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samedi, 27 janvier 2007

Sur Guy Debord

Hommage à Guy Debord : à propos d'une réédition

par Pascal Garnier

Le fondateur de l'Internationale Situationiste qui se donnait pour but rien de moins que de “renverser le monde” s'est donné la mort à l'automne dernier. Nous, qui partageons avec lui cette même haine du système, devons accorder notre attention à Guy Debord qui a su bâtir une œuvre délibérément en dehors des sentiers battus. Fait paradoxal, alors qu'il a passé son temps à dénoncer le système, on n'a jamais autant parlé de lui que maintenant: réédition de ses livres, articles de presse, émissions de télévision et de radio... Il n'aurait sans doute jamais imaginé un pareil posthume tapage médiatique autour de sa personne. Bref Guy Debord intrigue. Justement au moment même ou le système médiatique semble donner quelques signes d'essoufflement (baisse de l'audience de la télévision) et ou celui-ci semble s'entrouvrir bien malgré lui aux idées politiquement incorrectes (voir l'affaire Garaudy et ses rebondissements avec l'Abbé Pierre), les éditions Folio ont eu l'idée opportune de rééditer son œuvre la plus connue qui a précédé les évènements de mai 1968: La société du spectacle. Ce livre d'une densité extrême a eu le mérite de faire figure d'anticipateur.

Dans un premier temps, il s'ouvre sur une critique du système médiatique dont, pour nous, il est primordial de dénoncer la perversité puisqu'il est: “la justification totale du systême existant” que nous combattons, “devenu en soit conception du monde”. L'émergence de ce type de société a été permise par la première phase de l'économisme qui a favorisé la dégradation de l'être en avoir, la deuxième phase étant l'aboutissement de celle-ci par le glissement généralisé de l'avoir en paraître. Cet ordre s'est établi et perdure grâce à “une reconstruction matérielle de l'illusion religieuse” ou le peuple se complet dans un désir de dormir, “le spectacle étant le gardien de ce sommeil”, “monologue élogieux de l'ordre présent”, univers doux et aseptisé du grand hospice occidental où l'histoire se retire comme d'une marée dont on a peur. D'ailleurs, les développements sur les rapports entre religion et conception de l'histoire rejoignent les analyses d'un Cioran, celui d'Histoire et utopie, laissant entrevoir un capitalisme unifié mondialement, régulé par les média, le village global de MacLuhan en quelque sorte.

Cette fin de l'histoire annoncé par Fukuyama permettrait à ces foules solitaires de se contenter de suivre éternellement sur leurs écrans: “les fausses luttes des formes spectaculaires du pouvoir”, l'alternance programmée entre la gauche et la droite pour ne citer qu'un seul exemple ainsi que d'avoir “le faux choix de l'abondance par la juxtaposition de spectacles concurrentiels et solidaires”: Arthur, Dechavanne et Delarue pour aller au plus simple.

Les autres formes d'évolution sociales n'ont été selon Debord permises que par l'émergence de cette société du spectacle. Celles-ci encouragent au sein de nos sociétés la primauté de l'économique sur le politique, la supériorité du quantitatif sur le qualitatif, le fétichisme de la marchandise, l'atomisation de la société, notamment grâce à une technologie omniprésente isolant le sujet sur sa machine (thème repris par la suite par des gens comme Baudrillard ou Faye), l'existence, à côté d'un capitalisme sauvage, d'un socialisme bureaucratique et policier qui aboutit à une prolétarisation du monde. De la sorte, nous aboutissons à une nouvelle forme d'organisation sociale, la nôtre, individualiste et égalitariste, où le boom du tertiaire et de la communication mène à “la logique du travail en usine qui s'applique à une grande partie des services et des professions intellectuelles”. Cet univers concentrationnaire de la tertiarisation, version moderne de la mine (mais une mine propre) permet un renforcement de la société capitaliste. Et ceci en acceptant qu'une part croissante de la population soit sous-employée et en tolérant ce que Guy Debord nomme “une nouvelle forme de lutte spontanée: la criminalité”. Tous ces processus depuis 30 ans se sont largement amplifiés.

Aussi, cette critique de notre société qui se veut de gauche, par bien des aspects, fait penser aux conclusions d'un Guénon ou d'un Evola. Notons cependant parfois une phraséologie marxiste qui semble céder à la mode de son époque (nous sommes dans les années 60) et qui paraît désuète aujourd'hui. Sachons également qu'il existe dans ce texte un oubli de taille: la dénonciation de la destruction de l'environnement qui elle, interviendra un peu plus tard dans Commentaires de la société du spectacle. Insistons également sur un fait où l'auteur se trompe (et c'est sans doute ce qui rend un caractère si pessimiste à son œuvre), c'est sa vision fausse de la paysannerie, qui est pour lui l'“inébranlable base du despotisme oriental”. Ce n'est sans doute pas une quelconque révolution prolétarienne (à laquelle Debord ne croit d'ailleurs justement pas) mais au contraire un réenracinement dans les valeurs immémoriales et universelles du sang et du sol que les hommes trouveront leur salut et leur épanouissement. Sans doute le fils nanti d'industriels cannois n'a-t-il pas eu l'occasion de découvrir les milieux simples des gens enracinés. Nous comprenons son mépris pour son milieu d'origine et pour la vaste poubelle parisienne où il a passé le plus clair de son existence. Sa critique du système est très lucide mais nous, nous proposons une vraie alternative aux échappatoires alcooliques des bistrots parisiens où il s'est abîmé. C'est celle du réenracinement du Maître des abeilles de Henri Vincenot, de L'Eveil de la glèbe  de Knut Hamsun ou du monde artisanal de La gerbe d'or  d'Henri Béraud.

Mais cela n'enlève rien à la pertinence de Debord dans les 221 paragraphes biens distincts de son texte: dans sa préface, datant de juin 1992, il parle ainsi des déçus de mai 1968: «Les pires dupes de cette époque ont pu apprendre depuis, par les déconvenues de toute leur existence ce que signifiait la "négation de la vie qui est devenue visible", "la perte de la qualité" liée à la forme-marchandise et la prolétarisation du monde». Sûr de lui jusqu'au bout, il écrit: «Une telle théorie n'a pas à être changée, aussi longtemps que n'auront pas été délimitées les conditions générales de la longue période de l'histoire que cette théorie a été la première à definir avec exactitude». Il n'y a rien à ajouter.

Pascal GARNIER.

Guy DEBORD, La société du spectacle, Folio n° 2788, mars 1996., 27 FF.

 

 

 

 

 

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jeudi, 25 janvier 2007

Le "Machiavel" de Valeriu Marcu

Günter MASCHKE:

Le "Machiavel" de Valeriu Marcu

Certains écrivains ont connu le succès, mais ils ont injustement été oubliés par la postérité. Valeriu Marcu (1899-1942), auteur de best-sellers sous la République de Weimar entre 1927 et 1933, est l'un de ces cas. Amis d'hommes aussi différents les uns des autres que Willy Münzenberg, Paul Levi, Fritz Brupbacher, Heinrich Mann, Gottfried Trevinarus, le Général von Seeckt et Ernst Jünger, “ce petit Juif ex­traordinairement intelligent, qui avait joué un rôle dans la Révolution hongroise de Bela Kun et, à seize ans, avait fait le pélérinage à Zürich pour rencontrer Lénine, ... fut l'un des meilleurs analystes de notre temps” (E. Jünger, Jahre der Okkupation, 7 au 10 mai 1945). Après un engagement politique précoce et intense, Marcu a opté pour le rôle de l'observateur. Nous lui devons, outre de nombreux articles, des livres pénétrants comme Lenin - 30 Jahre Rußland (1927); Das große Kommando Scharnhorst (1928); Die Geburt der Nation - Von der Einheit des Glaubens zur Demokratie des Geldes  (1931). L'historien méticu­leux trouvera dans ces livres des erreurs, des approximations et des mythologisations, mais il n'empêche qu'ils montrent le politique dans toute sa mobilité dramatique, qu'ils saisissent les aspects de la psycho­logie individuelle et de la psychologie de masse dans la lutte pour le pouvoir avec une froideur et une sé­rénité devenues rares à notre époque de moralisme fébrile et tapageur.

