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mercredi, 12 janvier 2022

In memoriam: Guy Sajer alias Dimitri (1927-2022)

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In memoriam: Guy Sajer alias Dimitri (1927-2022)
 
par Pierre Robin
 
Source: page facebook de Pierre Robin
 
Guy Sajer et non Guy Mouminoux, vrai patronyme de ce fils alsacien d'un Français et d'une Allemande, puisque c'est de ce nom de plume qu'il signa, en 1967, son récit autobiographique Le Soldat oublié qui le fit entrer dans la compagnie d'élite des grands témoignages sur la deuxième guerre mondiale, côté allemand : on sait qu'il y raconta avec réalisme et sensibilité, son recrutement puis son expérience au sein de la division Grossdeutschland, unité d'élite de la Wehrmacht. Bref à 16 ans il fut jeté dans l'enfer non métaphorique du Front de l'Est, participant notamment, à l'été 43, à la gigantesque bataille - de chars et d'hommes - de Koursk, tournant décisif - plus que Stalingrad - de la guerre sur le front russe.
 
Du Front de l'Est au Goulag (en passant par Charlie)
 
Il en réchappa donc, et se retrouva "récupéré" par l'armée française. Cela lui valut de se retrouver à la fin de la guerre et du Soldat oublié, à une prise d'armes à l'Arc de Triomphe où tandis que retentissait la sonnerie aux morts, Sajer pensa surtout à ses camarades de combats allemands dévorés par la guerre. Pour lui ils n'avaient pas démérité et sur cette expérience, Sajer/Mouminoux/Dimitri n'a jamais pratiqué la repentance.
 
9781857971453-us.jpgQuoiqu'il en soit, Le Soldat oublié demeure un des plus touchants car réalistes ouvrages du genre : le livre connut la consécration démocratique et commerciale du livre de poche - 3 millions d'exemplaires vendus en une presque quarantaine de langues dont le chinois (nationaliste ?) - et même littéraire - Prix éminemment germanopratin des Deux Magots. Et l'armée américaine l'a même conseillé à ses officiers !
 
Mais il y eut une vie après la guerre - et avant Le Soldat oublié - pour Guy M : très tôt (1946) il devient un dessinateur pour la jeunesse, et on retrouve dans les années 40 et 50 sa signature dans une bonne dizaine de périodiques pour l'enfance sage de l'époque. Moi, je l'ai repéré à la charnière des années 60 et 70 dans l'hebdo Pilote de René Goscinny, un temps le journal de bd des collégiens et lycéens branchés : je me souviens des aventures d'un petit prince blond et médiéval, confronté à des ennemis ressortant à un bestiaire diabolique et fantastique - je n'avais pas entendu vraiment parler, à la même époque, du Soldat oublié. Il parait qu'on a pu le lire aussi dans Spirou et Tintin.
 
Le triomphe (déjà) historiquement incorrect du Soldat oublié lui vaut d'être viré de Pilote. Qu'importe il rejoint la bande pluri-anarchiste du très libertaire professeur Choron et de son Charlie Mensuel. C'est dans ce biotope particulier, je crois, qu'il commence, au milieu des années 70 et sous son nouveau nom de plume et de pinceau de Dimitri, sa saga du Goulag, avec l'anti-héros franchouillard et résigné Eugène Krampon immergé, seau sur la tête, dans cet archipel d'oppression et d'absurdité, seulement éclairé par la blondeur et les longues jambes de la belle Loubianka. On suivra Eugène Krampon dans des journaux comme L'Echo des Savanes, et à gauche (L'Evénement du Jeudi) comme à droite (Magazine Hebdo) du prisme de la presse magazine française. Preuve du grand succès rencontré par la quinzaine d'albums de la série, sorte de version fun et imagée de l'oeuvre d'un Soljenitsyne, et qui survivra un peu à l'effondrement de l'URSS. Du reste, il me souvient d'un épisode où Krampon se retrouvait dans sa France native, une France que Dimitri décrivait abrutie par le foot et le consumérisme, et subjuguée par l'immigration de masse : pour Dimitri Sajer, les crimes et les aberrations gigantesques du communisme soviétique n'absolvaient absolument pas l'Occident de ses mortelles turpitudes : là encore une attitude à la Soljenitsyne, au fond...
 

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Récits de guerres malheureuses
 
Je n'étais pas un fan du Goulag. Mais j'ai beaucoup aimé ses albums consacrés à la deuxième guerre mondiale, dont celui sur Koursk et aussi ce "Kaleunt", passionnante et et triste évocation des sous-mariniers allemands, surfant en quelque sorte sur le succès du film Das Boot. Il y avait aussi cet autre album consacré aux captifs allemands de Stalingrad, partis à 90.000 et revenus (à la mort de Staline) à 3.000 : à un moment, Dimitri fait entonner à ces naufragés de l'Histoire leur hymne national, ce Deutschland über Alles devenu une protestation contre le tragique de leur sort. Très réussi aussi, le récit du désastre naval russe de Tsushima, pendant la guerre russo-japonaise de 1905 : là encore la précision de la reconstitution servait le tragique de l'évocation.
 

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Je n'ai pas l'impression que la mort de Mouminoux-Sajer-Dimitri éveille beaucoup d'échos dans la presse ce matin. Je crois que le Système actuel contournait, en quelque sorte, ce talent gênant. Qui a donc rejoint la grande armée des soldats inconnus et oubliés dont il fut une voix forte et talentueuse.
 
Addendum d'euro-synergies
 
Le Meneur de chiens est aussi un grande leçon morale bien que cynique, que les admirateurs de Guy Sajer oublier trop souvent:

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Carleton Coon: Histoire de l'Europe & Sur les Allemands

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Carleton Coon et l'histoire de l'Europe

par Joakim Andersen 

Source: https://motpol.nu/oskorei/2021/12/08/carleton-coon-och-europas-historia/

Parmi les phrases les plus lapidaires de la nouvelle droite figure l'idée que "l'avenir appartient à ceux qui ont la mémoire la plus longue". En bref, le désintérêt pour l'histoire et l'identité a des conséquences. En même temps, l'histoire est un sujet fascinant en soi, au-delà de tout aspect politico-instrumental. Ceci est particulièrement vrai pour l'interface entre l'histoire et l'anthropologie physique. Quiconque a connu les forums Internet du début des années 2000 se souvient de fils de discussion tels que "classez Georg Wilhelm Friedrich Hegel", où diverses célébrités étaient classées selon les catégories de l'anthropologie physique. Tout cela faisait appel à la même curiosité humaine sur les racines et l'appartenance que la généalogie et les tests ADN, et généralement les utilisateurs eux-mêmes étaient également classés. Des termes comme nordide, brachycéphale, cro-magnonide, PalSup (Paléolithique Supérieur), réduit, Hallstatt et Brünn étaient largement utilisés.

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Parmi les classiques de l'anthropologie physique, nous trouvons The Races of Europe de Carleton S. Coon, datant de 1939. S'appuyant principalement sur les squelettes de nos ancêtres, mais aussi sur la linguistique, l'archéologie, les peintures et les sources écrites, Coon a reconstitué l'histoire fascinante de notre continent, tout en s'intéressant à des régions connexes telles que la Corne de l'Afrique, l'Iran et la Turquie. Coon n'avait pas accès aux preuves génétiques d'aujourd'hui, mais ses conclusions recoupent dans une large mesure la recherche génétique contemporaine. Par exemple, il a conclu, sur la base d'anciens restes osseux, que "la souche néandertalienne ne s'est pas éteinte, mais est passée dans le stock génétique de l'homme moderne", théorie longtemps considérée comme pseudo-scientifique et redécouverte seulement récemment par les généticiens.

Coon a établi un lien entre l'héritage de Neandertal et les personnes de grande taille qui vivaient en Europe et en Afrique du Nord au cours du Paléolithique supérieur, ou PalSup en abrégé. Ces "PalSup" étaient physiquement des géants, mais pas au sens biblique. Coon a écrit que "les hommes étaient plus grands que les humains moyens de tous les pays européens modernes, à l'exception de l'Islande et du Monténégro, mais pas plus grands que les Américains modernes. Les femmes, par contre, étaient vraiment petites". Cette population indigène a persisté jusqu'au Mésolithique, l'âge de la pierre de chasse. Coon écrit à leur sujet que "dans l'ensemble des traits du visage, à quelques exceptions près, on peut dire que les hommes du Paléolithique supérieur ressemblaient aux hommes blancs modernes. Certains, cependant, ressemblaient probablement à un certain type d'Indiens d'Amérique... cette comparaison, il faut le rappeler, est entièrement morphologique, puisque nous ne connaissons pas la pigmentation, la forme ou la répartition des cheveux de l'homme du Paléolithique supérieur".

Aujourd'hui, l'anthropologie physique est complétée par l'anthropologie génétique, avec des termes tels que SHG (Scandinavian Hunters-Gatherers, ou chasseurs-cueilleurs scandinaves; voir illustrations ci-dessous) et WHG (Western Hunters Gatherers ou chasseurs-cueilleurs occidentaux). Coon a déploré que la couleur des yeux et des cheveux ne puisse être évaluée lorsque l'on ne dispose que de squelettes, mais la recherche génétique contemporaine suggère que les SHG étaient relativement dépigmentés.

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Nos ancêtres du paléolithique ne formaient pas nécessairement un groupe entièrement homogène ; Coon a décrit des sous-groupes tels que les Borreby, les Brünn et les Afalou d'Afrique du Nord, ces derniers datant d'avant que le Sahara ne devienne un désert. Il a supposé que l'héritage de ces aborigènes du paléolithique subsiste dans certaines parties de leurs terres ancestrales, notamment dans certaines régions de Scandinavie, de Frise, de Fehmarn et chez les Berbères actuels. La recherche archéogénétique contemporaine suggère qu'il avait raison, le groupe du paléolithique supérieur (ou des chasseurs-cueilleurs) constitue l'un des trois principaux éléments du patrimoine génétique de l'Europe moderne. Dans certaines parties de l'Europe méridionale, ils ont été plus ou moins complètement remplacés par de nouveaux venus de l'Est, ce qui n'est pas le cas en Europe du Nord.

Dès le mésolithique, des migrations en provenance de la région méditerranéenne orientale ont eu lieu. Les archéogénéticiens d'aujourd'hui parlent d'EEF, Early European Farmers. Coon a parlé des Méditerranéens, "la grande famille des types raciaux étroitement liés qui ont une tête longue, orthognathe, mésorrhine ou leptorrhine, un visage étroit et une taille de tête moyenne". Dans certaines parties de l'Europe, ils ont remplacé les aborigènes, dans d'autres, l'héritage paléolithique ave l'épée a délogé l'apport de la Méditerranée. Coon a distingué plusieurs vagues et types sur le pourtour de la Méditerranée, dont les bâtisseurs mégalithiques qui ont atteint la Scandinavie et dont l'héritage est encore perceptible ici. Il est intéressant de noter que les conclusions de l'auteur sont, là encore, conformes aux recherches actuelles.

