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lundi, 05 février 2007

L'idée nationale chez D. Langewiesche

Prof. Dieter Langewiesche : l’idée nationale génère la liberté…

Professeur d’histoire à Tübingen et lauréat du Prix Leibniz en 1996, Dieter Langewiesche, aujourd’hui âgé de 64 ans, s’est spécialisé dans l’histoire du libéralisme et du nationalisme en Allemagne. Il est un Européen convaincu, estime que l’Europe doit se construire en dépassant les petits nationalismes du passé. Néanmoins, il ne partage pas l’hostilité gratuite des idéologies dominantes aux nationalismes démocratiques et libertaires d’antan. Sa thèse est la suivante : la xénophobie et l’esprit guerrier, qui se dégageaient des nationalismes de libération du 19ième siècle sont des éléments constitutifs du politique, dont on ne peut ignorer les apports. Dans le n°4/2007 de l’hebdomadaire « Der Spiegel », le Prof. Langewiesche explicite ses thèses dans un long entretien, accordé aux journalistes Martin Doerry et Klaus Wiegrefe, à l’occasion d’une série d’articles à paraître sur l’ « invention des Allemands » (Die Erfindung der Deutschen), soit sur le processus de formation de la nation allemande.

Voici ces thèses :

Les nations dégagées de l’étau soviétique après la disparition du Rideau de Fer ont réactivé spontanément un nationalisme, tout simplement parce qu’il est légitime de refuser toute immixtion venue de l’extérieur, de voisins trop puissants, surtout quand cette immixtion s’est avéré désastreuse sur bien des plans.

La nation (et partant l’idée nationale) est un instrument commode pour partager les ressources du pays entre les nationaux, ressources qui sont évidemment économiques mais aussi culturelles. L’idée nationale sert à donner accès à tous à la culture et à la formation scolaire, universitaire et para-scolaire. La liberté, que croyaient obtenir Slovaques, Ukrainiens ou Slovènes, est une vertu politique qui permet, elle aussi, d’allouer correctement les ressources du pays aux nationaux. Idéal de liberté et idée nationale vont de paire. L’idée nationale est quasi synonyme de « souveraineté populaire ».

L’idée nationale a été, de toutes les idées politiques avancées par les Européens au cours des deux derniers siècles écoulés, la plus mobilisatrice. C’est elle qui a fait bouger les masses, les a sorties de leur léthargie politique.

Il n’y a pas d’alternative à l’idée nationale, si l’on veut créer un pays, ressusciter l’émergence d’un Etat national. Les pays qui ne génèrent pas d’idée nationale se décomposent en groupes d’autre nature, comme les tribus, incapables de produire une conscience d’appartenance qui va au-delà de leurs propres limites. De plus, sans idée nationale, avec le seul stade tribal de la conscience politique, il est impossible de faire éclore des systèmes institutionnels viables sur le long terme.

Certes, quand l’idée nationale se mue en nationalisme agressif, l’Etat, qui en dérive, devient une véritable machine à agresser ses voisins. Mais il est impossible de prendre prétexte de cette dérive, pour condamner l’idée nationale en soi, car rien ni personne ne peut trier et séparer proprement les bons des mauvais éléments du complexe idée nationale/nationalisme.

L’introspection que postule la création d’un Etat, d’institutions politiques et culturelles positives, induit nécessairement à se démarquer de l’Autre, de l’extérieur. Ce travail d’introspection a été jugé « irrationnel » par une certaine historiographie : cette posture intellectuelle est fausse. Ce travail, dit Langewiesche, est bel et bien rationnel. Car sans introspection, sans repli sur les limites de ce qu’est la nation, il est impossible de déterminer qui vote pour le Parlement, qui a droit à quoi dans le partage des ressources nationales. Langewiesche est conscient que les Etats où vivent plusieurs minorités importantes ont souvent pratiqué l’exclusion de ces dernières, ce qui a entraîné d’autres problèmes (ndlr : qui sont récurrents : il suffit de lire les limites que s’impose le nouveau groupe IST/Identité, Souveraineté, Transparence, au Parlement Européen, vu les litiges entres Roumains centralistes et minorités hongroises, allemandes et autres, litiges que n’acceptent pas les Autrichiens notamment).

Le danger que recèle l’idée nationale, quand elle se mue en nationalisme, est de ne pas pouvoir terminer les guerres entamées, contrairement à ce qui se passait à l’époque des « guerres de forme ». Le processus propagandiste de mobilisation des masses a provoqué des conflagrations telles que les classes dirigeantes ont dû justifier les pertes énormes, en évoquant le caractère sacré de la guerre en cours. Dans une telle situation, faire la paix sans avoir gagné la guerre s’avère particulièrement difficile.

Les nations ont pour ciment principal la conscience historique. Elles sont des communautés de souvenirs, dont on ne peut aisément se soustraire, sans se renier intimement. Pour Elias Canetti, auquel se réfère Langewiesche, les nations sont des communautés de sentiments partagés.

L’idée nationale, bien qu’unificatrice, ne gomme pas nécessairement les autres forces politiques ou religieuses présentes. Celles-ci demeurent sous-jacentes, susceptibles de se re-dynamiser. Mais sans l’idée nationale, ces forces provoqueraient des dissensions civiles graves. Dans l’Allemagne d’après 1945, on a voulu remplacer cette idée nationale par un « patriotisme constitutionnel », par une fidélité à un texte abstrait, celui de la « loi fondamentale » de 1949. Cependant, en cas de crise importante, ce patriotisme constitutionnel s’avèrerait bien insuffisant. Le « Verfassungspatriotismus » de Dolf Sternberger et de Jürgen Habermas ne génère pas suffisamment de « force liante ».

Ernst Gellner estime que l’idée nationale est une construction artificielle, née dans le cerveau des intellectuels du 19ième siècle. Pour Langewiesche, cet argument de Gellner est pertinent, mais seulement dans la mesure où l’on peut constater que l’émergence des faits nationaux et nationalitaires n’était pas une fatalité, inscrite dans les astres. Langewiesche cite alors l’exemple de la France, première nation nationaliste moderne, où les masses paysannes n’ont pas été intégrées dans l’ensemble national avant la fin du 19ième (ndlr : les émeutes, bagarres et accrochages contre la loi Combe le prouvent encore dans la première décennie du 20ième siècle ; ce sera la fusion des masses paysannes dans l’armée à partir de 1914 qui inclura cette masse rurale hexagonale dans le fait national). En France, poursuit Langewiesche, le paysannat se référait à d’autres appartenances : régionales ou locales. Les intellectuels, en effet, parlaient de la nation, comme d’un tout intégré ou à intégrer le plus rapidement possible. En Allemagne, l’idée nationale a certes été répandue par des intellectuels (Fichte, Arndt) mais aussi par des chanteurs itinérants, des pratiquants de la gymnastique populaire (Jahn) et des compagnies de « Schütze » (ndlr : en Belgique : des « serments d’arbalétriers », mais ceux-ci n’ont jamais revêtu une quelconque influence politique ; en revanche, les concours de chants ont eu, en Flandre, une importance capitale dans l’éclosion de la conscience nationale flamande ; nous avons d’ailleurs toujours la « Vlaams Nationaal-Zangfeest » à Anvers chaque année en avril). La culture populaire, non intellectuelle, a donc servi de ciment à l’idée nationale allemande.

Le Zollverein (l’Union Douanière) allemande de 1834 lève des barrières internes, processus qui fait éclore un sentiment de communauté chez les industriels, négociants et compagnons de toute l’Allemagne. L’UE pourrait avoir un effet analogue en Europe dans les prochaines décennies.

L’idée nationale demeure l’antidote majeur aux effets pervers de la globalisation contemporaine, et si elle ne parvient pas à les atténuer, elle perdra la force liante qu’elle a toujours eue.

(résumé de l’entretien accordé par le Prof. Dieter Langewiesche au « Spiegel », n°4/2007).

 

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Pour définir les corps concrets de la souveraineté

Giuliano BORGHI:

Pour définir les corps concrets de la souveraineté

Il y a déjà longtemps, depuis des horizons différents, on a reconnu le fait que l'imaginaire moderne s'est constitué en bouleversant de fond en comble et en évidant radicalement le mode traditionnel de comprendre l'homme et sa place dans le monde. Selon ce mode traditionnel, l'homme tire ses qualités d'une appartenance à une communauté et les droits dont il dispose sont l'expression des statuts sociaux et des liens qui y correspondent.

Au contraire, pour l'imaginaire moderne, l'individu est par nature libre et auto-suffisant, avant même d'entretenir des relations sociales avec d'autres individus. Une telle (sur)valorisation de l'individu implique un rejet automatique de tous les fondements métaphysiques et religieux structurant l'ordre social et postule l'élimination implicite de tous les liens de dépendance à l'égard de pouvoirs personnels ou sociaux. C'est pour cette raison que la démocratie moderne, avant de représenter un certain régime politique, exprime surtout la force par laquelle se manifestent 1) l'exigence d'égalité des conditions et 2) la reconnaissance de cette égalité fondamentale pour tous les hommes.

Si tout cela constitue la conscience moderne telle qu'on la pressent encore aujourd'hui, quoique de façon moins vive, en revanche, on se rend parfaitement compte que l'imaginaire moderne a substitué au lien social l'idée d'un rapport juridique entre les hommes. De par cette substitution, l'individu peut entrer en rapport avec les autres seulement par le biais de lois ou d'un contrat juridiquement sanctionné. Ensuite vient l'³invention² de l'Etat, instance posée comme la représentante de la collectivité et conçue comme autorité abstraite et comme pouvoir impersonnel détenant le monopole légal de la violence. Le droit se pose alors comme le principe organisateur par lequel les individus singuliers entrent dans des rapports de réciprocité officiels, mais, simultanément, en dehors de tels rapports (juridiques), les individus n'entretiennent plus que des relations sociales désormais considérées comme dépourvues de significations et non sanctionnables normativement.

La ³société des hommes², en somme, devient une société exclusivement juridique, une société qui s'identifie uniquement à l'institution juridique, laquelle impose des interdits et fixe le rapport qui relie entre elles les volontés individuelles. L'individu moderne peut être entièrement libre, mais seulement à condition qu'il exerce sa liberté sur le modèle de la liberté juridique, c'est-à-dire une liberté d'utiliser dans l'abstrait toutes les normes juridiques. En revanche, il lui est interdit de modifier par la force les conditions matérielles dont il dépend, ce qui a pour effet pratique de l'empêcher d'utiliser réellement ce qui lui est autorisé formellement. Tel est le caractère inédit de la modernité. D'une part, la société n'existe plus officiellement que dans la trame des rapports qui se sont institués par le truchement du droit contractuel. D'autre part, l'égalité juridique ne concrétise plus que la seule parité formelle, mais permet que se reproduisent les disparités économiques et sociales, sous prétexte que celles-ci seraient générées par des rapports privés, dépourvus, en tant que tels, de pertinence juridique.

L'égalité moderne, en fait, ne considère les individus que sur le seul plan abstrait et jamais dans leurs déterminations concrètes et particulières. Cela veut dire que l'égalité face à la loi ne garantit pas l'égalité face au pouvoir de disposer des moyens nécessaires à produire des ressources matérielles. Les règles juridiques qui fondent la citoyenneté politique sont  ‹comme on l'a relevé maintes fois‹  des règles exclusivement instrumentales qui ne distribuent nullement des ressources mais définissent seulement des modalités d'action mises en théorie à la disposition de chacun, pour réaliser ses propres fins privées. Cette ³systématisation² théorique et fonctionnelle 1) occulte les profondes contradictions qui affectent la démocratie moderne (surtout la contradiction entre son aspiration à l'égalité et le maintien effectif d'une structure sociale qui produit et reproduit continuellement des inégalités) et 2) cache ce processus pervers qui est à l'¦uvre et où l'égalité formelle fait continuellement émerger des inégalités substantielles. Conséquence: l'³Etat de droit² est fortement mis en crise, de même que les formes du droit qui corrobore l'égalité et que l'équation sujet égal = droits égaux.

de l'égalité formelle à l'égalité substantielle par la participation

Dans un tel cadre, l'égalité substantielle trouve toutes les raisons qui lui permettent de se poser comme la finalité de l'ordre juridique et de réclamer la participation égale de tous dans la production des lois. Le formalisme de l'égalité doit dès lors être dépassé et complété par la pratique de la participation de tous aux décisions, de façon 1) à ce que cette participation prenne concrètement le relais de l'idée d'égalité devant la loi et 2) à introduire dans la pratique la participation égale de tous à la production des normes. On ne s'étonnera pas du fait que le problème de la citoyenneté  ‹et des prérogatives et des contenus qu'elle implique‹  est aujourd'hui prêt à exploser et à libérer toutes sortes de tensions. Pour éviter cette explosion, on prétend que la citoyenneté-égalité doit se muer en citoyenneté-participation, une participation directe à la formation de la volonté générale. Parce qu'il est nécessaire que tous se voient attribuer des ressources et des biens nécessaires à leur auto-reproduction, on en arrivera obligatoirement au passage d'une citoyenneté politique à une citoyenneté économique et sociale. Mais seule une théorie de la démocratie-participation permettra aux citoyens d'élaborer et de choisir des fins communes, ce qui, en fait, pourra instituer une juste articulation entre droit et politique ainsi qu'entre droit et justice sociale.

Mais est-ce trop demander à ce droit-là, qui n'a jamais réussi qu'à assécher la démocratie, de se dépasser lui-même? Peut-être. Mais nous ne saurions négliger aucune tentative de promouvoir une nouvelle vision de la démocratie, c'est-à-dire une démocratie capable de faire passer la souveraineté du peuple (?) de la dimension abstraite, dans laquelle elle est aujourd'hui confinée, à une ³carnalité² citoyenne, qui tienne pleinement compte des spécificités des hommes et de leur concrétude existentielle. Si l'on se souvient brièvement de l'histoire de la souveraineté à l'époque moderne, on constatera qu'elle s'est déployée en deux séquences: elle a d'abord placé le détenteur de la souveraineté dans la personne du Prince, ensuite dans le Peuple. Et a assuré ainsi le passage d'une formulation personnelle et patrimoniale de la souveraineté, typique de l'autorité princière du XVième siècle, à une formulation impersonnelle, inaugurée à la fin du XVIIIième siècle par la révolution française. Mais s'il est vrai qu'en démocratie le peuple n'obéit plus à un roi, il est tout aussi vrai de dire que c'est seulement par un artifice rhétorique qu'en démocratie le peuple obéit à lui-même en obéissant aux lois.

