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samedi, 19 mai 2012

Contre la proportionnelle

Contre la proportionnelle

par Georges FELTIN-TRACOL

 

Le 19 février 2012, lors d’une émission de « Méridien Zéro » consacrée à une « Histoire non-conformiste de l’élection présidentielle », Emmanuel Ratier critiqua la constitution de la Ve République, condamna le mode de scrutin majoritaire et en appela à l’établissement de la proportionnelle (1).

 

Dans le « camp national », il n’est pas le seul à la réclamer. À l’occasion des « clans de la presse » en première partie du « Libre-Journal de la Résistance française » sur Radio Courtoisie qu’Emmanuel Ratier anime un mercredi sur quatre, un autre de ses invités réguliers, Jérôme Bourbon, directeur du coruscant hebdomadaire Rivarol, défend lui aussi ce point de vue.

 

Il est exact que le scrutin majoritaire uninominal à deux tours déforme considérablement les résultats électoraux. Ainsi, aux élections législatives de juin prochain, il est très probable que le Front national n’ait que un, deux, voire aucun député, alors que sa présidente, Marine Le Pen, a recueilli à la présidentielle 6 421 426 suffrages (17,90 %). Dans le même temps, grâce à un accord électoral passé avec les socialistes, Europe Écologie – Les Verts peut espérer obtenir une trentaine de sièges malgré les 828 345 voix (2,31 %) de leur candidate, Éva Joly. Déjà, cinq ans plus tôt, François Bayrou, alors troisième homme de la présidentielle avec 18,57 % (6 820 119 voix), n’eut finalement que quatre députés !

 

Le scrutin majoritaire appliqué actuellement dans l’Hexagone crée de l’injustice politique et organise une réelle discrimination civique en rejetant des portions importantes du corps électoral. Tous les spécialistes des systèmes électoraux relèvent judicieusement que « cette injustice se double d’une certaine immoralité, dans la mesure où nombre de marchandages sont possibles à l’heure des désistements (2) ». Le scrutin proportionnel gomme ces travers et reflète le « corps des représentés, exprimant toutes les variétés, toutes les nuances physiques, idéologiques, économiques du corps social considéré (3) ». Mais, outre les problèmes arithmétiques de répartition des sièges entre les listes selon le plus fort reste, la plus forte moyenne, la méthode d’Hondt ou le quotient rectifié, la proportionnelle comporte de grands inconvénients tels que susciter l’instabilité ministérielle, favoriser des coalitions gouvernementales précaires et renforcer les partis politiques. Un peu comme leurs prédécesseurs ultra-royalistes sous la Seconde Restauration qui, à leur corps défendant, acclimatèrent en France le régime parlementaire anglomorphe alors qu’ils se présentaient en chantres de l’Ancien Régime (magnifique exemple d’hétérotélie historique), Emmanuel Ratier, Jérôme Bourbon et d’autres défendent avec passion le scrutin proportionnel afin que leur famille politique puisse être représentée à l’Assemblée nationale. Cependant, « il serait inexact de tenir le système proportionnel pour plus démocratique que d’autres, souligne Carl Schmitt. Les divisions qu’il introduit ne sont certes pas territoriales mais elles n’en traversent que plus fortement l’État entier (4) ».

 

Ce dysfonctionnement majeur a été perçu par un autre observateur attentif de l’Occident, Alexandre Soljénitsyne. De son exil forestier du Vermont, il soulignait que « les élections à la proportionnelle avec scrutin de liste renforcent exagérément le pouvoir des instances des partis, qui constituent les listes de candidats, l’avantage allant alors aux grands partis organisés (5) ». Du fait de son principe qui ne peut  concevoir que des listes, la proportionnelle avantage la partitocratie et la forme partisane avec une nette prédilection pour des candidats médiocres et serviles envers leur direction. Le révolutionnaire conservateur allemand et le dissident russe avaient compris que « ce sont […] les partis qui règnent au sein du Parlement en faisant et défaisant les majorités et les gouvernements sans tenir compte de l’opinion publique. Le régime des partis c’est également et surtout l’irresponsabilité des partis d’où la crise qu’ils provoquent dans le fonctionnement du régime parlementaire (6) ». Profondément partitocratique, la proportionnelle attise les coteries personnelles et attire les groupes de pression.

 

Il est néanmoins vrai qu’en France, le système partitocratique a su proliférer et s’implanter grâce au scrutin majoritaire. Est-ce pour autant une raison pour instituer une représentation proportionnelle ? Le raisonnement dans ces circonstances repose souvent sur une démonstration binaire et franchement manichéen. D’autres solutions existent pourtant au-delà des scrutins majoritaire à deux tours et proportionnel. Citons par exemple le vote préférentiel, le scrutin proportionnel à deux tours en vigueur aux élections municipales et régionales, le système proportionnel personnalisé allemand, le vote alternatif ou préférentiel appliqué en Australie ou le vote unique transférable en cours en Irlande et que les libéraux-démocrates britanniques ont tenté d’introduire sans succès à la Chambre des Communes. Ce mode de scrutin original assure à chaque parti « une représentation proportionnelle à sa force réelle et les électeurs ont élu les candidats de leur choix (7) ».

