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vendredi, 16 août 2013

Albert II et la fin de la haute finance belge

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Angélique VANDERSTRAETEN:

Albert II et la fin de la haute finance belge

Nous sommes en présence d’un paradoxe: sous le règne d’Albert II, le vieil établissement financier belge s’est effondré, alors que tous les souverains de la famille des Saxe-Cobourg en Belgique avaient été liés à ces cercles et avaient toujours entretenu de bons rapports avec eux!

Lors d’une émission de la VRT, “Ter Zake”, diffusée le jour où Albert II avait annoncé son intention d’abdiquer, Pierre-Alain de Smedt était dans le studio. Ce P.-A. de Smedt est parfaitement bilingue mais ses origines sont francophones et il fut le président de le FEB (“Fédération des Entreprises de Belgique”). Les images en disaient long. De Smedt avait la gorge serrée quand il évoquait le départ d’Albert II; il se remémorait des souvenirs d’antan, lorsque le chef de l’Etat n’était encore que le Prince Albert et participait à toutes sortes de missions économiques et commerciales.

Dans les années 70 et 80, le Prince Albert a noué d’excellents contacts avec le monde des entreprises. Le monde des affaires a été très longtemps un apanage francophone en Belgique. La famille régnante des Saxe-Cobourg était en prise directe avec la haute finance belge, avec Etienne Davignon, Maurice Lippens, la famille Solvay-Janssen-Boël, la famille Delhaize et toute une série de personnalités autour de la “Société Générale”. C’était eux qui portaient l’économie belge à bout de bras.

Les encouragements de la Cour au bon fonctionnemen de la haute finance sont connus. L’événement qui parle le plus à nos imaginations fut la reprise ratée de la “Société Générale” par les Néerlandais d’ABN Amro en 1997. L’établissement économique francophone a tout fait pour bloquer cette reprise, si bien que la “Société Générale” est tombée entre les mains du groupe Fortis de Maurice Lippens. On raconte que c’est Albert II lui-même qui aurait assuré les préparatifs de la reprise par Fortis et aurait téléphoné directement à plusieurs personnes pour empêcher tout contrôle par ABN Amro. Une fois l’affaire conclue, Maurice Lippens a été promu comte. C’est une rareté, dans un tel contexte, mais c’est à coup sûr une récompense pour services rendus.

En 2001, Albert II a soutenu l’initiative visant à sauver une partie des actions de la Sabena et à créer la compagnie aérienne SN Brussels Airlines. On a ainsi rassemblé 180 millions d’euros provenant des banques mais aussi de Solvay, d’Umicore, de l’UCB et de Suez-Tractebel. Ce coup fut vraiment la dernière convulsion de l’ancien régime belge. Depuis lors, le vieil établissement tenu en ultime instance par la haute finance s’est décomposé. En 2005, il a encore une dernière fois tenté de rouler les mécaniques, lorsque Herman de Bode, figure de proue du consultant McKinsey et membre de la boîte-à-penser “De Warande”, plaida pour une Flandre indépendante. Georges Jacobs de l’UCB (“Union Chimique Belge”), dinosaure de l’établissement financier belge, a réagi avec colère. Herman de Bode avait dû faire marche arrière.

Trois ans plus tard, avec l’effondrement de Fortis, la haute finance a reçu le coup de grâce. Pas seulement parce que bon nombre d’actionnaires ont perdu des millions au cours des tribulations de cette banque devenue mégalomane. La fin de Fortis signifiait aussi la fin de l’établissement rassemblé autour du duo Lippens-Davignon. Le réseau de la vieille aristocratie financière, où l’on maintenait tous les Flamands dehors parce qu’on les craignait, s’est désagrégé.

Ce qu’il en reste, ce sont des individus ou de petits groupes, des personnalités fortes de leur capital, certes, mais il n’y a plus, dans le lot, des figures capables de déterminer l’avenir économique de la Belgique. Ces personnalités viennent encore serrer quelques paluches au Palais mais leur toute-puissance a vécu. Le réseau autour de la famille Solvay a certes encore un rôle à jouer à Bruxelles et possède un lien qui l’unit encore à la Wallonie mais, quand on compare cette situation à celle du passé, la gloire s’est bel et bien envolée. Le financier wallon Albert Frère est désormais, depuis quelques années déjà, un investisseur français pur jus, avec ses deux bras droits, Ian Galienne (son beau-fils) et Gérard Lamarche.

Les liens qui liaient jadis ces milieux avec les riches cercles flamands des affaires sont plus ténus aujourd’hui qu’hier. Il existait une passerelle entre ce monde établi et la famille des armateurs flamands (mais francophones), les Saverys, ainsi qu’avec Luc Bertrand du groupe Ackermans & Van Haaren. Or ces derniers ont émis à plusieurs reprises, au cours des mois qui viennent de s’écouler, des avis sur les dysfonctionnements patents de la Belgique. Nicolas Saverys a déclaré, par exemple, qu’il quitterait la Belgique si le PS restait au pouvoir. Luc Bertrand évoquait un “gouvernement marxiste”. Il y a peu de temps, des contacts discrets existaient entre les principaux entrepreneurs flamands et la haute finance francophone: ils avaient pour but de ne pas émettre trop de critiques pour éviter toute déstabilisation supplémentaire de la Belgique. Aujourd’hui chacun fait à sa guise. Les grands entrepreneurs flamands, qui déclarent publiquement qu’ils en ont marre de la Belgique, ne sont plus rappelés à l’ordre.

Au bout des vingt ans de règne d’Albert II, le bilan de la haute finance belge s’avère très négatif. Au cours de ces dernières années, voire de ces dernières décennies, on a dû constater plus d’échecs que de bons résultats: la gestion désastreuse du Congo (via l’Union Minière), le déclin de la “Société Générale” en 1988 et, l’effondrement, vingt ans plus tard, de Fortis, etc. L’histoire retiendra les mésaventures d’une bande de faillis, de perdants, de “losers”.

Angélique VANDERSTRAETEN.

(article paru dans “ ’t Pallieterke”, Anvers, 10 juillet 2013).

 

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