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vendredi, 08 mars 2019

Intelligence artificielle. Bluff technologique ou Game Over ?

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Intelligence artificielle. Bluff technologique ou Game Over ?

par Thierry DUROLLE

« Créer une intelligence artificielle serait le plus grand événement de l’histoire humaine. Malheureusement, ce pourrait être le dernier, à moins que nous découvrions comment éviter les risques. » Stephen Hawking résume ici toute l’envergure d’un processus prométhéen qui pose nombre de questions. Mise au point.

Principes de base de l’intelligence artificielle

Dans les années 90, on assiste à l’essor du Machine Learning (ou « apprentissage automatique »). Les programmes informatiques fonctionnent grâce à des configurations bien précises qui forment des cadres dont il est impossible de s’extirper, bien que certains cas l’exigeraient. Le programme devrait être capable de prendre des mesures par lui-même. Pour cela, il a besoin de nouveaux algorithmes qui lui permettront d’apprendre en l’alimentant avec des données, puis, en lui permettant de les classer ou de faire des associations. Il s’agit ni plus ni moins que d’une imitation du mode d’apprentissage des enfants : on désigne un chien du doigt et on nomme ce que l’on vient de lui montrer. L’une des clés pour comprendre l’IA (intelligence artificielle) réside justement dans ce mimétisme de l’humain (et plus généralement du vivant) où la pensée mécaniste sert de passerelle entre le monde de la nature et celui de la machine. Cela explique sans doute pourquoi l’on peut rapprocher l’intelligence artificielle et le transhumanisme, tout deux faisant partie d’un élan prométhéen à tendance bio-mécanique.

La neuro-informatique, par exemple, élabore un système inspiré de notre réseau neuronal dans son principe de fonctionnement, à l’exception que les neurones sont ici remplacés par des algorithmes nommés perceptrons. C’est la base du Deep Learning (« apprentissage approfondi »), une version beaucoup plus élaborée du Machine Learning, développé par le chercheur français Yann Lecun et rendu possible par l’évolution des ordinateurs et par le Big Data. Pour le moment, la machine ne peut pas rivaliser avec l’homme puisque contrairement à celle-ci nous avons, en plus de nos connaissances, tout un tas d’expériences devant nous, de facultés tenant de l’innée, de sensations et d’émotions. Autrement dit, nous avons nos cinq sens pour connaître et explorer le monde, pour faire nos propres expériences et nos propres choix; la machine n’a rien de semblable – d’où l’utilité des données pour palier à tout ce qui est du domaine de l’empirique.

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État des lieux de l’intelligence artificielle

La bonne nouvelle est que le scénario Terminator attendra encore pas mal de temps avant de pouvoir se réaliser. Néanmoins, et cela n’est pas pour autant très rassurant, l’IA est devenu une composante de nos vies sans forcément que nous nous en rendions compte. Lorsque vous naviguez sur le fil d’actualité d’un célèbre réseau social, les informations qui apparaissent sont sélectionnées via des algorithmes usant de procédés d’intelligence artificielle (par un décorticage de vos data). Il en va de même pour tout un tas de gadgets devenus des outils du quotidien pour un grand nombre de personnes, comme les traducteurs de langues, les reconnaissances vocale et faciale. Les domaines d’application sont nombreux : finance, médecine, armée ou encore jeux vidéos.

Les avancés en la matière sont objectivement prometteuses, notamment dans le domaine médical où l’intelligence artificielle permettra d’analyser à une vitesse fulgurante des données médicales, des radiographies pour repérer des anomalies difficiles à détecter à l’œil nu. L’IA se révèle extrêmement efficace dans le traitement et l’analyse des données. En fait, contrairement aux êtres humains, celle-ci s’avère efficace uniquement dans un domaine particulier pour une tâche elle-même extrêmement précise. Un bon exemple est le programme AlphaGo. Conçu pour le jeu de go, celui-ci a battu Lee Sidol, le meilleur joueur au monde, le 15 mars 2016. En revanche, ne demandez pas à AlphaGo de jouer aux échecs car il en est incapable. Ce à quoi il faut s’attendre en réalité s’apparente à « l’émergence d’une technologie de l’intégral » pour reprendre l’expression d’Éric Sadin, c’est-à-dire à la multiplicité d’applications ayant recours à l’IA dans notre quotidien. L’humanité enclenche le pilotage automatique.

