Source: MEE
dimanche, 15 mai 2016
Moscou impassible face à la «révolution de palais» en Turquie
Moscou impassible face à la «révolution de palais» en Turquie
Le départ forcé d’Ahmet Davutoglu du poste de premier ministre de Turquie présage-t-il d’autres détériorations dans la la politique extérieure de ce pays proche (en termes géographiques uniquement) de la Russie ou, au contraire, signe-t-il l’abandon des rêves néo-ottomans ? Les deux options sont, probablement, valables.
La démission forcée de M. Davutoglu a été précédée par une charge virulente menée par le chef d’Etat assiégé contre cet ancien professeur devenu homme politique. « Vous ne devez pas oublier qui vous a donné ce poste », lançait le président Recep Tayyip Erdogan à l’homme qu’il avait personnellement choisi pour être d’abord son ministre des Affaires étrangères, puis, en août 2014, son commandant en second.A une époque, M. Erdogan disait : « C’est l’ère du président fort et du premier ministre fort ». Cela n’est plus vrai.
La divergence profonde entre les deux hommes est apparue sur fond de quête de pouvoir absolu par M. Erdogan, quête menée en brisant le système parlementaire et en introduisant un régime présidentiel. Plus il devenait autoritaire, moins il montrait de tolérance pour la dissidence et les contestations.
Malgré la loyauté démonstrative de M. Davutoglu au Numéro 1, le premier ministre n’a pu cacher ses divergences avec Erdogan sur la manière de gérer les graves crises intérieure et extérieure auxquelles le pays est confronté. Certains blogueurs ont scrupuleusement compilé 27 dossiers que le tandem ne voyait pas du même œil.
Zèle moral du professeur livresque
Sur de nombreux points, l’ancien professeur de sciences politiques d’une université de la banlieue d’Istanbul s’est montré comme un modéré flexible, réticent aux décisions brutales et précipitées.
Contrairement au président Erdogan, qui voit rouge face aux critiques à son encontre, Ahmet Davutoglu n’approuvait pas l’emprisonnement des journalistes et des universitaires partageant d’autres valeurs. Le premier ministre ne souhaitait pas étiqueter les écologistes d’« agent provocateurs » ni les malmener. Une « mauviette » typique, comme aurait dit Margaret Thatcher.
Par ailleurs, M. Davutoglu semblait réellement déterminé à combattre la corruption de haut niveau. En duo avec son adjoint Ali Babacan, il a élaboré le « paquet transparence », qui agaçait certains hauts fonctionnaires du Parti pour la justice et le développement (AKP) au pouvoir.
L’année dernière, le premier ministre Davutoglu a refusé de protéger quatre anciens ministres convoqués en justice pour des affaires de corruption. Il a été cité disant : « Nous casserons les bras de tous ceux qui sont impliqués dans des affaires de corruption, même s’il s’agit de mon frère ». Selon une rumeur, le « reis » (« chef »), c’est-à-dire M. Erdogan, n’appréciait pas spécialement le zèle moral de son premier ministre.
Diplomate mais pas guerrier
Cet épisode aurait pu marquer un tournant dans la relation au sein du tandem. Suite aux élections du 7 juin 2015, l’AKP a perdu la majorité parlementaire. Ahmet Davutoglu n’était opposé à l’idée de former une coalition gouvernementale avec le principal parti d’opposition. Cela a sans doute été perçu comme un blasphème par les conservateurs purs et durs de l’AKP et équivalait pour eux à une trahison.
Les récentes interactions avec les dirigeants européens ont renforcé le réputation du premier ministre Davutoglu en tant qu’homme pragmatique avec lequel il est possible de négocier. Pourtant, lorsqu’il a proposé de reprendre tous les réfugiés et migrants économiques ayant traversé la mer d’Egée pour entrer illégalement en Grèce, Erdogan a immédiatement désavoué la proposition.
Davutoglu a peut-être franchi la ligne rouge en proposant de reprendre les négociations avec les militants kurdes. Cette proposition allait à l’encontre de la diabolisation délibérée de l’ensemble des Kurdes par les responsables et les médias pro-Erdogan déterminés à attiser les sentiments nationalistes.
