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mercredi, 11 décembre 2024

Néo-ottomanisme et Grand Israël

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Néo-ottomanisme et Grand Israël

par Daniele Perra

Source : Daniele Perra & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/neo-ottomanesimo-...

Dans peu de temps, les « héroïques rebelles syriens » (il faudrait aussi évaluer combien d'entre eux sont réellement syriens) seront à nouveau définis comme des terroristes dans nos médias (sans doute lorsqu'ils auront rempli leur rôle et ne seront plus d'aucune utilité pour Tel Aviv et Washington - ce dernier est probablement déjà agacé par l'absence de menaces envers les bases russes). Entre-temps, par précaution, Israël lui-même a jugé bon de détruire, par des opérations aériennes ciblées et massives, des dépôts d'armes et des structures logistiques de la défunte armée arabe syrienne, afin d'éviter de dangereuses surprises et (peut-être) que certaines de ces armes ne parviennent au Liban en profitant du chaos. 

L'objectif sous-jacent reste de maintenir la Syrie dans un état de « failed state » (fragmenté sur le plan ethnique et sectaire) en exploitant les innombrables ouailles des groupes d'opposition à Bachar el-Assad, où l'on trouve aussi des acronymes moins enclins à la confrontation ouverte avec l'Iran et le Hezbollah (plutôt les plus proches du Qatar), ainsi que d'importants savants sunnites ayant une audience notable (je pense à Muhammad Yaqubi, opposant à la fois à Assad et à l'autoproclamé « État islamique » d'Abou Bakr al-Baghdadi). Il va sans dire que, de tous ces groupes, les premiers arrivés à Damas (HTS et associés) sont sans doute les pires.

Il reste encore beaucoup de choses à examiner dans l'histoire des derniers mois de la Syrie baasiste (entre le refroidissement des relations avec le soi-disant « axe de la résistance », la recherche d'un soutien auprès des monarchies du Golfe qui n'est jamais arrivé, et le refus d'une solution négociée avec la Turquie). Par ailleurs, comme nous l'avons dit à d'autres occasions, le néo-ottomanisme et le Grand Israël peuvent être des projets géopolitiques (et messianiques-religieux pour l'Etat hébreu) potentiellement conflictuels, notamment en ce qui concerne les corridors de transport de gaz et la relation avec les Kurdes (une ressource de longue date de l'Occident et d'Israël, particulièrement mal aimée d'Ankara). L'affrontement ouvert entre l'Armée syrienne libre (soutenue par Ankara) et les Forces démocratiques syriennes (à majorité kurde et soutenues par les États-Unis) est imminent.

Il ne fait aucun doute qu'Israël utilisera les combattants du HTS contre le Hezbollah puis, profitant du chaos syrien, tentera de placer son parapluie au-dessus de Damas (la zone tampon, au-delà du Golan, envisagée par Tsahal se trouve juste à la périphérie de l'ancienne capitale de la Syrie) ; une autre raison de conflit potentiel avec Ankara.

Néanmoins, il est assez inexplicable que certains membres du Hamas (en particulier de son aile politique qui, il convient de le souligner à nouveau, est différente de son aile militaire) puissent croire que le changement de régime en Syrie profitera à la cause palestinienne. En fait, nous sommes confrontés à une tragédie qui n'est pas sans rappeler « Septembre noir » pour les Palestiniens. La destruction de la Syrie est une victoire stratégique clé pour Israël. Dans le même temps, elle améliore le statut de l'Irak (qui connaît une croissance démographique et économique rapide), qui a construit une partie de son existence historique en opposition à la Syrie depuis l'époque des dynasties califales omeyyades et abbassides. L'Irak, en particulier, pourrait rapidement redevenir une cible pour la rage destructrice de l'Occident.

Ankara et Tel-Aviv se partagent la Syrie mais se préparent à la guerre

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Ankara et Tel-Aviv se partagent la Syrie mais se préparent à la guerre

Augusto Grandi

Source: https://electomagazine.it/ankara-e-tel-aviv-si-spartiscon...

Ce ne sont probablement pas Erdogan et Netanyahou qui s'affronteront. Au contraire, ils continueront à faire des affaires ensemble. En haut et en bas du comptoir, comme c'est le cas depuis un an: depuis Ankara, Erdogan a tonné contre le boucher de Tel-Aviv, jurant qu'il romprait toutes les relations d'affaires avec les criminels israéliens. Puis il a continué à vendre tout ce dont Netanyahou avait besoin pour poursuivre le massacre à Gaza.

Les pays arabes et l'Iran ont fait de même: les affaires sont les affaires et elles sont plus importantes que des milliers d'enfants palestiniens assassinés.

Désormais, la Turquie et Israël se partageront également la Syrie. Tel Aviv pour la prévention et la sécurité contre le Hezbollah ou les djihadistes qui ont occupé Damas. Ankara pour la prévention et la sécurité contre les Kurdes. Bref, ils ne le font pas pour des raisons coloniales, mais seulement pour se défendre. Seuls les politiciens italiens le croient ou font semblant de le croire. Minus quam.

Mais la Turquie et Israël ont des objectifs, réels, qui amèneront les deux pays à un conflit final. Netanyahou n'avait pas encore fini de célébrer l'élimination d'Assad qu'il commençait déjà à spéculer sur la nécessité d'aider les Kurdes à créer un État indépendant en Syrie. Tout cela pour menacer Ankara et favoriser l'établissement du Grand Israël.

A l'inverse, il n'est certainement pas nouveau qu'Erdogan rêve d'une reconstitution de l'Empire ottoman. En incorporant la Syrie, mais aussi en étendant son contrôle sur la Libye et en jouant un rôle de premier plan en Asie centrale. Là où il exerce déjà une influence sur l'Azerbaïdjan.

Leurs objectifs respectifs vont donc se télescoper. Avec des conséquences difficiles à prévoir. Car Israël, soutenu militairement par Washington, n'est pas membre de l'OTAN. Mais la Turquie l'est. Par conséquent, au premier missile tiré de Tel Aviv, ou à la première frappe comme les pro-israéliens du Tg5 appellent les bombardements contre les Palestiniens, tout le front de l'OTAN devrait intervenir contre Israël.

C'est risible rien que d'y penser. Et Erdogan, qui essaie également de maintenir de bonnes relations avec Moscou, le sait très bien. Et si les Russes conservent leurs bases en Syrie, la Turquie pourra les utiliser.

Bien entendu, cette menace de guerre en Méditerranée laisse la politique italienne totalement indifférente. L'époque de Craxi et du rôle pacificateur de l'Italie en Méditerranée est révolue.

Ankara et Tel-Aviv se partagent la Syrie mais se préparent à la guerre

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Ankara et Tel-Aviv se partagent la Syrie mais se préparent à la guerre

Augusto Grandi

Source: https://electomagazine.it/ankara-e-tel-aviv-si-spartiscon...

Ce ne sont probablement pas Erdogan et Netanyahou qui s'affronteront. Au contraire, ils continueront à faire des affaires ensemble. En haut et en bas du comptoir, comme c'est le cas depuis un an: depuis Ankara, Erdogan a tonné contre le boucher de Tel-Aviv, jurant qu'il romprait toutes les relations d'affaires avec les criminels israéliens. Puis il a continué à vendre tout ce dont Netanyahou avait besoin pour poursuivre le massacre à Gaza.

Les pays arabes et l'Iran ont fait de même: les affaires sont les affaires et elles sont plus importantes que des milliers d'enfants palestiniens assassinés.

Désormais, la Turquie et Israël se partageront également la Syrie. Tel Aviv pour la prévention et la sécurité contre le Hezbollah ou les djihadistes qui ont occupé Damas. Ankara pour la prévention et la sécurité contre les Kurdes. Bref, ils ne le font pas pour des raisons coloniales, mais seulement pour se défendre. Seuls les politiciens italiens le croient ou font semblant de le croire. Minus quam.

Mais la Turquie et Israël ont des objectifs, réels, qui amèneront les deux pays à un conflit final. Netanyahou n'avait pas encore fini de célébrer l'élimination d'Assad qu'il commençait déjà à spéculer sur la nécessité d'aider les Kurdes à créer un État indépendant en Syrie. Tout cela pour menacer Ankara et favoriser l'établissement du Grand Israël.

A l'inverse, il n'est certainement pas nouveau qu'Erdogan rêve d'une reconstitution de l'Empire ottoman. En incorporant la Syrie, mais aussi en étendant son contrôle sur la Libye et en jouant un rôle de premier plan en Asie centrale. Là où il exerce déjà une influence sur l'Azerbaïdjan.

Leurs objectifs respectifs vont donc se télescoper. Avec des conséquences difficiles à prévoir. Car Israël, soutenu militairement par Washington, n'est pas membre de l'OTAN. Mais la Turquie l'est. Par conséquent, au premier missile tiré de Tel Aviv, ou à la première frappe comme les pro-israéliens du Tg5 appellent les bombardements contre les Palestiniens, tout le front de l'OTAN devrait intervenir contre Israël.

C'est risible rien que d'y penser. Et Erdogan, qui essaie également de maintenir de bonnes relations avec Moscou, le sait très bien. Et si les Russes conservent leurs bases en Syrie, la Turquie pourra les utiliser.

Bien entendu, cette menace de guerre en Méditerranée laisse la politique italienne totalement indifférente. L'époque de Craxi et du rôle pacificateur de l'Italie en Méditerranée est révolue.

samedi, 06 avril 2024

Questions... turques

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Questions... turques

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/robe-turche/

Erdogan a perdu. Célébrations dans les rues des métropoles turques: Istanbul, Ankara, Izmir...

Célébrations aussi dans les médias italiens. Ils soulignent la raclée prise par le sultan, qui a toujours été présenté à notre opinion publique comme un méchant despote.

Mais.

Mais il s'agissait d'élections locales. Où l'AKP, le parti d'Erdogan, visait à reconquérir Ankara et Istanbul, déjà gouvernées par l'opposition du CHP. En Italie, ce dernier s'est présenté comme un parti social-démocrate, ou plus simplement socialiste.

En réalité, c'est le parti qui revendique l'héritage d'Atatürk. Laïque et nationaliste. Et les foules qui fêtaient dans les rues des deux métropoles, sans surprise, scandaient: Kemal ! Kemal ! 

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Comme l'a souligné Carlo Marsili (photo), longtemps ambassadeur à Ankara et aujourd'hui plus grand spécialiste italien de la politique turque, ce résultat prouve de manière irréfutable que la Turquie est une démocratie. J'ajouterai qu'il en va de même pour toutes les absurdités qui sont dites et écrites en Italie à propos du despotisme d'Erdogan.

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Il s'agissait d'élections locales. Le choix des maires. Et pourtant, elles étaient chargées d'un poids politique très fort. Le défi entre l'AKP, ou plutôt Erdogan, qui y avait mis tout son poids et sa tête, et l'opposition. Ou plutôt le CHP, dirigé par le maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu (photo). Lequel a d'ailleurs saigné à blanc tous les autres partis d'opposition. Sauf dans les provinces kurdes, où le succès prévisible et modéré du parti minoritaire de référence a été enregistré.

Le fait le plus important, cependant, est que le CHP semble avoir dépassé le parti d'Erdogan dans les pourcentages nationaux. Ce qui, automatiquement, désigne Imamoglu pour les prochaines élections présidentielles en tant que successeur du sultan.

Erdogan paie principalement une crise économique interne et l'échec de nombre de ses politiques sociales. Il s'est ainsi aliéné le soutien de la classe moyenne urbaine, qui soutenait l'AKP à l'époque.

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Toutefois, il s'agit là de problèmes internes à la République turque. Des problèmes turcs, pour l'analyse desquels je me réfère à ce que des experts authentiques tels que Carlo Marsili et le professeur Fabio L. Grassi (photo) de l'université Sapienza écrivent et disent ces jours-ci. Tous deux font d'ailleurs partie du comité scientifique de la Fondation Nodo di Gordio.

Il est toutefois intéressant de noter comment un tel résultat pourrait affecter la politique étrangère d'Ankara. Notamment parce que le CHP est ouvertement atlantiste. Et Imamoglu semble avoir bénéficié de tout le soutien possible, et pas seulement moral, de Washington.

La position internationale de la Turquie est en effet... ambiguë. Erdogan, suivant les lignes de fond stratégiques turques liées à la tradition ottomane, a conduit le grand pays anatolien à jouer sur plusieurs tableaux. Dans l'OTAN et, en même temps, dans le dialogue avec Moscou. Un jeu complet qui a fait d'Ankara un acteur géopolitique présent et influent non seulement dans les Balkans et au Moyen-Orient, mais aussi dans tout le Maghreb et la Corne de l'Afrique.

Une stratégie tous azimuts qui a éveillé les soupçons (et c'est un euphémisme) de Washington. Lequel ne peut renoncer à son alliance stratégique avec la Turquie, mais ne pardonne pas à Erdogan le "dialogue" avec Moscou et Téhéran. D'où le soupçon (sic !) qu'une longa manus "amie"... était derrière le coup d'État manqué de 2016.

Erdogan a maintenant près de quatre ans pour retrouver le consensus et corriger ses erreurs de politique intérieure. Et rien n'est encore joué quant à l'avenir d'Ankara. Toutefois, il faudra voir comment le sultan se comportera sur la scène internationale pendant cette période. Compte tenu de son caractère, je doute qu'il accepte de rentrer dans le rang comme un canard boiteux. Et, peut-être, faudra-t-il s'attendre à d'autres... surprises.

lundi, 29 mai 2023

Erdogan gagne, les néoconservateurs perdent

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Erdogan gagne, les néoconservateurs perdent

Source: https://www.piccolenote.it/mondo/vince-erdogan-perdono-i-neocon

C'est un Erdogan rajeuni qui a célébré sa réélection devant une foule immense. L'Occident avait parié contre lui et a "perdu", comme il l'a dit dans son premier discours. Et, en effet, les milieux hyper-atlantistes avaient fait des pieds et des mains pour soutenir son adversaire Kemal Kilicdaroglu, qui avait promis de ramener la Turquie à l'obéissance silencieuse aux diktats de l'OTAN et d'engager Ankara dans l'acharnement anti-russe (Responsible Statecraft).

Même si les intentions de Kilicdaroglu étaient quelque peu illusoires, puisque toutes les forces qui le soutenaient n'avaient pas le même penchant atlantiste, cela aurait certainement affaibli l'axe existant avec la Russie.

Cela n'a pas été le cas, et maintenant Erdogan, qui pour gagner s'est éloigné encore plus de l'Occident, se sentira encore plus ferme pour persévérer dans la ligne suivie jusqu'à présent, qui lui a attiré le consensus dans son pays.

Une ligne qui ne renie pas les relations établies par Kemal Ataturk avec l'Occident, mais qui, en même temps, ne se sent pas liée par elles, conduisant son pays à rétablir avec l'Orient des relations qui avaient été rompues au nom des diktats atlantistes.

Il est intéressant de noter que la victoire électorale n'a pas suscité de protestations, bien que certains médias aient fait état d'une prétendue fraude électorale de la part de l'autorité centrale.

En d'autres temps (en Ukraine - en 2014 - ou au Venezuela - en 2019 - pour ne citer que deux cas frappants), de telles allégations avaient servi de base au déclenchement de manifestations de rue contre la victoire volée, manifestations que l'Occident avait utilisées comme levier pour tenter de renverser le gouvernement élu.

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Le fait qu'Erdogan a également été capable de gérer la période post-électorale est une autre indication de la force du sultan.

Il reste les nombreux problèmes de la Turquie, auxquels Erdogan est appelé à s'attaquer, notamment la reconstruction des zones touchées par le récent tremblement de terre. Et le caractère autoritaire de son gouvernement, un peu dénoncé par tous les médias occidentaux. Une propension qui n'est pourtant pas une marque de fabrique du sultan, la Turquie n'ayant connu que des pouvoirs forts depuis l'époque d'Atatürk.

Une dernière remarque concerne la guerre d'Ukraine, à propos de laquelle Erdogan a joué le rôle de médiateur, parvenant même à accueillir plusieurs réunions entre les parties en conflit et à faciliter le seul accord conclu entre elles, celui concernant le transit des céréales ukrainiennes.

Un travail qu'il a dû abandonner ces derniers mois en raison de l'engagement électoral qui l'a complètement absorbé. Maintenant qu'il est plus fort, il peut reprendre ce rôle, augmentant ainsi les chances de ceux qui tentent de rétablir la paix dans ce pays européen ravagé.

La Turquie maintient le cap : Erdogan clairement réélu au second tour

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La Turquie maintient le cap: Erdogan clairement réélu au second tour

Source: https://zuerst.de/2023/05/29/die-tuerkei-bleibt-auf-kurs-erdogan-im-zweiten-wahlgang-klar-bestaetigt/

Ankara. La Turquie a voté - et elle a finalement choisi assez clairement Erdogan lors du second tour de l'élection présidentielle du 28 mai qui opposait le chef du gouvernement de longue date, Erdogan, à son challenger Kemal Kilicdaroglu. Erdogan a obtenu 52,16% des voix dimanche soir après le dépouillement de tous les votes, contre 47,84% pour Kilicdaroglu. Le troisième candidat, Sinan Ogan, de la coalition de droite Ata Ittifaki, avait également voté pour Erdogan au premier tour, il y a deux semaines, et a appelé ses partisans à voter pour lui au second tour.

Le résultat du scrutin est avant tout une déception pour les élites libérales de gauche occidentales, qui avaient clairement favorisé Kilicdaroglu. Ce dernier s'était engagé à renforcer les liens entre la Turquie et l'Occident et, surtout, à promouvoir les "valeurs européennes" telles que le culte LGBTiste. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, son propre parti, le CHP (Parti républicain du peuple), était considéré par les observateurs occidentaux comme "élitiste" et "nationaliste". L'alliance électorale de Kilicdaroglu avait même envisagé un "changement de régime" en cas d'arrivée au pouvoir, afin de mettre la Turquie sur la voie de l'Occident.

Malgré les difficultés économiques considérables de la Turquie, l'inflation galopante et, plus récemment, les manquements du gouvernement après le tremblement de terre de début février, la majorité des électeurs turcs n'ont pas voulu de changement et ont manifesté leur confiance dans le président sortant Erdogan, qui dirige le pays depuis maintenant 20 ans.

Le Premier ministre hongrois Orbán a été l'un des premiers à le féliciter dimanche. Sur Twitter, il a écrit qu'il s'agissait d'une "victoire sans équivoque". Le chef du Kremlin, M. Poutine, a également adressé ses félicitations dimanche soir, avant même le dépouillement de tous les votes. Au grand dam de l'Occident, Erdogan a renforcé ses relations avec la Russie au cours des dernières années et ne supporte pas les sanctions occidentales.

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Au contraire, Ankara peut se réjouir du rôle privilégié d'intermédiaire énergétique russe - en contrepartie des voies de transport de gaz et de pétrole d'Europe de l'Est, de plus en plus incertaines ces dernières années, le gaz russe s'écoule depuis 2020 directement de la Russie vers la Turquie via le gazoduc Turk Stream.

Le challenger malheureux Kilicdaroglu a entre-temps reconnu le résultat des élections et a déclaré qu'il n'avait pas l'intention de les contester (mü).

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dimanche, 28 mai 2023

Fractures turques

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Fractures turques

par Georges FELTIN-TRACOL

Sinan Oğan est la grande surprise du premier tour de la présidentielle turque. Certes, il ne se qualifie pas pour le second tour, mais ses 5,17 % pèsent déjà sur le duel entre le président sortant Recep Tayyip Erdoğan qui frôle la réélection avec 49,52 % et son rival républicain du peuple Kemal Kılıçdaroğlu (44,88 %). Quant au quatrième candidat issu du Parti de la mère-patrie d’orientation libérale-conservatrice, Muharrem İnce se retire dans les derniers jours de la campagne, d’où son 0,43 %.