En 1933, Marcu quitte l'Allemagne et prend le chemin de l'exil, d'abord à Nice, ensuite à New York en 1941 où, à peine arrivé, il décède inopinément. Cet homme a passé sa vie en errant et en louvoyant entre toutes les chapelles, y compris celles des émigrés organisés, dont Marcu a jugé les publications avec une sévérité sans pareille, notamment dans une lette adressée à Trevinarus le 6 février 1938 (cf. “Marcus Briefe” in Der Pfahl, 1991, pp. 85-133). Mais le fruit le plus savoureux et le mieux mûri de ces années d'amertume est sans conteste son Macchiavelli, paru en 1937 à Amsterdam chez Allert de Lange. Aujourd'hui, l'éditeur Matthes & Seitz (Munich) nous en offre une reproduction anastatique.

L'objectif de Marcu, dans son Macchiavelli, est “d'examiner les éléments impassables de la dictature, c'est-à-dire ces éléments qui n'ont rien à voir avec la dictature proclamée ou la non-dictature” (Lettre à Ernst Jünger, 25 septembre 1935). Certes, après lecture du livre, on peut se demander si ce projet a abouti... “Dictature”, cela peut également vouloir dire (un certain type d') “Etat”, peut aussi vouloir dire Institution, état (au sens de situation), armature du pouvoir. Le livre de Marcu traite du jeu dange­reux et hypocrite de la politique  —ce qui nous apparait bien plus approprié dans le cas de Machiavel—  au temps des villes-Etats italiennes, quand il s'agissait de forger des alliances ou de trahir son partenaire, traite des grands moments de la politique, où l'ennemi apparaît en toute clarté, ou des moments les plus angoissants, où règnent renards et corbeaux, où l'on simule et l'on dissimule, quand l'illusion de la paix menace directement les petites républiques et les villes-Etats qui croient avoir découvert la recette de l'infinitude des échanges de marchandises.

Les porteurs du politique sont, chez Marcu, essentiellement les personnes, qu'elles soient des princes, des capitaines de cité, des Papes ou des condottieri; l'ancien marxiste Marcu n'oublie pas pour autant la clientèle politique de ces personnages et leurs intérêts de classe. Le tour de force de Marcu réside dans son aptitude à croquer des profils psychologiques, qu'il s'agisse de Lorenzo de Medicis ou de César Borgia, de Catherine Sforza ou de Léon X, de Savonarole ou des porte-paroles très fatigués, tout prêts à faire la paix à n'importe quel prix, si avides d'argent, de quelques magistrats isolés. Mais jamais Marcu ne laisse planer le doute: ce vaste échiquier diplomatique avec ses éruptions de violence ou ses fuites dans la violence ne peut exister que parce que l'Italie est impuissante; et c'est pourquoi Marcu met bien la haine de Machiavel en exergue, une haine dirigée “contre tous les disciples de cette antique violence, qui ne s'ancre dans aucun Etat”.

Le “machiavelisme” de ceux qui agissent dans cette fresque esquissée par Marcu n'est pas encore une “raison d'Etat”, car l'Etat est encore trop éloigné d'eux. Mais le constat de ce terrible jeu de ruse et de perfidie, d'illusion et d'intrigue, de roublardise stupide et d'avidité intense mais limitée, est le constat qui transforme Machiavel en penseur de l'Etat. Machiavel, en effet, pense l'Etat italien unifié, capable de re­pousser hors de ses frontières les barbares étrangers. En suivant cette logique, Marcu a tendance à su­restimer la personnalité de Machiavel, son importance en tant que diplomate ou qu'organisateur de la mi­lice de Florence.

Ce qui agace le lecteur, c'est que Marcu, dans son livre, ne cesse d'éviter les dates: quand, par exemple, ont eu lieu les affrontements militaires entre Florence et Pise? Quand Machiavel a-t-il rencontré à Bozen/Bolzano l'Empereur Maximilien? Le livre de Marcu n'est pas un livre d'histoire ou d'historiographie mais un gigantesque gobelin multicolore, sur lequel semblent s'agiter de nombreuses figures actives, agissantes, qui se trompent et se mentent mutuellement. La trame s'y perd dans une sorte de pointillisme. Un observateur de l'époque l'aurait peut-être aussi perçue de cette façon. D'une époque mouvementée, il nous reste effectivement toujours l'impression d'un mouvement incessant, d'une énergie inépuisable, d'une absence totale de scrupules, d'une fébrilité et d'une avidité chez des individus qui s'accrochent dé­sespérément aux basques du manteau de Dame Fortune. Chez ces hommes, in imo pectore, une lutte fait rage et elle trouve son terrain de concrétisation dans le “monde extérieur”. Ce gobelin n'est peut-être pas toute la renaissance, dont la seule réalité est ici l'individu, et l'ombre apaisante de Jacob Burckhard pourra tomber aussi souvent qu'elle le veut sur ce livre, dont l'auteur surestime le sens du réel chez ses héros et oublie que l'œuvre de Machiavel contient une forte dose d'esthétisme et de style; Guichardin (Guicciardini) est supérieur quand il s'agit de procéder à une analyse concrète de la situation. Cela, il faut le savoir. Mais la réalité est là quand l'impressionant talent de Marcu s'exprime dans des phrases souvent bien balancées: “Tout pouvoir juste doit avoir la possibilité de se laver les mains en toute innocence”. Ou: “Comme Piero Medici n'existait plus, on n'avait plus besoin de son ami Savonarole”. Ou encore: “La ré­volte de Pise est la révolte imprévue d'un musée, où le souvenir s'est mué en volonté et en action”. Ou: “Cette politique, qui pourrait servir de paradigme de fausseté et de duplicité, n'est que la preuve d'une grande faiblesse”. Enfin: “Toute société qui perd la volonté de tuer avec légèreté de cœur, doit, indépen­damment de la fausseté ou de la justesse de la politique qu'elle mène, tomber en décadence. Les formes sophistiquées de production, l'intensité des communications en économie, le raffinement des arts, de la philosophie et de la poésie, si elles contribuent à faire disparaître les vertus barbares au lieu de les atti­ser, privent la communauté de toute base territoriale”.

De telles visions, de tels constats aussi laconiques, fourmillent dans le livre de Marcu. Ils composent en bout de course un florilège machiavelien original: celui d'un écrivain qui a perdu toutes ses illusions, mais dont le miroir, comme celui de son modèle florentin, jettent trop souvent d'aveuglants reflets. Mais mieux vaut trop d'éclat que pas d'éclat.

 

Günter MASCHKE.

Valeriu MARCU, Machiavelli. Die Schule der Macht, Matthes & Seitz, München, 1994, 380 S., DM 46, ISBN 3-88221-795-2.

 

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mercredi, 24 janvier 2007

Vladimir Volkoff sur la désinformation

Les leçons de Vladimir Volkoff sur la désinformation
Intervention de Philippe Banoy lors de la 10ième Université d’été de “Synergies Européennes”, Basse-Saxe, août 2002

http://www.hautes-tensions.com/documents/les_lecons_de_vladmir_volkoff.html

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mardi, 23 janvier 2007

Sobre a Revoluçao Conservadora (port.)

