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lundi, 08 août 2022

La ligne du Dniepr

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La ligne du Dniepr

par Fabio Mini

Source : Il Fatto Quotidiano & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-linea-del-dniepr

Nous savons quelque chose sur les dirigeants ukrainiens et peu ou pas du tout sur le peuple ukrainien. Il s'agit certainement d'un peuple tourmenté et désorienté dont la voix est filtrée et étouffée par la propagande ou la répression ultranationaliste. Tout comme une "opération spéciale" limitée et transitoire a été annoncée au peuple russe, une victoire certaine a été annoncée au peuple ukrainien, non pas tant par la résistance populaire que par l'assistance, de loin, du monde entier qui "compte". Ces gens commencent à ne plus comprendre ce qui se passe, et le président élu pour "servir le peuple" s'en sert maintenant pour se décharger de ses propres ambitions et échecs sur les autres. Du déluge de milliards de dollars et d'euros déversés sur l'Ukraine, pas une goutte n'a atteint le peuple. La dette ukrainienne s'envole et se fait passer pour de l'aide humanitaire. En fait, l'Ukraine est depuis longtemps incapable de payer les intérêts des dettes contractées avant la guerre. Elle est déjà en défaut technique et l'augmentation de l'"aide" la réduira à la faillite. La promesse de la victoire s'accompagne de celle de la reconstruction qui rendra l'Ukraine "plus belle et plus forte qu'avant". La victoire sera certaine car l'Ukraine sauve le monde en fournissant des céréales. Mais il a été souligné que l'accord recherché par l'ONU et la Turquie prévoit également la libération du blé russe, et de toute façon, même ensemble, ils ne pourront pas résoudre un problème qui était déjà évident avant la guerre. Un problème qui, pendant la guerre, n'a fait que déplacer le profit d'un spéculateur à l'autre, face à la crise alimentaire mondiale.

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Le peuple ukrainien ne comprend pas pourquoi les querelles internes au sein du gouvernement et les purges récentes de centaines de fonctionnaires, désormais posés comme traîtres, surgissent soudainement sous les feux de rampe de l'actualité. Le peuple se souvient très bien que Zelensky lui-même est devenu l'otage d'une faction extrémiste interne après son premier discours d'inauguration. S'il croit vraiment à cette faction aujourd'hui, soit il est mort de peur, soit il est victime du syndrome de Stockholm et s'est laissé prendre par les discours du preneur d'otages. Le peuple ukrainien se souvient bien de ce que les Russes ont fait aux Ukrainiens, mais il sait aussi que tous les pays voisins, à commencer par la Pologne, revendiquent des lambeaux d'Ukraine. Le peuple commence à se douter que l'Ukraine précisément sera mise en pièces. En commençant par le Donbass. Zelensky a été clair à ce sujet : il fera sauter tous les ponts sur le Dniepr et les Russes devront le traverser à la nage. Drôle de raisonnement pour quelqu'un qui prévoit de reconquérir tous les territoires ukrainiens perdus jusqu'à présent. Mais il fait chaud, et si Zelensky avertit maintenant les Russes qu'ils devront traverser le grand fleuve à la nage, cela signifie qu'il tient déjà pour acquise l'occupation de l'Ukraine à l'est du fleuve. C'est-à-dire la moitié la plus riche et la plus industrialisée du pays. Ce n'est pas un bon signal à envoyer à la population, qui est tellement fatiguée de la guerre qu'elle est également résignée à l'occupation russe.