Quelques esprits forts pointent aussitôt l’activisme débordant de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement) auprès des classes les plus populaires, activisme qualifié de « clientélisme ». Dommage qu’ils ne mentionnent jamais le clientélisme gigantesque du Parti démocrate de Joe Biden dans certains États, comtés et municipalités des États-Unis.

On peut croire que les électeurs de Sinan Oğan se reporteront sur le président Erdoğan au second tour. La vie politique turque est en réalité plus subtile. Âgé de 55 ans et d’origine azerbaïdjanaise, Sinan Oğan a étudié à Moscou au début du XXIe siècle. Il milite de 2010 à 2015 au sein du mouvement pantouranien MHP (Parti d’action nationaliste) de Devlet Bahçeli dont il devient l’un des députés. En 2015, le MHP l’exclut, car il refuse le rapprochement entamé avec l’AKP.

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À l’occasion de cette campagne présidentielle, Sinan Oğan se présente au nom de l’Alliance ancestrale, une coalition électorale récente des pantouraniens radicaux du Parti de la Victoire, des conservateurs libéraux du Parti de la Justice, des kémalistes sociaux du Parti « Mon Pays » et des progressistes du Parti de l’Alliance turque. Le candidat de cette entente veut d’une part interdire l’ensemble des formations politiques kurdes, séparatistes et loyalistes. Il dénonce d’autre part avec une rare insistance les 4,5 millions d’étrangers dont 3,5 millions de réfugiés syriens. Il ne souhaite pas assister au début d’un grand remplacement des Turcs. Il se montre enfin fort méfiant envers les islamistes.

C’est un point d’accord avec Kemal Kılıçdaroğlu dont les aïeux kurdes et alévis seraient originaires de la région arabophone iranienne du Khouzistan. Les observateurs le peignent régulièrement en pantin atlantiste, ce qui est exagéré. Le candidat kémaliste entretient volontiers de bonnes relations avec l’Irak, l’Iran et la Syrie. S’il était élu, sa présidence provoquerait tôt ou tard de profondes divergences au sein de l’Alliance de la nation entre les pro-occidentaux et les tenants du non-alignement.

La bipolarisation exprimée au moment de la présidentielle masque un foisonnement politique considérable avec des unions circonstancielles et hétéroclites dues au mode de scrutin. Un multipartisme vivace s’épanouit sous un apparent dualisme pour le plus grand plaisir des électeurs. L’abstention est autour de 14 % et les votes blancs et nuls ne dépassent pas les 2 %.

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L’Alliance de la nation regroupe les kémalistes historiques du CHP (Parti républicain du peuple), les conservateurs musulmans du Parti démocrate, les islamistes traditionalistes du Parti de la Félicité, le Parti de la Démocratie et du Progrès, le Parti pour le changement de la Turquie, le Parti du Futur de l’ancien Premier ministre AKP Ahmet Davutoğlu, et les nationalistes du Bon Parti. Fondé et dirigé par Meral Akşener qu’on dit proche des milieux atlantistes, le Bon Parti soutient une ligne nationale-laïque intransigeante. Ministresse de l’Intérieur entre 1996 et 1997, elle a fortement réprimé l’opposition kurde, d’où des tiraillements répétés avec ses partenaires de la « Table des Six ». L’hétérogénéité de la coalition explique-t-elle son échec aux élections législatives ?

En effet, le 14 mai dernier, les électeurs turcs participent à la fois aux élections présidentielles et législatives. Depuis la révision constitutionnelle de 2017 qui établit un régime présidentialiste, les mandats du président et des députés sont concomitants. Si le président démissionne ou s’il dissout le parlement, chef d’État et députés retourneront en même temps aux urnes. Cette articulation originale a été proposée dans la décennie 1990 en France par Jean-Pierre Chevènement qui reprenait une idée du club Jean-Moulin, un cénacle de la gauche technocratique des années 1960.

La Grande Assemblée nationale compte 600 membres élus pour cinq ans au scrutin proportionnel de liste bloquée à un seul tour dans 87 circonscriptions, en général des provinces mais pas toujours, au prorata du nombre d’habitants. Le seuil d’élection de 10 % a été abaissé à 7 %.

L’Alliance de la nation réalise 35,02 %, gagne 24 sièges, soit 212 élus (169 pour le CHP et 43 pour le Bon Parti). Elle subit la concurrence inévitable de l’Alliance du travail et de la liberté qui rassemble les Kurdes du HDP (Parti démocratique des peuples), le Parti des travailleurs de Turquie et le Parti de la Gauche verte éco-socialiste libertaire. Ce regroupement de gauche sociétale fait 10,54 %, compte 65 députés et perd deux sièges.

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Le grand vainqueur des législatives est donc le camp présidentiel avec 49,40 %. Malgré une perte de 26 sièges et un recul de près de sept points par rapport à 2018, l’Alliance du peuple remporte 323 élus : 268 pour l’AKP, 50 pour le MHP qui augmente d’un siège et 5 pour les islamistes du Nouveau parti de la Prospérité de Fatih Erbakan, fils du mentor d’Erdoğan. Il faut inclure dans cette alliance présidentielle les nationaux-islamistes panturcs du Parti de la Grande Unité qui perdent leur unique siège, les sociaux-démocrates du Parti de la Gauche démocratique et les Kurdes islamistes traditionalistes anti-séparatistes du Parti de la Cause libre qui s’inspirent de la Garde de Fer roumaine. Pour l’anecdote, le parti La Patrie de l’eurasiste de gauche radicale Doğu Perinçek ne recueille pour sa part que 54.789 voix (0,10 % et perd 0,13 point…).

Si Kemal Kılıçdaroğlu accède à la présidence de la République, il devra cohabiter avec un parlement hostile bien que la nouvelle constitution limite strictement ses prérogatives. On comprend mieux pourquoi Sinan Oğan se pose en faiseur de roi. Il a dès à présent interpellé les deux finalistes au sujet de l’immigration massive qui bouleverse la donne démographique turque.

La Turquie s’intègre de plus en plus dans les méandres de la « société liquide » ultra-libérale 3.0. Le surgissement de Sinan Oğan sur la scène politique signale la radicalisation nationale et identitaire d’une opinion publique très fracturée. Peu importe le président élu, le Bloc occidental atlantiste devra prendre en compte une nation turque fière et sûre d’elle-même. L’échéance électorale du 28 mai prochain se révèle ainsi décisif non seulement pour l’avenir de la Sublime Porte, mais aussi pour l’Europe, le Proche-Orient, le Caucase, l’espace pontique, l’Asie Centrale et même le continent africain.

 

GF-T

 

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 75, mise en ligne le 23 mai 2023 sur Radio Méridien Zéro.

 

vendredi, 12 mai 2023

La Turquie à la veille d'élections cruciales

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La Turquie à la veille d'élections cruciales

Source: https://katehon.com/ru/article/turciya-nakanune-reshayush...

La Turquie organise des élections présidentielles et législatives le 14 mai prochain. La situation politique interne du pays est très tendue. De facto, l'avenir du pays se jouera ce jour-là.

Principaux rivaux

L'événement principal des prochains jours en Turquie est l'élection présidentielle. Les deux principaux candidats sont le président sortant Recep Tayyip Erdogan et Kemal Kılıçdaroğlu, chef du Parti républicain du peuple (CHP). Les sondages d'opinion - selon les sympathisants des sondeurs, ils donnent un avantage de 1 % à l'un ou l'autre candidat. Mais un second tour est également tout à fait possible, car outre Kılıçdaroğlu et Erdoğan, plusieurs autres candidats se présentent et il est possible qu'aucun des principaux prétendants n'obtienne plus de 50 % des voix le 14 mai. Un second tour devrait alors être organisé dans une quinzaine de jours.

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L'opinion publique est divisée en deux. Il s'agit en grande partie d'un vote pour ou contre Erdogan. Ainsi, Kılıçdaroğlu est soutenu par une coalition hétéroclite de partis, comprenant les kémalistes libéraux (CHP), les islamistes (SAADET), les anciens fonctionnaires d'Erdoğan Ali Babacan et Ahmet Davutoğlu avec leurs partis, et les nationalistes du Bon Parti (IYI). Outre ces structures politiques, qui se présentent également aux élections législatives sous la forme d'un bloc, l'Alliance nationale, la candidature de Kılıçdaroğlu aux élections présidentielles est également soutenue par le Parti démocratique des peuples kurde (HDP), qui est accusé d'avoir des liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan, un parti terroriste. La seule chose que toutes ces forces ont en commun est leur désir de renverser Erdogan à tout prix.

Repères en matière de politique étrangère

Dans sa campagne électorale, Recep Tayyip Erdoğan met en avant sa réussite à élever le rôle de la Turquie sur la scène internationale, à en faire un leader régional et à développer les infrastructures du pays. L'opposition, rassemblée autour de Kılıçdaroğlu, reproche aux autorités la détérioration de la situation économique de la Turquie, notamment ces dernières années, l'inflation et la dépréciation de la monnaie nationale, la livre turque.

L'opposition ne cache pas ses liens avec les Etats-Unis. Kılıçdaroğlu a récemment rencontré l'ambassadeur américain en Turquie, Geoffrey Flake. À l'automne dernier, il s'est rendu aux États-Unis, où il a disparu de la vue des journalistes pendant huit heures. On ne sait pas de quoi et avec qui il a discuté pendant cette période. Auparavant, le président américain Joe Biden avait ouvertement déclaré son intention d'évincer Recep Tayyip Erdogan lors des élections. Après les États-Unis, le principal rival d'Erdogan s'est rendu au Royaume-Uni pour y rencontrer des "investisseurs".

L'opposition espère une aide de l'Occident, notamment des pays anglo-saxons, dans le domaine économique. Si elle arrive au pouvoir, certaines positions géopolitiques de la Turquie pourraient devenir une monnaie d'échange.

En échange d'une aide financière et de la levée de certaines sanctions, Kılıçdaroğlu et son équipe pourraient opter pour une détérioration progressive des relations avec la Russie : en matière de sanctions anti-russes, de coopération technique et militaro-technique, de coordination des actions en Syrie, de corridor aérien vers la Syrie, d'assistance militaro-technique au régime de Zelenski.

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Dans une interview accordée au Wall Street Journal le 9 mai dernier, Kemal Kılıçdaroğlu a promis de se joindre aux sanctions anti-russes et de suivre la ligne de l'OTAN dans la politique étrangère du pays. Il ne faut pas oublier que l'équipe de Kılıçdaroğlu comprend Ahmed Davutoğlu (photo), l'architecte des politiques néo-ottomanes de la Turquie dans les années 2010, qui était premier ministre lors de la destruction tragique en 2015 d'un Su-25 russe dans le ciel de la Syrie. Les pilotes qui ont abattu l'avion ont agi sur ordre de Davutoğlu. Davutoğlu, malgré son néo-ottomanisme, est également un homme politique pro-américain.

Dans le même temps, les États-Unis n'ont pas utilisé tous les leviers à leur disposition pour soutenir l'opposition. Cela pourrait signifier qu'ils font pression sur l'équipe d'Erdogan en même temps, montrant qu'ils sont prêts à travailler avec eux aussi, mais en échange de certaines concessions.

Conséquences immédiates

À la veille de l'élection, chacune des parties en présence a fait savoir que, dans certaines circonstances, elle pourrait ne pas accepter les résultats. Suleyman Soylu, chef de la MIL turque, affirme que les États-Unis tentent d'interférer dans les élections turques. Pour sa part, Muharrem Erkek, adjoint de Kemal Kılıçdaroğlu, a accusé Soylu lui-même d'avoir préparé le trucage. Une situation a été créée qui pourrait se transformer en une tentative de "révolution de couleur" ou, à tout le moins, en troubles de masse.

Une crise de pouvoir prolongée pourrait également se produire si une force politique remporte les élections présidentielles et une autre les élections législatives. Cela est possible dans une société divisée.

Si l'opposition turque l'emporte, il est fort probable que les divisions internes au sein d'un camp uni par le seul désir de se débarrasser d'Erdogan s'intensifieront. Les contradictions internes sont susceptibles de conduire à une scission et à des élections anticipées dans les six prochains mois. Il convient de noter que l'opposition, à l'exception de Babacan et Davutoğlu, n'a aucune expérience de la gestion d'un État depuis 20 ans. La Turquie a beaucoup changé sous le règne d'Erdogan. Il est probable qu'en l'absence d'une figure charismatique à la barre, ils ne seront pas en mesure de faire face à la gouvernance de l'État et de régler les différends internes, ce qui entraînera une aggravation des tendances à la crise en Turquie.

Les grâces accordées pour le coup d'État de 2016 inspiré par Fethullah Gulen, basé aux États-Unis, pourraient entraîner de graves problèmes internes et une détérioration des relations avec la Russie.

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Kılıçdaroğlu avait précédemment promis "le soleil et le printemps" aux personnes renvoyées pendant les décrets relatifs à l'état d'urgence. Après la tentative de coup d'État de 2016, plus de 170.000 fonctionnaires et militaires, professeurs d'université et des centaines de médias et d'ONG ont été licenciés en Turquie en deux ans pour leurs liens avec l'organisation de Gulen. Des poursuites ont été engagées contre 128.000 personnes soupçonnées d'avoir participé au coup d'État.

Soutenir les participants au putsch, les gracier et les renvoyer de l'étranger, y compris à des postes gouvernementaux, alors que la Russie a joué un rôle clé dans l'échec du putsch en avertissant Erdogan de la tentative de coup d'État, pourrait conduire au renforcement d'une strate anti-russe au sein de l'élite dirigeante, des médias et des ONG de Turquie et à l'expansion des mécanismes de gouvernance externe dans le pays. À l'intérieur de la Turquie, une telle amnistie conduirait à un affrontement avec les opposants au putsch, qui sont descendus dans la rue en 2016 pour défendre le pays contre les gülenistes.

Cependant, la victoire d'Erdoğan et de son Parti de la justice et du développement (AKP) n'augure pas d'un redressement prochain du pays. Jusqu'à présent, les dirigeants turcs actuels ne montrent aucun signe de capacité à résoudre les problèmes économiques. Un autre problème pourrait être une crise de pouvoir au sein du parti. Le parti d'Erdogan est uni autour de son leader charismatique. Une détérioration significative de sa santé ces derniers temps pourrait entraîner une augmentation des tendances centrifuges au sein des "élites erdoganistes". Il existe déjà un "pôle patriotique" conditionnel représenté par le ministre de l'intérieur Suleyman Soylu, qui critique constamment les États-Unis, et un pôle axé sur le dialogue avec l'Occident représenté par le porte-parole d'Erdoğan, Ibrahim Kalın, et le ministre des affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu, qui ne cessent de parler de la loyauté de la Turquie à l'égard des engagements euro-atlantiques.

Il est clair que la Russie devra trouver une approche de ces élites au-delà de la relation personnelle entre le président Poutine et le président Erdogan. Toutes les voies possibles de communication et de rapprochement doivent être envisagées, à la fois sur la base d'intérêts pragmatiques et des vues idéologiques des personnages clés : l'antiaméricanisme (Soylu) et le traditionalisme (Kalın - en tant qu'adepte du philosophe René Guénon et des mystiques islamiques : Ibn Arabi et Mulla Sadr).

jeudi, 20 avril 2023

Les élections en Turquie auront-elles un impact sur la place de ce pays dans un monde multipolaire ?

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Les élections en Turquie auront-elles un impact sur la place de ce pays dans un monde multipolaire ?

Ceyda Karan

Source: https://katehon.com/en/article/will-turkiyes-elections-impact-its-place-multipolar-world?fbclid=IwAR0KrOHugXwmcJqAKhblX71bm5L1egKixOQ5hQ4pNet4SFLT6Yx1j-dMkJ8

Une victoire de l'opposition aux prochaines élections pourrait "occidentaliser" la politique étrangère de la Turquie et perturber le délicat exercice d'équilibre d'Ankara dans le nouvel ordre multipolaire.

Le 14 mai 2023, des élections très attendues, mais néanmoins cruciales, auront lieu en Turquie pour élire le président et les députés. Ces élections sont cruciales pour le président Recep Tayyip Erdogan, dont la réputation politique intérieure a été ternie par sa gestion du tremblement de terre du 6 février, aggravée par une crise économique de plus en plus grave au cours des deux dernières années.

Malgré les manœuvres pragmatiques visant à équilibrer l'Est et l'Ouest, la politique étrangère d'Erdogan est également critiquée. Non seulement le dirigeant turc de longue date est confronté à la plus grande épreuve de sa carrière politique, mais l'orientation future de la Turquie est également susceptible d'être remise en question.

Au cours des deux dernières semaines, plusieurs partis, dont le parti DEVA, le bon parti, le jeune parti, le parti de la libération du peuple, le parti de la gauche, le parti de la patrie et le parti de la résurrection, se sont opposés à la candidature d'Erdogan.

Cette objection a rallié les nationalistes, les socialistes, le centre-droit, les islamistes, les kémalistes et les "sept dissemblances" de la politique turque.

Le principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), qui est le parti fondateur de la Turquie, n'a pas tenté de s'opposer à la candidature d'Erdogan.

Candidature d'Erdogan à un troisième mandat

D'éminents juristes expliquent qu'en vertu de l'article 101 de la Constitution turque, en vigueur depuis 2007, "une personne ne peut être élue président que deux fois au maximum". Erdogan a été élu en 2014 et en 2018, et il a déjà effectué deux mandats.

La seule exception à l'article 101 serait si le parlement décidait de renouveler les élections. Cependant, le parti Justice et Développement (AKP) d'Erdogan ne se réfère pas à la Constitution, mais au Conseil électoral suprême (YSK), dont les pouvoirs sont limités à l'administration générale et à la supervision des élections.

L'AKP affirme que les modifications techniques du "système de gouvernement présidentiel", introduites lors du référendum controversé de 2017 au cours duquel le YSK a reconnu les votes non scellés comme étant valides, rendent la candidature d'Erdogan possible. En d'autres termes, même si la Constitution reste en place, le premier mandat d'Erdogan ne compte pas.

Par le passé, Erdogan a déclaré "nous ne reconnaissons pas" les décisions de la Cour constitutionnelle. En fait, l'élection de la municipalité métropolitaine d'Istanbul, qui a battu son parti à plate couture en 2019, a été répétée sans aucune base juridique. Le résultat a été une défaite encore plus importante pour l'AKP.

En bref, le CHP a accepté la troisième nomination d'Erdogan sur la base de ses antécédents en matière de respect de la loi écrite. Le fait d'insister sur le contraire pourrait jouer dans le "récit de victimisation" qu'il a effectivement utilisé au cours des deux dernières décennies.

Le Conseil électoral suprême a récemment annoncé les candidats à la présidence qui s'affronteront le 14 mai :

Erdogan se présente en tant que candidat de l'"Alliance du peuple (Cumhur)", qui comprend l'AKP, le Parti du mouvement nationaliste (MHP), le Parti de la grande unité (BBP), le Nouveau parti de la prospérité (YRP) et l'HUDA-PAR.

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Kemal Kilicdaroglu, quant à lui, se présente comme le candidat de l'"Alliance de la Nation (Millet)", qui comprend le CHP, le Bon Parti, le Parti de la Félicité (SAADET), le Parti Démocratique (DP), le Parti de la Démocratie et du Progrès (DEVA) et le Parti de l'Avenir (GP). Cette alliance électorale est également connue sous le nom de coalition de la "table des six".

