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samedi, 19 janvier 2008

Pour une volonté impériale !

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Marcello DE ANGELIS :

Pour une volonté impériale !

Etre ou ne pas être : le dilemme d’Hamlet se pose à la jeunesse d’Europe

Quand Samuel Huntington, professeur à Harvard, a publié son célè­bre livre, The Clash of Civilizations, aujourd’hui cité jusqu’à la nau­sée, il augurait l’avènement d’une nouvelle dimension conflictuelle dans le monde, suscitée cette fois par les origines culturelles, ras­sem­blées dans des espaces organiques autocentrés de dimensions continentales, espaces opposés les uns aux autres ; dans cet affron­te­ment planétaire à acteurs multiples, il réservait à l’Europe un rôle pour le moins ambigu. Il désignait notre continent comme la matrice de la « civilisation occidentale », admettait qu’il allait devenir une su­per­puissance économique et militaire. Mais au fil de son exposé, il fi­nissait par répéter l’hypothèse que, dans le futur, l’Europe conti­nue­rait son petit bonhomme de chemin comme dans les années 50, au sein de ce que l’on appelle depuis lors le « monde occidental ». Il n’y au­ra pas, selon Huntington, deux agrégats indépendants et auto­no­mes respectivement sur le continent nord-américain et en Europe. Cette thèse n’a guère préoccupé les esprits, elle est passée quasi inaperçue, la plupart des observateurs ont considéré que ce vice d’analyse dérive d’un effet d’inertie, propre de la culture américaine, qui s’est répercuté sur le cerveau de l’honorable professeur, par ail­leurs excellent pour tous les brillants raisonnements qu’il produit.

Huntington mérite aussi nos éloges pour avoir eu tant d’intuitions, pour avoir prospecté l’histoire européenne , en feignant un à-peu-près qui découvre par « accident » les rythmes réels du monde, qui lui permettait de prédire que le destin de notre Europe n’était pas prévisible comme l’était celui des autres parties du monde. Certes, l’Europe pourra soit se muer en un bloc autocentré soit garder le corps de ce côté de l’Atlantique et le cerveau de l’autre. La question reste sans solution. Et si le livre de Huntington  —comme le sou­li­gnent quelques esprits plus fins—  n’était pas un simple essai aca­démique mais plutôt un scénario à l’usage de l’établissement amé­ricain… Quoi qu’il en soit, l’établissement a très bien retenu la leçon de Huntington et a vite mis tout en œuvre pour agencer le monde selon ses intérêts économiques et géopolitiques.

Les deux concurrents les plus sérieux des Etats-Unis à l’échelle de la planète, selon la logique d’affrontement décrite par Huntington, devraient être l’Empire européen et un Califat islamique rené de ses cendres. L’Empire européen (potentiel), fort d’une culture spécifique et pluri-millénaire, humus indestructible d’une formidable mentalité, ca­pable de disposer d’une technologie militaire de pointe, bénéficiant d’un marché intérieur supérieur à celui des Etats-Unis, aurait fa­cile­ment marginalisé le colosse américain grâce à un partenariat quasi­ment obligatoire avec les pays limitrophes de l’Europe de l’Est et à un développement harmonieux des pays de la rive sud de la Méditer­ranée. De son côté, le monde islamique, qui peut plus difficilement en­gager un dialogue avec la civilisation américaine, décrite par quel­ques scolastiques musulmans comme le pire mal qui ait jamais frap­pé la planète et le contraire absolu de tout ce qui est « halal » (pur) ou « muslim » (obéissant à la loi de Dieu). Ce monde musulman con­naît une formidable expansion démographique et détient la majorité des gisements de pétrole. Si l’Empire européen voit le jour, se con­so­lide et s’affirme, il est fort probable que ce mon­de musulman chan­ge de partenaires commerciaux et abandonne les sociétés américai­nes. Le monde orthodoxe-slave-byzantin, handica­pé par la totale dé­pendance de la Russie vis-à-vis de la Banque mon­diale, connaît ac­tuellement une terrible phase de recul.

Actuellement, les mages de la stratégie globale américaine semblent avoir trouvé une solution à tous les maux. D’un côté, ils favorisent la constitution d’un front islamique hétérogène, avec la Turquie pour fer de lance et l’Arabie Saoudite pour banque. Ce front en forme de « croissant » ( !) aura l’une de ses pointes au Kosovo, c’est-à-dire au cœur de l’Europe byzantine, et l’autre dans la république la plus orientale de l’Asie Centrale ex-soviétique : ainsi, toute éventuelle re­nais­­sance du pôle orthodoxe ou panslave sera prise dans un étau et le monde islamique sera coupé en deux. Pire, en ayant impliqué l’U­nion Européenne dans l’attaque contre la Serbie, les stratèges amé­ricains ont empoisonné tout dialogue futur en vue de créer une zone d’é­change préférentiel entre cette Union Européenne et le grand marché oriental slave et orthodoxe. Or, ce marché est l’unique espoir de voir advenir un développement européen et de sortir l’Eu­rope ex-soviétique du marasme actuel ; le passage de l’aide amé­ricaine à l’aide européenne aurait permis un saut qualitatif ex­ceptionnel.

L’Europe se trouve donc dans l’impasse. Comment faire pour en sor­tir ? Mystère ! Une Europe forte économiquement, même bien ar­mée, s’avère inutile si elle n’est pas libre et indépendante ; tout au plus peut-elle être le complément subsidiaire préféré d’une autre puis­sance. Toute Europe autonome et puissante est obligatoirement le principal concurrent des Etats-Unis tant sur le plan économique et com­mercial que sur le plan politique et diplomatique. Notre continent de­vra donc opérer ce choix crucial et historique : ou bien il restera ce volet oriental du Gros-Occident, niant de ce fait sa propre spécificité, diluant progressivement sa propre identité dans une sur-modernité qui la condamnera à demeurer terre de conflits et zone frontalière, li­mes face à l’Est et face à l’Islam pour protéger les intérêts et la sur­vie d’une puissance impériale d’au-delà de l’océan ; ou, alors, l’Eu­ro­pe se réveillera et retrouvera une nouvelle dimension, qui est tout à la fois sa dimension la plus ancienne ; elle ramènera son cerveau en son centre et en son cœur, elle rompra les liens de subordination qui l’en­travent et partira de l’avant, redevenant ainsi maîtresse de son destin.

Ce réveil est le juste choix. Mais est-il possible ? On ne peut malheu­reu­sement rien prédire aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, il reste en Eu­ro­pe une certaine volonté d’agir dans la liberté et l’indépendance.

Marcello de ANGELIS.

(article paru dans Area, juin 1999).         

vendredi, 18 janvier 2008

Le discours de Peter Sloterdijk à Elmau

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Baal MÜLLER:

Une controverse philosophique qui secoue l’Allemagne : le discours de Peter Sloterdijk à Elmau

 

« Regeln für den Menschenpark » ou « Règle pour le cheptel hu­main », tel est le titre d’un discours récent du philosophe Peter Slo­ter­dijk. Il a suscité un tollé chez les pleureuses classiques et chez les mo­ralistes auto-proclamés de l’établissement philosophique alle­mand, qui ont évidemment crié au fascisme. On connaît depuis long­temps l’éthique ( ?) qui sous-tend le discours et le niveau intellectuel ( ?) de ces messieurs-dames et de leurs relais dans les médias. Il faut ajouter que Sloterdijk lui-même avait prévenu ses lecteurs des caquetages et vociférations qu’allaient pousser ces nouvelles oies du Capitole. Il avait préparé ses réponses.

 

Quoi qu’il en soit, leurs jacassements bruyants et leurs battements d’ai­le ne suffisent plus, désormais, à clouer le bec et à chasser des médias ceux qui, de temps à autre, ont vraiment quelque chose à dire. Donc, dans l’avenir, quand on évoquera encore le discours tenu en juillet dernier par Sloterdijk à Elmau en Bavière, on ne le fera pas pour contrer les piaillements et jacassements des habituels profes­seurs de morale, mais pour plonger au cœur de la problématique phi­losophique qu’il a soulevée.

 

Déjà, le titre donné par Sloterdijk à son discours est quelque peu trompeur, car il ne nous donne aucune règle à suivre dans le corps de son texte, des règles d’après lesquelles il faudrait organiser le vivre-en-commun de l’humanité. Son objet premier n’est nullement  la manipulation du génome humain ; il n’en parle que dans le dernier quart de son allocution. Ensuite, il ne se fait pas du tout le chantre d’un programme de sélection « fasciste » visant à générer un « sur­homme », comme croient l’avoir lu quelques-uns de ses adversaires.

 

Commentaire actuel de la « Lettre sur l’humanisme » de Martin Heidegger

 

Le discours de Sloterdijk traite de la fonction historique et de l’échec ap­parent, aujourd’hui, de l’humanisme occidental. Le sous-titre, « Une réponse à la Lettre sur l’humanisme », nous semble plus clair pour préciser son propos. D’une part, il prend position sur la « Lettre sur l’humanisme » que Heidegger avait écrite à Jean Baufret en 1946. Dans ce célèbre écrit, le philosophe de la Forêt Noire con­statait l’échec de l’ancien humanisme et énonçait les conditions re­qui­ses pour le déploiement d’un nouvel humanisme. D’autre part, il pré­pare ses auditeurs et lecteurs à la métaphore directrice qui tra­verse l’ensemble de son texte : c’est-à-dire l’idée que les productions de notre tradition culturelle humaniste sont en quelque sorte des let­tres, qui, jadis, ont été envoyées à des destinataires inconnus. La con­naissance de la teneur de ces « lettres », que chaque génération des castes dirigeantes était appelée à lire, a donné naissance à cette hu­maniste « république des savants ». La formation progressive des E­tats nationaux repose, pour l’essentiel, sur la canonisation de tels tex­tes, visant la production d’un consensus sur ce qui devait être tenu pour important et sur ce qu’il fallait transmettre en priorité aux futures gé­nérations, afin de créer une base culturelle pour l’identité na­tio­nale : « Outre les auteurs antiques, communs à toute l’Europe, on com­mence à mobiliser dans cette optique les classiques nationaux et mo­dernes, dont les lettres au public deviennent, via les marchés de li­vres et les hautes écoles, des leitmotive efficaces dans la création des nations ».

 

L’utilisation par Sloterdijk du concept de “mobilisation” signale que le processus n’a pas été exempt de certaines contraintes. Certes, les livres sont, d’après Jean-Paul, des lettres simplement plus épaisses que les autres que l’on adresse à des amis encore inconnus ; quant au paradigme de l’amitié, il a été très important pour l’humanisme. Néanmoins, en dépit de ce culte de l’amitié, cette domestication cul­tu­relle des peuples est, selon Sloterdijk, quelque peu violente. Les peu­ples sont organisés comme des « associations d’amitié forcée to­ta­lement alphabétisées », qui, « au temps de l’humanité qui est en ar­mes et qui lit ». On proclame simultanément le « service militaire obli­ga­toire » et la « lecture obligatoire des classiques ». Outre cette fon­da­tion de l’identité, cette pédagogie a poursuivi un autre but : « L’hu­ma­nisme en tant que parole et en tant que chose pose toujours une ad­versité, car il est un engagement qui veut ramener l’homme hors de la barbarie ».

 

La culture des livres est désormais insuffisante

 

L’humanisme antique et aussi et surtout les diverses tentatives mo­dernes de forcer sa renaissance sont, pour Sloterdijk, des concepts é­ducateurs dirigés contre les influences “bestialisantes” et “dé­chaî­nantes” des amphithéâtres et des films d’action sanglante, des com­bats de gladiateurs et des video-clips violents. Pourtant, ce concept édu­cateur connaît aujourd’hui l’échec. La culture livresque tra­di­tionnelle ne peut plus opposer une force suffisamment intégrante et do­mesticatrice face aux mass-médias et à leur puissance centrifuge : rai­son pour laquelle, il faut faire des efforts d’un genre nouveau.

 

La seconde partie du discours de Sloterdijk à Elmau consiste en une réflexion sur le concept heideggerien d’humanisme et conclut que la vi­sion humaniste de l’homme, en tant qu’ anima rationale, est en réa­lité passée à côté de l’essence spécifique de l’homme ; dès lors, la pé­dagogie humaniste ne peut plus empêcher l’homme de retomber dans la bestialité et, pire, l’humanisme, quand il dégénère au niveau d’une idéologie à l’emporte-pièce, promeut cette (re)chute de l’hom­me dans la bestialité.

 

Sloterdijk, à l’instar de Heidegger, considère que l’homme, est, de par sa constitution, « Lichtung des Seins » (= « Clairière de l’Etre »), ou, pour simplifier, l’homme est le seul être qui peut déployer un rapport de compréhension vis-à-vis du monde, indépendamment de toute for­ma­tion humaniste. A la différence de Heidegger, pour qui les théories bio­logiques ou anthropologiques énoncées sur l’homme passent à cô­té de l’existentialité propre de celui-ci, Sloterdijk croit, en se ré­fé­rant à Platon dans la troisième partie de son discours d’Elmau, à la “pon­dération” voire à la “circonspection” humaine, qui permet à l’hom­me, malgré ses origines animales, de se considérer comme le résul­tat d’une évolution biologique.

 

Comme « l’éducation, le dressage et l’apaisement de l’homme ne peut à aucun moment s’effectuer par les seuls signes écrits », Slo­terdijk soulève la question : l’homme peut-il s’auto-domestiquer via la gé­nétique ? Donc Sloterdijk se place exclusivement dans la pers­pec­tive de protéger l’homme de lui-même et ne veut nullement fabriquer et dresser des surhommes ; dans cette optique, et dans cette optique seul­ement, il se demande si, dans l’avenir, il ne serait pas possible de développer une « anthropotechnique » qui optimiserait l’héritage gé­nétique de l’homme ; quoi qu’il en soit, les possibilités scientifiques de le faire existent déjà.

 

Sloterdijk n’est pas toujours convaincant

 

On peut penser ce que l’on veut de cette question, mais il me semble qu’il faut en débattre, car cela a du sens et vaut mieux que les sem­piternelles rengaines des moralistes et catéchistes habituels. Pour ma part, les assertions de Sloterdijk, prises isolément, ne sont pas touj­ours convaincantes. Réduire l’humanisme à une lecture des clas­siques, par exemple, ne m’apparaît pas très sérieux. Ensuite, dire que la pédagogie comme mise en forme et comme instrument du dres­sage et de la domestication a un statut d’exclusivité, me paraît er­roné. Pourquoi diable tous les auteurs “humanistes” n’auraient-ils eu que cela en tête, tandis que seul Heidegger ou Nietzsche se se­raient placés en dehors ou au-delà de la tradition humaniste ? Quant à la distinction, opérée par Sloterdijk, entre médias « éducatifs » et mé­dias « déchaînants » me semble par trop schématique, tout com­me l’affirmation de ceux qui prétendent par ailleurs que la culture li­vres­que est dépassée tandis que les moyens de communication nou­veaux sont l’avenir.

 

Enfin, on peut mette une autre idée de Sloterdijk en doute : l’é­du­ca­tion de l’homme est-elle vraiment le produit d’une « anthropo-techno­lo­gie » ? N’est-elle pas plutôt une tâche d’ordre culturel ? On peut di­re que certaines caractéristiques humaines souhaitées par la société ne peuvent s’obtenir par des interventions dans l’héritage génétique, car le caractère de l’homme n’est pas l’addition accumulée d’é­lé­ments isolés, déterminables génétiquement, mais résulte de l’inter­ac­tion complexe et imprévisible de facteurs endogènes et exogènes. La plu­part des spécificités de l’homme, prises isolément, ne sont en fin de compte ni bonnes ni mauvaises. Au contraire, le contexte de leur sub­strat génétique, pris dans son ensemble, de même que le dé­ploie­ment socio-culturel de ce substrat, font en sorte qu’une poten­tia­lité caractéristique, d’abord indifférente, se manifeste ultérieurement tan­tôt comme « conscience de soi » tantôt comme « égoïsme », tan­tôt comme « adaptabilité » tantôt comme « opportunisme ».

 

Une réflexion sur la question est nécessaire

 

Indépendamment du jugement que l’on peut poser sur toute utopie fondée sur les technologies génétiques, sur leur « faisabilité » réelle, sur leur désirabilité ou sur leurs impacts sur les conceptions morales de la société —par exemple nous aurions rapidement de nouvelles in­ter­prétations des notions de « prestation » et de « destin »—  il nous semble qu’opérer une réflexion, aujourd’hui, sur cette pro­blé­ma­ti­que, est nécessaire et légitime. Il nous paraît en revanche tota­le­ment aberrant de rejeter ce débat a priori, avec la délicatesse d’un coup de gourdin, et de le réduire à une confrontation entre fascisme et anti-fascisme. Ce ne serait pas une attitude responsable devant la thé­matique des technologies génétiques. Au contraire, en réduisant le débat à de vulgaires joutes idéologisées et politisées, on laisse le champ libre à toute utilisation irresponsable des technologies gé­né­ti­ques. Il est vrai que la réflexion éthique suit, en clopinant, la techno­lo­gie nouvelle et ne peut jamais en arrêter le développement ou la pro­lifé­ration. La seule consolation qui reste, aujourd’hui, à l’éthique, c’est de pouvoir légèrement piloter le déploiement de cette technologie dans la société et d’influencer la conscience de ceux qui l’utilisent. Mais vouloir empêcher avec la véhémence habituelle le débat sur les techno­logies génétiques est une attitude qui doit être combattue in­con­ditionnellement, surtout si une telle tentative émane des vertueux auto-proclamés qui prétendent incarner la « théorie critique » pour mas­quer leur autoritarisme patriarcal et entendent fouiner inquisito­ria­le­ment dans le cerveau de leurs concitoyens.

 

Baal MÜLLER.

(article paru dans Junge Freiheit, n°39/1999).

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jeudi, 17 janvier 2008

Hommage à Adriano Romualdi

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Hommage à Adriano Romualdi

Introduction à la vie et l’œuvre du penseur traditionaliste et révolutionnaire italien

Enrique MONSONIS - article paru dans « Tierra y Pueblo », n°9 de juillet 2005
(Traduit et diffusé par Synergies Européennes, Bruxelles - Barcelone, janvier 2006)

Au mois d’août 2005, il y a eu trente-deux ans que disparaissait ce jeune intellectuel, écrivain et essayiste italien, que fut Adriano Romualdi. L’année de sa naissance, la majeure partie du territoire de son Italie natale avait été envahie par les troupes américaines, provoquant la chute du régime fasciste au pouvoir depuis 1922. Les fidèles de ce régime avaient créé, dans les territoires du Nord, une « République Sociale Italienne » (RSI) qui s’était placée sous l’autorité de Benito Mussolini. Le père d’Adriano, Pino Romualdi, fut l’un de ses Italiens qui participeront à l’expérience sociale fasciste de la RSI. Ensuite, après la défaite de 1945, Pino Romualdi n’économisera pas ses efforts pour créer de multiples organisations qui poursuivront, à travers les structures participatives du nouveau système imposé par les Alliés occidentaux -et parfois en dehors d’elles- le militantisme et l’idéal social-révolutionnaire né au sein du fascisme. Pour être concret, Pino Romualdi fut le vice-secrétaire du parti néo-fasciste parlementaire, le « Mouvement Social Italien » ou MSI, ainsi que le directeur du quotidien le plus proche de ce mouvement, « Il Secolo d’Italia ».

Adriano décida de suivre l’exemple paternel, mais en développant des idées qui lui étaient propres. Dès son jeune âge, il a prouvé qu’il portait dans son sang ce qui était écrit dans les livres et les périodiques de combat. Adriano lançait des débats, lorsqu’il était étudiant et fréquentait les organisations étudiantes de son époque, notamment la FUAN, soit la section universitaire du MSI. Il s’y est distingué dès sa vingtième année par un écrit magnifique sur Platon et par une collaboration à un ouvrage collectif sur Drieu la Rochelle et le mythe européen. Dès les premiers mois de son activisme intellectuel et politique, il manifesta son intention de dépasser les vieux partis fascistes et étatistes ancrés dans un nationalisme vieillot et dans des conservatismes stériles, tout en misant toujours sur la nécessité d’avoir un parti parlementaire fort.

Il obtint par la suite le titre de professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Palerme. Il devint ainsi une figure de premier plan dans la mouvance identitaire, tout en continuant à se distinguer dans la lutte politique, en demeurant actif dans les rangs du MSI. Comme le signalent très bien les introductions publiées dans la traduction espagnole de son étude historique sur les Indo-Européens, sur leurs origines et leurs migrations : « dans ses projets théoriques et pratiques et sur le terrain politique, on a pu voir poindre un génie, très éloigné des nostalgies et des passions sentimentales, qui regardait la réalité du haut des cimes que n’atteignent que les plus grands ; son programme est celui d’un Dorien, d’un Aryen ; on ne retrouve dans ce livre rien des chants du passé -tâche très difficile à parfaire dans l’Italie des années 60 et 70- rien non plus des nostalgies superflues, mais ce retrait intellectuel n’impliquait nullement de transiger sur le plan des vraies valeurs, dans la défense de la vérité et dans la dénonciation des manœuvres des ennemis de l’Europe ; Adriano Romualdi combattait pour donner à son mouvement les armes adéquates et efficaces qui lui manquaient, dont, notamment, un parti capable d’exercer une influence sur la société et de gagner des bribes de pouvoir réel ; pour lui, c’était là la seule manière efficace et réaliste de faire front face aux forces contraires, dotées d’organisations efficaces de même nature ».