Le retour de la physis

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Le retour de la physis

par Giovanni Sessa

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/il-ritorno-della-physis

L'échec des philosophies de l'histoire a incité, notamment depuis les années 1960, de nombreux penseurs à se pencher avec plus d'intérêt sur la réalité de la nature. Ce retour à la physis a certainement été facilité par le déploiement complet de la perturbation environnementale. Lynn White a identifié, à ce moment-là, dans l'image d'Adam comme seigneur et dominateur, le prototype de l'homme exploitant la terre. Au contraire, James Barr considère que les présupposés de l'anthropocentrisme prométhéen, sont implicites dans le rationalisme grec, fait sien par les églises chrétiennes et manifesté, dans toute sa puissance destructrice, dans la modernité.  Cette phase historique est centrée sur l'anthropocentrisme et le dualisme homme-nature, le mythe de la croissance infinie, l'idée d'une temporalité progressive et la réduction de la physis à une simple quantité.  Dans un intéressant volume de trois universitaires, Marcello Ghilardi, Giangiorgio Pasqualotto et Paolo Vidali, L'idea di natura tra Oriente e Occidente (L'idée de nature entre Orient et Occident), en librairie grâce à la maison d'édition Scholé (pp. 200, euro 16,00), la nature n'est pas lue à la lumière des notions d'entité et de substance, mais de relation. Selon les trois auteurs, l'idée de nature "...doit être discutée et redessinée en dialogue avec d'autres modes de signification [...] non pas pour tomber dans des formes paresseuses de relativisme culturel, mais plutôt pour activer le potentiel de différentes cultures et traditions" (p. 8).

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Le texte du livre est divisé en trois chapitres. Dans le premier, Vidali présente le développement historique de l'idée de nature en Occident, dans le second, Ghilardi en parle à la lumière de la tradition sino-japonaise tandis que, dans le troisième, Pasqualotto traite de cette idée dans le bouddhisme. Vidali nous rappelle que la physis grecque "ne naît pas, ne se produit pas et surtout ne se crée pas: elle persiste pour toujours, en tant que matière animée et vivante" (p. 12). L'arché est, à la fois, origine, substance et fin. C'est, en un mot, kosmos, l'ordre qui prend le relais du Chaos primordial (Hésiode). Chez Platon, l'âme de la physis n'est pas un simple mouvement, mais une raison active. Au Moyen Âge, la nature côtoie les textes sacrés : en elle, Dieu parle : "La vérité s'offre à l'homme 'per seculum et in aenigmate', comme dans un miroir et dans la confusion" (p. 17). La réalité vers laquelle il faut tendre est Dieu, la nature est donc dévalorisée : "L'homme est le sommet de la création, mais il n'est pas le centre du monde" (p. 18). La chair le limite. L'analogie, dans l'investigation de la nature, cède bientôt la place à la recherche des causes. Avec le "rasoir" d'Ockham, la voie a été ouverte à la recherche empirique et à la connaissance scientifique.

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La nature sera désormais interprétée comme une machine, dont les lois ne peuvent être comprises (Galilei) qu'en termes mathématico-géométriques. Avec Descartes, le dualisme de la res cogitans et de la res extensa sera introduit: la nature est désormais réduite à une quantité, exploitable au profit de l'homme. Newton poussera cette vision à l'extrême tandis que, pendant le Romantisme, l'exégèse qualitative et holistique de la nature réapparaîtra chez Goethe et Schelling. Les certitudes des scientifiques allaient être remises en question par la théorie quantique et la relativité, qui ont clarifié la façon dont la nature ne se comporte pas du tout de manière déterministe: "produire des effets égaux en présence de causes égales" (p. 49). Après Einstein, il n'était plus possible de parler d'une réalité donnée indépendamment du système de référence dans lequel elle est décrite.   Par ailleurs, face aux exacerbations de l'anthropocène, on assiste à la redécouverte d'une vision de la nature fondée sur la relation.  Elle était déjà présente chez Platon. Ce dernier avait fait valoir que "seul l'être en relation explique que "ce qui est" apparaît" (p. 60).  La relation précède la substance, elle définit les entités, les sépare et les unit. Tout existe dans le réseau des relations: "d'où la nécessité de penser le réel non pas à partir d'objets, mais de systèmes, imbriqués et seulement épistémiquement distinguables" (p. 65).

