dimanche, 19 novembre 2017
Terrorisme: l’impossible définition
Terrorisme: l’impossible définition
par François-Bernard Huyghe
Ex: http://www.huyghe.fr
Quiconque a assisté à un colloque sur le terrorisme connaît la scène. Au moment des questions, quelqu'un se lève pour en dénoncer les causes globales - misère, inégalité, intolérance, exclusion, etc. -. Un autre ajoute aussitôt qu'il faudrait s'accorder sur une vraie définition du terrorisme.
Une étude presque trentenaire comptabilisait 202 de ces définitions. Celle que nous ajouterions (plutôt "technique" : la pratique de l'attentat politique, symbolique et spectaculaire) ne clorait pas le débat. Mais, si nous ne sommes guère partisans du substantif "terrorisme", l'adjectif (terroriste) peut légitimement distinguer un groupe, une méthode, un acteur, etc.
Faute de consensus sur la terminologie exacte, il importe surtout de savoir ce qui ne relève pas du terrorisme, et surtout ce qui décide de son succès, sa durée ou sa disparition. Car, après-tout l'action terroriste, moyen au service d'une fin, recherche une victoire au moins symbolique.
Métamorphoses terroristes
Certes, l'assassinat politique, la révolte. le régicide et le tyrannicide (déjà approuvé par Platon) ont quelque siècles, comme le massacre d'innocents, les tueries systématiques et, plus généralement, toute horreur pouvant provoquer l'épouvante dans l'autre camp (terror, qui littéralement fait trembler). Mais, il faut attendre la Terreur avec majuscule pour que la terreur avec minuscule gagne sa désinence en "isme". Le "terrorisme" (tout comme "propagande" au sens politique) apparaît dans les dictionnaires, d'abord français en 1793, en référence à la terreur révolutionnaire d'État, celle qui fait trembler les opposants, celle qui coupe les têtes que la République n'a pu gagner. C'est la terreur "d'en haut", pratiquée par un appareil répressif public. Bien plus tardivement apparaît un terrorisme "d'en bas", ou plutôt des terrorismes, violence des individus ou de petits groupes contre le pouvoir, d'abord en Russie à la fin du XIX° siècle (le terme s'applique aux attentats d'abord dits nihilistes ou populistes), avant que le mot s'impose en français, entre deux guerres et ne remplace la notion des "crimes anarchistes".
Le terrorisme "d'en bas", le seul dont nous traiterons ici, celui du révolté, du révolutionnaire et bientôt du séparatiste ou indépendantiste, reflète d'abord un manque et une faiblesse : il utilise dans une première phase des pistolets et des bombes, en jouant la clandestinité et la surprise, faute de pouvoir aligner des foules et des mitrailleuses dans la rue. Il traduit aussi une impatience - frapper les représentants de la tyrannie avant que les masses aient développé une conscience et se soient révoltées, et, comme le reprocheront beaucoup les bolcheviks à leurs concurrents socialistes révolutionnaires, sans attendre que les "conditions objectives" soient réunies.
Au cours de la seconde guerre mondiale - où les résistants sont qualifiés de terroristes par les occupants- puis juste après, lorsque les chefs des mouvements anticolonialistes commencent par l'action armée clandestine avant que leurs chefs accèdent parfois à la la présidence d'un nouveau pays indépendant, la question se pose autrement. De Gaulle ou Mandela furent en leur temps considérés comme chefs terroristes. Yasser Arafat et Menahem Begin prix Nobel de la Paix furent assimilés à des poseurs de bombes avant de devenir des symboles de tolérance et de dialogue. Hier criminel, demain allié, admis dans les couloirs des Nations unies, l'ex terroriste mérite un traitement à part.
Il est tentant de distinguer en fonction de la cause ; il y aurait des terroristes criminels par essence d'une part et d'autre part d'authentiques insurgés, résistants et combattants de la liberté - contraints de lutter contre l'oppression et n'ayant d'autre moyen de protestation que les armes ; ils le feraient donc par nécessité et pour rétablir la démocratie. Ce distinguo est fort pratique, car il permet de faire passer une organisation de la catégorie criminelle à celle des partisans ou des freedom fighters, comme l'UCK kosovare lorsque l'Otan commença à bombarder la Serbie de Milosevic.
