vendredi, 17 octobre 2008
Wallonie: futur nouveau département mosan de la Jacobinie?
Brecht ARNAERT:
La Wallonie: futur nouveau département mosan de la Jacobinie
Le grand titre du “Soir”, le 29 juillet 2008: “Un Wallon sur deux se verrait bien Français”. Jubilation générale dans les cercles flamingants! Moi, qui en fait partie, je n’ai nullement jubilé! Je trouve très triste que les citoyens de Wallonie croient si peu en eux. La Wallonie a tous les atouts qu’il faut pour devenir une république indépendante en Europe —une population en générale plus jeune, beaucoup d’espace pour les entreprises, un bon paquet de sites attrayants pour les touristes. Et voilà qu’une moitié de cette population choisit le rattachement à la France si la Belgique venait à éclater. Une mauvaise idée...
L’idée que la France s’adjoindrait un 101ème département n’est pas vraiment neuve. L’idée est de fait française à l’origine. Les recherches des historiens ont pu prouver que la France, ou tous les autres sujets politiques qui ont donné le ton dans ce pays à différentes époques de l’histoire, a tenté non moins de cinquante-quatre fois de s’emparer du territoire qui fait aujourd’hui la Belgique. Ces efforts relèvent d’une pensée stratégique à laquelle les Flamands ne comprennent absolument rien: la géopolitique.
La ligne directrice que les dirigeants de la France ont suivie au cours de toutes ses années est la volonté de se doter de frontières naturelles. Dans le Sud le processus d’unification de la France s’est arrêté aux Pyrénées; à l’Est, il a buté contre les Alpes et à l’Ouest, forcément, il s’est arrêté à l’Océan Atlantique. Mais le Nord a toujours posé problème dans ce processus d’unification. Le rêve constant de la France a été de consolider les frontières de son territoire en l’étendant jusqu’au Rhin. D’où la querelle pour la maîtrise de la Lorraine et de l’Alsace, qui n’a été réglé que récemment, ce bloc territorial étant riverain du Rhin sur une distance de 200 km, de Bâle à Karlsruhe.
Aux Pays-Bas, l’entreprise a toujours échoué. Les régions des Pays-Bas ont sans cesse été le théâtre de dizaines de petites et grandes guerres. C’est surtout par l’intervention de l’Angleterre, qui a toujours voulu empêcher la France de s’adjoindre le delta du Rhin, que Paris n’a jamais pu satisfaire ses vieilles ambitions. A la fin du 16ième siècle, les Pays-Bas du Nord ont pu se maintenir en tant que république indépendante, si bien que la France a dû adapter et limiter ses ambitions. Dorénavant, ce ne serait plus le Rhin que l’on viserait directement, mais l’Escaut.
Plus tard, l’industrialisation prit son envol. Le sol, en tant que facteur économique, et donc en tant que facteur politique, perdait sans cesse de son importance. Dorénavant, ce n’était plus la superficie d’un pays qui comptait, mais son importance en tant que débouché. Acquérir du territoire, pour devenir plus puissant, n’était plus une nécessité: conquérir des marchés en proposant des produits moins chers, concurrencer des entreprises étrangères ou les reprendre, et, par toutes ces manoeuvres, contrôler l’économie du territoire visé, telles étaient les nouvelles stratégies mises en oeuvre pour annexer subrepticement un pays.
C’est dans un tel cadre qu’il faut placer l’histoire de la Belgique. Le pays semble avoir été impossible à conquérir militairement et politiquement pendant des siècles; en revanche, sur le plan économique, il paraissait bien plus vulnérable. Les Wallons l’ont toujours su. La SA Belgique, je veux dire la “Société Générale”, qui, au départ, était une société néerlandaise, a été rapidement infiltrée et noyautée par des éléments français. En accord avec les fondateurs français de la Belgique, du style d’un Charles Rogier, qui fournissaient les licences étatiques pour l’exploitation des mines, la Wallonie a très vite été littéralement pompée et vidée. Par conséquent, nous pouvons dire, à ce stade-ci de notre modeste démonstration, que la Wallonie n’a jamais montré beaucoup de solidarité pour la Flandre et n’a guère délié sa bourse, mais, pour sa défense, on peut dire que nos frères wallons n’ont jamais vraiment été riches.
Les bénéfices apportés par le sous-sol wallon ne sont jamais tombés dans la propre escarcelle des Wallons, mais coulaient allègrement vers le centre de l’établissement belge, soit la bourgeoisie bruxelloise qui, par la grâce de ses nouvelles richesses, espérait entrer triomphalement dans le panthéon du gotha français. Jusque tard dans le dix-neuvième siècle, ces milieux demeuraient convaincus que la Belgique, vidée économiquement, dépouillée ainsi de sa réelle indépendance, allait finir annexée par la France. Cette annexion n’a cependant jamais eu lieu car la bourgeoisie bruxelloise francophile a dû compter avec l’émergence de divers mouvements démocratiques et populaires, hostiles à cette perspective. Tandis que cette bourgeoisie si situait elle-même dans le cadre de “l’opinion publique” française, les classes populaires, moins fortunées, développèrent deux opinions publiques différentes, la flamande et la wallonne. La bourgeoisie bruxelloise et une partie importante de la noblesse demeurèrent ainsi des “Français de seconde main”, réchignant devant l’évolution des mentalités au sein du peuple.
A l’heure actuelle, il ne faut pas aller chercher bien loin le lien avec la France. La vente de la Société Générale au groupe français Suez en 1988 et la conquête récente d’Electrabel entrent dans ce schéma: la Belgique doit rester la petite soeur de la “Grande Patrie”. Maintenant que le dernier espoir d’obtenir le tout gros pactole est perdu, on s’aperçoit combien l’économie belge est fragile et vulnérable: dans tous les secteurs utilitaires, comme l’eau, le gaz et l’électricité, les décisions sont prises à Paris. Ou alors, y a-t-il une autre explication pour cette augmentation subite de 20% des prix de l’énergie? L’uranium serait-il tout d’un coup devenu 20% plus cher? Ou les centrales d’Electrabel n’étaient-elles quand même pas sorties de la comptabilité? Je pensais le contraire.
L’option, que prend la Wallonie sur la France, au cas où la Belgique disparaîtrait, ne me paraît donc pas une bonne idée. Quel intérêt la population wallonne aurait-elle à être gouvernée à nouveau depuis une ville qui se situe en dehors de son propre territoire? Et pourquoi voudrait-elle se rendre dépendante d’une grande puissance qui, dans le passé, et en dépit de sa parenté culturelle et linguistique, l’a toujours exploitée, pompée et vidée, par l’intermédiaire d’une bourgeoisie belge? Namur pourrait tout aussi bien devenir la capitale d’un pays voisin de la Flandre, où il fait bon vivre, avec ses forêts, ses grottes et ses rivières, autant d’atouts touristiques. Et quel pays, mieux que la Flandre, pourra soutenir la Wallonie quand elle se constituera comme le vingt-huitième Etat d’une Europe unie?
Brecht ARNAERT.
(article paru dans la revue “Meervoud”, Bruxelles, n°139 – septembre 2008; trad. franç.: Robert Steuckers).
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