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vendredi, 27 mars 2015

Les Grecs de la Mer Noire

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Erich Körner-Lakatos :

Les Grecs de la Mer Noire

Quand les Pontiki, les Grecs de la Mer Noire, rêvaient d’un Etat à eux

Vers les heures du midi, le 29 mai 1453 la Rome orientale, soit l’Empire byzantin, bascule définitivement dans le passé. La nuit précédente, l’Empereur Constantin XI Paléologue et ses sujets, Grecs et Latins réunis, avaient prié en commun dans Sainte-Sophie. Ensuite, chacun s’en est allé à son poste. Juste avant les premières lueurs de l’aube, les Turcs lancèrent leur attaque contre Constantinople, dernier bastion de l’ancien Empire byzantin. Cette « Polis », jadis très étendue, a été réduite à une population de 36.000 habitants. Pendant quelques petites heures, les défenseurs soutiennent l’assaut des janissaires puis, par une poterne de la muraille, ceux-ci parviennent à s’engouffrer dans la ville et à atteindre son centre. Les chrétiens succombent à la puissance musulmane. Les Ottomans sont sous le commandement de Mehmet II, qui vient de prendre le titre de « Mehmet le Grand », parce qu’il s’est rendu maître de la capitale byzantine.

La métropole est tombée mais quelques restes épars de l’ancien Empire byzantin continuent à se défendre bec et ongles contre les fidèles de Mohammed. D’une part nous avons la Morée byzantine dans le Péloponnèse qui résistera pendant six ans sous le commandement de Demetrios, un frère du dernier empereur. D’autre part, deux Etats du Pont Euxin (la Mer Noire), peuplé de Grecs dits « pontiques » (Pontiki), résistent aussi : Trébizonde et Theodoros.  A l’est du littoral méridional de la Mer Noire se trouve l’Empire de Trébizonde, qui existe depuis 1204, l’année où les chevaliers catholiques de la Quatrième Croisade ont pris Constantinople et l’ont pillée. L’Empire grec-byzantin survit alors en exil à Nicée et autour de cette vieille Cité grecque d’Asie Mineure. L’Empire de Trébizonde, lui, va tenir jusqu’en 1461. Le dernier empereur de Trébizonde, David Comnène (Komnenos) sera exécuté le 1 novembre 1463.

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La principauté de Theodoros se trouvait en Crimée, dans l’arrière-pays d’un littoral alors dominé par les Génois qui tenaient le port de Caffa (Theodosia pour les Grecs, Feodossia pour les Russes aujourd’hui). Cette principauté s’était constituée au 13ème siècle comme partie de la région byzantine de Cherson en Crimée, qui ne sera jamais une colonie génoise. Elle fut toujours étroitement liée à l’Empire de Trébizonde. Les habitants de Theodoros étaient un mélange de Grecs, de Goths de Crimée (qui parlaient toujours leur langue germanique), d’Alains et de Karaïmes (variante très particulière du judaïsme). Tous cependant se servaient du grec comme langue véhiculaire et avaient adopté la religion grecque-orthodoxe.

En mai 1475, les Ottomans prennent la ville de Caffa et chassent définitivement les Génois de la Crimée. Le tour de la principauté de Theodoros est venu : le Grand Vizir ottoman, commandant de l’armée, Ahmed Pacha, entame le siège de la capitale Mangup qui durera six mois. Les défenseurs ne capitulent qu’en décembre 1475. Ce morceau byzantin de la Crimée sera le dernier territoire indépendant qui relevait de l’Empire. Alexandre, le dernier Prince de Theodoros, appartenait à la dynastie grecque-arménienne des Gabras. Son sort sera pitoyable : il sera réduit en esclavage et mourra prisonnier à Constantinople.

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Revenons au 20ème siècle. Pendant la première guerre mondiale, les Français font distribuer en secret dans toute l’Anatolie des cartes d’une future République Pontique ou République du Pont. Les Grecs pontiques, habitants du littoral méridional de la Mer Noire se soulèvent en mai 1919. Au même moment, les puissances de l’Entente donnent le feu vert au premier ministre grec Eleftherios Venizelos pour qu’il envahisse l’Anatolie : il ne se passe pas un mois pour que les troupes grecques débarquent à Smyrne. D’autres puissances européennes débarquent également des troupes en Asie Mineure : les Italiens à Adalia (aujourd’hui Antalya) et les Français plus à l’est, en Cilicie. Tous veulent un morceau aussi gros que possible du gâteau anatolien.