Adriano Romualdi a consacré sa courte vie à appuyer, par ses écrits et son travail, la création d’un courant de pensée politique et culturel alternatif, identitaire et européiste en mesure de dépasser les patriotismes et les nationalismes étatiques, myopes, à courtes vues et, surtout, dépourvus de signification politique après 1945. En témoignent ses textes, son activisme intellectuel d’inspiration évolienne et son activité dans les rangs du MSI, dont il fut toujours membre et militant, et sa participation à toutes les publications et initiatives culturelles de ce que l’on appelait alors la « destra radicale », ou la « droite radicale ».

Il rédigea ainsi des introductions aux œuvres de Julius Evola, puis consacra à celui-ci, qu’il connaissait bien, un ouvrage visant à le faire connaître et à aider les plus jeunes à comprendre le sens de ses œuvres ; ce fut « Julius Evola, l’uomo e l’opera » (« Julius Evola, l’homme et l’œuvre »), écrit en 1968, toujours considéré comme l’un des meilleurs essais sur l’activité et les œuvres du penseur traditionaliste romain. De même, Adriano Romualdi rédigea des introductions aux éditions italiennes des livres du professeur allemand H. F. K. Günther, tels « Humanitas » et « Frömmigkeit nordischer Artung » (en franç. : « Religiosité indo-européenne »). Ce dernier ouvrage servit de base à l’un des plus importants livres de Romualdi lui-même, titré, en italien, « Gli Indoeuropei », soit « Les Indo-Européens ». Il parut après sa mort, à Padoue, en 1978. Il se plaçait dans le sillage du grand « indo-européiste » italien Giacomo Devoto, et s’en montrait digne, car ce dernier apprécia le livre du jeune Romuladi et en fit l’éloge. Evola aussi montra son enthousiasme pour ce livre et ajouta : « le vieux monde indo-européen exerce sur Romualdi une attraction forte car, en tant que tel, ce monde se reconnaît comme une forme particulière ».

Dans ce livre consacré aux Indo-Européens, Romualdi rassemble et résume les recherches qu’il a entreprises sur base de travaux antérieurs, réalisés par des spécialistes tels Specht, Meyer, Schulz, Antoniewicz, Günther, Krahé ou Thieme. Leurs travaux portaient sur les disciplines de l’archéologie, de l’histoire et de la philologie. A la suite de cette recherche scientifique, Romualdi publie en 1973, l’année de sa mort, « Sull’ problema de una tradizione europea » (« Sur le problème d’une tradition européenne »). Ce texte, selon le préfacier de l’édition espagnole, Olegario de las Eras, « synthétise l’itinéraire spirituel de l’Europe et sa volonté de combattre, de résister, expose tout ce qu’il considère comme étant le propre des principes spirituels et des valeurs éthiques qui ont donné forme aux cycles traditionnels qui fondirent les racines de l’Europe lors de la préhistoire indo-européenne. Je partage évidemment le point de vue d’Olegario de la Eras qui ajoute sa touche personnelle en disant : « il n’est pas facile de trouver des textes aussi limpides que celui de cet essai de Romualdi ».

De nombreux articles, préfaces, commentaires, introductions et essais, dont la plupart sont inconnus dans les mondes hispanophone (et francophone), attestent de l’importance que revêt, aujourd’hui encore, la vie militante, trop brève mais si fructueuse, d’Adriano Romualdi, disparu tragiquement, une nuit du mois d’août 1973. Un malheureux concours de circonstances, en apparence fortuites, provoqua sa mort : une voiture venant en sens inverse, la fuite de son conducteur, la voiture de Romualdi complètement démolie et précipitée dans le fossé contigu, sans que personne ne pouvait apercevoir traces de l’accident pendant plusieurs heures consécutives, le retard des services de secours. Ces circonstances malheureuses mirent fin à la vie très fertile du jeune professeur italien. Il n’avait que trente ans, son avenir semblait si prometteur, tant dans le monde universitaire que dans l’univers du militantisme politique.

Selon Julius Evola, qui l’avait bien connu, la mouvance identitaire perdit cette nuit-là « un de ses représentants les mieux qualifiés ». D’après le penseur traditionaliste romain, Romualdi « comprenait parfaitement ce que nous entendons par ‘monde de la Tradition’ et savait que c’était de ce monde-là qu’il fallait extraire les fondamentaux pour déployer une politique culturelle sérieuse pour la ‘Destra’ ». Admirateur de Nietzsche, Adriano Romualdi affirmait la prépondérance des valeurs aristocratiques, guerrières et héroïques. Pour cette raison, il était plutôt attiré par l’idée et la forme d’un « Ordre », animé par un esprit de type templier ou par une mentalité comme celle de la Prusse frédéricienne, voire par d’autres formes résiduaires de cet esprit dans des temps moins reculés. Romualdi s’était également penché sur les prémisses de l’idée romaine, celle qu’incarnaient Caton et les consuls, où prédominaient les notions de « ius » et de « fas », ce qui lui faisait dire, sans hésiter, que cette Rome-là fut la Prusse de l’antiquité. Les matériaux rassemblés par Romualdi, avec tout le sérieux scientifique qui fut son propre, avec la persévérance qui fut l’une de ses vertus, auraient pu, plus rapidement, servir de base à des essais plus vastes. Son admission dans le corps académique de l’Université de Palerme, sa nomination définitive au titre de professeur, lui offraient une tribune lui permettant d’influencer davantage les esprits de son époque, avec la possibilité de donner une formation spirituelle à beaucoup de jeunes.

Tout cela souligne à l’évidence l’importance du travail et des activités d’Adriano Romualdi, ainsi que la tragédie que constitue, pour la mouvance identitaire, sa disparition si précoce.

Ses vastes connaissances, la clarté de ses idées, la beauté de son écriture ont fait de lui un écrivain, un chercheur et un essayiste digne d’être lu, encore aujourd’hui, et, surtout, qui mériterait d’être davantage compris en des temps comme les nôtres. Trente-deux ans après sa mort tragique, son œuvre continue d’être pleinement accessible, intéressante et primordiale.

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mercredi, 16 janvier 2008

H. Arendt: l'âge sombre, le paria et le parvenu

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Hannah Arendt : l'âge sombre, le paria et le parvenu

 

par Robert Steuckers

 

Dans un volume publié par le centre d’études juives « Alte Synagoge », Agnes Heller se penche sur la vision du monde et des hommes qu’a développée Hannah Arendt, au cours de sa longue et mouvementée quête de philosophe. Cette vision évoque tout à la fois un âge sombre (« finster ») et un âge de Lumière, mais les périodes sombres sont plus fréquentes et plus durables que les périodes de Lu­mière, qui sont, elles, éphémères, marquées par la fulgurance de l’instant et la force de l’intensité. Les périodes sombres, dont la mo­dernité, sont celles où l’homme ne peut plus agir politiquement, ne peut plus façonner la réalité politique : Hannah Arendt se montre là disciple de Hegel, pour qui le zoon politikon grec était justement l’homme qui s’était hissé au-dessus de la banalité existentielle du vécu pré-urbain pour accéder à l’ère lumineuse des cités antiques. Urbaine et non ruraliste (au contraire de Heidegger), Hannah Arendt conçoit l’oikos primordial (la Heimat ou la glèbe/Die Scholle) comme une zone anté-historique d’obscurité tandis que la ville ou la cité est lu­mière parce qu’elle permet une action politique, permet le plongeon dans l’histoire. Pour cette raison, le totalitarisme est assombrisse­ment total, car il empêche l’accès des citoyens/des hommes à l’agora de la Cité qui est Lumière. L’action politique, tension des hommes vers la Lumière, exige effort, décision, responsabilité, courage, mais la Lumière dans sa plénitude ne survient qu’au moment furtif mais très intense de la libération, moment toujours imprévisible et éphémère. Agnes Heller signale que la philosophie politique de Han­nah Arendt réside tout entière dans son ouvrage Vita activa ; Hannah Arendt y perçoit l’histoire, à l’instar d’Alfred Schuler (cf. Robert Steuckers, « Le visionnaire Alfred Schuler (1865-1923), inspirateur du Cercle de Stefan George », in Vouloir n°8/AS :134/136, 1996), comme un long processus de dépérissement des forces vitales et d’assombrissement ; Walter Benjamin, à la suite de Schuler qu’il avait entendu quelques fois à Munich, parlait d’un « déclin de l’aura ». Hannah Arendt est très clairement tributaire, ici, et via Benjamin, des Cos­miques de Schwabing (le quartier de la bohème littéraire de Mu­nich de 1885 à 1919), dont l’impulseur le plus original fut sans con­teste Alfred Schuler. Agnes Heller ne signale pas cette filiation, mais ex­plicite très bien la démarche de Hannah Arendt.

 

L’histoire : un long processus d’assombrissement

 

L’histoire, depuis les Cités grecques et depuis Rome, est donc un pro­cessus continu d’assombrissement. Les cités antiques laissaient à leurs citoyens un vaste espace de liberté pour leur action politique. Depuis lors, depuis l’époque d’Eschyle, ce champ n’a cessé de se restreindre. La liberté d’action a fait place au travail (à la production, à la fabrication sérielle d’objets). Notre époque des jobs, des boulots, du salariat infécond est donc une époque d’assombrissement total pour Hannah Arendt. Son pessimisme ne relève pas de l’idéologie des Lumières ni de la tradition messianique. L’histoire n’est pas, chez Han­nah Arendt, progrès mais régression unilinéaire et déclin. La plénitude de la Lumière ne reviendra pas, sauf en quelques instants surprises, inattendus. Ces moments lumineux de libération impliquent un « retournement » (Umkehr) et un « retour » bref à cette fusion ori­gi­nelle de l’action et de la pensée, incarnée par le politique, qui ne se déploie qu’en toute clarté et toute luminosité.  Mais dans cette suc­ces­sion ininterrompue de périodes sombres, inintéressantes et inau­thentiques, triviales, la pensée agit, se prépare aux rares irruptions de lumière, est quasiment le seul travail préparatoire possible qui per­mettra la réception de la lumière. Seuls ceux qui pensent se rendent compte de cet assombrissement. Ceux qui ne pensent pas partici­pent, renforcent ou accélèrent l’assombrissement et l’acceptent com­me fait accompli. Mais toute forme de pensée n’est pas préparation à la réception de la Lumière. Une pensée obnubilée par la vérité toute faite ou recherchant fébrilement à accumuler du savoir participe aussi au processus d’assombrissement. Le totalitarisme repose et sur cette non-pensée et sur cette pensée accumulante et obsessionnellement « vé­ritiste ».

 

L’homme ou la femme, pendant un âge sombre, peuvent se profiler sur le plan culturel, comme Rahel Varnhagen, femme de lettres et d’art dans la communauté israélite de Berlin, ou sur le plan histo­rique, comme Benjamin Disraeli, qui a forgé l’empire britannique, écrit Hannah Arendt. Mais, dans un tel contexte de « sombritude », quel est le sort de l’homme et de la femme dans sa propre communauté juive ? Il ou elle s’assimile. Mais cette assimilation est assimilation à la « sombritude ». Les assimilés en souffrent davantage que les non-as­similés. Dans ce processus d’assimilisation-assombrissement, deux figures idéaltypiques apparaissent dans l’œuvre de Hannah A­rendt : le paria et le parvenu, deux pistes proposées à suivre pour le Juif en voie d’assimilation à l’ère sombre. A ce propos, Agnes Heller écrit : « Le paria émet d’interminables réflexions et interprète le mon­de en noir ; il s’isole. Par ailleurs, le parvenu cesse de réfléchir, car il ne pense pas ce qu’il fait ; au lieu de cela, il tente de fusionner avec la masse. La première de ces attitudes est authentique, mais im­puis­sante ; la seconde n’est pas authentique, mais puissante. Mais aucu­ne de ces deux attitudes n’est féconde ».

 

Ni paria ni parvenu

 

Dès lors, si on ne veut être ni paria (p. ex. dans la bohème littéraire ou artistique) ni parvenu (dans le monde inauthentique des jobs et des boulots), y a-t-il une troisième option ? « Oui », répond Hannah Arendt. Il faut, dit-elle, construire sa propre personnalité, la façonner dans l’originalité, l’imposer en dépit des conformismes et des rou­ti­nes. Ainsi, Rahel Varnhagen a exprimé sa personnalité en orga­nisant un salon littéraire et artistique très original où se côtoyaient des ta­lents et des individualités exceptionnelles. Pour sa part, Benjamin Dis­raeli a réalisé une œuvre politique selon les règles d’une mise en scène théâtrale. Enfin, Rosa Luxemburg, dont Hannah Arendt dit ne pas partager les opinions politiques si ce n’est un intérêt pour la dé­mo­cratie directe, a, elle aussi, représenté une réelle authenticité, car elle est restée fidèle à ses options, a toujours refusé compromissions, cor­rup­tions et démissions, ne s’est jamais adaptée aux circon­stan­ces, est restée en marge de la « sombritude » routinière, comme sa ju­déité d’Europe orientale était déjà d’emblée marginale dans les réa­lités allemandes, y compris dans la diaspora germanisée. L’esthé­ti­que de Rahel Varnhagen, le travail politique de Disraeli, la radicalité sans compromission de Rosa Luxemburg, qu’ils aient été succès ou échec, constituent autant de refus de la non-pensée, de la capitu­la­tion devant l’assombrissement général du monde, autant de volontés de laisser une trace de soi dans le monde. Hannah Arendt méprisait la recherche du succès à tout prix, tout autant que la capitulation trop rapide devant les combats qu’exige la vie. Ni le geste du paria ni la suffisance du parvenu…

 

S’élire soi-même

 

Agnes Heller écrit : « Paria ou parvenu : tels sont les choix pertinents possibles dans la société pour les Juifs émancipés au temps de l’assimilation. Hannah Arendt indique que ces Juifs avaient une troi­sième option, l’option que Rahel Varnhagen et Disraeli ont prise : s’é­lire soi-même. Le temps de l’émancipation juive était le temps où a dé­marré la modernité. Nous vivons aujourd’hui dans une ère mo­der­ne (postmoderne), dans une société de masse, dans un monde que Hannah Arendt décrivait comme un monde de détenteurs de jobs ou un monde du labeur. Mais l’ASSIMILATION n’est-elle pas devenue une tendance sociale générale ? Après la dissolution des classes (…), après la tendance inexorable vers l’universalisation de l’ordre social moderne, qui a pris de l’ampleur au cours de ces dernières dé­cen­nies, n’est-il pas vrai que tous, que chaque personne ou chaque grou­pe de personnes, doit s’assimiler ? N’y a –t-il pas d’autres choix so­ciaux pertinents pour les individus que d’être soit paria soit par­venu ? S’insérer dans un monde sans se demander pourquoi ? Pour con­naître le succès, pour obtenir des revenus, pour atteindre le bien-être, pour être reconnu comme « modernes » entre les nations et les peuples, la recette n’est-elle pas de prendre l’attitude du parvenu, ce que réclame la modernité aujourd’hui ? Quant à l’attitude qui consiste à refuser l’assimilation, tout en se soûlant de rêves et d’activismes fondamentalistes ou en grognant dans son coin contre la marche de ce monde (moderne) qui ne respecte par nos talents et où nous n’a­boutissons à rien, n’est-ce pas l’attitude du paria ? ».

 

Nous devons tous nous assimiler…

 

Si les Juifs en voie d’assimilation au XIXième siècle ont été confron­tés à ce dilemme —vais-je opter pour la voie du paria ou pour la voie du parvenu ?— aujourd’hui tous les hommes, indépendamment de leur ethnie ou de leur religion sont face à la même pro­blé­ma­tique : se noyer dans le flux de la modernité ou se marginaliser. Hannah Arendt, en proposant les portraits de Rahel Varnhagen, Ben­jamin Disraeli ou Rosa Luxemburg, opte pour le « Deviens ce que tu es ! » de nietzschéenne mémoire. Les figures, que Hannah Arendt met en exergue, refusent de choisir l’un ou l’autre des modèles que propose (et impose subrepticement) la modernité. Ils choisissent d’ê­tre eux-mêmes, ce qui exige d’eux une forte détermination (Ent­schlos­senheit). Ces hommes et ces femmes restent fidèles à leur op­tion première, une option qu’ils ont librement choisie et déterminée. Mais ils ne tournent pas le dos au monde (le paria !) et n’acceptent pas les carrières dites « normales » (le parvenu !). Ils refusent d’ap­partenir à une école, à un « isme » (comme Hannah Arendt, par exem­ple, ne se fera jamais « féministe »). En indiquant cette voie, Hannah Arendt reconnaît sa dette envers son maître Heidegger, et l’exprime dans sa laudatio, prononcée pour le 80ième anniversaire du philosophe de la Forêt Noire. Heidegger, dit-elle, n’a jamais eu d’é­co­le (à sa dévotion) et n’a jamais été le gourou d’un « isme ». Ce déga­ge­ment des meilleurs hors de la cangue des ismes permet de main­tenir, en jachère ou sous le boisseau, la « Lumière de la liberté ».

 

Robert STEUCKERS.

 

Agnes HELLER, « Eine Frau in finsteren Zeiten », in Studienreihe der ALTEN SYNAGOGE, Band 5, Hannah Arendt. « Lebens­ge­schichte einer deutschen Jüdin », Klartext Verlag, Essen, 1995-96, ISBN 3-88474-374-0, DM 19,80, 127 pages.

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mardi, 15 janvier 2008

Festschrift für Günther Rohrmoser

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Dennoch!

Eine bemerkenswerte Festschrift für Günter Rohrmoser

Das Fach Politische Philosophie ist so “umstritten” wie die meisten seiner Vertreter. Günter Rohrmoser hat nichts getan, um diesen Ruf zu verändern. Er ist ständig gegen den “Mainstream” geschwommen und hat sich bei den politischen Parteien, die er vielfach und maßgeblich beriet, mit seinen schonungslosen Analysen nicht immer beliebt gemacht. Umso mehr erstaunt es, in der zu seinem 80. Geburtstag herausgegebenen Festschrift Kardinäle, Bischöfe, Ministerpräsidenten, bekannte Politiker, hohe Militärs, Publizisten und natürlich eine Reihe von namhaften Wissenschaftlern aus so verschiedenen Disziplinen wie Theologie, Philosophie, Geschichte, Literatur, Soziologie, Ethik, Jurisprudenz, Nationalökonomie, Pädagogik und Naturwissenschaften  zu finden. Um nur einige Namen ohne Titel zu nennen: Meisner, Mixa, Löwe, Filbinger, Beckstein, Jenninger, Biedenkopf, Rommel, Dohnanyi, Bahro, Schabowski, Buttiligone, Bartoszewski, Daschitschew, Frenkin, Biser, Spaemann, Pannenberg, Marquard, Lübbe,  Nolte, Fetscher, Schrenck-Notzing, Wolffsohn. Sie alle vereint der Respekt vor einem Gelehrten, der mit ganz außerordentlicher Überzeugungskraft für die unverzichtbare Verankerung der Politik in der Religion eingetreten ist. Politik ohne Religion mündet in Dekadenz, Lockerung der “Ligaturen” und schließlich Auflösung und Untergang. Für Rohrmoser war es selbverständlich, dass wir doch zumindestens seit Auschwitz begriffen haben sollten, dass Politik nicht mehr möglich ist ohne Ethik; Ethik aber der philosophischen Begründung bedarf; die Aporetik der Philosophie aber nicht zu überwinden ist ohne Religion. Diese Einsicht in die Korrespondenz von Religion, Philosophie, Ethik und Politik verbindet die einzelnen Beiträge, die die Festschrift nicht nur zu einer lehrreichen, sondern zu einer geradezu aufregenden Lektüre machen.

Friedrich Romig

Philipp Jenninger/Rolf W. Peter/Harald Seubert (Hrsg.): Tamen! Gegen den Strom. Günter Rohrmoser zum 80. Geburtstag. 640 Seiten. Geb. Dr. Neinhaus-Verlag, Stuttgart 2007. ISBN 978-3-87575-027-6.  EURO 38,-

 

 

Evola: sexe et liberté

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Relire Julius Evola: Sexe et liberté

 

Même sans les révélations du docteur Freud, nous avions déjà com­pris que le sexe est le moteur qui fait tourner le monde (dans tous les sens). Sans devoir citer Eve ou Hélène de Troie, les Anciens sa­vaient que, devant la puissance d'Eros, même les dieux s'inclinaient. Aujourd'hui à l'approche d'un nouveau millénaire, nul ne peut nier que le sexe est au centre de l'attention du monde entier, et surtout du monde occidental, et que les médias continuent à nourrir l'humanité, qui voit, lit et écoute, de toutes ses variantes aussi nombreuses que fantaisistes.