Robert Steuckers

Sobre a Revolução Conservadora

Quando o termo «Revolução Conservadora» é usado na Europa é sobretudo no sentido que lhe deu Armin Mohler no seu famoso livro «Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932». Mohler apresentou uma longa lista de autores que rejeitaram os pseudo-valores de 1789( desprezados por Edmund Burke como meros «blue prints»), exaltaram o papel do «germanismo» na evolução do pensamento europeu e recolheram a influência de Nietzsche. Mohler evitou, por exemplo, conservadores puramente religiosos, fossem católicos ou protestantes. Para Mohler a marca essencial da «Revolução Conservadora» era uma visão não linear da História. Mas ele não toma simplesmente a visão cíclica do tradicionalismo. Depois de Nietzsche, Mohler acredita numa concepção esférica da História. O que significa isto? Isto significa que a História não é simplesmente uma repetição dos mesmos padrões com intervalos regulares nem um caminho recto que conduza à bem-aventurança, ao fim da História, ao paraíso na terra, à felicidade, etc., mas que se assemelha a uma esfera que pode girar (ou ser empurrada) em todas as direcções, de acordo com os impulsos que receba de fortes personalidades carismáticas. Tais personalidades carismáticas dirigem o curso da História através de algumas vias muito particulares, vias que não estão previamente fixadas pela mão da providência. Neste sentido, Mohler nunca acreditou em doutrinas políticas universalistas mas sempre em tendências particulares e pessoais. Tal como Jünger, queria lutar contra tudo o que fosse «geral» e apoiar tudo o que fosse «particular».Mais, Mohler expressou a sua visão das dinâmicas particulares usando o algo invulgar termo «nominalismo».Para ele, «nominalismo» era a expressão que melhor indicaria como as personalidades fortes seriam capazes de abrir novas e originais vias para si e seus seguidores na floresta da existência.

As principais figuras do movimento foram Spengler,Moeller van den Bruck e Ernst Jünger ( e o seu irmão, Friedrich-Georg).Podemos acrescentar a este triunvirato os nomes de Ludwig Klages e Ernst Niekisch. Carl Schmitt, como advogado católico e constitucionalista, representa outro aspecto importante da chamada «Revolução conservadora».

Spengler ficará como o autor de um brilhante fresco das civilizações mundiais que inspirou o filósofo britânico Arnold Toynbee. Spengler falou da Europa como civilização fáustica, melhor representada nas catedrais góticas, a intersecção da luz e das cores dos vidrais, as tormentas de neve com nuvens brancas e cinzentas de muitas pinturas holandesas, inglesas e alemãs. Esta civilização é uma aspiração da alma humana face à luz e ao auto-compromisso. Outra importante ideia de Spengler é o conceito de «pseudo-morfose»:Uma civilização nunca desaparece completamente depois de uma decadência ou uma conquista violenta. Os seus elementos passam à nova civilização que lhe sucede e formatam-na em direcção a caminhos originais.

Moeller van den Bruck foi o primeiro tradutor alemão de Dostoievski. Deixou-se influenciar profundamente pelo diário de Dostoievski, que continha severas críticas ao Ocidente. No contexto alemão, depois de 1918, Moeller van den Bruck advogava, com base nos argumentos de Dostoievski, uma aliança russo-germânica contra o Ocidente. Como podiam os respeitáveis cavalheiros alemães, com uma imensa cultura artística, mostrar-se a favor de uma aliança com os bolcheviques? Os seus argumentos foram os seguintes: durante toda a tradição diplomática do século XIX a Rússia foi considerada o escudo da reacção contra todas as repercussões da Revolução Francesa e contra a mentalidade e modos revolucionários. Dostoievski, enquanto antigo revolucionário russo que mais tarde admitiria que a sua opção revolucionária fora um erro, considerava mais ou menos que a missão da Rússia no mundo era apagar na Europa o rasto das ideias de 1789.Para Moeller van den Bruck a revolução de Outubro de 1917 foi apenas um cambio de vestes ideológicas: A Rússia continuava a ser, apesar do discurso bolchevique, o antídoto à mentalidade liberal do Ocidente. Derrotada, a Alemanha deveria aliar-se a esta força anti-revolucionária para se opor ao Ocidente, que aos olhos de van den Bruck, é a encarnação do liberalismo. O liberalismo, expressa Moeller van den Bruck, é sempre a doença terminal dos povos. Após algumas décadas de liberalismo um povo entrará inexoravelmente numa fase de decadência final.

O caminho seguido por Ernst Jünger é sobejamente conhecido. Começou como um ardente e galante jovem soldado na primeira guerra mundial, saindo das trincheiras sem qualquer pistola, apenas com uma granada de mão, manejada com a mesma elegância com que um típico oficial britânico usava a chibata. Para Jünger, a primeira guerra mundial foi o fim do pequeno mundo burguês do século XIX e da «Belle Époque», onde toda a gente era «como devia ser», isto é, comportando-se de acordo com normas estabelecidas por professores ou sacerdotes, exactamente como hoje temos de nos comportar de acordo com as auto-proclamadas regras da «correcção política». Debaixo das «tempestades de aço» o soldado podia afirmar a sua insignificância, o seu mero ser biológico, mas esta afirmação não podia, a seu ver, levar a um pessimismo inepto, ao medo e desespero. Havendo experimentado o mais cruel dos destinos nas trincheiras, debaixo do bombardeamento de milhares de armas de artilharia que sacudiam a terra, vendo tudo reduzido ao «elementar», o soldado de infantaria conheceu melhor que outros o atroz destino humano sobre a face da terra. Toda a artificialidade da vida civilizada urbana surgiu de repente como pura impostura. No pós guerra, Ernst Jünger e o seu irmão Friedrich-Georg, tornam-se os melhores escritores e jornalistas nacional-revolucionários. Ernst evoluiu para uma espécie de cínico, irónico e sereno observador da humanidade e dos factos da vida. Durante um bombardeamento sobre um subúrbio parisiense, onde as fábricas estavam a produzir material de guerra para o exército alemão, na segunda guerra mundial, Jünger ficou aterrorizado com a anormal rota aérea, recta, tomada pelas forças norte-americanas. A linearidade das rotas aéreas sobre Paris era a negação de todas as curvas e sinuosidades da vida orgânica. A guerra moderna implicou a destruição dos ondulantes e serpenteantes traços do orgânico. Ernst Jünger começou a sua carreira como escritor fazendo a apologia da guerra. Depois de haver observado os irresistíveis assaltos dos B-17 americanos ficou totalmente enojado pela falta de nobreza da forma puramente técnica de conduzir uma guerra. Depois da segunda guerra mundial, o seu irmão, Friedrich-Georg, escreveu o primeiro trabalho teórico que levaria ao desenvolvimento do novo pensamento alemão crítico e ecologista,«Die Perfektion der Technik»(A Perfeição da Técnica).A ideia principal deste livro, em meu entender, é a crítica da «conexão».O mundo moderno é um processo de intenções de conexão das comunidades humanas e dos indivíduos a grandes estruturas. Este processo de conexão destrói o princípio da liberdade. És um pobre operário acorrentado se estás conectado a uma grande estrutura, ainda que ganhes 3000 libras por mês, ou mais. És um homem livre quando estás completamente desconectado desses enormes tacões de aço. Em certo sentido Friedrich-Georg escreveu a teoria que Kerouac experimentou de forma não teórica escolhendo largar tudo e viajar, convertendo-se num cantante vagabundo.