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À propos de la Sardaigne, il écrit que "la Sardaigne et la Corse étaient peuplées au début du Néolithique par une race de Méditerranéens bruns, dolichocéphales, de petite taille, venant probablement de plusieurs régions, notamment des côtes européennes adjacentes, de l'Afrique du Nord et de la Méditerranée orientale. Les immigrations ultérieures d'autres peuples méditerranéens n'ont que peu affecté la composition raciale de ces îles". La Sardaigne est aujourd'hui considérée comme l'un des endroits où le patrimoine du FEE est le plus important.

Le troisième élément de la mosaïque européenne est aujourd'hui décrit comme les éleveurs de la steppe occidentale (WSH). Ces nomades aristocrates ont atteint l'Europe depuis les steppes, apportant avec eux, entre autres, les langues indo-européennes et un élément renouvelé dans le type des chasseurs-cueilleurs (EHG et CHG, chasseurs-cueilleurs de l'Est et du Caucase). Même Coon les a identifiés et décrits, notamment sous le nom de Bell Beaker (ci-dessous, première illustration) et Corded (ci-dessous, deuxième illustration). À propos de cette dernière, il a écrit que "sur la base des preuves matérielles également, il est probable que les Cordés soient venus de quelque part du nord ou de l'est de la mer Noire".

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Dans ce livre, Coon passe en revue des éléments tels que l'histoire et le patrimoine des peuples germaniques, la périphérie védoïde du sud-est, les Basques, les Turkmènes et les peuples finno-ougriens. Le livre est plein de curiosités. À propos des Monténégrins, par exemple, il écrit que "le type Vieux-Monténégrin, concentré dans la frange montagneuse sud-ouest du Monténégro, juste au nord du lac de Scutari, dans la partie la plus conservatrice du royaume sur le plan culturel, et le centre ethnique de la nation monténégrine, n'est ni plus ni moins qu'une survivance ou une réémergence locale du Paléolithique supérieur brachycéphale non réduit, comparable à celles que l'on trouve en Europe du Nord et en Afrique du Nord. Sa croissance jusqu'à une taille extrême est une spécialisation locale". On nous dit aussi que la "règle du 1%" n'est pas seulement une invention anglo-saxonne mais a aussi un équivalent arabe ("le produit du mélange reste, en règle générale, dans la catégorie des Hojeri"). Il est intéressant de noter qu'un phénomène que Coon a nommé réémergence est que des formes plus anciennes qui ont été temporairement repoussées par les nouveaux venus et les conquérants ont ensuite gagné en importance. Il écrit par exemple à propos de l'Allemagne que "l'Allemagne, dans l'ensemble, est un pays dans lequel une variété de types raciaux pré-méditerranéens ont connu une ré-émergence maximale". L'un des facteurs à l'origine de ce phénomène semble être que les types nordiques étaient plus souvent attirés par les villes et qu'ils y ont disparu.

Les réflexions de Coon sur les liens entre le mythe et l'anthropologie physique sont également fascinantes. Il a inclus Rigstula, reliant les esclaves à la fois aux "prisonniers amenés en Scandinavie par les marins nordiques" et à un groupe plus ancien de "descendants de Danubiens, Dinariens et Alpins qui ont été importés par leurs suzerains plus aristocratiques". Le Charlemagne qu'il analyse comme "probablement largement indigène ... un mélange entre les robustes chasseurs et pêcheurs du Mésolithique, et les peuples mégalithiques et cordés". Il les relie à Tor. Les Jarls, par contre, il les relie à Oden, "un nordique d'Europe centrale voyageant en mer, qui avait échangé son cheval contre une monture adaptée à un nouvel environnement, avec la coopération d'un corps vigoureux d'artisans et de guerriers indigènes, dans le corps racial duquel son propre groupe s'est rapidement fondu". Soit dit en passant, les Arabes médiévaux considéraient les habitants du Nord comme des géants, et Hyltén-Cavallius a décrit des bandes qui étaient considérées comme composées de descendants des géants ou des guerriers. Bertil Lundman a identifié une population autochtone plus sombre en Dalécarlie et autour de Dovre, entre autres endroits. Ces "demi-trolls" étaient décrits comme "de grandes figures maladroites avec des visages aux os larges, des nez larges et plats, des cheveux foncés et des yeux sombres". Ils apparaissent dans les contes de fées, notamment chez Egil Skallagrimsson, et étaient souvent considérés comme magiques. Lundman leur a donné les noms de Tydalentyp (type tydaliens) et Paleo-atlantide. Mais revenons à Coon.

Dans l'ensemble, la description que fait Coon de l'histoire européenne est une lecture passionnante. Il propose une introduction approfondie à des termes tels que "PalSup", alpin et dinaride, et offre une perspective historique à grande échelle. C'est un point de vue qui est aujourd'hui tabou, même si Coon était un érudit objectif qui ne laissait pas ses propres opinions s'immiscer dans le texte. Pour certains, il s'agit donc d'un livre à lire en cachette, mais dans tous les cas, c'est une lecture intéressante et passionnante.

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Carleton Coon et les Allemands

par Joakim Andersen 

Ex: https://motpol.nu/oskorei/2021/12/14/carleton-coon-och-germanerna/

L'anthropologie physique offre une des nombreuses pièces du puzzle dans la reconstitution de l'histoire ; c'est souvent une science fascinante. Un exemple de cela est l'énorme ouvrage de Carleton Coon, The Races of Europe, publié en 1939. Coon est parfois poétique, dans des passages tels que "les autres exceptions étaient les Norvégiens de la côte, auxquels on apportait pour la première fois la civilisation en quantité significative. A l'abri de leurs fjords froids, les nouveaux nordiques se sont mélangés aux chasseurs et aux pêcheurs résiduaires de l'âge de glace, qui, grâce à ce nouveau véhicule génétique, étaient assurés d'une survie permanente". Son raisonnement sur nos ancêtres germaniques est fascinant, car il souligne à quel point les peuples autochtones scandinaves sont uniques. Grâce à notre lien avec les chasseurs-cueilleurs de l'ère paléolithique, nous sommes comparables, et de loin, aux Berbères d'Afrique du Nord.

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M. Coon a décrit l'Europe du Nord et du Nord-Ouest comme une périphérie où ces peuples indigènes importants et distinctifs ont persisté, même après que les agriculteurs de l'Est aient balayé comme des raz-de-marée démographiques une grande partie de l'Europe. Il écrit que "pendant tout le Néolithique, la quasi-totalité de la Norvège, ainsi que le centre et le nord de la Suède, sont restés à un stade de culture de cueillette de nourriture, bien que des haches et autres objets néolithiques aient été échangés avec eux depuis le sud. Il ne fait guère de doute que, dans une large mesure, les chasseurs du Nord étaient des descendants directs de l'homme du Mésolithique, et donc du Paléolithique supérieur. De nombreux traits de leur culture dite arctique ont survécu jusqu'à une époque récente".

Des vagues de nouveaux arrivants sont arrivées chez eux, de l'est, de l'ouest et du sud. Coon parle ici de Megalithic, Corded et Hallstatt, c'est-à-dire de bâtisseurs mégalithiques, de culture cordée (Corded) et de culture Hallstatt, entre autres. Il décrit les Allemands comme le fruit de cette rencontre, en plaçant leur centre au Danemark, au sud et au centre de la Suède, en Norvège, au nord de l'Allemagne, à Gotland et à Bornholm. Selon Coon, la linguistique a mis en évidence l'indo-européanisation relativement tardive des peuples germaniques, "la position linguistique excentrique des peuples germaniques dans la famille indo-européenne totale a sa connotation raciale". Il a également affirmé qu'"il est très probable que le parler germanique ancestral ait été introduit en Scandinavie par les envahisseurs qui ont apporté la culture de Hallstatt dans cette région arriérée."

La combinaison des influences nordiques de Hallstatt et des populations plus anciennes a donné naissance à un type germanique, représenté entre autres par les Wisigoths. Coon écrit à leur sujet que "ce type physique s'accompagne d'une grande taille, d'environ 170 cm, et d'une lourdeur et d'une robustesse considérables des os longs. La constitution corporelle était clairement plus lourde et plus épaisse que celle des nordiques étudiés précédemment. Le fait qu'il était typiquement blond est attesté par la pigmentation d'exemples vivants ainsi que par de nombreuses descriptions anciennes". Avec les migrations, il s'est répandu bien au-delà de ses domaines d'origine. En Norvège, entre autres, nous trouvons un autre type, où les éléments de grande taille du paléolithique supérieur sont plus évidents. Coon a écrit à leur sujet que "Thor était apparemment le dieu des peuples plus anciens, de la classe des carl, et il représente dans sa personne et ses attributs un mélange entre les robustes chasseurs et pêcheurs du Mésolithique, et les peuples mégalithiques et cordés. Son association avec le dernier nommé est clairement démontrée par sa dévotion au marteau à deux têtes, qui n'était probablement ni plus ni moins que la hache de bateau."

Le lien éventuel entre les aborigènes du Mésolithique et certains éléments de la coutume ancienne présente bien sûr un intérêt spéculatif. Il est tentant d'associer les géants en partie aux chasseurs-cueilleurs pré-germaniques, notamment en tant que porteurs de connaissances anciennes. Günther a décrit Odin comme un "Sondergott" ouest-norrois, il est tout à fait possible que certains aspects du Allfather remontent à des traditions de l'époque mésolithique. Bien que ce projet semble plus adapté aux artistes qu'aux chercheurs, les comparaisons avec les fragments de religion préislamique que nous trouvons en Afrique du Nord peuvent être intéressantes. Dans l'ensemble, les arguments de Coon sur les origines des peuples germaniques sont intéressants et parfois imaginatifs.

Luc-Olivier d'Algange : Intempestiva sapientia 2

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Luc-Olivier d'Algange

Intempestiva sapientia 2

Depuis la Révolution française, les meilleurs écrivains sont des héros. Tant d’efforts pour perdre la considération sociale, pour se déclasser, devenir pauvre, se faire insulter par les cuistres et les bien-pensants. Le monde moderne est ordonné de telle sorte à récompenser l’incompétence, la vilenie, - et par dessus tout l’ennui et la soumission. Rien d’étonnant à ce qu’une civilisation périclite en accéléré.

La Monarchie était sensiblement mieux une république que ne le sont nos démocraties. Plus nos démocraties liquident l’héritage royal et plus elles s’éloignent de la res publica : on s’afflige d’avoir à énoncer, contre l’opinion générale, de pareilles évidences.

