jeudi, 24 septembre 2009
Pour un grand espace européen! Sans libre-échange!
Thorsten HINZ:
Pour un grand espace européen ! Sans libre-échange!
Oui à l’Europe ! Non aux eurocrates de Bruxelles !
Le continent a besoin d’une nouvelle volonté de puissance !
Le jugement rendu à Karlsruhe récemment, à propos du Traité de Lisbonne a le mérite de la clarté: le “Sur-Etat”, qui nous tient sous sa tutelle, et dont les gouvernements et les bureaucrates bruxellois visent le parachèvement, n’est pas sanctionnable comme s’il émanait d’un jugement de Dieu. Nous ne sommes pas contraints de l’accepter. Mais survient alors une autre question fondamentale: celle de l’avenir de l’Europe. Le jugement de Karlsruhe n’a en aucune façon réglé ce problème-là, n’a pas tranché la question de savoir si l’Europe et l’eurocratisme bruxellois sont une seule et même chose.
Un simple regard sur la carte, sur les statistiques, sur les rapports de forces et autres ordres de grandeur nous fait voir, sans détours, que les Etats de petites et moyennes dimensions en Europe ne peuvent freiner leur perte de signification à l’échelle du globe que s’ils agissent de concert. D’autres faits sont également patents: les anciens conflits entre Etats européens s’atténuent graduellement, de nouveaux conflits d’intérêts émergent, mais plus aucun de ceux-ci n’est encore existentiel. Si on les mesure à l’échelle du globe, les convergences d’intérêts entre Européens dominent et les divergences passent à l’arrière-plan.
Constituer une puissance hégémonique continentale est un souci, voire un cauchemar, qui hante depuis plus d’un siècle la politique intérieure du sous-continent européen, même si cela peut paraître anachronique face à la domination mondiale qu’exercent les Etats-Unis et à l’émergence de nouveaux centres de puissance en Asie. Se précipiter encore dans des conflits intérieurs à l’Europe et, de surcroît, à l’incitation de puissances extra-européennes, n’aurait qu’un résultat: accroître la puissance des autres et pérenniser la mise sous tutelle de l’Europe.
La crise financière et économique, qui frappe la planète entière, nous apporte quelques arguments supplémentaires en faveur d’une européanisation de la politique en Europe. Cette crise a déjà conduit à réévaluer les phénomènes liés à la globalisation. Bien entendu, soyons clairs, on ne pourra pas réduire à néant les acquis de la globalisation qui a commencé il y a plus de 500 ans par la découverte, l’exploitation et la colonisation du monde par les puissances européennes; cependant, la globalisation ne pourra plus rester, désormais, un but en soi, une idée que personne ne pourra jamais contester. Au cours de ces récentes années, il semblait que la tâche principale des Etats ne consistait plus qu’en une seule chose: se déréguler eux-mêmes, renoncer à toutes leurs fonctions de contrôle et de direction. Capitaux et marchandises devaient s’écouler et vagabonder en toute liberté; la vie humaine, elle, devait se réduire à une existence d’abeilles besogneuses, acceptant la “flexibilité”, en concurrence avec des homologues tout aussi aliénées dans le monde entier. On planifiait une guerre de tous contre tous, dernière conséquence de la victoire totale qu’avait obtenue le modèle anglo-saxon de libre-échange après deux guerres mondiales et une guerre froide.
Il y a deux ans encore, on ne faisait aucun effort intellectuel pour justifier ce modèle: il portait sa légitimité en lui-même. Ceux qui osaient encore le critiquer étaient traités d’incorrigibles passéistes, de réactionnaires, de bornés, de nationalistes, d’anti-modernes, d’ennemis de la liberté, etc. On les ridiculisait. Et voilà que soudain, la charge de la preuve a changé de camp. L’idéologue français Emmanuel Todd, dans “Après la démocratie”, constate “qu’il faudra soit abolir le suffrage universel et renoncer ainsi à la démocratie soit limiter le libre-échange, par exemple en inventant des formes intelligentes de protectionnisme au niveau continental européen, ce qui impliquerait de remettre en question le système économique actuellement dominant”.
La proximité conceptuelle entre le protectionnisme que Todd appelle de ses voeux et l’ébauche d’un “grand espace” continental chez le juriste allemand Carl Schmitt est patente. Pour l’Europe actuelle, l’enjeu n’est pas seulement la démocratie mais porte sur l’ensemble de ses traditions historiques et culturelles, ancrées sur son territoire. Tout néo-protectionnisme européen émergent ne devra pas se limiter au seul domaine de l’économie. Sur les plans politiques et éthiques aussi, la logique du libre-échange devra être jugulée. Avant toute chose, l’Europe devra renoncer à l’universalisme contenu dans ce discours idéologique et banalisé sur les droits de l’homme qui sert de vulgate générale. Cet universalisme avait accompagné l’expansion économique et coloniale des pays d’Europe occidentale mais il a atteint ses limites aujourd’hui (que l’on songe à la Chine...). Aujourd’hui, cet universalisme ne sert plus qu’à une chose: sur les plans politique, moral et juridique, à donner un instrument de pression potentiel à des cultures ou des religions extra-européennes, étrangères au continent européen, pour que celles-ci, à leur tour, mettent en oeuvre une stratégie d’expansion en Europe même. Sur le plan des droits de l’homme, l’Europe a aussi besoin d’un protectionnisme qui entraînerait de donner priorité et protection aux propres citoyens européens dans leur propre “Maison commune”.
