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samedi, 19 décembre 2009

Une biographie d'Ezra Pound: le cercle du poète disparu

ezra-pound-negli-anni-giovanili1.jpgUne biographie d'Ezra Pound

Le cercle du poète disparu

 

 

« Avec le véritable artiste, II y a toujours un résidu, il y a toujours en lui quelque chose qui ne passe pas dans son œuvre. Il y a toujours une raison pour laquelle l'individu est toujours plus intéressant à connaître que ses livres. » Cette définition qu'Ezra Pound a pu faire de l'artiste en général résume très précisément le propos de la biographie que John Tytell a consacré à l'auteur des Cantos, car si Ezra Pound demeure pour nombre d'écrivains le poète le plus important de son siècle, que dire du personnage baroque et provocateur qu'il s'est efforcé d'être tout au long d'une vie calquée sur l'histoire ?

 

Qu'on ne s'y trompe pas. Malgré son prénom aux consonances bibliques et les airs de prophète qu'il prenait volontiers vers la fin de sa vie, Ezra Pound n'a été ni dans son œuvre ni dans son existence l’enfant de cœur tourmenté par la notion de péché ou d'humilité. Dis­sident de l'Amérique, du mauvais goût et des valeurs approximatives d'un pays où la Bible et le dollar tiennent lieu de référence, Pound l'est déjà dès son plus jeune âge. « J'écrirai, déclare-t-il à l'âge de douze ans, les plus grands poèmes jamais écrits ». En cette fin de XIXe siècle, en plein Wild West américain, il se découvre une vocation poétique pour le moins incongrue si l'on en juge par les préoccupations de ses compatriotes de l'époque, plus soucieux de bâtir des empires financiers que de partir en guerre contre des moulins à vent. Pendant des années, en subissant les vexations des cuistres, il va se consacrer à l'étude du provençal et à l'art des ménestrels et troubadours précurseurs de la littérature moderne.

 

L'éducation européenne

 

La provocation, ou plutôt le mépris des conventions auquel il restera attaché tout au long de sa vie, ne vont pas tarder à indisposer les habitants des diverses bourgades où il étudie et professe l'art de la poésie. Ses amours avec une sauvageonne de quinze ans, des poèmes comme L'arbre, témoins, comme le note Tytell, d'un paga­nisme croissant, et sa haine de l'Amérique sont le signe avant-coureur que sa vie entière allait devenir un défi lancé aux systèmes occidentaux et une dénonciation de la religion moderne qu'il tenait pour la servante de ces systèmes. Les conflits incessants avec le monde universitaire qui lui refuse quelque chaire, l'ordre moral et l'étroitesse d'esprit de ses contemporains vont avoir pour conséquence le départ de Pound pour l'Europe. Venise, tout d'abord, où il s'exerce au dur métier de gondolier, puis Londres, où son talent va enfin éclore. C'est pour lui le temps des amitiés littéraires avec George Bernard Shaw, puis James Joyce, T.S. Eliot.

 

« Les artistes sont les antennes de la race », déclare-t-il, se faisant ainsi le chantre d'un élitisme et d'une aristocratie de l'art dont il pensera, des années plus tard, trouver une représentation dans le fas­cisme italien.

 

Le Londres aux mœurs victo­riennes ne nuit en rien pour l'heure à l'effervescence d'un génie que l'on commence à voir poindre ici et là dans les revues auxquelles il collabore. La guerre de 14 éclate et nombre des amis de Pound n'en reviendront pas. « C'est une perte pour !'art qu'il faudra venger écrit-il, plus convaincu que quiconque que cette guerre est une plaie dont l'Europe aura bien du mal à cicatriser. Peu après, il se met à travailler à un nouveau poème, « un poème criséléphan­tesque d'une longueur incommen­surable qui m'occupera pendant les quatre prochaines décennies jusqu'à ce que cela devienne la barbe ». Les Cantos, l'œuvre maitresse et fondamentale de Pound, était née.

 

Rencontre avec Mussolini

 

Puis, las de la rigueur anglaise et des Britanniques qu'il juge snobs et hermétiques à toute forme d'art, Pound décide de partir pour la France.

 

Il débarque dans le Paris léger et enivrant de l'après-guerre lorsque brillent encore les mille feux de l'intelligence et de l'esprit. Les phares de l'époque s'appellent Coc­teau, Aragon, Maurras et Gide. Pound s'installe rue Notre-Dame­-des-Champs et se consacre à la littérature et aux femmes. À Paris toujours, il rencontre Ernest Hemingway, alors jeune joumalis­te, qui écrira que « le grand poète Pound consacre un cinquième de son temps à la poésie, et le reste a aider ses amis du point de vue matériel et artistique. Il les défend lorsqu'ils sont attaqués, les fait publier dans les revues et les sort de prison. »

 

La France pourtant ne lui convient déjà plus. À la petite histoire des potins parisiens, il préfère l'Histoire et ses remous italiens. L'aura romanesque d'un D'Annun­zio et la brutalité de la pensée fas­ciste l'attirent comme un aimant.

 

À Rapallo, comme Byron avant lui, Pound partage son temps entre l'écriture – « Les Cantos sont de plus abscons et obscurs », écrit-il à son père –, la réflexion politique et la natation. Son épouse et sa maîtresse enceinte se côtoient tant bien que mal, alors que lui-même flirte davantage avec le régime fas­ciste. En 1933, il rencontre Mussoli­ni pour l'entretenir de ses théories économiques auxquelles le Duce ne prêtera pas la moindre attention. Le « vieux Mussy » confiera toutefois à Pound qu'il a trouvé ses Cantos « divertenti ». « Depuis quand es-tu économiste, mon pote ? lui écrit Hemingway, la dernière fois que je t'ai vu, tu nous emmerdais à jouer du basson ! »...

 

La même année, Pound obtient une tribune à la radio de Rome. L'Amérique, « Jew York » et Confu­cius vont devenir ses chevaux de bataille. Pendant des années, le délire verbal et l'insulte vont tenir lieu de discours à Pound, un genre peu apprécié de ses compatriotes...

 

En 1943 le régime fasciste s'écroule, mais la République de Salo, pure et dure, mêlera la tragédie au rêve. Les GI's triomphants encagent le poète à Pise avant de l'expédier aux États-Unis pour qu'il y soit jugé. « Haute trahison, intelligence avec l'ennemi », ne cessent de rabâcher ses détracteurs nombreux. Pound échappe à la corde mais pas à l'outrage d'être interné pendant douze ans dans un hôpital psychiatrique des environs de Washington. Lorsqu'on lui demanda de quoi il parlait avec les toubibs, il répondit : « D'honneur. C'est pas qu'ils y croient pas. C'est simplement qu'ils n'en ont jamais entendu parler. »

 

Le 9 juillet 1958, le vieux cowboy revient à Naples et dans une ultime provocation répond à l'attente des journalistes par le salut fasciste, dernier bras d'honneur du rebelle céleste.

Christian Ville Le Choc du Mois n° 30 - Juin 1990

 

Ezra Pound, le volcan solitaire, de John Tytell, Ed. Seghers.

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