En réalité, l'élément ³peuple² introduit dans l'histoire de la souveraineté l'autonomie de la loi dans l'Etat. L'Etat justifie son existence par le ³peuple² et, par la loi, il justifie l'autorité qu'il exerce sur ce même peuple. Dans un tel contexte, le ³corps² par lequel vit la souveraineté, n'est plus celui du roi, mais n'est pas encore celui des citoyens. Formellement, l'Etat est la traduction juridique du peuple, mais cette entité abstraite qu'est le peuple, à ce niveau-ci, se matérialise dans des groupes restreints, des pouvoirs privés, qui confisquent de fait cette souveraineté au peuple, qui est théoriquement son seul dépositaire.

citoyenneté effective ou barbarie

IL faut dès lors amorcer une nouvelle séquence dans l'histoire de la souveraineté et trouver une nouvelle ³figure², dans laquelle la titularité personnelle et patrimoniale puisse s'incarner, cette fois dans des corps concrets de citoyens. Certes, bon nombre de difficultés surviennent quand on formule un projet de cette sorte. La marge d'aléas est grande, c'est certain, mais si les technocrates voulaient bien investir dans un tel projet une fraction minimale des énergies et du temps qu'ils consacrent à inventer des réformes mortes-nées, ils trouveraient très probablement  ‹et très vite‹  des solutions acceptables aux multiples problèmes que pose la mise en ¦uvre d'une démocratie participative et substantielle. Il y a urgence. Nous sommes à la croisée des chemins et nous devons choisir: ou bien nous implantons rapidement une citoyenneté effective ou nous sombrons dans la barbarie.

Giuliano BORGHI.
(texte paru dans Pagine Libere, n°10/1995).
 

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dimanche, 04 février 2007

La dictature libérale

Frédéric KISTERS:

La dictature libérale

Analyse de l'ouvrage de Jean-Christophe Rufin (La dictature libérale. Le secret de la toute puissance des démocraties au 20° siècle, J.C. Lattès, Paris, 1994, 313 pages, 119 FF)

Imaginez-vous la démocratie comme une jeune vierge craintive, égarée dans une antre peuplées de dépravés? Vroyez-vous sa vertu menacée de toutes parts par des êtres lubriques qui ne désirent que son avilissement et sa mort? Craignez-vous qu'elle ne succombe sous les coups d'une horde de barbares ignares et belliqueux? Détrompez-vous!

Le dernier livre de Jean-Christophe Rufin vous démontrera, au travers d'une relecture de l'histoire de ce siècle finissant, que la démocratie libérale, quoiqu'elle se déclare toujours faible et menacée, est en fait aussi puissante que retorse.

En effet, la démocratie libérale présente l'apparence d'un système labile, peu apte aux décisions, déchiré par des tensions et divisions internes. Si ce visage décomposé correspondait à une réalité, nous serions en droit de nous demander par quel miracle une organisation aussi débile aurait non seulement survécu à deux guerres mondiales, ainsi qu'à de multiples séismes socio-économiques, et se serait, de plus, imposée dans la plupart des pays développés?

Les systèmes totalitaires paraissent plus robustes que les démocraties, parce que les pouvoirs de décisions sont concentrés et que la société semble plus homogène et ordonnée. Au contraire, la démocratie libérale possède une multiplicité de centres de décision et elle est agitée par des courants d'opinion contradictoires. En fait, la violence dont font montre les dictatures est le symptôme de la maladie qui les rongent irrémédiablement: ces sociétés, fondées sur l'adhésion inconditionnelle à une idéologie (aussi floue soit-elle), s'épuisent à discipliner leurs citoyens. A l'éradication d'un groupe d'opposants, que les média du pouvoir totalitaire qualifieront de ³victoire², correspond en fait une perte de substance vive, celle d'un groupe d'élite qui avait le courage de se révolter. Les sociétés totalitaires sont, en quelque sorte, masochistes et autophages... tandis que la contradiction anime la démocratie, elle disloque la dictature.

La polymorphie des démocraties constitue un second avantage par rapport aux dictatures: comme Protée, elles peuvent se présenter tour à tour sous des jours divers, en fonction des forces qu'elles rencontrent. Font-elles face à des communistes révolutionnaires, qu'elles enverront des émissaires puisés dans leurs partis communistes nationaux; font-elles face à une dictature d'extrême-droite, qu'elles délégueront l'un ou l'autre chantre de l'ordre; font-elles face à une théocratie musulmane, qu'elles choisiront des immigrés provenant de ces pays ou quelque intellectuel converti à l'Islam. Dans n'importe quelle situation, elles se trouveront toujours des collaborateurs, à l'intérieur d'elles-mêmes ou chez l'ennemi. Par contre, un gouvernement totalitaire est condamné à une certaine franchise, aussi machiavéliques soient ses dirigeants. Un Etat communiste peut se vouloir révolutionnaire et agressif, ou accomodant et pacifique, il demeurera un Etat communiste. Il peut arranger sa mise mais non pas remodeler son visage. Protée, lui, se transforme au gré des circonstances, ou plutôt, du fait de sa structure extrêmement complexe et mobile, il présentera son aspect le plus convenable à son interlocuteur.

Le problème immémorial que les démocraties ont toujours eu à résoudre est celui de la contradiction de la liberté individuelle des citoyens avec la cohésion de la société. La réponse habituelle fut l'instauration d'un contrat social qui mettait fin à l'état de nature en soumettant les hommes à une loi qui bornait leur liberté; le contrat étant garanti par la crainte de la loi. Mais ce système, dérivé de la pensée de Hobbes, oscille sans cesse de l'anarchie au despotisme. En ce sens, la Russie communiste en est un parfait exemple: issue d'une guerre civile, elle se reconstitue sous la férule de Staline, puis régresse et retourne au chaos primordial. En effet, dès que le contrat social est instauré, les hommes s'en vont jouir de la paix et oublient peu à peu les affres de l'état de nature. Ils deviennent nostalgiques et, un jour, désirent retrouver leur paradis perdus comme les écologistes.

L'avatar du Léviathan, la démocratie libérale, a trouvé la parade à ce paradoxe: l'indifférence.

La démocratie libérale ne propose aucune valeur positive, aucun projet; elle se contente de dénoncer les travers de ses adversaires et de proposer à ses sujets la ³liberté², le bien-être matériel, la paix, une réelle immobilité sous une apparente agitation. Dans ce système sans valeurs, et donc sans contrainte, l'homme peut jouir de sa liberté, comme dans l'état de nature. On comprend pourquoi les ³droits de l'Homme² ont pris une telle importance dans nos sociétés: ils servent de substitut aux valeurs positives et assurent une cohésion minimale. "La Déclaration des droits de l'Homme, elle, est un socle acceptable. Elle assure à chacun la reconnaissance de son droit au processus de personnalisation, sa capacité d'être un individu et de former quelque regroupement que ce soit avec les autres. Elle est reconnaissance du droit de posséder, de jouir, d'être toujours semblable aux autres et égal, cependant qu'on s'active à être toujours différent et si possible supérieur. La Déclaration des droits de l'Homme permet à la dispersion sociale de s'opérer sans barrière. Le principe de souveraineté du peuple la complète car il permet de réintégrer, le moment venu, cette dispersion par la grâce de majorités numériques"  (pp. 274-275).

Si les dictatures nient l'opinion publique, les démocraties, elles, feignent de l'ignorer. La démocratie étant indifférente par rapport aux citoyens, ceux-ci, sentant qu'ils n'ont plus aucune prise sur le système, s'en détachent et recherchent des solidarités de remplacement plus proches d'eux: l'ethnie, la secte, la minorité d'opinion, l'association caritative, etc. La société se subdivise en une nébuleuse de sous-groupes, plus ou moins autonomes, disposant chacun de leur propre ³culture², qui va de la stricte idéologie de certaines sectes, à celle, beaucoup plus diffuse, du ³pop/tagg². Bien sûr, chacun demeure libre de participer à plusieurs de ces mini-sociétés... Toutefois, malgré cette apparente liberté débridée, chaque monade reste liée à l'ensemble. Aussi, "le marginal devient central". Les média ne portent leur attention que sur l'anormal, l'extraordinaire, le déréglé. La crise de la solitude, l'alcoolisme, la drogue, l'aliénation, la délinquence, les émeutes de banlieue, etc. ne sont pas les symptômes d'une maladie mortelle pour la démocratie, mais des signes de son fonctionnement normal! Chaque fois que les média évoquent ces phénomènes marginaux, ils les réintègrent au centre même de la démocratie. La machine fonctionne comme une immense pompe aspirante-refoulante.

Dans l'Empire romain, l'essentiel de l'armée stationnait aux frontières pour contenir les barbares. Lorsqu'une crise politique interne survenait, tels généraux d'armée se muaient en prétendants au trône impérial et l'on voyait bientôt deux, trois ou quatre colonnes armées converger vers Rome, le c¦ur de l'Empire, que personne ne défendait. Le vainqueur accédait au trône en gravissant quelques tas de cadavres et, ayant ainsi renouveler l'élite dirigeante par un apport de sang neuf, perpétuait le principat.

Dans nos démocraties libérales, les groupes révolutionnaires habitent aussi dans les confins de la société, mais il n'existe pas de centre géographique vers lequel les armées pourraient marcher triomphalement, point de citadelle à prendre d'assaut, juste un vaste et morne marécage où s'enlise tout véritable idéal, où l'homme révolté ne peut qu'errer sans jamais trouver le moindre exutoire à sa rage. Par contre, sa simple existence entretient le mythe de la menace.

A cette indifférence interne aux nations s'ajoutent l'internationalisation du monde libéral. Tant du point de vue économique que du point de vue politique, les centres de décision tendent à se déplacer vers des organismes internationaux voire "universels", alors que les peuples ne peuvent agir qu'au niveau national. Le pouvoir leur échappe encore un peu plus. Sur ce point, il nous semble que Rufin simplifie le processus: jusqu'à présent, ces institutions (UNESCO, GATT, CEE, ALENA, etc.) n'existent que par délégation; les décisions sont prises par les représentants des Etats qui y siègent; les finances sont des subsides octroyés et non des ressources propres; les soldats de l'ONU sont des militaires des armées nationales affublés d'un casque bleu. Par contre, il est vrai, et fréquent, qu'un gouvernement national peut faire passe une loi en prétextant qu'elle est la conséquence d'une décision émanant d'une institution ³supérieure², dans laquelle il possède un poid et des voix. Les organismes internationaux ne décident de rien, il servent de caution.

La démocratie vit de la menace qui masque sa force. Elle en a besoin pour maintenir sa cohésion. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis, qui possédaient à eux seuls la moitié de la richesse mondiale et contrôlaient la moitié du globe, firent pourtant mine de craindre l'URSS, qui sortait exténuée du conflit. Cette URSS constituait un partenaire idéal, juste assez fort pour effrayer, juste assez effrayant pour que peu d'Occidentaux y adhérassent. Le monstre joua bien son rôle durant les années 50, mais à la fin de la décennie suivante, il devint évident qu'il s'essoufflait, surtout du point de vue économique. Les démocraties libérales maintinrent encore durant quelques années ce précieux ennemi en vie, sous perfusion (du blé et de l'argent). Pour palier à son anémie, on sortit divers opposants des goulags afin qu'ils témoignassent en Occident des horreurs du régime. Lorsque l'ours défuncta définitivement, les démocraties libérales se mirent en quête d'une menace de remplacement.

Elles se tournèrent d'abord vers un élément pré-existent, qu'elles avaient jusque là tenter d'assimiler au marxisme: l'écologie politique. En effet, celle-ci, à ses débuts, vitupérait contre le société de consommation et réclamait une "croissance zéro". Elle s'attaquait, comme le marxisme, à un rouage essentiel de la machine libérale: le marché. La convergence des discours écologistes et communistes sur la paix, favorisait aussi cet amalgame. Les écologistes se disaient prêts à accepter une capitulation au nom de la paix ("Plutôt rouge que mort"). Plus tard, l'écologie renvoya capitalistes et marxistes dos à dos, en dénonçant leur culte commun de la production.

Mais, peu à peu, le libéralisme réussit à substituer l'idée de "croissance propre" à celle de "croissance zéro". Nos savants proposèrent des solutions pour limiter la consommation de matières premières, recycler les déchets, diminuer les rejets dans l'atmosphère... La technologie venait au secours de l'écologie. La "science" redevenait une valeur positive et l'écologie devenait une science. Il n'était plus nécessaire de renoncer au "progrès" ni de retourner aux m¦urs de nos ancêtres cavernicoles. Dès lors, les écologistes se scindèrent en deux tendances: les réalistes et les radicaux; les premiers consentaient à s'allier avec les classes dirigeantes, les seconds demeuraient des activistes. Les radicaux conservaient un rôle utile en tant qu'ils maintiennent l'image de l'Apocalypse écologique, aidés en ce sens par les médias, toujours férus de sensationnel. Mais le mouvement, affaibli par cette saignée, n'était plus dangereux. On avait déjà assisté au même phénomène de scission avec les communistes entre les deux guerres, les moins virulents formant les partis "sociaux-démocrates" désireux autant d'amender le système que d'y participer; la minorité se regroupant dans des partis communistes, interdits de pouvoir et trop faibles pour renverser le régime (surtout qu'ils avaient les mains liées par l'URSS elle-même, pour des raisons tactiques).

Néanmoins, cette nouvelle menace ne comblait pas à elle seule le vide laissé par l'URSS. On y joignit donc le "Sud" et l'"exclusion".

L'image du Sud comme ennemi s'est formé bien avant l'effondrement de l'URSS. Durant la guerre froide, certains de ces pays étaient devenus communistes, d'autres menaçaient l'Occident d'embargo sur le pétrole, tandis que quelques-uns produisaient de la drogue, poison nécessaire aux marginaux engendrés par la société libérale. A cela s'ajouta, plus tard, la menace islamique. L'Islam domine d'importantes populations à la démographie galopante, son avant-garde s'est déjà infiltrée dans nos pays aux frontières poreuses, certains des gouvernements islamiques soutiennent des mouvements terroristes, dont ils négocient l'activité avec les démocraties. Mais ce nouvel ennemi manque de crédibilité, aux yeux de Rufin; son unité politique n'est pas encore réalisée et il ne possède pas d'armement de haute technologie.

Enfin, il reste la menace de l'exclusion, de la marginalité que nous avons évoqué plus haut. Les trois remplacent tant bien que mal celle de l'URSS.

Ainsi, ce système qui tire son nom du mot ³liberté² "s'impose à ceux-là mêmes qui la refusent le plus sans pourtant les empêcher d'agir contre elles. La plus extrême révolte y est possible: elle n'en nourrit pas moins le système qu'elle est censée détruire. Toutes les oppositions en démocratie sont tournées à son profit et ceux qui visent à sa plus radicale destruction sont les plus utiles ouvriers de son développement" (p. 20). C'est "une dictature dans la mesure où elle s'impose à tous, y compris ceux qui la refusent" (p. 301). Aussi le danger qui menace réellement la démocratie n'est pas de ceux que nous venons d'égréner... La démocratie risque de mourir par manque d'idéal et non pas de périr assassinée par des révolutionnaires. Rufin en conclut que la seule fonction éthique est la dissidence, l'utopie, car la révolte anime le système.

Les révolutionnaires doivent donc savoir que s'ils gagnent la bataille ou s'ils meurent sous les coups de la répression, ils auront contribué à une création.