Une étude presque trentenaire comptabilisait 202 de ces définitions. Celle que nous ajouterions (plutôt "technique" : la pratique de l'attentat politique, symbolique et spectaculaire) ne clorait pas le débat. Mais, si nous ne sommes guère partisans du substantif "terrorisme", l'adjectif (terroriste) peut légitimement distinguer un groupe, une méthode, un acteur, etc.
Faute de consensus sur la terminologie exacte, il importe surtout de savoir ce qui ne relève pas du terrorisme, et surtout ce qui décide de son succès, sa durée ou sa disparition. Car, après-tout l'action terroriste, moyen au service d'une fin, recherche une victoire au moins symbolique.
Métamorphoses terroristes
Certes, l'assassinat politique, la révolte. le régicide et le tyrannicide (déjà approuvé par Platon) ont quelque siècles, comme le massacre d'innocents, les tueries systématiques et, plus généralement, toute horreur pouvant provoquer l'épouvante dans l'autre camp (terror, qui littéralement fait trembler). Mais, il faut attendre la Terreur avec majuscule pour que la terreur avec minuscule gagne sa désinence en "isme". Le "terrorisme" (tout comme "propagande" au sens politique) apparaît dans les dictionnaires, d'abord français en 1793, en référence à la terreur révolutionnaire d'État, celle qui fait trembler les opposants, celle qui coupe les têtes que la République n'a pu gagner. C'est la terreur "d'en haut", pratiquée par un appareil répressif public. Bien plus tardivement apparaît un terrorisme "d'en bas", ou plutôt des terrorismes, violence des individus ou de petits groupes contre le pouvoir, d'abord en Russie à la fin du XIX° siècle (le terme s'applique aux attentats d'abord dits nihilistes ou populistes), avant que le mot s'impose en français, entre deux guerres et ne remplace la notion des "crimes anarchistes".
Le terrorisme "d'en bas", le seul dont nous traiterons ici, celui du révolté, du révolutionnaire et bientôt du séparatiste ou indépendantiste, reflète d'abord un manque et une faiblesse : il utilise dans une première phase des pistolets et des bombes, en jouant la clandestinité et la surprise, faute de pouvoir aligner des foules et des mitrailleuses dans la rue. Il traduit aussi une impatience - frapper les représentants de la tyrannie avant que les masses aient développé une conscience et se soient révoltées, et, comme le reprocheront beaucoup les bolcheviks à leurs concurrents socialistes révolutionnaires, sans attendre que les "conditions objectives" soient réunies.
Au cours de la seconde guerre mondiale - où les résistants sont qualifiés de terroristes par les occupants- puis juste après, lorsque les chefs des mouvements anticolonialistes commencent par l'action armée clandestine avant que leurs chefs accèdent parfois à la la présidence d'un nouveau pays indépendant, la question se pose autrement. De Gaulle ou Mandela furent en leur temps considérés comme chefs terroristes. Yasser Arafat et Menahem Begin prix Nobel de la Paix furent assimilés à des poseurs de bombes avant de devenir des symboles de tolérance et de dialogue. Hier criminel, demain allié, admis dans les couloirs des Nations unies, l'ex terroriste mérite un traitement à part.
Il est tentant de distinguer en fonction de la cause ; il y aurait des terroristes criminels par essence d'une part et d'autre part d'authentiques insurgés, résistants et combattants de la liberté - contraints de lutter contre l'oppression et n'ayant d'autre moyen de protestation que les armes ; ils le feraient donc par nécessité et pour rétablir la démocratie. Ce distinguo est fort pratique, car il permet de faire passer une organisation de la catégorie criminelle à celle des partisans ou des freedom fighters, comme l'UCK kosovare lorsque l'Otan commença à bombarder la Serbie de Milosevic.