Enfin, alors que M. Erdogan est devenu la cible de critiques constantes dans les médias occidentaux, son premier ministre a été largement épargné et parfois même loué pour sa flexibilité. Cela pourrait être l’une des principales causes des récentes accusations d’un blogueur anonyme prétendant qu’Ahmet Davutoglu conspirait avec l’Occident et les ennemis de la Turquie pour défier Erdogan, régulièrement dépeint comme un dirigeant autoritaire à l’ego gonflé et aux habitudes erratiques.
Purges sans retour de flammes
La démission précipitée du premier ministre dans le contexte de multiples problèmes intérieurs et extérieurs qui accablent la Turquie confirme que les querelles internes à l’AKP sont la conséquence directe de nombreuses frustrations accumulées. On peut raisonnablement supposer que les divisions au sein du parti au pouvoir révèlent des fractures intérieures profondes, qui ne se résument pas à la figure du théoricien universitaire moustachu.
Les purges sont inévitables. Il est clair que les membres du « cercle intime » proche d’Akmet Davutoglu seront congédiés. Parmi les victimes ciblées, on indique Mehmet Simsek, vice-premier ministre de l’Economie qui semble jouir d’une excellente réputation auprès des investisseurs internationaux. Cela affaiblirait le pragmatisme relatif de l’AKP et aggraverait les désaccords sur la crise des réfugiés.
Les spéculations sur les chances d’Ahmet Davutoglu de rallier des soutiens parmi les parlementaires de même esprit et de créer un nouveau centre de pouvoir au sein de l’AKP sont infondées. Dénué de tout soutien populaire, M. Davutoglu est un simple responsable qui doit son envol à Erdogan.
Il n’est, dès lors, pas étonnant que sa démission n’ait pas provoqué de vagues massives, la livre turque ne s’étant dépréciée que de 4% par rapport au dollar. Davutoglu a sagement indiqué que « personne n’a entendu ni n’entendra un seul mot contre notre président sortir de ma bouche ».
La révolution qui dévore ses enfants
En Europe, les interlocuteurs habituels de Davutoglu le regretteront en tant que personne avec qui ils parlaient la même langue, à de nombreux égards. Mais le processus est irréversible : aujourd’hui, comme l’a formulé un commentateur turc, l’ex-premier ministre est déjà « en train d’entrer au panthéon des cadavres politiques ».
La Russie a dûment pris note de cette « révolution de palais », mais sans aucun soupir de soulagement (Ahmet Davutoglu avait initialement indiqué avoir ordonné la destruction de l’avion russe Su-24) ni regret. Moscou sait qu’une seule personne mène la danse en Turquie, et que M. Erdogan est intransigeant lorsqu’il s’agit d’admettre ses erreurs.
Pourtant, la fin de l’ère de Davutoglu mettra un point final à l’initiative diplomatique ratée baptisée « zéro problèmes avec les voisins », élaborée par l’ancien universitaire. Son départ en outre sonne le glas du mythe d’un Empire néo-ottoman renaissant avec la Turquie comme centre de gravité et arbitre du pouvoir.
En réalité, la montée en puissance de l’islam politique, largement sponsorisée et promue par l’AKP, l’islamisation rampante de l’appareil d’Etat et son débordement dans la société, tout comme les ambitions gonflées d’Erdogan pour un règne présidentiel digne d’un sultan, constituent des développements emblématiques marquant une rupture claire avec l’héritage d’Ataturk.
Fondamentalement, c’est une révolution en bonne et due forme. Et l’on sait que les révolutions ont une fâcheuse tendance à dévorer leurs propres enfants…
- Source : Russia Beyond The Headlines - RBTH (Russie)
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vendredi, 06 mai 2016
Turquie : la chute de Davutoğlu
Turquie : la chute de Davutoğlu
Ex: http://www.arretsurinfo.ch
La faute du Premier ministre turc, s’il y en a une, a été de ne pas s’adapter suffisamment au style interventionniste et de plus en plus « ultra-présidentiel » du président Erdoğan
Il est rare qu’un dirigeant politique souffre de revers de fortune aussi extraordinaires en une seule journée. Mercredi matin, Ahmet Davutoğlu, le Premier ministre turc, a appris que son entêtement à négocier avec l’Union européenne un accord visant à freiner le flux de réfugiés vers l’Europe en provenance de la Turquie avait été couronné d’un prix qu’aucun gouvernement turc n’avait jusqu’alors réussi à obtenir : la libéralisation des visas, permettant aux Turcs dotés de passeports biométriques de voyager librement dans l’espace Schengen dès le mois suivant.