Néanmoins, l'assertion de Rufin appelle trois remarques. Premièrement, même si le système libéral est un des plus résistant que l'Histoire ait connu, il n'est pas immortel. Deuxièmement, comme le remarque l'auteur lui-même, il existe des systèmes idéologiques inassimilables par la démocratie. Rufin cite l'Allemagne nazie qui ne faisait pas un bon partenaire menaçant parce qu'elle était à la fois trop proche et trop éloignée du système démocratique: contrairement à l'URSS, elle conservait le dynamisme économique du capitalisme, mais son aspect nationaliste, belliqueux et instable l'éloignait irrémédiablement du libéralisme. Enfin, si un jour, pour les ennemis radicaux de ce système, qu'ils soient écologistes, fascistes, communistes, etc. rassemblaient leurs forces éparses, ils lui asséneraient un coup mortel, car, jusqu'à présent, le libéralisme contrôle ses menaces en les divisant. C'est pourquoi, sans doute, les journalistes parisiens s'effraient tant à l'idée d'une alliance "brune-rouge" (mais ils ont oublié le "vert"...).

Frédéric KISTERS.
 

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samedi, 03 février 2007

Het begrip "politiek" bij C. Schmitt

Bruno DAEMS :

Het begrip "Politiek" bij Carl Schmitt

http://www.identiteit.org/?p=boekbesprekingen&id=12...

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dimanche, 28 janvier 2007

Vilfredo Pareto and Political Irrationality

Vilfredo Pareto and Political Irrationality

Tomislav Sunic

http://foster.20megsfree.com/393.htm

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Carl Schmitt: Etat, nomos et "grands espaces"

Theo HARTMAN:

Carl Schmitt: Etat, nomos et "grands espaces"

La maison d'édition berlinoise Duncker & Humblot, qui publie l'essentiel de l'œuvre de Carl Schmitt, a eu le mérite l'an passé d'avoir publié une anthologie d'articles définitionnels fondamentaux du juriste et polito­logue allemand (CS, Staat, Großraum, Nomos - Arbeiten aus den Jahren 1916-1969), magistralement pré­facés par Günter Maschke. Ce fut sans doute, à nos yeux, le nouveau livre le plus important en philoso­phie politique exposé à la Foire de Francfort en octobre 1995. Mais c'est aussi un livre fondamental pour comprendre dans tous ses rouages le monde d'après la Guerre Froide. Günter Maschke, un des plus grands spécialistes allemands de Carl Schmitt, mérite nos éloges pour avoir annoté avec une remar­quable précision tous ces articles et surtout les avoir resitués dans leur vaste contexte. Maschke fournit en effet au lecteur  —à l'étudiant comme à l'érudit—  des commentaires et des analyses très mé­thodiques et très fouillées. Staat, Großraum, Nomos est divisé en quatre parties: 1. Constitution et dicta­ture; 2. Politique et idée; 3. Grand-Espace et Droit des gens et 4. Du Nomos de la Terre. A notre avis, l'essentiel pour notre monde en effervescence depuis la chute du Mur réside dans les deux dernières par­ties.

Cette nouvelle anthologie a l'immense mérite de concentrer toute son attention sur un aspect moins connu, mais toutefois déterminant, de la pensée et de l'œuvre de Carl Schmitt: la géopolitique. Notre “Centre de Recherches en Géopolitique” avait jadis déjà mentionné quelques-uns de ces textes fonda­mentaux, mais le vaste ensemble d'articles et d'essais sélectionnés par Maschke permet de jeter, sur cette géopolitique schmittienne, un regard beaucoup plus synoptique.

Le “Grand-Espace”

Notre Centre a publié depuis 1988 un certain nombre de textes de géopolitique; depuis 1991, nous réflé­chissons intensément sur le nouvel ordre mondial après l'effondrement de l'Union Soviétique. L'ère nou­velle sera très vraisemblablement marquée par la notion de “Grand-Espace”, toutefois dans un sens peut-être différent de celui que lui donnait Carl Schmitt. Commençons notre analyse par une citation de Joseph Chamberlain qui illustre bien l'intention des géopolitologues et de Schmitt lui-même: «L'ère des petites na­tions est révolue depuis longtemps. L'ère des empires est advenue» (1904). Mais l'effondrement de l'URSS nous enseigne que l'ère des empires traditionnels est elle aussi révolue, si l'on considère toutefois que le dernier des empires traditionnels a été l'Union Soviétique. A la place des empires, nous avons dé­sormais les “Grands-Espaces”. Dans son essai Raum und Großraum im Völkerrecht, Schmitt définit clai­rement le concept qu'il entend imposer et vulgariser: «Le “Grand-Espace” est l'aire actuellement en ges­tation, fruit de l'accroissement à l'œuvre à notre époque, où s'exercera la planification, l'organisation et l'activité des hommes; son avènement conduira au dépassement des anciennes constructions juridiques dans les petit-espaces en voie d'isolement et aussi au dépassement des exigences postulées par les systèmes universalistes qui sont liés polairement à ces petits-espaces».

Schmitt cite Friedrich Ratzel et montre, en s'appuyant sur ces citations, comment, à chaque génération, l'histoire devient de plus en plus déterminée par les facteurs géographiques et territoriaux. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui pour notre génération, car la bipolarité d'après 1945 fait place à une multipolarité, dont on ne connaît pas encore exactement le nombre de protagonistes.

Maschke, dans ses commentaires sur l'article intitulé Völkerrechtliche Großraumordnung mit Interventionsverbot für raumfremde Mächte, mentionne à juste titre la théorie de Haushofer qui envisa­geait de publier un Grundbuch des Planeten, un livre universel sur l'organisation territoriale de la planète. La géopolitique, selon Haushofer, ne devait pas servir des desseins belliqueux  —contrairement à ce qu'allèguent une quantité de propagandistes malhonnêtes—  mais préparer à une paix durable et éviter les cataclysmes planétaires du genre de la première guerre mondiale. Ce Grundbuch  haushoférien devait également définir les fondements pour maintenir la vie sur notre planète, c'est-à-dire la fertilité du sol, les ressources minérales, la possibilité de réaliser des récoltes et de pratiquer l'élevage au bénéfice de tous, de conserver l'“habitabilité” de la Terre, etc., afin d'établir une quantité démographique optimale dans cer­tains espaces. Les diverses puissances agissant sur la scène internationale pratiqueraient dès lors des échanges pour éviter les guerres et les chantages économiques. Certes, on peut reprocher à ce Grundbuch de Haushofer, un peu écolo avant la lettre, d'être utopique et irénique, mais force est de cons­tater que ses idées étaient fondamentalement pacifistes et qu'elles ne coïncidaient pas avec les projets agressifs de l'Allemagne nationale-socialiste. Pourtant, Maschke rappelle que Schmitt et Haushofer ne correspondaient apparemment pas et ne s'étaient jamais vus.

Cet article sur le völkerrechtliche Großraumordnung... constituaient une tentative d'introduire en Europe une “doctrine de Monroe” au cours de la seconde guerre mondiale. Dans son commentaire, Maschke rap­pelle les thèses d'un géographe américain, Saul Bernard Cohen, qui a eu le mérite de maintenir à flot les idées géopolitiques avant leur retour à l'avant-plan. Le concept cohenien de “région géopolitique”, déve­loppé depuis les années 60 et actualisé aujourd'hui, s'avère pertinent dans le contexte actuel de “fin de millénaire”. Ces idées de “grand-espace” et de “région géopolitique” se retrouvent également chez les deux experts espagnols de droit international, fortement influencés par Schmitt: Camilo Barcia Trelles et Luis Garcia Arias.

L'étude de Schmitt Das Meer gegen das Land (La mer contre la terre) de 1941 contient le noyau essentiel du futur livre de Schmitt Land und Meer. Maschke pense que Schmitt a été influencé par la lecture de Vom Kulturreich des Meeres (1924) de Kurt von Boeckmann, et de Vom Kulturreich des Festlandes (1923) de Leo Frobenius.

Une recension écrite par Schmitt en 1949 garde toute sa pertinence aujourd'hui, souligne Maschke. Elle s'intitule Maritime Weltpolitik. Schmitt y écrit: «La domination de l'espace aérien et la possession de moyens de destruction modernes pourront à elles seules s'assurer la domination sur la terre et sur la mer. [Par ces moyens techniques], notre planète est encore devenue plus petite. En comparaison avec les structures qu'érige la technique moderne sur la planète, la Tour de Babel apparaît comme une entreprise très modeste. La Mer a perdu sa puissance en tant qu'élément et notre Terre est devenue un aérodrome» (p. 479 de l'édition de Maschke).

Quelques années après la seconde guerre mondiale déjà, Schmitt tire la conclusion: dans le futur, le con­trôle de la planète s'exercera par le biais des communications aériennes (et plus tard spatiales); la Terre et la Mer perdront de l'importance. Le nouvel espace  —jeu de mot!—  sera l'espace.

Schmitt mentionne l'œuvre de l'Américain Homer Lea (1876-1913) dans sa recension. Lea avait terminé sa carrière comme conseiller militaire de Sun Yat Sen en Chine. Il avait écrit des livres importants, largement oubliés aujourd'hui: The Day of the Saxon (1912) et The Valor of Ignorance (1909). Le polémologue suisse Jean-Jacques Langendorf, ami et complice de Maschke, avait préfacé une réédition allemande de The Day of the Saxon et prépare actuellement une vaste étude sur le écrits militaires et géopolitiques de Lea.

Le Nomos

Penchons-nous maintenant sur la quatrième partie de cette anthologie, qui commence par la définition que donne Schmitt du “nomos”: «Il est question d'un Nomos de la Terre. Ce qui signifie: je considère la Terre  ­l'astéroïde sur lequel nous vivons—  comme un Tout, comme un globe et je recherche pour elle un ordre et un partage globaux. Le terme grec “nomos”, que j'utilise pour désigner ce partage et cet ordre fondamental, dérive de la même étymologie que le mot allemand “nehmen” (= prendre). Nomos signifie dès lors en première instance, la “prise”. Ensuite, ce terme signifie, le partage et la répartition de la “prise”. Troisièmement, il signifie l'exploitation et l'utilisation de ce que l'on a reçu à la suite du partage, c'est-à-dire la production et la consommation. Prendre, partager, faire paître sont les actes primaires et fonda­mentaux de l'histoire humaine, ce sont les trois actes de la tragédie des origines» (Maschke, p. 518).

Dans une étude datant de 1958 et intitulée Die geschichtliche Struktur des Gegensatzes von Ost und West  (= La structure historique de l'opposition entre l'Est et l'Ouest), Schmitt mentionne quelques-unes des théories géopolitiques de base énoncées par Sir Halford John Mackinder. Il se réfère au géographe britannique quand il affirme que l'opposition entre puissances continentales et puissances maritimes constitue la réalité globale de la guerre froide. Quand il commente cette étude, Maschke commet la seule erreur que j'ai pu trouver dans son travail par ailleurs exemplaire. L'“Ile du monde” selon Mackinder est l'Europe + l'Asie + l'Afrique et non pas l'“hémisphère oriental” comme le dit Maschke (p. 546). Celui-ci af­firme également que Mackinder avait été influencé par le géographe allemand Joseph Partsch. Je ne pré­tends pas être un expert dans l'œuvre de Mackinder, mais c'est bien la première fois que je lis cela...

Nous avions déjà eu l'occasion de recenser un ouvrage important de Schmitt, Gespräch über den neuen Raum (= Conversation sur le nouvel espace). C'est l'une des contributions les plus pertinentes de Schmitt à la géopolitique depuis 1945. Le message de Schmitt dans ce travail (et dans d'autres), c'est un appel à la constitution de différents “Grands-Espaces”, ce qui semble advenir aujourd'hui, surtout depuis la Guerre du Golfe. La théorie du pluralisme des Grands-Espaces, Schmitt l'a bien exprimée dans un autre texte figurant dans l'anthologie de Maschke: Die Ordnung der Welt nach dem Zweiten Weltkrieg (= l'Ordre du monde après la seconde guerre mondiale). Schmitt y écrivait: «De quelle manière se résoudra la con­tradiction entre le dualisme de la Guerre Froide et le pluralisme des Grands-Espaces...? Le dualisme de la Guerre Froide s'accentuera-t-il ou bien assistera-t-on à la formation d'une série de Grands-Espaces, qui généreront un équilibre dans le monde et, par là même, créeront les conditions premières d'un ordre paci­fique stable?» (Maschke, p. 607).

En 1995, nous connaissons la réponse à la question que posait Schmitt en 1962. Le dualisme n'est plus et nous pouvons assister à l'émergence (timide) de Grands-Espaces, qui pointent à l'horizon. Nous ne pouvons toujours pas deviner quelle sera l'issue de ce processus. Des changements surviendront indubi­tablement dans le cours des choses mais nous pouvons d'ores et déjà penser que l'ALENA et l'UE seront deux de ces Grands-Espaces, et ils coopéreront sans doute avec le Japon. Le Lieutenant-Général William E. Odom de l'US Army, aujourd'hui à la retraite, a lancé quelques éléments dans le débat visant à structurer le système qui prendra le relais de celui de la Guerre Froide dans son ouvrage How to Create a True World Order (= Comment créer un véritable Ordre Mondial?; Orbis, Philadelphia, 1995). La Russie, la Chine, l'Inde, le Sud-Est asiatique et le monde musulman pourraient bien devenir des Grands-Espaces autonomes. L'Afrique continuera à végéter dans la misère, sauf peut-être le Nigéria et l'Afrique du Sud. L'attitude agressive croissante de la Chine aura sans doute pour résultat d'avertir les petites puissances d'Asie; elles prépareront dès lors leur défense contre l'impérialisme chinois à venir.

Dans la quatrième partie de l'anthologie de Maschke, nous trouvons encore un texte fondamental, Gespräch über den Partisanen (= Conversation sur la figure du partisan). Au départ, il s'agissait d'un dé­bat radiodiffusé en 1960 entre Schmitt et un maoïste allemand, Joachim Schickel. ce débat était bien en­tendu marqué par la grande question de cette époque: l'insurrection croissante au Vietnam. Il n'en de­meure pas moins vrai que la question de la guerilla (ou du Partisan) demeure. Le Law Intensity Warfare (= la guerre à basse intensité) continuera à faire rage sur la surface du monde et influencera les processus politiques. Résultat: le terme de “Guerre civile mondiale” acquerra sans cesse de l'importance (1).

Carl Schmitt n'était pas en première instance un géopolitologue. Il était un expert en droit constitutionnel et international. Toutefois, au moment où nous allons aborder le nouveau millénaire, il est temps, me semble-t-il, de remettre sur le métier les approches schmittiennes en matières géopolitiques et géostra­tégiques globales. Même si Schmitt reste une personnalité controversée (à cause des opinions qu'il a émises au début des années 30), il est devenu impossible de l'ignorer quand on élabore aujourd'hui des scénarii pour l'avenir du monde.

Theo HARTMAN.

