mercredi, 02 janvier 2008
Henry de Monfreid: flibustier de la Mer Rouge
Henry de Monfreid: flibustier de la Mer Rouge
Philippe Baraduc publie chez Arthaud un bel album sur Henry de Monfreid flibustier de la Mer Rouge. Voici la présentation de l'éditeur: « Henry de Monfreid (1879-1974) est à classer dans la catégorie des "écrivains-aventuriers". Son père, peintre et ami de Gauguin, lui a légué la passion de la mer. Au début du XXième siècle, l'aventure coloniale est à la mode. En 1911, Monfreid débarque à Djibouti, petit comptoir français sur les bords de la Mer Rouge. Commence alors une vie d'aventures qui se poursuivra jusqu'à la fin de sa vie. En Ethiopie, il se fond aux indigènes, apprend leur langue et leurs coutumes et se convertit même à l'Islam. Pour eux, il sera Abd el Hai, "l'esclave du vivant". L'appel du large le motive au point qu'il construit lui-même ses bateaux, dont trois boutres qui parcourent les mers, l'Ibn-el-Bahar, l'Altair et le Moustérieh, et transportent armes, perles et haschisch presque toujours à la barbe des Anglais. Une rencontre, celle de Joseph Kessel, le pousse à écrire. Paraissent alors les premiers récits d'aventures vécues et romans pittoresques dont le succès est immédiat: Les secrets de la Mer Rouge, Pilleurs d'épaves, La Croisière du Haschisch,... Beaucoup de ces récits sont publiés dans les journaux de l'époque. On suit avec intérêt les tribulations de ce "Loti" aventurier, devenu correspondant de guerre dans les années qui voient se préciser le second conflit mondial, et qui se fait le chantre de l'aventure coloniale italienne en Abyssinie, au terme de démêlés violents avec le Négus et les Britanniques. Prisonnier des Anglais et déporté au Kenya, il y vivra, une fois libéré, plusieurs années heureuses, parmi les animaux. De retour en France, il tentera plusieurs fois, à nouveau, l'aventure en mer ». Un beau livre illustré de nombreux documents dont d'étonnantes plaques de verre coloriées par Monfreid (P. MONTHÉLIE).
Philippe BARADUC, Henry de Monfreid flibustier de la Mer Rouge, Editions Arthaud, 1998, 160 pages, 295 FF.
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mardi, 01 janvier 2008
Sur Sir Oswald Mosley
Sur Sir Oswald Mosley
Richard Thurlow, pour le compte de l’éditeur londonien I. B. Tauris, vient de publier une nouvelle histoire du mouvement fasciste britannique, centré autour des « Black Shirts » de Sir Oswald Mosley. Outre une histoire générale de ce mouvement, né de la grande crise économique qui a secoué l’Angleterre à la fin des années 20 et au début des années 30, le livre de Thurlow aborde l’histoire personnelle de Mosley après 1940-45. Interné en 1940 pour raisons de sécurité, Mosley, écrit Thurlow, a utilisé son repos forcé en prison ou en résidence surveillée, pour lire énormément. Thurlow signale ainsi qu’il a appris la langue allemande et s’est intéressé à l’histoire de la Grèce antique. Cet intérêt a notamment renforcé son classicisme, son engouement pour les formes dites « classiques » de notre civilisation. La correspondance avec son fils Nicholas témoigne de son intérêt pour l’évolutionnisme non matérialiste, s’enracinant dans la psychologie de Jung et la nouvelle physique de Jeans et Eddington. De ces lectures éparses, Mosley déduit une théorie de l’homme de « pensée et d’action » (« Thought-Deed Man »), opposé à cette « volonté de confort », qui prévalait dans l’ethos puritain du capitalisme britannique et de sa classe dominante.
