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mercredi, 27 octobre 2010

Géopolitique française

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M./ "'t Pallieterke" :

Géopolitique française

Oublions un instant que la géopolitique concerne prioritairement le conflit des civilisations, le « Grand Jeu » en Asie centrale pour la maîtrise des hydrocarbures ou les ambitions de la Chine montante. L’Europe aussi peut s’avérer un théâtre aux intrigues très fines pour les amateurs de cette discipline. Et à l’intérieur de cette Europe, la France occupe une place vraiment à part.

Jetons d’abord un coup d’œil sur une carte physique de l’Europe. Oublions les frontières politiques et ne portons attention qu’aux altitudes. La première chose qui saute aux yeux, lorsqu’on examine une telle carte, c’est qu’il existe une grande plaine nord-européenne. Qui s’étend à l’est jusqu’aux steppes russes, et à l’ouest jusqu’aux Pyrénées. La caractéristique majeure de cette plaine, c’est qu’elle présente une forte concentration de rivières navigables. Et cette concentration est la plus dense au monde, nous ont calculé les spécialistes. Ce réseau fluvial et la qualité élevée des sols qu’ils irriguent ont indubitablement constitué la base première du futur niveau de vie du continent. Autre élément important à retenir : la différence entre cette réalité nord-européenne et le contexte dans lequel se trouve l’Europe du Sud. Sans aucun doute, la caractéristique la plus prégnante de la partie méridionale du continent est la présence de la Méditerranée. Au fil des siècles, depuis l’aube des temps historiques, cette mer intérieure a été des plus commodes pour transporter des marchandises de l’est vers l’ouest et vice-versa ou du nord au sud.

En fait, les deux parties du continent sont très différentes l’une de l’autre (même si on ne peut pas vraiment parler de limites fort tranchées). Les différences géographiques ont contribué à faire émerger des différences culturelles qui se repèrent en économie, en sociologie et dans la vie politique. Et que se passe-t-il lorsque l’on mêle les deux modes de vie dans un seul pays ? On obtient une nation comme la France.

Fleuves et rivières

L’Europe possède un grand nombre de fleuves et de rivières, mais celles-ci sont simultanément fort fragmentées sur leurs cours. En d’autres termes, il s’avère très difficile de les relier entre elles, même si l’on peut citer bon nombre d’exemples de canaux. Les spécialistes de la géopolitique hydrographique parlent même d’ « un modèle précis de fragmentation ». Dans cette fragmentation hydrographique et dans la difficulté à relier les cours d’eau par des canaux, les exceptions se repèrent dans certains cas, où deux rivières ne sont séparées que par une étroite bande de terre, ce qui, dans tous les cas de figure, facilite le transit. Une situation de ce type, nous la trouvons dans la zone où voisinent les vallées de la Seine, de la Loire, du Rhône et de la Garonne. Donc uniquement en France. De surcroît, le Rhône est l’un des rares fleuves européens qui se jette dans la Méditerranée tout en servant de corridor vers l’Europe du Nord.

Dans la région où coulent la Marne et la Seine, se trouve le noyau fertile de l’agriculture française. C’est notamment la région de la Beauce, que l’on appelle parfois la « grenier à blé » du pays. Au nord de cette région, nous avons Paris. Or ce nord est le talon d’Achille de la France. Partout ailleurs, le pays a des frontières naturelles : les Alpes, les Pyrénées, les mers  (Manche, Mer du Nord, Méditerranée) et l’Océan Atlantique. Le nord ne bénéficie pas d’une telle protection : c’est par là que l’on peut entrer dans le pays sans rencontrer d’obstacle. Les années 1814 et 1815, puis la guerre de 1870-71 et les deux guerres mondiales sont à ce titre des exemples historiques instructifs. La capitale, Paris, est liée à l’Océan Atlantique par la Seine. De cette façon, elle bénéficie de tous les atouts qu’offre une ouverture sur l’océan sans risquer immédiatement une invasion venue de ce côté (encore que le débarquement de Normandie de juin 1944 tend à infirmer cette règle, ndt). Le nord est donc le point faible de l’Hexagone, tant et si bien que l’on a parfois suggéré de déplacer la capitale vers le sud, pour des raisons de sécurité.