(«State, Nomos and Greater Space. Carl Schmitt on Land, Sea and Space», in Center for Research on Geopolitics (CRG), Special Report no.4, Helsingborg/Sweden, 1996. Adresse: CRG, P.O.Box 1412, S-251.14 Helsingborg/Suède).

Références du livre de Maschke: Carl SCHMITT, Staat, Großraum, Nomos. Arbeiten aus den Jahren 1916-1969. herausgegeben, mit einem Vorwort und mit Anmerkungen verse­hen von Günter Maschke, Duncker & Humblot, Berlin, 1995.

Note: (1) Pour une analyse complète de na notion de “Guerre civile mondiale”, cf. le manuscrit impublié de Bertil Haggman, directeur du CRG suédois, intitulé Global Civil War - A Terminological and Geopolitical Study, 1995).

 

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Nationalisme en economie : de visie van G. Faye

Frederik RANSON

In het werk van Guillaume Faye – Pourquoi nous combattons in het bijzonder – dat ik nu enigszins kunstmatig moet verengen tot economie zijn de centrale begrippen: autarchie en organische economie. In zijn boek L’Archéofuturisme gaat hij dieper in op het begrip “economie met twee snelheden” (over een radicale verandering in de verhouding tussen landbouw en nijverheid), maar dat heeft deze redacteur (nog) niet kunnen lezen. Faye beschouwt zijn zienswijze zelf als een “derde weg” die zowel het liberalisme als het socialisme afwijst. Faye voorspelt ook dat het binnen enkele decennia tot een samenloop van ecologische, economische en etnische problemen zal komen (la convergence des catastrophes). Ik zal beginnen met een theoretische uiteenzetting van Fayes werk en vervolgens enkele van zijn praktische voorstellen toelichten.More...

Autarchie

Van Dale omschrijft autarchie als “onafhankelijk zelfbestuur”. Economisch gezien betekent dat dus een zelfbedruipende (onafhankelijke) economie. Het is bij uitstek een nationalistisch begrip. Het begrip autarchie gaat al lang mee en heeft als voordeel dat het duidelijker is dan “derde weg”. Na de beurskrach van ’29 zwol de nationalistische kritiek aan tegen het al te speculatieve karakter van de wereldeconomie. Zo beriepen de voorstanders van een Nieuwe Orde zich op corporatisme, nationalisme, protectionisme, socialisme en solidarisme. In de Lage Landen waren dat vooral Joris Van Severen, Hendrik De Man en Edgar Delvo. Waar het autarchiebegrip destijds nationaal werd ingevuld, wordt het bij Faye continentaal ingevuld. Het begrip Groβraumautarchie ontleent Faye aan de bekende Duitse staatsrechtgeleerde Carl Schmitt. Onder Groβraum verstaat Faye concreet een “Eurosiberisch rijk”. Het bondgenootschap tussen het Europese schiereiland en Rusland zou meteen dé nieuwe wereldmacht zijn. De Russische grondstoffen zouden onze onafhankelijkheid verzekeren ten opzichte van het Midden Oosten. De vraag die ons als nationalisten natuurlijk bezighoudt, is: hoe moeten natie (nationalisme) en rijk (federalisme) zich volgens Faye verhouden? Het antwoord luidt: “De enige positieve opvatting van het Rijk is degene die het niet tegenover de idee van Natie stelt. Het Rijk is dus een federatie van etnisch verwante volkeren, een soort Grote Federale Natie […] Het Rijk is een gedecentraliseerde Federatie voorzien van een sterk centraal gezag, maar volgens het subsidiariteitsbeginsel beperkt tot de belangrijke interventiedomeinen: buitenlandse politiek, bescherming van de grenzen, grote economische en ecologische regels enz. […] Zijn samenstellende delen zijn zelfstandig en kunnen op verschillende wijze georganiseerd worden, door een eigen binnenlandse politiek (gerecht, instellingen, fiscale autonomie, onderwijs, taal, cultuur enz.)”[1]. Het gaat erom verscheidenheid en eenheid, het “Europa van de volkeren” en het “Europa van de macht” te verzoenen. Met de huidige EU moet daarom gebroken worden volgens Faye.
Eén van de laatste protectionistische bastions is thans het landbouwbeleid van de EU met haar exportsubsidies, importheffingen en productiesteun. Zonder dat protectionisme – en dus volgens de “marktlogica” – zou er in Europa geen landbouw meer bestaan. De neoliberale WTO (wereldhandelsorganisatie) wil maar al te graag dat de EU haar markt “opent” voor landbouwproducten onder het voorwendsel dat dit de derdewereldlanden ten goede zou komen. Menslievende motieven zijn de WTO uiteraard vreemd: niet de allerarmste landen zullen het gat in de markt opvullen, maar wel bijvoorbeeld Australië, Brazilië, Canada en de VSA. Als nationalist ben ik er voorstander van dat protectionistische beleid naar andere sectoren uit te breiden. Een nationale autarchie kan een dergelijk beleid nooit voeren, vandaar de noodzaak van een continentale autarchie.

Organische economie

Organische economie is een begrip dat voortkomt in het nieuw-rechtse lexicon, maar dat eigenlijk véél ouder is. Organicisme of holisme gaat ervan uit dat een geheel steeds meer is dan de som der delen. Een samenleving is dan als een organisme met drie functies: de soevereine als “hoofd”, de militaire als “hart” en de economische als “maag”. Plato koppelde daaraan respectievelijk de drie deugden wijsheid, dapperheid en matigheid. Dat trifunctionalisme heeft op alle volkeren van Indo-europese oorsprong min of meer zijn stempel gedrukt. Vanuit die zienswijze bevredigt de economie bepaalde behoeften van de mens, maar zeker niet álle behoeften. Denk maar aan de culturele, intellectuele of spirituele behoeften die de mens maken tot wat hij is! Men kan terecht stellen dat de liberalen Europa opgezadeld hebben met een marktmaatschappij die de ontkenning is van die wezenlijke behoeften en die het “individu” helemaal niet bevrijdt, maar het juist onderwerpt aan de geldgod. Het primaat van de politiek betekent dus dat de politiek (eerste functie) de economie (derde functie) haar plaats toekent, maar ook haar grenzen. De vrije markt is de beste methode voor de economie, maar het is de staat – uitdrukking van het algemene belang, de natie – die bepaalt wat economie is. Etatisme? Neen, want een goede staat is uiteraard een sterke en geen vette staat. Hoeven nationalisten volgens de “marktlogica” bijvoorbeeld de commercialisering (en verengelsing) van de audiovisuele media of het onderwijs te slikken? Neen, daar eindigt de economie en dus ook de vrije markt! In plaats van te geloven aan de “logica van de markt” moeten wij mijns inziens ook durven geloven aan de “maakbaarheid van de markt”. Zo heb ik ook geen bezwaar tegen de nationalisering van banken of nutsvoorzieningen[2]. De staat mag echter alleen op politieke wijze tussenkomen, namelijk door de grote regels te bepalen.

Een “derde weg”

Als Faye het Rijnland-model bekritiseert, lijkt dat vooral om de Franse of Waalse variant ervan te gaan die zéér centralistisch en bureaucratisch is. Kortom, een geldverslindend en inefficiënt model. Het is volgens hem een combinatie van het slechtste van het liberalisme (vrijhandelsliberalisme[3]) en het slechtste van het socialisme (etatisme, syndicaal corporatisme, fiscalisme). Faye ontleent voor zijn “derde weg” enerzijds aan het “goede” liberalisme de idee van vrije concurrentie als motor van de economie en anderzijds aan het “goede” socialisme de idee van sociale rechtvaardigheid en recht op werk. Enkele belangrijke paradigma’s zijn: vrijemarkteconomieën gebed in hun respectieve beschavingen, grote openbare investeringsplannen, een coördinatie tussen planning en markt, een vlaktaks in plaats van de huidige progressieve belasting, een monetaire politiek bepaald door de staat en niet door de markt, deeltijds werk in ruil voor een werkeloosheidsuitkering, beperking van het recht op werk en geen sociale uitkeringen meer voor vreemdelingen. Faye is daarnaast ook een pleitbezorger van kernenergie en vooral van kernfusie. Fossiele brandstoffen zijn immers de grootste vervuilers en maken Europa in zijn energievoorziening afhankelijk van Anglo-Amerikaans-Arabische maatschappijen.

De kosten van het multiculturalisme en het tiersmondisme

Faye hekelt niet alleen het geldverslindende karakter van een etatistisch-socialistisch beleid, maar ook van de multiculturele samenleving en de ontwikkelingssamenwerking. De aanwezigheid van miljoenen laaggeschoolde niet-Europese vreemdelingen in Europa is een rem op onze economische groei en een last voor onze sociale zekerheid. De vele multiculturele en sociaal-economische projecten ten voordele van die vreemdelingen blijken eveneens weggegooid geld. De derdewereld parasiteert op Europa op viervoudige wijze. Ten eerste is er de rechtstreekse financiële kost zoals leningen met verlies en kwijtschelding van de schulden. Ten tweede is er de kost van de ontwikkelingssamenwerking en technologische transfers, hoewel weinig derdewereldlanden erin geslaagd zijn een minimaal economisch evenwicht te bereiken. Ten derde is er de kost van de ontdekking en ontginning van de grondstoffen waarvoor die landen enorme rentes opstrijken, hoewel Eurosiberië eigenlijk geen hulpbronnen uit de derdewereld nodig heeft. Ten vierde is er het bevolkingsoverschot van de derdewereld dat verhuist naar Europa. Er is ook nog het probleem van de overbevolking en de manifeste onwil van de derdewereldlanden om daaraan iets te veranderen. “Onder meer op de Wereldbevolkingconferentie in Cairo eiste een groot deel van de derdewereldlanden het recht op een blijvende bevolkingsgroei […] De islamlanden wilden niet eens dat men sprak over het Cairo-document, dit vormde in hun ogen immers een smet voor de hoofdstad van een islamitisch land. Op de slotdag stelden de moslimstaten gezamenlijk dat ze heel wat bezwaren hadden en dat de wetten van de koran hoe dan ook voorgaan op de adviezen van de Verenigde Naties. Tekenend […] was ook de kloof tussen Noord en Zuid inzake familiehereniging (het recht van immigranten om hun familieleden te laten overkomen): de derdewereldlanden wilden dat als een universeel recht laten inschrijven, het Noorden weigerde”[4]. Zo blijft elke vorm van ontwikkelingshulp een druppel op een hete plaat! Er is echter nog een teken aan de wand: “De grote meerderheid van de landen besteedt volgens de Wereldrapporten over de Menselijke Ontwikkeling van de Verenigde Naties slechts enkele procenten van het BBP aan militaire uitgaven. Alle westerse landen zitten tussen 1 en 3% (behalve Griekenland). Daar waar de islam de plak zwaait, zien we echter percentages van 5 tot 15% voor legeruitgaven, zelfs in een arm land als Jordanië”[5]. Om die landen en hun respectieve elites dus op hun eigen verantwoordelijkheden te wijzen moet Europa zich volgens Faye zoveel mogelijk afhouden van ontwikkelingshulp.

Mijn besluit

Het liberalistische model van de ontwortelde economie staat lijnrecht tegenover het nationalistische model van de verwortelde (organische) economie. Nieuwe arbeidsmigraties en delokalisaties zullen het neoliberalisme verder ontmaskeren als een antinationaal en antisociaal gif. Het nationalistische model kent geen andere lobby dan de volksgemeenschap en het behoud van haar eigenheid, leefbaarheid en onafhankelijkheid in de ruimste zin. Faye deelt die uitgangspunten, maar hij is zeker niet de enige. Ook Filip De Man breekt in zijn eerder geciteerde werk een lans voor economische verankering en werknemersparticipatie. Dat kan door de brede verspreiding van aandelen en obligaties (onder álle werknemers) en verankering- en pensioenfondsen. Zo wordt Vlaams spaargeld aangewend om de economische sleutelsectoren in Vlaamse handen te houden (nationale autarchie). Voor wie het Frans dus onvoldoende machtig is om Faye te lezen is Filip De Man een uitstekend alternatief.Frederik Ranson

Scriptor NSV!-Gent

Stud. rer. pol.



  

 

[1] Faye, G. Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistance Européenne. Parijs, L’Aencre, 2000, p. 112.
[2] “Voorzieningen van openbaar nut, zoals gas, elektriciteit en water, en de aanlevering daarvan” (Van Dale).
[3] “L’ouverture inconsiderée des frontières sans bénéficier de l’aide à la liberté d’entreprendre”. Bron: Faye G. Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistance Européenne. Parijs, L’Aencre, 2000, p.26.
[4] De Man F. De eeuwige strijd. Hellas, Rome en Europa in het juiste perspectief. Brussel, Egmont, 2003, p 138.
[5] De Man F. De eeuwige strijd. Hellas, Rome en Europa in het juiste perspectief. Brussel, Egmont, 2003, p 161.

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samedi, 27 janvier 2007

Sur Guy Debord

Hommage à Guy Debord : à propos d'une réédition

par Pascal Garnier

Le fondateur de l'Internationale Situationiste qui se donnait pour but rien de moins que de “renverser le monde” s'est donné la mort à l'automne dernier. Nous, qui partageons avec lui cette même haine du système, devons accorder notre attention à Guy Debord qui a su bâtir une œuvre délibérément en dehors des sentiers battus. Fait paradoxal, alors qu'il a passé son temps à dénoncer le système, on n'a jamais autant parlé de lui que maintenant: réédition de ses livres, articles de presse, émissions de télévision et de radio... Il n'aurait sans doute jamais imaginé un pareil posthume tapage médiatique autour de sa personne. Bref Guy Debord intrigue. Justement au moment même ou le système médiatique semble donner quelques signes d'essoufflement (baisse de l'audience de la télévision) et ou celui-ci semble s'entrouvrir bien malgré lui aux idées politiquement incorrectes (voir l'affaire Garaudy et ses rebondissements avec l'Abbé Pierre), les éditions Folio ont eu l'idée opportune de rééditer son œuvre la plus connue qui a précédé les évènements de mai 1968: La société du spectacle. Ce livre d'une densité extrême a eu le mérite de faire figure d'anticipateur.

Dans un premier temps, il s'ouvre sur une critique du système médiatique dont, pour nous, il est primordial de dénoncer la perversité puisqu'il est: “la justification totale du systême existant” que nous combattons, “devenu en soit conception du monde”. L'émergence de ce type de société a été permise par la première phase de l'économisme qui a favorisé la dégradation de l'être en avoir, la deuxième phase étant l'aboutissement de celle-ci par le glissement généralisé de l'avoir en paraître. Cet ordre s'est établi et perdure grâce à “une reconstruction matérielle de l'illusion religieuse” ou le peuple se complet dans un désir de dormir, “le spectacle étant le gardien de ce sommeil”, “monologue élogieux de l'ordre présent”, univers doux et aseptisé du grand hospice occidental où l'histoire se retire comme d'une marée dont on a peur. D'ailleurs, les développements sur les rapports entre religion et conception de l'histoire rejoignent les analyses d'un Cioran, celui d'Histoire et utopie, laissant entrevoir un capitalisme unifié mondialement, régulé par les média, le village global de MacLuhan en quelque sorte.