Outre ces deux principaux rivaux, il y a deux autres candidats : Muharrem Ince et Sinan Ogan. Ince était le candidat commun de l'opposition en 2018, mais il a quitté le CHP après avoir perdu face à Erdogan, et il a maintenant fondé le Parti de la patrie.

Ogan, un ancien député, a été exclu du MHP, le partenaire d'Erdogan, en 2017 et se présente en tant que candidat de l'Alliance Ata, qui réunit quatre petits partis nationalistes et kémalistes de droite.

Erdogan est confronté à un défi de taille cette fois-ci, car les sondages donnent Kilicdaroglu en tête avec 2,5 à 5 points d'avance. La possibilité d'un second tour est également envisagée en raison du facteur Muharrem Ince.

Alliances inattendues

Bien que les petits partis disparates de la politique turque n'apprécient pas l'"Alliance nationale", ils soutiennent principalement Kilicdaroglu pour éjecter Erdogan après deux décennies de règne.

La principale opposition turque de la "Table des Six" a finalement réussi à s'unir derrière Kilicdaroglu après de douloureuses discussions, mais un facteur encore plus critique favorisant son éligibilité est le parti pro-kurde de la démocratie des peuples (HDP), qui soutient indirectement Kilicdaroglu (sous la menace d'être fermé) en ne présentant pas son propre candidat.

Les 9 à 13 % de voix du HDP sont particulièrement importants, car ils ont obligé Erdogan à élargir son alliance d'une manière surprenante.

Au début des années 2000, Erdogan et l'AKP ont émergé du "Parti du bien-être" de la Vision nationale de Necmettin Erbakan, qui avait été la marque de fabrique de l'islamisme turc au 20e siècle. Un an avant sa mort, Erbakan, un important mentor de l'actuel président turc, a critiqué Erdogan pour être "le caissier du sionisme".

Fin mars, son fils Fatih Erbakan, chef du Nouveau parti du bien-être, qu'il a fondé sur la base de l'héritage de son père, a refusé de rejoindre l'Alliance populaire d'Erdogan en invoquant des "principes", mais a capitulé peu après pour rejoindre son vieil ennemi. Cependant, le parti Felicity (SAADET), dont les racines se trouvent également dans la Vision nationale d'Erkaban père, s'est aligné sur l'Alliance nationale de Kilicdaroglu.

Mais l'initiative la plus frappante d'Erdogan pour élargir son alliance est venue du HUDA-PAR, que les experts politiques associent au "Hezbollah turc" ou "Hezbollah kurde", un mouvement soutenu par l'État qui a perpétré des attentats terroristes dans le sud-est de la Turquie à la fin des années 1980 et dans les années 1990.

"La philosophie, les convictions et les fondateurs [de l'HUDA-PAR] sont exactement les mêmes" que ceux du Hezbollah turc, déclare Hanefi Avci, chef de police à la retraite de renommée nationale. Ce dernier, dès sa création, a été officiellement désigné comme une organisation terroriste, et nombre de ses associations affiliées ont été systématiquement fermées. Parfois confondu avec l'organisation de résistance chiite libanaise Hezbollah, le mouvement turc est aux antipodes : il est au contraire fortement imprégné de l'idéologie des extrémistes religieux kurdes sunnites.

L'inclusion de l'HUDA-PAR dans l'alliance d'Erdogan a soulevé des questions au sein de l'opinion publique turque quant à ses motivations, les avis divergeant à ce sujet. Certains pensent qu'Erdogan tente de séduire les Kurdes religieux, tandis que d'autres voient dans son alliance avec ce parti très controversé un signe de son désespoir électoral. Le parti ne représentant pas un nombre significatif d'électeurs, on ne sait pas encore pourquoi le président turc s'est lancé dans une telle aventure.

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Promesses populistes et manœuvres de politique étrangère

Les précédentes victoires électorales d'Erdogan étaient en grande partie dues à ses tactiques agressives, mais après 20 ans, cette approche n'est plus fiable. L'effondrement de la livre turque - déclenché par la décision d'Erdogan de réduire les taux d'intérêt fin 2021 sur la base de la règle islamique du "nas" - et l'inflation, qui a atteint 70 % et, officieusement, 140 %, sont des problèmes majeurs pour l'électeur turc moyen. Les tremblements de terre dévastateurs qui ont eu lieu le 6 février ont encore plus déstabilisé l'économie turque.

Pour tenter de regagner des soutiens, Erdogan axe sa campagne sur des promesses de reconstruction. Il a mis en œuvre des politiques économiques populistes telles que l'augmentation du salaire minimum, qui est la principale source de revenus pour environ 60 % des Turcs, et l'augmentation des salaires des fonctionnaires et des pensions.

Erdogan est connu pour sa capacité à utiliser habilement la politique étrangère de la Turquie comme un outil pour atteindre des objectifs de politique intérieure et extérieure. Toutefois, ces dernières années, les perspectives économiques de la Turquie ont mis à mal les calculs de politique étrangère d'Erdogan.

Depuis l'effondrement des projets néo-ottomans soutenus par les États-Unis en Asie occidentale et en Afrique du Nord, Erdogan a cherché des approches plus pragmatiques qui donnent la priorité à la realpolitik plutôt qu'à l'idéologie. Le président turc a fait marche arrière sur un certain nombre de questions, notamment la réconciliation avec les dirigeants régionaux qu'il a publiquement dénigrés et l'adoption d'une position neutre dans la crise ukrainienne entre les États-Unis et la Russie.

Les efforts d'Erdogan ont parfois eu des effets positifs immédiats : En améliorant leurs relations avec l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, les deux pays ont investi des milliards de dollars en Turquie, même si les détails de ces accords restent flous.

Erdogan a également fait amende honorable avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi, qu'il avait précédemment accusé d'avoir orchestré un coup d'État contre le gouvernement élu dirigé par les Frères musulmans. Ces réconciliations ont donné lieu à des négociations sur des questions liées à la confrérie et à la Libye.

Les défis de la politique étrangère d'Erdogan

Les relations avec la Russie et la Syrie restent toutefois deux des questions les plus épineuses pour Ankara, principalement parce qu'elles placent la Turquie dans le collimateur des principaux objectifs de politique étrangère de Washington.

Les intérêts en jeu sont on ne peut plus clairs : la Turquie dépend de la Russie pour l'énergie et le tourisme, tandis que la Russie a besoin de la Turquie pour atténuer l'impact des sanctions américaines.

Malgré les efforts de pragmatisme d'Erdogan en matière de politique étrangère, ses tentatives de réconciliation avec le dirigeant syrien Bashar al-Assad se sont enlisées en raison des objections des États-Unis et des conditions posées par Damas. Bien qu'Erdogan ait fait part de sa volonté de se réconcilier avec Assad en novembre dernier, la question n'a pas beaucoup progressé, malgré des réunions de haut niveau entre leurs responsables, sous la médiation de la Russie.

Les ministres de la défense turc et syrien se sont rencontrés à Moscou en décembre 2022, et si leurs vice-ministres des affaires étrangères respectifs se sont brièvement rencontrés les 3 et 4 avril, les réunions officielles de haut niveau ne se sont pas encore concrétisées. C'est le signe que la volonté politique ou les conditions de terrain ne sont pas encore réunies pour accélérer la diplomatie, d'un côté comme de l'autre.

Cela est dû en grande partie à la ligne rouge syrienne qui exige l'évacuation de toutes les troupes turques du sol syrien avant que les pourparlers de rapprochement ne progressent. Pourtant, lors d'une réunion avec son homologue russe Sergey Shoigu, le ministre turc de la défense Hulusi Akar a encore affirmé que la présence militaire turque en Syrie était destinée à la "lutte contre le terrorisme", au "maintien de la paix" et à l'"aide humanitaire".

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Certains commentateurs estiment qu'il sera difficile pour l'armée turque de se retirer de Syrie et de satisfaire aux conditions d'Assad en raison de l'activité continue des milices séparatistes kurdes dans le nord du pays et des problèmes posés par les organisations islamistes radicales soutenues par la Turquie à Idlib.

Même la rhétorique d'Erdogan sur le rapatriement des trois millions de réfugiés syriens a perdu de sa crédibilité en raison de l'emploi de cette main-d'œuvre bon marché par des chefs d'entreprise liés à l'AKP. Tous ces facteurs font qu'il est de plus en plus difficile pour Erdogan de réussir sa politique étrangère avant les élections de mai.

Engin Solakoglu, diplomate turc à la retraite, explique à The Cradle que si l'AKP a pu étendre l'autonomie de sa politique étrangère en raison de l'affaiblissement de l'influence régionale des États-Unis, il opère toujours dans le cadre des relations existantes de la Turquie avec l'Occident : "Les fonds dont l'économie turque a chroniquement besoin proviennent principalement des centres financiers européens", explique-t-il.

Selon le professeur Behlul Ozkan, si les pays de taille moyenne comme la Turquie ont la capacité d'agir parfois de manière indépendante en matière de politique étrangère, la vision du monde d'Erdogan ne penche pas vers l'eurasisme, comme le prétendent souvent les experts occidentaux et orientaux.

Ozkan souligne le rôle important joué par l'Occident dans l'économie turque au cours des deux dernières décennies :

    "Si Erdogan et l'AKP remportent les élections, il est fort possible que la Turquie devienne encore plus dépendante de l'Occident pour sortir de sa crise économique. Le rôle de l'AKP pour la Turquie est d'être le gendarme de l'Occident dans la région, comme il l'était pendant la guerre froide".

La vision du monde de l'opposition

Au lieu de tirer parti des contraintes et des vulnérabilités d'Erdogan en matière de politique étrangère, l'opposition multipartite a présenté un "protocole d'accord commun" peu convaincant, qui n'aborde guère son programme extérieur. Plus de platitudes que de substance, l'opposition met l'accent sur un principe de "paix à la maison, paix dans le monde" et affirme que l'intérêt national et la sécurité seront à la base de ses politiques.

Le document indique également que "les relations avec les États-Unis devraient être institutionnalisées dans le cadre d'une entente entre égaux", alors que la Russie n'est mentionnée qu'à deux reprises. Il convient également de noter que le CHP a récemment rappelé à Moscou que la Turquie est "un pays de l'OTAN".

Selon Hazal Yalin, chercheur et écrivain spécialisé dans les affaires russes, l'incapacité de la bourgeoisie turque à rompre les liens avec l'impérialisme occidental rend difficile la communication de l'opposition turque avec la Russie. Comme il l'explique à The Cradle :

    "La Russie a la possibilité de poursuivre ses relations interétatiques avec la Turquie, comme avec n'importe quel autre pays, quel que soit le parti au pouvoir ; par conséquent, dans l'éventualité d'un changement de pouvoir, elle peut faire comme si rien ne s'était passé".

Malgré la possibilité que l'alliance d'opposition poursuive des politiques plus orientées vers l'Occident, le professeur Ozkan pense qu'elle adoptera une approche plus pacifique dans la région par rapport à l'AKP :

    "L'établissement de relations diplomatiques avec la Syrie est la première priorité. La présence militaire turque en Syrie sera progressivement réduite, probablement en contact avec d'autres puissances régionales, et l'intégrité territoriale sera restaurée en coopération avec Damas".

Ozkan ajoute : "Il n'est pas possible de prendre une décision :

    "Il n'est pas possible de prendre une mesure similaire avec l'AKP. Tant que l'AKP restera au pouvoir, il voudra maintenir sa présence militaire et la poursuite du conflit en Syrie comme monnaie d'échange avec l'Occident et la Russie, et en tirer profit."

Certaines choses ne changeront jamais

Toutefois, M. Solakoglu, diplomate à la retraite, estime que même si l'opposition l'emporte, il est peu probable qu'elle renonce à l'autonomie en matière de politique étrangère acquise sous le régime de l'AKP :

    "Je ne pense pas que la présence militaire en Syrie, en Irak et en Libye disparaîtra soudainement. De même, je ne pense pas que le gouvernement Kilicdaroglu adoptera une position [différente] en Méditerranée orientale, sur la question de la 'patrie bleue' et sur Chypre. Sur ces questions, ils sont les mêmes que l'AKP. "

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Le professeur Baris Doster ne prévoit pas de changement significatif dans les politiques d'Erdogan, malgré son nouveau pragmatisme. "Si l'opposition gagne les élections", dit-il, "les réalités et les relations économiques de la Turquie continueront à ralentir même si elle veut se tourner vers l'ouest".

Quel que soit le résultat des élections, il est peu probable que la Turquie rompe ses liens avec l'Occident. Alors que certains affirment qu'Ankara devrait s'adapter à la tendance mondiale multipolaire, la Turquie est toujours un membre à part entière de l'alliance militaire de l'OTAN, ce qui créera certainement des obstacles à l'adhésion à l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) dirigée par la Chine - comme Erdogan a périodiquement menacé de le faire.

Mais cela n'empêche pas la Turquie de rejoindre les BRICS+ élargis, l'initiative chinoise Belt and Road (BRI), les institutions économiques eurasiatiques et/ou les mégaprojets de connectivité terre-rail-eau. La question est de savoir si les prochaines élections - quels que soient leurs résultats - peuvent mettre sur la touche ou réorienter la multipolarité qui a déjà balayé toutes les institutions turques.

samedi, 25 février 2023

Le tremblement de terre en Turquie dans un contexte géopolitique

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Le tremblement de terre en Turquie dans un contexte géopolitique

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/zemletryasenie-v-turcii-v-geopoliticheskom-kontekste

Toute catastrophe, qu'elle soit d'origine naturelle ou humaine, constitue toujours un défi pour les autorités au pouvoir - les victimes et le grand public attendent de leur gouvernement une action immédiate et, surtout, correcte, en surveillant de près tant les déclarations que les actions des autorités. Une situation similaire existe aujourd'hui en Turquie. L'énorme tragédie qui a fait des centaines de milliers de victimes (quelque 40.000 morts) a non seulement mis à l'épreuve l'ensemble du peuple turc, mais est également devenue un catalyseur de batailles politiques. Ce faisant, l'opposition a été proactive.

Des défis pour Erdogan

Avant qu'Erdogan n'apparaisse à la télévision pour s'adresser à la nation, Kemal Kılıçdaroğlu, chef du plus grand parti d'opposition turc, le Parti républicain populaire, a déclaré qu'il se rendrait à Hatay avec ses collègues, le maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu, le maire d'Ankara Mansur Yavas et le maire d'Izmir Tunç Soyer, qui ont remporté les élections de 2019 face aux candidats du Parti de la justice et du développement (AKP), actuellement au pouvoir. Kiliçdaroğlu a prononcé son discours devant les citoyens de Hatay tard dans la soirée du 7 février. En contraste frappant avec le discours d'Erdogan, Kiliçdaroğlu est apparu à la lumière d'un plafonnier de rechange dans la ville, toujours privée d'électricité, entièrement vêtu de noir, et a imputé la responsabilité de la catastrophe au régime sans grande cérémonie, en déclarant : "cet effondrement est entièrement le résultat d'une politique rentière systématique. Il n'y a pas de place pour qu'Erdogan, le palais ou ces bandes de rentiers se rencontrent."

La veille du tremblement de terre, la coalition d'opposition a également annoncé qu'elle désignerait son candidat pour se présenter contre Erdogan le 13 février. Alors que l'on avait craint une scission au sein de l'opposition en raison de différends sur le choix du candidat principal, les jours qui ont suivi le tremblement de terre ont montré une certaine unité. Cela présente certains risques pour l'AKP.

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La journaliste turque Ceyda Karan relève six aspects clés liés aux problèmes du tremblement de terre et de ses suites :

1) le long retard ou le manque d'assistance aux victimes de la part de l'État. Cela a été affecté par l'ampleur de la catastrophe, de sorte que l'État n'était tout simplement pas en mesure d'aider tout le monde en même temps ;

2) La réponse inadéquate de l'agence d'urgence, qui fait partie du ministère de l'intérieur. Manque d'équipement de sauvetage nécessaire et de personnel qualifié ;

3) Tentatives de censure des critiques du gouvernement formulées par l'opposition et blocage temporaire des médias sociaux ;

4) L'utilisation controversée des forces armées turques pour répondre au tremblement de terre. Seuls 3500 militaires ont été déployés au cours des 24 premières heures, alors que 50.000 soldats et officiers turcs se trouvent en Syrie. Les équipes de secours de Russie, d'Espagne et d'Israël ont eu le temps de déployer des hôpitaux de campagne plus tôt ;

5) La complexité des élections prévues en mai. Erdogan n'a le mandat de reporter les élections qu'en cas de guerre, et la catastrophe actuelle crée une toile de fond négative pour lui permettre de remporter une majorité de sièges parlementaires pour le parti de la justice et du développement ;

6) Les relations avec la politique étrangère, car les relations de la Turquie avec les pays de l'UE et de l'OTAN étaient tendues à la veille du tremblement de terre. À l'inverse, il y a eu un rapprochement avec la Syrie sous la médiation de la Russie.

Le cinquième point est le plus important à l'heure actuelle, car selon la loi, les élections ne peuvent être reportées. Mais les partisans du report affirment qu'il existe un autre moyen : le Haut Conseil électoral, connu sous le nom de YSK, arbitre final des litiges électoraux, peut décider qu'il n'est pas prêt à organiser des élections dans les 10 provinces durement touchées et dans un contexte de déplacement sans précédent des électeurs vers d'autres villes. En effet, en 1966, le YSK a décidé que les élections locales pouvaient être reportées après qu'un tremblement de terre ait frappé les provinces orientales deux jours avant le scrutin, rendant impossible la tenue des élections. Une décision devrait être prise prochainement, et les émissaires de l'AKP sont maintenant à l'écoute de l'opinion publique pour ne pas perdre leur réputation.

Toutefois, James Ryan, de l'Institut de recherche sur la politique étrangère basé aux États-Unis, établit généralement un lien entre les dégâts du tremblement de terre et le propre parti d'Erdogan. Il écrit que "la raison pour laquelle cela dérange tant Erdogan est que la nature de ces dizaines de milliers de morts - les immeubles d'habitation en béton détruits - frappe au cœur de la stratégie de gouvernement de son parti ... Dans sa hâte de construire un nombre énorme de nouveaux logements, le gouvernement turc a accordé des centaines de milliers de dérogations aux normes de sécurité sismique dans tout le pays, y compris pour 75.000 bâtiments dans la zone aujourd'hui touchée par ces tremblements de terre. Au cours de la dernière décennie, ce développement s'est emballé pour construire non seulement d'importants nouveaux projets de logements, mais aussi des "méga-projets" douteux, dont deux nouveaux ponts sur les détroits du Bosphore et des Dardanelles, un nouvel aéroport majeur dans la banlieue d'Istanbul et un projet de canal destiné à contourner les détroits par la province turque de Thrace. Une grande partie de cette construction a été payée par des injections de dette étrangère, dont une grande partie provient des alliés de la Turquie dans le golfe Persique, à commencer par le Qatar et plus récemment des EAU et de l'Arabie Saoudite. Les visiteurs d'Istanbul ces dernières années n'ont pu s'empêcher de remarquer la vitesse à laquelle les gratte-ciel et les projets de développement sont apparus dans le paysage - un fait moins visible mais non moins vrai est que ce développement s'est produit à un rythme similaire dans tout le pays, et en particulier dans le sud-est de la Turquie qui s'urbanise rapidement, une région qui a également subi le tribut social et économique de l'afflux de millions de réfugiés syriens depuis 2011. En gros, le gouvernement AKP a investi du capital économique et politique dans cette région pendant dix ans, et il a été réduit à néant en quelques heures."