Il est nécessaire de penser en termes de systèmes complexes, de dépasser l'opposition du sujet et de l'objet. Dans la physis, tout pense, même le monde végétal, quoique sur un mode différent du nôtre. La nature, dans cette perspective, est un écosystème intégré dans lequel l'homme, avec les autres espèces, est un invité, et non un maître. Selon Ghilardi, une vision non différente de cette relation émerge de la conception chinoise de la nature. Dans le taoïsme, le Ciel et la Terre : "doivent être compris comme les deux polarités extrêmes entre lesquelles se déroule le "processus" cosmique" (p. 95). Le Tao est le déroulement du monde, son écoulement.   La nature est essentiellement spontanée. Il n'y a pas de dualisme en elle: le corps et l'âme sont des étapes différentes d'une même dynamique énergétique induite par le souffle de la vie, dont la pensée japonaise était également consciente, qui a un développement rythmique centré sur le yang et le yin. Les "cinq agents" (les éléments) sont liés par une relation de naissance et de génération: "chaque élément est un processus, et en tant que tel, il est conditionnant et conditionné" (p. 101).  Tout est dans tout, bien qu'à des degrés divers de séparation. Au Japon, la nature elle-même est considérée comme : "le siège du divin, et on peut y accéder par un seuil, un limen, une frontière à franchir" (p. 108). La nature est : "ce qui s'offre à l'œil comme un phénomène dynamique" (p. 109).

Son caractère éphémère et transitoire est saisi dans la "mélancolie poignante ressentie en contemplant la beauté des fleurs de cerisier [...]" (p. 111). Dans le Zen, on pense que chaque réalité naturelle peut devenir Bouddha, l'éveil est, in nuce, dans tout. Un peintre authentique est celui qui, dans son œuvre, fait ressortir le souffle de vie qui habite les entités. Ainsi, l'être humain est un être-dans, un moment dans la relation naturelle. Pasqualotto fait valoir que "L'idée d'une interconnexion universelle [...] est présente sous forme poétique dans les Avatamsaka sūtra, un texte fondamental du bouddhisme Mahāyāna " (pp. 139-140). Tout phénomène, en plus d'être lui-même, est le reflet de tous les autres. Aucune réalité n'est : " une entité autonome, isolée, indépendante [...] Cela [...] signifie que toute réalité existe dans la mesure où elle est constituée d'autres réalités " (p. 143). La fleur qui s'épanouit n'est que le moment d'un processus qui comporte en lui les étapes précédentes et futures. Tout " est le résultat de l'entrecroisement des fils qui le constituent " (p. 147).

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Cette conception, à l'époque contemporaine, a été reprise par le moine vietnamien Thìch Nhat Hanh (photo). Si tous les êtres sont interconnectés et, au-delà, souffrent, il est nécessaire de pratiquer la bienveillance et la compassion. Ainsi, "l'écosophie doit être envisagée dans un horizon qui dépasse celui de l'écologie [...] elle exige une sagesse qui dépasse les connaissances scientifiques" (p. 173). La rencontre avec la Sophia orientale peut peut-être, au-delà de tout relativisme, nous permettre de retrouver le savoir oublié de l'Europe ancienne.

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Sur le "luciférisme aryen" azovite

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Sur le "luciférisme aryen" azovite

par Daniele Perra

Source : Daniele Perra & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/sul-luciferismo-ariano-azovita

Je suis récemment tombé sur un essai de 2013 de l'idéologue (et chef du secrétariat international) du mouvement Azovite, Olena Semenyaka, intitulé "Quand les dieux entendent l'appel : le potentiel conservateur-révolutionnaire de l'art Black Metal" publié par la maison d'édition Black Front Press basée à Londres et dirigée par le national-anarchiste Troy Southgate.

Le texte n'est pas dépourvu d'enseignements. Il part de l'idée que l'art du Black Metal est une sorte de "condamnation à mort du monde moderne". Cependant, il est tout à fait évident qu'il s'agit d'un produit du monde moderne. Mais allons-y pas à pas. L'essai affirme qu'il "est le grand 'Anti' de tout ce que l'on croit avoir de la valeur pour le membre moyen de la société occidentale moderne : des notions conventionnelles de ce qui est bon est beau à l'être métaphysique lui-même". Le black metal est donc une "phase nihiliste-active dans un processus de transvaluation métaphysique des valeurs". Il ne s'agit pas d'une sous-culture mais d'une contre-culture visant à effacer toute l'époque contemporaine. En cela, elle serait assez similaire à la révolution conservatrice présentée précisément comme un "phénomène culturel complexe qui a beaucoup en commun avec le black metal" : en plus d'être tous deux des phénomènes contre-culturels, ils sont également "politiquement transversaux".

