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mardi, 06 novembre 2018

Pourquoi la France achète-t-elle de la dette américaine ?

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Pourquoi la France achète-t-elle de la dette américaine ?

par Leslie Varenne, Général Dominique Delawarde & Jean-Luc Baslé

Ex: http://www.zejournal.mobi

Alors que de nombreux analystes financiers alertent sur une probable crise financière en provenance des Etats-Unis, à l’horizon 2020, qui serait plus catastrophique encore que celle de 2008 (voire la note de Jean-Luc Baslé) ; alors que dans la perspective d’un krach obligataire nombre de pays se délestent de leurs bons du Trésor US, la France a acheté, entre avril 2017 et août 2018, plus de 51 milliards de dollars de dettes américaines…

Depuis janvier 2018, la dette publique US augmente à un rythme exponentiel de 3 milliards par jour et se situe aujourd’hui à 21 700 milliards de dollars. A la fin de l’année, les Etats-Unis devraient atteindre les 22 000 milliards soit une dette souveraine de 107 à 108% du PIB. C’est la raison pour laquelle de nombreux économistes tirent la sonnette d’alarme (1). Contre vents et marées, les agences de notation américaines (Fitch, et Moody’s) maintiennent la meilleure note, AAA, aux bons du Trésor américain, à l’exception de S&P qui l’a abaissé à AA+ en août 2011. L’agence de notation financière chinoise, DAGONG, ne les suit pas et en janvier 2018, elle a attribué un BBB+, avec perspectives négatives, à la dette souveraine US, ce qui la situe désormais juste un cran au-dessus des emprunts considérés comme spéculatifs. Pour justifier ce recul, DAGONG met en avant le risque croissant d’insolvabilité et les faiblesses du mode de développement économique des Etats-Unis fondés sur la dette (2). Elle met également en garde les investisseurs et les Etats qui pourraient être tentés par l’achat de cette dette susceptible de se transformer, à court ou moyen terme, en obligations à haut risque.

Il ne serait pas incongru de penser que l’agence chinoise n’est pas plus objective que ses consœurs occidentales. Il ne serait pas non plus stupide d’imaginer que la Russie ne s’est pas délestée de presque toutes ses obligations US soit 91 milliards de dollars, il ne lui en reste plus que 14, seulement par prudence et bonne gestion de père de famille. Cependant, le fait que d’autres pays, dont certains sont des alliés fidèles des Etats-Unis, agissent de la même manière leur donne raison. En effet, entre août 2017 et août 2018, le Japon a réduit son exposition de 73 milliards de dollars ; la Turquie de plus de 40, la Chine de 36.5, Taïwan de 17 et la Hollande de 10 milliards de dollars. Depuis janvier 2018, la Suisse s’est allégée de 21 milliards de dollars, depuis mars l’Allemagne et l’Inde se sont délestées respectivement de 13 et de 17 milliards de dollars (3). Même les Îles Caïmans, paradis fiscal réputé qui gèrent les fortunes de gens très informés se sont désengagés de 45 milliards de dollars sur une seule année…. C’est donc une lame de fond qui correspond à des inquiétudes légitimes.

Le village gaulois

Il reste néanmoins quelques récalcitrants : le Brésil de Michel Temer, le Royaume-Uni, l’Arabie Saoudite et la France. En avril 2017, deux mois avant l’arrivée au pouvoir du président actuel, la France détenait 66,9 milliards de dollars d’obligations souveraines US. Aujourd’hui, le département du Trésor américain indique que la France en détient 118,4 milliards de dollars, soit une augmentation de 51,5 milliards en un peu plus d’un an (+ 77%)(4). Mieux, depuis mars 2018, l’exposition de Paris à la dette américaine est passée de 80 milliards de dollars à 118 milliards de dollars soit une hausse de 47,5 % en 6 mois, elle fait plus que tous les autres récalcitrants (5).

Pure amitié atlantiste ?

Cette évolution, pour le moins étrange interpelle : pourquoi la France dont la dette a déjà dépassé les 100% du PIB s’encombre-t-elle de toujours plus d’actifs à risque ? Autre question légitime : quelles sont les contreparties ? Il semble que cela soit totalement désintéressé…

Sur le plan de la politique étrangère, Washington continue de dire non aux incessantes demandes de Paris de placer le G5 Sahel sous le chapitre 7 des Nations Unies, ce qui permettrait aux militaires français de sortir du bourbier sahélien et d’économiser un milliard d’euros par an (6).

Le Président américain a « confié » le dossier libyen au président italien au grand dam d’Emmanuel Macron (7).

Et si la diplomatie française a enfin pu opérer un timide retour au Moyen-Orient, ce n’est pas grâce à son allié américain mais à la Russie qui a invité le président français au dernier sommet d’Istanbul (8).

Sur le plan économique, les sanctions américaines contre l’Iran ont durement pénalisé les entreprises françaises comme Total, Peugeot etc. Par ailleurs, les menaces de l’extraterritorialité du droit américain, pèsent toujours sur les sociétés hexagonales. Après Alstom, la justice américaine pourrait infliger des amendes à plusieurs d’entre-elles, dont une peine record à Areva, 24 milliards de dollars.

Opacité

Sauf s’il s’agit d’obscures raisons qui échappent aux auteurs de ces lignes, rien ne justifie donc un tel niveau d’exposition à la dette souveraine US. Rien ne justifie non plus, le silence des médias et des parlementaires. Le gouvernement qui s’évertue à vanter les nécessités de l’austérité aura des difficultés à expliquer aux Français qui grondent, ces placements de bien piètres épargnants. 51,5 milliards de dollars c’est une somme et à n’en pas douter, chaque citoyen aura, bien sûr, son idée sur les raisons qui ont poussé leurs dirigeants à exposer l’épargne des Français à la dette US et sur une meilleure affectation de l’argent public.

Un des auteurs, Jean-Luc Baslé, est ancien directeur de Citigroup New-York

Notes:

(1) https://www.businessbourse.com/2018/07/16/lamerique-se-dirige-droit-vers-la-plus-grande-crise-dendettement-de-lhistoire/
(2) http://en.dagongcredit.com/index.php?m=content&c=inde...
(3) http://ticdata.treasury.gov/Publish/mfh.txt
(4) Le Brésil a acheté 44.2 milliards de dollars d’obligations US, le Royaume-Uni 47.6, l’Arabie Saoudite 37.5, la Belgique fait aussi partie des récalcitrants, mais Bruxelles, qui héberge l'Union européenne à un statut à part,  elle a néanmoins racheté pour  58.3 milliards de dollars. 
(5) http://ticdata.treasury.gov/Publish/mfh.txt
(6) https://www.iveris.eu/list/notes_danalyse/371-le_sahel_estil_une_zone_de_nondroit__
(7) https://www.iveris.eu/list/entretiens/362-la_libye_victime_des_ingerences_exterieures_
(
8) http://www.lefigaro.fr/international/2018/10/27/01003-201...


- Source : Iveris

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