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dimanche, 24 février 2013

Les orientations en politique étrangère d’Obama, Kerry et Hagel

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Alexander FRISCH:

Etats-Unis: le vent tourne-t-il?

Les orientations en politique étrangère d’Obama, Kerry et Hagel

 

Dans le discours qu’il a tenu lors de sa prestation de serment, Barack Obama n’a évoqué le rôle futur des Etats-Unis dans le monde que de manière assez marginale. Ses propos concernaient bien davantage les questions de politique intérieure, surtout la politique sociale et le marché du travail. C’est son intérêt pour ces questions-là qui lui ont permis d’emporter un deuxième mandat à la présidence au cours des dernières semaines de la campagne électorale. De nombreux observateurs partent du principe que la politique extérieure des Etats-Unis sera nettement moins agressive et interventionniste dans les prochaines années. Le contraire de ce que le monde a subi au cours des quinze ans qui viennent de s’écouler...

 

Dans un article substantiel paru récemment dans les colonnes du “Neue Zürcher Zeitung” (NZZ) suisse, les Etats-Unis seraient en train de dresser le bilan de leurs intérêts stratégiques, de réorienter leur politique et de ne plus se considérer comme les policiers du monde. Les signes avant-coureurs de cette réorientation générale serait, d’une part, le retrait progressif des troupes américaines d’Afghanistan, d’autre part, leur attitude modérée face à l’opération militaire montée par la France au Mali. Dans l’article du NZZ, on peut lire: “Par leur passivité face à l’intervention française au Mali, les Américains semblent signaler qu’ils montreront dans le futur plus de prudence avant de se laisser entraîner dans une guerre”. Et: “Ce qui est nouveau aussi, c’est que les Etats-Unis se déclarent non compétents dans une mission que, récemment encore, ils auraient considéré comme partie intégrante de leur ‘guerre contre le terrorisme’ (...) Cette réticence reflèterait une nouvelle pensée, en train d’éclore à Washington: si d’autres pays estiment que l’enjeu est important, les Américains ne tireront plus les marrons du feu à leur place”.

 

Un ton différent face à Israël

 

Dans les faits, plusieurs indices semblent attester qu’Obama cherche désormais un ajustement à la politique étrangère de son pays, surtout qu’il a nommé deux hommes à des postes importants dans l’appareil qui règle les questions extérieures et la sécurité; ces hommes sont considérés comme raisonnables et moins enclins à favoriser les interventions militaires; ils parient davantage sur la diplomatie dans les relations internationales. John Kerry deviendrait le nouveau ministre américain des affaires étrangères et Chuck Hagel le ministre de la défense. Obama songe à imposer ce dernier envers et contre l’opposition des faucons néoconservateurs. Ceux-ci avaient déclenché un tir de barrage contre Hagel, surtout parce qu’il avait critiqué le “lobby juif” à Washington et l’influence trop prépondérante d’Israël dans les orientations de la politique extérieure américaine.

 

Obama a néanmoins soutenu Hagel, l’ancien vétéran du Vietnam, qui lui sert de conseiller dans le domaine des services secrets depuis 2010, surtout parce que ce dernier avait un avocat prestigieux en coulisses, le géopolitologue le plus en vue des Etats-Unis, Zbigniew Brzezinski. Brzezinski et plusieurs autres anciens conseillers des présidents antérieurs avaient publié une note ouverte, avant même qu’Obama ne se tournât vers Hagel. Dans ce texte, les auteurs disaient que Hagel, ancien sénateur républicain, était “un homme d’une intégrité inébranlable, d’une grande sagesse, qui avait servi son pays dans la guerre comme dans la paix de la manière la plus noble qui soit”. De même, Hagel recevait les louanges de onze généraux américains de haut rang qui le campaient comme un “dirigeant fort au Pentagone” et comme “une voix de modération et d’équilibre dans une époque qui a perdu tout équilibre”.

 

Quelques semaines auparavant, Brzezinski lui-même avait sévérement critiqué toutes les tentatives israéliennes d’inciter les Etats-Unis à lancer une guerre contre l’Iran et d’infléchir en ce sens belliqueux la politique de sécurité américaine. Brzezinski, l’ancien conseiller de Jimmy Carter, avait déclaré que Washington ne suivrait pas aveuglément Tel Aviv, si Israël se décidait à commettre une attaque unilatérale contre l’Iran. Aujourd’hui, Brzezinski est professeur de sciences politiques à la très célèbre Université John Hopkins à Washington. Si une attaque israélienne était perpétrée contre l’Iran, avant que la République islamique n’ait franchi la “ligne rouge” fixée par les Américains, il n’y aurait pas, selon Brzezinski, pour les Etats-Unis, “obligation immédiate de suivre Israël comme un âne stupide, ainsi que ce fut toujours le cas dans le passé”. Ensuite: “S’ils commençaient une guerre en pensant que les Etats-Unis entreraient automatiquement dans cette guerre à leur côté, alors, à mon avis, c’est un devoir d’ami de leur dire en toute clarté: ‘vous ne prendrez jamais de décisions à notre place, qui toucheraient à nos intérêts nationaux’. Ma conviction est la suivante: les Etats-Unis ont le droit de déterminer seuls la teneur de leur politique étrangère. Cette vision des choses sera certainement partagée par la plupart des Américains. Voilà pourquoi il est important de souligner ce point de vue en toute clarté, et il est d’autant plus valide que nous nous sentons responsables de la sécurité d’Israël”.