Semenyaka met particulièrement l'accent sur le "National Socialist Black Metal" (NSBM), défini dans le document comme une "synthèse parfaite de la volonté de puissance luciférienne", dont l'Ukraine représente selon elle une avant-garde mondiale. C'est précisément ici qu'a lieu le principal festival de musique du genre (Asgardsrei), organisé par le citoyen russe en attente de recevoir la nationalité ukrainienne (il est aussi vétéran du régiment Azov et idéologue du groupe Wotanjugend), Alexei Levkin, après son expulsion de Russie. Semenyaka elle-même a longtemps été en très bons termes avec Levkin, jusqu'à ce que l'extrémisme excessif du Russe commence à se révéler rédhibitoire pour le redéveloppement/nettoyage international de l'image du mouvement azovite et ses tentatives de lobbying aux États-Unis.

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Le "luciférisme aryen" dont parle l'idéologue ukrainienne dans ce contexte se manifesterait comme un sentiment métaphysique de recherche de la liberté absolue. Ce passage est intéressant étant donné que dans l'essai, Semenyaka elle-même cite les travaux de René Guénon de manière plutôt désinvolte. Le métaphysicien français soutenait en effet l'idée que le luciférisme conscient et plutôt grotesque d'un petit groupe était bien moins dangereux que le luciférisme inconscient de la plupart: par exemple, celui des prédicateurs protestants nord-américains qui, en prétendant disposer d'un canal direct de communication avec Dieu, tentent en fait de le transporter dans les strates inférieures de l'être.

Cela montrerait en soi comment l'utilisation d'un luciférisme élitiste pour combattre une société déjà luciférienne est une sorte de contradiction dans les termes. Semenyaka fait également constamment référence à l'œuvre de Nietzsche, mais bien qu'elle ait écrit une dissertation sur la pensée de Martin Heidegger, elle semble ignorer la principale critique que le philosophe de Messkirch a formulée à l'égard de Nietzsche : à savoir que le platonisme ne peut être renversé en restant sur des positions essentiellement platoniciennes. Par conséquent, prétendre renverser le luciférisme par le luciférisme ressemble à un affrontement entre les deux faces d'une même pièce.

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Semenyaka parle également de la nature chthonique du Black Metal et de l'éveil en lui de la nature titanesque. Mais, là encore, il semble ignorer la nature déjà purement titanesque de la société que l'on chercherait à combattre. En outre, la comparaison avec la révolution conservatrice, du moins dans la manière dont Semenyaka comprend ce type d'"art", est totalement déplacée. Pour les théoriciens de cette "école de pensée", le révolutionnaire est celui qui sauve et préserve la valeur qui se trouve à l'origine. À l'ère du chaos informe du capitalisme financier et industriel, cette valeur réside dans l'essence même de la nature humaine écrasée par les produits de la technologie. Et cette essence, pour paraphraser Aristote, est avant tout politique. En redonnant au politique sa primauté sur l'économie et son contrôle sur la technologie, on redonne à l'histoire le rythme de l'homme qui tente de repenser et (à nouveau) d'interpréter le monde au lieu de se concentrer sur sa simple utilisation. En ce sens, la Révolution conservatrice a représenté une lueur olympienne dans une société déjà plongée dans un titanisme chthonique.

Dans l'interprétation du black metal par Semenyaka, cela devient donc une sorte de titanisme pseudo-oppositionnel à une société titanesque. Ainsi, le "règne de Prométhée" souhaité à venir (la phase active-nihiliste de la future domination titanesque) sera une fois de plus fondé sur le pouvoir élémentaire de la technologie. Ce n'est pas un hasard si Semenyaka parle encore d'un "ethnofuturisme" qui fera entrer la région située entre la mer Baltique et la mer Noire (le bloc "intermarium" déjà théorisé par le prométhéisme polonais de Josef Pilsudiski et actuel cheval de bataille de l'atlantisme) dans la "quatrième révolution industrielle".

Au chevet des médias américains

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Au chevet des médias américains

par Fabrizio Casari

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/al-capezzale-dei-media-statunitensi

Il était une fois le journalisme américain. Comme dans tous les ganglions vitaux du système de circulation des idées, la mythification de la profession de journaliste a constitué la toile de fond du récit médiatique contemporain. Ce récit parlait d'une presse libre et véritablement puissante, d'un quatrième pouvoir qui faisait trembler tous les autres. On a vanté les mérites de son école de journalisme d'investigation (qui se résume en gros à "suivre l'argent") et de son modèle de reporter sans faille et sans peur qui ne recule devant rien ni personne, qui ne craint ni la vengeance ni les représailles car son seul objectif est la Vérité, avec un grand "V", sans médiation et sans contexte.