Ce qu’il est devenu presque impossible d’être, dans la disparition de la Geste française : Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan. Alexandre Dumas, à présent, serait interviouvé, à longueur d’émissions « culturelles » sur ses origines ethniques, sur sa difficulté à s’intégrer dans la culture française, sur son « droit à la différence ». En perdant la France, nous ne perdons pas seulement une nation, une subjectivité collective mais l’espace d’une façon d’être illustrée par ces héros de roman. Rabougrissement de l’entendement humain lorsque l’argent, le chiffre, la quantité prennent la place des Saints, des héros et des légendes. La raison s’étiole en même temps que le merveilleux.

Les Modernes délogent en coupe réglée les lieux qu’ils s’approprient en expropriant leurs hôtes légitimes. Tout ce qui tombe en leur pouvoir devient fantomatique, anonyme, désorienté. Le reste est laissé à sa fonction de décor pour touristes, monuments historiques ravalés, tristes muséologies. Il n’est pas dit cependant que nous serons submergés par ce nulle part. Nous reprendrons tout au début, à l’instant de l’arc-en-ciel, de l’apparition, nous inventerons n’importe où l’espace à notre mesure. Ce que le monde désacralise, rien, sinon une mauvaise timidité, ne nous interdit de le sanctifier.

En ces temps utilitaires, chacun considère autrui exactement selon l’utilité qu’il peut avoir pour lui. S’ensuit un régime d’exploitation, de bétaillisation et d’extermination.

Les humains qui pensent qu’être humain est la vertu suprême me semblent frôler un certain ridicule dans le narcissisme.

L’hybris à modifier son environnement, à changer les choses de place, avant précisément qu’elles prennent leur place, voici la planification contre l’harmonie, le néant qui outrecuide au détriment de l’être.

Ma chance est étroitement liée à mon risque. Tout ce qui me fut offert d’heureux, jusqu’aux degrés où le bonheur semble presque irréel, que nous n’y pouvons croire, me fut toujours donné à mes risques et périls. C’est aussi une question d’instinct : prendre la tangente sitôt que l’on voudra vous installer dans un de ces contextes propices au suicide que le monde moderne s’ingénie à multiplier au grand bénéfice de la communication générale. Au regard des conditions qui sont faites à la vie, on s’étonne que les gens ne se suicident pas davantage. Un nerf les tient, un vice, une habitude. Tout être doué d’une minimale compassion humaine devrait rendre au vice, qui tient en vie les malheureux, un sincère hommage. Les moralisateurs s’exposent à être jugés moralement comme des êtres sans compassion ni bonté. Ce qu’ils sont d’ailleurs, de toute évidence ; envieux, par surcroît, jusqu’à la folie, des plaisirs qu’ils se refusent.

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Ce début d’automne est d’une douceur profondément érotique. Chaque heure est douce et fraîche comme une blonde peau d’amoureuse. La saison et mon corps s’effleurent avec bienveillance ; nous nous voulons du bien.

Les démons arpentent désormais le monde en tous sens, et à grande vitesse, en « messageries instantanées ». Plus le temps de les voir venir ni de frontières sacrées pour les contenir. De même pour les barbares ; l’arme du barbare moderne étant la haute technologie. La technique comme vecteur de la magie noire, de l’obscurantisme, de la destruction de la raison.

A la magie noire s’oppose la magie blanche. Blancheur frémissante de toutes les couleurs. Couleurs de la république Larbaud, je vous aime : jaune, bleu, blanc, plages parfaites, terres tournées vers la mer ou l’océan. Portugal, visage de l’Europe découpé sur l’infini et recevant la puissance du Grand Large. D’un « rien qui est tout » comme disait Pessoa, nous saisissons soudain qu’il est impossible d’être plus heureux que nous le sommes à cet instant.

On trouve moins de vérité dans l’exégèse du malheur que dans celle du bonheur, d’autant que l’exégèse tourne souvent à l’éloge, sinon à l’apologie.

Si pleine de vertus incalculables, calmes, vives, iridescentes, voyantes, chaque heure se propose et nous en disposons pour le pire ou le meilleur. On se pose, le monde s’anime. On s’agite, le monde se fige. Les plus agités ont la vue du monde la plus figée, la plus schématique. Les contemplatifs voient tourner le monde, orbes entre l’intérieur et l’extérieur, le visible et l’invisible. L’illusion néfaste d’agir sur le monde alors que c’est toujours le monde qui agit sur lui-même, avec toutes sortes d’intercessions, dont la nôtre. L’action unilatérale sur le monde et sur autrui ne peut être que de destruction. Les plus ivres de pouvoir le savent : détruire est leur seul pouvoir ; ils s’y acharnent jusqu’à leur propre destruction. Le nihilisme ne serait ainsi qu’une mauvaise volonté de puissance, une subjectivité outrée, un refus de recevoir des influences. (Ces imbéciles qui se refusent à lire Proust, Musil ou Hamsun parce qu’ils veulent, eux, écrire un roman et ne pas subir d’influence !).

L’utilitarisme obtus et parcellaire du religieux (son fondamentalisme) est certes odieux mais il n’est jamais qu’un aspect de l’utilitarisme global du monde profané qui donne à chacun cette mauvaise foi et ce bon droit usurpé. Aux uns le narcissisme collectif. Aux autre la devise : «  Je ne lègue rien, je consomme ». Aux uns et aux autres, l’impiété.

Rendre à la fidélité, à l’honneur, à la ferveur, à la piété, puissances invisibles, leur solennité légère.

Mot à la mode : « respect ». Dans respect, il y a crainte. Plus que jamais les hommes ne respectent que ce qu’ils craignent, ou dont ils attendent des faveurs, dont la principale est l’argent. La force même s’est entièrement liquidifiée. Argent, force liquide. La civilisation dégouline. Sentiments dégoulinants, flaques répandues de la puissance financière. Le monde moderne s’étale. Règne des étalages.

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Entre le bredouillis et la vocifération, de nouvelles générations tentent l’impossible retour à l’animalité sous l’œil bienveillant des clercs qui discernent là une nouvelle « culture urbaine ». Tout cela est immédiatement commercialisé avec l’aval des démagogues, les dates de péremption jouxtant au plus près celles de la production.

L’érotique de la belle phrase, chez Gautier, Pierre Louÿs, les Parnassiens, certes, mais aussi, bien en amont, dans l’histoire de la littérature française. Vivacités, suavités, forces, - toute une beauté qui semble superflue à la communication, comme sont inutiles à la reproduction la plupart des gestes érotiques. D’où cette puritaine défiance pour la beauté de la phrase que l’on trouve chez les militants, les idéologues : en littérature, ils sont adeptes de la position du missionnaire. Surtout pas d’extravagances. Réduction du vocabulaire, restriction de la syntaxe, la plupart des critiques littéraire, dans l’esprit du temps, puritain, sont devenus gardes-chiourme. Pour eux, les écrivains sont trop écrivains, la littérature trop littéraire, les phrases sont trop des phrases. Tout cela devrait être réduit à des « messages » qui s’abolissent dans ce qu’ils communiquent. Mais qu’en est-il alors du vent qui souffle sous les étoiles ?

Arrogance du Médiocre imbu de sa médiocrité, et du nombre qu’elle représente, comme aucun homme ne le fut jamais de son génie et de son œuvre. Joie de l’avilissement et de la mort. Ceux qui veulent gagner en ce monde prendront inévitablement le parti de la mort, ultime gagnante. D’où leur acharnement à nier la surnature et l’immortalité de l’âme. Leur ambition ici-bas : que la vie soit déjà à la ressemblance de la mort telle qu’ils l’imaginent.

On dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions, mais en réalité, une seule seconde d’attention suffit à nous montrer que ces intentions étaient déjà mauvaises au départ. L’égalitarisme engendre le conflit, non seulement avec les hiérarchies (qui, en général cèdent la place avec une facilité déconcertante) mais surtout, une fois installé, entre les plus ou moins nivelés, qui auront toujours les dents découvertes, non pour rire, mais pour mordre. La hiérarchie est seule également pacificatrice et bienveillante pour le supérieur et l’inférieur. Il y a dans l’égalitarisme un mauvais infini qui demeure toujours altéré d’un pouvoir qu’il n’a pas. Soif inextinguible : d’où les extrêmes disparités de fortune et de pouvoir que l’on constate dans les démocraties libérales ou, naguère, « populaires » dont la vocation fut d’empêcher le bonheur de l’intelligence et les formes de vie supérieure qui sont, ontologiquement, offertes à chacun.

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La plupart des sceptiques modernes qui déclarent ne croire en rien, en réalité croient à n’importe quoi, selon la mode, et ce n’importe quoi est, finalement, toujours la même chose.

Pensée la plus courte : « Je crois en l’homme ».

Tant de croyances interchangeables dans le monde comme il va, que l’on commence à comprendre à quel point le scepticisme est un art difficile et probablement réservé aux théologiens apophatiques. Celui qui ne croit pas, c’est, en général, toujours au nom de quelque chose. Qu’est-ce qui nous permet de ne pas croire, sinon Dieu ?

La méthode commerciale, style « force de vente » appliquée à l’art, l’amour, la pensée, est une façon de se « libérer » de l’art, de l’amour et de la pensée pour se donner tout entier à l’avilissement, là où plus rien ne se distingue. La confusion générale est l’antipode de l’Inconditionné. Entre les deux, des nuances, des destinées humaines, des défaites et des victoires. La mystique de la confusion est pouvoir. La métaphysique de l’Inconditionné est autorité.

Le propre de la bêtise est de se constituer en meutes dont chaque membre est susceptible de devenir la victime des autres.

Toutes les idéologies sont de table rase ; les unes avec plus d’hypocrisie que les autres, la muséologie y remplace la destruction, le gel s’y substitue au ravage. La création poétique est mémoire, présence du passé, présence, éternité, flèche du temps, mais verticale. Ce qui est au centre est en haut.

Les hommes qui ne se hiérarchisent pas s’épuisent dans l’idolâtrie et dans la haine. Ils sont à plat. Rien n’y peut fleurir en beauté et en bonté. Ces prétendus philanthropes, optimistes déçus, finissent dans l’exécration du genre humain, ou, pire encore, dans l’exécration de tel ou tel sous-ensemble, de classe, de race ou de religion, du genre humain.

L’idée royale fut longtemps, et bien au-delà de son institution politique, la sauvegarde, pour chacun, d’une souveraineté intérieure. Il en demeure, ici et là, des places royales : celles de nos sagesses, de nos amours, irrécusables épiphanies qui s’enracinent dans le ciel comme les branches d’un éclair.

La seule égalité souhaitable est l’égalité d’humeur. L’équanimité et la politesse suscitent  dans l’enfer social d’inexpugnables places pour le colloque paradisiaque des âmes heureuses. Ici et là, une rencontre, une conversation, suffisent à sauver le monde, ou, mieux encore, à le justifier.

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Dans la comédie sociale, seuls se font entendre les singes hurleurs. Une page écrite est laissée à la voix de celui qui la lit : préséance accordée à l’hôte.