 

Défi dans le Pacifique

 

Chuck Hagel est un adepte de la “Doctrine Powell”, tout comme le ministre des affaires étrangères désigné, John Kerry. Cette doctrine avait été élaborée à l’époque de la guerre d’Irak de 1991, lorsque le futur ministre des affaires étrangères Colin Powell était commandant en chef des troupes terrestres américaines déployées dans la région du Golfe. D’après les principes de cette doctrine, les Etats-Unis ne peuvent commencer une guerre que pour défendre leur pays contre une menace, que s’ils ont à leur disposition des forces armées supérieures en nombre et en efficacité, que s’ils ont le soutien de l’opinion publique et que s’il existe un plan de désengagement précis. Sous le règne de George W. Bush, les Etats-Unis ont agi selon d’autres critères, y compris en Irak en 2003, où la “Doctrine Powell” a été remplacée par la “Doctrine Rumsfeld”.

 

Selon cette “Doctrine Rumsfeld”, les interventions militaires américaines sont licites si elles constituent un moyen de diffuser dans l’une ou l’autre région du monde la vision américaine de la démocratie. La question de la supériorité réelle et quantitative des forces engagées et celle d’un plan précis de désengagement, après la première phase de “pacification”, sont considérées comme secondaires, ce qui a pour effet que les interventions entraînent une présence de longue durée des troupes sur le terrain. Tant Hagel que Kerry refusent de telles aventures, ce qui ne signifie pas, soulignons-le, qu’une guerre contre l’Iran, par exemple, avec participation américaine, ne soit pas envisageable dans les prochaines années. Cette hypothèse est tout simplement un peu moins probable...

 

Un indice tend à prouver cette évolution possible de la politique extérieure américaine dans le futur proche: Ben Rhodes, conseiller d’Obama en matières de sécurité, a énoncé des pistes devant un parterre de correspondants de la presse étrangère; selon Ben Rhodes, le Président américain, pendant son deuxième mandat, voudrait surtout “éviter la production d’une bombe iranienne”, “créer un nouveau partenariat avec les Etats de l’espace du Pacifique”, “stabiliser les pays arabes” et prendre des mesures pour contrer les effets du changement climatique. D’après Rhodes, Obama, pendant son premier mandat, a voulu concentrer ses efforts à “gérer l’héritage” que lui avait laissé son prédécesseur George W. Bush. La guerre en Irak étant désormais terminée, le gros des troupes sera retiré d’Afghanistan d’ici 2014. Au même moment “se produira un grand tournant dans la politique extérieure américaine, en direction de la région asiatique”.

 

Le poids militaire et économique de la Chine, toujours croissant, influencerait considérablement les réflexions stratégiques de la Maison Blanche. Rhodes: “Nous avons des divergences d’intérêts mais cela ne doit pas nous conduire à l’inimitié”. Bon nombre d’alliés des Etats-Unis en Asie sont fortement préoccupés par la montée en puissance de la Chine. Pour cette raison, l’Amérique renforcera dans les années à venir son alliance avec le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et l’Australie. Et au conseiller d’Obama d’énoncer ses prévisions: “A la fin du deuxième mandat du Président, les Etats-Unis seront bien impliqués dans l’architecture sécuritaire de la région Asie/Pacifique. Nos économies seront plus étroitement imbriquées les unes dans les autres. Notre présence militaire s’orientera selon les désirs de nos partenaires et selon les défis qui se présenteront”.

 

Il ne nous reste plus qu’à attendre pour voir comment l’Amérique fera face aux défis qui surgiront dans l’espace du Pacifique et comment elle articulera sa politique étrangère face à la Chine. L’Empire du Milieu est devenu, au cours des dernières décennies, une puissance économique qui compte, entrant en conflit avec les Etats-Unis sur le théâtre du commerce international. Les Etats-Unis, par tradition, ont toujours opté pour l’idée de “libre marché” mais ils tentent désormais de défendre leur commerce en utilisant l’arme habituelle des tarifs douaniers, qu’ils feignent de haïr par ailleurs. Contre la Chine, ils font usage de cet artifice de manière d’ailleurs fort excessive. Si Beijing riposte en utilisant les mêmes armes, Washington considère aussitôt que cette façon de procéder est injuste et incorrecte et la décrie à hauts cris devant l’opinion publique internationale. Rétrospectivement, on peut dire que la Chine a toujours agi dans la plus parfaite correction, qu’elle n’a jamais cherché à défendre ses débouchés ailleurs dans le monde par la force des armes, qu’elle a toujours procédé par le biais de contrats équilibrés et de moyens pacifiques. Si l’Amérique optait pour des méthodes similaires, le monde s’en porterait mieux!

 

Alexander FRISCH.

(article paru dans DNZ, n°6/2013 – 1 février 2013).

 

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