 

Tirons-nous des avantages de ce pandémonium sexuel ? On ne le di­rait pas: il suffit de regarder autour de soi. L'augmentation de l'éro­tis­me vulgarisé par les médias a pour effet une nette diminution du dé­sir. Ce fait inquiétant n'est pas mis en exergue seulement par les psy­cho­logues, sexologues et sociologues mais surtout par les intéressés eux-mêmes, ceux qui, avec un euphémisme certain, s'auto-dé­fi­nis­sent comme des partenaires, et qui font presque toujours partie de la gent féminine. Fini, hélas, l'amant passionné. Et ce n'est pas tout: sou­vent l'ex-sexe fort préfère se satisfaire ailleurs. Voilà donc la gran­de prolifération de viados, de trans, des ni-hommes-ni femmes. C'est le triomphe de l'ambiguïté qui, bien sûr, ne peut être comparée à la my­thique fascination de l'androgyne divin...

 

Force est de constater que, tandis que le siècle s'éteint, s'éteint aussi la pensée faible et même le sexe faible, entendu non pas comme se­xe féminin mais comme sexe affaibli, masculin ou féminin, affaibli dans son essence la plus profonde. On préfère les déviations, les pa­tho­logies, et on assiste à l'incroyable augmentation de la pédophilie, du masochisme et du sadisme. La normalité fait figure d'exception. Peut-être est-elle devenue ennuyante ou tout simplement banale, voi­re galvaudée. On ne peut plus qu'avancer une hypothèse: depuis que le mélange des fonctions et des rôles masculins et féminins est con­si­déré comme une conquête, depuis qu'on se croit émancipés, à la pa­ge, au diapason avec les temps, si une femme fait tout pour être l'é­gale de l'homme (et vice-versa), du coup la normalité passe au se­cond plan, et, de fil en aiguille, on en arrive à cette baisse du désir dont aujourd'hui beaucoup (pour ne pas dire tous) se plaignent.

 

Par contre, la flamme du désir, ce feu (intérieur et extérieur) qui pro­voque la rencontre d'un homme et d'une femme, se produit quand un homme est davantage homme et quand une femme est davantage fem­me, c'est-à-dire quand les composantes « virilité » et « féminité » sont à leur comble et quand elles se complètent et s'équilibrent entre elles. Le symbole qui représente le mieux cette rencontre est le TAO, avec ses lignes sinueuses et solidaires, blanches et noires, qui en­trent l'une dans l'autre, non pas pour s'écraser l'une l'autre mais pour compléter une unité, un cercle, en ayant un point noir et un point blanc au centre de chacune d'elles: la partie masculine a en son cen­tre une minime partie féminine et vice-versa, mais cette minime partie ne conditionne pas, ne bouleverse pas leur entité intime.

 

Théoricien des orgies ? Théoricien du machisme ?

 

C'est un philosophe contemporain qui nous a ramené cette théorie an­cienne: Julius Evola, par ailleurs bien connu dans d'autres sec­teurs du savoir (ésotérisme, métapolitique, doctrines orientales, etc.). Julius Evola publia en 1959 un livre intitulé Métaphysique du sexe, en s'attirant immédiatement les accusations les plus contradictoires, d'a­près le moment où elles étaient lancées. Dans les années 50, épo­que aussi morigénante et pudibonde que scandaleuse et trans­gres­sive, il fut accusé d'être le théoricien des orgies; dans les années 70, en pleine contestation et pendant l'explosion des mouvements fé­mi­nis­tes, il fut considéré comme un théoricien de la masculinité (voire du machisme). Mais Evola, tout au long de son livre, ne fait qu'exalter les différences  —non pas celles physiques, bien entendu, mais les dif­fé­rences intérieures, psychologiques et même métaphysiques—  qui font de l'Homme et de la Femme ce qu'ils sont: des êtres très dif­fé­rents, fort heureusement ! Il écrivit même: « il n'y a pas de doutes: une femme est supérieure à l'homme qui ne serait homme qu'im­par­faitement ».

 

Aujourd'hui donc, la femme ne peut pas se plaindre du fait que «l'hom­­me n'est plus ce qu'il était dans le temps» puisqu’on a tout fait pour lui faire oublier ce qu'est la virilité, mais attention, cette virilité n'est pas celle de l'homme phallique à la Clinton, contre lequel Evola est extrêmement sévère, mais quelque chose de plus profond. Tout au­tant que la femme, l'homme d'aujourd'hui ne peut pas se plaindre si la femme n'est plus ce qu'elle était dans le temps, si —au delà de l'ex­térieur érotique dicté par la mode et les médias—  elle a perdu le sens profond de la magie de la féminité.

 

Vive la différence, alors ! C'est dans ce but qu'ont été choisis certains pas­sages de Julius Evola qui se réfèrent tantôt à sa théorie ma­gnétique de l'éros, tantôt à une série d'interventions sur des pro­blè­mes qui restent d’une grande actualité: de l'homosexualité à la pro­stitu­tion, du divorce à la pudeur. On pourra se rendre compte que ses théo­ries ne sont pas des théories abstraites, on peut très bien les ap­pli­quer à la réalité quotidienne. Quelques âmes sensibles seront scan­dalisées? Qu'importe! Aujourd'hui les bigots sont sur la pente du « po­litiquement correct ». A chacun son dû!!!

 

Gianfranco de TURRIS.

 

(Texte intégral de l'introduction au volume « Sexe et liberté » paru dans la collection Millelire ; texte paru dans Orion n° 166/n° 7 nouvelle série, juillet 1998, pages 11-12 ; trad.franç. : LD).

 

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lundi, 14 janvier 2008

Citation de Jean Giono

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La fortune et la gloire ?

« Que faut-il pour réussir ? De la bravoure ? De l’obstination ? De la chance ? Du génie ? Non : de la médiocrité. Quoi que produise le médiocre, c’est un produit qui s’adresse au plus grand nombre. Il est sûr de son affaire, il a les qualités requises par la majorité des individus. S’il s’agit d’un milliard d’hommes, le médiocre est sûr d’être compris et trouvé logique par plus de neuf cent millions. S’il s’agit d’un livre, d’une épingle de nourrice, d’un dentifrice, de n’importe quoi que ce soit qui se vende, même d’un objet tout à fait inutile, et même embêtant, et même comme le diabolo, le yoyo, et cent mille objets médiocres dont les noms sont dans toutes les bouches, neuf cent millions d’individus sur un milliard liront le livre, adopteront l’épingle de nourrice, se laveront les dents avec le dentifrice, ou bêtifieront à qui mieux mieux avec le yoyo, inutile, mais exactement adapté à leur médiocrité personnelle.

Le génie n’est à conseiller à personne ; enfin à personne de ceux qui veulent la fortune et la gloire. On n’atteint à l’unanimité, à l’adhésion des foules et aux sommets des honneurs que par la médiocrité."

Jean Giono, La fortune et la gloire - In "Les terrasses de l’île d’Elbe", Gallimard.

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dimanche, 13 janvier 2008

Quand les soixante-huitards passent à l'autre bord...

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Dimitrij GRIEB :

Quand les soixante-huitards passent à l’autre bord…

 

Ils couraient au pas de charge dans les rues de Berlin, de Paris et même de Vienne en scandant des slogans d’extrême gauche, prenaient d’assaut les auditoires des universités, se battaient sauvagement contre la police dans les rues. Et de fait, en l’année 1968, le monde semblait sorti de ses gonds. Et pas seulement parce que des étudiantes, en signe de protestation, exhibaient leurs seins nus au visage de professeurs médusés et désarçonnés –heureusement que ces féministes étaient encore jeunes à l’époque ! Mais surtout parce que la classe politique dominante, dans la portion d’Europe qui n’était pas sous la férule communiste soviétique, a sérieusement redouté que les peuples n’accepteraient plus, à terme, la coopération militaire avec les Etats-Unis, grande puissance protectrice à l’époque de la Guerre Froide. Les rapports sur la manière, dont les troupes américaines menaient leur guerre en Indochine ex-française, et sur les crimes qu’elles y commettaient, servaient de prétexte à toute une jeunesse pour se réclamer non seulement de l’anticapitalisme, mais aussi de l’antiaméricanisme et de l’anti-impérialisme.

 

En République Fédérale allemande, tout un éventail d’organisations, situées idéologiquement à la gauche de la gauche, émergeaient dans le paysage politique, en marge de l’établissement. Parmi elles, le SDS ou « Sozialistischer Deutscher Studentenbund », qui, sous son autre appellation d’  « Opposition extra-parlementaire » (en allemand : « Ausserparlamentarische Opposition » ou « APO »), entendait, sur le long terme, renverser l’établissement politique, bouleverser les certitudes et conventions de la société. Dans un premier temps, cette jeunesse s’était dressée contre « tout le moisi (« Muff ») de mille ans d’âge accumulé sous les robes (des professeurs d’université) ». Elle avait pris pour armes intellectuelles les livres de la « théorie critique » de l’Ecole de Francfort. Aujourd’hui, ces révolutionnaires de la fin des années 60 sont sur le point de prendre leur retraite. L’APO annonçait une « longue marche » à travers les institutions et ses porte paroles de l’époque imaginaient que cette pérégrination combattante prendrait plus de temps : rapidement, les trublions ont réussi à occuper les postes qu’ils briguaient. Dans tous les domaines clefs des sociétés ouest-européennes, soit dans l’éducation, l’art, la culture, les médias, on les a accueillis avec bienveillance ; ce fut pour eux le succès assuré et ils ont donné le ton. Tous ceux qui n’ont pas franchi la limite fatale en s’engageant dans la clandestinité armée, le terrorisme de la « Rote Armee Faktion » de Baader, ont réussi en politique dans le cadre du parti des « Verts », ont reçu des titres de docteur et de docteur honoris causa, sont devenus ministres ou conseillers, avec, à la clé, des honoraires plantureux.

 

Quelques figures de proue de la révolte étudiante, comme Klaus Rainer Röhl, l’ex-mari de la terroriste ouest-allemande Ulrike Meinhof, à l’époque éditeur de l’organe central du mouvement extra-parlementaire, la revue « konkret », posent aujourd’hui un jugement très négatif sur le mouvement de 68. Leurs jugements sont en effet fort sévères et partiellement, dois-je dire, moi, qui n’ai pas un passé de gauche, injustifiés dans leur dureté. Certes, il est de bon ton de dire que, dans l’histoire allemande, il n’y a eu qu’une et une seule phase, où tout fut carrément mauvais et même atroce ; il n’en demeure pas moins que l’après-guerre avait généré une atmosphère terriblement viciée (« Mief »), où la société était satisfaite d’elle-même, où l’hypocrisie petite-bourgeoise étouffait tous les élans et où dominait une sous-culture sans relief faite de loisirs à deux sous et de variétés d’une épouvantable platitude ; tout cela a contribué à donner à la jeune génération un sentiment général d’asphyxie. Nous étions évidemment dans l’après-guerre, après 1945 qui avait sonné le glas de l’idéal national-socialiste de la « Communauté populaire » (= « Volksgemeinschaft ») et il n’aurait pas été opportun de quitter, tant sur le plan politique que sur le plan social, le droit chemin du juste milieu, de la moyenne, de la médiocrité (ndt : le pionnier belge du socialisme, Edmond Picard, aurait dit du « middelmatisme », vocable qu’il forgea pour désigner la médiocrité belge, et qui traduit bien la notion allemande de « Mittelmass »). Pour bien comprendre ce que je veux dire ici, rappelons-nous ce qu’a dit Günter Grass l’an passé, lui qui fut pendant plusieurs décennies le thuriféraire de la SPD, sur son engagement dans la Waffen SS qu’il avait auparavant si soigneusement occulté ; c’était, a-t-il déclaré, l’esprit « anti-bourgeois » de cette milice du parti national-socialiste qui l’avait fasciné.

 

Après le miracle économique de la RFA, il n’y avait plus de place dans la nouvelle société allemande pour une armée « anti-bourgeoise », quelle qu’en ait été l’idéologie. Certes, quand on voulait se détourner des choses purement matérielles, on avait le loisir de lire les existentialistes français, et c’était à peu près tout. Ces existentialistes, regroupés autour de Sartre, niaient la religion et développaient une anthropologie particulière, où l’homme n’était plus qu’un être isolé dans un monde insaisissable et dépourvu de sens. Des livres comme « L’homme révolté » ou « Le mythe de Sisyphe » d’Albert Camus étaient les références cardinales de cette époque, pour tous ceux qui pensaient échapper à la culture superficielle des années 50 et 60.

 

La plupart des faiseurs d’opinion actuels, qui tiennent à s’inscrire dans la tradition de 68, affirment, sans sourciller, que l’intelligence est à gauche, et à gauche uniquement, ce que prennent pour argent comptant tous les benêts qui n’ont jamais eu l’occasion de connaître des figures comme Martin Heidegger, Ernst Jünger, Helmut Schelsky, Carl Schmitt ou Arnold Gehlen, dont les idées ne sont certainement pas classables à gauche.

 

Il est un dicton courant qui nous dit : celui qui, à vingt ans, n’est pas à gauche, n’a point de cœur, et celui qui l’est toujours à quarante ans n’a pas de cervelle. Parmi les anciens dirigeants du mouvement extra-parlementaire de 68, nombreuses sont toutefois les personnalités qui se sont éloignées de l’extrémisme de gauche.

 

Je viens de citer Klaus Rainer Röhl, l’ancien époux d’Ulrike Meinhof. Il fait bien évidemment partie de cette brochette d’esprits libres qui ont tourné le dos à leurs anciens engouements, parce qu’ils sont restés fidèles à l’idéal même de critique, un idéal qui ne peut tolérer les ritournelles, les figements. Röhl fait partie désormais de la petite phalange d’intellectuels qui critiquent avec acribie les mutations sociales de masse, que les idées de 68 ont impulsées. Bernd Rabehl, figure de proue du SDS étudiant, ainsi que de l’APO, en appelle, sans jamais ménager ses efforts, à l’esprit critique pour que l’on brise bientôt tous les liens par lesquels l’héritage intellectuel de 68 nous paralyse. Günter Maschke, jadis animateur pétulant de la « Subversive Aktion », est devenu, au fil du temps, journaliste en vue du principal quotidien allemand, la « Frankfurter Allgemeine Zeitung », avant d’abandonner cette position et de s’adonner pleinement à l’exégèse de l’œuvre immortelle de Carl Schmitt.

 

Cette liste de dissidents de la dissidence, devenue établissement, est bien sûr plus longue. Nous ne donnons ici que quelques exemples. Dépasser le marxisme, dont la logique est si fascinante, est un dur labeur intellectuel. Seuls les esprits vraiment forts peuvent avouer, aujourd’hui, qu’ils se sont trompés ou mépris dans leurs meilleures années, à l’époque de cette haute voltige intellectuelle dans nos universités.

 

La question se pose aujourd’hui : y a-t-il des passerelles voire des points de réelle convergence entre les idées du mouvement de 68 et le conservatisme (révolutionnaire ou non) ? La critique de la culture de masse abrutissante qui nous vient principalement des Etats-Unis, la critique de la folie consumériste et de la saturation qu’elle provoque, mais aussi la volonté de préserver l’environnement naturel de l’homme, sa « Heimat », sa patrie charnelle, sont autant de thématiques, d’idées et d’idéaux que l’on retrouve, sous d’autres appellations ou formules, dans l’héritage intellectuel du conservatisme ou des droites. Ni Maschke ni Rabehl ni Röhl ni les autres ni a fortiori un Horst Mahler ne sont devenus des intellectuels « bourgeois » aujourd’hui. Loin s’en faut ! Mais, si l’on réfléchit bien, au temps de leur jeunesse, un Ernst Jünger ou un Carl Schmitt seraient-ils allés siroter un p’tit kawa avec une Angela Merkel… ?

 

Dimitrij GRIEB.

(article paru dans l’hebdomadaire viennois « zur Zeit », n°47/2007, trad. franç. : Robert Steuckers).   

 

samedi, 12 janvier 2008

Du symbolisme du joug et des flèches

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Karlheinz WEISSMANN :

Du symbolisme du joug et des flèches

 

L’Espagne : pendant longtemps, elle fut l’exemple paradigmatique du passage tranquille de la dictature à la démocratie ; ses partis, si cruellement opposés les uns aux autres jadis, sont parvenus à un consensus tacite, n’ont pas cherché à réanimer les horreurs de la guerre civile. Il n’empêche que ce pays connaît, depuis quelques temps, une tentative de « réinterpréter le passé », correspondant à ce que nous avons connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale en pays allemands (la « Vergangenheitsbewältigung »).

 

Dans le cadre de cette « réinterprétation » générale de l’histoire espagnole contemporaine, les mesures prises, surtout celles qui revêtent un caractère politico-symbolique, jouent un rôle important ; ces mesures ne concernent pas seulement l’espace public  -on est en train d’enlever les dernières statues de Franco- mais aussi la sphère privée. Le Parlement espagnol vient de décider une loi qui pourrait obliger l’Eglise à enlever dans ses bâtiments tous les emblèmes qui, d’une manière ou d’une autre, rappelleraient le régime franquiste ou le camp des Nationaux pendant la guerre civile. Cette loi vise essentiellement le symbole de l’ancien parti porteur d’Etat, la Phalange, soit le symbole du joug et des flèches.

 

Le Joug et les Flèches étaient, à l’origine, des images chères à Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Ce couple, que l’histoire désigne sous le nom de « Rois catholiques », avait uni, par son mariage, ses terres éparses pour en faire le Royaume d’Espagne unifié. C’est pourquoi il a choisi justement le symbole du joug et des flèches, parce que les lettres initiales de ces deux mots correspondaient aux prénoms des époux : Isabelle arborait un ensemble de flèches (en espagnol « flechas », avec un « F » comme dans « Ferdinand ») et Ferdinand arborait un joug (en espagnol « yugo », avec un « Y » comme dans « Ysabella »).

 

Les deux symboles ont une histoire qui remonte à l’antiquité : le jeu de flèches symbolise l’unité, une unité qui s’appliquait parfaitement à la nouvelle Espagne d’Isabelle et de Ferdinand, tandis que le joug ne se référait nullement à la soumission ou à l’humilité, mais plutôt à leur contraire, soit au désir d’empire. Le joug du symbole espagnol se réfèrerait à l’histoire légendaire d’Alexandre le Grand qui aurait défait et libéré un char attaché à un joug et à un timon par le « nœud gordien », qu’il trancha d’un coup d’épée. Cette action eut lieu parce qu’un oracle avait promis que celui qui réussirait à trancher le nœud, conquerrait l’Orient. L’honneur de Ferdinand, après avoir chassé les Maures de Grenade et après avoir conféré à Colomb la mission de trouver une voie maritime vers les Indes, était de se poser comme un nouvel Alexandre et de soumettre l’Orient pour la gloire de l’Espagne et de la religion chrétienne.

 

Ferdinand et Isabelle placèrent toutefois le joug et les flèches à côté de l’aigle johannite, un aigle noir avec auréole, symbole de l’Evangéliste dans la Bible, portant sur son poitrail les armes de l’Etat espagnol. Après la mort du couple royal, l’emblème du joug et des flèches tomba rapidement en désuétude et ne fut redécouvert que par le nationalisme espagnol moderne, qui voulait renouer avec un passé glorieux et entendait illustrer cette volonté en exhumant des symboles quasiment oubliés.

 

D’abord, ce furent deux journalistes, Rafael Sanchez Masas et Gimenez Caballero, qui militèrent pour le retour de ce symbole ; ensuite, en 1931, le national-syndicaliste Ramiro Ledesma Ramos utilisa le joug et les flèches dans le titre de son hebdomadaire « La Conquista del Estado ». La même année, Ledesma Ramos fonda les « Juntas de Ofensiva Nacional Syndicalista », en abrégé les JONS, dont la symbolique utilisait les couleurs noire et rouge des anarcho-syndicalistes, en les complétant du joug et des flèches (en rouge sur un drap avec bandes noire et rouge), afin de se démarquer clairement de la symbolique des forces de gauche.

 

Les JONS s’unirent en 1934 à la Phalange fondée par José Antonio Primo de Rivera ; la nouvelle organisation, fruit de la fusion, utilisa immédiatement le joug et les flèches dans sa symbolique. La fusion entre Phalange et JONS avait un style nettement fasciste, ce qui, à l’époque, exerçait une réelle fascination sur la jeunesse espagnole. José Antonio fut arrêté dès mars 1936, puis, au début de la guerre civile, condamné à mort à la suite d’un procès spectacle et finalement fusillé en novembre. La Phalange était dès lors sans chef. Franco la fusionna avec les monarchistes. La nouvelle union s’appela la « Falange Espanola Tradicionalista y de la JONS », devint le parti monopole de l’Espagne franquiste. L’emblème du joug et des flèches fut conservé, car Franco aimait renouer, lui aussi, du moins symboliquement, avec le passé glorieux de l’Empire espagnol.

 

A dater du 20 août 1936, le joug et les flèches furent incorporés dans les armes de l’Etat et, comme au temps des Rois catholiques, placés à côté de l’aigle johannite. Mais leur subordination, sur le plan optique, dans ces nouvelles armes d’Etat, révèle d’une certaine manière l’absence d’influence réelle du phalangisme authentique sous le régime de Franco.

 

Karlheinz WEISSMANN.

(article paru dans l’hebdomadaire berlinois « Junge Freiheit », n°45/2007, trad. Franç.: Robert Steuckers).