Cette fin de l'histoire annoncé par Fukuyama permettrait à ces foules solitaires de se contenter de suivre éternellement sur leurs écrans: “les fausses luttes des formes spectaculaires du pouvoir”, l'alternance programmée entre la gauche et la droite pour ne citer qu'un seul exemple ainsi que d'avoir “le faux choix de l'abondance par la juxtaposition de spectacles concurrentiels et solidaires”: Arthur, Dechavanne et Delarue pour aller au plus simple.

Les autres formes d'évolution sociales n'ont été selon Debord permises que par l'émergence de cette société du spectacle. Celles-ci encouragent au sein de nos sociétés la primauté de l'économique sur le politique, la supériorité du quantitatif sur le qualitatif, le fétichisme de la marchandise, l'atomisation de la société, notamment grâce à une technologie omniprésente isolant le sujet sur sa machine (thème repris par la suite par des gens comme Baudrillard ou Faye), l'existence, à côté d'un capitalisme sauvage, d'un socialisme bureaucratique et policier qui aboutit à une prolétarisation du monde. De la sorte, nous aboutissons à une nouvelle forme d'organisation sociale, la nôtre, individualiste et égalitariste, où le boom du tertiaire et de la communication mène à “la logique du travail en usine qui s'applique à une grande partie des services et des professions intellectuelles”. Cet univers concentrationnaire de la tertiarisation, version moderne de la mine (mais une mine propre) permet un renforcement de la société capitaliste. Et ceci en acceptant qu'une part croissante de la population soit sous-employée et en tolérant ce que Guy Debord nomme “une nouvelle forme de lutte spontanée: la criminalité”. Tous ces processus depuis 30 ans se sont largement amplifiés.

Aussi, cette critique de notre société qui se veut de gauche, par bien des aspects, fait penser aux conclusions d'un Guénon ou d'un Evola. Notons cependant parfois une phraséologie marxiste qui semble céder à la mode de son époque (nous sommes dans les années 60) et qui paraît désuète aujourd'hui. Sachons également qu'il existe dans ce texte un oubli de taille: la dénonciation de la destruction de l'environnement qui elle, interviendra un peu plus tard dans Commentaires de la société du spectacle. Insistons également sur un fait où l'auteur se trompe (et c'est sans doute ce qui rend un caractère si pessimiste à son œuvre), c'est sa vision fausse de la paysannerie, qui est pour lui l'“inébranlable base du despotisme oriental”. Ce n'est sans doute pas une quelconque révolution prolétarienne (à laquelle Debord ne croit d'ailleurs justement pas) mais au contraire un réenracinement dans les valeurs immémoriales et universelles du sang et du sol que les hommes trouveront leur salut et leur épanouissement. Sans doute le fils nanti d'industriels cannois n'a-t-il pas eu l'occasion de découvrir les milieux simples des gens enracinés. Nous comprenons son mépris pour son milieu d'origine et pour la vaste poubelle parisienne où il a passé le plus clair de son existence. Sa critique du système est très lucide mais nous, nous proposons une vraie alternative aux échappatoires alcooliques des bistrots parisiens où il s'est abîmé. C'est celle du réenracinement du Maître des abeilles de Henri Vincenot, de L'Eveil de la glèbe  de Knut Hamsun ou du monde artisanal de La gerbe d'or  d'Henri Béraud.

Mais cela n'enlève rien à la pertinence de Debord dans les 221 paragraphes biens distincts de son texte: dans sa préface, datant de juin 1992, il parle ainsi des déçus de mai 1968: «Les pires dupes de cette époque ont pu apprendre depuis, par les déconvenues de toute leur existence ce que signifiait la "négation de la vie qui est devenue visible", "la perte de la qualité" liée à la forme-marchandise et la prolétarisation du monde». Sûr de lui jusqu'au bout, il écrit: «Une telle théorie n'a pas à être changée, aussi longtemps que n'auront pas été délimitées les conditions générales de la longue période de l'histoire que cette théorie a été la première à definir avec exactitude». Il n'y a rien à ajouter.

Pascal GARNIER.

Guy DEBORD, La société du spectacle, Folio n° 2788, mars 1996., 27 FF.

 

 

 

 

 

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jeudi, 25 janvier 2007

Le "Machiavel" de Valeriu Marcu

Günter MASCHKE:

Le "Machiavel" de Valeriu Marcu

Certains écrivains ont connu le succès, mais ils ont injustement été oubliés par la postérité. Valeriu Marcu (1899-1942), auteur de best-sellers sous la République de Weimar entre 1927 et 1933, est l'un de ces cas. Amis d'hommes aussi différents les uns des autres que Willy Münzenberg, Paul Levi, Fritz Brupbacher, Heinrich Mann, Gottfried Trevinarus, le Général von Seeckt et Ernst Jünger, “ce petit Juif ex­traordinairement intelligent, qui avait joué un rôle dans la Révolution hongroise de Bela Kun et, à seize ans, avait fait le pélérinage à Zürich pour rencontrer Lénine, ... fut l'un des meilleurs analystes de notre temps” (E. Jünger, Jahre der Okkupation, 7 au 10 mai 1945). Après un engagement politique précoce et intense, Marcu a opté pour le rôle de l'observateur. Nous lui devons, outre de nombreux articles, des livres pénétrants comme Lenin - 30 Jahre Rußland (1927); Das große Kommando Scharnhorst (1928); Die Geburt der Nation - Von der Einheit des Glaubens zur Demokratie des Geldes  (1931). L'historien méticu­leux trouvera dans ces livres des erreurs, des approximations et des mythologisations, mais il n'empêche qu'ils montrent le politique dans toute sa mobilité dramatique, qu'ils saisissent les aspects de la psycho­logie individuelle et de la psychologie de masse dans la lutte pour le pouvoir avec une froideur et une sé­rénité devenues rares à notre époque de moralisme fébrile et tapageur.

En 1933, Marcu quitte l'Allemagne et prend le chemin de l'exil, d'abord à Nice, ensuite à New York en 1941 où, à peine arrivé, il décède inopinément. Cet homme a passé sa vie en errant et en louvoyant entre toutes les chapelles, y compris celles des émigrés organisés, dont Marcu a jugé les publications avec une sévérité sans pareille, notamment dans une lette adressée à Trevinarus le 6 février 1938 (cf. “Marcus Briefe” in Der Pfahl, 1991, pp. 85-133). Mais le fruit le plus savoureux et le mieux mûri de ces années d'amertume est sans conteste son Macchiavelli, paru en 1937 à Amsterdam chez Allert de Lange. Aujourd'hui, l'éditeur Matthes & Seitz (Munich) nous en offre une reproduction anastatique.

L'objectif de Marcu, dans son Macchiavelli, est “d'examiner les éléments impassables de la dictature, c'est-à-dire ces éléments qui n'ont rien à voir avec la dictature proclamée ou la non-dictature” (Lettre à Ernst Jünger, 25 septembre 1935). Certes, après lecture du livre, on peut se demander si ce projet a abouti... “Dictature”, cela peut également vouloir dire (un certain type d') “Etat”, peut aussi vouloir dire Institution, état (au sens de situation), armature du pouvoir. Le livre de Marcu traite du jeu dange­reux et hypocrite de la politique  —ce qui nous apparait bien plus approprié dans le cas de Machiavel—  au temps des villes-Etats italiennes, quand il s'agissait de forger des alliances ou de trahir son partenaire, traite des grands moments de la politique, où l'ennemi apparaît en toute clarté, ou des moments les plus angoissants, où règnent renards et corbeaux, où l'on simule et l'on dissimule, quand l'illusion de la paix menace directement les petites républiques et les villes-Etats qui croient avoir découvert la recette de l'infinitude des échanges de marchandises.

Les porteurs du politique sont, chez Marcu, essentiellement les personnes, qu'elles soient des princes, des capitaines de cité, des Papes ou des condottieri; l'ancien marxiste Marcu n'oublie pas pour autant la clientèle politique de ces personnages et leurs intérêts de classe. Le tour de force de Marcu réside dans son aptitude à croquer des profils psychologiques, qu'il s'agisse de Lorenzo de Medicis ou de César Borgia, de Catherine Sforza ou de Léon X, de Savonarole ou des porte-paroles très fatigués, tout prêts à faire la paix à n'importe quel prix, si avides d'argent, de quelques magistrats isolés. Mais jamais Marcu ne laisse planer le doute: ce vaste échiquier diplomatique avec ses éruptions de violence ou ses fuites dans la violence ne peut exister que parce que l'Italie est impuissante; et c'est pourquoi Marcu met bien la haine de Machiavel en exergue, une haine dirigée “contre tous les disciples de cette antique violence, qui ne s'ancre dans aucun Etat”.

Le “machiavelisme” de ceux qui agissent dans cette fresque esquissée par Marcu n'est pas encore une “raison d'Etat”, car l'Etat est encore trop éloigné d'eux. Mais le constat de ce terrible jeu de ruse et de perfidie, d'illusion et d'intrigue, de roublardise stupide et d'avidité intense mais limitée, est le constat qui transforme Machiavel en penseur de l'Etat. Machiavel, en effet, pense l'Etat italien unifié, capable de re­pousser hors de ses frontières les barbares étrangers. En suivant cette logique, Marcu a tendance à su­restimer la personnalité de Machiavel, son importance en tant que diplomate ou qu'organisateur de la mi­lice de Florence.

Ce qui agace le lecteur, c'est que Marcu, dans son livre, ne cesse d'éviter les dates: quand, par exemple, ont eu lieu les affrontements militaires entre Florence et Pise? Quand Machiavel a-t-il rencontré à Bozen/Bolzano l'Empereur Maximilien? Le livre de Marcu n'est pas un livre d'histoire ou d'historiographie mais un gigantesque gobelin multicolore, sur lequel semblent s'agiter de nombreuses figures actives, agissantes, qui se trompent et se mentent mutuellement. La trame s'y perd dans une sorte de pointillisme. Un observateur de l'époque l'aurait peut-être aussi perçue de cette façon. D'une époque mouvementée, il nous reste effectivement toujours l'impression d'un mouvement incessant, d'une énergie inépuisable, d'une absence totale de scrupules, d'une fébrilité et d'une avidité chez des individus qui s'accrochent dé­sespérément aux basques du manteau de Dame Fortune. Chez ces hommes, in imo pectore, une lutte fait rage et elle trouve son terrain de concrétisation dans le “monde extérieur”. Ce gobelin n'est peut-être pas toute la renaissance, dont la seule réalité est ici l'individu, et l'ombre apaisante de Jacob Burckhard pourra tomber aussi souvent qu'elle le veut sur ce livre, dont l'auteur surestime le sens du réel chez ses héros et oublie que l'œuvre de Machiavel contient une forte dose d'esthétisme et de style; Guichardin (Guicciardini) est supérieur quand il s'agit de procéder à une analyse concrète de la situation. Cela, il faut le savoir. Mais la réalité est là quand l'impressionant talent de Marcu s'exprime dans des phrases souvent bien balancées: “Tout pouvoir juste doit avoir la possibilité de se laver les mains en toute innocence”. Ou: “Comme Piero Medici n'existait plus, on n'avait plus besoin de son ami Savonarole”. Ou encore: “La ré­volte de Pise est la révolte imprévue d'un musée, où le souvenir s'est mué en volonté et en action”. Ou: “Cette politique, qui pourrait servir de paradigme de fausseté et de duplicité, n'est que la preuve d'une grande faiblesse”. Enfin: “Toute société qui perd la volonté de tuer avec légèreté de cœur, doit, indépen­damment de la fausseté ou de la justesse de la politique qu'elle mène, tomber en décadence. Les formes sophistiquées de production, l'intensité des communications en économie, le raffinement des arts, de la philosophie et de la poésie, si elles contribuent à faire disparaître les vertus barbares au lieu de les atti­ser, privent la communauté de toute base territoriale”.

De telles visions, de tels constats aussi laconiques, fourmillent dans le livre de Marcu. Ils composent en bout de course un florilège machiavelien original: celui d'un écrivain qui a perdu toutes ses illusions, mais dont le miroir, comme celui de son modèle florentin, jettent trop souvent d'aveuglants reflets. Mais mieux vaut trop d'éclat que pas d'éclat.

 

Günter MASCHKE.

Valeriu MARCU, Machiavelli. Die Schule der Macht, Matthes & Seitz, München, 1994, 380 S., DM 46, ISBN 3-88221-795-2.

 

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mercredi, 24 janvier 2007

Vladimir Volkoff sur la désinformation

Les leçons de Vladimir Volkoff sur la désinformation
Intervention de Philippe Banoy lors de la 10ième Université d’été de “Synergies Européennes”, Basse-Saxe, août 2002

http://www.hautes-tensions.com/documents/les_lecons_de_vladmir_volkoff.html

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mardi, 23 janvier 2007

Sobre a Revoluçao Conservadora (port.)

Robert Steuckers

Sobre a Revolução Conservadora

Quando o termo «Revolução Conservadora» é usado na Europa é sobretudo no sentido que lhe deu Armin Mohler no seu famoso livro «Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932». Mohler apresentou uma longa lista de autores que rejeitaram os pseudo-valores de 1789( desprezados por Edmund Burke como meros «blue prints»), exaltaram o papel do «germanismo» na evolução do pensamento europeu e recolheram a influência de Nietzsche. Mohler evitou, por exemplo, conservadores puramente religiosos, fossem católicos ou protestantes. Para Mohler a marca essencial da «Revolução Conservadora» era uma visão não linear da História. Mas ele não toma simplesmente a visão cíclica do tradicionalismo. Depois de Nietzsche, Mohler acredita numa concepção esférica da História. O que significa isto? Isto significa que a História não é simplesmente uma repetição dos mesmos padrões com intervalos regulares nem um caminho recto que conduza à bem-aventurança, ao fim da História, ao paraíso na terra, à felicidade, etc., mas que se assemelha a uma esfera que pode girar (ou ser empurrada) em todas as direcções, de acordo com os impulsos que receba de fortes personalidades carismáticas. Tais personalidades carismáticas dirigem o curso da História através de algumas vias muito particulares, vias que não estão previamente fixadas pela mão da providência. Neste sentido, Mohler nunca acreditou em doutrinas políticas universalistas mas sempre em tendências particulares e pessoais. Tal como Jünger, queria lutar contra tudo o que fosse «geral» e apoiar tudo o que fosse «particular».Mais, Mohler expressou a sua visão das dinâmicas particulares usando o algo invulgar termo «nominalismo».Para ele, «nominalismo» era a expressão que melhor indicaria como as personalidades fortes seriam capazes de abrir novas e originais vias para si e seus seguidores na floresta da existência.