Ludwig Klages foi outro filósofo da vida orgânica contra o pensamento abstracto. Para ele a principal dicotomia era entre Vida e Espírito(Leben und Geist).A vida é esmagada pelo espírito abstracto. Klages nasceu no norte alemão mas migrou enquanto estudante para Munique, onde passou o seu tempo livre nos pubs de Schwabing, local onde artistas e poetas se encontravam( ainda hoje).Tornou-se amigo do poeta Stefan Georg e um estudante da figura mais original de Schwabing, o filósofo Alfred Schuler, que acreditava ser a reencarnação de um antigo colono romano nas terras do Reno. Schuler tinha um genuíno sentido teatral. Disfarçava-se com a toga de um imperador romano, admirava Nero e montava peças evocativas do antigo mundo grego ou romano. Mas para além da sua faceta fantasiosa, Schuler adquiriu uma importância cardinal na filosofia desenvolvendo, por exemplo, a ideia de «Entlichtung», ou seja, o gradual desaparecimento da Luz desde o tempo das antigas cidades-estado da Grécia ou Roma. Não há progresso na História: Pelo contrário, a Luz está a desaparecer como a liberdade do cidadão para definir o seu próprio destino. Hanna Arendt e Walter Benjamin, na esquerda e no campo conservador-liberal, foram inspirados por esta ideia e adaptaram-na para audiências diferentes. O mundo moderno é o mundo da completa escuridão, com pouca esperança de encontrar períodos «iluminados» novamente, excepto se personalidades carismáticas, como Nero para Schuler, dedicadas à arte e a um estilo de vida dionisíaco, marcassem uma nova era de esplendor que duraria apenas o tempo abençoado de uma primavera. Klages desenvolveu as ideias de Schuler, que nunca escreveu um livro completo, depois da morte deste em 1923 devido a uma cirurgia mal conduzida. Klages, pouco antes da primeira guerra mundial, pronunciou um famoso discurso na colina Horer Meissner, na Alemanha Central, para os movimentos da juventude (Wandervogel).Este discurso teve o título de «Homem e Terra» e pode ser visto como o primeiro manifesto orgânico de ecologia, com uma clara e compreensível, mas sólida, base filosófica.

Carl Schmitt começou a sua carreira como professor de direito em 1912 e viveu até à respeitosa idade de 97 anos. Escreveu o seu último ensaio aos 91.Não posso enumerar todos os pontos importantes do trabalho de Carl Schmitt neste espaço. Resumamos dizendo que Schmitt desenvolveu duas ideias principais, a de decisão na vida política e a de «Grande Espaço». A arte de moldar a política em geral ou uma boa política em particular está na decisão, não na discussão. O líder tem de decidir para liderar, proteger e desenvolver a comunidade política de que está à frente. A decisão não é ditadura como diriam hoje em dia muitos liberais na nossa era do «politicamente correcto».Pelo contrário, uma personalização do poder é mais democrática, no sentido que um rei, um imperador ou um líder carismático é sempre um mortal. O sistema que ele eventualmente imponha não é eterno, já que ele está condenado a morrer como qualquer ser humano. Um sistema nomocrático, ao invés, procura eternizar-se, mesmo se os acontecimentos correntes e inovações contradizem as suas normas ou princípios.O segundo grande tópico no trabalho de Schmitt é a ideia de Grande Espaço Europeu (Grossraum). As forças externas devem ser impedidas de interferir nesse Grande Espaço.Schmitt queria aplicar à Europa o mesmo princípio simples que animava o presidente norte-americano Monroe. A América aos americanos.Ok, dizia Schmitt, mas apliquemos a ideia de Europa aos europeus. Schmitt pode ser comparado aos «continentalistas» americanos, que criticaram a intervenção de Roosevelt na Europa e na Ásia. Os latino-americanos também desenvolveram similares ideias continentalistas, tal como os imperialistas japoneses. Schmitt deu a esta ideia de Grossraum uma forte base jurídica.

Niekisch é uma figura fascinante no sentido em que começou a sua carreira como líder comunista no «Conselho da República da Baviera» de 1918-19, que foi destruído pelos Freikorps de von Epp, von Lettow-Vorbeck, etc. Obviamente Niekisch ficou desapontado pela ausência de uma visão histórica entre o trio bolchevique na Munique revolucionária (Lewin, Leviné, Axelrod).Niekisch desenvolveu uma visão euroasiática, baseada na aliança entre a União Soviética, a Alemanha, a China e a Índia. A figura ideal que deveria ser o motor humano desta aliança seria o camponês, adversário da burguesia ocidental. Um certo paralelo com Mao Tse-Tung surge aqui evidente. Nos jornais que Niekisch editou descobrimos todas as tentativas alemãs de apoiar movimentos anti-britânicos ou anti-franceses nos impérios coloniais ou na Europa (Irlanda contra a Inglaterra, Flandres contra uma Bélgica francófona, nacionalistas hindus contra o Reino Unido, etc.).

Robert Steuckers

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G. Faye: Thorstein Veblen (esp.)

Thorstein Veblen
Más allá de la lucha de clases

 

Guillaume Faye

http://usuarios.lycos.es/INFOEUROPA/archivo46.html

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jeudi, 18 janvier 2007

Karl Wittfogel et les sociétés hydrauliques

Robert Steuckers

Karl A. Wittfogel: sociétés orientales, sociétés hydrauliques et despotisme oriental

Intervention de Robert Steuckers à la 8ième Université d'été de "SYNERGIES EUROPÉENNES", Gropello de Gavirate, été 2000


Pourquoi nous pencher aujourd'hui sur la biographie, l'oeuvre et le contexte de Karl August Wittfogel?

Trois raisons majeures nous ont poussés à parler de Karl August Wittfogel dans le cadre de cette huitième université d'été de "Synergies Européennes", qui, comme les universités précédentes, entend rouvrir le dossier de nombreux auteurs oubliés ou trop rarement évoqués dans le créneau culturel que nous nous sommes assigné. 

La première de ces raisons, c'est que Wittfogel est un grand sociologue germano-américain, à qui l'on doit des concepts importants comme ceux de «société orientale», de «société hydraulique» et de «despotisme oriental». 

La deuxième raison qui nous pousse à le redécouvrir et à l'étudier, c'est le double environnement culturel dont il est issu: d'une part, le mouvement de jeunesse des Wandervögel; d'autre part, le mouvement communiste allemand naissant, l'USPD, puis la KPD, pour aboutir, dans ce milieu marxiste, dans la fameuse "Ligue anti-impérialiste", espace de transition entre communistes du parti et mouvance nationale-révolutionnaire, en révolte contre l'Ouest. 

La troisième raison, enfin, est d'ordre théorique et philosophique. Wittfogel est un homme qui complète Marx d'une manière originale et féconde, comme nous allons le voir. Wittfogel met en exergue certaines sources importantes de la pensée de Marx, qui sont aussi les sources vives de notre propre démarche politique: 
- le relativisme culturel de Herder, 
- la pensée ancrée dans le temps, l'espace, le climat, le donné ethnique de Montesquieu, 
- la géographie de Carl Ritter, père de la cartographie moderne (cf. Robert Steuckers, "Carl Ritter", in: Encyclopédie des Oeuvres philosophiques, PUF, 1992; et "Aux sources de la géopolitique allemande: la vision de Carl Ritter", in: Vouloir, n°9-nouvelle série, 1997).
Wittfogel ajoute une touche rationaliste, propre des Lumières françaises, à ce triple corpus, en évoquant souvent le matérialisme de d'Holbach et d'Helvétius. L'objectif premier de Wittfogel est de mettre l'accent sur l'historicité des phénomènes, de tous les phénomènes, de façon à les dégager de la cangue des corpus figés, qui sont toujours les signes d'un blocage mental et les raisons d'une inertie politique conduisant au déclin.

En ce sens, Wittfogel perçoit le marxisme, son option philosophique, politique et révolutionnaire, comme un instrument qui va contribuer à «dé-coincer» les phénomènes, à les dégager des corsets conceptuels trop figés et trop étroits qui les soustraient au temps. Wittfogel, apparemment, ne s'aperçoit pas que le marxisme lui-même s'est rigidifié en dogmes, dès l'inclusion de la sociale-démocratie dans le paysage politique allemand avant 1914; le jeune Wittfogel, contrairement aux nationaux-révolutionnaires disciples de Sorel (y compris en Allemagne), ne retient pas la leçon de Roberto Michels, théoricien socialiste dissident, critique de la transformation de la SPD en une oligarchie politique fermée. Michels ironisait cruellement sur la Verbonzung, la Verkalkung et la Verbürgerlichung du socialisme, déjà avant que n'éclate la première guerre mondiale (ces termes polémiques allemands signifient, rappelons-le: bonzification, c'est-à-dire, domination progressive des «bonzes», artériosclérose et embourgeoisement).
 