 

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Création de l'AFRICOM

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Johann F. BALVANY :

Etats-Unis : nouvel impérialisme en Afrique

Sans tenir compte, en apparence, ni des revers subis au Proche et au Moyen Orient ni des pertes croissantes en hommes et en matériel qu’exige l’exportation néo-conservatrice de « la liberté et de la démocratie » ni de l’anti-américanisme en pleine expansion, Washington a annoncé la création, le 30 septembre 2007, de l’ « American Africa Command » ou « AFRICOM ». Paul Wolfowitz, ancien planificateur zélé de la guerre en Irak et ex-chef de la Banque mondiale (qui a échoué si lamentablement dans ses fonctions), a déclaré sans détours : « Je ne pense pas que ce soit une bonne idée ».

L’AFRICOM est une unité d’un millier d’hommes placée sous le commandement d’un général à quatre étoiles, William « Kip » Ward, 58 ans : elle a pour mission de tenir le continent noir en main, selon les intérêts stratégiques, énergétiques et politiques des Etats-Unis. L’AFRICOM est donc mis sur pied au moment même où la Chine effectue, depuis un certain temps déjà, des achats considérables de matières premières dans la zone du Sahel et au Sud de celle-ci ; 600.000 « fourmis bleues » chinoises y résident déjà en tant que travailleurs hôtes des pays africains. La Chine a investi pour des milliards de dollars en Afrique, sans imposer aux Africains des conditions politiques comme le fait l’Occident pour aligner le continent sur des critères soi-disant « démocratiques ». Grâce à cette souplesse idéologique chinoise, le « staathouder » en Afrique d’Oussama Ben Laden, diplômé de la Sorbonne de Paris, Hassan Al Turabi, a pu conforter ses positions à Khartoum au Soudan. Depuis la capitale de l’ex-Soudan anglo-égyptien, il peut tranquillement prêcher et organiser la Djihad, la Guerre Sainte, contre l’Amérique & Co., notamment au Darfour. Le ministre autrichien de la défense, Norbert Darabos, entend envoyer dans le Tchad voisin, une centaine de soldat de notre armée fédérale (idem pour la Belgique : Flahaut voulait aussi y envoyer nos soldats). Pour tous ceux qui ont quelques connaissances de la région, c’est envoyer nos hommes dans un chaudron extrêmement dangereux où plus d’un risquent de revenir au pays en cercueil.

Depuis février 2007, le Général Ward, Afro-Américain d’origine, cherche un site pour y établir le quartier général de son AFRICOM. Mais sans succès jusqu’ici. Un seul des 53 Etats africains, en l’occurrence le Libéria, a accepté d’accueillir éventuellement les GIs. Quatorze autres, rassemblés au sein de la SADC (« South African Development Community »), ont annoncé qu’ils ne souhaitaient pas la présence de militaires américains sur leur sol et qu’ils imposeraient des sanctions à tout pays africain qui accueillerait les guerriers de Bush. Quant aux GIs qui sont stationnés dans la Corne de l’Afrique, à Bab El Mandeb (en arabe : « la Vallée des Larmes »), sur le territoire de Djibouti, ils vivent déjà fort dangereusement. La Somalie voisine vit un bain de sang permanent ; la CIA installée en Ethiopie tire les ficelles de ce jeu sordide, grâce à l’hospitalité que lui fournit Meles Zenawi, un Saddam Hussein africain qui fait de bonnes affaires avec Washington depuis Addis Abeba, exactement comme son malheureux homologue irakien jadis.

L’Ethiopien Zenawi règne à Addis Abeba sans être animé du moindre scrupule moral, à l’instar de l’OUA qui tient son quartier général dans la capitale abyssine. Pendant tout ce temps, le Pentagone recrute du personnel pour l’ « United States Africa Command ». Les recruteurs demandent évidemment du professionnalisme, de la créativité, promettent de nouvelles structures de commandement innovantes et modernes et surtout des salaires très élevés. Cette politique de recrutement est pratiquée dans le monde entier, notamment à partir de la grande base américaine de Stuttgart en Allemagne, depuis septembre dernier. L’AFRICOM a déjà dévoilé le site de son premier établissement : ce sera l’île de Sao Tomé dans le Golfe de Guinée, à côté de Principe, ex-île portugaise. Les Etats-Unis y construisent une formidable base de radar qui coûtera dix millions de dollars. Cette station contrôlera toutes les activités possibles et imaginables dans un vaste rayon, surtout la circulation maritime, car 25% des besoins pétroliers des Etats-Unis y transitent. Bientôt ce seront 35%.

En tenant compte des expériences d’autres régions du monde depuis l’établissement du régime néo-conservateur de Bush, l’Afrique du Sud s’est posée comme le porte-étendard de la résistance africaine contre les nouveaux appétits de l’Oncle Sam dans la région. Mosjuoa Lekota en a appelé à un boycott panafricain contre les tentatives de pénétration du continent noir par l’AFRICOM. Sa qualité de ministre des affaires étrangères sud-africain lui permet d’avertir les autres Etats du continent des conséquences mortelles qui pourraient s’ensuivre si les Africains n’écoutent pas son cri d’alarme. Au Maghreb, en Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Libye, mais aussi en Afrique de l’Est et de l’Ouest, on craint que la présence de l’AFRICOM ne provoque des soulèvements et des guérillas islamistes, que les Etats locaux, trop pauvres, ne pourraient contenir. Qui plus est, les promesses, annoncées avec fracas, de l’UE et des Etats-Unis, d’apporter une aide économique accrue aux pays africains, se sont révélées finalement bien chiches. L’Europe bruxelloise et Washington ont donc tous deux une politique bien différente de celle de la Chine qui procède de manière bien plus discrète et plus efficace que l’Occident.

Il y a quelque 35 ans, un candidat américain du parti démocrate, George McGovern, avait déclaré dans un entretien accordé au « Wiener Kurier » autrichien, que l’Amérique n’avait aucun intérêt vital à aller défendre en Afrique, par la force des armes. Raison pour laquelle les Etats-Unis n’avaient rien fait à l’époque pour soulager leur allié portugais de l’OTAN et l’avait de facto laisser tomber, lorsqu’il combattait, avec peu de moyens, les rébellions d’Angola, du Mozambique et de Guinée Bissau, rébellions téléguidées pourtant par les Soviétiques. Tant et si bien que ce sont des régimes marionnettes du Kremlin qui s’étaient installés dans ces trois pays, ainsi que sur les îles de Sao Tomé et de Principe. En 1975, ces régions furent plongées dans des guerres civiles atroces, entraînant une pauvreté épouvantable dont les retombées se font ressentir jusque aujourd’hui. Les Etats-Unis n’ont rien fait à l’époque pour épargner à ces peuples africains une misère effroyable. Aujourd’hui, l’ennemi qu’ils déclarent combattre est l’islamisme et non plus le communisme, mais, comme ils ont aussi téléguidé des islamismes contre les communismes, il y a plutôt lieu de croire qu’ils ne combattent en fait ni l’un ni l’autre, téléguident à l’occasion et les uns et les autres, selon leurs propres intérêts, et visent plutôt la présence chinoise qui s’avère partout fort efficace et déploie énormément d’énergies (ndt : autre objectif : supplanter les Européens partout en Afrique, surtout les Français, en dépit des risettes à l’Oncle Sam que commet Sarközy à tour de bras).

L’AFRICOM réussira-t-il par son existence et sa présence en Afrique à améliorer la situation générale du continent noir, ou du moins à l’infléchir vers un peu plus de bien-être, ou, au contraire, ne s’installera-t-il là-basd que pour défendre les intérêts stratégiques et commerciaux des seuls Etats-Unis ? Quant à cette défense des intérêts américains, l’assurera-t-il avec toute l’efficacité voulue ? On peut en douter. Les sceptiques feront simplement allusion à la crise permanente qui affecte le Darfour et le plonge dans la catastrophe.

Johannes F. BALVANY.

(article paru dans le magazine autrichien « Aula », publié à Graz, novembre 2007 ; trad. franç. : Robert Steuckers).

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vendredi, 11 janvier 2008

P. Maugué: questions à la ND

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Un texte du regretté Pierre Maugué, décédé prématurément, sur la ND, rédigé dans le feu de la polémique qui avait opposé ses différentes fractions en l'an 2000. Texte toujours instructif, à lire avec le recul qu'impose le temps écoulé...

Pierre MAUGUE :

Questions à la "Nouvelle Droite"

La ND française à la croisée des chemins

La Nouvelle droite française se trouve à la croisée des che­mins. Elle n’embraye plus, comme jadis, sur les réalités politi­ques, économiques, sociales et sociétales de notre épo­que. Si elle parvient encore à identifier la plupart des problè­mes majeurs auxquels nous sommes confrontés[1],elle les ana­lyse de plus en plus du point de vue de Sirius, sans indi­quer, sinon des solutions, du moins des voies qui pourraient être sérieusement explorées pour sortir de l’impasse. Elle em­ploie de plus en plus le langage descriptif et explicatif de l’historien ou du sociologue pour dessiner le monde qui est en train de se construire (ou de se détruire), renonçant à essayer de le changer, et tournant résolument le dos à toute possibilité d’action.

Déconnectant la théorie de la praxis (alors que d’autres déconnectent la praxis de la théorie), elle paraît plus avide d’être reconnue par l’intelligentsia en place que de peser sur le cours de l’histoire, avec tous les risques que cela compor­te. Elle oublie que si Marx a eu une influence majeure sur l’histoire politique du dernier siècle, et non pas seulement sur l’histoire des idées, ce n’est pas en raison de son œuvre majeure, Das Kapital, destinée à un cénacle de spécialistes et que pratiquement personne (même parmi les grands leaders et intellectuels marxistes) n’est parvenu à lire en en­tier, mais par  Le Manifeste communiste, fresque grandiose propre à enflammer les imaginations, et traduite dans pra­tiquement toutes les langues. C’est enfin par la création et l’ani­mation de sections nationales de l’Internationale soci­a­liste que les idées de Marx ont commencé à influer sur l’histoire du monde qui était en train de se faire.

La Nouvelle droite française et ses dirigeants paraissent, quant à eux, affligés du même défaut que la vieille droite d’Ac­tion française. En effet, si Charles Maurras fut un pen­seur qui ne manqua pas de lucidité, il eut une absence quasi totale de stratégie politique, et n’influa jamais réellement sur le cours des évènements.

Cette déconnexion entre théorie et praxis (Nouvelle droite) et entre praxis et théorie (droite populiste), est un écueil ma­jeur, qui se retrouve, à des degré divers, dans toute l’Euro­pe, mais qui semble atteindre son paroxysme en France.

Une série de questions mériteraient d’être débattues. Sans avoir la prétention d’être exhaustif, nous soumettons la liste suivante :

SUR LA FORME

1 - Peut-on prétendre défendre les traditions indo-européen­nes de l’Europe dans le cadre d’un mouvement dirigé d’une manière autocratique, contraire au principe de gouverne­ment des communauté d’hommes libres que l’on retrouve de la Grèce ancienne à la Scandinavie?

2 - Dans une société qui est rien moins que respectable, un souci constant de respectabilité ( qui n’est le plus souvent qu’un alignement sur la politique du politiquement correct) est-il justifié pour la Nouvelle droite ? Reflet d’une mentalité  petite-bourgeoise chez ceux-là mêmes qui prêchent une mo­rale aristocratique, est-il compatible avec la conquête de nou­veaux territoires idéologiques  ?

3 - La polémique ( forme ritualisée du duel) est-elle une ar­me qui peut être utilisée contre nos adversaires, sans com­pro­mettre le sérieux de notre discours ?[3] Faut-il réintroduire l’ironie et  l’insolence dans le combat des idées et reprendre, à cet égard,  la tradition d’Erasme et de Fischart ?

4 - Peut-on, par crainte d’être accusé de populisme, décon­necter la théorie de la praxis, et prétendre avoir une action sur l’évolution du monde uniquement par l’écrit et la parole ? L’action métapolitique ne comporte-t-elle pas le risque de de­venir une justification de l’impuissance ?

SUR LE FOND

5 - Peut-on prétendre défendre la culture millénaire de l’Eu­rope sans défendre prioritairement, avec la plus grande vi­gueur, toute atteinte portée au socle ethnique de cette cultu­re ?

6 - La question de l’immigration peut-elle être considérée comme  transcendant le traditionnel clivage gauche/droite ? Si tel est le cas, doit-on défendre l’idée que le peuple puisse s’exprimer par voie référendaire[4] sur la politique d’immi­gra­tion et que, si nécessaire, la constitution de l’Etat soit mo­difiée à cet effet ?

7 - Indépendamment des positions idéologiques de chacun, peut-on, dans une Europe en plein déclin démographique, être en faveur d’une libéralisation excessive de l’avortement, voire même, promouvoir l’avortement ?

8 - La géopolitique est-elle un élément essentiel de toute ré­flexion politique, et peut-elle être crédible si elle ne s’appuie pas sur les données démographiques propres à l’époque en­visagée ?

9 - Même si le fédéralisme ethnique peut apparaître comme le meilleur moyen de protéger la diversité ethno-culturelle de l’Europe, n’y a-t-il pas cependant un risque d’émiettement de  souveraineté propre à affaiblir l’Europe, si ce principe est ap­pliqué inconsidérément? Le danger existe-t-il que les Etats-U­nis, ou d’autres ennemis de l’Europe, attisent les diffé­ren­ces ethniques entre peuples européens pour en faire des fac­teurs de déstabilisation et les utiliser à leur profit (Diviser pour régner) ?

10- Toutes les religions monothéistes doivent-elles être con­si­dérées comme présentant un danger d’égale nature et de même ampleur dans l’optique d’une défense de la compo­sante païenne de l’identité européenne ?

SUR LA STRATÉGIE

11 - Les idées de la Nouvelle droite peuvent-elles être effica­cement défendues en Europe par des mouvements qui con­tinuent (même s’ils restent en contact) à marcher en ordre dispersé, alors que l’orientation politique de l’Europe socialo-libérale  est de plus en plus déterminée par des institutions com­munes, à Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg. ? Se­rait-il opportun de créer une structure de type fédératif pour harmoniser  la doctrine et l’action des divers mouvements nationaux ?

12 - Des actions communes, à l’échelle européenne, pour­raient-elles être envisagées sur des questions précises ? Par exemple, orchestration d’une campagne demandant que la procédure du référendum d’initiative populaire soit introduite dans tous les pays européens, afin que le peuple lui-même puisse se prononcer sur la politique d’immigration ?

Pierre MAUGUÉ.

 
Il est à regretter ainsi qu’une place ne soit pas faite, non seulement à la géopolitique, mais à la démographie.
[2] « Où est votre chef » demandait un chevalier français à des guerriers vikings. Ce à quoi, un de ceux-ci répondit  « Nous n’avons pas de chef », signifiant par là qu’ils étaient avant tout des hommes libres, et que toute délégation de pouvoir n’était pas abdication de pouvoir. La même fière remarque est faite par les Grecs aux Perses dans la tragédie d’ Eschyle. Dans l’ancienne Normandie, comme le rappelle La Varende, chacun était « sire de soi »
[4] Référendum d’initiative populaire, comme dans la Confédération suisse

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La symbolique politique du Loup

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Karlheinz WEISSMANN :

La symbolique politique du Loup

 

Ces jours-ci, on conteste l’authenticité de la découverte récente, à Rome, d’une grotte où, prétend-on, l’on honorait les fondateurs de l’Urbs, Romulus et Remus. C’est un coup supplémentaire pour la Ville porteuse de tant de mythes, après que l’on ait nié l’authenticité de la Louve Capitoline, qui n’aurait pas d’origines dans l’Antiquité mais n’aurait été inventée qu’au cours de notre moyen âge. Quoi qu’il en soit, les enfants légendaires de la Louve sont tels qu’on les a toujours imaginés : paisibles sous le ventre du fauve, s’abreuvant à ses tétons.

 

Le choix de la Louve, comme mère de substitution, n’est nullement dû au hasard et s’explique en référence au père des jumeaux : Mars, le Dieu de la Guerre, qui se manifestait accompagné du Loup, emblème de son être intime, relevant de la même nature que l’animal totémique. Les Romains ont su exploiter ce lien Mars/Loup et utiliser le symbole du Loup dans leurs armées et sous de multiples variantes. Aux temps auroraux de la Ville, le Loup était l’emblème des légions et, jusqu’à l’ère impériale, les légions alignaient une partie de leurs effectifs, les vélites, légèrement armés, vêtus de peaux de loup et arborant des crânes de l’animal. Bon nombre de porte-drapeaux portaient également des peaux de loup. On peut aisément supposer qu’aux temps de Rome demeurait une réminiscence des très anciennes « compagnies du Loup », depuis longtemps oubliées, même au moment où Rome est sortie des ténèbres de la proto-histoire pour émerger dans la lumière des temps connus. Leur simple présence dans l’héritage romain rappelle l’existence de compagnies ou communautés similaires chez d’autres peuples indo-européens.

 

L’historien Georg Scheibelreiter nous signale, dans son œuvre, qu’aucun autre nom d’animal n’est aussi fréquent dans les noms ou prénoms personnels que celui du loup : du védique « vrka-deva », signifiant probablement « Dieu-Loup », en passant par le grec « Lykophron » (« Conseil de Loup ») ou le celtique « Cunobellinus » (« Chien ou Loup de Belenos »), jusqu’aux prénoms germaniques Wolf, Wulf, Wolfgang, Wolfram, Wolfhart. Lorsque l’on donnait un nom à un enfant, il n’y avait pas que la sympathie individuelle que l’on éprouvait à l’endroit de l’animal qui jouait, mais aussi le souhait de conférer à l’enfant ses qualités. Principalement, toutefois, jouaient des représentations religieuses, où l’on pensait obtenir une métamorphose rituelle en l’être vivant choisi pour le nom/prénom.

 

Jusqu’aux temps modernes, on a appelé « Werwolf » (loup-garou), les hommes qui avaient la capacité de se muer en loups ou étaient contraints de le faire. Ce mythème s’enracine vraisemblablement dans l’apparition d’individualités ou de communautés entrant en transe, vêtues de peaux, pour se transformer en bêtes échevelées. Les cultures préchrétiennes s’étaient déjà distanciées de tels phénomènes, même si les Romains avec Mars, ou les Grecs avec Zeus et Apollon honoraient des dieux accompagnés de loups. L’attitude dominante était un mélange de vénération et d’effroi, où ce dernier sentiment finissait toutefois par dominer : un loup, nommé Freki, suivait également le dieu germanique Wotan/Odin, mais les Germains croyaient aussi qu’au crépuscule des dieux, Odin lui-même allait être avalé par le loup Fenrir, aux dimensions monstrueuses. Dans l’Edda, l’Age du Loup correspond à l’Age sombre qui précède le Ragnarök.

 

Tous ces faits mythologiques expliquent pourquoi le loup, après la christianisation, ait perdu toute signification symbolique positive. Il était non seulement un indice de paganisme mais aussi et surtout la manifestation du mal en soi. Cette vision du loup s’est perpétuée dans nos contes. Le loup disparaît également des emblèmes guerriers de l’Europe ou n’y fait plus que de très rares apparitions.

 

En dehors de l’aire chrétienne, le loup n’a pas subi cet ostracisme. Il m’apparaît important de relever ici la vénération traditionnelle du loup chez les peuples de la steppe. Après l’effondrement de l’Union Soviétique, Tchétchènes et Gagaouzes se sont donné des drapeaux où figure le loup. Les Gagaouzes appartiennent à la grande famille des peuples turcs, qui ont, depuis des temps immémoriaux, considéré le loup comme leur totem. En Turquie, les Loups Gris, formation nationaliste, ont évidemment le loup comme symbole et saluent en imitant une tête de loup avec les cinq doigts de la main. Les Loups Gris professent l’idéologie pantouranienne qui entend rassembler tous les peuples turcs au sein d’un Empire uni.

 

Officiellement, l’organisation des Loups Gris a été interdite et dissoute en 1980, ce qui n’a diminué en rien la charge affective et l’attractivité du symbole du loup. Cette fascination pour le loup concerne également les Turcs émigrés en Europe, où personne n’est capable d’interpréter correctement cette symbolique. En Allemagne, personne ne comprend le sens réel de la chanson « Wolfszug » (= « Cortège du Loup ») du rappeur Siki Pa, frère de Muhabbet, qui a attiré récemment toutes les attentions sur lui :

 

« Fürchtet um euer Hab’ und Gut

Werdet brennen im Feuer…

Pakt der Wölfe zieht mit dem Wolfszug

Blutiger Horizont, der Tod friedlich ruht“.

(„ Craignez pour vos avoirs, pour vos biens,

Vous brûlerez dans le feu…

La meute de loups s’engage dans le cortège du Loup,

L’horizon est de sang et la mort repose en paix »).

 

Karlheinz WEISSMANN.

(article paru dans l’hebdomadaire berlinois « Junge Freiheit », n°51/2007, trad. franç. : Robert Steuckers).