As principais figuras do movimento foram Spengler,Moeller van den Bruck e Ernst Jünger ( e o seu irmão, Friedrich-Georg).Podemos acrescentar a este triunvirato os nomes de Ludwig Klages e Ernst Niekisch. Carl Schmitt, como advogado católico e constitucionalista, representa outro aspecto importante da chamada «Revolução conservadora».

Spengler ficará como o autor de um brilhante fresco das civilizações mundiais que inspirou o filósofo britânico Arnold Toynbee. Spengler falou da Europa como civilização fáustica, melhor representada nas catedrais góticas, a intersecção da luz e das cores dos vidrais, as tormentas de neve com nuvens brancas e cinzentas de muitas pinturas holandesas, inglesas e alemãs. Esta civilização é uma aspiração da alma humana face à luz e ao auto-compromisso. Outra importante ideia de Spengler é o conceito de «pseudo-morfose»:Uma civilização nunca desaparece completamente depois de uma decadência ou uma conquista violenta. Os seus elementos passam à nova civilização que lhe sucede e formatam-na em direcção a caminhos originais.

Moeller van den Bruck foi o primeiro tradutor alemão de Dostoievski. Deixou-se influenciar profundamente pelo diário de Dostoievski, que continha severas críticas ao Ocidente. No contexto alemão, depois de 1918, Moeller van den Bruck advogava, com base nos argumentos de Dostoievski, uma aliança russo-germânica contra o Ocidente. Como podiam os respeitáveis cavalheiros alemães, com uma imensa cultura artística, mostrar-se a favor de uma aliança com os bolcheviques? Os seus argumentos foram os seguintes: durante toda a tradição diplomática do século XIX a Rússia foi considerada o escudo da reacção contra todas as repercussões da Revolução Francesa e contra a mentalidade e modos revolucionários. Dostoievski, enquanto antigo revolucionário russo que mais tarde admitiria que a sua opção revolucionária fora um erro, considerava mais ou menos que a missão da Rússia no mundo era apagar na Europa o rasto das ideias de 1789.Para Moeller van den Bruck a revolução de Outubro de 1917 foi apenas um cambio de vestes ideológicas: A Rússia continuava a ser, apesar do discurso bolchevique, o antídoto à mentalidade liberal do Ocidente. Derrotada, a Alemanha deveria aliar-se a esta força anti-revolucionária para se opor ao Ocidente, que aos olhos de van den Bruck, é a encarnação do liberalismo. O liberalismo, expressa Moeller van den Bruck, é sempre a doença terminal dos povos. Após algumas décadas de liberalismo um povo entrará inexoravelmente numa fase de decadência final.

O caminho seguido por Ernst Jünger é sobejamente conhecido. Começou como um ardente e galante jovem soldado na primeira guerra mundial, saindo das trincheiras sem qualquer pistola, apenas com uma granada de mão, manejada com a mesma elegância com que um típico oficial britânico usava a chibata. Para Jünger, a primeira guerra mundial foi o fim do pequeno mundo burguês do século XIX e da «Belle Époque», onde toda a gente era «como devia ser», isto é, comportando-se de acordo com normas estabelecidas por professores ou sacerdotes, exactamente como hoje temos de nos comportar de acordo com as auto-proclamadas regras da «correcção política». Debaixo das «tempestades de aço» o soldado podia afirmar a sua insignificância, o seu mero ser biológico, mas esta afirmação não podia, a seu ver, levar a um pessimismo inepto, ao medo e desespero. Havendo experimentado o mais cruel dos destinos nas trincheiras, debaixo do bombardeamento de milhares de armas de artilharia que sacudiam a terra, vendo tudo reduzido ao «elementar», o soldado de infantaria conheceu melhor que outros o atroz destino humano sobre a face da terra. Toda a artificialidade da vida civilizada urbana surgiu de repente como pura impostura. No pós guerra, Ernst Jünger e o seu irmão Friedrich-Georg, tornam-se os melhores escritores e jornalistas nacional-revolucionários. Ernst evoluiu para uma espécie de cínico, irónico e sereno observador da humanidade e dos factos da vida. Durante um bombardeamento sobre um subúrbio parisiense, onde as fábricas estavam a produzir material de guerra para o exército alemão, na segunda guerra mundial, Jünger ficou aterrorizado com a anormal rota aérea, recta, tomada pelas forças norte-americanas. A linearidade das rotas aéreas sobre Paris era a negação de todas as curvas e sinuosidades da vida orgânica. A guerra moderna implicou a destruição dos ondulantes e serpenteantes traços do orgânico. Ernst Jünger começou a sua carreira como escritor fazendo a apologia da guerra. Depois de haver observado os irresistíveis assaltos dos B-17 americanos ficou totalmente enojado pela falta de nobreza da forma puramente técnica de conduzir uma guerra. Depois da segunda guerra mundial, o seu irmão, Friedrich-Georg, escreveu o primeiro trabalho teórico que levaria ao desenvolvimento do novo pensamento alemão crítico e ecologista,«Die Perfektion der Technik»(A Perfeição da Técnica).A ideia principal deste livro, em meu entender, é a crítica da «conexão».O mundo moderno é um processo de intenções de conexão das comunidades humanas e dos indivíduos a grandes estruturas. Este processo de conexão destrói o princípio da liberdade. És um pobre operário acorrentado se estás conectado a uma grande estrutura, ainda que ganhes 3000 libras por mês, ou mais. És um homem livre quando estás completamente desconectado desses enormes tacões de aço. Em certo sentido Friedrich-Georg escreveu a teoria que Kerouac experimentou de forma não teórica escolhendo largar tudo e viajar, convertendo-se num cantante vagabundo.

Ludwig Klages foi outro filósofo da vida orgânica contra o pensamento abstracto. Para ele a principal dicotomia era entre Vida e Espírito(Leben und Geist).A vida é esmagada pelo espírito abstracto. Klages nasceu no norte alemão mas migrou enquanto estudante para Munique, onde passou o seu tempo livre nos pubs de Schwabing, local onde artistas e poetas se encontravam( ainda hoje).Tornou-se amigo do poeta Stefan Georg e um estudante da figura mais original de Schwabing, o filósofo Alfred Schuler, que acreditava ser a reencarnação de um antigo colono romano nas terras do Reno. Schuler tinha um genuíno sentido teatral. Disfarçava-se com a toga de um imperador romano, admirava Nero e montava peças evocativas do antigo mundo grego ou romano. Mas para além da sua faceta fantasiosa, Schuler adquiriu uma importância cardinal na filosofia desenvolvendo, por exemplo, a ideia de «Entlichtung», ou seja, o gradual desaparecimento da Luz desde o tempo das antigas cidades-estado da Grécia ou Roma. Não há progresso na História: Pelo contrário, a Luz está a desaparecer como a liberdade do cidadão para definir o seu próprio destino. Hanna Arendt e Walter Benjamin, na esquerda e no campo conservador-liberal, foram inspirados por esta ideia e adaptaram-na para audiências diferentes. O mundo moderno é o mundo da completa escuridão, com pouca esperança de encontrar períodos «iluminados» novamente, excepto se personalidades carismáticas, como Nero para Schuler, dedicadas à arte e a um estilo de vida dionisíaco, marcassem uma nova era de esplendor que duraria apenas o tempo abençoado de uma primavera. Klages desenvolveu as ideias de Schuler, que nunca escreveu um livro completo, depois da morte deste em 1923 devido a uma cirurgia mal conduzida. Klages, pouco antes da primeira guerra mundial, pronunciou um famoso discurso na colina Horer Meissner, na Alemanha Central, para os movimentos da juventude (Wandervogel).Este discurso teve o título de «Homem e Terra» e pode ser visto como o primeiro manifesto orgânico de ecologia, com uma clara e compreensível, mas sólida, base filosófica.

Carl Schmitt começou a sua carreira como professor de direito em 1912 e viveu até à respeitosa idade de 97 anos. Escreveu o seu último ensaio aos 91.Não posso enumerar todos os pontos importantes do trabalho de Carl Schmitt neste espaço. Resumamos dizendo que Schmitt desenvolveu duas ideias principais, a de decisão na vida política e a de «Grande Espaço». A arte de moldar a política em geral ou uma boa política em particular está na decisão, não na discussão. O líder tem de decidir para liderar, proteger e desenvolver a comunidade política de que está à frente. A decisão não é ditadura como diriam hoje em dia muitos liberais na nossa era do «politicamente correcto».Pelo contrário, uma personalização do poder é mais democrática, no sentido que um rei, um imperador ou um líder carismático é sempre um mortal. O sistema que ele eventualmente imponha não é eterno, já que ele está condenado a morrer como qualquer ser humano. Um sistema nomocrático, ao invés, procura eternizar-se, mesmo se os acontecimentos correntes e inovações contradizem as suas normas ou princípios.O segundo grande tópico no trabalho de Schmitt é a ideia de Grande Espaço Europeu (Grossraum). As forças externas devem ser impedidas de interferir nesse Grande Espaço.Schmitt queria aplicar à Europa o mesmo princípio simples que animava o presidente norte-americano Monroe. A América aos americanos.Ok, dizia Schmitt, mas apliquemos a ideia de Europa aos europeus. Schmitt pode ser comparado aos «continentalistas» americanos, que criticaram a intervenção de Roosevelt na Europa e na Ásia. Os latino-americanos também desenvolveram similares ideias continentalistas, tal como os imperialistas japoneses. Schmitt deu a esta ideia de Grossraum uma forte base jurídica.

Niekisch é uma figura fascinante no sentido em que começou a sua carreira como líder comunista no «Conselho da República da Baviera» de 1918-19, que foi destruído pelos Freikorps de von Epp, von Lettow-Vorbeck, etc. Obviamente Niekisch ficou desapontado pela ausência de uma visão histórica entre o trio bolchevique na Munique revolucionária (Lewin, Leviné, Axelrod).Niekisch desenvolveu uma visão euroasiática, baseada na aliança entre a União Soviética, a Alemanha, a China e a Índia. A figura ideal que deveria ser o motor humano desta aliança seria o camponês, adversário da burguesia ocidental. Um certo paralelo com Mao Tse-Tung surge aqui evidente. Nos jornais que Niekisch editou descobrimos todas as tentativas alemãs de apoiar movimentos anti-britânicos ou anti-franceses nos impérios coloniais ou na Europa (Irlanda contra a Inglaterra, Flandres contra uma Bélgica francófona, nacionalistas hindus contra o Reino Unido, etc.).

Robert Steuckers

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G. Faye: Thorstein Veblen (esp.)

Thorstein Veblen
Más allá de la lucha de clases

 

Guillaume Faye

http://usuarios.lycos.es/INFOEUROPA/archivo46.html

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jeudi, 18 janvier 2007

Karl Wittfogel et les sociétés hydrauliques

Robert Steuckers

Karl A. Wittfogel: sociétés orientales, sociétés hydrauliques et despotisme oriental

Intervention de Robert Steuckers à la 8ième Université d'été de "SYNERGIES EUROPÉENNES", Gropello de Gavirate, été 2000


Pourquoi nous pencher aujourd'hui sur la biographie, l'oeuvre et le contexte de Karl August Wittfogel?

Trois raisons majeures nous ont poussés à parler de Karl August Wittfogel dans le cadre de cette huitième université d'été de "Synergies Européennes", qui, comme les universités précédentes, entend rouvrir le dossier de nombreux auteurs oubliés ou trop rarement évoqués dans le créneau culturel que nous nous sommes assigné. 

La première de ces raisons, c'est que Wittfogel est un grand sociologue germano-américain, à qui l'on doit des concepts importants comme ceux de «société orientale», de «société hydraulique» et de «despotisme oriental». 

La deuxième raison qui nous pousse à le redécouvrir et à l'étudier, c'est le double environnement culturel dont il est issu: d'une part, le mouvement de jeunesse des Wandervögel; d'autre part, le mouvement communiste allemand naissant, l'USPD, puis la KPD, pour aboutir, dans ce milieu marxiste, dans la fameuse "Ligue anti-impérialiste", espace de transition entre communistes du parti et mouvance nationale-révolutionnaire, en révolte contre l'Ouest. 

La troisième raison, enfin, est d'ordre théorique et philosophique. Wittfogel est un homme qui complète Marx d'une manière originale et féconde, comme nous allons le voir. Wittfogel met en exergue certaines sources importantes de la pensée de Marx, qui sont aussi les sources vives de notre propre démarche politique: 
- le relativisme culturel de Herder, 
- la pensée ancrée dans le temps, l'espace, le climat, le donné ethnique de Montesquieu, 
- la géographie de Carl Ritter, père de la cartographie moderne (cf. Robert Steuckers, "Carl Ritter", in: Encyclopédie des Oeuvres philosophiques, PUF, 1992; et "Aux sources de la géopolitique allemande: la vision de Carl Ritter", in: Vouloir, n°9-nouvelle série, 1997).
Wittfogel ajoute une touche rationaliste, propre des Lumières françaises, à ce triple corpus, en évoquant souvent le matérialisme de d'Holbach et d'Helvétius. L'objectif premier de Wittfogel est de mettre l'accent sur l'historicité des phénomènes, de tous les phénomènes, de façon à les dégager de la cangue des corpus figés, qui sont toujours les signes d'un blocage mental et les raisons d'une inertie politique conduisant au déclin.

En ce sens, Wittfogel perçoit le marxisme, son option philosophique, politique et révolutionnaire, comme un instrument qui va contribuer à «dé-coincer» les phénomènes, à les dégager des corsets conceptuels trop figés et trop étroits qui les soustraient au temps. Wittfogel, apparemment, ne s'aperçoit pas que le marxisme lui-même s'est rigidifié en dogmes, dès l'inclusion de la sociale-démocratie dans le paysage politique allemand avant 1914; le jeune Wittfogel, contrairement aux nationaux-révolutionnaires disciples de Sorel (y compris en Allemagne), ne retient pas la leçon de Roberto Michels, théoricien socialiste dissident, critique de la transformation de la SPD en une oligarchie politique fermée. Michels ironisait cruellement sur la Verbonzung, la Verkalkung et la Verbürgerlichung du socialisme, déjà avant que n'éclate la première guerre mondiale (ces termes polémiques allemands signifient, rappelons-le: bonzification, c'est-à-dire, domination progressive des «bonzes», artériosclérose et embourgeoisement).
 

Un intérêt réel pour la géopolitique 

Wittfogel réhabilite complètement le rôle de la géographie dans la pensée politique. Sa source principale d'inspiration, à ce niveau, est Montesquieu, qui s'est penché sur l'importance du climat. Wittfogel évoque aussi le sol, socle d'une production agricole précise, différentes selon le lieu et la population qui l'occupe. Wittfogel n'évacue pas les facteurs ethniques voire raciaux, en citant notamment Hippolyte Taine (et on sait, depuis les travaux de Zeev Sternhell, le rôle important de Taine dans l'éclosion et la consolidation de la "droite révolutionnaire" française). Wittfogel s'intéresse dès lors à la géopolitique de son temps: il cite tour à tour Richthofen, Kjellén, Ratzel, Haushofer, et, pour faire pendant à ces penseurs de l'espace classés plutôt dans le camp «révolutionnaire-conservateur», il évoque souvent l'Américaine Ellen Semple et l'Anglais J. F. Horrabin, tous deux d'obédience socialiste. Horrabin se déclare disciple du géographe français anarchisant, Elisée Reclus, tout comme un autre rénovateur actuel de la pensée géopolitique, Yves Lacoste, qui dérive ses propres intuitions de la géographie vivante de Reclus. 