Pour alimenter le mythe du journalisme made in USA, ils ont décidé de sanctifier cette image. Ils ont même inventé le prix Pulitzer, une sorte de prix Nobel du journalisme qui devait être décerné chaque année à ceux qui s'étaient distingués dans leur travail de découverte et de dénonciation des maux du monde. Que ce soit les maux qu'il était commode pour les États-Unis de dénoncer est un autre aspect de l'histoire.

La grande nouvelle, ces jours-ci, cependant, est que seulement 11 pour cent de la population américaine, conserve un degré de confiance dans ce que les médias publient, 89 pour cent ne les considèrent pas comme fiables ou véridiques. Dire cela, ce n'est pas être un rebelle ou un militant du système des médias alternatifs, loin de là.

C'est ce qu'affirme Gallup dans son sondage annuel sur la confiance des citoyens dans les médias. Il s'agit d'une enquête qui analyse le niveau de confiance dans la presse écrite depuis 1973 et dans la radio et la télévision depuis 1993. Gallup ne peut certainement pas être épinglé pour avoir affiché des positions anti-système, car c'est l'une des plus grandes multinationales américaines dans le secteur des sondages d'opinion. Son poids dans l'orientation et le décryptage des flux électoraux aux Etats-Unis est reconnu. Son enquête a donc tous les stigmates de la véracité et de la crédibilité. Précisément ce que le système médiatique ne semble plus apprécier.

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La chute verticale de la perception positive des médias n'est évidemment pas tant liée à des signatures ou à des émissions individuelles, mais au brusque renversement de rôle que le journalisme occidental a entrepris depuis la fin des années 1980. A supposer qu'il ait jamais été ce qu'il prétendait être - le chien de garde du pouvoir - il n'y a aucun doute sur le brusque et profond revirement qui voit aujourd'hui l'ensemble du système médiatique devenir un authentique appareil de défense de la pensée unique. Le quatrième pouvoir s'est, en somme, aligné sur les trois autres, et l'acte d'équilibrage, produit des rôles distincts entre contrôleur et contrôlé, est devenu un exercice rhétorique dépourvu de toute preuve réelle.

Ce que propose cette étude Gallup, c'est la courbe descendante d'un système médiatique conçu comme un soutien militant de la chaîne systémique. Il expose le manque de crédibilité manifeste qui est le résultat d'un mode d'information dont la structure de propriété comprend les grands groupes bancaires et d'assurance internationaux, et qui convoque les lecteurs et les auditeurs à une interprétation des événements politiques adaptée aux intérêts des propriétaires des médias.

Ce que Gallup ne peut pas dire, mais qui est clairement écrit entre les lignes du rapport, c'est que le rôle des médias comme courroie de transmission entre les institutions et les citoyens n'est plus rempli. Cette relation dialectique a été remplacée par une fonction à sens unique, à savoir celle des corps intermédiaires (tels que les médias) qui servent de caisse de résonance à la parole des puissants pour obtenir le consensus dont ils ont besoin. C'est clair pour tous désormais: le manque de fiabilité du système parce qu'il repose sur une chaîne d'approvisionnement mortelle, les banques possédant les gouvernements et les médias et utilisateurs d'informations étant appelés à partager alors qu'ils ne possèdent rien. La liberté de la presse n'est que la liberté des maîtres de la presse, qui décident ce qui est diffusable, comment et quand les faits et les commentaires sont diffusés. L'objectif, de grande envergure, est clair: convaincre les citoyens que ce sont les plus pauvres d'entre eux, et non les plus riches, qui sont à blâmer pour leurs incertitudes et leurs difficultés économiques ; ils leur demandent de se lancer dans la guerre contre le socialisme, qui, si elle est gagnée, les rendra pauvres, mais qui, au passage, leur enlèvera leur maison, leur emploi, leur santé, leur bien-être, leur éducation, leurs transports. Ce que dit l'enquête Gallup, en fin de compte, c'est que ce récit ne peut plus être répété à l'envi.