Un intérêt réel pour la géopolitique 

Wittfogel réhabilite complètement le rôle de la géographie dans la pensée politique. Sa source principale d'inspiration, à ce niveau, est Montesquieu, qui s'est penché sur l'importance du climat. Wittfogel évoque aussi le sol, socle d'une production agricole précise, différentes selon le lieu et la population qui l'occupe. Wittfogel n'évacue pas les facteurs ethniques voire raciaux, en citant notamment Hippolyte Taine (et on sait, depuis les travaux de Zeev Sternhell, le rôle important de Taine dans l'éclosion et la consolidation de la "droite révolutionnaire" française). Wittfogel s'intéresse dès lors à la géopolitique de son temps: il cite tour à tour Richthofen, Kjellén, Ratzel, Haushofer, et, pour faire pendant à ces penseurs de l'espace classés plutôt dans le camp «révolutionnaire-conservateur», il évoque souvent l'Américaine Ellen Semple et l'Anglais J. F. Horrabin, tous deux d'obédience socialiste. Horrabin se déclare disciple du géographe français anarchisant, Elisée Reclus, tout comme un autre rénovateur actuel de la pensée géopolitique, Yves Lacoste, qui dérive ses propres intuitions de la géographie vivante de Reclus. 

Voici donc les raisons «scientifiques» qui doivent nous conduire à une relecture des écrits de Wittfogel. Mais, à part ces raisons «scientifiques», il y a des raisons très actuelles de ressortir les ouvrages de cet ancien Wandervogel passé au communisme allemand.
 

Maîtrise de l'eau et "sociétés hydrauliques"


 Ses réflexions sur les «sociétés hydrauliques» nous rappellent, de façon très réaliste, que le politique prend son envol par la maîtrise de l'eau: acquisition d'eau potable, irrigation permettant des cultures régulières, soustraites aux caprices de la nature, utilisation des voies fluviales pour permettre le transport de grandes quantités de marchandises. La maîtrise de l'eau est une donnée propre à toutes les sociétés organisées, fussent-elles les plus modestes. Elle implique toutefois une discipline collective, parfois coercitive, que l'on peut assimiler, notamment avec le jeune Wittfogel, à l'autoritarisme politique. 

La naissance des Etats et des empires, comme la Chine (Wittfogel se profile surtout comme un grand sinologue), l'Egypte ou la Mésopotamie, prouve la pertinence des thèses de Wittfogel. Mais celui-ci n'est pas seulement un historien des grandes puissances hydrauliques du passé, il ose faire des comparaisons et ramener sa théorie dans le présent. Il trace ainsi un parallèle entre ces grands empires de l'antiquité et les deux grandes puissances de son époque, l'URSS et les Etats-Unis. Dès l'avènement de Staline, l'URSS amorce de grands travaux «hydrauliques»: creusement de canaux, liaisons entre les grands fleuves (p. ex. le Don et la Volga), barrages, irrigations, etc. Grâce à ces travaux, l'URSS acquiert le statut de superpuissance et la Russie actuelle, en dépit du ressac épouvantable qu'elle subit aujourd'hui par l'application des thèses de Bzrezinski, pourrait réactiver ces atouts. Le stalinisme a été disciplinaire, coercitif ou autoritaire: c'est, selon Burnham, la version russe et soviétique de l'"ère des directeurs", propre des années qui ont immédiatement suivi la première guerre mondiale, tant en URSS que dans d'autres pays occidentaux, européens ou américains. 

Entre 1920 et 1940, les Etats-Unis aussi connaissent une phase importante de développement hydraulique, par les grands travaux de maîtrise du cours du Mississipi. Elle implique de mettre provisoirement entre parenthèses les pratiques usuelles du libéralisme politique classique. L'opposition républicaine parlera dès lors du «césarisme» de Roosevelt, version américaine de l'"ère des directeurs". 
 

L'ère des directeurs

 En Europe, malgré les versions italienne (fasciste) et allemande (nationale-socialiste) de l'"ère des directeurs", une harmonisation hydraulique du continent n'a pas été possible. L'Allemagne nationale-socialiste tente toutefois d'achever les consignes contenues dans le "Testament politique" de Frédéric II de Prusse, écrit en 1752. La Prusse s'était donné une cohérence économique en reliant par canaux, l'Elbe, la Spree et l'Oder, bénéficiant de la sorte d'un port dans la Mer du Nord (Hambourg) et d'un port dans la Mer Baltique (Stettin). Il restait à relier l'Elbe à la Weser, et la Weser au Rhin. En tant qu'expression allemande de l'"ère des directeurs", selon Burnham, le national-socialisme réalise ces travaux, notamment grâce à l'apport de main-d'oeuvre que procure le "service du travail obligatoire" (Reichsarbeitsdienst). La liaison entre Rotterdam ou Anvers (via la Canal Albert inauguré en 1928) et Berlin puis Francfort sur l'Oder devient parfaitement envisageable, bien qu'elle soit encore insuffisamment parachevée à l'époque. En dépit de la défaite du Troisième Reich, les travaux seront terminés par les autorités néerlandaises, belges et ouest-allemandes dans l'après-guerre, avec la restriction que le Rideau de fer bloque cette synergie fluviale à hauteur de la frontière sur l'Elbe, comme il bloquait l'artère danubienne au Sud, entre l'Autriche et la Hongrie. La réunification allemande d'octobre 1990 rétablit la communication et permet même une projection vers la Vistule, donnant ainsi indirectement une façade atlantique à la Pologne, sans devoir contourner l'archipel danois. 

Le projet d'une harmonisation des fleuves et des canaux est très ancien en Europe; déjà Charlemagne voulait relier le Main au Danube. Frédéric II de Prusse, au 18ième siècle, constatait que les fleuves de la grande plaine nord-allemande étaient parallèles. Par conséquent, que les voies de communication suivaient une orientation sud-nord, grosso modo des Alpes à la Mer du Nord ou à la Baltique, mais que les liens est-ouest étaient moins développés, condamnant l'ensemble géographique germanique à la division politique, impulsant sur cet espace une logique toujours centrifuge. Dans son Testament politique, que je viens de citer, Frédéric II écrit que la solution est de creuser des canaux reliant les fleuves entre eux, selon un axe est-ouest. De cette manière, le territoire prussien (nord-allemand) recevrait artificiellement une cohérence que la nature ne lui avait pas donnée. Le grand architecte de ce projet sera Friedrich List, un économiste du 19ième siècle. Et il exportera ses conceptions: aux Etats-Unis où il élabore plusieurs projets de canaux, en France et en Belgique, où il suggère à Léopold I, lors d'une audience particulière, le creusement du Canal du Centre (entre la Sambre mosane et la Haine scaldienne), la création d'une voie d'eau à grand gabarit entre Anvers et Liège (ce sera le futur Canal Albert, ouvert en 1928 seulement), l'approfondissement de la liaison Bruxelles-Anvers et l'ouverture du Canal Bruxelles-Charleroi. Sans de tels travaux, la Belgique n'aurait pas été viable pendant plus de deux décennies. Elle souffrait en miniature du même handicap que la plaine nord-allemande, administrée par la Prusse. La configuration de ses rivières, parallèles, imposait volens nolens une logique centrifuge. 

Aujourd'hui, l'Allemagne, immédiatement après sa réunification, et sous l'égide du Chancelier Kohl, réalise le projet de Charlemagne, vieux de mille ans: la liaison Main/Danube, ouvrant une voie d'eau partant de la Mer du Nord et aboutissant à la Mer Noire et au Caucase, riche en pétrole. J'ai déjà suffisamment évoqué la problématique de la liaison Main/Danube pour ne pas y revenir ici.
 