Voici donc les raisons «scientifiques» qui doivent nous conduire à une relecture des écrits de Wittfogel. Mais, à part ces raisons «scientifiques», il y a des raisons très actuelles de ressortir les ouvrages de cet ancien Wandervogel passé au communisme allemand.
 

Maîtrise de l'eau et "sociétés hydrauliques"


 Ses réflexions sur les «sociétés hydrauliques» nous rappellent, de façon très réaliste, que le politique prend son envol par la maîtrise de l'eau: acquisition d'eau potable, irrigation permettant des cultures régulières, soustraites aux caprices de la nature, utilisation des voies fluviales pour permettre le transport de grandes quantités de marchandises. La maîtrise de l'eau est une donnée propre à toutes les sociétés organisées, fussent-elles les plus modestes. Elle implique toutefois une discipline collective, parfois coercitive, que l'on peut assimiler, notamment avec le jeune Wittfogel, à l'autoritarisme politique. 

La naissance des Etats et des empires, comme la Chine (Wittfogel se profile surtout comme un grand sinologue), l'Egypte ou la Mésopotamie, prouve la pertinence des thèses de Wittfogel. Mais celui-ci n'est pas seulement un historien des grandes puissances hydrauliques du passé, il ose faire des comparaisons et ramener sa théorie dans le présent. Il trace ainsi un parallèle entre ces grands empires de l'antiquité et les deux grandes puissances de son époque, l'URSS et les Etats-Unis. Dès l'avènement de Staline, l'URSS amorce de grands travaux «hydrauliques»: creusement de canaux, liaisons entre les grands fleuves (p. ex. le Don et la Volga), barrages, irrigations, etc. Grâce à ces travaux, l'URSS acquiert le statut de superpuissance et la Russie actuelle, en dépit du ressac épouvantable qu'elle subit aujourd'hui par l'application des thèses de Bzrezinski, pourrait réactiver ces atouts. Le stalinisme a été disciplinaire, coercitif ou autoritaire: c'est, selon Burnham, la version russe et soviétique de l'"ère des directeurs", propre des années qui ont immédiatement suivi la première guerre mondiale, tant en URSS que dans d'autres pays occidentaux, européens ou américains. 

Entre 1920 et 1940, les Etats-Unis aussi connaissent une phase importante de développement hydraulique, par les grands travaux de maîtrise du cours du Mississipi. Elle implique de mettre provisoirement entre parenthèses les pratiques usuelles du libéralisme politique classique. L'opposition républicaine parlera dès lors du «césarisme» de Roosevelt, version américaine de l'"ère des directeurs". 
 

L'ère des directeurs

 En Europe, malgré les versions italienne (fasciste) et allemande (nationale-socialiste) de l'"ère des directeurs", une harmonisation hydraulique du continent n'a pas été possible. L'Allemagne nationale-socialiste tente toutefois d'achever les consignes contenues dans le "Testament politique" de Frédéric II de Prusse, écrit en 1752. La Prusse s'était donné une cohérence économique en reliant par canaux, l'Elbe, la Spree et l'Oder, bénéficiant de la sorte d'un port dans la Mer du Nord (Hambourg) et d'un port dans la Mer Baltique (Stettin). Il restait à relier l'Elbe à la Weser, et la Weser au Rhin. En tant qu'expression allemande de l'"ère des directeurs", selon Burnham, le national-socialisme réalise ces travaux, notamment grâce à l'apport de main-d'oeuvre que procure le "service du travail obligatoire" (Reichsarbeitsdienst). La liaison entre Rotterdam ou Anvers (via la Canal Albert inauguré en 1928) et Berlin puis Francfort sur l'Oder devient parfaitement envisageable, bien qu'elle soit encore insuffisamment parachevée à l'époque. En dépit de la défaite du Troisième Reich, les travaux seront terminés par les autorités néerlandaises, belges et ouest-allemandes dans l'après-guerre, avec la restriction que le Rideau de fer bloque cette synergie fluviale à hauteur de la frontière sur l'Elbe, comme il bloquait l'artère danubienne au Sud, entre l'Autriche et la Hongrie. La réunification allemande d'octobre 1990 rétablit la communication et permet même une projection vers la Vistule, donnant ainsi indirectement une façade atlantique à la Pologne, sans devoir contourner l'archipel danois. 

Le projet d'une harmonisation des fleuves et des canaux est très ancien en Europe; déjà Charlemagne voulait relier le Main au Danube. Frédéric II de Prusse, au 18ième siècle, constatait que les fleuves de la grande plaine nord-allemande étaient parallèles. Par conséquent, que les voies de communication suivaient une orientation sud-nord, grosso modo des Alpes à la Mer du Nord ou à la Baltique, mais que les liens est-ouest étaient moins développés, condamnant l'ensemble géographique germanique à la division politique, impulsant sur cet espace une logique toujours centrifuge. Dans son Testament politique, que je viens de citer, Frédéric II écrit que la solution est de creuser des canaux reliant les fleuves entre eux, selon un axe est-ouest. De cette manière, le territoire prussien (nord-allemand) recevrait artificiellement une cohérence que la nature ne lui avait pas donnée. Le grand architecte de ce projet sera Friedrich List, un économiste du 19ième siècle. Et il exportera ses conceptions: aux Etats-Unis où il élabore plusieurs projets de canaux, en France et en Belgique, où il suggère à Léopold I, lors d'une audience particulière, le creusement du Canal du Centre (entre la Sambre mosane et la Haine scaldienne), la création d'une voie d'eau à grand gabarit entre Anvers et Liège (ce sera le futur Canal Albert, ouvert en 1928 seulement), l'approfondissement de la liaison Bruxelles-Anvers et l'ouverture du Canal Bruxelles-Charleroi. Sans de tels travaux, la Belgique n'aurait pas été viable pendant plus de deux décennies. Elle souffrait en miniature du même handicap que la plaine nord-allemande, administrée par la Prusse. La configuration de ses rivières, parallèles, imposait volens nolens une logique centrifuge. 

Aujourd'hui, l'Allemagne, immédiatement après sa réunification, et sous l'égide du Chancelier Kohl, réalise le projet de Charlemagne, vieux de mille ans: la liaison Main/Danube, ouvrant une voie d'eau partant de la Mer du Nord et aboutissant à la Mer Noire et au Caucase, riche en pétrole. J'ai déjà suffisamment évoqué la problématique de la liaison Main/Danube pour ne pas y revenir ici.
 

Politique hydraulique et destin fluvial des nations

 Aucune unification allemande au départ de la Prusse n'aurait été possible sans le creusement de canaux, sans une politique «hydraulique». Comme aujourd'hui aucune forme d'impérialité européenne n'est possible sans une politique «hydraulique», axée sur le cours du Rhin, du Main et du Danube. Politique hydraulique qui doit être épaulée, bien évidemment, par d'autres grands travaux ou projets en matière de communications (satellites, flottes rapides d'aéroglisseurs ou de navires à effet de surface, trains à grande vitesse, etc.).

Au début des années 30, les géopolitologues allemands Hennig et Körholz avaient bien mis en exergue le destin fluvial des grandes nations européennes: deux destins heureux, ceux de la France et de la Russie, dont l'agencement des bassins fluviaux, implique une logique centripète (et non centrifuge), un destin malheureux, celui de l'Allemagne, dont l'unification politique a été retardée parce que l'agencement de ses bassins fluviaux était différents, avec des fleuves et des rivières parallèles, isolant les vallées les unes des autres et infléchissant les rapports culturels et commerciaux vers des directions chaque fois différentes (cf.: R. Hennig & L. Körholz, "Fluvialité et destin des Etats", in: Vouloir n°9, 1997). 

Deuxième raison majeure de revenir à Wittfogel raisonner une fois de plus en termes de politique hydraulique ou d'«hydropolitique»: la raréfaction de l'eau potable partout dans le monde. Cette raréfaction provoque des conflits, qui deviendront de plus en plus aigus. Ainsi, le Turquie, par sa politique de construire des barrages dans la région du Taurus oriental, retient les eaux du Tigre et de l'Euphrate, au détriment des régions en aval, la Syrie et la Mésopotamie (donc l'Irak). L'eau retenue affaiblit les deux pays arabes et les soumet à la volonté de la Turquie. Une partie de cette eau est désormais vendue à Israël, qui vit une pénurie chronique, hypothéquant même son existence à long terme, vu que les immigrants juifs vivent selon un mode occidental, grand consommateur d'eau, alors que les masses arabo-palestiniennes, plus parcimonieuses dans leur consommation, voient leurs réserves diminuer considérablement, augmentant ipso facto leur désarroi et leur angoisse. Ce qui conduit aux affrontements. Ce jeu de l'eau dans une région hautement explosive comme le Moyen-Orient est évidemment bellogène à terme.
 

L'eau au Tibet, au Brésil et au Congo 

 La volonté chinoise de s'accrocher au Tibet s'expliquer par la présence sur ce territoire  ‹le Plateau du Tibet‹  des sources des principaux fleuves chinois et indochinois, produits des fontes des neiges de l'Himalaya, comme le Hoang Ho, le Yang tsé, le Salouen, le Mekong, le Tsang Po. Les deux principaux fleuves indiens, l'Indus et le Gange, prennent également leurs sources dans le massif himalayen. Pour la Chine, qui est une puissance hydraulique, née de la maîtrise des fleuves, comme nous allons le voir, la domination sur le territoire des sources est un impératif catégorique, dont pâtit évidemment la culture tibétaine, dont l'originalité est essentielle. L'histoire de l'Amérique du Sud a été tout entière déterminée par la volonté du Brésil de maîtriser le bassin amazonien dans sa totalité. Lors de l'émergence de cet Etat, le plus étendu du continent, une querelle l'a opposé à ses voisins pour la domination de tout le cours de la Plata. Le Zaïre/Congo est potentiellement une puissance hydraulique. Le fleuve possède un tel débit qu'il constitue pour l'humanité entière une réserve précieuse que l'avenir sera contraint de ménager.
 

Wittfogel: Wandervogel, communisme, Ecole de Francfort 

 Revenons à la personne de Wittfogel. Qui est-il? Il est né à Lüneburg dans une famille d'instituteurs protestants, ayant un grand sens de la culture et vouant un véritable culte aux livres. Très jeune, Wittfogel s'initie à de nombreuses lectures, variées et instructives. Karl August Wittfogel, pendant son adolescence, est une âme cultivée et rebelle, en révolte contre les pesanteurs de son époque (dénoncées notamment par la sociologie de Simmel, que nous avons abordée lors de notre Université d'été en 1998). Sa culture et sa révolte le conduisent à fréquenter le Wandervogel, le mouvement de jeunesse né près de Berlin en 1896 sous l'impulsion de Karl Fischer. Il ne suivra cependant pas l'engouement patriotique de ses compagnons en 1914. Il ne s'engagera pas dans les troupes d'assaut, comme celles qui se feront hacher à Langemarck en Flandre occidentale. Wittfogel évolue vers le pacifisme et vers un engagement social et politique à gauche. En 1915, il s'inscrit à l'université, en fréquente plusieurs pour y suivre des cours de géographie, de sociologie, de philosophie et de sinologie. Pendant les années 1916, 1917 et 1918, il adhère au marxisme politique, mais non pas à la SPD sociale-démocrate, qu'il juge trop modérée et trop compromise avec le pouvoir, mais à l'USPD, animée par Rosa Luxemburg, puis à la KPD.  Il s'intéresse de près aux agissements de Karl Radek, agent de Lénine et du Komintern en Allemagne. Cette fréquentation le conduira à la fameuse "Ligue anti-impérialiste", prônant une alliance entre la Chine, l'URSS et l'Allemagne, les peuples colonisés en révolte, dont l'Inde, et quelques forces rebelles de l'Ouest. Cette Ligue avait également attiré quelques figures classées par Armin Mohler dans la mouvance de la "révolution conservatrice, dont Niekisch et Jünger. Wittfogel suit aussi les travaux de l'Ecole de Francfort, dès son inauguration en 1926 (Institut für Sozialforschung). En 1933, quand la NSDAP d'Adolf Hitler prend le pouvoir, il émigre aux Etats-Unis. 

Dans ce double contexte, universitaire et politique, comment la pensée de Wittfogel va-t-elle se cristalliser et se former? Elle repose surtout sur une lecture attentive de Karl Marx et de Max Weber, où Wittfogel découvre une opposition entre l'Occident et l'Orient. Le modèle par excellence de l'Occident est l'Angleterre manchesterienne. Le modèle de développement oriental paradigmatique est le modèle chinois. Sinologue, Wittfogel va approfondir les thèses marxiennes et weberiennes sur le "mode de production asiatique". Il en déduit que la Chine (mais aussi l'Egypte et la Mésopotamie antiques) sont "despotiques" (pour faire face efficacement aux nécessités naturelles) et "hydrauliques". Ce modèle asiatique constitue pour lui, dans un premier temps, un "contre-modèle" non bourgeois. Wittfogel, en quelque sorte "maoïste" avant la lettre, se donne pour mission de faire connaître aux Européens la Chine orientale et non bourgeoise.
 

Sociétés hydrauliques = sociétés totalitaires? 

 Plus tard, cet engouement pour la Chine va se muer en critique. Wittfogel est anti-stalinien et, dans cette optique, Staline est perçu comme un despote asiatique. Mais il écrit finalement peu de choses sur les grands travaux hydrauliques de Sibérie et d'Asie centrale, exécutés pendant l'ère stalinienne. En 1938, il fait paraître aux Etats-Unis The Theory of Oriental Society, où il pose clairement l'équation, société hydraulique = despotisme = totalitarisme. Un an plus tard, cette équation se renforce dans sa pensée, au moment où Hitler et Staline signent le pacte germano-soviétique. Dans cette thèse, un peu propagandiste, Wittfogel coagule ses sentiments anti-hitlériens et anti-staliniens. Ce même ouvrage, peaufiné, reparaît en 1957, sous le titre de Oriental Despotism: A Comparative Study of Total Power. Hitler et Staline ont disparu de la scène, la Guerre de Corée est terminée, Maccharty a cessé de sévir et la guerre froide n'est plus aussi tendue. Après 1945, Wittfogel rejoint les rangs de l'anti-communisme américain, décrit Staline comme un agent de la "restauration asiatique" et présente les Etats-Unis comme une société hydraulique mais non despotique; à ce titre, ils sont un modèle pour le monde. Comment l'ancien étudiant de la gauche allemande en est-il arrivé là? Comment en est-il arrivé à cette position finalement assez contradictoire? Sans doute a-t-il été récupéré par certains services de diversion, recrutant d'anciens militants de la  gauche allemande, bons connaisseurs du Komintern, des structures communistes et des méthodes de travail soviétiques dans les pays d'Asie. 