Le facteur allemand

Au fil des années, et même des siècles, les ennemis de la France ont changé, mais non pas la géopolitique française. Depuis le 19ème siècle, Paris est obsédé par l’Allemagne (au départ par la seule Prusse). C’est bien compréhensible : chaque fois, depuis la fin de l’ère napoléonienne, le voisin de l’est semblait le plus puissant militairement et la France avait besoin d’un bon nombre d’alliés pour conjurer le danger allemand. La fin de la deuxième guerre mondiale a créé une situation intéressante. Les Britanniques ne faisaient plus le poids ; l’Espagne vivait isolée sous le régime de Franco ; les Russes se trouvaient de leur côté du Rideau de Fer et les anciennes puissances de l’Axe pouvaient désormais, sans problèmes majeurs, être incluses de force dans un projet européen. Et, de fait, l’Europe est un projet qui permet surtout à la France de « sauter plus loin que n’est longue sa perche » (comme on dit chez nous).

La fin de la Guerre Froide fut un nouveau moment charnière. Les craintes de la France ne concernaient pas vraiment l’URSS (elle n’avait pas de frontières communes avec le bloc soviétique) mais encore et toujours l’Allemagne. Or voilà que d’un coup l’Allemagne est réunifiée. Pour les élites françaises, c’est là un cauchemar : l’Allemagne va-t-elle vouloir jouer à nouveau un rôle plus indépendant ?

Malgré les très nombreux facteurs qui ont influencé l’histoire de France  —et la géographie n’en est qu’un élément parmi beaucoup d’autres—  on peut aisément déduire que le noyau de la pensée politique française est déterminé par quelques « prémisses géopolitiques ». La France est le seul pays d’Europe qui peut étendre son noyau central sans entrer en conflit avec une autre puissance. Dans la direction des Pyrénées, il existe aujourd’hui un potentiel énorme, sans qu’il ne faille outrepasser les frontières de la République. Autre prémisse géopolitique : toujours garder un œil sur l’est. La fameuse Ligne Maginot du 20ème siècle n’a jamais été que la modernisation d’une ceinture de forteresses installées dès le 16ème siècle. Autre prémisse : la cherche constante d’influence en dehors d’Europe. En fait, au départ, la France se suffisait à elle-même et n’avait nul besoin d’acquérir des colonies. L’aventure coloniale française n’avait pas de motivations économiques (ou très peu) mais principalement des motivations politiques. Les colonies françaises ont constitué un instrument commode contre les rivaux d’Europe occidentale. Rien ne permettait d’anticiper l’aventure coloniale : la France avait vendu la Louisiane pour pouvoir financer les guerres napoléoniennes. Plus tard, elle a laissé tomber l’Algérie, malgré qu’un million de Français ethniques y habitaient ! Dans les deux cas, l’objectif avait été de focaliser toutes les énergies sur des problèmes qui affectaient directement l’Hexagone.  Tel était l’option de base.

Pour conclure, nous évoquerons un dernier point : celui de la flexibilité pure et simple. Cette option n’est pas typiquement française : il suffit de se rappeler la manière dont Nixon s’est rapproché de la Chine. Mais seule la France a réussi à manier cette flexibilité à des hauteurs jusqu’ici inégalées. Tout au long de l’histoire, elle a scellé des accords avec l’Empire ottoman au détriment des pays européens de confession catholique. Jamais elle n’a hésité à se chercher et à se trouver des alliés parmi les entités politiques protestantes. Et cela, en des temps où la France se posait comme « fille aînée de l’Eglise ».

M. / «  ‘t Pallieterke ».

(article paru dans « ‘t Pallieterke », Anvers, 20 octobre 2010).

 

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