De toute évidence, Erdogan sera tenu pour responsable de tout cela. Si l'on sait déjà que les autorités ont procédé à la détention de représentants d'entreprises de construction dont les maisons se sont avérées moins sûres que d'autres, il ne faut pas oublier que ce commerce n'aurait guère été possible sans le patronage des élites au pouvoir. La recherche active d'un bouc émissaire sera entreprise par l'opposition, qui a été privée de divers privilèges en temps voulu.

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Erdoğan ne doit pas sous-estimer d'autres risques politiques, notamment une éventuelle escalade des conflits à l'intérieur du pays. Une étude sur l'impact des tremblements de terre sur les conflits intra-étatiques, basée sur une analyse statistique de 185 pays de 1975 à 2002, montre que les tremblements de terre "augmentent non seulement la probabilité d'un conflit, mais aussi que leur impact est plus important, les tremblements de terre de plus grande magnitude affectant des zones plus denses de pays ayant un produit intérieur brut plus faible ainsi que des conflits préexistants".

L'auteur de l'étude écrit que "si de nombreux universitaires, décideurs et organisations d'aide suggèrent que les catastrophes naturelles rassemblent les groupes et atténuent les conflits, les tremblements de terre peuvent en fait stimuler les conflits intra-étatiques en provoquant des pénuries de ressources clés, en particulier dans les pays en développement où la concurrence pour les ressources rares est la plus intense."

Évaluations externes

Erol Yaibok, du Centre for Strategic and International Studies (Washington DC), a affiné l'étude du problème social en Turquie. Au-delà de la première phase active de recherche et de sauvetage, souligne-t-il, l'impact physique et psychologique sur les personnes sera bien plus important et plus durable. Par conséquent, les donateurs internationaux et les ONG devront tirer les leçons d'autres catastrophes naturelles (par exemple, les tsunamis ou les ouragans) pour apprendre à coordonner l'aide, à renforcer la résilience locale et à utiliser et renforcer les structures de réponse locales.

En plus des pertes humaines causées par le tremblement de terre, l'ampleur de la dévastation signifie que tous les efforts de secours seront difficiles en raison des routes bloquées, des ponts endommagés, des coupures de communication et d'électricité, des pénuries de nourriture et d'eau et d'autres perturbations critiques ?

Gaziantep elle-même est le centre économique et politique d'une région qui est littéralement sur la ligne de front depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011. Sur les près de 3,8 millions de réfugiés enregistrés en Turquie, plus d'un million de Syriens vivent près de la frontière turco-syrienne, près d'un demi-million dans la seule ville de Gaziantep. Et les conséquences du tremblement de terre ne feront qu'exacerber une situation déjà tendue. Pour les réfugiés syriens, le tremblement de terre crée un nouveau traumatisme en plus des anciens.

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Les experts de RAND qui examinent le tremblement de terre et ses conséquences sous l'angle de diverses options de politique internationale.

Jesse Riposo écrit que "les estimations actuelles de l'impact économique de la catastrophe comprennent près de 70 milliards de dollars de pertes de logements et 10,4 milliards de dollars supplémentaires de pertes économiques. Ces estimations préliminaires ne correspondent probablement pas à l'ensemble des dommages, car il faudra sans doute des mois pour évaluer et établir le coût total de la reconstruction. Ces coûts semblent être dus à la construction non conforme aux normes de nombreuses propriétés, ce qui pourrait conduire à des poursuites judiciaires et servir de rappel brutal de l'importance de mettre en œuvre des codes et des normes de construction plus durables. Alors que la Turquie prend des mesures pour reconstruire, elle devrait réfléchir à la manière dont elle fera respecter une mise en œuvre et une adhésion plus strictes à des règles de construction sûres."

 Howard Schatz aborde un sujet plus sensible sur le plan politique, en notant que "l'aide à la Syrie est une question beaucoup plus complexe. La plupart des dégâts ont été causés dans des zones de la Syrie qui sont en partie contrôlées par la Turquie et des groupes rebelles affiliés, y compris le groupe terroriste reconnu Hayat Tahrir al-Sham, une ramification d'Al-Qaïda.

Malgré cela, une aide est nécessaire. Schatz suggère d'impliquer le groupe connu sous le nom de Casques blancs. Les États-Unis font partie des nombreux pays qui soutiennent cette organisation. Cependant, ils sont connus pour être des provocateurs qui ont en fait porté de fausses accusations afin d'accuser le gouvernement Assad.

L'appel de Schatz n'est-il pas une tentative d'utiliser cette tragédie pour un autre sabotage ? C'est tout à fait possible. D'autant plus que Schatz appelle l'une de ses options de secours "le transport aérien de fournitures aux Casques blancs, coordonné à l'avance. Cela pourrait inclure de la nourriture vitale, de l'eau, des médicaments et des abris tels que des tentes isolées." Et probablement de nouveaux matériaux pour le sabotage et la provocation, y compris des armes.

Un couloir passant par le Kurdistan irakien et l'administration autonome dirigée par les Kurdes du nord et de l'est de la Syrie a également été proposé comme option alternative. Cela nécessite de négocier à travers les lignes de contrôle avec les groupes dirigés par la Turquie ou le gouvernement syrien.

L'incompréhension de Schatz de la situation réelle au Kurdistan est ici évidente. Les Kurdes irakiens ne coopèrent pas avec les Kurdes syriens. Et même lorsqu'il y avait une menace d'ISIS (une organisation interdite dans la Fédération de Russie), les Kurdes syriens ne coopéraient pas avec les Kurdes irakiens. Quel genre de couloirs pour l'aide humanitaire existe-t-il ? Bien que la question kurde elle-même doive également être soulevée, car en Turquie, non seulement les Turcs de souche mais aussi les Kurdes, qui vivent en grand nombre dans la partie orientale du pays, ont souffert. Dans la ville de Gaziantep, déjà mentionnée, environ un demi-million de personnes sont des Kurdes de souche.

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Et James Scheer observe que "la Turquie est confrontée au problème de la 'congestion des accès'. La Syrie y est certainement plus sujette ; mais les voies de transit aériennes, maritimes et terrestres de la Turquie sont submergées par l'énorme afflux d'aide humanitaire. Leur approche originale consistant à prendre les choses selon le principe du premier arrivé, premier servi n'a tout simplement pas fonctionné. Il semble également nécessaire de s'engager avec la Turquie sur des méthodes de récupération sûres. La Turquie devra peut-être commencer par évaluer l'habitabilité des bâtiments encore construits mais fragiles. Il y a aussi le problème de la surveillance et de l'application des codes de construction et de la mise à niveau sismique des structures existantes avant le prochain grand tremblement de terre.

Il est probable que certains États seront prêts à aider à résoudre ces problèmes à certaines conditions.

La diplomatie des tremblements de terre

Toute catastrophe naturelle montre bien sûr qui est un véritable partenaire et ami de la partie touchée, et qui profite de la situation pour servir ses propres intérêts.

Dans ce contexte, Fehim Tastekin écrit que "la diplomatie du tremblement de terre est également utilisée par Israël, qui a récemment rétabli ses liens avec la Turquie". Le président israélien Isaac Herzog a appelé Erdogan peu après le premier tremblement de terre, tandis que le ministre des Affaires étrangères Eli Cohen a rencontré le président turc à Ankara mardi... Toutes ces mesures devraient donner un élan au processus de normalisation, qui a officiellement démarré fin décembre lorsque la nouvelle ambassadrice israélienne à Ankara a présenté ses lettres de créance à Erdogan. Les alliés de l'OTAN comme la France et les États-Unis, qui se sont souvent querellés avec Erdogan, ont également offert leur soutien, tout comme la Finlande et la Suède, dont les demandes d'adhésion à l'OTAN sont bloquées par la Turquie.

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La Chine, dont le traitement de la communauté ouïghoure a souvent jeté une ombre sur les relations bilatérales, a gagné le cœur de la Turquie en envoyant 467 sauveteurs et du matériel de haute technologie.

La Russie, dont les liens avec la Turquie ont été un mélange de coopération et de conflit, a envoyé une équipe de sauvetage de 401 personnes - la cinquième en importance après l'Azerbaïdjan, l'Espagne, la Chine et Israël. Nechirvan Barzani, président du gouvernement régional du Kurdistan irakien, qui a maintenu des liens étroits avec Ankara mais a souvent été affecté par les opérations militaires turques au Kurdistan, s'est également rendu dans la région touchée par le séisme pour montrer sa solidarité."

En diplomatie, cependant, ce ne sont pas seulement les faits qui comptent, mais aussi la présentation des informations. Avec leur avantage en matière de communication stratégique et leur contrôle des médias mondiaux, les puissances occidentales sont tout à fait capables de prendre leurs désirs pour des réalités. La diligence et l'aide gratuite des autres pays seront ainsi mises de côté.

De manière révélatrice, la catastrophe n'a pas entraîné d'assouplissement de la position de la Turquie en Syrie, dont les régions du nord, y compris Afrin, contrôlées par la Turquie, ont également été dévastées. Ankara a refusé de laisser les Syriens entrer en Turquie, mais a accepté de rouvrir deux postes-frontières pendant trois mois, en plus de celui situé à la frontière d'Idlib, pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire coordonnée par l'ONU. Ces trois postes frontaliers mènent à des zones contrôlées par les rebelles, tandis que ceux contrôlés par le gouvernement syrien et ceux menant à des zones contrôlées par les Kurdes restent fermés. Les convois d'aide humanitaire en provenance du nord-est contrôlé par les Kurdes ont été bloqués par les rebelles soutenus par la Turquie pendant des jours avant de pouvoir atteindre les zones touchées par le séisme dans le nord-ouest, les sources kurdes accusant spécifiquement la Turquie.

Ankara n'a pas non plus assoupli sa position à l'égard des pays occidentaux. En particulier, après le tremblement de terre, il a été annoncé que la Turquie ne ratifierait pas l'admission de la Suède et de la Finlande dans l'OTAN.

Des théories du complot circulent également, selon lesquelles le tremblement de terre serait le résultat d'armes sismologiques utilisées par les États-Unis. De tels récits ne doivent pas non plus être sous-estimés. D'autre part, les musulmans (et pas seulement en Turquie) voient des présages apocalyptiques dans le tremblement de terre. Selon l'Islam, de telles catastrophes sont une providence divine et servent à rappeler aux croyants leur existence. Le prophète Mahomet a déclaré que les tremblements de terre sont un avertissement du Tout-Puissant, les croyants doivent donc prier et demander sa miséricorde. Cela est également lié au fait que la catastrophe s'est produite l'année du centenaire de la formation de la République de Turquie.

Théoriquement, le problème actuel peut être décomposé en ses composantes et analysé avec soin. Il est beaucoup plus difficile d'agir dans la pratique, surtout si l'on parle des relations russo-turques sous l'angle des intérêts géopolitiques de Moscou. À tout le moins, l'aide humanitaire russe a apporté un soutien efficace directement pendant la phase chaude des opérations de sauvetage. L'heure est maintenant aux propositions diplomatiques et au travail de proximité dans cette partie difficile de la région.

mardi, 24 janvier 2023

La Turquie et la Suède s'opposent à l'OTAN

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La Turquie et la Suède s'opposent à l'OTAN

Markku Siira

Bron: https://markkusiira.com/2023/01/22/turkki-ja-ruotsi-nato-...

Ce week-end, la ratification de l'adhésion de la Suède à l'OTAN a fait un nouveau pas de géant en arrière lorsque Rasmus Paludan, connu pour ses performances anti-islamiques, a été autorisé par les autorités suédoises à "protester" devant l'ambassade de Turquie à Stockholm en brûlant un Coran.

Selon le bureau présidentiel turc, autoriser la manifestation, alors que la Turquie avait demandé à plusieurs reprises son interdiction, est susceptible d'alimenter "l'islamophobie". Selon les autorités turques, "s'attaquer aux valeurs sacrées n'est pas de la liberté mais de la barbarie".

Le ministre suédois de la Défense, Pål Jonson, devait se rendre en Turquie la semaine prochaine, mais sa visite prévue n'aura pas lieu. Devlet Bahçeli, du parti nationaliste pro-turc Milliyetçi Hareket Partis, a pour sa part affirmé que "l'adhésion de la Suède à l'OTAN ne sera pas acceptée pour cette raison".

Étant donné que les autorités suédoises n'ont fait aucune tentative pour empêcher cette manifestation provocatrice de Paludan, il semble de plus en plus probable que la Suède retire sa candidature à l'OTAN, rejetant ainsi commodément la faute sur la Turquie, qui ne peut accepter le concept occidental libéral de liberté d'expression et de manifestation.

Aujourd'hui, les plus ardents partisans suédois et finlandais de l'OTAN traitent déjà Paludan de "troll russe", bien qu'il brûle des corans depuis des années et qu'il ne serait pas anti-OTAN, dit-on. Les plus cyniques pourraient arguer que tout le spectacle a été mis en scène afin de n'inclure que la Finlande, plus importante stratégiquement et plus anti-russe, en première ligne de la frontière orientale de l'alliance d'invasion, tandis que l'élite suédoise resterait en sécurité à l'extérieur.

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Entre-temps, The Economist, "le magazine britannique pro-millionnaire", a publié un "rapport spécial sur l'empire d'Erdoğan". Avec sa couverture écarlate évoquant "la dictature imminente de la Turquie", il semble que l'obstination d'Erdoğan commence vraiment à agacer les puissances occidentales et qu'elles veulent le voir mis au pas - et de préférence remplacé lors des prochaines élections en Turquie.

Le leader tchétchène Ramzan Kadyrov a également commenté les événements en Suède. En tant que musulman, il condamne naturellement l'autodafé du Coran, mais il appelle également le monde islamique à s'unir - après toutes les injustices, les guerres et les tentatives de changement de pouvoir contre les musulmans - contre le véritable ennemi commun, à savoir l'Occident de l'OTAN.

Alors que l'ordre mondial cherche une nouvelle position, les pays musulmans d'Asie occidentale sont également en pleine mutation. Qu'adviendra-t-il des ambitions de l'Occident si et quand la Syrie et la Turquie règleront leur différend ? L'Arabie saoudite a déjà annoncé sa volonté de commercer dans des devises autres que le dollar et l'Iran a des partenariats stratégiques avec la Russie et la Chine.

La Turquie est un partenaire géopolitiquement important pour l'Alliance de l'Atlantique Nord dirigée par les États-Unis, bien qu'elle entretienne également des relations étroites avec la Russie. La Turquie possède également les deuxièmes forces armées les plus importantes de l'OTAN. Elle joue un rôle important dans sa région et a également une influence dans les Balkans occidentaux, en Méditerranée orientale et également en Afrique.

Le premier ministre turc de longue date a un jour décrit la démocratie comme un voyage en tramway: "lorsque vous arrivez à destination, vous descendez simplement". Aujourd'hui, l'Occident craint que si un Erdoğan de plus en plus "autocratique" est autorisé à rester à la tête de la Turquie, le pays de l'OTAN ne se retrouve dans le camp des rivaux de l'Occident.

jeudi, 04 mars 2021

Pourquoi la Turquie ne peut pas faire pression pour normaliser ses rapports avec les États-Unis

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Pourquoi la Turquie ne peut pas faire pression pour normaliser ses rapports avec les États-Unis

Par Salman Rafi Sheikh

Ex : https://geopol.pt

Alors que les liens entre la Turquie et les États-Unis se sont tendus ces dernières années et qu'un divorce stratégique n'est plus complètement irréaliste, la politique étrangère de la Turquie continue de tourner autour de la question de l'équilibre entre l'Ouest et l'Est. Alors que sa situation géographique aux frontières de l'Asie et de l'Europe semble déterminer en grande partie son orientation désormais plus large en matière de politique étrangère, la Turquie sous Erdogan a également acquis, ou du moins essaie d'acquérir, un statut de grande puissance qui lui permettrait d'agir comme un "équilibreur" entre les deux grands pôles de puissance du monde. Mais le positionnement stratégique particulier de la Turquie, inspiré par la volonté de se rétablir en tant qu'empire "néo-ottoman", capable de mener une politique étrangère véritablement indépendante et d'agir comme une grande puissance, a surtout provoqué une scission entre la Turquie et ses alliés de l'OTAN, en particulier les États-Unis. Les États-Unis ont expulsé la Turquie du programme de développement des F-35, et leurs relations bilatérales n'ont jamais été aussi tendues qu'aujourd'hui. Si la principale motivation de la Turquie pour améliorer ses relations avec la Russie était de diminuer sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et d'acquérir ainsi une meilleure position de négociation, elle s'est clairement retournée contre elle ; d'où les tentatives de la Turquie pour rétablir l'équilibre.

Si la Turquie réussit à acquérir les avions F-35 en tant que membre de l'OTAN, cela renforcera considérablement sa capacité de défense aérienne. À cette fin, elle a récemment engagé un cabinet d'avocats basé à Washington pour faire pression en faveur de sa réadmission dans le programme américain d'avions de chasse F-35. Ankara avait commandé plus de 100 chasseurs furtifs et a fabriqué des pièces pour leur production, mais a été retirée du programme en 2019 après avoir acheté des systèmes de défense anti-missiles russes S-400, qui, selon les Etats-Unis, pourraient menacer les F-35.

L'embauche par la Turquie d'une société chargée de représenter ses intérêts démontre qu'une transition politique à la Maison Blanche n'a pas conduit à une transition automatique dans les relations bilatérales entre les deux pays. Cette démarche confirme que leurs désaccords sont fondés sur des différences politiques qui vont bien au-delà des présidents en exercice. Par conséquent, les tentatives de la Turquie de recalibrer ses liens avec les États-Unis ne porteront probablement pas leurs fruits pour une raison : leurs différences ne sont pas politiques ; elles sont stratégiques, et leur convergence théorique, en tant qu'alliés au sein de l'OTAN, est sans cesse mise en balance avec leurs divergences.

Le 23 février, le Pentagone l'a confirmé :

"Il n'y a pas eu de changement dans la politique de l'administration concernant les F-35 et les S-400″. Une fois de plus, nous demandons instamment à la Turquie de ne pas aller de l'avant avec la livraison des S-400".

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La position américaine reste inchangée malgré l'allusion récente du ministre turc de la défense, Hulusi Akar, à la possibilité de trouver une "solution gérable" pour le système S-400.

La position stratégique de la Turquie en tant qu'acteur indépendant, positionné à l'intersection de l'Ouest et de l'Est, est la raison principale de la position inchangée des États-Unis.

D'une part, la rivalité américano-russe est très ancrée dans la ‘’pensée à somme nulle’’, issue de la concurrence de la guerre froide. La Turquie, en revanche, avec sa position géographique très particulière, couplée à sa quête pour traduire les effets de cette localisation en politique étrangère, ne sert pas le jeu à somme nulle des États-Unis contre la Russie.

Le fait que la Turquie ait établi des liens politiques et militaires forts avec la Russie montre que les États-Unis et la Turquie ont des perceptions fondamentalement différentes de la menace. Par conséquent, alors que la Turquie semble croire que le système international actuel n'est plus aussi centré sur l'Occident et dominé par les États-Unis qu'il l'était antérieurement, et que la Turquie devrait poursuivre ses intérêts par un équilibrage géopolitique plus varié, Washington, obsédé qu'il est par la nécessité de trouver remède à la chute des États-Unis en tant que seule superpuissance, considère cette interprétation turque des affaires internationales comme anormale et irréelle. Pour Erdogan et les responsables politiques turcs à Ankara, il s'agit d'un ajustement à la nouvelle normalité de la politique mondiale.