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Utopie technicienne ou scénario Terminator ?

L’IA, qui n’est en définitive qu’une technique, nous est promu comme LA solution à nos problèmes, ce en quoi elle serait plus performante que son créateur pour certaines tâches spécifiques. L’homme ne serait en fin de compte perfectible qu’au-delà de sa condition biologique. Cette technique sera mise à toutes les sauces en terme de résolution collectives : fin des problèmes de chômage, d’économie, de politique, d’écologie, etc. D’ailleurs le monde économique se frotte les mains à l’idée d’usines entièrement robotisées.

Pour l’instant nous ne sommes qu’au commencement de ce que les chantres de l’IA appelle une révolution. Si ces derniers comprennent le mot révolution comme une subversion, ils ont sans doute raison, mais, quid de l’ampleur de cette révolution ? Ne s’agit-il pas en fin de compte d’un bluff technologique, pour emprunter l’expression de Jacques Ellul ? Ou alors, à l’opposé, avons-nous ouvert une boite de Pandore débouchant sur le scénario Terminator ? Les défenseurs de l’IA répondront que la machine n’a pas de volonté propre si ce n’est celle qui lui a été insufflée. Par conséquent, si l’on ne programme pas la possibilité pour un robot de faire le mal, celui-ci ne pourra pas s’exécuter. La machine peut-elle échapper à notre contrôle ? En août 2017, des chercheurs du Facebook Artificial Intelligence Research (FAIR) publient une étude dans laquelle ils expliquent que deux robots communicatifs programmés pour la négociation, appelés chatbots, ont inventé leur propre langage. Les chercheurs disent avoir arrêté le programme qui « ne fonctionnait pas comme prévu »…

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Après Prométhée, faire face à notre destin

Le véritable risque réside en fait dans cette emprise du technologisme sur nos vies (via et pour le plus grand bonheur du techno-capitalisme). Il suffit de voir les habitants des villes, mais aussi parfois des campagnes, le nez collé à leurs smartphones, la montre connectée vissée au poignet, pour se convaincre de la domination de la technique sur une partie de l’humanité. Déformé neurologiquement, mentalement et physiquement, le dos courbé pour être toujours plus près de l’écran du smartphone, les yeux fatigués par la lueur de celui-ci : voilà les techno-zombies, mus par des applications Androïd qui leur indiquent le grammage adéquat de nourriture qu’ils doivent ingérer pour continuer à exister, et qui les préviendront bientôt quand ils devront aller à la selle et comment s’accoupler récréativement. Parler d’accoutumance, voire carrément de dépendance, n’est donc pas exagéré. Tablettes, GPS, biométrie, réseau sociaux : ce que l’on gagne en côté pratique, en utilité, on le perd en indépendance, c’est-à-dire, en fin de compte, en liberté.

L’IA conçue comme une extension-outil de nous-même, indispensable à notre bon fonctionnement, voilà le danger ! En tant que partisan d’un monde organique, du Kosmos, de la saine mesure autrefois prônée par les Grecs anciens, lutter contre l’atomisation, la rationalisation fanatique et le mécanicisme cartésien devient, jours après jours, un impératif de survie. Nous sommes en train de faire face à un défi technique, économique, écologique, civilisationnel, et spirituel. Soyons lucide sur la situation, nous nous dirigeons tout droit sur un chemin hasardeux où les périls ne manquent pas. L’idéologie du Progrès nous amène peut-être à marche forcée vers la fin de l’Histoire… Alors, à l’heure où paraît enfin La perfection de la technique de Friedrich-Georg Jünger, et où l’on redécouvre l’œuvre de Bernard Charbonneau, résonne dans notre esprit un seul mot d’ordre : « Décélérons ! »

Thierry Durolle

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