Mais si l'on met de côté la question du jugement moral ou politique sur l'acte terroriste, il faut bien constater qu'il sert les causes les plus contradictoires. Le terrorisme (attentat) se pratique pour détruire l'État (anarchistes, nihilistes...), pour se séparer de l'État (nationalistes, indépendantistes ou anticolonialistes), pour contraindre l'État (à libérer un prisonnier, à cesser d'aider un pays...), pour le provoquer par le chaos (comme les attentats "aveugles" des années de plomb italiennes que l'on nomme là-bas "strage di Stato", massacres d'Etat) mais aussi pour des justifications liées à l'écologie, au racisme, à la défense des animaux, à l'attente de l'Apocalypse... Et, bien sûr, au règne de Dieu.
Outre le critère de finalité, beaucoup insistent sur le fait que l'acte terroriste touche des victimes "innocentes" ce qui implique a contrario que frapper des coupables relèverait de la légitime révolte. Mais qui est coupable de quoi et qui en juge ? Pour certains, même un soldat est une cible illégitime dès lors qu'il n'est pas en armes ou prêt au combat. Pour d'autres une femme ou enfant, un civil qui passe est "coupable" pour peu qu'il paie des impôts, puisse devenir ou engendrer un jour un soldat : il participe du système oppressif ou impie. On est toujours le coupable de quelqu'un et le complice de quelque chose : "aucun bourgeois n'est innocent" disait l'anarchiste Henry en lançant sa bombe sur le café Terminus. Tous les non jihadistes sont criminels, rappelle le discours de l'État islamique. La question de la juste fin juste renvoie à celle de la force juste.
Violences, visions et stratégies
Ici intervient un problème de perspective. Du point de vue de l'État ou des organisations internationales, le terroriste lance une attaque criminelle : il vise en cercles concentriques contre le gouvernement, les autorités et les forces de l'ordre et les fonctionnaires, les élites, les représentant de la classe, de l'ethnie, de la religion au pouvoir, les partisans de l'ordre établi, voire par extensions contre un citoyen lambda. Et il le fait de son initiative, sans être mandaté par une autorité élue ou sans représenter un peuple souverain (comme un armée, une police, une résistance...), il agit pour paniquer et contraindre.
Mais pour le terroriste, c'est la violence de l'autre qui est première : il ne ferait que riposter à une domination, à une occupation à une persécution. L'action terroriste est un crime qui se pense comme châtiment : elle s'adresse toujours à un État, ou à un groupe dénoncé comme agresseur, si bien que c'est celui qui réprime qui serait le "vrai terroriste". À la légalité formelle - la loi qui interdit de poser des bombes - le terroriste oppose une légitimité supérieure : il se réclame de la Nation occupée, de la classe dominée ou de la religion pure, il est l'instrument d'une justice plus haute. Il punit et dit souvent exécuter une sentence ou constituer un tribunal (éventuellement "révolutionnaire"). Pas de mouvement terroriste qui ne prétende tirer sa légitimité d'une injustice, venger des victimes et parler au nom d'une communauté plus large que la communauté combattante : elle "représente" les patriotes, le pays réel, les prolétaires, les colonisés, l'Oumma... Les masses suivront : il faut leur faire comprendre.