A partir de 1953, Wittfogel devient aux Etats-Unis un historien attitré de la maîtrise des fleuves. Il est professeur à la Columbia University, puis, à partir de 1966, enseigne l'histoire de la Chine à Washington. Son oeuvre comporte d'intéressants développements scientifiques mais non politiques.
 

Une théorie de la civilisation 

 Wittfogel énonce, à travers l'ensemble de son oeuvre, une théorie de la civilisation, de l'émergence des civilisations. Pour lui, comme auparavant pour Hobbes, c'est la peur qui génère le politique, l'Etat, le "commonwealth", l'appel à l'autorité (qui fait les lois - auctoritas non veritas facit legem). Mais cette peur n'est pas la crainte de l'invasion extérieure comme chez Hobbes, né prématurément parce que sa mère craignait le débarquement des troupes espagnoles de la Grande Armada. La peur qui motive les hommes et les induit à créer des structures politiques solides et durables est la peur panique et angoissé des inondations et de la sécheresse, des inondations qui noient les récoltes et de la sécheresse qui condamne à la famine. Cette peur tire l'homme de sa léthargie, elle le force à coopérer avec ses semblables qui appartiennent à d'autres clans et le contraint à accepter l'autorité de ceux qui sont capables techniquement de maîtriser les fleuves, de canaliser les eaux (pour l'irrigation ou le transport), d'irriguer. La peur des caprices de l'eau fait accepter la figure du "Grand Adjudicateur". La Chine antique, civilisation hydraulique, invente le terme "Shiu li", qui signifie "maîtrise des eaux". La discipline civilisationnelle naît de cette peur. La naissance des grands Etats et des Empires a presque toujours une motivation hydraulique. Si l'eau ne coule pas selon un rythme régulier et prévisible, disaient les sages chinois de l'antiquité, nous avons le chaos, voire la guerre civile, le pouvoir a le même rôle que le barrage. 

Du point de vue philosophique et anthropologique, Wittfogel se montre là disciple de Montesquieu et de Carl Ritter (cf. supra). Il analyse l'interaction entre l'homme et la nature et, réciproquement, entre la nature et l'homme. L'étude de cette interaction fonde le véritable matérialisme intellectuel, politique et historique, tel que Marx l'avait compris personnellement, au contraire de bon nombre de ses disciples.  La géopolitique est une discipline qui s'occupe de ces interactions. C'est sans doute pour cette raison que Wittfogel a été le seul à l'avoir abordée dans le cadre de l'Ecole de Francfort. Est-ce un héritage de son ascendance paysanne, de ses origines rurales, est-ce une influence du Wandervogel et du discours de Ludwig Klages, véritable texte fondateur de l'écologie moderne, prononcé sur le sommet du Hoher Meißner en 1913, au solstice d'été? Une analyse plus fouillée du passé de Wittfogel nous l'apprendra sans doute un jour. En 1928, cet intérêt matérialiste et marxiste pour la géopolitique se concrétise dans un ouvrage intitulé Geopolitik, geographischer Materialismus und Marxismus
 

L'exemple des Indiens Pueblo, Zuni et Hopi

 Wittfogel met donc en exergue une question anthropologique fondamentale. La maîtrise des eaux fonde l'Etat. Mais comment naît cette irrigation, base des Etats, des empires et des aires civilisationnelles? Le premier stade est celui de l'étang où vont s'abreuver les animaux domestiques. Le clan qui l'utilise doit en garder les abords, en ménager l'écosystème. Eventuellement creuser des chenaux pour irriguer des plantations. Aux Etats-Unis, Wittfogel compulse les études sur les Indiens Pueblo, Zuni et Hopi qui montrent très bien la Volkswerdung  [le "devenir-peuple"] de ces ethnies améridiennes au départ d'une maîtrise des eaux de leur territoire. Ces études démontrent que des clans épars parviennent, à un certain moment de leur histoire, à maîtriser à leur échelle les eaux courantes et stagnantes, les sources et les nappes phréatiques de leur territoire, tout en gardant une dimension vernaculaire. 

Dans le bassin du Rio Grande del Norte, les clans s'associent, forment des tribus qui, ensemble, deviennent peuples. Ce devenir s'accompagne toujours d'un système de défense, de plus en plus élaboré, contre ceux qui veulent bouleverser l'ordre irrigateur, couper les approvisionnements ou en profiter indûment.
 

Travaux d'irrigation et corvée 

 La Chine, explique alors Wittfogel, a connu aux aurores de son histoire une évolution similaire à celle que les ethnologues ont pu observer chez les Amérindiens du bassin du Rio Grande del Norte. Au départ, la Chine présente une mosaïque éparse de tribus, de villages, de clans autonomes (elle y retombe parfois, comme dans les périodes où règnent, à l'échelon provincial, voire vernaculaire, les chefs de guerre, les warlords). L'unification des micro-entités chinoises se fera sous l'égide d'une élite technicienne qui va gérer les grands fleuves. Pour le premier Wittfogel libertaire, comme pour le dernier Wittfogel anti-communiste, l'avènement progressif de cette élite à des côtés négatifs, car elle implique la mobilisation par coercition de tous les bras disponibles pour les grands travaux de nature hydraulique. Dans les concentrations de masse, la promiscuité des ouvriers recrutés provoque des épidémies, comme la présence d'un ver qui ira jusqu'à affecter 90% de la population chinoise. Ce jugement négatif sur la mobilisation des forces de travail, Wittfogel le déduit de sa lecture d'un sociologue français du 19ième siècle, Julien Barois, spécialiste de l'histoire de la corvée. 

Pour le Wittfogel des années 20 et 30, qui accepte le communisme, cette mobilisation a des aspects positifs car elle permet le développement des sciences: l'astronomie, les mathématiques, l'architecture, la géographie (Yves Lacoste en parle dans ses travaux sur les premiers cartographes des armées impériales chinoises). Wittfogel étudie également les aspects mythologiques de cette maîtrise des eaux: les figures d'Osiris et d'Hapi en Egypte, divinités du Nil, que la figure de Ninurta en Mésopotamie et que la divinisation du Gange en Inde. En Europe, il y a abondance d'eau et les fleuves sont plus paisibles qu'en Chine, d'où les formes d'hydraulisme politique sont moins despotiques. La démocratie optimale s'installe toujours là où il y a abondance facile d'eau, comme en Suisse par exemple. 
 

Civilisation chinoise, civilisation de grands travaux

 Revenons à la corvée (et aux thèses de Julien Barois, approfondies par Wittfogel). La corvée est d'abord imposée pour les travaux d'irrigation, puis pour les barrages, ensuite pour les routes, les fortifications (Muraille de Chine), enfin pour les bâtiments de prestige (pyramides et zigourats). La Chine fait ainsi creuser ses premiers canaux à partir de 581 avant J.C. L'éclosion et le maintien de la civilisation chinoise antique dérive d'une maîtrise du Fleuve Jaune (Huang Ho) ou plutôt d'une lutte contre ses cruels caprices. Ce fleuve a tué des millions d'hommes et les récentes inondations en Chine ne sont qu'un épisode de plus dans l'histoire épouvantable de ses crues et décrues. 

Les études de Wittfogel sur la civilisation chinoise, civilisation de grands travaux, qui ont d'abord été hydrauliques, l'ont amené à poser la question: la Chine est-elle intrinsèquement despotique ou non? La réponse de Wittfogel est mitigée, quoique le Wittfogel communiste des années 20 (qui ne critique pas encore le totalitarisme) a eu tendance à répondre "non", tandis que le Wittfogel anti-totalitaire, anti-nazi et anti-communiste répondrait plutôt "oui" et verrait en cette Chine "hydraulique" la matrice des systèmes politiques coercitifs ultérieurs. Dans sa pensée, la Chine oscille toutefois entre confucianisme et taoïsme. Le confucianisme implique une discipline sévère, tandis que le taoïsme (avec le Tao Te King de Lao Tse), préconise aux gouvernants d'"être comme l'eau", souples et insinuants. Conclusion de Wittfogel, par la présence de ce taoïsme, la Chine se montre finalement moins centralisée, donc moins despotique, que l'Egypte ou les entités étatiques mésopotamiennes. 
 

Les travaux de la "Tennessee Valley Authority"

 Dans les années 30, où les simplifications militantes tenaient le haut du pavé, on aurait pu créer facilement une dichotomie propagandiste sur base des travaux de Wittfogel, en posant l'équation: sociétés hydrauliques = sociétés totalitaires; tandis que les sociétés non hydrauliques auraient été par définition considérées comme démocratiques et libérales. Wittfogel constatera, peu après avoir débarqué aux Etats-Unis, destination de son exil, qu'un grand projet hydraulique était en train d'y être réalisé, sous l'égide de la "Tennessee Valley Authority". Les Etats-Unis, champions de l'idéal démocratique de facture libérale, étaient eux aussi une puissance hydraulique. Jusqu'alors les Etats-Unis n'avaient été qu'une puissance incomplète. Ils étaient devenus "bi-océaniques" (avec façade sur l'Atlantique et le Pacifique) vers la moitié du 19ième siècle. La liaison transcontinentale par chemin de fer avait englouti des fortunes colossales pour un résultat mitigé. Avant la première guerre mondiale, les Etats-Unis étaient fortement endettés et tout laissait croire à leur déclin inéluctable. Après 1918, les Etats européens, surtout la France et l'Angleterre, étaient leurs débiteurs. Mais la nécessité s'imposait de mieux organiser le territoire américain: pour cela il fallait aménager le bassin du Mississipi. Une bonne partie des gains engrangés pendant la première guerre mondiale furent destinés au projet hydraulique de la "Tennessee Valley Authority". 

Les années de 1920 à 1940 ont été pour les Etats-Unis deux décennies de grands travaux d'aménagement, où les principes du libéralisme démocratique pur ont été légèrement battus en brèche. Burnham parle d'une "ère des directeurs", où le décisionnisme des décideurs prend le pas sur les discussions parlementaires de l'ère libérale classique, tant en Europe, avec le fascisme et le national-socialisme, qu'en URSS, avec les planifications staliniennes, ou qu'aux Etats-Unis. Lawrence Dennis réclame, à la même époque, un isolationnisme continental, pan-américain, qui se donnerait pour but d'organiser rigoureusement le continent en suivant, pour ce faire, une logique autoritaire. Mais Dennis, contrairement à Roosevelt, veut une autarcie continentale sans la guerre, sans interventions hors de l'espace américain. Les opposants libéraux à Roosevelt stigmatisent le "césarisme rooseveltien", qui ne réussit que partiellement son projet de ré-aménagement complet du territoire, les traditions libérales classiques jouant le rôle de frein, alors qu'en Europe occidentale et en URSS, ces freins avaient été balayés, permettant un despotisme capable d'asseoir vite la modernité technique et industrielle, de changer d'échelle. Parce que les institutions libérales américaines sont plus solides et rendent impossible un despotisme absolu à la Staline ou une dictature à la Hitler, Roosevelt doit donc susciter une "injection de conjoncture", pour obtenir les fonds nécessaires à l'achèvement de cet ensemble de macro-projets. Raison pour laquelle il prépare très tôt les guerres contre l'Allemagne et le Japon. L'objectif intérieur de cette double guerre extérieure a donc été de financer l'irrigation définitive du Middle West et de l'Ouest.
 

L'irrigation nord-américaine fait des Etats-Unis le grenier à blé du monde

 La démocratie américaine, selon les opposants à Roosevelt, est donc une démocratie déguisée, qui met au pas le Congrès et la Cour Suprême et jugule l'opposition populiste. Avec Roosevelt émerge la méga-machine, collusion entre le pouvoir et les grands trusts industriels, dénoncée par Lewis Mumford, puis, plus tard en Europe, par l'écologiste et dissident est-allemand Rudolf Bahro. 

Mais ces entorses au fonctionnement libéral traditionnel de la démocratie américaine a permis la politique des grands travaux, dont les Etats-Unis avaient besoin pour consolider leur base nationale, réquisit indispensable à leur politique mondialiste (disaient-ils du temps de Roosevelt), globaliste (disent-ils aujourd'hui). L'irrigation américaine, surtout dans le bassin du Mississippi, la construction de barrages dans l'Ouest, ont permis aux Etats-Unis d'être le grenier à blé de l'humanité et d'assurer ainsi leur domination sur l'Europe, l'ex-URSS (et, partant, la Russie actuelle) et l'Afrique, que guettent toujours d'atroces famines. Je rappelle souvent la parole d'Eagleburger: "Food is the best weapon in our arsenal" ("L'alimentation est la meilleure arme de notre arsenal"). Toutes les querelles euro-américaines autour des politiques agricoles dérivent d'une volonté américaine de conserver coûte que coûte le leadership en ce domaine et de limiter, autant que possible, l'autonomie alimentaire européenne. La guerre du soja, sans doute les crises de la vache folle, la querelle des pâtes, l'imposition de normes, la tentative de submerger l'Europe sous des flots d'immigrés qui mangent ses réserves, etc sont autant d'aspects de cette guerre euro-américaine qui a commencé avec Roosevelt, culminé avec la deuxième guerre mondiale! et qui est loin d'être terminée. 

Connaissant parfaitement la puissance que confère une bonne maîtrise des voies fluviales, les Etats-Unis  - que Carl Schmitt nommait les "retardateurs de l'histoire" -  cherchent à freiner, enrayer ou saboter la maîtrise chez les autres des voies fluviales. Nous avons assisté ainsi à une manipulation des milieux écologistes et "souverainistes" français, tendance sociale-démocrate ou néo-gaulliste, pour freiner la liaison entre les bassins du Rhin, du Rhône et du Danube. Nous avons ensuite assisté, impuissants, écervelés par les discours médiatiques qui ne sont que les échos de CNN, donc du Pentagone et de ses services de diversion, au bombardement des ponts du Danube à Belgrade et à Novi Sad, sous prétexte de punir un certain Milosevic. Jupiter rend aveugles et fous, ceux qu'il veut perdre. 
 
 

Robert STEUCKERS, Forest, juillet 2000. 
Bibliographie:
 
  1. Gary L. ULMEN, The Science of Society. Toward an Understanding of the Life and Work of Karl August Wittfogel, Mouton Publishers, The Hague/Paris/New York, 1978. 
  2. Karl A. WITTFOGEL, Oriental Despotism. A Comparative Study of Total Power, Vintage Books/Random House, New York, 1981 (reprint de la première édition de 1957).
  3. Donald WORSTER, "Water, Aridity and the Growth of the American West", introduction to Rivers of Empire: Water, Aridity and the Growth of the American West, Oxford University Press, Oxford/New York, 1985 (pp. 19-61). Ce texte fondamental, très clair et didactique, peut se lire sur la grande toile: http://www.cudenver.edu/stc-link/weblink/water/materials/...


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