Politique hydraulique et destin fluvial des nations

 Aucune unification allemande au départ de la Prusse n'aurait été possible sans le creusement de canaux, sans une politique «hydraulique». Comme aujourd'hui aucune forme d'impérialité européenne n'est possible sans une politique «hydraulique», axée sur le cours du Rhin, du Main et du Danube. Politique hydraulique qui doit être épaulée, bien évidemment, par d'autres grands travaux ou projets en matière de communications (satellites, flottes rapides d'aéroglisseurs ou de navires à effet de surface, trains à grande vitesse, etc.).

Au début des années 30, les géopolitologues allemands Hennig et Körholz avaient bien mis en exergue le destin fluvial des grandes nations européennes: deux destins heureux, ceux de la France et de la Russie, dont l'agencement des bassins fluviaux, implique une logique centripète (et non centrifuge), un destin malheureux, celui de l'Allemagne, dont l'unification politique a été retardée parce que l'agencement de ses bassins fluviaux était différents, avec des fleuves et des rivières parallèles, isolant les vallées les unes des autres et infléchissant les rapports culturels et commerciaux vers des directions chaque fois différentes (cf.: R. Hennig & L. Körholz, "Fluvialité et destin des Etats", in: Vouloir n°9, 1997). 

Deuxième raison majeure de revenir à Wittfogel raisonner une fois de plus en termes de politique hydraulique ou d'«hydropolitique»: la raréfaction de l'eau potable partout dans le monde. Cette raréfaction provoque des conflits, qui deviendront de plus en plus aigus. Ainsi, le Turquie, par sa politique de construire des barrages dans la région du Taurus oriental, retient les eaux du Tigre et de l'Euphrate, au détriment des régions en aval, la Syrie et la Mésopotamie (donc l'Irak). L'eau retenue affaiblit les deux pays arabes et les soumet à la volonté de la Turquie. Une partie de cette eau est désormais vendue à Israël, qui vit une pénurie chronique, hypothéquant même son existence à long terme, vu que les immigrants juifs vivent selon un mode occidental, grand consommateur d'eau, alors que les masses arabo-palestiniennes, plus parcimonieuses dans leur consommation, voient leurs réserves diminuer considérablement, augmentant ipso facto leur désarroi et leur angoisse. Ce qui conduit aux affrontements. Ce jeu de l'eau dans une région hautement explosive comme le Moyen-Orient est évidemment bellogène à terme.
 

L'eau au Tibet, au Brésil et au Congo 

 La volonté chinoise de s'accrocher au Tibet s'expliquer par la présence sur ce territoire  ‹le Plateau du Tibet‹  des sources des principaux fleuves chinois et indochinois, produits des fontes des neiges de l'Himalaya, comme le Hoang Ho, le Yang tsé, le Salouen, le Mekong, le Tsang Po. Les deux principaux fleuves indiens, l'Indus et le Gange, prennent également leurs sources dans le massif himalayen. Pour la Chine, qui est une puissance hydraulique, née de la maîtrise des fleuves, comme nous allons le voir, la domination sur le territoire des sources est un impératif catégorique, dont pâtit évidemment la culture tibétaine, dont l'originalité est essentielle. L'histoire de l'Amérique du Sud a été tout entière déterminée par la volonté du Brésil de maîtriser le bassin amazonien dans sa totalité. Lors de l'émergence de cet Etat, le plus étendu du continent, une querelle l'a opposé à ses voisins pour la domination de tout le cours de la Plata. Le Zaïre/Congo est potentiellement une puissance hydraulique. Le fleuve possède un tel débit qu'il constitue pour l'humanité entière une réserve précieuse que l'avenir sera contraint de ménager.
 

Wittfogel: Wandervogel, communisme, Ecole de Francfort 

 Revenons à la personne de Wittfogel. Qui est-il? Il est né à Lüneburg dans une famille d'instituteurs protestants, ayant un grand sens de la culture et vouant un véritable culte aux livres. Très jeune, Wittfogel s'initie à de nombreuses lectures, variées et instructives. Karl August Wittfogel, pendant son adolescence, est une âme cultivée et rebelle, en révolte contre les pesanteurs de son époque (dénoncées notamment par la sociologie de Simmel, que nous avons abordée lors de notre Université d'été en 1998). Sa culture et sa révolte le conduisent à fréquenter le Wandervogel, le mouvement de jeunesse né près de Berlin en 1896 sous l'impulsion de Karl Fischer. Il ne suivra cependant pas l'engouement patriotique de ses compagnons en 1914. Il ne s'engagera pas dans les troupes d'assaut, comme celles qui se feront hacher à Langemarck en Flandre occidentale. Wittfogel évolue vers le pacifisme et vers un engagement social et politique à gauche. En 1915, il s'inscrit à l'université, en fréquente plusieurs pour y suivre des cours de géographie, de sociologie, de philosophie et de sinologie. Pendant les années 1916, 1917 et 1918, il adhère au marxisme politique, mais non pas à la SPD sociale-démocrate, qu'il juge trop modérée et trop compromise avec le pouvoir, mais à l'USPD, animée par Rosa Luxemburg, puis à la KPD.  Il s'intéresse de près aux agissements de Karl Radek, agent de Lénine et du Komintern en Allemagne. Cette fréquentation le conduira à la fameuse "Ligue anti-impérialiste", prônant une alliance entre la Chine, l'URSS et l'Allemagne, les peuples colonisés en révolte, dont l'Inde, et quelques forces rebelles de l'Ouest. Cette Ligue avait également attiré quelques figures classées par Armin Mohler dans la mouvance de la "révolution conservatrice, dont Niekisch et Jünger. Wittfogel suit aussi les travaux de l'Ecole de Francfort, dès son inauguration en 1926 (Institut für Sozialforschung). En 1933, quand la NSDAP d'Adolf Hitler prend le pouvoir, il émigre aux Etats-Unis. 

Dans ce double contexte, universitaire et politique, comment la pensée de Wittfogel va-t-elle se cristalliser et se former? Elle repose surtout sur une lecture attentive de Karl Marx et de Max Weber, où Wittfogel découvre une opposition entre l'Occident et l'Orient. Le modèle par excellence de l'Occident est l'Angleterre manchesterienne. Le modèle de développement oriental paradigmatique est le modèle chinois. Sinologue, Wittfogel va approfondir les thèses marxiennes et weberiennes sur le "mode de production asiatique". Il en déduit que la Chine (mais aussi l'Egypte et la Mésopotamie antiques) sont "despotiques" (pour faire face efficacement aux nécessités naturelles) et "hydrauliques". Ce modèle asiatique constitue pour lui, dans un premier temps, un "contre-modèle" non bourgeois. Wittfogel, en quelque sorte "maoïste" avant la lettre, se donne pour mission de faire connaître aux Européens la Chine orientale et non bourgeoise.
 

Sociétés hydrauliques = sociétés totalitaires? 

 Plus tard, cet engouement pour la Chine va se muer en critique. Wittfogel est anti-stalinien et, dans cette optique, Staline est perçu comme un despote asiatique. Mais il écrit finalement peu de choses sur les grands travaux hydrauliques de Sibérie et d'Asie centrale, exécutés pendant l'ère stalinienne. En 1938, il fait paraître aux Etats-Unis The Theory of Oriental Society, où il pose clairement l'équation, société hydraulique = despotisme = totalitarisme. Un an plus tard, cette équation se renforce dans sa pensée, au moment où Hitler et Staline signent le pacte germano-soviétique. Dans cette thèse, un peu propagandiste, Wittfogel coagule ses sentiments anti-hitlériens et anti-staliniens. Ce même ouvrage, peaufiné, reparaît en 1957, sous le titre de Oriental Despotism: A Comparative Study of Total Power. Hitler et Staline ont disparu de la scène, la Guerre de Corée est terminée, Maccharty a cessé de sévir et la guerre froide n'est plus aussi tendue. Après 1945, Wittfogel rejoint les rangs de l'anti-communisme américain, décrit Staline comme un agent de la "restauration asiatique" et présente les Etats-Unis comme une société hydraulique mais non despotique; à ce titre, ils sont un modèle pour le monde. Comment l'ancien étudiant de la gauche allemande en est-il arrivé là? Comment en est-il arrivé à cette position finalement assez contradictoire? Sans doute a-t-il été récupéré par certains services de diversion, recrutant d'anciens militants de la  gauche allemande, bons connaisseurs du Komintern, des structures communistes et des méthodes de travail soviétiques dans les pays d'Asie. 