Vouloir se faire entendre, c’est déjà consentir au malentendu. S’éloigner peu à peu du désir de convaincre, se délester du pouvoir que l’on a de persuader : long chemin de solitude qui va de la conviction à la pensée, et de celle-ci à l’impondérable de la « montagne vide ».

La plupart de gens qui apprennent que vous avez publié un livre, avant même de vous demander de quoi il parle, vous demandent sous la couverture de quel éditeur il a été publié. Pour ceux-là, il y a primauté de l’emballage sur le contenu.

Nous ne reprochons pas à la vulgarité d’être vulgaire, mais d’être totalitaire, et de répandre partout « un vacarme silencieux comme la mort ». Une vulgarité à sa place serait presque rafraîchissante. On en viendrait à l’aimer de ne s’exercer que dans l’espace qui lui est dévolu. Elle se laisserait visiter avec un léger plaisir comme une contrée exotique. Hypothèses, rêveries… La réalité est un armée noire qui marche sur nous, dotées de toutes les puissances modernes, et ne trouvera en face d’elle que les rêveurs, armés de fleurets, disposés à mourir pour la beauté du geste.

Toutes les causes sont historiquement perdues, sauf celle de l’avilissement. Mais la plus perdue de toutes les causes perdues est aussi celle qui s’approche le plus de la victoire surnaturelle. Victoire essentielle et immédiate : lorsque la fin ne justifie plus les moyens. Les causes perdues sont un peu moins perdues qu’on nous le voudrait faire croire.

Le fabuleux, le mystérieux, l’enchanteur, l’extraordinaire sont dans le regard bien davantage que dans les choses regardées. A certains, tout est ennuyeux et banal. Ils traversent le monde de long en large, en touristes blasés. Leurs sens sont émoussés en conséquence de l’inertie de leur pensée.

Vie moderne : chercher des réponses à des questions ineptes ou mal posées et trouver des solutions à des problèmes qui n’existent pas. Le Moderne se gargarise de « problématiques » précisément parce qu’il est le moins apte à saisir la nature problématique de la vie (jadis figurée par les épopées, les mythes, les tragédies).

Chaque jour me propose ses raisons de vivre absolues et particulières. Je n’attends pas d’une abstraction ou d’une nécessité la force de me mouvoir.

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Les êtres et les choses ont pour point commun d’être uniques. Les jours se ressemblent par leur diversité. Il en va de même des heures et des minutes, et des secondes. Si vous vous ennuyez, n’accusez que vous, ou le monde ennuyeux auquel vous collaborez.

Seuls sont à l’honneur de Dieu, et de l’infini de sa création, les actes gratuits.  L’immense gratuité de la création inquiète et scandalise les calculateurs, les impies. Une religiosité utilitaire obture sa source. Le reproche moralisateur adressé à l’inutilité est une négation du bien, de la bonté même qui agit sans contreparties ; sans quoi elle ne serait que calcul. L’inutile est l’Essentiel.

L’efficacité à court terme est au détriment du rayonnement. Les œuvres qui trouvent immédiatement leur place dans leur temps disparaissent avec lui. Le rayonnement d’une pensée, d’un acte, d’une œuvre, d’un moment, tient à la conception du temps, non plus linéaire mais sphérique. Ce qui rayonne ne poursuit pas un but mais va d’un point central à tous les points proches ou lointains dans une communion essentielle, pour la seule gloire. La logique, si dénigrée en cet temps d’émotions faciles, opère, elle aussi, en mode rayonnant. Au cœur est le silence du Logos, ou du Verbe, que l’on rejoint, en partant d’une quelconque périphérie.

On distinguera deux façons de voyager. L’une moderne, touristique, fuyante, qui va vers la périphérie, le lointain, l’exotique et l’exotérique. L’autre, initiatique, qui va, quittant la périphérie, vers le centre.

Les humains, en proie à leurs ressassements utilitaires, passent à côté les uns des autres comme ils passent à côté des paysages et des œuvres. On comprend que les misérables soient accablés par la gestion de leur quotidien, on le comprend moins de la part des repus.

Nous ne cherchons pas à convaincre. Nous allons en paix. Il est trop tard pour nous faire taire. Nous vivons dans l’amitié de la lumière changeante. Ce sont les changements de la lumière qui écrivent à travers nous.

Je n’aime pas le passé ; j’aime ce qui est présent du passé ; vertus claires, immémoriales, fidélités, droitures, mais aussi ombrages et secrets.

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Prendre chaque jour un moment pour prendre le diapason, - c’est-à-dire la mesure de sa fragilité et de la fragilité de tout. La valeur des êtres tient à ce qu’ils peuvent succomber à tout moment.

La frugalité est un principe hédoniste. La quantité est toujours restrictive. Le bourrage moderne (d’informations, de biens de consommation) suscite non seulement le dégoût mais exerce une action directement privative.   Exemple : plus il y a d’êtres humains réunis en un seul lieu et moins ils échangent. Plus nombreux sont nos interlocuteurs et moins nous recevons d’eux, et inversement, moins ils reçoivent de nous. Communication de masse : assommoir.

Quelques politiciens auto-déclarés « libéraux » se firent une idéologie de ce mot d’ordre inepte : « Gérer la France comme une entreprise » alors que cette formule est une parfaite définition du communisme appliqué et l’expression même de l’abus des prérogatives de l’Etat. La France a été tant et si bien gérée comme une entreprise, qu’elle se trouve ruinée, et pas seulement d’un point de vue économique. Nous voici dans ce cas de figure où ce qui est utile à la « société » (conçue de plus en plus comme société anonyme) est en réalité nuisible au Pays. Mais il se trouve hélas de moins en moins de politiciens pour faire encore la différence entre la société et le Pays, moins encore pour concevoir une fidélité à leur pays qui dût être hiérarchiquement supérieure au service de la société.

Un pays : une réalité historique, sensible et intelligible, une poétique de l’espace, des légendes, une tradition. La société est une abstraction anonyme, aux agissements obscurs. La société conduit une guerre civile impitoyable contre le pays. Tout pays est un royaume.

L’utilitarisme économique est le siphon où disparaissent toutes les formes élémentaires de la dignité, de l’honneur, de la grandeur d’âme, et avec elles, la nature elle-même ; comme il est parfaitement logique que la nature soit souillée à la suite de la spoliation de la surnature.

Lorsque l’on considère, en logique « sociale » que certains hommes sont plus utiles morts que vivants, on les tue. Dans les sociétés moins ingénues, plus retorses, on commence par les réduire à la misère et leur ôter la parole. Donner comme horizon d’espérance la « croissance économique », c’est non seulement ôter toute espérance, c’est le faire d’une façon particulièrement insultante.

Une société soumise à l’utilitarisme économique s’évertue non à s’enrichir mais à créer les conditions où chacun se trouvera contraint et forcé à ne penser qu’à s’enrichir. Ce qui implique la réduction de tous les espaces d’autarcie, de luxe, de liberté et de bonheur. L’intelligence humaine s’en trouve extraordinairement rétrécie.

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La disparition de certaines facultés de l’entendement humain a ceci de fatal qu’une fois disparues, nul ne se souvient qu’elles furent naguère exercées. Nous assistons à l’installation progressive d’une infirmité normative. La logique décline en même temps que la perception sensible. Tout se ramasse en des émotions primaires (peur, convoitise) dont les politiciens et les publicitaires indistincts usent à loisir. La réduction du spectre du sensible et de l’intelligible rapproche l’homme de la machine dont il convoite les pouvoirs.

La haine des nuances est au principe de l’utilitarisme : haine des nuances qui ralentissent l’action, ouvrent sur la contemplation « des nuages, là-bas, là-bas, les merveilleux nuages ». Dans le monde moderne, toute homme de nuance, de tradition, est un « extraordinaire étranger ». On peut encore différencier quelque peu les sociétés selon l’accueil qu’elles réservent à cette sorte d’étrangers, dont l’étrangeté est d’autant plus radicale qu’ils n’ont pas quitté leur pays ; c’est leur pays qui a été chassé autour d’eux, et ils en demeurent les ultime témoins.

Toute la difficulté consiste alors à ne pas dramatiser la situation, à garder sa désinvolture comme l’un de ses biens impondérables.

Etre équanime est parfois, pour la pensée et pour l’âme, une simple question de survie.

Lorsque le dévergondage du pathos et de l’outrance envahissent le politique, les temps sont venus de rejoindre « l’ermitage aux buissons blancs » dont parlait Ernst Jünger. Le désengagement s’avère être un engagement supérieur. L’intelligence, le calme, la beauté, disposent l’âme à des noces plus ardentes.

Deux pôles politiques se dégagent peu à peu du chaos. L’un va vers la société anonyme, l’autre vers le Royaume. Le choix nous appartient. Ne cédons pas à la ruse la plus éventée des idéologues qui consiste à nous faire croire que ce qu’ils souhaitent est déterminé, et qu’il ne nous reste plus qu’à suivre, bon gré mal gré, le courant « comme un chien mort au fil de l’eau ». Le déterminisme est une coquecigrue d’irresponsable.

Le monde moderne est entièrement voulu. Ce qui fait sa force et sa faiblesse. Rien en lui ne correspond à l’ordre des êtres et des choses. La discordance ne domine l’harmonie qu’un temps donné.

Le pathos agrège, abolit les distances et les déférences. Or toute civilisation se mesure aux distances qu’elle instaure entre les individus. La « communication » qui abolit les distances est une barbarie. Intrusion, promiscuité, grégarisme, meutes, pogroms. Les hommes partagent plus communément leurs haines et leurs craintes que leurs bonheurs. Quant à l’intelligence et à la sapience, elles ne se communiquent pas, elles se transmettent.

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Etre distant : condition de la dignité réciproquement reconnue. En-decà d’une certaine distance, le regard ne s’ajuste plus, autrui ne nous apparaît plus que d’une façon troublée, partielle, dans un « gros plan » monstrueux.

S’éloigner, rendre hommage au lointain du monde en nous-mêmes et dans la rencontre. L’échange des regards, des lointains qui se croisent, intersections d’infinis, ténèbres antérieures de la pupille qui se souvient, pour l’accueillir, d’un « avant » de la lumière, d’un « fiat lux » en amont de toutes les temporalités.

Etre présent, c’est venir, advenir du lointain infini de la présence. Adsum, me voici, dans le moment présent, comme un éclat d’écume, une promesse.

«  Je ne peux rien vous promettre », formule de banquier, d’agent immobilier. A l’inverse, les politiciens abusent de la promesse. Ne sont dites que les promesses dont chacun sait qu’elles ne seront pas tenues. On ne tient bien que les promesses non-formulées. Celui qui tient une telle promesse entre déjà, d’un pas victorieux, dans le monde surnaturel.

Venir de loin, pour apporter une provende scintillante, et repartir avant d’être remercié.

