui soit égal ; tel est le sens du polythéisme antique. En revanche, l'espace cosmique unique, qu'il s'agisse de l'univers comme caverne ou de l'univers aux amplitudes infinies, exige un Dieu unique, celui du christianisme magique ou celui du christianisme faustien. Athéna et Apollon peuvent être représentés par une statue. Mais la divinité de la Réforme et de la Contre-Réforme ne peut se « manifester » — cela fait longtemps que cela se ressent — que dans la tempête d'une fugue pour orgue ou dans l'exécution solennelle d'une cantate ou d'une messe. » [LDO, I, 280].
Par « correspondance » ou analogie, nous pouvons trouver cette mutation de l'âme dans les arts: les figures plastiques en relief de la civilisation antique se retrouvent dans l'idolâtrie catholique médiévale: les processions « de saints » (généralement sculptés dans le bois) typiques de l'Espagne pendant la Semaine Sainte ne sont en aucun cas faustiennes. La mystique musicale du Maestro Guerrero ou de Tomás Luis de Victoria l'est. La Summa de Saint Thomas et l'Escorial de Philippe II sont du même côté, du côté faustien, que le Walhalla, la quête du Graal ou les tableaux de Friedrich.
Ce n'est pas que la mythologie et la sensibilité nordiques se soient christianisées, comme on le dit si souvent. Une autre idée se dégage du livre de Spengler: le christianisme germanique catholique et le « paganisme » nordique sont les fruits d'une même époque et d'une même âme. Les mêmes sensibilités, intuitions et aspirations habitent les récits et les dogmes bénis par l'Église que la poésie et l'art transmis par les troubadours et les bardes. Intérieurement, on peut parler d'opposition entre la cathédrale et le château, mais c'est la même âme faustienne qui vibre gravement lorsqu'elle s'adresse à Dieu, chantant en latin d'Église, ou qui le fait de manière mondaine lorsqu'elle s'adresse au destin, dans un ancien dialecte germanique.
Cependant, l'Europe a perdu de sa cohérence théologique: sa quête de « la nuit » (magnifiquement exprimée dans le romantisme) a représenté une nouvelle ère iconoclaste.
« La hiérarchie céleste magique, que l'Église a maintenue dans le domaine de la pseudomorphose occidentale avec tout le poids de son autorité et qui, depuis les anges et les saints, s'élève jusqu'aux personnes de la Trinité, perd peu à peu de sa consistance, de ses couleurs. Insensiblement, le diable, cet autre grand protagoniste du drame gothique de l'univers, disparaît également des possibilités du sentiment faustien. Le diable, sur lequel Luther jeta autrefois son encrier, est depuis longtemps l'objet d'un silence embarrassé de la part des théologiens protestants. La solitude de l'âme faustienne ne s'accorde pas avec un dualisme des puissances cosmiques. Dieu lui-même est le Tout » [LDO, I,278].
L'Europe méridionale a conservé plus longtemps son caractère charnel en matière théologique et métaphysique : le culte des saints (« sortis » en procession idolâtre), les reliques, ainsi qu'une adoration régressive de la Vierge, aimée parfois à la manière des anciennes déesses païennes. L'âme de l'Europe protestante, avec son rigorisme iconoclaste, est restée plus solitaire dans cette aspiration à l'infini, comme un naufragé dans l'océan sans repères, et tout cela pour avoir éliminé les médiateurs après la Réforme: ni image, ni prêtre, ni Marie. Il n'est pas étonnant que, ayant perdu ou oublié l'infini théologique, cette Europe soit retombée dans une version judaïsante du christianisme: un Dieu sans intermédiaire, un Dieu lointain et sévère, un Dieu moraliste. Une sorte de maître d'école aigre, toujours prêt à abattre sa baguette sur la chair de l'élève indiscipliné. Le vrai Dieu infini, dynamique, l'Être qui est Lui-même son être, le Dieu catholique faustien a disparu d'Europe. Dans le sud, on l'a paganisé. Dans le nord, on l'a judaïsé.
12:51 Publié dans art, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, philosophie de l'art, art baroque, civilisation faustienne, oswald spengler, art | |
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