Il n’a toutefois pas eu le temps de célébrer sa prouesse. Peu après, Davutoğlu a appris que son poste de Premier ministre était menacé, l’homme ayant perdu les bonnes grâces du puissant président du pays, Recep Tayyip Erdoğan. Suite à une réunion avec Erdoğan plus tard dans la journée, qui a duré 1 heure et 40 minutes, Davutoğlu était certain de son licenciement.
Il projetait de révéler l’information officiellement lors de la réunion du comité central de l’AKP, le parti au pouvoir, le jeudi matin. Mais l’opportunité lui a été refusée lorsque, quelques heures seulement après la rencontre, des sources faisant autorité – probablement proches du palais présidentiel – ont fait savoir que son temps au pouvoir était révolu : le parti allait organiser un congrès spécial dans les trois ou quatre semaines à venir pour élire un nouveau président et Davutoğlu ne se présenterait pas à l’élection.
Donc jeudi matin, il ne restait plus à Davutoğlu qu’à confirmer la nouvelle, ajoutant que la conférence aurait lieu le 22 mai, et à dire aurevoir à ses collègues sans répondre aux questions.
Tout ceci vient compléter un tableau d’humiliation exceptionnelle pour un Premier ministre qui, il y a seulement six mois, remportait presque la moitié des suffrages lors des élections générales. Bien que ses efforts pour développer son propre charisme n’aient pas porté leurs fruits, un consensus existe sur le fait que Davutoğlu s’est avéré un travailleur capable ayant commis peu d’erreurs, voire aucune, pendant ses vingt mois au pouvoir.
La faute de Davutoğlu, s’il y en a une, a été de ne pas s’adapter suffisamment au style interventionniste et de plus en plus « ultra-présidentiel » du président Erdoğan. Bien que la loi sur la présidence turque n’ait pas été modifiée et qu’en théorie la fonction demeure non-exécutive, au-dessus des partis et cérémoniale, en pratique c’est Erdoğan qui dirige la Turquie depuis le palais présidentiel. Toutes les décisions clé y sont désormais prises et ses équipes surveillent le travail de chaque ministère.
En tant que Premier ministre, Davutoğlu a travaillé selon les lignes parlementaires et ministérielles de ses prédécesseurs. En effet, comme la majorité de la vieille garde de l’AKP, il a résisté imperturbablement à l’idée d’une présidence exécutive et ce aussi longtemps qu’il l’a pu, ne déclarant son soutien à son égard qu’à la fin du moins de mars 2015 – soit six mois après l’arrivée d’Erdoğan au palais présidentiel.
Alors que le pouvoir se concentrait de plus en plus entre les mains du président et que l’influence politique était largement détenue par un groupe de conseillers et amis d’Erdoğan bénéficiant d’un accès personnel facile au président, les tensions entre ce dernier et le Premier ministre sont devenues inévitables.
Davutoğlu avait peu de chances de pouvoir faire face directement à cet obstacle, mais certains signes ont tout de même montré qu’il s’est efforcé de se construire une base de partisans, par exemple en créant un bloc de quatre petits journaux qui lui étaient personnellement dédiés. Il a également donné de minuscules mais claires indications que sa ligne politique personnelle était plus conventionnelle – plus pro-occidentale, dans l’optique du camp Erdoğan – que celle du palais présidentiel.
Dans un système moins personnel, tout ceci aurait pu ne pas être considéré comme bien important, mais à Ankara aujourd’hui, son attitude est apparue comme s’apparentant à une forme de défi.