Ces divergences ont également engendré certains points de tension politique, dont la manifestation la plus importante est la crise de longue date entre la Turquie et le Commandement central américain (CENTCOM) à propos de la crise syrienne et de la manière dont les États-Unis continuent à soutenir militairement les milices kurdes, en particulier le GPJ.

Dans ce contexte, l'administration Biden, qui a promis d'œuvrer au rétablissement de la domination américaine au niveau mondial, sera très probablement en mesure de résister aux tentatives de la Turquie d'opérer en tant qu'acteur indépendant au sein de l'OTAN, une organisation qui reste bloquée dans la pensée stratégique propre à la guerre froide et qui continue à s'imaginer inamovible et à se réinventer pour toujours et encore faire la guerre à la Russie en Europe.

Par conséquent, alors que les États-Unis voudraient rétablir les liens avec la Turquie si celle-ci abandonne le système S-400 et retourne à l'OTAN, la Turquie veut effectuer ce rétablissement d'une manière qui amène les États-Unis à l'idée d'accepter la nouvelle réalité géopolitique dans le voisinage de la Turquie, y compris le rôle de la Turquie en Syrie, et les changements plus généraux dans les affaires internationales.

Si un idéaliste préconise de trouver un "terrain d'entente" pour rapprocher les deux pays, il n'en reste pas moins que les États-Unis n'ont aucune raison impérieuse de redéfinir leur vision centrale du monde pour satisfaire la Turquie. Dans l'état actuel des choses, la Turquie n'est pas un allié indispensable de l'OTAN. C'est ce qui ressort du fait que les États-Unis préparent déjà des plans pour déplacer leur base aérienne d'Incirlik en Turquie vers l'île grecque de Crète.

Bien que cette relocalisation constitue un revers majeur pour la Turquie, elle servirait tout de même les intérêts américains dans la région. D'autre part, si la Turquie décide d'abandonner les S-400, cela restera un revers stratégique très important pour son positionnement en tant qu'acteur international majeur capable d'influencer des régions bien au-delà de ses frontières territoriales, et pour son image d'empire "néo-ottoman".

Si la Turquie a proposé de trouver une formule de compromis et de fixer les conditions dans lesquelles les S-400 peuvent être rendus opérationnels et utilisés, l'avenir de cette offre reste tributaire de la manière dont l'administration Biden l'interprète et y répond, ce qui dépend à son tour de la manière dont cette formule peut préserver et renforcer les intérêts américains au niveau régional et mondial.

vendredi, 30 octobre 2020

Alexandre Del Valle : "La Turquie s'attaque à la France parce qu'elle est faible"

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Alexandre Del Valle : "La Turquie s'attaque à la France parce qu'elle est faible"

 
 
Avec Alexandre Del Valle, Géopolitologue, enseignant, directeur de recherche au Multipolar World Institute de Bruxelles et au CF2R. Actualité, politique, invités...
 
Du lundi au vendredi, de 12h à 13h20, retrouvez André Bercoff dans tous ses états.
 

mardi, 06 octobre 2020

Netanyahu and Erdogan in unlikely alliance against Iran in Nagorno-Karabakh?

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Netanyahu and Erdogan in unlikely alliance against Iran in Nagorno-Karabakh?

Historical enmity between the Ottomans and the Persians, and rivalry for control in various hot spots across the region, make it difficult for Turkey and Iran to create a lasting partnership

Anshel Pfeffer
Ex: https://www.haaretz.com

Azerbaijani cargo planes landing at Israeli air force bases in the Negev are a relatively common sight, attesting to the extensive arms deals between the two countries. But the frequency of arrivals and timing of Ilyushin Il-76 freighters – two of which landed at Uvda last Thursday, just two days before a major escalation in the ongoing conflict between Azerbaijan and Armenia, followed by two more on Tuesday and Wednesday – suggest both the preparation and replenishing of Azerbaijani forces for the latest bout of fighting around the Nagorno-Karabakh enclave, now in its fourth day.

The Israeli government has refrained from making any statements on the situation in the South Caucasus. Officially it isn’t taking sides, and it also has diplomatic relations with Armenia, which only two weeks ago opened its first embassy in Tel Aviv. Israeli officials stress quietly that “we have interests on both sides,” and Israel certainly won’t openly defy the Russian government, which is one of Armenia’s patrons (though it sells arms to Azerbaijan as well).

It’s not just the lucrative arms deals, which are reported to include drones, missiles and radar systems. Israel considers Azerbaijan a strategic ally. The kleptocracy on the Caspian is the source of much of the oil Israel purchases and, due to its geographic location, an extremely useful “backdoor” to its neighbor Iran for intelligence and other clandestine purposes – especially as the Shi’a-majority country is also resolutely secular and has long been suspicious of the revolutionary ambitions of the Islamic republic to its south.

But Azerbaijan’s ethnic ties are much stronger with another regional power, Turkey – which, according to reports from Nagorno-Karabakh, mainly from Armenian sources, is much more involved in this current escalation than in previous ones. The Armenians claim that Turkish drones are being used, that a Turkish F-16 fighter jet shot down one of its aircraft and even that Syrian fighters from the Turkish-backed Syrian National Army have been deployed there. Turkey has denied reports that it’s militarily involved, but is vocally supportive of Azerbaijan.

For the first time for a long while, Israel seems to be on the same side as Turkey.

Is this a temporary and coincidental common interest, or a sign that some elements of the old Israel-Turkey alliance still endure?

For the past 12 years, since Israel’s Operation Cast Lead in Gaza, relations between the two countries have been on a steady downward trajectory. In the first few years, there were those who still believed it was a temporary situation, due to Recep Tayyip Erdogan’s attempts to bolster his position in the region.

Today, though, the consensus in the Israeli security and intelligence establishment is that the increasingly autocratic Erdogan is an incurable antisemite and that as long as he’s Turkey’s leader, there’s no prospect for real improvement in those ties.

Despite Turkey itself still maintaining low-level diplomatic ties and extensive commercial relations with Israel, Erdogan fiercely condemned the recent “normalization” of relations and agreements between Israel and the United Arab Emirates and Bahrain. In recent years, Turkey has started hosting key Hamas leaders, allowing them to establish offices in Istanbul and even giving some of them Turkish citizenship. This is partly due to Erdogan’s desire to portray himself as the protector of the Palestinians and his own personal affinity with the Muslim Brotherhood movement, which lost its original base in Egypt after the 2013 coup against then-President Mohammed Morsi.

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The argument within the Israeli intelligence community over whether the break with Turkey is temporary and only due to Erdogan or whether it represents a deeper shift is still ongoing. To a large degree, it depends on the personal relations any specific official had with Turkish contemporaries in the past. For example, a senior officer in the Israel Air Force, who just over a decade ago was still training in Turkey’s airspace and continued maintaining ties with Turkish contemporaries through various NATO forums, said last year that he’s convinced “Turkey is not an enemy and will be a close ally again once Erdogan is gone.”

On the other hand, intelligence officials who have seen how Hamas operations in the West Bank are increasingly being directed from Istanbul – and how the Turkish MIT intelligence service has come under the control of Erdogan confidants who are inclined toward working closely with Iran – are convinced that even if Erdogan is forced to resign, or dies, his successors may well continue his policies.

“It will certainly take years for the relationship we once had to be restored,” one intelligence analyst said. “The test will be whether the Hamas offices are closed down.”

More than anything, it depends on Iran – which brings us back to Nagorno-Karabakh.

Despite overtures from both sides, the historical enmity between the Ottomans and the Persians, and the rivalry for control in various hot spots across the region, make it difficult for Turkey and Iran to create a lasting alliance.

Iran has been one of Armenia’s main supporters on Nagorno-Karabakh, creating for Israel an opportunity for back-channel dialogue with Erdogan’s Turkey and hopefully widening the rift between Ankara and Tehran.

For decades, Israel’s allies in the region were the non-Arab powers, Turkey and Iran, who joined Israel in the unofficial “alliance of the periphery,” which was decimated first by Iran’s Islamic revolution in 1979 and then the rise of Erdogan from 2003 onward. Now, Israel is closer than ever to the pro-Western bloc of Arab nations that include the UAE, Saudi Arabia and Egypt, which share Israel’s hostility toward Iran and Turkey, and is vying with them for regional dominance in a series of proxy conflicts in Syria, Yemen, Lebanon and Libya.

The arms shipments to Azerbaijan and the flare-up in Nagorno-Karabakh is a reminder that the periphery alliance may not be entirely dead.

mardi, 29 septembre 2020

Le boutefeu d’Ankara

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Le boutefeu d’Ankara

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Verrons-nous exploser dans les prochains jours, les prochaines semaines, les prochains mois la poudrière en Méditerranée orientale ? La crise sanitaire et sa sidération médiatique détournent et minimisent les tensions croissantes entre des États méridionaux de l’Union dite européenne et la Turquie.

Le 12 septembre dernier, retrouvant ses réflexes d’ancien footballeur semi-professionnel, adepte du tacle, et d’ancien caïd adolescent d’un quartier difficile d’Istanbul, le président Recep Tayyip Erdogan a ouvertement menacé Emmanuel Macron et la France. L’actuelle querelle ne se limite pas à l’exploration gazière sous-marine par des navires turcs dans les eaux territoriales et zones économiques exclusives de Chypre et de la Grèce. Elle concerne aussi les conflits en cours en Syrie et en Libye.

Si la Turquie ne maîtrise plus l’avenir de la Syrie grâce à l’intervention décisive de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah libanais, elle regagne son influence en Tripolitaine aux dépens du Maréchal Khalifa Haftar appuyé par Moscou et Paris. L’envoi de troupes, de conseillers militaires et des mercenaires turcs auprès des forces du gouvernement de transition de Fayez el-Sarraj a sauvé une situation politico-militaire bien compromise.

Ces tensions variées sous prétexte de délimitations frontalières imprécises en mer Égée favorisent le dirigeant turc. La Turquie traverse en effet une grave crise économique et financière. Le mécontentement grandit, y compris au sein des milieux historiquement favorables à l’AKP, le Bazar et la petite bourgeoisie pieuse. L’opposition, réunie dans une « Alliance de la nation » (les sociaux-démocrates kémalistes du CHP, des centristes, des islamistes et des nationalistes laïques du Bon Parti), conteste de plus en plus le présidentialisme omnipotent d’Erdogan. Certes, pour sa part, le chef d’État turc est enfin parvenu à rassembler les droites (libérale conservatrice, islamiste et nationaliste pantouranienne) dans une « Alliance du peuple ». De cette coalition bigarrée découlent l’abandon d’une politique étrangère europhile et atlantiste, le gel des orientations eurasistes un temps esquissées et un regain assumé de néo-ottomanisme. Hostile à Israël, cette diplomatie agressive indispose l’Arabie Saoudite, l’Égypte, Bahreïn et les Émirats arabes unis, quatre États qui se rapprochent de Tel-Aviv.

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Le belliciste président turc entend enrayer la forte chute de sa popularité. Des incidents aéro-navals aux larges des îles grecques et de Chypre serviraient facilement d’exutoire à une opinion publique surchauffée. Ankara n’apprécie pas d’ailleurs l’achat grec de dix-huit avions de combat Rafale. Outre les intimidations aériennes et navales quotidiennes, le président Erdogan dispose de cinq redoutables atouts :

– l’ouverture des frontières occidentales et le déversement sur la Grèce, voire la Bulgarie, de millions de migrants, ce qui déstabiliserait le flanc Sud-Est de l’Union pseudo-européenne. Les événements de Lesbos où des immigrés clandestins affrontent forces de l’ordre et résidents grecs en font foi;

– l’activation d’alliances de revers dans les Balkans. Depuis l’éclatement de la Yougoslavie, les populations européennes de confession mahométane (les Bosniaques, une part de la population albanaise, les Pomaks de Thrace, les Turcs de Bulgarie et de Macédoine, etc.) regardent les chaînes de télévision turques et se sentent instinctivement turcophiles. Une agitation plus ou moins forte affaiblirait ce côté du continent européen historiquement fragile;

– le renforcement de l’inacceptable blocus envers l’Arménie et la relance par l’intermédiaire de l’Azerbaïdjan des combats au Haut-Karabakh arménien dans le Caucase;

– la présence massive en Europe occidentale d’une véritable « cinquième colonne » composée d’immigrés originaires de Turquie. Ces communautés s’organisent de manière politique depuis quelques années à l’initiative de l’AKP. Ce sont les groupuscules Parti Égalité et Justice en France et Denk – « Penser en néerlandais – Égalité en turc » – (3 députés) aux Pays-Bas. En Belgique et en Allemagne, les supplétifs d’Ankara investissent les Verts, les sociaux-démocrates, voire les démocrates-chrétiens (sic !);

– l’encouragement à diviser les instances pseudo-européennes. Le 10 septembre dernier, Emmanuel Macron organisait en Corse un sommet des pays du Sud de l’Union européenne, soit le Portugal, l’Espagne, Malte, l’Italie, la Grèce et Chypre, le MED7. Cette réunion a irrité les États du Nord qui, intransigeants sur les questions économiques et budgétaires quand il s’agit d’humilier les nations latines, catholiques et orthodoxes, montrent une mollesse indécente en matière de défense autre que la cible habituelle russe. Toujours prompte à sanctionner la Russie, le Bélarus, voire la Chine, la rombière de Berlin temporise face à Ankara. L’Allemagne compte une très importante communauté turque, ceci expliquant cela…

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Ankara doit cependant intégrer dans ses calculs d’autres éléments extérieurs. Comment réagiront les États-Unis selon que le locataire de la Maison Blanche s’appelle Donald Trump ou Joe Biden ? Déjà, le secrétaire d’État, Mike « Triple Quintal » Pompeo, critique une hypothétique « politique de la canonnière » entreprise par… la France. Géniale, l’amitié atlantiste ! Que feront la Russie et l’Iran ? La lointaine Chine, le cas échéant, pourrait en liaison avec Moscou proposer ses bons offices, car une guerre, larvée ou effective, entre la Turquie et ses voisins occidentaux entraverait durablement plusieurs de ses « routes de la soie ».

La crise n’a pas encore atteint son apogée. Bien des incertitudes demeurent. Il faut plus que jamais observer avec attention ce bout d’Europe.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 183, mise en ligne sur TVLibertés, le 22 septembre 2020.

vendredi, 11 septembre 2020

Jusqu’où Erdogan veut-il pousser ses pions ?...

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Jusqu’où Erdogan veut-il pousser ses pions ?...

par le Général Jean-Bernard Pinatel

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Jean-Bernard Pinatel cueilli sur Geopragma et consacré aux frictions entre la Turquie et la Grèce, appuyée par la France, en Méditerranée orientale... Officier général en retraite et docteur en sciences politiques, Jean-Bernard Pinatel a déjà publié plusieurs essais dont Russie, alliance vitale (Choiseul, 2011) et Carnet de guerres et de crises 2011-2013 (Lavauzelle, 2014).

Jusqu’où Erdogan veut-il pousser ses pions ?

La France, Chypre, la Grèce, et l’Italie, ont lancé le 26 août l’initiative Eunomia, afin de « contribuer à la baisse des tensions en Méditerranée orientale ». Eunomia se traduira par une série d’exercices interarmées. Le premier se tiendra sur trois jours, entre Chypre et la Grèce, et rassemblera les quatre pays de l’initiative. La France a déployé dès le 24 août trois Rafale de la 4e escadre de chasse de Saint-Dizier. La France aligne en outre la frégate La Fayette, actuellement en mission MEDOR (Méditerranée orientale). Deux Rafale et le La Fayette avaient déjà participé à un exercice commun avec Chypre début août. Les chasseurs s’étaient ensuite posés en Crète, en forme de soutien à la Grèce. L’Italie a déployé une frégate, Chypre des hélicoptères et un navire, et la Grèce des F-16, des hélicoptères, et une frégate. Furieux de cette initiative, Erdogan a insulté la France et son Président qu’il a jugé « en état de mort cérébrale », et le 30 août il s’en est pris ouvertement à Athènes déclarant à propos des ressources gazières qu’il convoite illégalement : 

« Le peuple grec accepte-t-il ce qui va lui arriver à cause de ses dirigeants cupides et incompétents ? Lorsqu’il s’agit de combattre nous n’hésitons pas à donner des martyrs. Ceux qui s’érigent contre nous en Méditerranée sont-ils prêts aux mêmes sacrifices?»                             

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Erdogan veut retrouver le leadership spirituel et temporel que la Sublime Porte a exercé sur le pourtour méditerranéen, en Irak, et sur la péninsule arabique.

Sa stratégie se déploie à plusieurs niveaux sur lesquels il est, plus ou moins, en position de force.

Au niveau spirituel, il se voit incarner le renouveau islamique que voulait promouvoir Al Banna lorsqu’il créa les Frères Musulmans en 1933, et il veut s’en servir comme levier pour reconstituer l’Empire ottoman. La transformation de Sainte-Sophie en mosquée dans l’ancienne capitale de l’Empire byzantin constitue la preuve éclatante de son objectif islamique. Pour le mettre en œuvre, Erdogan s’appuie à l’intérieur de la Turquie sur le « Parti de la justice et du développement » ou AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi) qui, malgré une érosion récente due aux difficultés économiques, reste le socle de son pouvoir. 

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Au niveau diplomatique, Recep Tayyip Erdogan se comporte comme le successeur des califes ottomans, agissant comme si le XXème siècle n’avait pas existé. Il développe une stratégie révisionniste, qui consiste à s’affranchir de tous les traités internationaux comme celui de Lausanne de 1923, et de ceux qui établissent le droit maritime international. Il vient de concrétiser cette stratégie près de l’île grecque de Kastellórizo, située à trois kilomètres de la Turquie, en y envoyant prospecter un bâtiment de recherche sismique escorté par des navires de guerre. La nature grecque de cette île a été reconnue par le Traité de Lausanne que la Turquie n’a d’ailleurs pas ratifié. Cette stratégie est habile car créant un fait accompli, il rend ainsi responsables d’escalade les grecs si ceux-ci décidaient d’employer la force pour l’obliger à se retirer de leur Zone économique exclusive (ZEE). A Ankara le 13 août, il menace de nouveau : « Nous disons que si vous attaquez notre Oruc Reis (le bâtiment de recherche sismique), vous aurez à payer un prix très élevé ».

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Au niveau militaire, il dispose une armée de terre importante presque entièrement déployée dans les zones de peuplement kurdes et aux frontières de la Syrie et de l’Irak. Et d’une bonne aviation mais d’une marine qui n’est pas compétitive face aux grandes marines occidentales car elle ne possède ni SNA ni porte-avion. La France seule, avec ses 5 SNA[1] dont trois sont opérationnels en permanence, est capable d’envoyer par le fond la flotte turque de méditerranée orientale. Ainsi, Erdogan n’a pas les moyens maritimes de ses ambitions. Néanmoins, la très grande proximité de la côte turque d’une vingtaine d’îles grecques comme Kastellorizo rend leur conquête possible par surprise sans réelle supériorité maritime, alors que leur reprise demanderait aux Grecs des moyens sans commune mesure avec ceux utilisés pour les occuper. 

Au niveau économique, même si récemment la Turquie cherche à diversifier ses échanges vers la Russie, l’Irak et les pays du Golfe, elle reste très vulnérable à des sanctions économiques européennes. En effet, L’Union européenne à 28 demeure le premier partenaire commercial de la Turquie avec une part de marché stable (42% en 2018 et 41% en 2019). La Turquie a exporté pour $ 83 Mds de biens vers l’UE, qui absorbe ainsi 48,5% des exportations turques (contre 50% en 2018), et a importé pour $ 69 Mds de biens en provenance de l’UE (34,2% des importations turques), soit une baisse de 14% par rapport à 2018[2] .