 

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jeudi, 10 janvier 2008

Les racines du mouvement écologique

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Brigitte SOB :

Au-delà de la droite et de la gauche : les racines du mouvement écologique

 

Le concept d’ « écologie » fut utilisé pour la première fois en 1866 par Ernst Haeckel (1834-1919), qui entendait désigner, par ce terme, « toute la science des rapports de l’organisme avec le milieu extérieur environnant ». Ernst Haeckel était naturaliste et philosophe. Le monde universitaire a reconnu toute sa valeur scientifique grâce aux travaux de recherches qu’il avait accomplis dans le domaine de la biologie marine. Haeckel avait décrit plus de 3500 nouvelles espèces de radiolaires, qui avaient été collationnées lors d’une expédition. Haeckel avait également confectionné quantité de dessins et de tableaux sur le fruit de ses recherches, qui ont tous encore quelque validité scientifique aujourd’hui.

 

Haeckel avait étudié la médecine au départ, avait reçu le titre de docteur en médecine après une thèse, présentée en 1861, sur l’anatomie comparée. Mais il estimait que l’exercice de l’art médical n’était pas suffisamment intéressant et s’était alors tourné vers la philosophie et la zoologie. En 1865, il obtint le titre de docteur honoris causa en philosophie et un poste de professeur en zoologie à l’Université d’Iéna, dont il devint ultérieurement le vice-recteur.

 

Haeckel avait une capacité de travail époustouflante : son livre « Die Welträthsel », paru en 1899, fut l’un des best-sellers de son époque, de même que sa « Morphologie générale » de 1866, qui était considérée comme un ouvrage fondamental. Quant à sa « Natürliche Schöpfungsgeschichte » (= « Histoire naturelle de la création ») de 1868, elle connut neuf éditions successives et fut traduite en douze langues. Après sa mort, ses œuvres complètes parurent en six volumes, permettant de jeter un regard synoptique sur ses travaux de vulgarisation scientifique.

 

Celles-ci ont toutes leur importance car c’est par leur truchement que Haeckel répandit en Allemagne les théories de Charles Darwin. Haeckel défendait la théorie de l’évolution, ce qui l’entraîna dans un conflit avec l’église catholique, alors qu’il était issu d’une famille pieuse. En 1904, Haeckel participa au Congrès international des Libres Penseurs à Rome. Devant le monument érigé en l’honneur du philosophe Giordano Bruno, brûlé comme hérétique, Haeckel déposa une couronne de lauriers, ce que l’église catholique considéra, à l’époque, comme une provocation. A la suite de ce geste, Haeckel s’exposa à de solides inimitiés, qui allèrent jusqu’à mettre en doute le sérieux de ses travaux scientifiques. Dans une réplique, intitulée « Sandalion – Eine offene Antwort auf die Fälschungsanklagen der Jesuiten » (= « Sandalion – Réponse publique aux accusations de falsification des Jésuites »), Haeckel réfuta tous les reproches qu’on lui adressait.

 

Haeckel avait également des activités politiques : il était membre de l’ « Alldeutscher Verband » (l’association pangermaniste). Pourtant, il m’apparaît difficile aujourd’hui de cataloguer Haeckel quelque part dans le schéma binaire « gauche/droite », difficulté que corrobore notamment l’histoire de la réception des travaux de Haeckel : certes, les nationaux-socialistes ont tenté de l’annexer mais Lénine aussi lui a rendu un vibrant hommage, car le chef de file des bolcheviques voyait en notre naturaliste un « combattant contre la philosophie idéaliste des professeurs » ; quant au socialiste Robert Niemann, il chantait les louanges de Haeckel en le campant comme un « esprit libre post-bourgeois ». Plus tard, les autorités de la RDA socialo-communiste firent de lui un pionnier de l’idéologie socialiste.

 

Haeckel n’était certes pas une personnalité incontestée : il n’y a pas que l’église catholique qui rejetait ses thèses avec véhémence. On l’accusa de « chauvinisme national-allemand », de même, on lui reprocha aussi d’avoir ouvert la voie à l’ « hygiénisme racialiste ».

 

Pour être exact, nous devons dire que Haeckel défendait un « monisme biologique », selon lequel la nature  -en dépit de sa pluralité-  formait une seule et unique totalité, au sein de laquelle tous  -y compris l’homme-  étaient animés par une seule et même force vitale. Haeckel fut ainsi l’un des premiers à réclamer des droits pour les animaux : il pensait que les animaux, parce qu’ils étaient des êtres dotés de sensibilité, des êtres sociaux et, dans le cas des mammifères supérieurs, des êtres rationnels, devaient bénéficier d’un statut équivalent à celui de l’homme. Haeckel s’insurgeait, dans le cadre de cette défense du statut de l’animal, contre toute interprétation anthropocentrique de la nature. Pour lui, une telle interprétation relevait « de l’arrogance autoproclamée de l’homme, être vaniteux », qui se voulait égal à Dieu et à l’image de celui-ci. Haeckel défendait la thèse que la nature consistait en une substance infinie, sans commencement ni fin. En posant cette « loi de substantialité », Haeckel affirmait que, de cette façon, l’idée, qui veut qu’il y ait un être divin transcendant la nature, était réfutée. Selon la philosophie moniste de Haeckel, il faudrait remplacer le culte chrétien de Dieu par un culte de la nature. D’après Haeckel, le christianisme « n’avait pas seulement contribué à nous aliéner dangereusement de notre merveilleuse mère la Nature mais nous avait aussi conduit à mépriser, de manière fort déplorable, les autres organismes ». Haeckel voulait aussi, dans cette même logique, que l’individualisme égoïste de l’homme soit éliminé au profit d’un nouveau monisme éthique, afin de bien faire voir à l’homme que ses intérêts personnels étaient indéfectiblement liés aux intérêts de sa communauté.

 

Le monisme de Haeckel a eu, plus tard, des répercussions importantes dans la mesure où il inspira directement le Prix Nobel Konrad Lorenz qui, par ses recherches sur le comportement des animaux, tenta de prouver la validité de la grande intuition de Haeckel, soit que les animaux et leur environnement  -y compris l’homme et son environnement-  constituaient une unité indissoluble. Le philosophe Ludwig Klages, pour sa part, fut l’auteur d’un petit livre intitulé « Mensch und Erde » (= « L’Homme et la Terre »), où il défendit la thèse suivante : le progrès, comme projet rationaliste de l’Homme, est arrivé au bout de son rouleau. « Comme un feu dévorant, il ravage la Terre entière, et là où il a brûlé un lieu de fond en comble, plus rien ne pousse ni ne croît, tant qu’il y vit des hommes ». D’après Klages, l’homme détruit « par une rage aveugle sa propre mère la Terre… jusqu’à ce que toute vie et, en bout de compte, lui-même, sont livrés au néant ». Klages était tributaire de la philosophie de Nietzsche et porte paroles du mouvement de jeunesse allemand à ses débuts, quand ces jeunes, dont les options étaient hostiles à la technique et à ses répercussions, voulaient retourner au romantisme allemand, opérer un retour à la nature. Lors d’un rassemblement de cette jeunesse néo-romantique sur la montagne du Hoher Meissner, ces options ont été clairement proclamées (ndt : c’est à la suite de ce rassemblement, où Klages prit la parole pour exposer ses visions, que fut rédigé « Mensch und Erde »).

 

Via Max Scheler, qui avait lu Klages, Martin Heidegger, à son tour, reçut l’influence des idées technophobes de « Mensch und Erde ». Heidegger défendit la thèse que la perte du lien nous unissant à la nature revêtait pour l’homme moderne une perte d’être (« Seinsverlust ») : « A la place de ce qui, jadis, donnait contenance affirmée au monde et aux choses, nous voyons, toujours plus vite, avec de moins en moins de considération et de scrupules, de manière de plus en plus complète, se répandre sur la terre l’objectivisation de la domination de la technique ». Heidegger, critique, nous enseignait que la technique, développée par ce qu’il est convenu d’appeler l’ « Occident », faisait désormais « apparaître tout étant/Seiende comme un étant/Seiende fabricable dans le processus de la production » et, qui plus est, « distribuait les produits de la production via le marché dans le monde entier ». Toujours aussi critique, Heidegger ne cessait de nous rappeler que le « capitalisme technologique dissolvait l’humain dans l’homme et la choséité dans les choses » au profit « d’une valeur marchande calculée par le marché lui-même », afin de créer « un marché mondial qui englobera toute la Terre ». Après avoir décrit ce processus calamiteux, Heidegger nous exhorta à considérer dorénavant l’homme comme l’administrateur de la Terre et non plus comme son dominateur. L’homme, nous enseigne Heidegger, doit apprendre à abandonner à terme la technologie et la pensée consumériste, pour retrouver sa position modeste dans cette unité totalisante qu’est la Nature.

 

Rudolf Steiner, fondateur de l’école anthroposophique, chercha à développer un mode d’économie biologique/dynamique, où l’agriculture serait un jeu de réciprocité entre l’homme, l’animal, la plante et la Terre.

 

Dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, le « mouvement environnementaliste » (« Umweltbewegung ») recevait le soutien de mouvements politiques très divers ; ces courants politiques et idéologiques si divers avaient chacun une conception différente de la nature, depuis le monisme matérialiste jusqu’à un vitalisme biologique et dynamique. Mais tous avaient le même ennemi : l’ « Occident » moderne, technicien, capitaliste. Indépendamment des sentiments et convictions politiques de chacun de ces groupes ou partis ou mouvements, tous les courants du « mouvement environnementaliste » donnaient raison au « national-bolchevique » Ernst Niekisch, quand il écrivait en 1931 : « La technique est viol de la nature ; elle se superpose à la nature. Le progrès technique consiste en ceci : arracher par ruse l’un morceau de sol après l’autre au règne libre de la nature ; ce qui est triomphe pour la technique est profanation pour la nature. Dans la mesure où la technique abat pas à pas les limites que la nature a posées, elle tue la vie ». Même Oswald Spengler et Ernst Jünger, qui célébraient la technique comme partie prenante du nouvel ordre culturel allemand, réclamaient tous deux que la technique soit en permanence remodelée dans une forme « vitaliste ».

 

Brigitte SOB.

(article paru dans l’hebdomadaire viennois « zur Zeit », n°41/2007, trad. franç. : Robert Steuckers).

 

 

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A homage to A. Solzhenitsyn

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A homage to Alexander Solzhenitsyn

This is the first in what I hope will be a series of postings translated by Fred Scrooby from Robert Steuckers’ interesting and important Synergies Européennes site.

Steuckers, interviewed here by the New Right journal Synthesis, is a heavyweight figure in the philosophical background of European nativist politics.  Synergies Européennes exists to gather and circularise not Steuckers own thought particularly, but all contributions of interest to the movement.  This first quite brief translation, A homage to Alexander Solzhenitsyn, was initially published a year ago and appeared on Altermedia - though untranslated.  Steuckers chose to repost it this month, and Fred and I hope you find it a little more instantly readable now and of interest.

Finally, I want to thank Fred publicly for undertaking this task.  He is MR’s premier polyglot, and talent like that just can’t be allowed to go to waste!

GW

Slavic languages specialist Barbara de Munnynck, who is Flemish, devotes two full pages in the Flemish newspaper De Standaard (December 8, 2006) to enthusiastically paying homage to Russian author Alexander Solzhenitsyn.  She retraces and analyses his whole body of work and writes this very fitting conclusion:

Solzhenitsyn is no longer in fashion.  It’s because of the recent political upheavals.  Simply put, this man by his nature stands apart from all fashion.  Though known as a political writer, he’s closer to a religion-inspired moralist.  He critiqued the Soviet dicatorship from a spiritual point of view, not in the name of an alternative political ideology.  Measured against the yardstick of Solzhenitsyn’s ethical criteria, neither the West nor the New Russia has any worth.  For these reasons Solzhenitsyn might be considered merely a grumpy old man or a perennial dissident.  No matter:  his attitude toward life, one of coherence, commands respect.  It was forged under trying circumstances and has certain things in common with the Christian humanism of St. Augustine, St. Thomas Aquinas, and Edmund Burke.  Solzhenitsyn is a venerable prophet whose message exists beyond the passage of time.  The enthusiasm for him personally during the Cold War was as strange as the disinterest in him today.

Barbara Munnynck’s reflections allow us to draw a few general conclusions:

It becomes ever more clear that our turbulent, agitated, unbridled-capitalist age needs to be judged based on criteria that stand outside of time.  Man’s great works and his equilibrium presuppose long duration; nothing great and lasting can emerge out of the infernal parade of bizarre novelties that strike societies such as ours.  Men require long-term trail-markers and find themselves in trouble if these disappear.  Beyond this or that religion, presented here a priori as the source of Solzhenitsyn’s inspiration, it is this attitude of respect in the presence of long memory, in the presence of all manner of continuity, that we must recover.

Coming up with alternative ideologies presented as panaceas that will straighten everything out serves no purpose or can only lead to new catastrophes.

In order to recover this sense of long duration or long memory, other works than those of Augustine or Thomas Aquinas are necessary.  It amounts to taking the fascinating inventory of mankind’s great spiritual productions.

The disinterest in Solzhenitsyn is the result mainly of two things: in a famous speech at Harvard University he scourged Westernism and Americanism; in the wake of communism’s collapse he didn’t applaud Russia’s westernization.  Thus did he distance himself from the boilerplate repeated ad nauseam in the great global media, centered around opinion-forming American press agencies and leading us in every way to believe americanism is history’s happy, splendid final stage and that Russia’s westernization, despite the failures, is a magnificent opportunity being offered to Russia’s peoples.

Translation from the original French by Fred Scrooby

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mercredi, 09 janvier 2008

Propagande et homogénéisation des opinions publiques

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Ernst BRANDL :

Propagande et homogénéisation des opinions publiques

 

Celui qui voudra, au 21ième siècle, écrire quelque chose sur la « propagande », devra commencer par lire les ouvrages de Harold D. Lasswell. A la fin des années 20 du 20ième siècle, Lasswell publia un livre intitulé « Propaganda Technique in the World War », devenu depuis lors un véritable classique sur les propagandes et les récits d’horreur élaborés par les parties belligérantes pendant la première guerre mondiale. D’après Lasswell, la propagande de guerre vise quatre objectifs : 1) mobiliser la haine contre l’ennemi, 2) renforcer l’amitié entre les alliés, 3) élaborer des modèles de coopération amicale à l’égard de puissances neutres, 4) démoraliser l’ennemi. Ces objectifs de la propagande de guerre n’ont guère changé depuis cette époque.

 

Entre-temps, tout le monde sait que les gouvernements engagent désormais des entreprises spécialisées en propagande pour dorer leur image dans d’autres pays ou pour créer de toutes pièces des images déformées de leurs adversaires ou encore pour préparer directement des guerres. Dans les guerres qui ont ravagé les Balkans récemment, de nouvelles constellations stratégiques ont vu le jour : les gouvernements en guerre confiaient leurs propagandes à des agences spécialisées qui transformaient, via leurs nombreux canaux de communication, leurs communiqués en messages plausibles. Le travail presté par ces agences a conduit à une forte homogénéisation de l’opinion publique aux Etats-Unis et dans les sociétés occidentales : le gouvernement américain, Amnesty International, Human Rights Watch, Freedom House, l’United States Institute of Peace, la Fondation Soros, les intellectuels libéraux de gauche, de vastes portions de l’aire intellectuelle conservatrice, les Nations Unies, l’univers médiatique en général, ainsi que les gouvernements de Zagreb et de Sarajevo, les chefs des Albanais du Kosovo et l’UçK : tous avaient, peu ou prou, à quelques nuances insignifiantes près, une lecture identique du conflit balkanique. Pour résumer de manière quelque peu lapidaire, cette lecture revenait à ceci : les Serbes sont tombés dans une folie nationaliste et veulent créer une Grande Serbie ; Slobodan Milosevic est un communiste impénitent, s’est proclamé « Führer » des Serbes, a attaqué avec l’armée fédérale yougoslave les républiques et les peuples non serbes, ce qui a entraîné des viols de femmes en masse, des épurations ethniques et des génocides. Les autres nations de l’ancienne Yougoslavie, les Slovènes, les Croates, les Bosniaques, les Albanais et les Macédoniens, étaient tous de gentils pacifistes, des peuples « démocratiques ». Telle était la vision des guerres balkaniques récentes véhiculée par les agences de presse et de propagande.

 

Le gouvernement croate a engagé de manière permanente de grandes firmes de propagande, de 1991 à 2002, pour que celles-ci défendent ses points de vue aux Etats-Unis. Au début du mois d’août 1995, l’armée croate déclenche l’opération « Sturm » ou « Tempête » et conquiert, en quatre jours à peine, la Krajina peuplée de Serbes. L’opinion publique américaine juge l’opération positive parce que l’agence Jefferson Waterman International l’avait bien préparée à la considérer comme telle. C’est ce que l’on peut appeler des « mesures accompagnatrices »…

 

Ernst BRANDL.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°50/2007).

 

Evola: la thèse de Lippi

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Julius Evola: la thèse de Jean-Paul Lippi

 

"L'Age d'Homme" publie Julius Evola, métaphysicien et penseur po­litique. Essai d' analyse structurale de Jean-Paul Lippi. Celui-ci sou­li­gne d'emblée la singularité de la pensée d'Evola en écrivant en in­tro­duction: « Le discours évolien se situe en effet au point de conver­gen­ce, nécessairement problématique, de l'appel nietzschéen au “ren­versement de toutes les valeurs” et de la volonté guénonienne d'ex­position d'une vérité supra-mondaine. Singulier rapprochement, peut-être intenable, car il apparaît pour le moins malaisé de concilier deux pensées aussi irréductibles, qui se déploient à partir de po­stulats radicalement divergents. La nécessité d'un dépassement du ni­hilisme occidental, prônée par le visionnaire de Sils-Maria, ne s'en­ra­cine dans aucune conception Traditionnelle du monde, alors que l'ex­posé guénonien demeure parfaitement étranger aux thématiques croi­sées de l'Eternel Retour et du Surhumain. Mais c'est cette dualité qui confère au discours de l'auteur de Révolte contre le monde mo­derne sa tonalité si particulière et en explique l'influence sur plusieurs gé­nérations d'intellectuels et de militants politiques. Sans Guénon, E­vo­la aurait pu n'être qu'une manière de Rebatet italien; sans Nietz­sche, il n'aurait à coup sûr été qu'un penseur de la Tradition parmi d'au­tres, sans doute inférieur pour la rigueur des analyses à un Frith­jof Schuon, un Titus Burkhardt ou un Ananda K. Coomaraswamy. Pour cette raison, et sans méconnaître pour autant le rôle qu'ont pu jouer dans la formation intellectuelle du jeune Evola d'autres auteurs que lui-même cite, il nous parait infondé de dissocier, et plus encore de hiérarchiser, les importances respectives des deux écrivains, l'Al­le­mand et le Français. Nous ne pouvons donc pas suivre Pierre-An­dré Taguieff lorsque celui-ci affirme: "De façon générale, on ne peut que tomber d'accord avec l'hypothèse de Piero Di Vona, selon la­quelle l'influence de René Guénon sur la formation de la pensée d'E­vola a été plus importante que celle d'un Nietzsche ou d'un Speng­ler". Plus proche de la réalité nous semble être l'analyse de Christo­phe Boutin, pour qui: "L'influence de Frédéric Nietzsche court donc sous l'analyse évolienne". Si l'on juge l'arbre à ses fruits et si l'on es­saie de déterminer l'influence de la pensée évolienne en France, on s'a­percevra que son influence, contrairement à l'œuvre de Guénon, est quasiment insignifiante sur ceux qui se sont engagés dans une voie spirituelle. L'influence évolienne s'est donc exercée es­sen­tielle­ment sur quelques esprits libres dans le domaine culturel et politique. For­ce est de constater que cette influence n'a jamais dépassé , con­trai­re­ment à l'Italie, le stade la réflexion intellectuelle ou es­thé­ti­san­te ».

 

Jean de BUSSAC.

 

Jean-Paul LIPPI, Julius Evola, métaphysicien et penseur politi­que. Essai d'analyse structurale, 1998, L'Age d'Homme (5 rue Fé­rou, F-75.005 Paris), 312 pages.

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mardi, 08 janvier 2008

Le fascisme entre Occident et Orient

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Michelangelo INGRASSIA :

Le fascisme entre Occident et Orient

 

Les rapports entre le régime de Mussolini et les nationalistes orientaux : une page d’histoire oubliée

 

A la fin des années 20, le fascisme cherchait à avoir des rapports stables, dans une perspective anticapitaliste et anticommuniste avec les mouvements nationalistes du Moyen Orient et de l’Extrême-Orient, comme le prouvent les contacts avec le nationalisme hindou, les visites de Gandhi et de Tagore en Italie…

 

Lors de sa visite en Libye, entre le 12 et le 21 mars 1937, Mussolini reçut du chef arabe Youssouf Kerbish l’épée de l’islam. Le remise de cette épée ne fut pas un acte purement formel ou symbolique mais bel et bien un acte politique : « Les musulmans voient en toi », dira Kerbish au Duce, « un grand homme d’Etat qui guide notre destin d’une main ferme ».

 

Toutefois, en dépit de ce geste symbolique et politique, l’histoire des rapports entre Mussolini et l’Orient, entre le fascisme et les nationalismes arabe, chinois, indien et japonais, a commencé bien avant 1937. Dès le lendemain de la fondation des « fasci di combattimento », le futur Duce annonçait dans les colonnes du journal « Popolo d’Italia », le 26 août 1919, que « sans vouloir tourner le dos à l’Occident… la politique extérieure italienne se portera vers l’Orient, se tournera vers lui, de l’Albanie au Japon ».

