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lundi, 08 janvier 2024

Redécouvrez Lautréamont et rien ne sera plus comme avant

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Redécouvrez Lautréamont et rien ne sera plus comme avant

par Massimo Fini

Source : Massimo Fini & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/riscoprire-lautreamont-e-nulla-sara-piu-come-prima

Je suis en train de lire les Chants de Maldoror de Lautréamont. Je m'y étais attaqué à l'âge de vingt ans et, après avoir parcouru quelques pages, j'avais abandonné. Je n'étais pas assez prêt pour une lecture aussi exigeante. Il m'est arrivé la même chose avec Proust. Quatre ou cinq fois, j'avais commencé Du côté de chez Swann et, à la cinquantième page, j'avais claqué contre le mur le premier des huit volumes d'A la recherche du temps perdu, publiés par Mondadori. Un été, à quarante ans, j'ai dévoré les huit volumes. Et c'est une évidence. A la recherche du temps perdu est la grande fresque d'une époque, un traité de psychanalyse, mais aussi et surtout un livre sur le Temps et la mémoire (la madeleine). Or, à vingt ans, on a moins de mémoire qu'à quarante, on est occupé à parcourir ces bouts de vie qui deviendront à leur tour mémoire. Il faut donc se méfier des proustiens épuisés de la vingtaine, soit pour se donner un ton, soit pour sublimer ainsi leur homosexualité (bien qu'aujourd'hui, l'homosexualité étant dédouanée, ce déguisement soit moins nécessaire).

L'appréciation d'un livre, d'un film, de toute œuvre d'art, dépend du moment de la vie dans lequel on l'aborde. Celui de la maturité n'est pas toujours le meilleur moment pour comprendre. Rimbaud, par exemple, est beaucoup plus proche de la sensibilité des adolescents ou des post-adolescents, étant lui-même adolescent. Il écrit Une saison en enfer à 19 ans et son œuvre est concentrée en quatre ans, puis il ne veut plus rien savoir de son travail de poète et d'écrivain, il traverse plusieurs fois les Alpes à pied jusqu'à s'embarquer pour l'Afrique pour travailler comme marchand, refusant tout contact avec les éditeurs et les journaux. A l'un d'eux, particulièrement insistant, il dira: "ma saison est finie, c'est tout".

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Lautréamont est, avec Rimbaud ("le poète devient voyant par un long et raisonné démêlage de tous les sens", expression qu'il utilise dans une lettre à un ami, et non Verlaine comme on le croit généralement), le fondateur de la poésie, de la littérature moderne, de la culture moderne. Tout l'art du début du 20ème siècle, hommes de lettres, poètes, peintres, écrivains, journalistes - Guillaume Apollinaire - a inspiré Lautréamont, du surréalisme au cubisme en passant par le fauvisme, le pointillisme et le symbolisme. Souvent inconsciemment, parfois consciemment. Il a été lu, par exemple, par Amedeo Modigliani, l'une des figures les plus lumineuses, extraordinaires et généreuses de ce Paris inégalable de la fin du 19ème siècle aux années 1930, où se retrouvaient peintres, écrivains et musiciens de toute l'Europe, de l'Espagne à la Russie à la Roumanie à la Bulgarie à la Turquie et plus tard aux Américains dont le rôle principal, mais non unique - Hemingway, Fitzgerald, Henry Miller - était de se faire d'habiles marchands d'art en achetant les œuvres de peintres tous désargentés, à l'exception de Picabia, mais y compris Picasso.

La tentative titanesque de Lautréamont, Rimbaud et Baudelaire a été de désarticuler, au milieu du 19ème siècle, dans le temps court de leur vie (Lautréamont est mort à 24 ans, Rimbaud poète à 22 ans, Baudelaire à 46 ans) les structures sociales, psychologiques et économiques de leur époque, c'est-à-dire les structures de la bourgeoisie.

Le plus puissant dans cette œuvre est Lautréamont, avec son écriture extraordinaire, toute nouvelle, avec ses poèmes en prose, lisez l'Ode à l'Océan dans le premier chant de Maldoror. Bref, après avoir lu Lautréamont, on ne peut plus être comme avant.

 

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Vieil océan

Extrait du Chant I

Vieil océan, aux vagues de cristal, tu ressembles proportionnellement à ces marques azurées que l’on voit sur le dos meurtri des mousses ; tu es un immense bleu, appliqué sur le corps de la terre : j’aime cette comparaison. Ainsi, à ton premier aspect, un souffle prolongé de tristesse, qu’on croirait être le murmure de ta brise suave, passe, en laissant des ineffaçables traces, sur l’âme profondément ébranlée, et tu rappelles au souvenir de tes amants, sans qu’on s’en rende toujours compte, les rudes commencements de l’homme, où il fait connaissance avec la douleur, qui ne le quitte plus. Je te salue, vieil océan !


Vieil océan, ta forme harmonieusement sphérique, qui réjouit la face grave de la géométrie, ne me rappelle que trop les petits yeux de l’homme, pareils à ceux du sanglier pour la petitesse, et à ceux des oiseaux de nuit pour la perfection circulaire du contour. Cependant, l’homme s’est cru beau dans tous les siècles. Moi, je suppose plutôt que l’homme ne croit à sa beauté que par amour-propre ; mais, qu’il n’est pas beau réellement et qu’il s’en doute ; car, pourquoi regarde-t-il la figure de son semblable avec tant de mépris ? Je te salue, vieil océan !

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