Pendant ces quelques années de réclusion forcée, Mosley a cessé d’être un nationaliste britannique pour se muer en Européen. La figure du Faust de Goethe, le wagnérisme revu par George Bernard Shaw et la philosophie de Nietzsche se sont combinés dans l’esprit de Mosley. Celui-ci estimait que, chez Faust, la quête de beauté et d’achèvement, ne pouvait se réaliser que par un effort constant, sans repos, et que si une sorte de satisfaction béate remplaçait cette quête, l’évolution personnelle de l’homme arrêtait sa marche, et qu’alors, l’extinction et la mort survenaient. La fébrilité incessante, propre de l’homme (surtout de l’homme faustien), devait être canalisée vers des objectifs positifs, socialement et politiquement utiles et féconds. Les travers de l’homme pouvaient dès lors être mobilisés pour atteindre un « Bien », surtout par le truchement de l’art et de l’action. Mosley a donc développé une vision faustienne de l’homme européen, qui s’est superposée à la vision nietzschéenne du surhomme. Son « Thought-Deed-Man » devait servir d’anthropologie fondamentale à l’Europe unie du futur. Thurlow montre que Mosley s’est efforcé de concevoir une vision positive de l’homme, de communiquer une éthique constructive à ses militants, tandis qu’une bonne part des rescapés du fascisme britannique basculait dans les théories de la conspiration et du complot (généralement « judéo-maçonnique »).
Autre volet intéressant dans l’étude de Thurlow : le débat sur l’internement et la libération de Mosley pendant la seconde guerre mondiale en Grande-Bretagne. Le principe de liberté de conscience, d’opinion et de parole est sacré en droit britannique. De ce fait, l’internement des fascistes en 1940 a suscité des réactions variées et somme toute assez mitigées. Mosley, citoyen britannique issu de la classe dominante, ne pouvait juridiquement pas être interné pour ses opinions, mais uniquement, le cas échéant, pour des actes concrets de sabotage ou de trahison, mais il n’en avait pas commis… En novembre 1943, le monde politique britannique connaît une crise sérieuse quand on parle de relâcher Mosley. Les communistes, à l’époque assez puissants et forts de l’alliance qui lie Londres à Moscou, tentent de provoquer une crise, excitent les émotions, ce qui menace la production de guerre. Thurlow rappelle que, généralement, la gauche s’insurgeait avant la guerre avec véhémence contre toute action gouvernementale visant à restreindre les libertés civiles. En novembre 43, en revanche, dans le cas de Mosley et de ses compagnons, les communistes et le « Council for Civil Liberties » (qu’ils contrôlaient partiellement), militaient pour maintenir l’ex-chef du BUF (British Union of Fascists) en détention. Harold Nicholson, membre du « Council for Civil Liberties », démissionne, car il n’accepte pas la position de la majorité de ce conseil dans l’affaire Mosley : pour Nicholson, il était illogique qu’un tel organisme, visant à défendre les libertés civiles des citoyens, appuyât le maintien en détention d’un citoyen sans jugement. Trente-huit autres membres du Council suivirent Nicholson. Ils estimaient qu’en 1940, on pouvait comprendre l’internement de Mosley et des fascistes, vu les menaces allemandes pesant directement sur le territoire britannique, mais qu’en 1943, la fortune de guerre avait changé de camp et les Allemands ne menaçaient plus l’Angleterre d’une invasion. Ensuite, Nicholson et ses amis jugeaient la position des communistes particulièrement hypocrite, dans la mesure où ils avaient, eux aussi, milité contre la guerre en même temps que Mosley. Ils étaient donc tout aussi coupables que lui, et cela, jusqu’en juin 1941, où, du jour au lendemain, ils s’étaient mués en super-patriotes !
Chez les socialistes, les attitudes furent variées. Dès 1940, le député travailliste Richard Stokes, d’Ipswich, réclame la libération de Mosley et de ses amis parce que leur détention enfreint le principe de respect absolu des libertés civiles. Aux yeux de ces travaillistes, Mosley devait soit être jugé comme traître soit immédiatement libéré. Mais, la base des syndicats, travaillée par les communistes, adresse deux lettres à Herbert Morrison, président des « trade unions », lui précisant que la libération de Mosley porterait un coup au moral des civils, parce que le leader de la BUF avait fini par symboliser le fascisme et le nazisme contre lesquels les ouvriers britanniques avaient été incités à combattre par un travail accru, des sacrifices sociaux et des cadences infernales. Quant au gouvernement conservateur de Churchill, son souci était de ne pas apporter d’eau au moulin des neutralistes américains, fortement représentés dans l’opinion d’Outre-Atlantique. En effet, il pouvait paraître incongru de faire officiellement la guerre à la tyrannie fasciste ou nazie, alors que des citoyens britanniques croupissaient en prison sans avoir été jugés. L’artifice juridique pour libérer Mosley et bon nombre de ses compagnons a été de rappeler que l’article DR18b, qui permettait temporairement l’isolement de personnes dangereuses pour la sécurité de l’Etat en temps de guerre, stipulait que la santé des prisonniers ne pouvait jamais être mise en danger. Mosley, atteint d’une phlébite, pouvant avoir des conséquences graves, devait donc être relaxé. De plus, il avait considérablement maigri, ce qui suscitait l’inquiétude des médecins. Les communistes organisèrent des manifestations dans Londres et ailleurs, mais les grèves dont ils avaient menacé le gouvernement n’eurent pas lieu. L’Union Soviétique avait besoin de matériel américain et britannique pour faire face aux troupes allemandes.