C’est pourquoi l’Europe politique future doit s’édifier sur des bases nouvelles, historiques, intellectuelles, culturelles et spirituelles. Car l’universalisme mis en pratique par les eurocrates en poste à Bruxelles est lié étroitement aux mythes fondateurs de l’Union Européenne. Celle-ci, en effet, considère que l’année 1945 constitue un point de départ historique et que les Etats-Unis, avec la forme de libéralisme et de libre-échange qu’ils ont importée dans leur zèle missionnaire, ont été les sauveurs de l’Europe.
Ces positions signifient ipso facto de fonder moralement l’UE sur la victoire emportée sur le pays qui a dû, doit et devra contribuer le plus aux charges financières en vue de structurer le grand espace européen et qui constitue, de surcroît, le pays le plus indispensable de tous à la formation de l’Europe! Par conséquent, tous les autres partenaires de la construction européenne en arrivent à considérer que les contributions allemandes sont des “réparations” à payer pour cause de deuxième guerre mondiale au lieu de les considérer comme des investissements pour un futur commun à bâtir de concert et dans lequel, eux aussi, auraient la responsabilité et le devoir de contribuer à l’intérêt collectif.
En Allemagne, ce malentendu a conduit à une grande lassitude à l’égard de l’Europe: les Allemands, en effet, se sentent grugés et exploités; ils ont l’impression qu’on les maltraite, qu’on exige trop d’eux, tandis que l’élite qui fait fonctionner leur pays accepte pour eux le rôle du financier unique pour maintenir la cohésion d’un tout désormais branlant alors même que cette élite n’est plus capable de lancer des initiatives politiques en faveur de l’Europe. Les Allemands ont expurgé leur passé jusqu’à satiété, placé partout des garde-fous pour que plus aucun dérapage nationaliste ne soit possible: les autres partenaires de l’UE, en cette matière, en ont fait trop peu.
La distance temporelle qui nous sépare aujourd’hui des événements de la seconde guerre mondiale doit nous amener à interpréter la tragédie européenne du 20ème siècle comme une auto-destruction collective, où tous ont eu leur part! Cette auto-destruction procède d’erreurs de jugement sur la situation réelle de l’Europe, au sein même du continent et en dehors de lui, notamment sur une évaluation erronée de l’influence globale qu’exerçait le Vieux Continent. Les bénéficiaires de ces erreurs de jugement ont été la Russie soviétique et les Etats-Unis, deux puissances étrangères à l’espace européen. Si une nouvelle tragédie de même ampleur devait frapper l’Europe demain, d’autres bénéficiaires en tireraient profit et les conséquences en seraient, cette fois, irréversibles.
Si l’Europe ne formule pas bien vite une volonté de puissance commune et la défend de manière crédible, elle ne pourra pas opposer un modèle alternatif au libre-échange actuel. Or le contraire se profile à l’horizon: comme les mythes fondateurs de l’UE sont une fatalité, ils invitent les puissances extérieures à appuyer et favoriser les tensions intérieures en Europe, à les exploiter, à les pérenniser. Derrière l’accord britannique à une adhésion turque se profile l’intention de réduire l’idée européenne à n’être plus rien d’autre qu’une simple acceptation du libre-échange: l’Europe ne serait donc pas un bloc géopolitique autonome, structurée par une identité autochtone, mais une vague zone de libre-échange. La Pologne, la République Tchèque ou l’Italie, qui soutiennent, elles aussi, le désir des Turcs d’adhérer à l’UE, se réjouissent du coup de Jarnac qu’elles infligent ainsi à l’Allemagne et se vantent d’être les partenaires les plus féales des Etats-Unis, procurant du même coup, à ceux-ci, une sorte de levier d’Archimède pour disloquer l’unité européenne.
Une Europe qui reposerait sur de nouvelles bases politiques et spirituelles, qui considérerait que ses formes culturelles et ses modes de vie valent la peine d’être protégés, une Europe qui se montrerait prête à assurer sa défense, deviendrait, aux yeux des Allemands, un objectif digne d’être réalisé et justifierait les paiements disproportionnés qu’ils paient pour l’édification européenne. Mais, dans ce domaine, nous ne devons pas nous limiter aux seuls questions financières.
Voilà pourquoi, nous devons dire “oui” à l’Europe et, dans certaines conditions, à l’UE, mais uniquement si elle constitue une tentative de donner forme au continent. Mais nous devons dire “non”, et cela de manière décisive et tranchée, à la domination des bureaucrates et des idéologues fumeux qui pontifient à Bruxelles!
Thorsten HINZ.
(article paru dans “Junge Freiheit”, n°34/2009; trad. franç.: Robert Steuckers).
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