A partir de 1953, Wittfogel devient aux Etats-Unis un historien attitré de la maîtrise des fleuves. Il est professeur à la Columbia University, puis, à partir de 1966, enseigne l'histoire de la Chine à Washington. Son oeuvre comporte d'intéressants développements scientifiques mais non politiques.
 

Une théorie de la civilisation 

 Wittfogel énonce, à travers l'ensemble de son oeuvre, une théorie de la civilisation, de l'émergence des civilisations. Pour lui, comme auparavant pour Hobbes, c'est la peur qui génère le politique, l'Etat, le "commonwealth", l'appel à l'autorité (qui fait les lois - auctoritas non veritas facit legem). Mais cette peur n'est pas la crainte de l'invasion extérieure comme chez Hobbes, né prématurément parce que sa mère craignait le débarquement des troupes espagnoles de la Grande Armada. La peur qui motive les hommes et les induit à créer des structures politiques solides et durables est la peur panique et angoissé des inondations et de la sécheresse, des inondations qui noient les récoltes et de la sécheresse qui condamne à la famine. Cette peur tire l'homme de sa léthargie, elle le force à coopérer avec ses semblables qui appartiennent à d'autres clans et le contraint à accepter l'autorité de ceux qui sont capables techniquement de maîtriser les fleuves, de canaliser les eaux (pour l'irrigation ou le transport), d'irriguer. La peur des caprices de l'eau fait accepter la figure du "Grand Adjudicateur". La Chine antique, civilisation hydraulique, invente le terme "Shiu li", qui signifie "maîtrise des eaux". La discipline civilisationnelle naît de cette peur. La naissance des grands Etats et des Empires a presque toujours une motivation hydraulique. Si l'eau ne coule pas selon un rythme régulier et prévisible, disaient les sages chinois de l'antiquité, nous avons le chaos, voire la guerre civile, le pouvoir a le même rôle que le barrage. 

Du point de vue philosophique et anthropologique, Wittfogel se montre là disciple de Montesquieu et de Carl Ritter (cf. supra). Il analyse l'interaction entre l'homme et la nature et, réciproquement, entre la nature et l'homme. L'étude de cette interaction fonde le véritable matérialisme intellectuel, politique et historique, tel que Marx l'avait compris personnellement, au contraire de bon nombre de ses disciples.  La géopolitique est une discipline qui s'occupe de ces interactions. C'est sans doute pour cette raison que Wittfogel a été le seul à l'avoir abordée dans le cadre de l'Ecole de Francfort. Est-ce un héritage de son ascendance paysanne, de ses origines rurales, est-ce une influence du Wandervogel et du discours de Ludwig Klages, véritable texte fondateur de l'écologie moderne, prononcé sur le sommet du Hoher Meißner en 1913, au solstice d'été? Une analyse plus fouillée du passé de Wittfogel nous l'apprendra sans doute un jour. En 1928, cet intérêt matérialiste et marxiste pour la géopolitique se concrétise dans un ouvrage intitulé Geopolitik, geographischer Materialismus und Marxismus
 

L'exemple des Indiens Pueblo, Zuni et Hopi

 Wittfogel met donc en exergue une question anthropologique fondamentale. La maîtrise des eaux fonde l'Etat. Mais comment naît cette irrigation, base des Etats, des empires et des aires civilisationnelles? Le premier stade est celui de l'étang où vont s'abreuver les animaux domestiques. Le clan qui l'utilise doit en garder les abords, en ménager l'écosystème. Eventuellement creuser des chenaux pour irriguer des plantations. Aux Etats-Unis, Wittfogel compulse les études sur les Indiens Pueblo, Zuni et Hopi qui montrent très bien la Volkswerdung  [le "devenir-peuple"] de ces ethnies améridiennes au départ d'une maîtrise des eaux de leur territoire. Ces études démontrent que des clans épars parviennent, à un certain moment de leur histoire, à maîtriser à leur échelle les eaux courantes et stagnantes, les sources et les nappes phréatiques de leur territoire, tout en gardant une dimension vernaculaire. 

Dans le bassin du Rio Grande del Norte, les clans s'associent, forment des tribus qui, ensemble, deviennent peuples. Ce devenir s'accompagne toujours d'un système de défense, de plus en plus élaboré, contre ceux qui veulent bouleverser l'ordre irrigateur, couper les approvisionnements ou en profiter indûment.
 

Travaux d'irrigation et corvée 

 La Chine, explique alors Wittfogel, a connu aux aurores de son histoire une évolution similaire à celle que les ethnologues ont pu observer chez les Amérindiens du bassin du Rio Grande del Norte. Au départ, la Chine présente une mosaïque éparse de tribus, de villages, de clans autonomes (elle y retombe parfois, comme dans les périodes où règnent, à l'échelon provincial, voire vernaculaire, les chefs de guerre, les warlords). L'unification des micro-entités chinoises se fera sous l'égide d'une élite technicienne qui va gérer les grands fleuves. Pour le premier Wittfogel libertaire, comme pour le dernier Wittfogel anti-communiste, l'avènement progressif de cette élite à des côtés négatifs, car elle implique la mobilisation par coercition de tous les bras disponibles pour les grands travaux de nature hydraulique. Dans les concentrations de masse, la promiscuité des ouvriers recrutés provoque des épidémies, comme la présence d'un ver qui ira jusqu'à affecter 90% de la population chinoise. Ce jugement négatif sur la mobilisation des forces de travail, Wittfogel le déduit de sa lecture d'un sociologue français du 19ième siècle, Julien Barois, spécialiste de l'histoire de la corvée. 

Pour le Wittfogel des années 20 et 30, qui accepte le communisme, cette mobilisation a des aspects positifs car elle permet le développement des sciences: l'astronomie, les mathématiques, l'architecture, la géographie (Yves Lacoste en parle dans ses travaux sur les premiers cartographes des armées impériales chinoises). Wittfogel étudie également les aspects mythologiques de cette maîtrise des eaux: les figures d'Osiris et d'Hapi en Egypte, divinités du Nil, que la figure de Ninurta en Mésopotamie et que la divinisation du Gange en Inde. En Europe, il y a abondance d'eau et les fleuves sont plus paisibles qu'en Chine, d'où les formes d'hydraulisme politique sont moins despotiques. La démocratie optimale s'installe toujours là où il y a abondance facile d'eau, comme en Suisse par exemple. 
 

Civilisation chinoise, civilisation de grands travaux

 Revenons à la corvée (et aux thèses de Julien Barois, approfondies par Wittfogel). La corvée est d'abord imposée pour les travaux d'irrigation, puis pour les barrages, ensuite pour les routes, les fortifications (Muraille de Chine), enfin pour les bâtiments de prestige (pyramides et zigourats). La Chine fait ainsi creuser ses premiers canaux à partir de 581 avant J.C. L'éclosion et le maintien de la civilisation chinoise antique dérive d'une maîtrise du Fleuve Jaune (Huang Ho) ou plutôt d'une lutte contre ses cruels caprices. Ce fleuve a tué des millions d'hommes et les récentes inondations en Chine ne sont qu'un épisode de plus dans l'histoire épouvantable de ses crues et décrues. 