Une troisième façon de délimiter le champ du terrorisme le situerait par rapport à d'autres formes de violence politique suivant des critères stratégiques :
Ce n'est pas la guerre en ce sens que la partie dite terroriste au conflit n'a ni État, ni armée pour la faire, ni possibilité de signer une paix qui s'inscrirait dans l'Histoire. Cela n'empêche pas que l'on veuille parfois "faire la guerre" au terrorisme comme G.W. Bush et François Hollande. On a même vu des terroristes participer à des "négociations" ou réconciliations, mais précisément, à la seconde où ils s'assoient à la table, ils cessent d'être réputés terroristes et deviennent "les représentants de l'insurrection" ou "la partie adverse". De leur côté, les partisans de l'attentat aiment souvent se désigner comme armée révolutionnaire ou armée secrète, avant-garde armée, résistance armée, soldats de Dieu, etc. Ils sont fiers de pratiquer la "guerre du pauvre", celle des gens qui n'ont ni avions ni canons, ne sortent pas en uniforme. Mais, là encore, au moment où un mouvement dit terroriste commence à occuper des zones territoriales, à gérer un appareil administratif et à défiler avec des drapeaux, il a franchi le stade purement terroriste et ouvre celui de la guerre civile. Le califat qui bat monnaie et lève l'impôt n'est plus exactement un groupuscule sur son territoire. D'où, par exemple, l'embarras du gouvernement qui dit que nous sommes en guerre ou subissons des actes de guerre, qui les bombarde "chez eux", mais qui est incapable de nous dire comment faire la guerre en France : il n'y a ni envahisseurs en uniforme à repousser, ni, comme autrefois au Liban, de quartiers entiers occupés par des milices bien visibles. La guerre donne au citoyen le droit de tuer légitimement une ennemi "public" (et non à titre "privé"), mais qui en l'occurrence?
Ce n'est pas non plus la guérilla ou la guerre de partisan. La guérillero, "à la campagne" et harassant des soldats ou des autorités locales, ne fait pas -stratégiquement parlant- comme le terroriste qui passe de la clandestinité à l'action brusque, commet des attentats dans les villes, et vise davantage suivant le mot de Raymond Aron à un effet psychologique qu'à un effet militaire.
Ce n'est pas une guerre civile, celle qui suppose l'hostilité de tous contre tous au sein de la Cité ; c'est une méthodes d'avant-gardes qui, se prétendent plus conscientes que le peuple (ou que les minorités opprimés ou que la masse des musulmans). Ce n'est pas non plus l'émeute. Dresser des barricades n'est pas la même chose que poser une bombe.
Ce n'est pas un "simple" massacre, au moins aux États-Unis où l'on tend à appeler "massacre de masse" des tueries dont la motivation idéologique est évidente mais que l'on préfère dire "motivés par la haine" . Ainsi, lorsqu'un blanc tire sur des noirs dans une église à Charleston, ou lorsque qu'un noir tire sur des policiers à Dallas, pour "tuer des blancs", les autorités commencent par exclure la qualification terroriste au profit de l'acte "de haine". Rhétoriques d'évitement assez subtiles qui rappellent celle des commentaires expliquant en France que des gens qui tuent en criant "Allah Akbar" ne sont pas forcément terroristes puisqu'ils sont déséquilibrés (la preuve : ils tuent).
Tout ces distinctions byzantines s'éclairent si l'on songe que le même courant politique peut pratiquer simultanément ou successivement diverses formes de violence. Il théorise avant de terroriser. Ainsi Daech pratique à la fois la "vraie" guerre en Irak et en Syrie où il prétend avoir créé un État, anime ou inspire des mouvements d'insurrection et de guérilla dans le Sahel, au Mali, etc., envoie des commandos (comme celui du 13 novembre 2015) exécuter des opérations extérieures, encourage un terrorisme plus ou moins spontané en recommandant aux croyants de prendre des pierres et des couteaux ou des véhicules pour attaquer près de chez eux, etc. Le tout sous l'étiquette englobante de djihad. Dans un tout autre genre, et sans amalgame, un mouvement politique peut avoir, comme les indépendantistes basques un bras armé et une façade politique légale, etc. Bref le terrorisme se prête à des stratégies hybrides et changeantes. Cette forme de violence se veut provisoire et qui vise, paradoxalement, à sa propre disparition, en vertu du principe que ce n'est qu'une étape en attendant un vraie mobilisation des masses, la constitution d'une vraie armée, une vraie révolution...