Benoît DUCARME.
Richard THURLOW, Fascism in Britain. From Oswald Mosley’s Blackshirts to the National Front, I. B. Tauris, London, 1998, 298 pages, ISBN 1-86064-337-X.
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Rüdiger Altmann
Sur le politologue Rüdiger Altmann
01 janvier 1922: Naissance du politologue allemand Rüdiger Altmann, disciple de Carl Schmitt. Jeune volontaire de guerre en 1939, Rüdiger Altmann sera grièvement blessé au combat, démobilisé et autorisé à suivre des cours universitaires à Berlin. Il suivra ceux de Carl Schmitt, avant de continuer après guerre ses études à Marbourg, en dehors de l’orbite de Schmitt, pour ensuite devenir l’assistant de Wolfgang Abendroth à Wilhelmshaven.
La spécialité d’Altmann sera de réfléchir sur le rôle croissant de l’opinion publique dans la modernité, une opinion publique qui prend de plus en plus le relais des fonctions jadis dévolues à l’Etat. Celui-ci ne cesse de perdre de l’importance, du moins sous ses formes traditionnelles.
Dans un courrier que lui envoya un jour Carl Schmitt, on trouve cette phrase, en français: “L’Etat se meurt, ne troublez pas son agonie”. L’ère dictatoriale hitlérienne en Allemagne, pensaient Altmann, Abendroth et Schmitt, n’avait pas sauvé l’Etat; elle l’avait définitivement tué, tant et si bien que la dictature et l’Etat n’étaient plus que des spectres hantant la civilisation occidentale en voie de dépolitisation totale. Pour maintenir un semblant d’ordre après ce séisme, il fallait, pensait Altmann, s’efforcer de gérer une “société formée”, de préférence dirigée par un Chancelier fort (en l’occurrence Adenauer et, après lui, Ehrard).
Cette “société formée”, héritière bon gré mal gré de l’Etat, n’était plus tant menacée dans ses assises par les conflits sociaux mais par la croissance luxuriante des structures créées et imposées par les intérêts “organisés”, sectoriels, syndicaux, professionnels, financiers et autres. Dans une telle perspective, le conflit, dans sa radicalité de sorélienne mémoire, est purement et simplement évacué et la société passe à un stade, en principe non conflictuel, de coopération inter-groupale, dont les accords ponctuels génèrent une dynamique permanente.
Carl Schmitt estimait, pessimiste et désillusionné, que cette situation conduisait à la domination des “potestates indirectae”, des “pouvoirs indirects”, non visibles, castrateurs de l’Etat classique et du politique en soi, dont il avait été le théoricien par excellence. Le type d’Etat qui se substitue à ce dernier est un “Etat redistributeur”, qui n’est plus rien d’autre qu’une organisation sans pouvoir réellement politique, chargée de subventionner les groupes sectoriels organisés, tirant forcément à hue et à dia, au gré de leurs intérêts du moment.
La “Grande Coalition” des sociaux-démocrates et des démocrates-chrétiens, qui accède au pouvoir en 1966, incarne ce passage de la société formée (dont il ne reste plus que de misérables résidus sous les coups du consumérisme émergent) à cette organisation générale redistributrice, indirecte et invisible. Altmann a aussi tenté de défendre la représentation parlementaire classique contre la partitocratie en marche, prête à occuper tous les rouages de l’Etat, pour le castrer définitivement et pour vider le politique de son sens.
Son œuvre peut nous aider à combattre en Flandre et en Belgique toute résurgence du “dehaenisme” (avec sa “plomberie politique” et ses rafistolages sans projet) ou toute réédition de cette pratique pernicieuse de la “potestas indirecta” chez les démocrates-chrétiens, surtout quand ils sont alliés aux socialistes (Robert Steuckers).
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