 

Durant le régime, on a vu naître en 1933, l’Institut Italien pour le Moyen et l’Extrême-Orient. Avant cela, en 1932, une revue bimestrielle avait également vu le jour, intitulée « L’Avvenire Arabo » et Radio Bari émettait en langue arabe.

 

A la fin des années 20, le fascisme cherchait à avoir des rapports stables avec les mouvements nationalistes d’Orient, à entretenir des contacts avec le nationalisme indien. L’Italie accueillit Gandhi et Tagore. Le régime portait une attention particulière aux intérêts italiens en Chine, intérêts « susceptibles de se développer », comme l’écrivait le Duce à l’ambassadeur Aloisi, le 18 octobre 1928. Il faut également rappeler les contacts entre l’Italie fasciste et l’Emir Chekib Arslan ainsi qu’avec le Mufti de Jérusalem. Tous ces faits, aujourd’hui oubliés ou ignorés, témoignent de l’importance réelle que le fascisme accordait à la politique étrangère de l’Italie au Moyen Orient et en Extrême-Orient. On dit et l’on écrit souvent que la politique extérieure du régime mussolinien en Orient était une arme brandie par le Duce pour agacer ou faire chanter les puissances occidentales. C’est évident : le machiavélisme avoué du Duce permet cette interprétation mais, toutefois, il me paraît impossible de nier l’excellence voire la pertinence des tentatives de pénétration fasciste au Yémen, en Egypte, en Palestine, en Irak et en Arabie Saoudite.

 

En réalité, l’histoire de ces rapports entre fascisme et Orient révèle, une fois de plus, la césure qui existait entre théorie fasciste et praxis mussolinienne pendant tout le Ventennio. La théorie fasciste réclamant un rapprochement entre Orient et Occident dans une perspective anticapitaliste et anticommuniste se verra sacrifiée sur l’autel d’une pratique colonialiste à visage humain demeurant toutefois étrangère au projet d’une nouvelle culture et d’une grande politique internationale. Ce projet qui s’inscrivait dans le filon du « fascisme universel », pensé par Arnaldo Mussolini, hiérarque du mouvement très attentif aux vicissitudes politiques du vaste Orient. Ce « fascisme universel » se voulait une force alternative au racisme nazi émergent et à l’exploitation colonialiste généralisée, pratiquée par les démocraties capitalistes, suivant en cela le modèle anglais.

 

C’est dans cette opposition à l’Angleterre qu’il faut trouver l’arrière-plan politique et culturel de l’histoire des rapports entre le fascisme et l’Orient. Lorsque, le 22 décembre 1933, cinq cents jeunes donnent le coup d’envoi, dans la salle Jules César (Giulio Cesare) du Campidoglio, à la « semaine romaine des étudiants orientaux », Benito Mussolini, ouvrant les travaux, déclara que, dans l’antiquité, Rome avait créé en Méditerranée un empire faisant le pont entre l’Orient et l’Occident, mais que dans les siècles ultérieurs, cette continuité avait été interrompue ; l’Orient avait alors été considéré seulement comme une source de matières premières ou comme un ensemble de marchés. Contre cet état de choses, le fascisme entendait réagir et développer un projet unificateur. Aux paroles du Duce, plusieurs étudiants orientaux réagirent avec enthousiasme ; parmi eux, une étudiante indienne, un étudiant syrien et un étudiant iranien. Mais les suites de cette « semaine romaine » ne correspondirent en rien aux promesses faites, parce que la culture nationaliste et, pour parler comme Renzo De Felice, la culture catholique-nationale, barra la route à la « modernité » que voulait le fascisme dès le départ, qu’il recelait littéralement en ses gènes. Le compromis entre le fascisme et le nationalisme classique italien empêcha, en ultime instance, Mussolini de sortir de l’ornière de la politique habituelle de l’Italie en Méditerranée orientale. Ce blocage fut réel malgré les espoirs que le Duce avait fait naître dans le monde arabe, espoirs que traduisit parfaitement l’intellectuel libanais Amir Er-Reihani dans les colonnes d’ « Avvenire arabo » : « Une seule mesure pour la justice. Une seule mesure pour le respect. Une seule mesure pour l’intérêt. J’observe aujourd’hui en Italie des choses qui nous encouragent à croire que les principes fascistes, ou, mieux, les nouvelles directives politiques du Duce, sont, plus que tous les autres, proches de ces normes fondamentales qui devraient régir les rapports humains et internationaux ».

 

La Rome fasciste aurait pu et dû devenir un point d’ancrage sûr pour les indépendantistes arabes. Ceux qui considéraient le fascisme en termes d’universaux percevaient sincèrement dans le nationalisme arabe un allié dans la bataille culturelle et politique contre le marxisme et le capitalisme, dans l’affirmation d’un idéal de justice sociale et éthique. L’exemple paradigmatique de cet idéal s’apercevait à l’époque dans le mouvement « Jeune Egypte », fondé en 1933. Ce mouvement avait à sa tête un chef très jeune, Ahmad Hussein. Il disposait d’une structure paramilitaire faite d’escouades de soldats politiques en chemises vertes, saluant le bras droit tendu, à la mode romaine. Autre exemple : les rapports entre l’Italie et le Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amin Ali al Husseini, qui inquiétaient beaucoup les Anglais. Ces rapports nous montrent aujourd’hui encore quels espoirs et quelles sympathies le fascisme avait éveillés dans tous les mouvements qui luttaient pour leur propre indépendance nationale.

 

Seule une historiographie superficielle et tendancieuse peut avoir l’arrogance de déclarer aujourd’hui, de manière expéditive, que cet aspect particulier du fascisme historique était velléitaire, quand il se posait comme lien entre l’Orient et l’Occident, prouvant par là même qu’il avait deviné intuitivement, il y a plus de 70 ans, que l’attitude du monde occidental était désastreuse et obsolète dans cette région importante du monde, où il voulait tout régenter seul.

 

L’erreur historique de Mussolini fut de ne pas avoir traduit en termes politiques, actifs, concrets et cohérents cette intuition. Mais cette erreur relève de Mussolini personnellement et non pas du fascisme en tant que mode de penser et de pratiquer la politique. « Les objectifs historiques de l’Italie portent deux noms : l’Asie et l’Afrique, le Sud et l’Orient (…) ; il ne s’agit pas de conquêtes territoriales mais d’une expansion naturelle, devant conduire à la coopération entre l’Italie et les nations du Proche et du Moyen Orient. L’Italie est en mesure d’assumer cette fonction. Sa position en Méditerranée  -une mer qui est destinée à reprendre sa fonction historique de relier l’Occident à l’Orient-  lui donne ce droit et lui impose ce devoir. Nous n’avons nulle intention de revendiquer des monopoles ou des privilèges mais nous désirons et voulons obtenir que les parvenus, les privilégiés et les partisans du statu quo ne s’ingénient plus à bloquer de partout l’expansion spirituelle, politique et économique de l’Italie fasciste », avait déclaré Mussolini. Des fascistes en vue comme Carlo Formichi, Ettore Rossi et Arnaldo Mussolini cherchaient à conjuguer théorie et pratique et, partant, proposaient le fascisme comme solution concrète et actuelle aux problèmes d’un Occident en pleine phase de sénescence, cherchant à tout prix à conserver le statu quo, tout en titubant vers son inéluctable déclin ; de même, ce fascisme se voulait une solution aux problèmes de l’Orient en pleine effervescence, aspirant à se donner un destin nouveau. La solution résidait en un nouveau projet politique, social et culturel pour le monde, capable de libérer les idées et les énergies nouvelles germant au sein des nations jeunes et « prolétariennes », tant en Occident qu’en Orient.

 

La seconde guerre mondiale a eu de multiples causes et, parmi celles-ci, il y a eu la volonté des nations conservatrices de résister à ce nouveau projet politique d’envergure internationale. Un demi siècle de confusion politique en Orient et en Occident s’en est suivi, désordre qui prouve amplement la pertinence de ce projet avorté. D’autant plus, qu’après la seconde guerre mondiale, l’Orient (et en particulier le monde arabe) n’a eu de cesse de chercher des solutions à ses propres problèmes, notamment en tentant la voie du socialisme national, qui présente quelques similitudes avec le fascisme (le mouvement Baath nous montre que la réalisation du socialisme est une nécessité à condition qu’il émerge du sein même de la nation arabe, c’est-à-dire en niant le concept de lutte des classes et en concevant la propriété comme un droit naturel garanti, tout en contestant le système capitaliste).

 

Mais l’histoire, l’apogée et le déclin du baathisme constituent une autre thématique, que nous aurons bientôt l’occasion d’aborder.

 

Michelangelo INGRASSIA.

(article paru dans le mensuel « Area », Rome, juillet/août 2000 ; trad. franç. : Robert Steuckers).

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Un entretien avec Georges Dumézil

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Un entretien avec Georges Dumézil

Lors d'une interview de Georges Dumézil  (55 min) sur ses recherches, sont abordés les thèmes suivants :

Les populations et langues indo européennes, et leur progression dans l'espace Européen.

Les mythes et la mythologie, et leur importance dans la restitution de notre identité.

Mais aussi les trois fonctions et la structure antique des sociétés européennes : la première fonction dite de souveraineté, politique et religieuse (oratores), la seconde fonction de la défense et de la sécurité (bellatores) et enfin la troisième fonction qui a trait à la reproduction aux échanges et à la fécondité (laboratores).

Notre monde crève aujourd'hui du surdimensionnement de cette troisième fonction !!!

Sont aussi abordés les différences entre l'âme Européenne et les Monothéismes...

Monothéismes qui ont aboutis à créer tant d'intolérances, qu'elles soient spirituelles ou économiques.

Bref 50 minutes à écouter, et à réécouter, ou à faire connaître pour qui cherche des repères dans ce monde de Barbares !!!

http://www.dailymotion.com/robertofiorini/video/x3rsds_le...

Toute littérature qui permettra d’étoffer cette interview est la bienvenue

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lundi, 07 janvier 2008

Du dextrisme

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Un texte de la polémique interne aux "Nouvelles Droites", qui fit rage en 2000. Elle mérite une lecture attentive, mais avec le recul voulu...

 

Patrick CANAVAN :

Du Dextrisme

 

Dans le cadre du débat qui agite la nouvelle droite française, Patrick Canavan, collaborateur de Vouloir et de Nouvelles de Synergies Européennes, présente sa propre définition du "dextrisme", néologisme qui doit désigner, selon lui, le microcosme néo-droitier. Il est clair que Canavan prend parti pour l'orientation Faye/Vial, tout en restant critique.

 

"Soyons des donneurs de sens" (Pierre Vial).

 

" Notre terre, c’est l’Eurosibérie, l’Empire du Soleil, le domaine d’Apollon et de Dionysos, de l’Atlantique au Pacifique, immense espace sur le quel le soleil ne se couche jamais " (Guillaume Faye).

 

Parallèlement au numéro 11 de Vouloir, dossier important con­sacré aux nouvelles droites, il a paru bon d’évoquer les ré­centes publications issues de cette mouvance dextriste pour apprécier comment sont analysés les principaux enjeux idéologiques de l’an 2000. Par Nouvelle Droite, on entend généralement le GRECE groupé autour du seul Alain de Be­noist. Parler de nouvelles droites, au pluriel et sans majus­cule paraît plus fidèle à la réalité. Le terme "dextrisme" pourrait définir un état d’esprit, une vision de l’homme et du monde dont nul n’a le monopole et ignorant l’orthodoxie.

Pierre Vial, professeur d’histoire médiévale à Lyon III, fon­dateur du GRECE (en mai 68!) et animateur de Terre et Peu­ple s’est plié au jeu de l’entretien avec O. Chalmel qui dirige la revue de cette association pour une culture en­racinée (1). Le résultat est excellent: l’entretien est vivant, libre et nous apprend énormément sur le personnage, nettement plus complexe que l’image du militant national-populiste habituellement colportée. Guillaume Faye paie sa dette intellectuelle et spirituelle à son vieil ami dans une belle préface: Vial fut, avec G. Locchi, J. Mabire, D. Venner, l’un des maîtres du jeune Faye, qui s’imposa vite comme l’un des principaux esprits, sans doute le plus novateur, du GRECE, dès 1973. Faye définit bien Vial comme une sorte de moine-soldat, perdu dans ce stupide XXème siècle... Pour le XXIème, je n’en dirais pas autant puisqu’il verra se réincarner - comme Faye l’a bien montré dans son Archéofu­turisme - des figures plus qu’anciennes. Vial est de celles-ci. On pense aussi au sanglier, qui "n’attaque que pour se dé­fendre", mais alors quelle charge! Et c’est vrai que la prose de Vial dégage un fumet de gibier, de fortes odeurs fo­restières qui peuvent heurter les narines de certains, plus habitués à la nouvelle cuisine.

 

Faye définit aussi l’association Terre et Peuple - allusion clai­re au sang et au sol, ce qui se transmet de générations en générations - comme " la principale force de combat et d’action métapolitique et culturelle pour l’idée européenne ". Il rappelle aussi que la métapolitique bien comprise n’est jamais entièrement coupée du politique, sous peine de neu­tralisation. On ne demande certes pas aux théoriciens de coller des affiches ni d’abdiquer leur esprit critique, mais de ne pas démobiliser ceux qui se sentent faits pour le combat au quotidien, les militants.

 

La lourde hérédité de Pierre Vial

 

Celui qui s’est imposé comme l’un des spécialistes de l’Or­dre du Temple, est manifestement fier de ses ascendances lyonnaises et mal-pensantes: un ancêtre blanquiste, un autre poilu de la Grande Guerre, on voit que l’hérédité du Pro­fes­seur est lourde. A lire ses évocations du Lyon de sa jeu­nesse, de son père bonapartiste, on comprend mieux l’or­ganicisme quasi obsessionnel de P. Vial, cette conception très charnelle de l’héritage. D’avoir vu son père pleurer le jour de la chute de Diên Biên Phu a marqué cet adolescent à jamais, l’entraînant sur des chemins périlleux dont il n’a pas dévié d’un pouce. Itinéraire impeccable, via recta qui forcent le respect, même si l’on nuancera tel ou tel point. Mais l’essentiel est là, dans l’attitude. Or comme disait Drieu: " on est plus fidèle à une attitude qu’à des idées ". Sur ce plan-là, Vial se qualifie benoîtement de " nationaliste révolutionnaire ", de " gibelin " et même, horresco referens, de paganus, ce qui, pour un élève des Pères n’est pas gentil. Mais voilà, Vial est l’un de ces Gentils (en grec: ethnikoi) qui regrettent l’absence toute provisoire des Druides. Ceci ne fait pas de lui un rêveur inoffensif.

 

Après ses premières armes au sein de groupes subversifs (notamment Jeune Nation avec D. Venner), il est l’un des fondateurs du GRECE, et l’une de ses chevilles ouvrières jusqu’en 1987, date de son passage au FN. Son témoignage sur ces vingt ans de combat culturel est du plus haut intérêt puisqu’il couvre la grande époque de la nouvelle droite originelle aujourd’hui éclatée. Elle innove et suscite alors de grands débats: les Indo-Européens, l’inné et l’acquis, les races, l’égalitarisme, l’eschatologie judéo-chrétienne, le pa­ga­nisme, l’éthologie, Schmitt et Gehlen, etc. Un feu d’artifice. Mais comme le montre bien Vial, qui connaît ce mouvement de l’intérieur (et y a gardé quelques amis), le GRECE subit l’usure, ignore pour des raisons obscures de grands problè­mes, tel que l’immigration non européenne. Surtout, son chef prend systématiquement ses distances avec ce qui pourrait ressembler à une application concrète des grands principes. Le réel semble lui soulever le coeur. Vial est sévère, comme tous les amis déçus: le GRECE, à la fin des années 80, " se mord la queue ", perd toute prise sur une réalité de plus en plus dramatique.

 

Naguère A. Imatz, dans son excellente synthèse Par delà droite et gauche (Ed. G. de Bouillon, Paris 1996, recensé à l’époque dans Vouloir) avait déjà fait le même diagnostic en parlant de stagnation. Et si cette association avait été la principale victime du succès de Le Pen? La hantise d’être amalgamé au clan populiste (aux insuffisances bien réelles !) n’a-t-elle pas poussé certains à se distancier au point de perdre le contact, ou à renoncer à dire le fond de leur pen­sée?

 

Refuser l'académisme pour prôner le rêve et l'action

 

Le médiéviste nous livre des réflexions profondes sur l’es­sence du pouvoir. Servi par une culture historique sans rien de sec, Vial a médité, malgré son activisme débordant, sur le Politique; il est manifestement un disciple de Julien Freund. Le pédagogue a aussi planché sur l’indispensable formation des militants, auxquels il voue un amour sincère (toujours ce côté charnel, boy-scout diront les malicieux): Vial sait que l’idée doit toujours s’incarner et que sans soldats prêts à les défendre, elles ne sont que prétexte à notes en bas de page. Plaisant paradoxe que cet universitaire qui, n’ayant rien à prouver dans le domaine de l’érudition alimentaire, refuse l’a­cadémisme démobilisateur pour prôner et le rêve et l’action!

 

Nuançons tout de suite le propos et ne soyons pas ha­gio­graphes: du reste ce drôle de moine ne doit pas apprécier les Vies de saints, ou alors pour y retrouver les traces de l’an­cienne religion! Terre et peuple, sang et sol, en bref l’héritage. Fort bien. Et l’Esprit? N’y a-t-il pas risque de matérialisme grossier, voire de malentendu. Blut und Boden et exaltation de la horde: tout ceci est connu, diabolisable à l’infini, et, surtout, a montré ses limites. Le piège serait le mi­métisme, le jeu de rôle (tribalisme virtuel et saine barbarie), l’ambiguïté, postures toutes les trois impolitiques et irréa­listes. Or Aristote le disait fort bien: la Politique est l’art du possible. Hors de ce constat, point de salut.

 

A propos de l’inévitable accusation de racisme , Vial rappelle que l’identité compte trois composantes: la race (" qui con­ditionne beaucoup de caractères " remarquons qu’il ne dit pas " tous les caractères "), la culture (et l’éducation comme dressage) et la volonté (facteur aujourd’hui déterminant car indispensable pour refuser le métissage). Voilà des idées à développer, ainsi que celle de différence et de (légitime) préférence. Tout un travail d’encyclopédiste à effectuer sur le vocabulaire. Naguère, Faye et Steuckers avaient publié un exemplaire lexique du partisan européen, qu’il conviendrait de refondre avec l’aide d’une équipe dextriste mêlant les sensibilités et les générations: de Mabire à Racouchot par exemple.

 

Une géopolitique aux intuitions justes

 

Comme son ami Faye, comme Steuckers, autre gibelin, Vial se révèle géopoliticien aux intuitions justes: " Il faut penser à l’Eurosibérie, à l’espace eurosibérien, au grand empire que peut être un jour l’Europe et son prolongement en direction de l’Asie. Là il y a des éléments de motivation, de mobi­lisa­tion psychique et d’enthousiasme capables de parler à l’ima­ginaire des gens qui ont vingt ans ". Un livre sur la néces­saire confédération impériale est d’ailleurs en chantier dans les scriptoria de Terre et Peuple. Lors du colloque de mai 2000, qui fut un franc succès (350 personnes enthousiastes, dont une majorité de jeunes) un appel appuyé à l’Eurosibérie ethnocentrée (et même au Sacrum Imperium) a été lancé par les divers orateurs, comme en témoigne le compte-rendu assez objectif publié par Le Monde (30 mai 2000).

 

On trouvera dans ce livre qui fera date des textes plus an­ciens de Vial publiés dans Eléments, Identité, Questions de, etc. et traitant des marottes du Professeur: la guerre et le sacré, la forêt, Merlin, Vincenot. Ce florilège se termine par une belle exhortation au mouvement identitaire grand-continental, nécessairement multipolaire, ce Mouvement So­cial d’Empire dont l’Eurosibérie a besoin.

 

Une condamnation de l'ethno-masochisme

 

Après le Nouveau discours à la nation européenne et l’Ar­chéofuturisme, G. Faye revient avec un livre explosif tout simplement intitulé La colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immigration et l’Islam. Pour en parler, la prudence s’im­pose, vu que la République, dans son infinie bonté, s’est dotée de lois liberticides restreignant le débat sur cette ques­tion essentielle: le devenir anthropologique de l’Europe. L’es­sai (350 pages) est torrentiel, comporte parfois des redites, des approximations (des chiffres cités seraient inexacts), mais quelle rupture avec l ’idéologie dominante! (2) Quelle con­damnation de l’ethnomasochisme occidental dans ce cri d’alarme face à la submersion de notre continent par des mas­ses souvent musulmanes parties à la recherche de l’El­do­rado, tels les miséreux du roman déjà ancien de J. Ras­pail: Le camp des saints. Refusant à la fois la naïveté prométhéenne et le caritarisme chrétien, Faye nous met en garde contre les utopies assimilationnistes et communau­ta­riennes. Il rappelle que le conflit, le rapport de force, même codifiés, demeurent les fondements de la vie sociale. Or aujourd’hui, le risque de fracture ethnique, de partition du territoire européen existe bel et bien. Pour lui, le socle bio-anthropologique de notre civilisation est en passe d’être profondément modifié. De façon très lucide, Faye met en lumière des phénomènes soigneusement cachés par les élites au pouvoir: la dévirilisation des Européens et la bestialisation des Africains (dans la publicité par exemple), l’ethnomasochisme des Blancs (haine de soi et mixomanie), la montée d’une guérilla raciale, la constitution comme aux Etats-Unis de tribus hostiles pratiquant la razzia et l’éco­nomie parallèle, etc.

