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samedi, 03 janvier 2009

La faute à Rousseau...

 

 

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SYNERGIES EUROPÉENNES - VOULOIR (Bruxelles) - JANVIER 1986

 

La faute à Rousseau...

L'occident vit aujourd'hui, qu'il le veuille ou non, autour des grandes questions lancées au XVIIIème siècle par le philosophe genèvois Jean Jacques Rousseau. Le génie de cet homme réside non seulement dans la variété des thèmes de sa réflexions (de l'histoire au droit constitutionnel, en passant par l'art et la psychologie des cultures) mais aussi et surtout dans la nombreuse postérité que nous pouvons encore observer de nos jours, de la gauche socialiste à la droite libérale. Au fond, personne ne peut faire sérieusement l'impasse sur les grandes valeurs idéologiques du rousseauisme. Pour ou contre, mais jamais indifférent...  

L'ouvrage de Jacques JULLIARD, historien, éditorialiste au Nouvel Observateur et directeur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, tombe à pic à une période où le retour des valeurs libérales et les prédictions répétées d'une "fin des idéologies" semblent converger vers une normalisation terrifiante des cerveaux européens. La nombreuse et souvente divergente descendance des lecteurs de ROUSSEAU retient pourtant que la part du politique et des valeurs qui organisent la cité ne sont ni neutres ni scientifiques mais idéologiques et arbitraires. Ce que ces thuriféraires ou ses critiques ont fort bien reconnus.

Le discours rousseauiste charrie en effet un certain nombre de valeurs aussi fondamentales dans les débats politiques du XIXème et du XXème siècle que l'idéologie du contrat social, la notion de souveraineté du peuple, l'omnicompétence du politique et le rôle actif et volontariste de l'Etat dans la vie des nations...

Toutes ces valeurs furent à la source d'idéologies très contradictoires les unes par rapport aux autres. JULLIARD analyse chacune d'entre elles avec précision et objectivité. Du jacobinisme au libéralisme bourgeois de BASTIAT et Benjamin CONSTANT, du socialisme étatique et terroriste de BLANQUI au socialisme mutuelliste des Proudhoniens de la fin du XIXème siècle, de nombreux courants de pensée se sont plus ou moins explicitement référés à l'oeuvre de Jean-Jacques ROUSSEAU. JULLIARD intègre même dans cette postérité une partie non négligeable de la pensée traditionaliste et contre-révolutionnaire de LAMENNAIS à BONALD. Il est intéressant de noter que, quelque soit par ailleurs les critiques féroces de ce dernier à l'égard de ROUSSEAU, considéré par les monarchistes comme le père spirituel de la Révolution de 1789, il y a chez eux deux attitudes marquées par un intérêt certain pour le discours de l'auteur du Contrat Social. D'ailleurs cette attitude ambigüe s'appuie aussi pour une bonne part sur l'aspect protéiforme de la pensée du citoyen genèvois. Ces contradictions dans le discours rousseauiste furent d'ailleurs parfaitement intégrées dans sa pensée, toute mouvante et évolutive. En fait, ROUSSEAU fut en permanence soucieux de tenir un compte exact des réalités historiques et géographiques propres à chaque peuple pris en soi. Si MONTESQUIEU tenait pour déterminant dans le mode d'organisation politique d'un peuple le critère du climat, ROUSSEAU fut le premier à conceptualiser avec intelligence le critère démographique. Ne croyant pas un instant à l'obligation, pour un mode d'organisation politique, de se ranger dans une des trois catégories fondamentales définies par ARISTOTE, il tenait un compte aussi rigoureux que précis des déterminants (relatifs) de la géographie, du nombre des citoyens installés sur le territoire national et des traditions locales propres à cette communauté étudiée. Les projets de constitution pour la Corse et la Pologne reflètent ce souci.

La fécondité de la pensée rousseauiste, trop souvent schématisée par ses pseudo-partisans républicains et ses adversaires réactionnaires (l'école contre-révolutionnaire du XIXème sicèle et les intellectuels maurrassiens du XXème), explique aussi pour une part l'influence de cette pensée dans la genèse idéologique du jacobinisme.

Parce que le jacobinisme constitue l'essence même de la révolution politique de 1789, on ne peut pas faire l'impasse de ses racines idéologiques. L'Occident moderne est un avatar monstrueux du jacobinisme, issu lui-même pour une part de l'esprit du classicisme français. Le discours rousseauiste, en particulier sa référence constante à la notion de volonté générale et à la souveraineté populaire qui en est le corollaire, a inspiré la création de ce modèle typique du régime moderne.   

Pourtant, on ne peut attribuer la totale paternité de ce modèle à Jean-Jacques ROUSSEAU. La notion de communauté populaire que le jacobinisme a extrait des principes rousseauistes pouvait évoluer dans des directions fort contradictoires. 1° Une évolution totalitaire, où le peuple apparaît comme une collection arithmétique d'individus doués de raison. Le jacobinisme, appuyé sur une conception rationnelle et atomisante du citoyen, où la volonté générale ne tolère aucune forme d'association entre ces derniers. L'Etat face à l'individu-citoyen. 2° Une évolution démocratiqu, notamment sous sa forme bourgeoise, où la souveraineté du peuple est déléguée à une minorité représentative. Il s'agit du modèle de démocratie représentative que les jacobins (à l'exception de la constitution de 1793 jamais appliquée) favorisèrent tout au long du XIXème siècle. Enfin, 3° la démocratie dite directe, considérée par les mêmes jacobins comme anormale et historiquement condamnée. Autant de conceptions qui sont toutes issues de la matrice rousseauiste. Le jacobin, magnifiquement décrit par l'historien Hippolyte TAINE dans ses Origines de la France contemporaine, crée alors le suffrage censitaire, interdit toute association professionnelle, combat comme obscuran- tistes les cultures provinciales. Tous ces actes ayant pour finalité la création d'un "homme nouveau", d'un homme sans racines, formé selon la pédagogie idéologique de l'école républicaine; en somme, l'homme de la modernité...

Jacques JULLIARD a su avec beaucoup de clarté et de références nous décrire cette descendance de Jean-Jacques ROUSSEAU. Nous pouvons pourtant regretter une conclusion peu explicite. La problématique de la représentation est très légèrement abordée. Evoquer les blocages face aux formes traditionnelles de la représentation (parlementaire, syndicale, etc.) ne résout en rien la question. Il manque un discours global et cohérent sur les structures nécessaires et historiques d'une nouvelle démocratie, une démocratie organique qui prendrait en compte et la dimension communautaire nationale et la dimension intra-communautaire. Le livre de JULLIARD peut nous aider à y réfléchir.

Ange SAMPIERU.

Jacques JULLIARD, La faute à Rousseau, Seuil, Paris, 1985, 85 FF.

 

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