 

Mais tous ces systèmes électoraux entérinent l’existence des partis politiques. Or ce sont ces nuisances politiciennes qui perturbent par leur présence même l’ordre de la Cité. Ne faut-il pas dès lors envisager une alternative démocratique impartiale, c’est-à-dire sans la présence parasitaire et nocive de formations politiques, électorales ou politiciennes ? N’est-il pas temps de s’extraire des schémas vieillots, carrément obsolètes même, de la « représentation nationale » et d’abandonner le système représentatif ?

 

En effet, plutôt que de soutenir la proportionnelle, œuvrons en faveur d’une démocratie post-moderne. Ses fondements en seraient l’interdiction effective des partis politiques (comme en Iran), la généralisation de la pratique référendaire à chaque échelon administratif territorial avec des choix autres que les habituels « oui » ou « non » (des projets plutôt) – plus loin donc que la Suisse -, la révocation et le mandat impératif pour les magistrats (les exécutants gouvernementaux des décisions populaires), l’instauration du vote parental (8) et l’introduction massive du tirage au sort (embryon de clérocratie).

 

Imaginée par François Amanrich, président du Mouvement des clérocrates de France, la clérocratie est une solution d’avenir souhaitable dont les effets – hasardeux – seraient préférables à l’actuel système électif avec ses candidats pré-sélectionnés par les appareils militants pour leur obéissance, leur naïveté et leur avidité au gain (9). Les partis politiques ne servent à rien, faisons plutôt confiance aux aspirations du peuple incarné par ses citoyens. À la condition bien sûr qu’on entende par « citoyen » « l’enfant né de parents tous deux citoyens (10) ».


Georges Feltin-Tracol


Notes

1 : « Histoire non-conformiste de l’élection présidentielle » à « Méridien Zéro », le 19 février 2012, animée par le Lieutenant Sturm et Pascal G. Lassalle en compagnie d’Emmanuel Ratier et de Georges Feltin-Tracol. Le passage évoqué débute vers la vingt-cinquième minute.

2 : Jean-Marie Cotteret et Claude Emeri, Les systèmes électoraux, P.U.F., coll. « Que sais-je ? », n° 1382, Paris, 1983, p. 55.

3 : Id., p. 56.

4 : Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, P.U.F., coll. « Léviathan », 1993, p. 378.

5 : Alexandre Soljénitsyne, Comment réaménager notre Russie ? Réflexions dans la mesure de mes forces, Fayard, Paris, 1990, p. 76.

6 : Gwénaël Le Brazidec, René Capitant, Carl Schmitt : crise et réforme du parlementarisme. De Weimar à la Cinquième République, L’Harmattan, coll. « Logiques juridiques », Paris, 1998, p. 133.

7 : Jean-Marie Cotteret et Claude Emeri, op. cit., p. 80.

8 : cf. Frederico Fubini et Danilo Taino, « Et si l’on accordait le droit de vote aux enfants ? », Corriere della Sera, repris dans Courrier international du 8 au 14 décembre 2011. Sur l’histoire du vote parental (ou familial), on peut se reporter – avec précaution car hostile à cette véritable idée d’avant-garde – à Jean-Yves Le Naour (avec Catherine Valenti), La famille doit voter. Le suffrage familial contre le vote individuel, Hachette, Paris, 2005. L’Autriche a abaissé le droit de vote à 16 ans et ces jeunes nouveaux électeurs apprécient beaucoup le parti populiste F.P.Ö.

9 : Le tirage au sort comme mode de désignation commence à être examiné avec attention par des juristes, des journalistes et des citoyens. Outre Georges Feltin-Tracol, « Plus loin que Simone Weil » et « La clérocratie comme alternative politique » dans Orientations rebelles (Les Éditions d’Héligoland, 2009) et Étienne Chouard (cf. son site <http://etienne.chouard.free.fr/> et son texte « Tirage au sort ou élection ? Démocratie ou aristocratie ? Qui est légitime pour faire ce choix de société ? Le peuple lui-même ou ses élus ? » repris par Polémia, le 29 avril 2012), un « grand » quotidien vespéral a évoqué cette idée révolutionnaire radicale à la fois traditionnelle et post-moderne dans ses pages intérieures : Pierre Barthélémy, « Et si on tirait au sort nos députés ? », Le Monde, 24 mars 2012, et Pierre Mercklé, « La démocratie au hasard », Le Monde, 28 avril 2012.

Dans son article d’improbablologie et en s’appuyant sur un modèle de calcul inspiré de la physique statistique, Pierre Barthélémy explique qu’une « Chambre aléatoire à 100 % est un échec retentissant. Certes, les projets de loi adoptés profitent tous au plus grand nombre, mais les 500 députés virtuels par ce modèle sont tellement indépendants les uns des autres que la plupart des textes n’obtiennent pas la majorité suffisante pour être votés ! Efficacité presque nulle ». Preuve rationnelle que la clérocratie est incompatible avec le système représentatif.

10 : Aristote, La politique, Vrin, introduit et traduit par J. Tricot, Paris,  1995, III, 2, p. 172.


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