 

Le GRECE hors du réel 

 

Suivant les thèses développées par le politologue Alexandre del Valle dans ses deux livres déjà classiques sur l’instrumentalisation de l’Islam combattant par Washington pour diviser le continent (Golfe-Balkans-Tchétchénie), de l’immigration incontrôlée pour le saper de l’intérieur, Faye évoque la thèse d’une alliance (temporaire) entre thalas­socrates et islamistes. Il critique aussi le risque de dé­mobilisation de la mouvance identitaire par certains théo­riciens de l’actuel GRECE qui tiennent des propos fran­che­ment irréalistes sur l’immigration, aux lisières du politique­ment correct, et surtout en rupture complète avec la simple observation du réel. Des rumeurs d’éventuel procès contre G. Faye ayant filtré en mai 2000, nous conseillons à nos lec­teurs de se procurer sans tarder ce livre authentiquement subversif et idéologiquement délinquant qui place son auteur parmi la cohorte des déviants, pourchassés par les in­qui­siteurs et respectés par les hérétiques du moment. Une critique, justement signalée par divers lecteurs (R. Steuckers dans ses passionnantes lettres électroniques – robert.steuckers@skynet.be ainsi qu’un mystérieux Cercle Gibelin cerclegibelin@hotmail.com) : l’allusion récurrente à la guerre ethnique peut être dangereuse auprès de jeunes esprits non encadrés car comprise de travers comme un appel à la guerre civile, distorsion que les adversaires ne manqueront pas d’exploiter.

 

Après ces deux livres remplis de sève, volcaniques et ra­di­caux, abordons maintenant deux titres qui illustrent la dé­marche de l’actuel GRECE.

 

A l’occasion du colloque de janvier 2000 sur la désin­for­ma­tion, l’association publie un Manifeste pour une re­naissance européenne, rédigé par Alain de Benoist et Charles Cham­petier, les idéologues de cette mouvance (3). Malgré des as­pects intéressants (le monde comme pluriver­sum, le cosmos comme continuum), le texte en est déce­vant: ton compassé, langue de bois, ambiguïtés et insuffi­sances sur des sujets graves. En voici un exemple, à propos de l’immigration: "ni apartheid ni melting pot: acceptation de l’autre en tant qu’au­tre dans une perspective dialogique d’en­richissement mu­tuel". Que signifie ce charabia "dialo­gique" qui fait penser aux brochures en faveur de "l’ou­verture à l’Autre" (la ma­jus­cu­le aurait été préférable). Tout ceci serait comique si le su­jet n’interdisait la légèreté: c’est de l’avenir de notre com­munauté dont nous parlons. Plus loin, les mêmes prônent une véritable reconnaissance dans la sphère publique des  "différentes communautés qui vivent en France" (admirez l’euphémisme), bref, en clair, l’accepta­tion d’un droit islami­que, et à terme, de la partition du terri­toire car on ne voit pas ce qui ferait reculer les élus mu­sul­mans et leurs institutions (nous parlons bien de "recon­nais­sance dans la sphère publi­que ") de réclamer leur territoire. Cela s’est vu  et traduit par des millions de personnes tuées ou expulsées de force au Pa­kistan, au Bengladesh, au Ko­sovo. Est-ce cela le modèle proposé par le GRECE ? Qui mobilisera-t-il ?

 

Toujours au sujet de cette mouvance, signalons le recueil de textes Aux sources de la droite,  publié par A. Guyot-Jean­nin, journaliste du GRECE, qui avait déjà édité un décevant dossier Evola (4). Il récidive aujourd’hui avec ce livre où di­vers acteurs de la scène dextriste interviennent sur des su­jets tels que l’Europe (J. Mabire), la résistance (P. Conrad), la Tradition (JP Lippi), les Lettres (d’Algange), les régions (JJ Mourreau), etc. Les textes cités ici, malgré leur taille réduite, sont parmi les plus intéressants de ce recueil assez inégal, où manquent les signatures d’un Venner, d’un Vial, et de G. Faye bien sûr. Ils semblent avoir été jugés indignes de fi­gu­rer au sommaire du recueil, qui n’aborde pas les questions telles que la droite et l’ordre, la géopolitique, l’art, le temps, le paganisme (pour la religion, seul le catho­lique C. Rous­seau a droit à la parole), etc. De même, appel n’a pas été fait à des écrivains : Raspail, Déon, Mour­let, de jeunes au­teurs auraient pu ajouter leur grain de sel. On est surpris de ne lire aucun acteur politique : un Mégret, un Le Gallou, une I. Pivetti, voire un Bossi auraient pu être in­terrogés. Et Haider : n’était-ce pas le moment de voir ce qu’il pense ?

 

Guyot-Jeannin: travail incomplet et bâclé

 

Autre reproche : n’avoir interrogé que des Français alors que c’est en Italie, en Grande-Bretagne et pourquoi pas aux E­tats-Unis que le courant néo-conservateur effectue un travail novateur. Rien sur la droite en Europe centrale et orientale, rien sur la Russie. Travail incomplet et bâclé dont l’objectif visible est davantage d’occuper le terrain que de tracer des pistes. Parisianisme et copinage, bref rien de fondateur. L’in­troduction de Guyot-Jeannin est du charabia d’inspiration pseudo-légitimiste (Pierre Boutang doit hurler là-haut !), la bibliographie fort pauvre quand on la compare à l’essai ex­cel­lent d’Imatz cité plus haut. Plus grave, les so­phismes a­bondent tel que celui-ci, dû à A. Guyot-Jeannin, qui fait ici preuve de sa clairvoyance habituelle: "Ce n’est pas parce que certains immigrés posent problème (sic) que les Fran­çais vivent dans la décadence, mais bien parce que les Fran­çais vivent dans la décadence que certains immigrés posent problème".  Bel exemple d’ethnomasochisme et de mépris pour son peuple, le type même du discours aussi dé­connecté que prétentieux. Pourquoi tenter de (maladroite­ment) culpabiliser ses compatriotes? Qu’y peuvent ces mil­lions de Français sans fortune (qui n’ont pas le privilège de vivre à Neuilly-sur-Seine comme l’éditeur du recueil) forcés de cohabiter avec des allogènes de plus en plus nombreux, souvent hostiles? Se moquer des petites gens, les insulter n’a rien d’aristocratique mais relève du bour­geoisisme le plus puant.  Comme si, en plus, l’immigration ne concernait que la France, la seule France ! Comme si la question était le " problème " posé par " certains " immigrés ! Accepte-t-il donc le principe même de l’immigration massive ? On reste confondu devant pareil aveuglement, exprimé avec tant de prétention. Si c’est cela la " droite essentielle ...

 

«La gauche réactionnaire» de Marc Crapez

 

Cette synthèse sur la droite souffre d’une autre lacune gra­ve: les travaux novateurs de M. Crapez sur la naissance de la gauche réactionnaire  et de la droite égalitaire (La gau­che réactionnaire. Mythes de la plèbe et de la race, Berg 1997, préface de P.A.Taguieff et Naissance de la gauche, Micha­lon, 1999) ne sont pas utilisés. Or Crapez renouvelle l’analy­se de la droite en affinant la vieille distinction, clas­sique, due à R. Rémond, entre droites contre-révolution­nai­re, bonapar­tiste et orléaniste. Son livre sur la gauche réac­tionnaire est du plus haut intérêt pour qui s’interroge sur les racines des nou­velles droites (voir " Vieilles gauches et nouvelles droi­tes", pages 275-318). Crapez n’a pas été uti­lisé par les nou­velles droites comme il le mérite. Il distingue ainsi trois gau­ches (égalitaire, fraternitaire et libérale) et trois droites : la libérale (modérée ou libertarienne), conservatrice (libérale ou impériale), réactionnaire (traditionaliste ou po­pu­liste). Crapez souligne les contacts: le bonapartisme résult­e­rait des noces d’une droite conservatrice impériale et d’une gauche égalitai­re autoritaire. L’utilisation de ces concepts au­rait permis une analyse autrement plus novatrice... et utile pour critiquer la gauche idéologique, que Crapez définit com­me une extrême droite retournée (Le Figaro du 3 avril 1999): elle pratique un terrorisme intellectuel fort efficace, justifiant la fusion des peuples européens dans le grand métissage, préalable à leur neutralisation définitive en tant que porteurs de civilisa­tion. La gauche idéologique est devenue le chien de garde de la Nouvelle Classe, bourgeoisie humaniste, universaliste et multiraciale.  Au lieu de cela, Guyot-Jeannin inflige à ses lecteurs un ennuyeux prêt-à-penser.

 

Pour terminer, je citerai le livre de l’Allemand P. Krebs, Doc­teur ès Lettres, qui anime le Thule-Seminar. Lui aussi a fré­quenté le GRECE : sa synthèse, Europe contre Occident (5), est un parfait manuel de résistance aux idéologies mor­ti­fè­res, dénuée quant à elle de toute concession à l’im­posture, dans la veine de Faye et du jeune Alain de Benoist. Lisez Krebs avec les livres de Vial et de Faye : vous y re­trou­verez le même souffle, la même voix, celle des dissi­dents. La voix des Impériaux.

 

Patrick CANAVAN.

 

(1) P. Vial, Une terre, un peuple, Ed. Terre et Peuple, Paris 2000, 130FF. BP 1095, F-69612 Villeurbanne cedex,

www.geocities.com/Athens/Agora/3973/

(2) G. Faye, La colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immi­gration et l’Islam, Aencre, Paris 2000, 145FF. 12 rue de la Sourdière, F-75001 Paris.

(3) A. de Benoist & C. Champetier, Manifeste pour une renaissance européenne, GRECE, Paris 2000, 50FF. 99-103 rue de Sèvres, F-75006 Paris, http://grece.hypermart.net Signalons aussi d’A; de Be­noist, L’écume et les galets, Labyrinthe 2000, 280F. Recueil des chroniques anonymes publiées dans La Lettre de Magazine-Hebdo, revue de la droite radicale publiée par J.C. Valla et aujourd’hui dispa­rue. A. de B. s’y révèle bon chroniqueur de l’actualité, et l’anonymat lui donne un punch souvent réjouissant.

(4) A. Guyot-Jeannin (éd.), Aux sources de la droite, Age d’Homme, Lausanne 2000, 130FF.

(5) P. Krebs, Europe contre Occident, Ed. Héritage européen, Overijse 1997 (voir à la Librairie nationale).    

Du texte au corps

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Du texte au corps

The John Hopkins University Press : Harold B. Segel vient de sortir un ouvrage scientifique fondamental sur la renaissance du culte du corps à partir des premiers Jeux Olympiques de 1896 et à la suite des mouvements de gymnastique allemand (Turnverein) et tchèque (Sokol) et du scoutisme anglais. Les diverses formes d’expression corporelle indiquent une mutation dans l’esprit européen, qui tourne le dos au langage (ou à une culture basée exclusivement sur le langage et l’écrit) pour promouvoir d’autres formes expressives, plus gestuelles, mythiques, chorégraphiques et corporelles, culminant dans l’apologie de la guerre, du sport et de l’aventure. Des manifestations comme le “pantomine” de Max Reinhardt dans The Miracle sont des tentatives de revitaliser la langue littéraire par un appel aux expériences plus directes. Segel explore l’univers littéraire de d’Annunzio, Marinetti, Goumilev, Jünger, Hemingway, Montherlant et Saint-Exupéry, tout en montrant que la spiritualité sous-jacente dans leurs œuvres se démarque des apports du judéo-christianisme.

Harold B. SEGEL, Body Ascendant. Modernism and the Physical Imperative, 1998,ISBN 0-8018-5821-6, 312 pages, £30.00.

dimanche, 06 janvier 2008

Decrecimiento y Progreso

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Decrecimiento y Progreso

Alberto Buela(*)

Hemos sostenido en un artículo reciente que: “La idea de progreso, según nuestra opinión, tiene que estar vinculada a la idea de equilibrio de los efectos. Progreso en la medida en que las consecuencias o efectos del mismo se equilibran de tal forma que puedo realizar nuevos progresos sin anular los efectos del primero”.1 

Queremos ahora profundizar en la relación entre decrecimiento y progreso, pues nos encontramos con dos hechos indubitables y evidentes, pero que al mismo tiempo se presentan como contradictorios. Por un lado tenemos la acumulación masiva de datos que muestran el desquiciamiento de los ecosistemas planetarios y el deshilachado del tejido social de la naciones tanto pobres como opulentas. Y por otro, el ansia y la tendencia natural del hombre al progreso. ¿Cómo compaginar estos dos hechos irrecusables por evidentes?.

Si bien la idea de decrecimiento fue manejada por el anarquismo clásico como los ludditas que destruían las máquinas al comienzo de la revolución industrial y reclamaban menos horas de trabajo para el estudio y la formación personal, esta idea fue enunciada por primera vez por el mejicano Ivan Illich por los años 60 cuyo apotegma fue: Vivir de otro modo para vivir mejor. A él le siguieron pensadores como Nicholas Georgescu y su propuesta de límites al crecimiento económico, Jacques Ellul que en 1981 proponía no más de dos horas de trabajo diario, para concluir en nuestros días con los trabajos del reconocido sociólogo Serge Latouche: Por una sociedad del decrecimiento(2004) y del ingeniero mejicano Miguel Valencia Mulkay: La apuesta por el decrecimiento(2007). Acaba en estos días de publicar el pensador Alain de Benoist Demain la décroissance. Penser l’écologie jusqu’a bout (Edite, 2007).

Se parte de la base que el crecimiento económico por el crecimiento mismo lleva en sí el germen de su propia destrucción. El límite del crecimiento económico lo está dando el inminente colapso ecológico. Hoy desaparecen 200 especies vegetales y animales diariamente. De modo tal que el crecimiento económico comienza a encontrar límites ecológicos (el calentamiento de la tierra, el agujero de Ozono, el descongelamiento de los Polos, la desertificación del planeta, etc.)

Es que la sociedad capitalista con su idea de crecimiento económico logró convencer a los agentes políticos, económicos y culturales que el crecimiento económico es la solución para todos los problemas. Así hoy el progresismo político ha rebautizado con los amables nombres de “ecodesarrollo”, “desarrollo sustentable”, “otro crecimiento”, “ecoeficiencia”, “crecimiento con rostro humano” y otros términos, que demuestran que este falso dios está moribundo.2 

A contrario sensu de esta tesis el inimputable de George Bush sostuvo el 14/2/2002 en Silver Spring ante las autoridades estadounidenses de meteorología que: “el crecimiento económico es la clave del progreso ecológico”.

En realidad el pensamiento ecológico se va transformando sin quererlo en subversivo al rechazarla tesis de que el motivo central de nuestro destino es aumentar la producción y el consumo. Esto es, aumentar el producto bruto interno-PBI de los Estado-nación.

La idea de decrecimiento nos invita a huir del totalitarismo economicista, desarrollista y progresista, pues muestra que el crecimiento económico no es una necesidad natural del hombre y la sociedad, salvo la sociedad de consumo que ha hecho una elección por el crecimiento económico y que lo ha adoptado como mito fundador.

El asunto es ¿cómo dejar de lado el objetivo insensato del crecimiento por el crecimiento cuando éste se topa con los límites de la biosfera que ponen en riesgo la vida misma del hombre sobre la tierra?. Y ahí, Serge Latuche tiene una respuesta casi genial: avanzar retrocediendo.

Es decir, seguir progresando desactivando paulatinamente esta bomba de tiempo que es la búsqueda del crecimiento económico si límites. Y para ello hay que comenzar por un cambio en la mentalidad del homo consumans como designó nuestro amigo Charles Champetier en el libro homónimo, al hombre de hoy.

Sabemos de antemano que esto es muy difícil pues la sociedad mundial en su conjunto a adoptado la economía del crecimiento y vencer a los muchos se hace cuesta arriba, pues como afirmaba el viejo verso del romancero español: Vinieron los sarracenos

Y nos molieron a palos,

Que Dios protege a los malos

Cuando son más que los buenos.

El establecimiento de una sociedad del decrecimiento no quiere decir que se anule la idea de progreso4 sino que se la entienda de otra manera, tal como propusimos al comienzo de este artículo. Hay que dejar de lado de una vez y para siempre la idea de progreso indefinido tan cara al pensamiento ilustrado de los últimos tres siglos. Porque sus consecuencias nos sumieron en este estado de riesgo vital que estamos viviendo hoy todos los hombres sin excepción.

Debemos superar los aspectos nocivos de la modernidad en este campo, y sólo podemos hacerlo con una respuesta postmoderna que lleve un anclaje premoderno. Por ejemplo, rompiendo el círculo del trabajo para volver a trabajar intentando recuperar, no la pereza, como afirma Lafargue, ni la diversión como afirma Tinelli, sino el ocio= la scholé= la scholae= la escuela, esa capacidad tan profundamente humana y tan creativa que nos hace a los hombres personas.

No es tan difícil reestablecer en economía el principio de reciprocidad de los cambios tanto entre los hombres en el intercambio de mercaderías como entre el hombre y la naturaleza, volviendo a pensar a la naturaleza como amiga. Ese principio de reciprocidad que morigere la salvaje ley de la oferta y al demanda.

Si no lo hacemos se encargará con su fuerza interna de mostrárnoslo la propia realidad de las cosas, con la fuerza cruel que impone la pedagogía de las catástrofes.

(*) arkegueta- CeeS- Fed. del Papel

alberto.buela@gmail.com 

Casilla 3198 (1000) Buenos Aires

(1) Dos ideas distintas de progreso, en internet, octubre de 2007

(2) Miguel Valencia Mulkay: La apuesta por el decrecimiento (2007)

(3) Serge Latouche: Por una sociedad del decrecimiento (2004)

(4) Tampoco decrecer significa que se niegue el derecho a la vida, sobre todo de los pobres, como sostienen algunos eugenetistas y controladores de la natalidad.

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Nietzsche: affirmation et religion

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Princeton University Press : Tyler T. Roberts, professeur assis­tant en études religieuses au Grinnell College, vient de publier un ou­vra­ge intitulé « Contesting Spirit. Nietzsche, Affirmation, Religion » [Esprit contestataire : Nietzsche, Affirmation, Religion]. Roberts con­tes­te la vision courante qui pose Nietzsche comme un penseur farou­che­ment anti-religieux. Au contraire, le caractère résolument affirmatif de la pensée de Nietzsche fait de sa pensée une pensée fondamen­talement religieuse, qui conteste seulement l’ambiguïté des positions as­cétiques et parfois mystiques. De ce fait, Nietzsche transfigure les tro­pismes et les pratiques religieuses en rejetant la haine du corps et du monde. Nietzsche n’appartient pas à cette catégorie des philo­so­phes du soupçon qui réduisent tout discours aux platitudes modernes et positivistes, mais un maître qui nous force à aller bien loin au-delà de celles-ci.

Tyler T. ROBERTS, Contesting Spirit. Nietzsche, Affir­ma­tion, Religion, O-691-00127-8, 1998, £13.95. Pour l’Europe com­mander à : John Wiley @ Sons, 1 Oldlands Way, Bognor Regis, West Sus­sex PO22 9SA. Customer@Wiley.co.uk

 

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samedi, 05 janvier 2008

Renaissance évolienne en Hongrie

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Claudio MUTTI :

 

Renaissance évolienne en Hongrie

 

Le message évolien circule particulièrement bien dans l'Est de l'Europe.

Juste après avoir édité sous forme de brochure les résultats d'une re­cherche que nous avions menée sur les activités de Julius Evola dans certains pays de l'Europe centrale, et sur l'influence des écrits de cet auteur traditionaliste dans ces régions (Julius Evola sul fronte dell'Est, Ed. All'insegna del Veltro, Parma, 1998), nous avons eu con­nais­sance de faits nouveaux qui confirment l'idée de départ de notre en­quête, à savoir, la certitude d'une présence évolienne active et opé­rationnelle dans cette partie de l'Europe.

 

A cent ans de la naissance de ce penseur italien, l'intérêt des Hon­grois pour l'œuvre d’Evola est un facteur culturel important, à tel point que le professeur Imre Madarasz, directeur du Département d'études italianistes de l'Université de Debrecen, dans un essai intitulé Un tra­di­tionaliste antitraditionnel: la découverte de Julius Evola, parle mê­me d'un phénomène de « Renaissance évolienne ». D'autre part, les tra­ducteurs du volume de mise à jour du Vlagirodalmi Lexikon (= Dic­tionnaire littéraire mondial), paru en 1996, ont jugé opportun d'in­sé­rer, aux pages 347-348, une nouvelle entrée :  « Evola, Julius ». En ce qui concerne l'essai du professeur Madarasz, le sens de ce titre é­trange est justifié par l'auteur lui-même par ces mots: « Le paradoxe su­prême, le plus grand, le plus caractéristique et le plus instructif de l'œu­vre et de la philosophie de Julius Evola est qu'en Europe aucun phi­lo­sophe anti-traditionaliste n'a jamais été aussi actif que Julius E­vola, qui est considéré comme l'un des (voire le plus significatif) pen­seurs traditionalistes les plus significatifs.