La participation émotionnelle des meilleurs et (surtout) des pires journalistes, qui font étalage d'un pathos digne d'autres causes envers les politiques gouvernementales et qui renoncent à émettre des doutes, à poser des questions, à creuser ce qui est occulte, sont quelques aspects de ce journalisme réduit à la propagande, fonctionnel à la diffusion de messages politiques occidentaux et non à l'information sur ce qui se passe, pourquoi cela se passe, quels intérêts cela déplace et à qui cela profite. Ce qui apparaît, c'est un mode de transmission politique de l'information qui est toxique, manquant de crédibilité et de fiabilité, les deux composantes les plus importantes d'une information saine.

Puis il y a le revers de la médaille ; encore plus agressif, il atteint les sommets criminels de la censure sans trace apparente. Prenez, par exemple, Julian Assange, qui a fait de la déontologie journalistique sa mission et qui, pour cela, a dû affronter la traque, le rôle du réfugié, les complots inventés pour le discréditer, la génuflexion honteuse de l'Équateur face aux exigences américaines. Ou Edgar Snowden, contraint de se réfugier en Russie pour avoir raconté ce qu'on lui a apporté, après avoir vérifié sa crédibilité et son sérieux. Et il y a aussi des journalistes moins connus du grand public, comme le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, tué dans son ambassade, dépecé et mis en pièces dans une valise envoyée à Ryad au prince héritier.

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Mais si l'on veut prendre un bon exemple de la manière dont le journalisme d'investigation est soumis à la persécution politique, il faut ériger sur le plus haut podium Gary Webb, le journaliste américain du San Francisco Examiner, auteur du livre The Dark Alliance, où il dénonce le rôle de la CIA et de la Maison Blanche, alliées au terrorisme et au trafic de drogue, avec la complicité et l'intérêt partagé de l'armée de l'air salvadorienne dans le trafic d'armes et de drogue servant à fournir des armes aux Contras au Nicaragua. On l'a trouvé mort avec deux coups de fusil dans la poitrine, mais on a dit qu'il s'était suicidé. C'est un miracle d'automutilation acrobatique que de se tirer une balle dans la poitrine, puis de ramasser le fusil et de se tirer à nouveau dessus.

Sur ces crimes odieux, auxquels on peut ajouter la liste des journalistes tués par des soldats israéliens dans les Territoires occupés, le silence est d'or. Ceux qui devraient - par statut et par objectif - attirer l'attention du public sur de telles déviances font au contraire partie prenante du système politique qui dirige les médias. Comme Reporters sans frontières, une organisation qui doit ostensiblement dénoncer les attaques contre les travailleurs de l'information mais qui, comme l'a amplement avoué son fondateur, Bob Menard, est une structure entièrement financée et dirigée par la CIA pour protéger ses intérêts. Un cas explicite du contrôleur acheté par le contrôlé, presque une périphrase du schéma général dans lequel nous nageons quotidiennement, risquant de voir au loin et de prendre les requins pour des canots de sauvetage.

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L'enquête de Gallup ne dénouera pas les enchevêtrements pervers du système médiatique, otage du système économique, des journalistes qui commencent avec un esprit indépendant et finissent peu après comme thuriféraires. Elle ne lèvera pas le voile sur les raisons pour lesquelles ceux qui écrivent, parlent et passent à la télévision aujourd'hui militent avec ardeur dans les rangs du néolibéralisme atlantiste. Elle ne proposera pas non plus l'insoutenabilité d'un système international qui assigne à l'Occident le contrôle total du circuit des médias et qui, dans le même temps, définit sans vergogne la fameuse minorité non alignée comme un objet de "censure".

Mais si le récit du système unipolaire perd en crédibilité et en fiabilité, c'est tout le système politico-médiatique de l'empire qui en pâtira. Gallup ouvre ainsi un scénario plus large. Les files de sans-abri aux portes des villes américaines ignorées par la presse, la radio et la télévision représentent bien le degré de confiance dans les médias et leur capacité à décrire la réalité. Ce qui ne fonctionne probablement plus dans les médias est ce qui ne fonctionne plus dans le système politique.