Action et message
De tout ce qui précède, il ressort qu'il n'y a pas un terrorisme en soi, ni comme doctrine (au sens où l'on parle du bouddhisme, du marxisme, de l'existentialisme...), ni comme système permanent (tel le capitalisme ou le protectionnisme). En revanche, il y a des stratégies, intégrant la terreur et servant des buts divergents : pas de terrorisme sans passage à l'acte et sans recherche d'un dommage grave, souvent létal, mais cette action reste de l'ordre des moyens.
Mais moyens de quoi ? Par analogie avec la guerre au sens de Clausewitz, c'est "un acte de violence dont l'objet est de contraindre l'adversaire à se plier à notre volonté" mais sans les appareils militaires. Des législations caractérisent le terrorisme par la coercition ou la contrainte qu'il cherche à exercer sur un peuple ou son gouvernement. Son message de revendication dit souvent : nous sommes l'organisation Untel, nous poursuivons tel objectif proche (élargissement d'un prisonnier politique, abandon de tel décret) ou lointain (comme une société parfaite), nous allons continuer jusqu'à ce que vous cessiez de nous bombarder ou de nous réprimer, jusqu'à ce que vous libériez nos camarades, jusqu'à ce que disparaisse votre système odieux, etc.
L'équation dommage / menace / résultat, ne doit pourtant pas occulter le principal : l'action terroriste vise à faire comprendre quelque chose (suivant la formule : poudre plus encre, tuerie de masse plus réseau social...), donc à symboliser un rapport de force. Il s'agit de convaincre pour vaincre. D'où un message terroriste à décrypter.
Il arrive, du reste, que des groupes se dispensent de revendication explicite (tel al Qaïda qui estimait que la destruction des Twin Towers était un acte plus éloquent que n'importe quel discours, tant sa dimension emblématique était évidente). D'autre part, ils ne s'adressent pas seulement à leurs adversaires et pas que pour proposer l'alternative "cédez ou ce sera pire".
Ils ont énormément à raconter et cherchent autant à séduire ceux qu'ils appellent à rejoindre leur camp qu'à affaiblir les forces matérielles et surtout morales de leurs ennemis. La notion de "propagande par le fait", la théâtralité du terrorisme comme spectacle ou la phrase "les terroristes ne veulent pas que beaucoup de gens meurent, ils veulent que beaucoup de gens regardent" reflètent cette réalité.
Tout acte terroriste est publicitaire en ce qu'il cherche à attirer une attention maximale, et symbolique parce que, quand il frappe un homme (ou éventuellement, un bâtiment, un monument, etc.), la cible touchée est sensée être représenter une idée plus vaste qu'elle-même. La victime est là comme signifiant d'un signifié détesté : un fonctionnaire pour l'État, un policier pour la Répression, un banquier pour le Capitalisme, un juif pour les crimes sionistes, les Twin Towers pour l'orgueil idolâtre de l'Amérique, un jeune qui assiste à un concert pour Paris capitale de l'iniquité, un contribuable pour le gouvernement qui bombarde le califat, un passant devant une mosquée pour les chiites hypocrites complices de l'Iran et ainsi de suite.
Quand part la balle ou explose la bombe, le terroriste a déjà trouvé sa récompense et son sens : il a exprimé qu'il vengeait un tort et témoigné devant l'histoire que des hommes se sont dressés contre la force et l'injustice.
Dans un second temps, le spectacle terroriste gagne encore plus d'audience et d'impact par la réaction même de la cible. Les médias qu'il juge vendus au système ennemi mais sur qui il exerce un effet judo, le servent objectivement : ils amplifient l'écho de l'acte et avec lui le sentiment qu'a chacun de pouvoir être menacé demain. Ces médias sont obligés d'en expliquer les motivations, ils spéculent sur de futures attaques et augmentent l'effet d'attente. Quand aux autorités, elles peuvent elles-mêmes aggraver l'impact de l'attentat par des mesures d'exception, des déclarations alarmistes, en suscitant des réflexes de solidarité des populations visées. Et si elles se livrent à une répression indistincte, cela revient aux yeux des terroriste à révéler leur "vrai visage" et à obliger chacun à choisir son camp, le vieux cycle provocation répression solidarité.