L’optimiste croit que le monde de l’avenir vaudra mieux que ceux du passé ou du présent qu’il fera disparaître. Le pessimiste croit que les mondes disparus valaient mieux que ne vaudront les mondes futurs, mais avec l’avantage logique que ce qui existe, ne fût-ce que dans la mémoire, vaut mieux que ce qui n’existe pas, et mérite davantage notre déférence. L’un et l’autre, cependant, n’en demeurent pas moins des nihilistes, et non des fondateurs.

La raison d’être du Politique, au noble sens du terme, est de disposer le monde en faveur de la poésie. Les règles politiques, lorsque la politique n’est pas subjuguée par l’économie, sont de l’ordre de la prosodie. Il appartient ensuite au génie des individus ou des peuples d’exalter cette prosodie en poésie. Les subtiles règles du sonnet, certes, valent ce qu’en font les poètes ; mais ce qu’ils en font est irrigué par les puissances du langage lui-même dont la trame se révèle dans la poétique apprise ou transmise. La beauté créée est un tout supérieur aux parties qui la composent. L’auteur, la science de la langue, le monde conjurent au resplendissement d’une vérité qui les outrepasse.

D’où la vanité d’avoir quelques aperçus pertinents sur une œuvre à partir de considérations psychologiques ou sociologiques concernant l’auteur. Vanité et même aberration, dès lors que l’on réduit le coquetèle à l’une de ses composantes.

Imbécillité, par définition, des spécialistes, des experts. S’étonner de leur imbécillité, c’est encore ne rien avoir compris à la question. Mesurer le désastre du monde qui leur est confié. Notre chance est qu’ils se contredisent et que leurs expertises s’annulent.

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Tout est si parfaitement organisé pour nous rendre fous et possédés que la seule survivance de quelques individus débonnaires et aimables suffit à nous combler d’un sentiment de victoire. La puissance de certaines vertus se mesure aux forces adverses, auxquelles elles résistent. La simple politesse nous laisse croire en l’héroïsme, la simple bonne foi révèle la grandeur d’âme. Un seul geste de bonté, ignoré de tous, sauve le monde.

Dans la société anonyme, plus nous gravissons les échelons et moins nous sommes tenus pour responsables de ceux qui sont sous nos semelles.

Le luxe dans la frugalité : nous ne jouissons que de ce dont nous pourrions nous passer.

L’idéologue moyen voudrait nous regarder de haut, mais il ne peut que nous regarder de travers.

Je n’écris pas pour mon compte.

Lorsqu’il y a trop de raisons de se tirer une balle dans la tête, l’acte n’en vaut plus la peine.

Nos ennemis nous veulent à leur ressemblance : pleins de rancœur, rongés par cet « ulcère de l’âme », l’envie. Ils nous taquinent en espérant susciter en nous le même sentiment de grief qu’ils éprouvent pour nous, et qui les ronge. La fascination que nous exerçons sur ceux qui nous haïssent voudrait une réciprocité, une contrepartie. Ceux qui n’ont presque plus de raison veulent nous la faire perdre : prosélytisme de toxicomane, - ce qui rend tout prosélytisme suspect. Veut-on nous faire partager un bienfait ou une tare ?

Dans le prosélytisme religieux, idéologique, la pression morale s’exerce presque toujours pour nous faire renoncer à un plaisir des sens ou de l’intelligence, et perdre notre désinvolture. La joie est, chez ces gens-là un argument contre. Plus honnêtes hommes sont les écrivains qui racontent, pensent, poétisent, suspendent leurs jugements et font de leurs tristesses mêmes le principe d’intenses joies artistiques.

L’époque moderne, prétendument « éclatée », festive, libérée est la mieux étouffée par un prosélytisme maniaque, lancinant et sinistre dont les saturnales elles-mêmes ne sont plus que l’expression commerciale et bien-pensante.

Entre la fête dionysiaque antique ou médiévale et la fête moderne, la différence est que l’une était en contrepartie de l’ordre apollinien ou théologique, un suspens, alors que l’autre est l’expression bruyante de l’ordre établi.

Le totalitarisme advient lorsque les saturnales ne sont plus retournement de l’ordre mais son prolongement, lorsque l’ordre est plat, pure planification, sans avers ni envers. Idéologie dominatrice, sous les aspects divers, en apparence contradictoires ; extraordinaire puissance des sucs gastriques pour dissoudre et digérer les subversions, et qui ne trouvera, en face, d’elle que de calmes adeptes des causes perdues. Nous soulignons le calme car tout énervement nous prive de notre nerf, de notre force nerveuse et nous fait glisser en tous sens sur des surfaces planes disposées à cet escient : faire de nous des êtres de nulle part dans un relativisme général. Le plan, au demeurant, est incliné. Il nous verse dans une indistinction semblable à la mort.

Les merveilleuses croyances où les hommes continuent à être distingués après leur mort apparaissent comme une riposte à la toujours menaçante indifférenciation des vivants. Si nous ne sommes pas interchangeables après la mort, l’honneur de la vie est sauf.

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Quand bien même ne penserions-nous jamais à la postérité, il n’en demeure pas moins qu’une pensée écrite est sauvée du périssable de notre carcasse. Elle ne l’est pas lointainement, mais tout de suite. Ecrite, ou dite, à quelqu’un qui s’en souviendra, une pensée instaure une autre temporalité, ou, plus exactement, elle révèle une profondeur du temps, une réverbération d’éternité. Cette éternité est toute vive, jeune et frémissante, une apogée de l’Eros, exercée par le Logos.

Après avoir traversé un certain nombre de pays, en flâneur et contemplateur, et non en touriste, après avoir rencontré, en chair et en esprit, maintes personnes dans les milieux les plus divers, il reste que la lecture de certains livres me fut une belle et grande aventure, et je plains ceux qui sont passés à côté.

Logique du règne de la consommation : ne laisser aucun héritage, et si, possible, détruire tout héritage, y compris l’héritage naturel. Le discours bourdieusien contre les « héritiers » conduit à l’apologie du règne de la consommation. S’il n’est plus aucune supériorité héritée, il appartiendra à l’argent de donner à chacun sa place. L’héritage implique des devoirs. La fortune faite se croit tous les droits, jusqu’à la plus infâme goujaterie.

Il suffit d’une seule génération amnésique pour perdre l’héritage de plusieurs millénaires de civilisation.

A la « haine du secret » dont parlait René Guénon, s’ajoute la haine de la complexité, des espaces libres, éclairés ou ombreux. Notre inclination à la servitude volontaire répugne à tous les exercices que ces espaces rendent possibles. C’est ainsi que la servitude préfère vivre dans une société plutôt que dans un pays, peuplés de noms de pays, de libertés et de franchises héritées. Cependant, ne nous crispons pas sur notre dû. Laissons les formes s’évanouir, les richesses prendre d’autres formes. Notre fief, notre château tournoyant est là où nous sommes droits, là où le temps profane entre en intersection avec le temps sacré.

La raison d’être n’a rien de rationnel : elle est une immédiate épiphanie (étant entendu que le rationalisme fut toujours le principal ennemi de la logique).

Musiques d’ambiance, écrans, bruitages, bavardage, despotisme affectif et économique, architecture de masse, - laideurs. Tout est matériellement mis en œuvre pour éloigner les épiphanies ou les rendre indiscernables. Cet immense chantier quantitatif est vain. L’épiphanie est une qualité qui s’adresse à une qualité.

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Nouvelle censure : non plus brûler les livres ou les interdire, mais faire en sorte que nul ne puisse plus les comprendre. Tâche titanesque, que nous voyons à l’œuvre, mais tout aussi vaine. Il suffit d’un seul pour faire la différence entre ce qui est ce qui n’est pas.

Preuve de l’irresponsabilité des politiques et des journalistes : ils instillent la peur qui réduit les facultés intellectuelles et morales, favorise l’agressivité et nous réduit à vivre en bêtes traquées. Toute acte de bonté est presque toujours une victoire remportée sur la peur, de même que toute vilenie en est la défaite.  L’adage est juste, la peur est contagieuse. Elle s’en trouve être le principal moteur du grégarisme, des mouvements de foule. La meute des chiens qui ont peur est d’autant plus dangereuse que nous nous en laissons davantage effrayer. C’est en de telles circonstances qu’il faut éviter de fuir ou d’attaquer.

Mais plus encore qu’à la bonté, la victoire sur la peur ouvre sur la surnature. Encore faut-il que cette victoire ne soit pas seulement une précipitation vers le danger (qui peut être, elle-même, poussée par la peur). Vaincre la peur, ce n’est pas se raidir, c’est apprivoiser tout ce qui se trouve autour de son objet ou de sa cause.

Se mettre en danger, c’est parfois trouver la sente merveilleuse et incertaine qui nous sauve des pires dangers : ceux-là qui participent de nos habitudes et de notre confort.

Pour une âme civilisée par une tradition d’honneur, de fidélité et de bon-goût, la crainte de la mort vient au second plan. Toute vie qui ne peut se sacrifier ne vaut d’être vécue. Il est probable que toute vie soit sacrifiée, toujours et pour chacun, y compris aux raisons les plus futiles, aux illusions les plus funestes. L’égocentrique sacrifie sa vie à son ego, de façon aussi radicale que le patriote sacrifie sa vie à la patrie ou le poète, à son œuvre. La différence est dans la nature du feu sacrificiel, la beauté des flammes, et le parfum des essences. Les vies sacrifiées à la cupidité puent et crapotent. D’autres flammes, plus hautes, éclairent et embaument. Quoiqu’il advienne, nous serons sacrifiés, mais nous revient la liberté souveraine de choisir notre sacrifice.

Tout profaner pour éviter ce choix, c’est se précipiter dans le vide par crainte de l’abîme et choisir finalement « l’ abîme de la nuit » contre « l’abîme du jour », pour reprendre la distinction de Raymond Abellio. La règle des ricaneurs, à cet égard, est aussi rigoureuse que celle de Saint-Ignace de Loyola : ils obéissent comme des cadavres à la mort qui est leur seul horizon. Ceux qui ricanent de tout vivent dans un monde d’une effrayante tristesse.

La vie humaine, une alternance de combats et d’épiphanies : le reste est faux-semblants.

Le déclin de l'Europe: une réalité exacte et, en même temps, relative

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Le déclin de l'Europe: une réalité exacte et, en même temps, relative

Carlos X. Blanco

La perception que nous avons, dans cette partie du monde, du déclin de notre civilisation est à la fois exacte et relative.

