mercredi, 23 juin 2010
Préférences de structures européennes: circuit, travail et réciprocité
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991
Préférences de structures européennes:
Circuit, travail et réciprocité
par Bernard NOTIN
Le système économique dominant est actuellement du type transnational: des groupes privés ont des stratégies mondiales. Ce type d'organisation est renforcé depuis les années soixante par une conquête des esprits à travers les thèmes de propagande américains: culture de masse, droits de l'homme, etc…, et trouve un appui au sein des bureaucraties publiques des Etats européens où se conjuguent sécurité de l'emploi et avantages de la richesse. Ce n'est toutefois qu'une modalité possible d'organisation. Notre réflexion sur l'Empire suggère trois paradigmes alternatifs, dont l'ensemble forme système. Un paradigme politico-économique: le circuit européen, moyen de puissance de l'Empire; un paradigme socio-économique: le travailleur, mobilisateur de la technique; un paradigme éthique: le service social avec plus de réciprocité. Ces trois paradigmes favoriseraient l'émergence de structures européennes qui permettraient d'entretenir notre foyer de civilisation.
1 – Paradigme politico-économique
Le circuit européen a été abordé dans le numéro 45 de Nouvelle Ecole consacré à l'économie. L'existence d'une monnaie commune est l'hypothèse fondamentale, dont les chances de réalisation s'améliorent régulièrement. La monnaie permet l'intégration des économies en éliminant les difficultés de changes et en donnant naissance à une masse financière d'un poids suffisant pour éliminer les effets de domination du dollar. Les aménagements institutionnels ont leur importance. En particulier, le statut d'une banque centrale européenne conditionne l'indépendance des autorités monétaires par rapport aux autorités politiques. La fonction politique, dont nous devons aussi étudier les modalités de représentation, se limite, dans le domaine de l'économie, à favoriser l'émergence de l'innovation, et à éliminer les causes d'incertitudes par une information de qualité. La constitution de banques de données est un enjeu majeur en matière de culture et d'information. L'idée générale est de limiter les conflits entre producteurs européens par une action communautaire en amont, sur l'industrie de l'information, mariage de l'informatique, des télécommunications, de l'audiovisuel, de l'information de base dans ses dimensions multiples dont les banques de données. L'alliance entre logique industrielle et fondements culturels est la question économique principale au niveau du politique.
Le paradigme politico-économique intègre aussi une perspective spatiale. L'activité des régions est à vivifier au prix de politiques reposant sur la notion de territoire. La logique territoriale repose sur la structure sociale existante, sur les liens créés par l'histoire et l'expérience entre des individus et des agents vivant dans le même espace. Elle suppose d'offrir des opportunités par la décentralisation sur des thèmes aussi divers que la culture, les transports, la formation, et de fonder une souveraineté régionale dans certains secteurs: ceux qui intéressent directement les caractéristiques des acteurs du territoire (âge, composition familiale, etc.), et ceux qui contribuent à l'amélioration des performances économiques. Les actions de soutien à la technologie sont possibles pour favoriser des spécialisations. Reste à étudier les questions de financement, vaste sujet sur lequel les analyes de M. Allais (prix Nobel) à propos de l'impôt sur le capital nous paraissent la voie à suivre.
II – Paradigme socio-économique
Le changement technique est une des forces importantes qui donne forme aux directions que prend le système économique. Le cadre socio-institutionnel influence toujours (et parfois facilite ou retarde) les processus de changements techniques et sociaux. Le changement de méthodes de production est guidé par plusieurs forces. Il y a les connaissances générales (biens publics); les contributions des autres firmes (concurrentes ou coopérantes); le savoir-faire propre de la firme. La progression technologique est cumulative: à chaque étape s'ajoute des connaissances nouvelles, et d'autres sont retirées. Anciennes et nouvelles techniques s'insèrent parfois dans un dispositif original. En sorte que les technologies comprennent une partie spécifique (issue de l'expérience et de l'apprentissage) et une partie générale (acquise à l'extérieur de la firme).
Un axe de réflexion lié à la pratique française est la distinction, dans le domaine de la technique, entre le Noble et le Vil. La technique est noble en ce qu'elle renvoie à l'univers de la connaissance pure et désintéressée et de l'art. Cette pratique élève l'homme au dessus du règne de la nécessité. Cette distinction Noble/Vil a des effets sur le nombre et le statut des métiers. La valorisation de la compétence, quelle qu'elle soit, assure une place de l'homme technicien dans l'entreprise et dans un groupe plus large, celui de ses semblables, dans la notion de métier. Le vil apparaît comme ce qui doit être minimisé dans la préoccupation technicienne.
Le second axe du paradigme socio-économique est la dialectique entre l'utilitaire immédiat et l'inutile. La théorie est souvent inutile à court terme, mais innerve, de façon indirecte, l'ensemble des réalisations techniques. L'articulation entre ces deux données est essentielle. Nous avons à apprendre des pratiques allemande ou japonaise. La connaissance théorique y est soumise à la pratique dans toute organisation: les personnes démarrent au plus bas de l'échelle afin de comprendre ce que chacun fait. Alors, elles peuvent monter en responsabilité.
Le paradigme socio-économique demande beaucoup de formation. En amont, le système éducatif doit préparer toujours plus de généralistes éclairés et cultivés, terreau indispensable à une industrie qui doit se nourrir d'intelligence permanente. Une formation régulière pour tout le personnel des organisations est à généraliser.
III – Paradigme éthique:
le service social
L'éthique est spécifique, non autonome. Ce n'est pas une activité pour elle-même. Elle se greffe sur toutes les autres actions. L'éthique consiste en la manière dont nous utilisons les moyens des autres activités avec la volonté d'atteindre leur fin propre. C'est selon la manière négligée ou rigoureuse dont le chercheur scientifique accomplit son travail qu'il agira moralement ou non. Il en va ainsi pour l'entrepreneur, le pédagogue, l'homme politique, etc.
Nous proposons de définir le service social comme la recherche de l'optimum social, c'est-à-dire l'engagement en direction du meilleur état du monde possible pour l'Europe, à partir de maintenant.
Le service social suppose une compréhension d'ensemble de la question européenne et la sélection de principes qui guident l'action. L'identification des grands champs de force qui rendent interdépendantes les différentes facettes de notre continent est obtenue par la notion de pouvoir, ou de puissance. Dans cette perspective, l'éthique du service social s'exerce dans quatre grands champs de force:
– Puissance politique: recherche de la cohésion interne à l'Europe.
– Puissance administrative: rendre cette cohérence effective.
– Puissance économique: produire le maximum de richesses.
– Puissance des groupes d'intérêts: animer la vie collective.
Les interrelations entre ces quatre champs sont multiples, et il faut chercher, pour chaque problème, la meilleure action en terme de finalité et d'applicabilité. Nous pouvons considérer l'action comme un art: celui de trouver à chaque époque et en chaque lieu, la meilleure harmonie entre ces quatre champs. En économie par exemple, la question soulevée par Serge-Christophe Kolm est à méditer: comment réduire la part du marché (échanges) et du plan (transferts forcés), au profit de plus de réciprocité (dons).
Bernard NOTIN.
(résumé d'une intervention à l'Université d'été du GRECE, août 1991).
00:05 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : économie, europe, affaires européennes, théorie politique, politologie, sciences politiques, travail, sociologie, réciprocité | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les commentaires sont fermés.