Transmettre par la violence
Ce que le terroriste est en mesure communiquer dans l'espace et de transmettre dans le temps a un effet à plus long terme.
Il arrive qu'il possède ses propres médias, ses propres réseaux comme Daech avec ses revues multilingues, ses agences de presse, des chaînes de diffusion Web 2.0. De là, une nouvelle capacité de recruter, de donner l'exemple, de provoquer des contagions d'idées et d'action. La technique de communication est fondamentale : chaque phase de l'histoire du terrorisme correspond à un média dominant : presse à imprimer (celle des quotidiens, mais aussi celle que l'on cache dans une cave pour imprimer des brûlots), radio à l'époque des mouvements séparatistes ou anticolonialistes, télévision internationale à l'époque du terrorisme pro-palestinien et d'extrême-gauche, Internet avec le djihadisme moderne.
Les réseaux sociaux ont pris le relais pour permettre une communication descendante (les superproductions des professionnels du califat : scènes d'exécutions, du front ou de la vie utopique au califat de Cham), une communication frère-vers-frère ou sœur-vers-sœur pour le recrutement ou le retour d'expérience du pays de djihad, et une communication "remontante", y compris sous forme de l'attentat filmé, une sorte de selfie sanguinolent pour l'édification des "bons croyants",... Face à cela, les pays occidentaux, sensés avoir inventé la technologie "2.0" doivent se contenter de fermer des comptes qui seront aussitôt recréés avec légère modification. Ou alors, ils produisent des vidéos de contre-influence et de contre-radicalisation qui disent en substance la même chose que les journaux télévisés.
L'action terroriste est une action pour l'Histoire, Histoire qu'elle veut accélérer (en évitant des années d'attente par la violence), Histoire qu'elle veut rejouer ou dans laquelle elle veut s'inscrire. En ce sens, ceux qui recourent au terrorisme ont besoin de créer des mythes et des mémoires. Les victoires de Ravachol ou de la bande à Bonnot, ont été remportées dans la littérature ou le cinéma, celles de l'Ira sur les fresques des murs de Dublin et dans les cérémonies commémoratives. Il ne faudrait pas, le jour - quand même envisageable - où Daech aura perdu ses derniers bastions territoriaux et où ses chefs autant été atteints par les derniers drones - que le souvenir de de l'Etat islamique se perpétue à travers la prolifération des opérations jihadistes plus ou moins spontanées (pour venger un califat une nouvelle fois détruit par les mécréants). Mais il pourrait aussi perdurer à travers les mémoires numériques, mythifié et incontrôlable sur les réseaux que nous ne savons ni interrompre, ni contrôler.
La méthode terroriste ne sert guère à conquérir un territoire ni à infliger de grandes pertes à l'adversaire, manières traditionnelles d'atteindre la victoire, mais elle parvient à démoraliser, à délégitimer ou à diviser avec une remarquable économie de moyens. Comme rhétorique s'adressant aux masses elle a aussi d'un surprenant rapport coût/résultat : elle transforme les armes les moins sophistiquées en médias et les médias les plus high-tech tech en armes. Le terrorisme est hybride et changeant. Il combine violence pure et intention stratégique, ostentation des supplices qu'il administre, secret de leur préparation et séduction de l'idéal. Daech en est l'exemple le plus fou : il attire des dizaines de combattants en leur promettant qu'ils pourront sacrifier des mécréants et des "hypocrites" (musulmans non jihadistes), et puis mourir pour se retrouver au plus près d'Allah...
Plutôt qu'une définition politico-philosophique du terrorisme, nous avons besoin d'une compréhension de leur désir politique. Car nous sommes surtout incapables de comprendre des gens qui disent haïr notre démocratie, notre prospérité et notre tolérance au profit du salut de leur âme et de la conquête du monde.
10:49 Publié dans Actualité, Définitions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, terrorisme, définition, terreur, théorie politique, sciences politiques, politologie, sécurité | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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