Les études de Wittfogel sur la civilisation chinoise, civilisation de grands travaux, qui ont d'abord été hydrauliques, l'ont amené à poser la question: la Chine est-elle intrinsèquement despotique ou non? La réponse de Wittfogel est mitigée, quoique le Wittfogel communiste des années 20 (qui ne critique pas encore le totalitarisme) a eu tendance à répondre "non", tandis que le Wittfogel anti-totalitaire, anti-nazi et anti-communiste répondrait plutôt "oui" et verrait en cette Chine "hydraulique" la matrice des systèmes politiques coercitifs ultérieurs. Dans sa pensée, la Chine oscille toutefois entre confucianisme et taoïsme. Le confucianisme implique une discipline sévère, tandis que le taoïsme (avec le Tao Te King de Lao Tse), préconise aux gouvernants d'"être comme l'eau", souples et insinuants. Conclusion de Wittfogel, par la présence de ce taoïsme, la Chine se montre finalement moins centralisée, donc moins despotique, que l'Egypte ou les entités étatiques mésopotamiennes. 
 

Les travaux de la "Tennessee Valley Authority"

 Dans les années 30, où les simplifications militantes tenaient le haut du pavé, on aurait pu créer facilement une dichotomie propagandiste sur base des travaux de Wittfogel, en posant l'équation: sociétés hydrauliques = sociétés totalitaires; tandis que les sociétés non hydrauliques auraient été par définition considérées comme démocratiques et libérales. Wittfogel constatera, peu après avoir débarqué aux Etats-Unis, destination de son exil, qu'un grand projet hydraulique était en train d'y être réalisé, sous l'égide de la "Tennessee Valley Authority". Les Etats-Unis, champions de l'idéal démocratique de facture libérale, étaient eux aussi une puissance hydraulique. Jusqu'alors les Etats-Unis n'avaient été qu'une puissance incomplète. Ils étaient devenus "bi-océaniques" (avec façade sur l'Atlantique et le Pacifique) vers la moitié du 19ième siècle. La liaison transcontinentale par chemin de fer avait englouti des fortunes colossales pour un résultat mitigé. Avant la première guerre mondiale, les Etats-Unis étaient fortement endettés et tout laissait croire à leur déclin inéluctable. Après 1918, les Etats européens, surtout la France et l'Angleterre, étaient leurs débiteurs. Mais la nécessité s'imposait de mieux organiser le territoire américain: pour cela il fallait aménager le bassin du Mississipi. Une bonne partie des gains engrangés pendant la première guerre mondiale furent destinés au projet hydraulique de la "Tennessee Valley Authority". 

Les années de 1920 à 1940 ont été pour les Etats-Unis deux décennies de grands travaux d'aménagement, où les principes du libéralisme démocratique pur ont été légèrement battus en brèche. Burnham parle d'une "ère des directeurs", où le décisionnisme des décideurs prend le pas sur les discussions parlementaires de l'ère libérale classique, tant en Europe, avec le fascisme et le national-socialisme, qu'en URSS, avec les planifications staliniennes, ou qu'aux Etats-Unis. Lawrence Dennis réclame, à la même époque, un isolationnisme continental, pan-américain, qui se donnerait pour but d'organiser rigoureusement le continent en suivant, pour ce faire, une logique autoritaire. Mais Dennis, contrairement à Roosevelt, veut une autarcie continentale sans la guerre, sans interventions hors de l'espace américain. Les opposants libéraux à Roosevelt stigmatisent le "césarisme rooseveltien", qui ne réussit que partiellement son projet de ré-aménagement complet du territoire, les traditions libérales classiques jouant le rôle de frein, alors qu'en Europe occidentale et en URSS, ces freins avaient été balayés, permettant un despotisme capable d'asseoir vite la modernité technique et industrielle, de changer d'échelle. Parce que les institutions libérales américaines sont plus solides et rendent impossible un despotisme absolu à la Staline ou une dictature à la Hitler, Roosevelt doit donc susciter une "injection de conjoncture", pour obtenir les fonds nécessaires à l'achèvement de cet ensemble de macro-projets. Raison pour laquelle il prépare très tôt les guerres contre l'Allemagne et le Japon. L'objectif intérieur de cette double guerre extérieure a donc été de financer l'irrigation définitive du Middle West et de l'Ouest.
 

L'irrigation nord-américaine fait des Etats-Unis le grenier à blé du monde

 La démocratie américaine, selon les opposants à Roosevelt, est donc une démocratie déguisée, qui met au pas le Congrès et la Cour Suprême et jugule l'opposition populiste. Avec Roosevelt émerge la méga-machine, collusion entre le pouvoir et les grands trusts industriels, dénoncée par Lewis Mumford, puis, plus tard en Europe, par l'écologiste et dissident est-allemand Rudolf Bahro. 

Mais ces entorses au fonctionnement libéral traditionnel de la démocratie américaine a permis la politique des grands travaux, dont les Etats-Unis avaient besoin pour consolider leur base nationale, réquisit indispensable à leur politique mondialiste (disaient-ils du temps de Roosevelt), globaliste (disent-ils aujourd'hui). L'irrigation américaine, surtout dans le bassin du Mississippi, la construction de barrages dans l'Ouest, ont permis aux Etats-Unis d'être le grenier à blé de l'humanité et d'assurer ainsi leur domination sur l'Europe, l'ex-URSS (et, partant, la Russie actuelle) et l'Afrique, que guettent toujours d'atroces famines. Je rappelle souvent la parole d'Eagleburger: "Food is the best weapon in our arsenal" ("L'alimentation est la meilleure arme de notre arsenal"). Toutes les querelles euro-américaines autour des politiques agricoles dérivent d'une volonté américaine de conserver coûte que coûte le leadership en ce domaine et de limiter, autant que possible, l'autonomie alimentaire européenne. La guerre du soja, sans doute les crises de la vache folle, la querelle des pâtes, l'imposition de normes, la tentative de submerger l'Europe sous des flots d'immigrés qui mangent ses réserves, etc sont autant d'aspects de cette guerre euro-américaine qui a commencé avec Roosevelt, culminé avec la deuxième guerre mondiale! et qui est loin d'être terminée. 

Connaissant parfaitement la puissance que confère une bonne maîtrise des voies fluviales, les Etats-Unis  - que Carl Schmitt nommait les "retardateurs de l'histoire" -  cherchent à freiner, enrayer ou saboter la maîtrise chez les autres des voies fluviales. Nous avons assisté ainsi à une manipulation des milieux écologistes et "souverainistes" français, tendance sociale-démocrate ou néo-gaulliste, pour freiner la liaison entre les bassins du Rhin, du Rhône et du Danube. Nous avons ensuite assisté, impuissants, écervelés par les discours médiatiques qui ne sont que les échos de CNN, donc du Pentagone et de ses services de diversion, au bombardement des ponts du Danube à Belgrade et à Novi Sad, sous prétexte de punir un certain Milosevic. Jupiter rend aveugles et fous, ceux qu'il veut perdre. 
 
 

Robert STEUCKERS, Forest, juillet 2000. 
Bibliographie:
 
  1. Gary L. ULMEN, The Science of Society. Toward an Understanding of the Life and Work of Karl August Wittfogel, Mouton Publishers, The Hague/Paris/New York, 1978. 
  2. Karl A. WITTFOGEL, Oriental Despotism. A Comparative Study of Total Power, Vintage Books/Random House, New York, 1981 (reprint de la première édition de 1957).
  3. Donald WORSTER, "Water, Aridity and the Growth of the American West", introduction to Rivers of Empire: Water, Aridity and the Growth of the American West, Oxford University Press, Oxford/New York, 1985 (pp. 19-61). Ce texte fondamental, très clair et didactique, peut se lire sur la grande toile: http://www.cudenver.edu/stc-link/weblink/water/materials/...


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