Quelles sont les cartes diplomatiques dans la main d’Erdogan pour mener à bien sa stratégie pan-Ottomane ?

Erdogan est conscient qu’il ne peut bénéficier de l’appui des USA dans sa stratégie de reconquête. 

Ses attaques contre les Kurdes en Syrie ont été très critiquées au Sénat et à la Chambre des représentants outre-Atlantique. Aussi dès le coup d’état manqué, il s’est tourné vers Poutine qui y voit une opportunité conjoncturelle pour son industrie de la défense.   Ainsi, le 5 avril 2018, la Turquie a acheté 4 systèmes S-400 à la Russie (contrat de $ 2,5 Mds) plus performants que le Patriot américain. Et le 12 juillet 2019, Ankara recevait les premiers composants du système de défense russe S-400. 

La réponse américaine ne s’est pas fait attendre. Mi-juillet 2019, les États-Unis ont annoncé la décision d’exclure la Turquie du programme de chasseur-bombardier de 5e génération F-35 Lightning II[3]. De plus, des voix se sont élevées au Congrès pour exclure la Turquie de l’OTAN car son achat des S-400 russes est une violation de l’embargo sur les armes [4]

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Cette stratégie de renversement d’alliance militaire a des limites car il est évident que compte tenu du rôle que joue l’église orthodoxe en Russie, Poutine n’abandonnera pas la Grèce en cas de crise militaire. Ses liens actuels avec Erdogan lui permettront probablement de jouer une fois de plus le rôle de médiateur pour une désescalade en Méditerranée orientale.

Ne pouvant bénéficier d’un appui ni de la Russie ni des Etats-Unis pour sa stratégie révisionniste et de reconquête, Erdogan a-t-il la capacité de dissuader l’UE de réagir face à une agression contre la Grèce ? 

La communauté turque en Europe représente environ 6 millions de personnes dont presque la moitié résident en Allemagne (2.7 millions) et 600.000 en France. Erdogan essaie de se servir de cette diaspora tant sur le plan religieux que politique, pour dissuader les Européens de toute condamnation, sanction, et voire une réaction militaire, à sa politique. Mais sa capacité d’influencer la politique des Etats européens est limitée notamment parce qu’une partie de cette immigration est Kurde (1 million en Allemagne, 250.000 en France). Par ailleurs, la communauté turque en France est bien mieux intégrée que la communauté d’origine arabe ; la preuve : la délinquance y est beaucoup moins élevée. Les accusations et les mots d’ordre prononcés par des mouvements fascistes turcs seront peu suivis par les citoyens franco-turcs. En revanche, Erdogan entretient un réseau d’activistes nationalistes capables d’actions violentes comme ceux qui ont saboté les kiosques à journaux lorsque le Point avait comparé Erdogan à Hitler.  Ces activistes sont manipulés par les services secrets turcs et sont capables de mener des assassinats ciblés contre les Kurdes et les Arméniens, mais ils sont bien suivis par la DGSI et ne sont pas capables de dissuader le Président français d’agir. Cette diaspora n’est qu’un des facteurs qui explique la modération d’Angela Merkel vis à vis de la Turquie, les liens historiques et économiques étant plus déterminants. En revanche, la menace d’une nouvelle vague de migrants n’est plus aussi crédible, la Bulgarie et la Grèce ayant fermé leurs frontières avec la Turquie, et renforcé leurs moyens de contrôle depuis la pandémie. De plus l’UE, non sans mal, a officiellement décidé de renforcer Frontex, qui disposera d’un contingent permanent de 10.000 garde-frontières et garde-côtes d’ici 2027 pour assister les pays confrontés à une forte pression migratoire.

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Quelles peuvent être les options militaires d’Erdogan et les ripostes possibles de l’UE et donc les objectifs stratégiques d’Erdogan ?

Option 1 

Il a les moyens militaires de s’emparer par surprise et par la force d’une ou plusieurs îles grecques qui sont à seulement 3-5 kilomètres de la côte turque, et probablement de les conserver, car la Grèce ne disposera pas des alliés nécessaires pour les reconquérir, le prix humain étant trop élevé. 

En revanche, son exclusion de l’OTAN serait inévitable. Déjà, depuis le coup d’état en 2016 et l’achat de plusieurs batteries S-400 à la Russie, des voix s’élèvent aux USA comme celles du sénateur Lindsay Graham et du représentant Eliot Angel, et au Canada, pour exclure de l’OTAN les états qui ne partagent pas les valeurs « démocratiques ». 

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La France trouverait des alliés pour bloquer le soutien qu’il fournit actuellement aux milices islamiques qui contrôlent Misrata et Tripoli en Lybie, et interdire tout mouvement aux navires de commerce et à la marine de guerre turque en Méditerranée orientale. 

Sur le plan économique, il est difficile de voir comment l’UE pourrait justifier des sanctions économiques contre la Russie à cause de la Crimée, et ne pas sanctionner économiquement la Turquie. Cette option militaire semble être déraisonnable car le prix à payer serait supérieur au bénéfice tiré, et Erdogan ne l’envisagerait que s’il était assuré d’une neutralité allemande et anglo-saxonne. 

Option 2 

Erdogan pourrait poursuivre la recherche et la production illégale de gaz dans les ZEE qui, selon le traité de Lausanne et le droit maritime international, appartiennent à la Grèce et à Chypre[5], faisant porter à ses deux états la responsabilité d’une escalade militaire. 

Ainsi, lorsque Chypre a annoncé le 8 novembre 2019 avoir signé son premier accord d’exploitation de gaz, d’une valeur de $ 9,3 Mds avec un consortium regroupant les sociétés anglo-néerlandaise Shell, l’américaine Noble, et l’israélienne Delek[6], Ankara lui a contesté le droit de procéder à des explorations et à de la production dans sa ZEE, arguant que les autorités chypriotes-grecques, qui contrôlent le sud de Chypre, ne peuvent exploiter les ressources naturelles de l’île, tant qu’elle n’est pas réunifiée. Mais, presque simultanément en juin 2019, la Turquie annonçait l’envoi d’un second navire de forage pour explorer les fonds marins au nord de Chypre à la recherche de gaz naturel. Chypre a immédiatement délivré un mandat d’arrêt pour les membres d’équipage du bateau de forage turc, le Fatih. 

Dès avril 2019, le département d’Etat américain avait exprimé sa préoccupation et demandé à la Turquie de ne pas poursuivre ses projets visant à entamer des activités de forage de gaz dans la “ZEE de Chypre”.

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A l’issue du sommet des sept pays d’Europe du Sud à La Valette, le 14 juin 2019, une déclaration commune a été publiée enjoignant la Turquie de « cesser ses activités illégales » dans les eaux de la ZEE de Chypre. « Si la Turquie ne cesse pas ses actions illégales, nous demanderons à l’UE d’envisager des mesures appropriées »[7], ont-ils ajouté. 

Le ministère turc des Affaires étrangères a estimé samedi que cette déclaration était « biaisée » et contraire aux lois internationales.

Enfin, le 23 juillet 2020, en présence de son homologue chypriote Nicos Anastasiades à l’Élysée, le Président Macron a tenu « à réaffirmer une fois de plus l’entière solidarité de la France avec Chypre et aussi avec la Grèce face à la violation par la Turquie de leur souveraineté. Il n’est pas acceptable que l’espace maritime d’un État membre de notre Union soit violé ou menacé. Ceux qui y contribuent doivent être sanctionnés. »

Conclusion

La déclaration du Président Macron ouvre une nouvelle étape dans les relations de l’UE et de la France avec la Turquie : celle des sanctions.

Le premier stade des sanctions serait des sanctions économiques ciblées. Elles accentueraient les difficultés économiques de la Turquie et éroderaient la base électorale de l’AKP, mais pourraient inciter Erdogan à choisir l’option militaire plutôt que de le calmer, car visiblement il est condamné à une sorte de fuite en avant. 

L’autre option serait évidemment l’arraisonnement des bâtiments d’exploration et de production turcs dans les ZEE de la Grèce et de Chypre, ces derniers faisant partie de l’UE et de l’OTAN. 

Cette option légitime risquerait de transformer ce différend en crise militaire aigüe.  Néanmoins, si la diplomatie échouait, on ne voit pas comment à long terme la Grèce et Chypre pourraient accepter sans réagir cette violation de leur ZEE. Rien ne dit qu’ils ne le feront pas, même sans l’appui initial diplomatique de l’UE et militaire d’au moins une grande puissance navale comme la France. 

En revanche si la Turquie décidait de s’emparer par surprise d’iles grecques en espérant l’absence de réaction militaire à court terme, l’UE serait obligée d’infliger à la Turquie les mêmes sanctions qu’elle a infligé à la Russie pour son coup de force sur la Crimée ; l’exclusion de l’OTAN serait alors en jeu.

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Les récentes élections en Turquie ont montré la fragilisation de la base du pouvoir d’Erdogan notamment du fait des difficultés économiques. Il ne faut pas exclure que la fuite en avant nationaliste puisse lui paraître comme une solution pour sécuriser son pouvoir.

Général (2s) Jean-Bernard Pinatel (Geopragma, 7 septembre 2020)

Notes :

[1] Le SNA à l’inverse des sous-marins classiques turcs est capable de rester en plongée tout le temps de s’y déplacer à grande vitesse ; alors qu’un sous-marin classique déchargerait ses batteries en quelques heures et devrait remonter son schnorkel pour les recharger. La furtivité d’un SNA est incomparable à celle d’un sous-marin classique. Pour mémoire, lors des manœuvres interalliées de Péan en 1998, le SNA Casabianca réussit à “couler” le porte-avions USS Dwight D. Eisenhower et le croiseur de classe Ticonderoga qui l’escortait. Lors de COMPTUEX 2015, un exercice mené par l’US Navy, le SNA Saphir a vaincu avec succès le porte-avions USS Theodore Roosevelt et son escorte, réussissant à “couler” le porte-avions américain

[2] Le poids des trois principaux clients de la Turquie (Allemagne, Royaume-Uni et Italie, qui représentent respectivement 15,4 Mds USD, 10,9 Mds USD et 9,3 Mds USD) recule en 2019 de même que les exportations vers les Etats-Unis (8,1 Mds USD, qui demeure le 5ème client et vers l’Espagne (7,6 Mds USD) qui demeure le 6ème client de la Turquie. La part de la France (7ème client) parmi les clients de la Turquie est passée de 4,3% en 2018 à 4,5% en 2019, soit une progression constante depuis 2017.  A l’inverse, les exportations vers l’Irak (4ème client) augmentent de 7,8% (9 Mds USD) de même que celles vers la Hollande (8ème client, +14,4%), vers Israël (+11,9%) qui devient le 9ème client et vers la Russie (+13,4%) qui devient le 11ème client de la Turquie. In fine, on notera que les exportations des principaux fournisseurs de la Turquie ont toutes enregistré des baisses importantes en 2019 par rapport à 2018, sauf la Russie.     

[3]  Ergodan au Salon international de l’aéronautique et de l’espace MAKS qui s’est tenu dans la région de Moscou du 27 août au 1er septembre 2019 se fait présenter Su-57 « Frazor », le nouveau chasseur-bombardier russe de 5e génération. D’après plusieurs agences de presse dont Associated Press le président turc a demandé à M. Poutine si cet appareil était « disponible à la vente pour des clients et Poutine a répondu oui. 

[4] Le 20 aout 2020, Monsieur Cardin un haut administrateur de la commission des affaires étrangères du Sénat a envoyé une lettre au secrétaire d’État Rex Tillerson et au secrétaire au Trésor Steve Mnuchin au sujet de l’achat des S-400 par la Turquie où il indique : « La législation impose des sanctions à toute personne qui effectue une transaction importante avec les secteurs de la défense ou du renseignement de la Fédération de Russie », a déclaré M. Cardin dans la lettre. M. Cardin a également demandé à l’administration Trump d’évaluer comment l’achat turc pourrait affecter l’adhésion de la Turquie à l’OTAN et l’aide américaine à la sécurité à Ankara.

[5] L’indépendance de l’île est proclamée en 1960. En 1974 le régime des colonels au pouvoir en Grèce fomente un coup d’Etat afin d’annexer l’île. Des soldats turcs débarquent alors dans le nord. Ils créent la République Turque de Chypre du Nord (38% du territoire), reconnue uniquement par la Turquie, soumise à un embargo et trois fois plus pauvre que le sud de l’île. Les Chypriotes grecs réfugiés dans le sud sont expropriés. L’armée turque est présente dans le Nord de l’Ile. 

[5] La licence d’exploitation, d’une durée de 25 ans, concerne le champ gazier Aphrodite, le premier découvert au large de l’île méditerranéenne, par la société Nobel en 2011. Ses réserves sont estimées à 113 milliards de mètres cubes de gaz.

[7] « Nous réitérons notre soutien et notre entière solidarité avec la République de Chypre dans l’exercice de ses droits souverains à explorer, exploiter et développer ses ressources naturelles dans sa zone économique exclusive, conformément au droit de l’UE et au droit international. Conformément aux conclusions précédentes du Conseil et du conseil européen, nous rappelons l’obligation incombant à la Turquie de respecter le droit international et les relations de bon voisinage. Nous exprimons notre profond regret que la Turquie n’ait pas répondu aux appels répétés de l’Union européenne condamnant la poursuite de ses activités illégales en Méditerranée orientale et dans la mer Égée et nous manifestons notre grande inquiétude au sujet de réelles ou potentielles activités de forage au sein de la zone économique exclusive de Chypre. Nous demandons à l’Union européenne de demeurer saisie de cette question et, au cas où la Turquie ne cesserait pas ses activités illégales, d’envisager les mesures appropriées, en toute solidarité avec Chypre ». https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/06/14/sommet-des-pays-du-sud-de-lunion-europeenne

samedi, 22 août 2020

La Turquie, victime d'un complot international ou fauteur de troubles?

mardi, 02 avril 2019

Nouvelle alliance stratégique Turquie-Iran-Etats arabes

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Nouvelle alliance stratégique Turquie-Iran-Etats arabes

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Au Moyen-Orient, l'alliance stratégique qui a fait la loi depuis des années est celle de l'Arabie saoudite, de divers Etats sunnites et des Etats-Unis. Aujourd'hui, du fait des catastrophiques erreurs stratégiques américaines dans la région, une nouvelle alliance ou Entente est en train de se former.

Celle-ci unira la Turquie, l'Iran, le Qatar, avec le soutien de l'Iran, de la Syrie, du Liban et de la Jordanie, Inutile de préciser que Moscou s'intéresse à ce projet et l'appuiera de différentes façons.

C'est en été 2017 et à Doha au Qatar que les bases de cette alliance ont été jetées. On se souvient que Riyad avait décrété une offensive militaire puis un siège du Qatar, présenté à l'époque et à la grande surprise de beaucoup comme un ennemi de l'Arabie saoudite. Ceci visait à éliminer le Qatar en tant que rival de celle-ci. Malheureusement pour les Saoudiens, l'offensive qui devait aboutir en quelques jours s'est enlisée face à la résistance des Qataris. Ceci avait laissé le temps à Doha, Téhéran et Ankara d s'entendre pour la mise en place de ce qui avait été nommé un bloc stratégique cohérent. Il s'agissait de contrer le poids de l'Arabie saoudite et des Américains, ses alliés.

Initialement le bloc avait pour but de mettre en place des accords économiques, concernant non seulement le pétrole mais d'autres domaine importants, comme les transports.

Très vite cependant le bloc a compris que pour survivre face à une Arabie surarmée et bénéficiant en permanence du soutien américain, il devait se transformer en alliance militaire, Il s'est alors progressivement tourné vers la Russie, disposant déjà de deux petites bases militaires en Syrie. Vladimir Poutine a initialement manifesté une prudente réserve face à un appui militaire russe éventuel. Néanmoins, face aux offensives arabo-américaines contre son allié Bashar al Assad, il a laissé entendre qu'en tant que de besoin il appuierait l'alliance. Les combats victorieux récents, appuyés par la Russie, contre l'Etat Islamique au nord de la Syrie ont considérablement favorisé le rapprochement militaire de la Turquie avec la nouvelle alliance stratégique.

Dans le même temps, l'Irak, le Liban et la Jordanie, bien qu'encore très soumises politiquement aux Etats-Unis, ont vite compris que leur intérêt était de rejoindre la nouvelle alliance stratégique. Le 18 mars 2019, les commandants militaires de l'Iran, de la Syrie et de l'Iraq ont posé les bases d'une coopération de long terme, non seulement contre le terrorisme, mais pour mener des projets économiques communs. Le gouvernement turc n'a pas hésité depuis le début à s'associer à ces projets. Une des raisons qu'il y voient est de contrer l'influence des séparatistes kurdes qui jusqu'à présent bénéficiaient d'un appui important des Américains. Au plan économique, l'alliance devrait permettre à ses membres de coopérer à la reconstruction des villes syriennes détruite par la guerre. Un autre objectif sera évidemment de remettre en état l'exploitation des gisement pétroliers et gaziers de Deir Ezzor, dans l'est de la Syrie.

Mais comme les Américains ont depuis longtemps visé à prendre le contrôle de ces derniers, aujourd'hui notamment par l'intermédiaire de leurs alliés kurdes, il est prévisible qu'ils ne se laisseront pas sans combattre empêchés de le faire par la nouvelle alliance stratégique Turquie, Iran, Qatar.

Référence

Voir entre autres https://oilprice.com/Geopolitics/Middle-East/New-Middle-E...

Note

Il faut rappeler qu'Erdogan continuera à encourager le transit  de caravanes de migrants vers l'Europe, si l'on en croit l'article ci-dessous
https://ripostelaique.com/erdogan-va-lacher-des-dizaines-...

dimanche, 25 novembre 2018

Geopolitics of Turkey in Asia

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Geopolitics of Turkey in Asia

 
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Turkey is a transcontinental power, and, while the European side of the country is secure and calm, the situation could not be more different on the Asian front. The collapse of the Sykes-Picot agreement is disintegrating the territorial borders from within and in the subsequent vacuum of power, major nations seek to carve out their own spheres of influence. All these activities, directly and indirectly, affect Turkey and determine the country’s geopolitical objectives in Asia.
 
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samedi, 06 octobre 2018

L’ambition d’Erdogan pour le Califat et l’échec de la démocratie turque

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L’ambition d’Erdogan pour le Califat et l’échec de la démocratie turque

Par Aydogan Vatandas

Source : Aydogan Vatandas, Consortium News

Le président turc Recep Tayyip Erdogan semble avoir gagné un autre mandat de cinq ans lors des élections dimanche dernier. Quel impact sur le futur de la démocratie turque, se demande Aydogan Vatandas.

Lorsque le Parti de la justice et du développement (AKP) a pris le pouvoir en 2002, de nombreux intellectuels en Turquie et à l’étranger étaient convaincus que l’engagement du parti en faveur de la démocratisation était prometteur. Le premier mandat de la règle du Parti AKP qui est considéré comme un âge d’or, s’est globalement étendu de 2002 à 2007. Cette ère a été caractérisée par une croissance économique forte et ouverte, associée à d’importantes réformes démocratiques, allant d’une réorganisation radicale des relations civilo-militaires à la reconnaissance des droits des minorités, y compris les droits linguistiques et culturels des citoyens kurdes.