  1. Exact, car nous, immergés dans l'Europe occidentale, voyons nos valeurs les plus chères se désintégrer, l'autorité disparaître, la créativité et la vie de l'esprit s'éclipser. "Rien n'est plus comme avant", se désole le conservateur. Et pour reconstruire ces valeurs et remettre "le bon vieux temps" sur pied, le conservateur ne peut penser qu'à de vieilles recettes, de simples réflexes défensifs, tous inopérants, car la réaction n'a pas de recettes transcendantes à l'époque dans laquelle elle vit, elle n'échappe pas à son temps comme un poisson ne peut pas sauter hors de son bocal. L'ancien monde ne reviendra jamais, et la restauration de la civilisation est toujours une restauration à partir d'une conjoncture donnée, avec des armes anciennes qui ne peuvent en aucun cas être utilisées pour la renverser dans son exactitude.

arton25607-3f8c0.jpgUn bon spenglerien verrait que notre Europe occidentale est un échec, un échec déjà annoncé par deux guerres mondiales qui ont abouti à la fin d'une souveraineté hégémonique, une fin inéluctable après les massacres généralisés et le désenchantement et le discrédit définitifs de l'Europe pour le reste des peuples de la Terre ; un résultat désastreux provoqué par le mode de vie libéral. Dans la partie occupée par les États-Unis, le mode de vie libéral nous a été imposé. Il en a été ainsi après le blocus systématique et le démantèlement des mouvements populaires, des forces révolutionnaires, des partis communistes, etc. Le mode de vie américain devient l'idéal à atteindre et la culture officielle de toutes les nations, non seulement celles qui ont été vaincues (Allemagne, Italie) mais aussi celles qui ont théoriquement triomphé, bien que pratiquement détruites et délégitimées (Grande-Bretagne et France). L'assassinat de Carrero Blanco, le ferme continuateur du régime franquiste, a été définitif pour imposer ce style de vie américain et démolisseur en Espagne.

Une société de consommation et un parlement libéral dûment contrôlé (c'est facile à faire, puisque dès le début le "parlementarisme" a été promu pour se laisser contrôler) par les pouvoirs ploutocratiques, promettaient de faire de l'Europe occidentale un reflet idéal de sa puissance occupante, c'est-à-dire un reflet de l'empire yankee. Il manquait un ingrédient pour que l'image miroir soit parfaite : le mimétisme de son aspect multiethnique et multiculturel. Pour cela, il fallait que la culture et la mentalité européennes soient prêtes à "payer les coûts" de la colonisation des pays autrefois opprimés. La déconsidération des puissances euro-occidentales, vidées de leur sang dans une guerre mondiale "finale" de 1939-1945, a entraîné le mouvement de décolonisation et l'afflux, depuis les pays nouvellement libérés, non plus de Blancs autochtones (rapatriement) mais d'autochtones désormais décolonisés, qui ont exigé de la métropole l'accès à l'emploi, à l'éducation, au logement et à toutes les autres possibilités de vie dans un monde riche. L'Europe deviendrait ainsi une nouvelle Amérique, un continent fait "pour l'émigration et avec l'émigration". Sans doute, ce n'est pas la même chose de "faire une nation" dans un territoire vierge ou peu peuplé à partir de contingents divers et au milieu d'immensités territoriales (comme le Canada, les États-Unis, l'Argentine), que de "remplir" un continent à faible taux de natalité, mais densément peuplé d'autochtones, comme c'est le cas de l'Europe occidentale. L'"américanisation" de l'Europe était une composante nécessaire aux besoins de réalisation du capital transnational yankee, qui exigeait une "réinitialisation" culturelle radicale des peuples occidentaux, afin qu'ils puissent désormais s'ouvrir sans ambiguïté à un nouveau mode de vie ultra-consumériste, l'American way of life, qui implique le renoncement à la reproduction biologique et l'importation de main-d'œuvre bon marché.

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Notre décadence est exacte, dès que nous sommes une collection de pays militairement occupés (il n'y a pas de politique de défense européenne propre) et culturellement colonisés (colonisée est surtout la culture de la gauche européenne, qui a abjuré le marxisme et embrassé le postmodernisme, le déconstructivisme et le "gendérisme" d'origine française mais passé par le shaker des universités yankees).

Il n'est donc pas surprenant que nous, Européens, en particulier ceux qui sont touchés par la mondialisation (travailleurs, indépendants, paysans), ne sachions pas comment nous doter d'une politique propre et d'une orientation pour les relations avec les autres peuples du monde, qu'ils vivent à l'intérieur ou à l'extérieur de nos frontières. Notre système éducatif fait naufrage, effaçant de notre mémoire l'héritage gréco-romain et chrétien, déracinant des principes tels que l'autorité et l'effort, principes essentiels pour que le peuple travailleur puisse relever la tête.

Nous manquons de moralité et de perspectives d'avenir. Nous devenons ultra-classifiés : nous perdons notre statut de classe (le "prolétariat européen" exact n'est plus détectable) et ceux qui se perçoivent comme tels manquent d'outils pour savoir de quel côté ils doivent se battre, contre quoi et contre qui.

  1. C'est une perception relative. Nous percevons notre déclin de manière relative. Le point de vue non-eurocentrique nous permettrait de voir qu'un monde multipolaire est en train d'émerger. Le XXe siècle est le siècle du déclin de l'Occident. Nous verrons peu à peu comment cette civilisation se prostituera au fur et à mesure que la "protection" américaine se retirera, pour les raisons les plus diverses : tentative de concentration américaine dans la zone Pacifique, en coalition avec des acteurs secondaires (Australie, Japon, restes thalassocratiques du Royaume-Uni, etc.), désaccords avec l'UE, une "union" de plus en plus désunie, et contrainte (par pure survie ou par destin historique) à un contact étroit avec la Russie et la Chine, fournisseurs d'énergie et de produits manufacturés. La Russie et la Chine, deux pôles de puissance essentiels à la survie de l'Europe, en tant que partenaires commerciaux et, qui sait, sauveteurs ou empires absorbants, de notre naufrage, et ce malgré les obstacles imposés par les Yankees ?

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Le monde non-eurocentrique se développe. Les pièges "environnementalistes" que l'Empire yankee, à vocation mondialiste et unipolaire, veut tendre aux blocs émergents ne seront d'aucune utilité. L'Empire ne peut plus conditionner le développement de pays qui aspirent également à s'industrialiser et souhaitent atteindre des niveaux de consommation plus élevés. L'époque du "libéralisme pour les autres et du protectionnisme pour les miens" est révolue. Des milliers de Greta Thunberg peuvent maintenant débarquer sur les rivages de la Chine, de l'Inde, de l'Amérique latine, de l'Afrique... et personne, sauf les imbéciles et les "collaborateurs" bien subventionnés de l'Empire, ne pourra embrayer sur ce discours. Qu'il soit clair que personne ne les écoutera. Le contrôle arabo-yankee de l'énergie nécessaire à l'industrialisation nationale en Europe touche à sa fin. Elle peut se terminer même en Europe, où les pays qui ont encore un potentiel industriel (l'Allemagne, par exemple) peuvent "se réveiller du sommeil dogmatique" de l'idéologie Verte-Yankee et reprendre la voie de la Realpolitik.

Alexandre Douguine: textes sur les événements du Kazakhstan

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Alexandre Douguine: textes sur les événements du Kazakhstan

Tout ce qui se passe au Kazakhstan est le prix à payer pour s'être éloigné de Moscou

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitica.ru/article/aleksandr-dugin-vsyo-proishodyashchee-v-kazahstane-cena-za-otdalenie-ot-moskvy

Les autorités kazakhes sont en partie responsables de la crise et de la tentative de coup d'État du début de l'année 2022. La Russie doit fournir à la république toute l'aide possible mais non pas gratuitement et seulement sous certaines conditions, déclare le politologue, leader du Mouvement international eurasien et philosophe Alexandre Douguine. Dans une interview accordée à Tsargrad, Douguine ne se contente pas de nommer la voie de sortie de la crise et les raisons de celle-ci mais répond également à la question de savoir ce que la Russie doit faire dans cette situation.

Une tentative de s'asseoir sur trois chaises

Tsargrad : Alexandre G. Douguine, quelles sont, selon vous, les principales raisons des troubles, des tentatives de prise de pouvoir et des actes de terrorisme au Kazakhstan ?

Alexandre Douguine: Il est nécessaire de comprendre que la politique internationale du Kazakhstan ces dernières années était basée sur une relation trilatérale - avec la Chine, avec la Russie et avec l'Occident. Et tant Nazarbayev, qui est l'architecte de cette politique, que Tokayev, qui est le successeur de Nazarbayev, ont estimé que cette "triple orientation" ne laisserait aucune de ces puissances mondiales devenir hégémonique et prédéterminer complètement la politique du Kazakhstan de l'extérieur.

Si les Américains exercent trop de pression, le Kazakhstan a recours à Moscou et, sur le plan économique, à la Chine. Quand la Russie a trop avancé ses pions - au contraire, l'anglais a été enseigné dans les écoles et l'économie chinoise a pénétré le pays de plus en plus profondément. Lorsque la Chine a commencé à parler de ses prétentions à prendre le contrôle de cette puissance plutôt faible économiquement, les facteurs américains sont revenus sur le tapis.

Il s'agissait d'une politique multisectorielle. C'était assez efficace à l'époque. Mais elle était différente de l'initiative eurasienne, que Nursultan Nazarbayev avait lui-même formulée dans les années 1990. En fait, l'équilibre entre multipolarité et unipolarité, entre l'Occident, la Chine et la Russie, s'est avéré très fragile du point de vue politique.

Couleur ou noir et blanc ?

- On entend beaucoup dire maintenant que la tentative de coup d'État a été largement inspirée de l'extérieur, que nous sommes confrontés à une nouvelle "révolution orange", que c'est simplement le tour du Kazakhstan. Pensez-vous que c'est vrai ?

- La politique tripartite du Kazakhstan a eu des résultats négatifs. Mais le plus important est que cette politique est allée à l'encontre de la déclaration d'unification de l'espace eurasien - principalement avec la Russie et avec les autres pays de l'EurAsEC et de l'OTSC. Nazarbayev et son successeur Tokayev ont ralenti de nombreux processus d'intégration. Bien que l'eurasisme ait été formellement déclaré comme l'objectif à poursuivre.

La rupture de l'intégration a rendu les relations avec Moscou problématiques. Environ le même modèle a été utilisé par Minsk. Et tout comme Lukashenko a obtenu ainsi sa révolution de couleur, maintenant le Kazakhstan, Tokayev et Nazarbayev ont obtenu leur propre révolution de couleur! Cela a été rendu possible parce que l'Occident a été autorisé à pénétrer trop profondément au Kazakhstan. Et bien sûr, il a fait son travail habituel.

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Il est certain que ce à quoi nous avons affaire au Kazakhstan est une révolution de couleur. Du point de vue géopolitique, il s'agit d'une extension du front occidental contre la Russie. L'Occident, comme il le dit lui-même, a peur de l'invasion de l'Ukraine par la Russie et de la renaissance de la Novorossia, le "printemps russe". Pour déjouer l'attention et disperser la volonté de la Russie, des attaques sont lancées le long du périmètre - non seulement en Ukraine, mais aussi au Belarus et en Géorgie.