Les signes du mécontentement du président à l’égard de Davutoğlu se sont multipliés la semaine dernière. Bien qu’il préside le parti au pouvoir, le weekend dernier Davutoğlu s’est vu déposséder de son droit de nommer les officiers provinciaux de l’AKP. Le Premier ministre a essayé de discuter de ceci avec Erdoğan mais en vain. Puis est apparu un mystérieux post sur internet, apparemment écrit par une personne proche du camp Erdoğan, qui a accusé le Premier ministre d’un manque réitéré de loyauté envers le président, notamment pour ses liens amicaux avec les États-Unis et l’Occident, et même pour avoir organisé une rencontre avec le magazine The Economist. Pire, Davutoğlu a indiqué l’année dernière qu’il préfèrerait un vote au Parlement pour condamner au moins certains des membres d’un groupe de ministres faisant l’objet d’une enquête pour corruption. Les spéculations allaient aussi bon train dans les médias pour savoir si Erdoğan était furieux que le président américain Barack Obama l’ait semble-t-il snobé tout en se montrant davantage disposé à communiquer avec Davutoğlu.
Plus important que tout ceci cependant semble être le désir d’accélérer l’introduction en Turquie d’un nouveau système politique, dans lequel la totalité des rênes du pouvoir est fermement concentrée entre les mains du président. Il y aura un nouveau Premier ministre, mais les trois noms qui sont mentionnés – Binali Yıldırım, le ministre des Transports ; Berat Albayrak, ministre de l’énergie et beau-fils du président Erdoğan ; et Mustafa Şentop, vétéran de l’AKP – travailleraient tous avec Erdoğan beaucoup plus étroitement que ne l’a fait Davutoğlu.
S’il y a un nouveau leader, il y aura aussi de nouvelles élections générales, peut-être associées à l’octroi d’un mandat populaire à une nouvelle constitution présidentielle. Jusqu’à présent, la direction de l’AKP a très fermement indiqué être contre la tenue d’élections avant leur date prévue à l’automne 2019. Toutefois, certains experts prédisent déjà que l’AKP, sous son nouveau président, pourrait changer d’avis et opter pour des elections anticipées.
Le moment pourrait être bienvenu. L’opposition est dans un piteux état avec le Parti d’action nationaliste (MHP) aux prises avec un leader très impopulaire qui refuse de s’en aller, et le Parti de la démocratie des peuples (HDP) pro-Kurdes pulvérisé sur le plan politique par la guerre qui fait rage depuis juillet dans le sud-est de la Turquie et désormais confronté aux probables poursuites judiciaires et emprisonnement de son principal groupe parlementaire pour des accusations de terrorisme soulevées par le gouvernement.
Il est probable qu’Ahmet Davutoğlu demeure dans un désert politique après sa démission. Outre son temps au gouvernement, on se souviendra de lui pour ses écrits sur la « profondeur stratégique » promouvant une vision de la Turquie en tant que superpuissance mondiale ayant « zéro problème avec ses voisins ». Toutefois, lorsqu’il était en charge de bâtir la politique étrangère de son pays, celui-ci s’est retrouvé empêtré dans une guerre civile sans fin en Syrie, a reçu un afflux de plus de deux millions de réfugiés, et, à l’exception de quelques nouveaux amis comme l’Arabie saoudite, est profondément isolé sur la scène internationale.
– David Barchard a travaillé en Turquie comme journaliste, consultant et professeur d’université. Il écrit régulièrement sur la société, la politique et l’histoire turques, et termine actuellement un livre sur l’Empire ottoman au XIXe siècle.
Traduction de l’anglais (original).
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vendredi, 04 décembre 2015
Diplomatic rhetoric and the neo-Ottoman strategy of Davutoğlu
Diplomatic rhetoric and the neo-Ottoman strategy of Davutoğlu
Ex: http://www.katehon.com
The Prime Minister of Turkey, Ahmet Davutoğlu, called for military communication channels with Russia to prevent incidents such as what has happened with the Russian Su-24 bomber. He expressed this before his visit to the occupied part of Cyprus by Turkey, which has a symbolic meaning. Turkey's ambitions to restore its influence are not only focused on part of Syria, but also on the Balkans and the Caucasus
00:05 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ahmet davutoglu, turquie, panturquisme, pantouranisme, néo-ottomanisme, levant, asie mineure, méditerranée, proche orient, politique internationale, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook