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mercredi, 27 juillet 2022

Expérimenter l'Ego. Evola et la philosophie

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Expérimenter l'Ego. Evola et la philosophie

par Giovanni Sessa

Source: https://www.centrostudilaruna.it/provare-lio-evola-e-la-filosofia.html

Les études les plus sérieuses et significatives consacrées à la pensée d'Evola prennent comme point de départ ou, en tout cas, ont comme thème central de discussion, ses œuvres spéculatives. On pense au travail pionnier de Roberto Melchionda, un exégète d'Evola, qui fut bien courageux et qui est récemment décédé: il a mis en évidence la puissance théorique de l'idéalisme magique. On pense également à l'étude d'Antimo Negri, critique des résultats de la philosophie du traditionaliste. Depuis plus d'une décennie, Giovanni Damiano, Massimo Donà et Romano Gasparotti se sont distingués par leur travail d'analyse de ce système de pensée; leurs essais sont motivés par une authentique vocation exégétique et loin des conclusions hâtives ou motivées par des jugements politiques, qu'ils soient positifs ou négatifs.

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Un élève de Donà, le jeune Michele Ricciotti (photo), a récemment publié une monographie consacrée au philosophe, qui s'est tout de suite imposé comme un livre important dans la littérature critique sur le sujet. Nous nous référons à Provare l'Io. Julius Evola e la filosofia, qui a paru dans le catalogue de l'éditeur InSchibboleth (pour toute commande : info@inschibbolethedizioni.com, pp. 217, euro 20,00). L'auteur parcourt et discute, avec une évidente compétence théorique et historico-philosophique, l'iter d'Evola, en utilisant la bibliographie la plus actuelle, mû par la conviction, rappelée par Donà dans la préface, que : "le vrai philosophe, pour Evola, ne peut se limiter à 'démontrer'. Mais il doit d'abord faire l'expérience, sur sa propre peau, de la véracité d'acquis qui, en vérité, ne peuvent jamais être simplement 'théoriques'" (pp. 11-12). A cette hypothèse, il est désormais clair, au fil des pages du livre, qu'Evola est resté fidèle tout au long de sa vie. Naturellement, son parcours n'a pas été linéaire, mais caractérisé, surtout à partir de la fin des années 1920, par la "tournure" traditionaliste que lui a imprimée sa rencontre avec Guénon. Afin de présenter au lecteur la complexité d'une pensée très articulée, Ricciotti a divisé le texte en trois chapitres.

Dans la premier, il aborde, avec des accents et des arguments convaincants, l'expérience dadaïste d'Evola, au cours de laquelle a pris forme le "problème" théorique central d'Evola, celui lié à l'Ego : "de son affirmation et de sa "preuve"", mais : "non sans avoir brièvement discuté de la signification spirituelle que l'"Art de la Réalité" (p. 17) joue dans la réalisation de cette tâche. Oui, l'idéalisme d'Evola était "magique", capable d'intégrer, en termes de praxis, le besoin de certitude propre à l'idéalisme classique et l'actualisme de Gentile, considéré comme le sommet de la pensée moderne.

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Le deuxième chapitre aborde, non par hasard, la relation d'Evola avec l'idéalisme, en particulier avec sa déclinaison actualiste. Le lecteur doit savoir que les pages consacrées par Ricciotti au dépassement du gentilisme par Evola sont parmi les plus profondes de celles écrites jusqu'à présent : "L'actualisme se configure à notre avis comme une station qui doit nécessairement être franchie par l'Ego pour devenir - de transcendantal qu'il est - "magique"" (p. 18). La philosophie et la magie, en effet, comme Donà l'a bien illustré, ont historiquement partagé le même horizon, dans lequel la pensée et l'action correspondent. L'individu absolu est celui "qui est certain du monde grâce au fait qu'il se rend identique à lui, en vertu de sa capacité à en faire une image dont le pouvoir magique s'identifie à la volonté inconditionnelle de l'ego" (p. 19).

Le troisième chapitre aborde le thème de la descente de l'individu absolu dans l'histoire, suivi de la tentative du philosophe de construire un symbolisme du processus historique. Pour ce faire, le penseur s'est appuyé sur les apports théoriques de Bachofen, résumés dans la méthode empathique-antiquisante, ainsi que sur Guénon et la "méthode traditionnelle". Une brève locution peut bien clarifier ce que Ricciotti pense de l'iter évolien : "de l'image magique du monde au symbole", où le premier terme a une valence positive et le second représente une diminutio, une déresponsabilisation théorique. Cette torsion des acquisitions magico-dadaïstes initiales se manifeste, explique Ricciotti, à partir des pages de Imperialismo pagano, une œuvre au centre de laquelle se trouve : "un sujet souverain capable d'instituer la loi en se plaçant en dehors et au-dessus d'elle, se faisant le représentant d'une liberté inconditionnelle" (p. 27).

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L'individu souverain possède des caractéristiques similaires à celles de l'individu absolu car, tel un sage taoïste, il le sait : "Avoir besoin de pouvoir est une impuissance [...] exprime une privation d'être" (p. 29). D'autre part, le sujet souverain, identifié au Rex de la Tradition, est ici placé dans un contexte historico-chronologique et est donc privé de l'"absolutisme" du sujet magique. La même situation peut être observée dans les pages de La Tradition Hermétique. D'une part, la transmutation alchimique y fait allusion à l'accompli : "reconstitution du royaume de Saturne [...] et comblement de la privation dont la matière est le symbole" (p. 37), d'autre part, dès l'organisation du volume, l'adhésion du penseur à la structure de la méthode traditionnelle se manifeste. Elle consiste, d'un point de vue général, à tenter de retrouver dans l'histoire l'héritage symbolique commun à toutes les civilisations traditionnelles, mais aussi à y tracer les interférences avec la supra-histoire et la souveraineté. De cette façon, le dualisme réapparaît puissamment chez Evola. Il anime l'opposition entre Tradition et Modernité dans les pages de Révolte et les œuvres de la période proprement "traditionaliste".

C'est sur cette voie, affirme Ricciotti, qu'Evola parvient à la définition d'une métaphysique de l'histoire centrée "sur une théorie spécifique du symbole compris [...] comme un facteur opératoire au sein de l'histoire elle-même" (p. 177). Le traditionaliste y incorpore l'idée guénonienne centrée sur la valeur supra-historique du symbole, à l'idée bachofénienne qui soulignait, au contraire, son historicité. Pour cette raison, le philosophe ne pourra pas "sauver" le dynamisme de l'arché dans son intégralité, même s'il se réfère à un éventuel "cycle héroïque". La tradition, paradoxalement, placée dans un passé ancestral, finit par être récupérée dans une projection utopique, dans le futur. L'auteur rappelle que seule la réflexion sur les thèses de Jünger, sur le retour du pouvoir élémentaire et négatif dans le monde contemporain, a fait renaître chez Evola la Nouvelle Essence, l'horizon existentiel et cosmique de l'individu absolu. Les pages de Chevaucher le tigre en témoigneraient.

C'est le schéma général du volume. Nous ne pouvons manquer de souligner quelques plexus théoriques pertinents mis en évidence dans ses pages : tout d'abord, le concept de "valeur" dans l'idéalisme magique. Il indique la résolution de ce qui est matière dans ce qui est forme. Dans toute expérience, l'ego doit s'élever au départ de la forme de l'expérience : " à la forme de toute forme [...] la forme doit être rendue coextensive au réel, la valeur coextensive à l'être " (p. 96). Cela explique le titre du livre, Provare l'Io. En effet : " donner raison à l'Ego signifiera donner raison à toute la réalité, à partir de l'identité de l'Ego avec la déterminité empirique " (pp. 99-100).

Un livre, celui que nous devons à Ricciotti, qui ramène une pensée puissante et trop longtemps négligée sous les projecteurs du débat philosophique.

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