Et maintenant, un autre front de l'Atlantisme s'ouvre contre l'Eurasisme, au Kazakhstan. Bien sûr, cette opération est dirigée contre la Russie. Les manifestants ont déjà avancé les thèses évooquant la nécessité pour le Kazakhstan de quitter l'Union économique eurasienne. C'est une révolution de couleur typique, parrainée par l'Occident à des fins géopolitiques, comme toutes les autres.

Tsargrad est prévenu ! Petit rappel: Alexei Toporov, en 2018, disait que "Nazarbayev finirait comme Ianoukovitch et Chevardnadze".

Les problèmes internes du Kazakhstan

- Au Kazakhstan, les gens considèrent que la crise est due à des problèmes internes de la république. Nous comprenons qu'ils sont là, mais lesquels, à votre avis, ont eu un impact significatif ?

- Les problèmes intérieurs sont le troisième facteur après la politique étrangère et l'ingérence occidentale. Ensuite, il y a certainement un conflit qui se forme au Kazakhstan entre Tokayev et Nazarbayev. Nazarbayev veut - il serait plus correct de dire qu'il voulait - contrôler toute la politique, tandis que Tokayev se sent progressivement plus indépendant. Il n'est donc pas exclu que le président kazakh lui-même soit derrière ces protestations.

Les premiers jours, nous avons assisté à une étrange réaction : le renvoi du gouvernement, l'ouverture de négociations avec les manifestants. Seul un dirigeant qui a un certain intérêt à ce que l'effondrement et la crise se poursuivent peut le faire. Peut-être que sur cette vague, Tokayev lui-même cherche à se débarrasser de Nazarbayev, celui qui l'a porté au pouvoir.

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Le quatrième facteur est la situation sociale et économique problématique du Kazakhstan. L'absence de politique sociale, le caractère fermé des élites, l'absence d'une idée nationale et la transformation de l'eurasisme déclaré en un simulacre d'idéologie - tout cela a conduit à une société plutôt corrompue au Kazakhstan, où l'élite est intégrée à l'Occident et garde son argent dans des sociétés offshore.

La situation au Kazakhstan est typique

- Dans une certaine mesure, ces problèmes ont touché toutes les républiques post-soviétiques ? 

- Bien sûr, ces régimes post-soviétiques ont cependant épuisé leur potentiel. Tôt ou tard, ils devront être remplacés par quelque chose. L'Occident veut qu'ils soient remplacés par un processus de désintégration et de démocratie libérale contrôlé par lui.

Tous les États de l'espace post-soviétique ont enfait moins d'une semaine d'existence. Ils ont vécu au sein d'un système unique au cours des derniers siècles - l'Empire russe, puis l'Union soviétique. Et maintenant, ils sont subitement devenus de nouvelles formations politiques.

Pratiquement aucun de ces États n'a jamais existé dans ses frontières actuelles. Ce sont des frontières conditionnelles, des frontières administratives. Par conséquent, pour s'établir en tant qu'État, il doit d'abord établir une relation avec Moscou, le principal facteur de stabilité et de prospérité.

En fait, au Kazakhstan ou dans toute autre république post-soviétique, il est tout à fait possible de créer un système efficace, orienté vers le peuple, avec une idée nationale et une idéologie multipolaire. D'autant plus que l'eurasisme est très populaire au Kazakhstan. Ils ont très bien commencé, de manière très convaincante. Et il n'y a pas eu de gros problèmes avec la population russe, et les relations avec Moscou sont restées bonnes. À un moment donné, il semblait que le Kazakhstan était l'antithèse de l'espace post-soviétique : si l'un des Etats post-soviétiques avait du succès, c'était le Kazakhstan. Mais il s'est avéré que la simple incohérence d'un eurasisme de pure déclaration émis par Nazarbayev a joué un tour cruel au Kazakhstan.

Plus loin de Moscou, plus près des problèmes

- Pour quelle raison la situation au Kazakhstan a-t-elle radicalement changé ?

- À un moment donné, les autorités kazakhes ont considéré Moscou comme un partenaire secondaire, même si elles ont continué à utiliser certains modèles économiques. Au lieu de promouvoir l'intégration, ils l'ont parfois sabotée. Si, dans un premier temps, Nazarbayev a été le créateur de ce modèle eurasien, construit sur les principes de l'Union européenne, et a été à l'avant-garde des processus d'intégration, il s'est progressivement retiré de ce rôle.

Ainsi, au lieu d'une intégration eurasienne efficace et d'un rapprochement avec Moscou, on a assisté à des processus de corruption de plus en plus nationaux et paroissiaux.

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Je connais Nazarbayev personnellement. J'ai écrit un livre sur lui, j'ai une très bonne relation avec lui. Et jusqu'à un certain point, Nazarbayev avait une compréhension brillante de l'eurasisme. Il a construit sa politique exactement sur ce principe : si nous sommes d'accord avec Moscou, nous vivrons heureux pour toujours, tout ira bien. Si nous suivons l'intégration eurasienne, tout ira bien. Nazarbayev a écrit un article merveilleux et brillant sur la multipolarité monétaire. Nous défendons les grands espaces, nous défendons l'identité grande-eurasienne, une civilisation indépendante: dans ce cas, le Kazakhstan prospérera.

Mais dès qu'ils s'en éloignent, dès que les petites élites commencent à se battre entre elles pour certains aspects de l'économie, dès que l'argent est retiré du pays pour disparaître dans des zones offshore, alors les fonds occidentaux et les valeurs occidentales commencent à pénétrer dans le pays, et la langue anglaise commence à remplacer le russe. Une telle orientation ne relève pas du tout de l'eurasisme. Et vous en récolterez les fruits dans ce cas.

La Russie doit aider, mais pas sans raison

- Il s'avère que le Kazakhstan, à un moment donné, s'est apparemment détourné de la Russie. Que doit donc faire Moscou maintenant pour rétablir la stabilité et ne pas permettre une répétition de la situation actuelle ?

- Je pense que la Russie devrait aider le Kazakhstan à maintenir l'ordre. Nous devons contribuer à préserver l'intégrité territoriale du Kazakhstan, nous devons soutenir les dirigeants actuels, mais pas pour rien. Nous devons poser une condition très stricte : si nous vous aidons, alors vous devez en finir avec l'orientation à trois vecteurs, vous suivez strictement votre idée eurasienne - et nous nous intégrerons pour de bon. Alors nous vous aiderons.

Nous ne devons pas oublier que la Russie est le garant de l'intégrité territoriale de tous les États post-soviétiques. Cela a été prouvé à de nombreuses reprises. Si la Russie ne remplit pas cette fonction, si elle n'est pas appelée à préserver son intégrité territoriale, alors cette intégrité territoriale est attaquée. Nous le voyons en Moldavie, en Géorgie, en Ukraine, en Azerbaïdjan.

Ceux qui ignorent la Russie en tant que principal gardien de l'intégrité territoriale du pays, gardien qui a le plus de principes, en paient le prix.

- La Russie doit donc agir, mais sans les bonnes politiques du Kazakhstan, ce ne sera pas possible ?

- Oui. Si les dirigeants kazakhs ne peuvent garantir la poursuite du processus d'intégration et d'allégeance à la ligne eurasienne, la situation s'aggravera. Le sort de l'intégrité territoriale du Kazakhstan sera remis en question.

Bien sûr, la Russie n'est pas derrière tout cela. La Russie est précisément la victime de cette agression. Mais je pense que la Russie a déjà épuisé la limite historique pour tolérer toutes ces hésitations à la Ianoukovitch. La politique de Loukachenko a fini par hésiter elle aussi, mais la Russie ne le tolère tout simplement plus.

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Si vous êtes nos amis, vous n'êtes pas seulement nos amis, mais aussi les ennemis de nos ennemis. C'est ce qu'on appelle une alliance eurasienne. Et si c'est le cas, ayez la courtoisie d'agir en conséquence dans le cadre des traités et dans la sphère internationale.

Si vous êtes membres de l'OTSC, alors les Américains devraient sortir du Kazakhstan. Pas un seul Américain, pas un seul représentant de l'OTAN, de l'UE. Si c'est le cas, nous vous aiderons dans toute situation difficile - non seulement sur le plan militaire, mais aussi sur le plan économique, politique et social. Mais si vous cherchez un endroit où vous serez mieux payé ou où vous ferez de meilleures affaires, je suis désolé. Cela ne s'appelle ni un partenaire, ni un ami, ni un frère - cela porte un autre nom.

Il est temps d'abandonner le mot "économique" de l'Union économique eurasienne. D'ailleurs, les mêmes Kazakhs ont déjà insisté sur ce point antérieurement. Nous devrions simplement parler de l'Union eurasienne comme d'un nouvel État confédéral. L'intégration eurasienne elle-même est mise à l'épreuve dans la situation du Kazakhstan. Oui, nous devons certainement soutenir le Kazakhstan. Mais pas pour rien.

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Reconquista eurasienne

Alexandre Douguine

Ex: https://www.geopolitica.ru/article/evraziyskaya-rekonkista

Les troubles au Kazakhstan ont mis en exergue le problème de l'espace post-soviétique à l'attention de tous. Il est clair qu'il doit être traité de manière globale. L'escalade des relations avec l'Occident au sujet de l'Ukraine et de la prétendue "invasion russe", ainsi que les "lignes rouges" définies par Poutine, font partie de ce contexte géopolitique. 

Que voulait dire Poutine par ces "lignes rouges"? Il ne s'agit pas simplement d'un avertissement selon lequel toute tentative d'étendre la zone d'influence de l'OTAN vers l'est, c'est-à-dire sur le territoire post-soviétique (ou post-impérial, ce qui revient au même), entraînera une réponse militaire de Moscou. Il s'agit d'un refus de reconnaître le statu quo stratégique établi après l'effondrement de l'URSS, ainsi que d'une remise en question de la légitimité de l'adhésion des États baltes à l'OTAN et, par conséquent, de l'ensemble de la politique américaine dans cette zone. M. Poutine est clair : "Lorsque nous étions faibles, vous en avez profité et vous nous avez pris ce qui, historiquement, nous appartenait logiquement et à nous seuls ; maintenant, nous nous sommes remis de la folie libérale et des tendances atlantistes traîtresses des années 1980 et 1990 au sein même de la Russie et nous sommes prêts à entamer un dialogue à part entière en position de force. Il ne s'agit pas d'une simple revendication. La thèse est confirmée par des étapes réelles - Géorgie 2008, Crimée et Donbass 2014, la campagne de Syrie. Nous avons rétabli notre position dans certains endroits, et l'Occident ne nous a rien fait - nous avons fait face aux sanctions. Ni les menaces de provoquer une révolte des oligarques contre Poutine ni celles de déclencher une révolution de couleur au nom des libéraux de la rue (la 5ème colonne) n'ont fonctionné. Nous avons consolidé nos succès de manière sûre et inébranlable.