 

Pour l'homme européen, la Tradition (Hagyomany), celle qu'on écrit a­vec un grand « T », représente exactement ce qu’Evola, de plus en plus énergiquement au fil de ses activités, a toujours condamné et ré­fu­té de façon presque totale: l'Antiquité classique, le Christianisme (dont Novalis usait comme d'un synonyme d'Europe par le biais de la con­jonction « oder » (= « ou »)), l'Humanisme de la Renaissance, syn­thèse des deux termes précédents, et tous ces courants qui en con­servent, augmentent et développent ultérieurement l'héritage, com­me le rationalisme, l'idéologie des Lumières, les libéralismes na­tio­naux et la démocratie. Tout ce qui se place en dehors de ces linéa­ments ne fait pas partie de cette « Tradition », car il n'y a pas, alors, de continuité. Ce qui existait avant ces « traditions » se réduit à des hy­pothèses, des spéculations, voire des légendes. Ce qui s'est op­po­sé à tout cela ne mérite pas beaucoup de gratitude de la part de l'Eu­ro­pe moderne: et c'est précisément “cela” qu’Evola a appelé « Tra­di­tion positive ».

 

On pourrait objecter que le rapport d’Evola avec l'Antiquité (même cel­le dite « classique ») et avec le Christianisme est un peu plus com­ple­xe que le tableau qui nous en esquisse le professeur Madarasz. Mais, à part cela, pourquoi s'occuper de l'œuvre d’Evola, si on ne par­tage pas la conception évolienne de la Tradition et si on refuse sa po­sition par rapport aux courants de pensée qui ont marqué de leur sceau la culture européenne ?

 

D'après le professeur Madarasz, l'œuvre d’Evola a la valeur d'un défi. Puisque la menace d'une interruption de la tradition culturelle euro­péen­ne, cette tradition où réside le seul remède possible pour guérir les maux de l'Europe (et en particulier de l'Europe centrale et orien­ta­le) est bien réelle ; aujourd'hui plus que jamais, trouver ce remède é­qui­vaudra à « trouver la réponse la plus authentique au défi lancé par E­vola ».

 

Toujours à l'occasion du centenaire de sa naissance, deux écrits d’E­vo­la sont parus dans un volume de mélanges intitulé Tradicio, à côté d'auteurs classiques (Guénon, Burckhardt, Hossein Nasr, Hamvas, etc.) ;  ensuite un article de Robert Horvath sur le thème évolien de l'a­narchisme de droite est également paru ; enfin, une maison d'é­di­tions de Budapest, Stella Maris, a réuni trois courts textes d’Evola (La doc­trine aryenne de lutte et de victoire, Ethique aryenne et Orien­ta­tions) dans un petit livre édité par Robert Horvath. D'autres traduc­tions d'écrits évoliens sont parues entre 1997 et 1998 dans le maga­zi­ne Sacrum Imperium, édité par la Kard-Kereszt-Korona Szovetség (= Association Epée-Croix-Couronne). Mais l'événement le plus mar­quant dans le cadre de la Renaissance évolienne en Hongrie reste la pa­rution, en 1977, de l'édition magyare de Révolte contre le monde mo­derne, auprès de la maison d'éditions Kotet, dans une collection qui porte le titre évolien de « Les livres du Chemin du Cinabre ».

 

Claudio MUTTI.

Article paru dans Orion n°166 (n° 7/ nouvelle série) - juillet 1998 - pages 13-14. Trad.franç. : LD.

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vendredi, 04 janvier 2008

E. Jünger: "La Paix" du Guerrier

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Max SERCQ :

Ernst Jünger: "La Paix" du Guerrier

«Que pensez-vous des nationalités?». Interrogé par ses tra­duc­teurs italiens MM Antonio Gnoli et Franco Volpi dans leur livre Les prochains Titans, paru chez Grasset en 1999, Ernst Jünger ré­pondait: «Les nations sont à mon avis un phénomène de tran­si­tion (...) Nous assistons à une lutte entre diadoques qui, tôt ou tard, débouchera sur l’Etat universel». Une opinion aujourd’hui cor­roborée par les faits, mais défendue par l’anarque de Wilf­lingen depuis 1941, alors qu’en pleine apogée des armées du IIIe Reich, et au cœur de Paris, Jünger écrivait son essai La Paix, qui devait tant influencer Rommel dans sa participation au com­plot du 20 juillet 1944.

«Ce n’est pas dans l’équilibre  bourgeois, mais dans le tonnerre des apo­calypses que renaissent les religions» (Walter Schubart, L’Europe et l’Ame de l’Occident ).

On avait failli l’oublier. Submergé par les rééditions chez Bourgois de ses premiers récits guerriers et la parution chez Grasset de son en­tre­tien-testament Les prochains Titans, et malgré sa présence à la Ta­ble Ronde en collection Vermillon depuis 1994, on avait failli ou­blier l’existence de La Paix. Pourtant ce petit essai, écrit par Ernst Jün­ger à l’Hôtel Majestic, en plein Paris occupé par une armée alle­man­de dont il a lui-même revêtu l’uniforme feldgrau, «en somme dans le ventre du Léviathan» (E.J.), La Paix, en rupture avec ses pré­cé­dents écrits, «peut être (dixit le résumé en quatrième de cou­ver­tu­re) considéré comme une contribution théorique à l’attentat manqué de 1944 contre Hitler. La plupart des auteurs du complot trouvèrent la mort; Jünger fut l’un des rares à y échapper». Ironie du sort, il aura fall­u en France la publication par Michalon en 1998 du livre La ten­ta­tion allemande; ramassis hystérique, signé Yvonne Bollmann, de soi-disant preuves des prétentions gouvernementales allemandes à la res­tauration du Reich, quatrième du nom, pour qu’on redécouvre La Paix. Un phantasme germanophobe bien d’actualité, mais que n’au­rait pas désavoué un Déroulède, et immédiatement confondu par F. G. Dreyfus dans Historia.

Que vient faire Jünger dans ce déballage d’inepties? Laissons Mme Boll­mann nous le dire: «Un essai comme celui-ci, qui alors était dan­ge­reux et à écrire et à lire, peut très bien, aujourd’hui, donner l’im­pres­sion que le vaincu veut donner une leçon de conduite aux vain­queurs» (E.J.). «Mais, lui rétorque-t-elle, il n’est que la caricature de l’"al­liance pacifique", de la "fédération d’Etats libres" voulue par le phi­losophe. Ce traité illustre bien plutôt l’une des maximes de so­phiste, qui guident, selon Kant, le pauvre savoir-faire d’une politique im­morale: Fac et excusa - Agis d’abord et excuse-toi ensuite». Au con­traire, la lecture posée de ce petit texte limpide, ruisselant de mé­di­tations fécondes, dévoile un Jünger européen, homo metaphysicus cer­tes, mais inscrit dans les tumultes de son temps, auxquels il en­tre­voit peut-être des perspectives grandioses, la paix recouvrée. La Paix du guerrier bien sûr.

Jünger, «intellectuel dégagé»

Si vis pacem, para bellum. De l’acuité de la maxime romaine, Jünger est convaincu, qui lui a sacrifié ses années de jeunesse. Mais à pré­sent que la guerre dégénère en une auto-reproduction du système ca­pitaliste, Jünger, «intellectuel dégagé», pressent que des formes de la cessation des hostilités dépendra la régénérescence de la civili­sation, ou sa mort. «Deux voies s’ouvrent aux peuples. L’une est celle de la haine et de la revanche; comment douter qu’elle conduise après un moment de lassitude, à un regain de lutte plus violente encore, pour s’achever dans la destruction générale? La vraie voie, par contre, mène à la civilisation. Les forces qui s’anéantissaient en s’op­posant doivent s’unir pour un nouvel Ordre, pour une vie nou­velle. Là seulement se trouvent les sources de la paix véritable, de la ri­chesse, de la sécurité, de la puissance». Il faut être, Mme Bollmann, bien mal intentionné, ou ignorant du personnage, pour prêter aux pro­pos de Jünger des ambitions de «nazisme inversé». Poursuivons. Quel nouvel Ordre Jünger oppose-t-il dès 1941 à l’Ordre nouveau a­lors à son zénith?

«En d’autres termes, les anciennes frontières ont à cé­der devant des alliances nouvelles qui uniront les peuples en de nou­veaux et plus vastes empires. C’est la seule voie par laquelle puis­se se terminer, en équité, et avec profit pour chacun, cette que­relle fratricide». Folle utopie, désir insatiable de justice et de fra­ter­nité, son incompréhension, ou sa fin de non-recevoir, des con­sé­quen­ces idéologiques est manifeste. «Mais en vérité la déclaration d’in­dépendance de l’Europe est un acte plus spirituel encore. Elle sup­pose que ce continent s’affranchisse de ses conceptions pé­tri­fiées, de ses haines invétérées, faisant de la victoire un bienfait pour tous (...) Peu importe le vainqueur: au triomphe des armes il incombe une lourde responsabilité. La logique de la violence pure doit aller jus­qu’au bout pour qu’apparaisse la logique supérieure de l’Alliance». Dos au mur, l’Allemagne nazie doit céder pour que rejaillisse l’Alle­ma­gne éternelle dont il est, avec Mann, Hesse et quelques autres, dis­sé­minés entre la Suisse et les Etats-Unis, l’ultime héritier. Re­staurée dans son identité, donc fédérale, impériale, revenue de 1806, l’Al­lemagne préfigurera l’Europe qu’il appelle de ses vœux. Son pre­mier devoir sera «moins de venger les victimes que de rétablir le droit, et surtout la notion de droit (...)

La volonté de justice doit être di­ri­gée vers l’ordre, vers l’assainissement». Car rien n’est plus distant du droit international qui naîtra des procès de Nuremberg que l’idée jün­gerienne du droit: «Or la main qui veut aider l’homme et le tirer de l’a­veuglement, doit être elle-même pure de tout crime et de toute vio­len­ce». «Aussi importe-t-il non seulement pour les vaincus, mais pour les vainqueurs, que la guerre se termine par des traités solides et du­ra­bles, élaborés non par la passion, mais par la raison». Un appétit mé­taphysique que ne respecteront nullement les signataires du traité de Yalta. Et pour cause, le document entérinant un déplacement des puis­sances dominantes contraire aux aspirations formulées dans La Paix: «Or à considérer sans passion l’enjeu de cette guerre, on con­state qu’elle soulève presque tous les problèmes qui agitent les hom­mes (...) La première est celle de l’espace, car il y a des puissances d’agression, ou totalitaires (...) Pour durer, la paix doit donc apaiser ce trouble d’une manière équitable. Encore faut-il que de telles exi­gen­ces, fondées sur le droit naturel, soient satisfaites sur un plan su­pé­rieur, par des alliances, des traités, et non par des conquêtes».

«Car la matière nationale des peuples s’est consumée en d’ultimes sacrifices»

La mobilisation totale et L’état universel annonçaient la dissolution des états. Avec le conflit gigantesque qui s’abat sur le monde, les na­tions désormais sont promises à pareil destin. «Car la matière des peu­ples s’est consumée en d’ultimes sacrifices, impossibles à renou­ve­ler sous cette forme. Le bienfait de ce drame est qu’il ébranle les vieill­es frontières et permet la réalisation de plans spirituels dé­pas­sant leurs cadres (...) Dans ce sens, aucune des nations ne sortira de la guerre telle qu’elle y est entrée. La guerre est la grande forge des peu­ples comme elle est celle des cœurs».

Déterminismes géopolitiques, libération des peuples de leurs entra­ves stato-nationales, et relativisation postmoderne des certitudes ra­tio­nalistes sont les trois piliers qui soutiennent son Union Euro­péen­ne, sa vision prophétique. Prophétique comme l’est son emphase; une emphase qui ne s’emporte jamais sur la vague de la facilité intel­lectuelle mais rebondit toujours sur une idée nouvelle. Une dia­lec­ti­que parfaite de maîtrise qui nous remémore que le théoricien lucide du totalitarisme technicien fut aussi l’interlocuteur privilégié de Hei­deg­ger.

«Et les nations qui naquirent alors des dynasties et des éclats de vieux royaumes sont aujourd’hui en demeure de fonder l’Empire. Les exemples abondent, d’ailleurs, d’Etats où s’amalgament les races, les langues, les peuples les plus divers: que l’on pense à la Suisse, aux Etats-Unis, à l’Union Soviétique, à l’Empire britannique. Ils ont cristal­lisé, dans leurs territoires, une grande somme d’expériences po­li­tiques: il n’est que d’y puiser. En fondant la nouvelle Europe, il s’agit de donner à un espace divisé par l’évolution historique, son unité géo­politique. Les écueils se trouvent dans l’ancienneté des traditions, et dans le particularisme des peuples».

Aussi, comment déborder l’obstacle? Par la constitution, si l’on se sou­vient de ce qui a été dit précédemment, mais un droit et une con­sti­tution de nature sacrale, et non plus seulement contractuelle. «La paix ne saurait se fonder uniquement sur la raison humaine. Simple con­trat juridique conclu entre des hommes, elle ne sera durable que si elle représente en même temps un pacte sacré. Il n’est d’ailleurs pas d’autre moyen de remonter à la source la plus profonde du mal, is­su du nihilisme».

Ni autoritaire ni libérale, puisque de leur arbitraire a découlé la guerre mon­diale, la constitution doit délimiter strictement les attributions éta­ti­ques. Un état à dimension européenne donc, soucieux de «satis­faire à deux principes fondamentaux, unité et diversité», sans quoi l’al­liance virera à la coercition, à l’indifférenciation mortifère. «Uni dans ses membres, le nouvel empire doit respecter les particularités de chacun».

L’homme nouveau, dépositaire et gardien de l’alliance

«La constitution européenne doit donc être assez habile pour faire la part de la culture et celle de la civilisation». Notons ici que Jünger opère à la manière de Thomas Mann une distinction entre la culture, qui concerne la sphère intérieure propre à tout homme, et la civi­li­sa­tion, qui la prolonge et l’éprouve dans l’action». «L’Etat, symbole su­prême de la technique, rassemble les peuples sous son égide, mais ils y vivent dans la liberté. Alors l’histoire se poursuit en s’enrichissant de valeurs nouvelles. L’Europe peut devenir une patrie sans détruire pour autant les pays et les terres natales». L’homme nouveau pres­senti par Jünger, dépositaire et gardien de l’alliance, n’est déjà plus la figure du Travailleur, ni encore tout à fait celle de l’anar­que. C’est un être complet, étroitement relié aux forces tellu­ri­ques et cosmiques. Organiciste et patriote, il se sait être la mail­lon d’une chaîne spatio-temporelle communément appelée com­mu­nauté. Mystique aussi, l’homme de l’alliance est un moine-sol­dat pénétré de ses devoirs envers la Cité, serviteur de son Dieu. Croisé d’une ère nouvelle  —petite et grande guerres sain­tes réunies—, sa paix intérieure découle de sa mission cheva­le­resque. «[c’est pourquoi] l’unité de l’occident, prenant corps pour la pre­mière fois depuis l’Empire de Charlemagne, ne saurait se borner à réu­nir les pays, les peuples et les cultures, mais elle doit aussi res­sus­citer dans l’Eglise (...) La véritable défaite du nihilisme, condition de la paix, n’est possible qu’avec l’aide de l’Eglise. De même que le lo­yalisme de l’homme, dans l’Etat nouveau, ne peut reposer sur son internationalisme, mais sur sa fidélité nationale, son éducation doit se fonder sur sa foi et non sur son indifférence. Il faut qu’il soit l’homme d’une patrie, dans l’espace et dans l’infini, dans le temps comme dans l’éternel. Et cette initiation à une vie qui embrasse la totalité de l’homme, doit se fonder sur une certitude supérieure à celle que l’Etat donne dans ses écoles et ses universités.»

Réconciliant science et théologie («la théologie, reine des sciences»), mythos et logos, comme Hesse avant lui dans Le jeu des perles de verre, Jünger insiste sur la nécessité de fonder une élite théolo­ga­le de kshatriya  pratiquant «le culte de l’Univers».

Car le message que nous délivre Jünger est celui-ci: vous ne sau­ve­rez l’Occident qu’en sauvant son âme, vous ne sauverez l’Occident qu’en le sauvant de lui-même.

Révolution conservatrice

Libre à chacun aujourd’hui de juger la justesse de son propos, son de­gré de prescience, les limites de son pacte. Reconnaissons-lui néan­moins, en des temps de cataclysmes, le courage rare, lui le guer­rier, d’avoir su se réconcilier avec le monde et, plus encore, avec lui-même.

Et pour Mme Bollmann, qui, manifestement, par engagement anti­fasciste n’a pas poussé le vice jusqu’à lire l’introduction de La Paix, citons cette courte confession jüngerienne: «Mais un homme qui ne s’était jamais menti, ne connaissant de la passion que ses flammes, non le rayonnement noir de la haine et du ressentiment (...) Cet hom­me-salamandre, capable de se livrer aux bêtes et aux flammes sans lais­ser entamer en lui la part divine de l’homme, ne pouvait pas re­con­naître dans l’Allemagne hitlérienne, fondée sur le désespoir des mas­ses et la puissance surnaturelle du mensonge d’un névrosé, l’i­ma­ge de ses premières amours viriles».

Noblesse oblige.

Max SERCQ.  

La Paix, Ernst Jünger, La Table Ronde, 1994.

Ernst Jünger aux faces multiples, Banine, L’Age d’Homme, 1989.

Les prochains Titans, Antonio Gnoli et Franco Volpi, Grasset, 1999.

La tentation allemande, Yvonne Bollmann, Michalon, 1998.  

jeudi, 03 janvier 2008

Drieu: anti-moderne et Européen

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Drieu La Rochelle, antimoderne et Européen

Recension : Drieu La Rochelle, antimoderne et européen (anthologie de citations récoltées par Arnaud Guyot-Jeannin), Perrin & Perrin, collection La Petite Bibliothèque n°2, 1999.

«Et après tout je ne suis pas qu’un écrivain, je suis un homme en proie au problème total» (Drieu). Et l’œuvre de Drieu, envisagée com­me un projet total? Nombreux sont les biographes qui s’y sont essayés, peu les élus conviés au banquet intellectuel et spirituel offert par Drieu de Fonds de cantine à Beloukia. A retourner le pro­blè­me dans tous les sens, après Mabire, Rouart et Vandromme, il est ap­paru à Arnaud Guyot-Jeannin, préfacier du recueil, qu’en définitive ce sont les textes qui parlent le mieux d’eux-mêmes. Histoire  de bri­ser les préjugés qui enferment depuis 50 ans Drieu dans le registre  de «l’esthète  bourgeois fasciste et suicidaire»; histoire aussi d’avan­cer certains aspects de son œuvre occultés par son engagement collaborationniste. Le titre, explicite, du présent opuscule (60 pages), «antimoderne  et européen», réhabilite à son tour, après que la pu­blication par NRF Gallimard  de son Journal 1939-1945  a provoqué bien des polémiques sur le sujet. Où l’on découvre un Drieu loin de sa caricature antisémite et érotomane: «(...) au moment où de nom­breux écrivains ou journalistes  clament leur admiration gênée et par­tielle pour Drieu, nous devons affirmer au contraire la profonde unité de son œuvre. Certes, on trouvera chez lui des paradoxes, quel­que­fois des contradictions, mais n’est-ce pas le propre d’un homme qui n’est pas théoricien et qui totalise dans sa pensée tous les domaines de la vie?» Et Guyot-Jeannin d’ajouter: «La seule liberté que nous pren­drons avec lui, c’est de l’aimer tout simplement à la lumière de ses meilleurs livres». «Il est, aux côtés d’Antoine de Saint-Exupéry et Geor­ges Bernanos, ce grand enfant libre et incorruptible qui ne dé­si­re pas grandir» (AGJ).

Si Drieu fut le prophète d’une seule révolution, elle ne fut ni nationale ni socialiste, mais spirituelle, mystique. Une préoccupation constante, qui sourd tout le long de ses écrits: Genève ou Moscou, La comédie de Charleroi, Les derniers jours, Notes pour comprendre le siècle, l’iné­dit Roman, et qui fait de lui, toujours selon Guyot-Jeannin, un spé­cialiste de la question, l’égal de Guénon et Evola. Petit florilège: «Il n’y a plus d’ordre à sauver, il faut en refaire un»; «Il faut mettre de la profondeur dans chaque minute, dans chaque se­con­de; sans quoi tout est raté pour l’éternité»; «Oui, j’y crois. Je crois qu’il y a sous tou­tes les grandes religions une religion secrète et pro­fonde qui lie tou­tes les religions entre elles et qui n’en fait qu’une seu­le expression de l’Hom­me. Unique et partout le même»; «Les dieux mè­nent à Dieu —et même au-delà».

Un peu cher peut-être (49 FF), mais il en est ainsi pour toutes les cou­rageuses petites collections (rappelons que Perrin & Perrin ont dé­jà publié Evola, Malaparte, Vialatte et Chateaubriant) qui n’ont pas accès aux grands circuits de distribution. Alors, pourquoi bouder no­tre plaisir?

Max SERCQ.

 

 

 

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