Ces bonnes performances initiales ont créé un certain niveau de confiance dans la gouvernance du Parti AKP parmi les intellectuels turcs, y compris le Mouvement Gülen, selon lesquels le Parti AKP éliminerait à terme tous les aspects antidémocratiques du système gouvernemental turc. Entre 2009 et 2011, le gouvernement du Parti AKP a réussi à créer un cadre juridique qui exclut la participation militaire turque à la vie politique, ce qui empêcherait les interventions militaires dont la Turquie a souffert dans le passé. Le résultat final, cependant, n’a pas été une démocratie consolidée comme prévu, mais une autocratie hautement personnalisée incarnée dans la figure de Recep Tayyip Erdogan.

Ce qui a mal tourné avec le Parti AKP et sa direction pendant la démocratisation de la Turquie reste une question importante. La performance du parti entre 2002 et 2007 n’était-elle que de la poudre aux yeux, Erdogan et son cercle étroit et oligarchique attendant un moment opportun pour appliquer leur programme secret et réel ? N’ont-ils jamais été démocratiques ? Ou bien Erdogan était-il obsédé par l’idée qu’il avait une mission messianique comme être le “calife” du monde musulman ?

ata.jpgRésilience des institutions kémaliste

On avance que l’échec du Parti AKP à développer une démocratie consolidée est profondément enraciné dans la tutelle traditionnelle des institutions kémalistes laïques (se perpétuant depuis Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne) sur le système politique turc. En conséquence, indépendamment de leur volonté ou non de démocratiser davantage le pays, la direction du Parti AKP a été contrecarrée par la résistance des institutions kémalistes au changement.

Un partisan de cette théorie est Ihsan Dagi, un libéral qui a soutenu les réformes menées par le Parti AKP dans son âge d’or. Dagi note que beaucoup de gens s’attendaient à la défaite de l’establishment de l’État kémaliste par une large coalition de libéraux, démocrates et conservateurs sous la direction politique du Parti AKP, ce qui mènerait à la création d’un régime démocratique avec une constitution libérale. Mais aujourd’hui, il observe que « le kémalisme est mort, mais son esprit d’état centralisé, jacobin et antilibéral a été réincarné dans l’AKP ».

État fort, société faible

On soutient que la Turquie a suivi la voie de la modernisation laïque en donnant la priorité à la création d’une nation forte et homogénéisée dirigée par l’élite politique au pouvoir.

Cet argument soutient que le système turc de gouvernance a été formulé dans le cadre d’un État fort et d’une société faible, ce qui constitue un obstacle majeur à la création d’une démocratie consolidée. Les gouverneurs et les gouvernés avaient une relation unidimensionnelle qui oppressait les gouvernés. En raison de cette situation historique, la société turque n’a jamais été en mesure d’établir une sphère autonome libre de tout contrôle étatique.

Comme la modernisation laïque affirmée n’a jamais donné la priorité à un renforcement des droits civils ou de la société civile, le système politique turc est toujours resté antilibéral et antidémocratique, même après l’avènement d’un système multipartite en 1946, toujours selon cette argumentation.

La duplicité d’Erdogan

Beaucoup d’universitaires ont suggéré que ce que la Turquie reçoit du pouvoir du Parti AKP est exactement ce à quoi elle aurait dû s’attendre. Par conséquent, c’était une erreur fondamentale de s’attendre à ce que le Parti AKP promeuve la démocratie turque.

Behlül Özkan, politologue à l’Université de Marmara, affirme que le Parti AKP est un parti d’extrême droite selon la littérature politique. Il dit :

« Supposer que l’AKP ferait avancer la Turquie était comme penser que Le Pen en France ferait avancer la démocratie. Lorsqu’il est placé dans le spectre droite-gauche, l’AKP croit qu’il a une mission sacrée et qu’il restera au pouvoir pour toujours. Aucune de ces notions n’est compatible avec la démocratie. Cet extrémisme se manifesterait à travers le racisme en Europe, alors qu’il deviendrait sectarisme en Turquie en ne considérant pas les autres partis comme des représentants de la nation. L’AKP est un modèle non pas pour le Moyen-Orient mais pour l’extrême droite en Europe sur la façon d’instrumentaliser la démocratie. »

La principale raison pour laquelle les intellectuels libéraux n’ont pas vu les véritables ambitions d’Erdogan était la conviction même que l’élimination de la tutelle militaire et d’autres institutions laïques telles que le pouvoir judiciaire serait suffisante pour instaurer une démocratie. Ce n’était pas le cas. Il est vrai que ces institutions n’ont pas réussi à créer une démocratie fonctionnelle dans le passé, mais il était erroné de croire que l’affaiblissement de ces institutions conduirait à l’émergence d’une démocratie.

Il faut souligner que ce ne sont pas seulement les libéraux et les démocrates religieux turcs qui ont été victimes de la duplicité d’Erdogan. Même certaines organisations internationales de premier plan n’ont pas su prévoir l’avenir de la démocratie turque.

Par exemple, Angel Rabasa et F. Stephen Larrabee ont produit pour Rand Corporation en 2008 quatre scénarios possibles. Dans l’ordre, du plus probable au moins probable, ils l’étaient : 1) L’AKP poursuit une voie modérée, orientée vers l’UE ; 2) l’AKP poursuit un programme islamiste plus agressif ; 3) la fermeture judiciaire de l’AKP ; et 4) l’intervention militaire.

Pour les auteurs, une régression de la démocratie turque n’était pas probable, même dans le deuxième scénario, dans lequel « le gouvernement réélu de l’AKP poursuit un programme islamiste plus agressif. Avec le contrôle total des pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement, l’AKP est en mesure de nommer des administrateurs, des juges et des recteurs d’université et même d’influencer les décisions en matière de personnel militaire ».

De nouveaux pouvoirs

Les auteurs concluent que ce scénario est moins probable parce qu’il conduirait à une plus grande polarisation politique et provoquerait probablement une intervention militaire. La plupart des Turcs soutiennent un État laïque et s’opposent à un État fondé sur la charia. En outre, l’adhésion à l’UE est un élément clé de la politique étrangère de l’AKP.

Le politologue Andrew Arato suggère que les intellectuels libéraux n’ont pas compris la logique des actions d’Erdogan, en raison de leur propre conflit avec la tutelle militaire. Ils considéraient la Cour constitutionnelle comme un simple instrument de cette tutelle, bien que la Cour ait eu ses batailles avec les structures bureaucratiques militaires dès les années 1970. La Cour a pris plusieurs décisions en faveur des positions du parti AKP (par exemple, en 2007, la décision de quorum a été rapidement contrebalancée par une décision autorisant un référendum sur la présidence) et a refusé de dissoudre le parti en 2008, certes lors d’un vote très serré. Ils ne comprenaient pas que dans le système turc, surtout avec l’existence d’un parti hégémonique, les tribunaux et le pouvoir judiciaire étaient des contrepoids importants.

Dans une thèse de doctorat à la U.S. Naval Postgraduate School, Clifford Anderson a souligné que l’objectif principal d’Erdogan était d’établir un pouvoir exécutif au-dessus du pouvoir judiciaire, ce qui violerait la séparation des pouvoirs. Il a en outre précisé que le Parti AKP avait assujetti l’État sans être contrôlé par d’autres partis ou branches du gouvernement. Il a ajouté que les décrets exécutifs et la législation indiquent les penchants autoritaires de ce régime, qui ont empêché tout progrès vers l’adhésion à l’UE, malgré les efforts initiaux du parti pour le contraire.

Selon Arato, alors que les dirigeants du Parti AKP, ainsi que de nombreux intellectuels libéraux, continuaient de considérer la Cour constitutionnelle comme un ennemi, le référendum de 2010 représentait une tentative de conquérir une branche du système de séparation des pouvoirs, à savoir le pouvoir judiciaire. Arato soutient que certaines des dispositions les plus attrayantes du programme ont servi de vitrine à un projet monolithique qui visait en fait à créer un type d’hyper-présidentialisme. Il a cherché à éliminer tous les obstacles à ce nouveau système, en particulier le pouvoir judiciaire qui avait établi sa compétence en matière d’amendements constitutionnels.

En fin de compte, Erdogan a remporté un référendum en 2017 qui lui a donné des pouvoirs présidentiels d’une grande portée, qu’il exercera maintenant après l’élection de dimanche. La présidence turque était auparavant une position symbolique, bien qu’Erdogan l’ait utilisée inconstitutionnellement pour exercer un pouvoir réel.

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Le charisme dangereux d’Erdogan

En plus de tous les obstacles systémiques à une démocratie consolidée en Turquie, je suggèrerai fortement que les traits de caractère et le style de leadership d’Erdogan ont également joué un rôle crucial dans la transformation du système politique en Turquie. Aylin Görener et Meltem Ucal, utilisant l’analyse des traits de leadership conçue par Margaret Hermann comme outil de recherche, ont examiné la rhétorique d’Erdogan pour analyser son style de leadership. Leurs recherches ont conclu que les convictions d’Erdogan « sont si profondément ancrées et ses priorités si bien établies, qu’il a tendance à ne voir que ce qu’il veut voir, [ce qui] le rend incapable de déchiffrer les nuances de la diplomatie et de naviguer avec succès dans les eaux difficiles des affaires internationales ».

L’étude révèle également que « sa tendance à la dichotomie le prédispose à considérer la politique comme une lutte entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, les méchants et les victimes ». L’étude souligne que le modèle de scores d’Erdogan indique qu’il a une orientation « évangélisatrice » en politique, ce qui est le style de leadership résultant d’une combinaison de la tendance à contester les contraintes de l’environnement, de la fermeture à l’information et d’une focalisation sur les relations.

Les universitaires turcs Irfan Arik et Cevit Yavuz affirment qu’Erdogan a les qualités d’un leader charismatique. Cependant, ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour la démocratie turque. Les données historiques montrent que les tendances autoritaires couplées à une personnalité charismatique laissent le plus souvent la place à la dictature. Lewis, par exemple, montre comment les leaders charismatiques exacerbent souvent les frustrations et les préjugés de leurs adeptes par l’utilisation d’une « agression polarisée ».

Les universitaires António Costa Pinto, Roger Eatwell et Stein Ugelvik Larsen affirment que tous les dictateurs fascistes doivent posséder des capacités individuelles qui les rendent « extraordinaires » : « Ils ont besoin de disciples pour “comprendre” ou “apprécier” et relier leurs qualités et il doit y avoir une situation ou un événement qui exige ces capacités inhabituelles, ou qui pourrait “appeler” à la reconstruction du régime de manière à permettre l’application de nouvelles solutions aux problèmes ».

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La cible de 2023 et le califat

Dans plusieurs articles et discours d’Erdogan et de l’ancien ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, les deux dirigeants semblent convaincus que les initiatives de l’AKP feraient de la Turquie un acteur mondial d’ici 2023, année du centième anniversaire de la création de la République turque. Après avoir considéré l’opposition de l’AKP aux symboles fondateurs de la République, l’objectif et la vision de 2023 est lié à la re-création de la nouvelle identité de l’État et de la nation.

Puisque le processus de construction de l’État se réfère au développement d’une entité politique avec des dirigeants, des institutions et des citoyens, la vision de l’AKP pour 2023 est un indicateur important pour voir comment une « projection imaginée du futur » est utilisée pour mobiliser la nation et recréer la Grande Turquie qui a perdu sa grandeur il y a cent ans. Il ne faut pas considérer cela seulement comme un voyage vers un avenir imaginaire, mais aussi comme un voyage dans le passé où l’identité collective turque grandiose s’est perdue. En examinant cette vision, il est tout à fait clair que son intention est de reconstruire une Grande Turquie, tout en ne promettant rien sur une société forte, les droits civils ou une démocratie consolidée.

La relation leader-disciple n’est pas une relation à sens unique et les deux agents se définissent l’un l’autre. En d’autres termes, les leaders ne peuvent pas opérer sans adeptes. Quant aux disciples d’Erdogan, il est évident que beaucoup d’entre eux le voient comme un « calife ».

Selon la politologue Maria Hsia Chang, le narcissisme pernicieux commence par un traumatisme collectif, comme une défaite nationale, une crise économique ou l’assujettissement par un autre groupe, souvent plus puissant. Cette défaite conduit la nation à s’interroger sur elle-même et sur son histoire, « ce qui se traduit par un sentiment omniprésent d’insécurité et une identité collective hésitante et faible ».

Chang soutient que le nationalisme narcissique « fonctionne comme un “saut dans le fantasme collectif” qui permet aux individus menacés ou anxieux d’éviter le fardeau de penser par eux-mêmes ». Par exemple, les résultats humiliants du Traité de Sèvres, l’abolition du califat et l’effondrement de l’Empire ottoman ont laissé une nation turque brisée et blessée dans leur sillage. Cette histoire douloureuse a été rappelée et utilisée par les dirigeants de l’AKP comme élément rhétorique et comme outil de compensation au cours de la dernière décennie.

Par exemple, l’écrivain turc Abdurahman Dilipak, qui est proche d’Erdogan, a déclaré que le califat reviendra avec la réélection victorieuse d’Erdogan en 2018. Lors de sa participation à une conférence en 2017 au Canada, Dilipak a déclaré que « si Erdogan gagne la présidence l’année prochaine, il deviendra le calife et que le calife [islamique] aura des commissaires travaillant dans les salles du palais présidentiel qui compte 1 000 chambres ».

Il a ajouté que le califat s’est déplacé au parlement turc, soulignant qu’après sa réélection, Erdogan nommera des conseillers de toutes les régions musulmanes du califat de divers pays islamiques. Celles-ci demanderont à l’Union Islamique d’avoir des représentants des régions du califat dans les mille chambres.

Et ce n’est pas seulement Dilipak ; Suat Onal, membre du Conseil de gouvernement du Parti de la justice et du développement, a déjà mentionné sur son compte Facebook que « Erdogan deviendra le calife en 2023 et Allah lui jettera sa lumière sur lui ».

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« L’ombre de Dieu »

De même, en 2013, Atilgan Bayar, ancien conseiller de la chaîne d’information pro gouvernementale A Haber, a écrit qu’il reconnaissait Erdogan comme le calife du monde musulman et lui a exprimé son allégeance. Dans l’un de ses tweets récents, Beyhan Demirci, écrivain et adepte d’Erdogan, a également écrit qu’Erdogan est le calife et l’ombre de Dieu sur Terre. Certains de ses disciples sont même allés plus loin et ont dit des choses comme : « Puisque Erdogan est le calife, il a le droit d’utiliser l’argent gagné par la corruption pour ses objectifs politiques ».

Dans sa thèse intitulée Loss of the caliphate : The trauma and aftermath of 1258 and 1924 [Perte du califat : Le traumatisme et les séquelles des années 1258 et 1924, NdT] , la professeure assistante Mona F. Hassan de l’Université Duke note que de nombreux dirigeants musulmans ont aspiré à accroître leur prestige avec le titre suprême de calife. Comme je l’ai déjà écrit dans mon livre Hungry For Power [assoiffé de pouvoir, NdT],

« Outre les revendications du calife ottoman destitué, Abdülmecid et les ambitions apparentes de Sharif Husayn de La Mecque, les noms du roi Fu’ad d’Egypte, Amir Amanullah Khan d’Afghanistan, Imam Yahya du Yémen, le sultan ibn Sa’ud de Najd, le sultan Yusuf bin Hasan du Maroc, le Nizam d’Hyderabad, le Cheikh Ahmad al-Sanusi de Libye, l’émir Muhammad bin Abd al-Karim al-Khattabi du Rif marocain, et même celui de Mustafa Kemal ont tous été évoqués comme ayant des ambitions pour la position de calife. »

Il convient également de mentionner qu’Erdogan a déclaré en février 2018 que « la République de Turquie est une continuation de l’Empire ottoman ». Il a poursuivi en déclarant que « la République de Turquie, tout comme nos États précédents qui sont une continuation les uns des autres, est aussi une continuation des Ottomans ». Erdogan explique que « Bien sûr, les frontières ont changé. Les formes de gouvernement ont changé… Mais l’essence est la même, l’âme est la même, même beaucoup d’institutions sont les mêmes. »

Kadir Misiroglu, qui travaille avec Erdogan depuis les années 1980, reste résolument anti-laïque. Il a affirmé que les incursions de la Turquie en Syrie et en Irak permettront à Erdogan de ressusciter l’Empire ottoman et de se déclarer calife.

L’obsession du califat ne se limite pas aux islamistes politiques. Par exemple, le nombre de recrues de l’EI a énormément augmenté après que son chef Abu Bakr al-Baghdadi s’est proclamé calife. « Indépendamment de l’idéologie, des individus du monde entier qui se sentaient réprimés par leurs propres gouvernements, dont la plupart n’étaient pas en mesure de garantir leur sécurité personnelle ou une infrastructure durable, se sont précipités pour rejoindre son armée. L’essentiel est que le concept de califat n’est pas difficile à vendre, que ce soit dans un État autoritaire, dans les pays musulmans sous-développés ou dans les pays développés où les musulmans sont le plus souvent stigmatisés », selon un article de Cynthia Lardner de juin 2017, Erdogan : Self-Proclaimed Caliphate ? [Erdogan : Caliphat autoproclamé ?, NdT]

Un califat est un État dirigé par un intendant islamique connu sous le nom de calife – une personne considérée comme le successeur du prophète de l’Islam, Mahomet (Muhammad bin Abdullah), le prophète de toute la communauté musulmane. Le mot calife désigne en fait le dirigeant de la communauté mondiale des musulmans, ou oumma. Au cours des siècles qui suivirent la mort du prophète Mahomet en 632 de notre ère, les dirigeants du monde musulman furent appelés califes, ce qui signifie « successeur » en arabe. En 1924, Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la nouvelle République turque, abolit le califat.

Le calife a longtemps été considéré par de nombreux musulmans comme le représentant légitime de Dieu sur terre, héritier d’une chaîne de succession ininterrompue remontant jusqu’au prophète Mahomet.

Le professeur Zeki Saritoprak souligne que l’EI et certains islamistes politiques utilisent largement les thèmes eschatologiques et le « califat » dans leur idéologie, en particulier certains récits que l’on trouve dans les hadiths, le recueil de récits de paroles et d’enseignements du Prophète :

« Il n’est dit nulle part dans le Coran ou les hadiths que le devoir des musulmans est d’établir un califat, et en fait, l’idée d’un État islamique n’existait pas avant le milieu du XIXe siècle. Je pense que s’ils sont tellement obsédés par un État c’est parce qu’ils ont oublié comment appliquer les règles à eux-mêmes, et qu’ils ont donc le désir d’imposer les règles aux autres. L’EI est donc une version de l’islam politique qui, en tant que philosophie de gouvernement, considère que l’islam peut être imposé à une population du haut vers le bas. Cela va en fait à l’encontre des principes coraniques, qui se concentrent sur l’individu en tant qu’univers en soi-même », a dit Saritoprak.