La Russie est maintenant prête à poursuivre la Reconquista eurasienne, c'est-à-dire à éliminer définitivement les réseaux pro-américains de toute notre zone d'influence. 

Dans l'ensemble de la géopolitique, l'aspect juridique de la question est secondaire. Les accords et les normes juridiques ne font que légitimer le statu quo qui émerge au niveau du pouvoir. Les perdants n'ont pas leur mot à dire, "malheur à eux". Les gagnants, par contre, ont ce droit. Et ils l'utilisent toujours activement. Que le pouvoir qui s'impose aujourd'hui, sera le pouvoir juste demain. C'est ça le réalisme.

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Sous la direction de M. Poutine, la Russie est passée d'un statut de looser en politique internationale à celui d'un des trois pôles complets du monde multipolaire. Et Poutine a décidé que le moment était venu de consolider cette position. Être un pôle signifie contrôler une vaste zone qui se situe parfois bien au-delà de ses propres frontières nationales. C'est pourquoi les bases militaires américaines sont dispersées dans le monde entier. Et Washington et Bruxelles sont prêts à défendre et à renforcer cette présence. Non pas parce qu'ils en ont le "droit", mais parce qu'ils le veulent et le peuvent. Et puis la Russie de Poutine apparaît sur leur chemin et leur dit : stop, il n'y a pas d'autre chemin ; de plus, vous êtes priés de réduire votre activité dans notre zone d'intérêt dès que possible. Toute puissance faible, pour avoir fait de telles déclarations, aurait été détruite. Poutine a donc attendu avec eux pendant 21 ans jusqu'à ce que la Russie retrouve sa puissance géopolitique. Nous ne sommes plus faibles. Vous ne le croyez pas ? Essayez de vérifier.

Tout ceci explique la situation autour du Belarus, de l'Ukraine, de la Géorgie, de la Moldavie et maintenant du Kazakhstan. En fait, le moment est venu pour Moscou de déclarer le changement de nom de la CEI en Union eurasienne (non seulement économique, mais réelle, géopolitique), comprenant toutes les unités politiques de l'espace post-soviétique. Les russophobes les plus obstinés peuvent être laissés dans un statut neutre - mais toute la zone post-soviétique devrait être nettoyée de la présence américaine. Elle devrait être éliminée non seulement sous la forme de bases militaires, mais aussi dans le cadre d'éventuelles opérations de changement de régime, dont la version la plus courante sont les "révolutions de couleur" - comme le Maïdan de 2013-2014 en Ukraine, les manifestations de 2020 en Biélorussie et les derniers développements au Kazakhstan au tout début de 2022.

L'Occident s'insurge contre notre soutien à Loukachenko, contre la prétendue "invasion" de l'Ukraine et, maintenant, contre l'envoi de troupes de l'OTSC au Kazakhstan pour réprimer les insurrections terroristes, islamistes, nationalistes et gulénistes, que, comme on pouvait s'y attendre, l'Occident soutient - comme il soutient ses autres mandataires - de Zelensky et Maia Sandu à Saakashvili, Tikhanovskaya et Ablyazov. En d'autres termes, les États-Unis et l'OTAN se soucient de ce qui se passe dans l'espace post-soviétique, et ils fournissent toutes sortes de soutien à leurs clients. Et Moscou, pour une raison quelconque, selon leur logique, ne devrait pas s'en soucier. C'est vrai, si Moscou n'était qu'un objet de la géopolitique et gouverné de l'extérieur, comme c'était le cas dans les années 90 sous la domination pure et simple de la 5ème colonne atlantiste dans le pays, plutôt qu'un sujet comme aujourd'hui, alors ce serait le cas. Mais le moment décisif est venu de consolider ce statut de sujet. C'est maintenant ou jamais.

Qu'est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que Moscou met fin à l'interminable processus d'intégration eurasienne par un accord d'action plus décisif. Si Washington n'accepte pas de garantir le statut de neutralité de l'Ukraine, alors - pour citer Poutine - elle devra répondre militairement et techniquement. Si vous ne voulez pas une bonne réponse, ce n'est pas comme ça que ça marche. D'autres scénarios vont de la libération complète de l'Ukraine de l'occupation américaine et du régime libéral-nazi corrompu et illégitime, à la création de deux entités politiques à sa place - à l'Est (Novorossia) et à l'Ouest (sans la Podkarpattya ruthène). Mais en aucun cas moins. Et aucune reconnaissance de la DPR et de la LPR, bien sûr, ne sera suffisante. La "finlandisation" de l'Ukraine, dont notre sixième colonne a souvent parlé ces derniers temps, ne sera pas non plus achevée tant qu'il n'y aura pas un argument vraiment fort - c'est-à-dire une nouvelle entité non indépendante - sur ce territoire, toute la rive gauche, ainsi qu'Odessa et les provinces adjacentes. 

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Oui, la décision est impopulaire, mais historiquement inévitable. Lorsque la Russie est dans une spirale ascendante (et c'est là qu'elle se trouve actuellement), les régions occidentales sont inévitablement - tôt ou tard - libérées de la présence atlantiste - polonaise, suédoise, autrichienne ou américaine. C'est une loi géopolitique.

Un tel exemple serait une grande leçon pour la Géorgie et la Moldavie : soit vous neutralisez, soit nous venons à vous. Et c'est tout. L'exemple des pays voisins permet de voir comment nous y parvenons. Et il vaut mieux ne pas tenter le sort - la Géorgie est passée par là sous Saakashvili. La tentative d'Erevan de flirter avec l'Occident s'est soldée par le feu vert donné par Moscou à Bakou pour restaurer son intégrité territoriale. Et puis nous avons la Transnistrie. Les signes sont partout. Et c'est seulement à Moscou de déterminer dans quel état ils se trouvent. Aujourd'hui, Poutine perd patience face aux provocations continues de l'Occident. Il est possible de décongeler un produit congelé. Et ce ne sera pas un petit prix à payer.

Maintenant le Kazakhstan. Nazarbayev a bien commencé - mieux que les autres, et même mieux que la Russie elle-même, qui était aux mains de l'agence atlantiste dans les années 90. C'est lui qui a avancé l'idée de l'Union eurasienne, de l'ordre mondial multipolaire, de l'intégration eurasienne, et qui a même rédigé la Constitution de l'Union eurasienne. Hélas, ces dernières années, il s'est éloigné de sa propre idée. Nazarbayev m'a un jour promis personnellement lors d'une conversation qu'après sa retraite, il dirigerait le Mouvement eurasien, car c'était son destin. Mais au cours des dernières années de son gouvernement, pour une raison quelconque, il s'est tourné vers l'Occident et a soutenu la nationalisation des élites kazakhes. Les agents de l'Atlantisme n'ont pas manqué d'en profiter et, par l'intermédiaire de leurs mandataires - islamistes, gulénistes et nationalistes kazakhs, ainsi qu'en utilisant l'élite libérale kazakhe cosmopolite - ont commencé à préparer un "plan B" pour renverser Nazarbayev lui-même et son successeur Kassym-Jomart Tokayev. Le plan a été lancé début 2022, juste avant les entretiens fatidiques de Poutine avec Biden, dont dépendra le sort de la guerre et de la paix. 

Dans une telle situation, Moscou devrait apporter à Tokayev son soutien militaire total. Mais les demi-mesures du Kazakhstan en matière de politique d'intégration - Glazyev montre en détail et objectivement comment elle est sabotée au niveau des mesures concrètes par nos partenaires de l'UEE - ne sont plus acceptables. Tout comme l'hésitation de Lukashenko. Les Russes (OTSC) font, volens nolens, partie du Kazakhstan et y resteront. Jusqu'à ce que les terroristes soient éliminés, et en même temps, jusqu'à ce que tous les obstacles à une intégration complète et véritable soient levés. Et que l'Ouest fasse autant de bruit qu'il le veut ! Ce n'est pas son affaire : nos alliés nous ont invités à sauver le pays. Mais toutes les fondations et structures occidentales, ainsi que les cellules des organisations terroristes (tant libérales qu'islamistes et gulénistes) au Kazakhstan doivent être abolies et écrasées.

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Lorsque la guerre nous est déclarée et qu'il n'y a aucun moyen de l'éviter, nous n'avons plus qu'à la gagner. Par conséquent, l'UEE ou, pour être plus précis, une Union eurasienne à part entière doit devenir une réalité. Minsk et la capitale du Kazakhstan, quel que soit son nom, ainsi qu'Erevan et Bichkek, doivent prendre conscience qu'elles font désormais partie d'un seul et même "grand espace". Il s'agit des amis et des problèmes qu'ils rencontrent sous l'influence de l'atlantisme, qui tente par tous les moyens possibles de saboter et de démolir les régimes existants - bien que relativement pro-russes. Ces problèmes prendront fin au moment où l'intégration deviendra réelle. 

Dans ce cas, c'est le côté militaire qui s'avère être le plus efficace en la matière. Les Russes ne sont pas forts en négociations, mais ils se montrent meilleurs dans une guerre de libération juste - défensive, en fait, qui leur est imposée. 

Ensuite, nous en arrivons logiquement aux États baltes. Leur présence au sein de l'OTAN, compte tenu du nouveau statut de la Russie en tant que pôle du monde tripolaire, est une anomalie. Il faut également leur proposer un choix : neutralisation ou... Laissez-les découvrir par eux-mêmes ce qui se passera s'ils ne choisissent pas volontairement la neutralisation.

Enfin, l'Europe de l'Est. La participation de ses pays à l'OTAN est également un gros problème pour la Grande Russie. Nombre de ces pays sont profondément liés à nous : certains par le slavisme, d'autres par l'orthodoxie, d'autres encore par leurs origines eurasiennes. En un mot, ce sont nos peuples frères. Et voici l'OTAN... Ce n'est pas une bonne chose. Il serait préférable qu'ils soient un pont amical entre nous et l'Europe occidentale. Et il n'y aurait pas besoin de Nord Stream 2. Notre peuple sera toujours d'accord avec son propre peuple. Mais non. Aujourd'hui, ils jouent le rôle d'un "cordon sanitaire" - un outil classique de la géopolitique anglo-saxonne, conçu pour séparer l'Europe centrale et l'Eurasie russe. De temps en temps, les vrais pôles déchirent ce cordon. Aujourd'hui, elle est temporairement revenue aux Anglo-Saxons. Mais si la montée en puissance de la Russie, comme sujet géopolitique, se poursuit, ce ne sera pas pour longtemps. 

Cependant, les pays baltes et l'Europe de l'Est sont l'agenda géopolitique de demain. Aujourd'hui, le destin de l'espace post-soviétique - post-impérial - est en jeu. Notre maison commune eurasienne. La première tâche consiste à y mettre de l'ordre.