Les Grecs pontiques descendent de la population de l’Empire de Trébizonde. Les insurgés de mai 1919 réclament la création d’un Etat grec pontique. Leur métropole, la ville portuaire de Trébizonde n’est pourtant pas habitée que par des Grecs pontiques ; il y a aussi des Arméniens et ceux-ci réclament la ville pour que la future Grande Arménie, dont ils rêvent, puisse disposer d’une fenêtre sur la Mer Noire. Venizelos déclare devant le Parlement d’Athènes qu’il ne voit aucun inconvénient à ce que la future Arménie prenne Trébizonde. Ilkomonos, Président de la Ligue nationale du Pont, déçu, critiquera sévèrement la Grèce pour cet abandon. L’Etat des Grecs du Pont ne sera qu’un rêve et une ébauche : il n’existera jamais, d’abord parce que Trébizonde et toute la région du Pont ont été attribués à la République d’Arménie lors du Traité de Sèvres en 1920. Ce sera un autre plan non réalisé : à la fin de l’année 1920, les troupes nationalistes turques battent et repoussent les Arméniens. Le rêve des Grecs du littoral méridional de la Mer Noire s’évanouit définitivement. Pire : le Traité de Lausanne de 1923, dont les clauses sont plus favorables aux Turcs que celles du Traité de Sèvres, prévoit un échange de population entre la Grèce et la Turquie. Après avoir vécu pendant plus de 3000 ans dans la région, les Grecs orthodoxes du Pont sont contraints de quitter leur pays. 300.000 d’entre eux sont évacués de force vers la Grèce, où la population autochtone ne les accueille pas de manière amicale parce qu’ils parlent un dialecte jugé bizarre et qu’on les prend pour des « demi-Turcs ».

Aujourd’hui encore, existent de par le monde des associations de Grecs pontiques qui se donnent pour but de cultiver leur héritage culturel.

Erich Körner-Lakatos.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°10/2015, http://www.zurzeit.at ).

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La « Megali Idea »

« Megali idea », la « Grande Idée », pour les Grecs, est l’union de toutes les régions peuplées de Grecs ethniques, la création d’une très grande Grèce. Cette idée s’est développée à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème : à cette époque, le Royaume de Grèce, qui, au départ, en 1832, ne comprenait qu’une infime partie des terres habitées par des Hellènes, s’était agrandi. En 1864, les Iles ioniennes autour de Corfou se joignent au royaume. En 1881, c’est au tour de la Thessalie. En 1913, les Grecs héritent de la Crète et de la Macédoine. Lors des traités de la région parisienne de 1919, le premier ministre grec Venizelos réclame l’annexion de toute la Thrace, y compris Constantinople, qui ne serait plus la capitale ottomane d’Istanbul. Constantinople serait reconquise, rêve de tous les patriotes grecs. Venizelos demande aussi le retour à la mère –patrie de toutes les îles de l’Egée, la région de Smyrne sur la côte occidentale de l’Anatolie jusqu’à l’actuelle Antalya, une bande territoriale de 400 km de long et de 50 km de profondeur sur la côte méridionale de la Mer Noire (le territoire peuplé de Grecs pontiques) et, enfin, Chypre.

Le Traité de Sèvres ne satisfait pas les Grecs. Ils reçoivent certes toute la Thrace, sauf Istanbul. Egalement les îles de l’Egée, à l’exception de l’archipel du Dodécanèse, autour de Rhodes, donné à l’Italie, et la région de Smyrne. Le littoral méridional de la Mer Noire reste turc. Les Anglais ne cèdent évidemment pas Chypre, car l’île est un élément stratégiquement trop important sur la route des Indes. Après l’échec de leur campagne d’Anatolie et le Traité de Paix de Lausanne, les Grecs perdent la Thrace orientale et la région de Smyrne. La « Megali idea » appartenait au passé.

EKL.

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