Il a poursuivi :

« Une chose dont les adeptes de l’Islam politique ne sont généralement pas conscients, c’est que le temps est un interprète du Coran. Certains versets du Coran doivent être interprétés dans les conditions de notre époque et non dans les conditions du Moyen Âge. Par conséquent, je ne pense pas qu’un califat ou un État islamique soit nécessaire pour que l’islam s’épanouisse au XXIe siècle. Il semble que l’avenir de l’Islam soit dans la coopération avec l’Occident et avec le christianisme. Il n’y a pas d’impératif dans le Coran pour détruire l’Occident ou les chrétiens. Bien au contraire, l’Islam devrait être construit sur la civilisation occidentale, et non pas chercher à la détruire. Ceux qui voient des problèmes en Occident devraient être réconfortés par les paroles de Said Nursi, qui a dit que les aspects négatifs de l’Occident finiront par se dissiper et qu’il peut y avoir un rapprochement entre les civilisations occidentale et islamique. »

Selon Ali Vyacheslav Polosin, directeur adjoint du Fonds de soutien à la culture, aux sciences et à l’éducation islamiques, « Erdogan a utilisé l’image du califat et des valeurs islamiques traditionnelles pour gagner en popularité au Moyen-Orient, en espérant la gagner partout dans le monde ». Il a expliqué que « après qu’Erdogan est devenu président, il a commencé à se positionner dans la publicité par l’image non seulement en tant que président de la République turque, mais aussi en tant que lecteur du Coran, comme s’il irradiait une sorte de “nur”, de la lumière. C’est plus l’image d’un calife, d’un dirigeant de vrais croyants, que celle du président d’une république, surtout si l’on considère que la Turquie a une très grande expérience dans ce domaine. Donc les revendications ne sont pas si infondées. »

D’un point de vue méthodologique, l’établissement d’un État islamique peut sembler très attrayant pour de nombreux musulmans, mais en réalité, cela ne résoudra peut-être pas les problèmes des êtres humains. Si vous fournissez les meilleures règles et que vous les remettez entre les mains de personnes corrompues, ces règles seront également utilisées pour la corruption. L’attrait du califat aveugle de nombreux musulmans sur la réalité de leur situation et de leur moralité.

Erdogan ne s’est pas déclaré comme le nouveau calife du monde musulman. Mais ses actions peuvent être un signe avant-coureur de ce qui pourrait arriver.

Il est important de garder à l’esprit que la création de l’État turc a toujours joué un rôle crucial dans la configuration de la société en tant qu’agent constitutif. Alors que le rôle constitutif de l’État a été exercé dans le passé avec une vision laïque du monde, ce rôle constitutif semble aujourd’hui être passé à la direction de l’AKP et en particulier à Erdogan lui-même, ce qui suggère que la mission de l’État est maintenant d’élever une génération religieuse. Cela indique que l’aspect « ingénierie sociale » d’un « État constitutif » n’est pas exclu, comme l’a clairement dit Erdogan : « la nouvelle constitution sera en harmonie avec les valeurs de notre nation. »

Alors qu’Atatürk se considérait comme le sauveur de la nation ? une sorte de demi-dieu ? l’establishment séculier de l’État a agi en conséquence. Erdogan et sa bureaucratie semblent convaincus qu’ils ont aussi la capacité de construire leur propre État, leur propre société et même des mythes. Le charisme autoritaire d’Erdogan et sa personnalité narcissique prouvent qu’il serait prêt à gouverner la Turquie en tant que « leader unique incontestable », mais pas en tant que leader démocratique. Des données facilement disponibles démontrent que les leaders charismatiques autoritaires avec des personnalités narcissiques, ont tendance à être des dictateurs.

Je soutiens fermement que l’objectif d’Erdogan pour 2023 et son ambition de ressusciter le califat n’a pas seulement été formulé pour idéaliser sa domination, mais aussi pour servir d'”appel” à cette reconstruction du régime.

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Un échange de pouvoir des élites

Malgré l’élimination de la tutelle militaire sur le système politique pendant l’ère du parti AKP, la Turquie a connu plusieurs faiblesses historiques et structurelles qui l’ont empêchée de devenir un État démocratique. Les efforts d’Erdogan pour exclure les militaires turcs du système politique ne visaient pas à consolider la démocratie, mais plutôt à créer un système autocratique selon ses souhaits.

Ce que la Turquie connaît donc depuis des années, c’est la « charismatisation/Erdoganisation » des institutions politiques turques à travers l’idéalisation de l’objectif de 2023 et un avenir imaginaire du califat qui a endommagé non seulement les institutions démocratiques, mais aussi conduit à des changements radicaux dans la politique intérieure et étrangère turque. En raison des obstacles systémiques à la démocratie, tout ce qui émerge en Turquie dans un avenir proche ne sera pas une démocratie consolidée, mais plutôt un échange de pouvoir entre les élites.

Cet article a été publié à l’origine sur Politurco.

Aydogan Vatandas est un journaliste turc chevronné et rédacteur en chef de Politurco.

Source : Aydogan Vatandas, Consortium News, 25-06-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

vendredi, 25 mai 2018

Hat die «Allianz» Russland-Türkei eine Zukunft?

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Hat die «Allianz» Russland-Türkei eine Zukunft?

Ex: http://stategische-studien.com 

Byzanz dürfte 660 v. Chr. durch griechische Dorier als Byzantion gegründet worden sein. Der römische Kaiser Konstantin liess nach sechs Jahren Bau über dem ursprünglichen Byzantion seine Stadt am 11. Mai 330 n.Chr., die später als Konstantinopel seinen Namen erhielt, als Hauptstadt des römischen Reichs konsekrieren. Zu diesem Zeitpunkt war der Kaiser 58 Jahre alt. Konstantin hatte eine neue Metropolis an der Meeresenge, die Asien von Europa trennt, errichten lassen. Nach der Aufteilung des Römischen Reiches 395 n.Chr. wurde die Stadt zur Hauptstadt des oströmischen Reiches. Später wurde dieses Teilreich als byzantinisches Reich bezeichnet.[1] Obwohl ab dem 7. Jahrhundert in Byzanz das Griechische das Latein als Hof- und Verwaltungssprache immer mehr verdrängte, bezeichneten sich die Bewohner der Stadt bis zu ihrer Eroberung durch die Osmanen 1453 immer noch als Römer (Rhomäer).

Immer wieder wurde Konstantinopel während Jahrhunderten durch fremde Völker belagert. Nur zweimal gelang eine Eroberung der Stadt. Die ersten, die eine Eroberung dieser geostrategischen Drehscheibe versuchten, waren die Goten 378 n. Chr.[2]. Es folgte 626 die Belagerung von Konstantinopel durch den Sassaniden Chosro II., dem Herrscher über das neupersische Reich.[3]. Als Folge dieses «letzten grossen Krieges der Antike» waren am Ende beide Reiche ausgeblutet. 636 konnten die arabischen Heere nach der Schlacht von Yarmuk Syrien erobern.[4] 640 folgte die arabische Eroberung von Ägypten und 647 von Nordafrika.[5] Byzanz konnte noch Anatolien, sowie Gebiete auf dem Balkan und in Italien bewahren. 674-78 belagerten die Araber zum ersten Mal Konstantinopel. Durch den Einsatz des griechischen Feuerswurden die arabischen Seestreitkräfte vernichtet.[6] Zu dieser Zeit war das Sassanidenreich bereits durch die Arabererobert worden. 717 folgte die zweite Belagerung Konstantinopels durch die Araber. Wiederum wurde das griechische Feuer eingesetzt. Die Provinzarmeen der Themen waren bei der Abwehr der Araber sehr erfolgreich.[7] Nach dem Sturz der Dynastie der Omayyaden 750 war das Reich durch Angriffe der Araber nicht mehr gefährdet.[8]

Nach der Schlacht von Mantzikert, 1071, verlor Byzanz beinahe ganz Anatolien an die türkischen Seldschuken.[9]Gleichzeitig wurde das Reich durch normannische Abenteurer aus Sizilien und Italien verdrängt. Diese eroberten unter ihrem Anführer Robert Guiscard 1081 auch Illyrien. Nach verlustreichen Kämpfen mussten sich die Normannen unter dem Sohn von Guiscard, Bohemund, nach Italien zurückziehen. Als das Ritterheer des ersten Kreuzzuges 1096 in Byzanz eintraf, war einer der Anführer der Kreuzfahrer der Normanne Bohemund.[10] Sehr bald kam es zu Spannungen zwischen den Kreuzfahrern und Byzanz. 1204 hetzte Venedig, ein früherer Alliierte von Byzanz, die Teilnehmer am vierten Kreuzzug gegen Konstantinopel auf. Im April dieses Jahres wurde die grösste Stadt der Christenheit nach ihrer Eroberung durch die Kreuzfahrer während drei Tagen geplündert und gebrandschatzt.[11] Venedig und seine Alliierten gründeten das kurzlebige Lateinische Kaiserreich. Gleichzeitig entstanden drei byzantinische Nachfolgestaaten, die den Kreuzfahrern Widerstand leisteten.

1261 konnte Michael VIII. Palaiologos (1259-82), Herrscher über das byzantinische Nachfolgereich Nikäa, Konstantinopel zurückerobern.[12] Seine Dynastie konnte während zwei Jahrhunderten über ein Reich herrschen, zu dem Griechenland, Teile von Kleinasien und des Balkans gehörten.[13] Durch dieses kleine Territorium konnten aber nicht genügend Ressourcen für den Unterhalt einer wirkungsvollen Streitmacht generiert werden. Der Sieg von Timur in der Schlacht von Ankara von 1402 verhalf Konstantinopel zu einer Atempause. Schlussendlich eroberte der osmanische Sultan Mehmet II. (1444-46/1451-81) am 29. Mai 1453 dank seinen genuesischen Geschützen und seiner Übermacht von 80’000 Muslimen gegenüber den 7’000 Verteidigern die Stadt. Während 1’000 Jahren hatte Byzanz eine hohe militärische Professionalität bewiesen[14] und während Jahrhunderten Europa vor einer islamischen Eroberung geschützt und bewahrt. Als Dank dafür wurde das Reich der Rhomäer in seinem Abwehrkampf gegen die Osmanen am Ende durch das christliche Abendland im Stich gelassen.

Eines der wichtigsten Ereignisse in der Geschichte von Byzanz war die Taufe des Grossfürsten von Kiew, Wladimir I. der Grosse (980-1015), Nachkomme des Waräger Rjurik (als Rus bezeichnet) 987 nach dem orthodoxen Ritus.[15] Ein Grund für diese Taufe war die Hilfe von Wladimir bei der Rekrutierung von Skandinaviern für die Waräger-Garde des byzantinischen Kaisers. Diese Taufe wurde durch den Vertrag von 1046 und die Heiraten zwischen den beiden Herrschaftshäusern besiegelt.[16] Nachdem die Rus früher mehrmals versucht hatten Byzanz zu erobern, wurden die Beziehungen zwischen den beiden Reichen immer freundschaftlicher. Die heutigen Gebiete von Russland, Serbien, die Ukraine, Belarus, Rumänien und Bulgarien übernahmen Tradition, Kultur und den orthodoxen Glauben von Byzanz.[17]

Nach dem Fall von Konstantinopel bezeichnete der russische Mönch Filofei (Filotheos) in einer Schrift an die russischen Grossfürsten Moskau als das dritte Rom.[18] Im ersten Rom würden Häretiker herrschen und das zweite Rom, Konstantinopel, sei durch die Ungläubigen erobert worden. Dieses Konzept übernahm der Herrscher über Moskau, Grossfürst Ivan IV. (1534-1584). Ivan IV. liess sich 1547 als Nachfolger der byzantinischen Kaiser zum Zar krönen.[19] Die Legimitation dazu konnte er auch mit seinem Grossvater, Ivan III. (1462-1505), begründen, der mit Zoë Palaiologos, Nichte des letzten byzantinischen Kaisers, verheiratet gewesen war.[20] Ivan IV. war nun der einzige freie orthodoxe Herrscher. Seine Religion bestimmte die Kreuzzüge Russlands gegen das katholische Königreich Polen-Litauen, der Feind im Westen, Schweden, das Tartaren-Kanat von Kazan und das osmanische Reich. Ziel der Kriege gegen das osmanische Reich war die Befreiung der Balkan-Völker und Konstantinopels vom türkischen Joch.[21]

Ab dem 16.Jahrhundert wurde Russland in den orthodoxen Kirchen als Erbe von Konstantinopel und der Zar von Russland als Wächter über die gesamte orthodoxe Welt anerkannt.[22] Die russische Kirche war von einer siegreichen Mission gegen die muslimischen Ungläubigen und über die katholische Gegnerschaft überzeugt.[23] Russland hatte den byzantinischen Thron zu bewahren. Von dieser Mission und dem Kreuzzug waren alle Zaren bis und mit der Romanow-Dynastie überzeugt. Die verschiedenen Kriege des russischen Imperiums gegen das osmanische Reich, die vom 18. Jahrhundert bis zum ersten Weltkrieg dauerten, belegen dies.[24] Diese Mission dürfte grundsätzlich auch die Aussenpolitik von Wladimir Putin bestimmen.

Zur Durchsetzung ihrer Interessen in Syrien verfolgen Russland und die Türkei seit 2017 eine Art «Allianz». Syrien soll durch diese gemeinsame «Allianz», zusammen mit der Islamischen Republik Iran,  befriedet werden. Wladimir Putin dürfte dabei auch das Ziel verfolgen, die Türkei aus dem westlichen Bündnis NATO herauszubrechen. Der türkische Machthaber Erdogan dürfte seinem Machtstreben im Mittleren Osten frönen und von der Wiedererrichtung des osmanischen Reichs träumen. Auf dem Hintergrund der während Jahrhunderten verfolgten russischen Machtansprüche und der Kriege gegen die Osmanen erscheint diese «Allianz» als widernatürlich. Das Endziel von Russland könnte nach wie vor die «Befreiung» von Konstantinopel von den muslimischen Ungläubigen sein.

 

[1] Decker, M.J., The Byzantine Art of War, Westholme Publishing, Yardley, Pennsylvania, 2013, P,1.

[2] Decker, M.J., P. 13.

[3] Decker, M.J., P. 15-18.

[4] Decker, M.J., P. 21.

[5] Decker, M.J., P. 21.

[6] Decker, M.J., P. 22.

[7] Decker, M.J., P. 24.

[8] Decker, M.J., P. 24.

[9] Decker, M.J., P. 32/33.

[10] Decker, M.J., P. 36.

[11] Decker, M.J. P. 37.

[12] Decker, M.J., P. 37.

[13] Decker, M.J., P. 40.

[14] Decker, M.J., P. 40.

[15] Decker, M.J., P. 30.

[16] Obolensky, D., The Relations between Byzantium and Russia (11th-15th Century), Oxford University, Updated 02 July 2001, P. 2.

[17] Obolensky, D., P. 4ff.

[18] Laats, A., The Concept of the Third Rome and its Political Implications, P. 98.

[19] Laats, A., P. 104.

[20] Laats, A., P. 104.

[21] Laats, A. P. 105.

[22] Laats, A., P. 106.

[23] Laats, A., P. 108.

[24] Laats, A., P. 112.

 

vendredi, 02 mars 2018

La Turquie, possible détonateur d'une crise prochaine de la dette

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La Turquie, possible détonateur d'une crise prochaine de la dette

Marc Rousset

Ex: http://synthesenationale.hautetfort.com

Les raisons à venir d’un krach financier sont malheureusement très nombreuses et pourraient concerner de nombreux pays. La Turquie, dont on ne parle jamais, pourrait bien être le canari dans la mine de l’explosion de la dette. Comme la France médiatique de Macron, la Turquie est censée bien se porter mais, en fait, son économie très fragile est au bord du gouffre.

Les entreprises turques sont trop endettées en dollars et la réaction du dirigeant autocratique Erdoğan face aux Kurdes, au coup d’État manqué de Fethullah Gülen avec la bénédiction des États-Unis, aggrave la situation. Suite à l’arrestation de 60.000 personnes, au licenciement de 150.000 autres, les intellectuels et les possédants, et non plus seulement les classes populaires, quittent aujourd’hui le pays.

La corruption est omniprésente ; le niveau de l’éducation baisse et les tribunaux sont ultra-politisés.

L’inflation est de 11,9 % en 2017, tandis que la livre turque, de 0,5 euro en 2011, n’en finit pas de s’effondrer à 0,22 euro en février 2018, ce qui renchérit la dette de 450 milliards de dollars aux créanciers étrangers, dont 276 milliards en euros et dollars. Les taux d’intérêt, en Turquie, sont passés de 6 %, en 2013, à 12 %, en 2018. Les taux américains ainsi qu’européens pour les dettes des entreprises libellées en devises étrangères sont, eux aussi, en augmentation rapide. 170 milliards de dollars doivent être remboursés en 2018. La dette extérieure, qui représentait 39 % du PIB en 2012, s’élève aujourd’hui à 58 % du PIB.

La bulle immobilière est en train d’exploser, avec une augmentation des faillites de 120 % dans le bâtiment et les travaux publics. Des constructions immobilières sont déjà à l’arrêt au milieu de tours gigantesques, de bureaux et de logements en surnombre. On sent la démesure avec le nouvel aéroport d’Istanbul, le plus grand du monde (200 millions de passagers), les appels d’offres pour un deuxième Bosphore, le « Grand Canal Istanbul », ainsi que pour le plus grand tunnel au monde « Eurasia » devant relier l’Europe et l’Asie avec un tunnel à trois voies superposées en étages.

La bulle boursière est aussi sur le point de crever, suite à la hausse des taux d’intérêt et à la fuite des capitaux. Depuis la tentative de coup d’État en 2016, les actions turques ont quasiment triplé.

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Une menace de plusieurs milliards de dollars pour non-respect des scandaleuses sanctions imposées par les États-Unis pour commerce non autorisé avec l’Iran pèse sur les banques locales turques, alors qu’un banquier turc a déjà été reconnu coupable par un tribunal new-yorkais.

La Turquie, hors Union européenne et Suisse, est le 4e partenaire commercial de la France, ce qui pourrait avoir des conséquences, en cas de défaut turc, pour des ventes de missiles antiaériens, pour les 400 entreprises françaises implantées, dont Renault et Peugeot. BNP Paribas a déjà déprécié la valeur de sa filiale dans son bilan. Quant au flux des migrants afghans, syriens et irakiens, momentanément tari contre le versement d’une honteuse et stupide rançon annuelle, à Erdoğan, de trois milliards d’euros, alors que nos pères européens auraient déjà depuis longtemps envoyé des navires de guerre au large des côtes turques pour régler le problème, il pourrait reprendre !

Si Erdoğan devait mettre en place un contrôle des capitaux, l’impossibilité pour les investisseurs étrangers de vendre des obligations et des actions contre des devises fortes aurait pour effet de déclencher un krach financier.

La crise des liquidités en Turquie pourrait, alors, ressembler à celle de la Thaïlande en 1997 et à celle de la Russie en 1998, mais au-delà de la crise ponctuelle d’un pays, cela pourrait bien être, dans le contexte mondial actuel, l’étincelle imprévue qui met le feu aux poudres dans les pays émergents, en Europe, à Wall Street, Shanghai et Tokyo.

dimanche, 29 octobre 2017

Kemal et le communisme

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Kemal et le communisme

Par Lukas Tsiptsios

Ex: http://www.lesclesdumoyenorient.com

Le kémalisme est incontournable pour comprendre l’histoire de la Turquie contemporaine, tandis que son fondateur Mustafa Kemal devenu Atatürk (père des Turcs), est lui toujours incontournable dans l’espace public turc. Mouvement nationaliste dans la continuité des Jeunes Turcs, né pour fonder un Etat-nation turc souverain quand les puissances impérialistes démantelaient l’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale, le kémalisme devient rapidement un allié objectif de la Russie soviétique de Lénine. De ce fait, des rapprochements, même idéologiques, entre kémalisme et bolchévisme ont souvent pu être recherchés (1). Il faudrait néanmoins questionner plus profondément ce rapport à l’antiimpérialisme et au communisme. Le kémalisme étant idéologiquement fluctuant et difficilement cernable, un retour sur les conceptions et les pratiques de Mustafa Kemal lui-même, est ici nécessaire pour comprendre cette alliance a priori contre nature.

Communisme et nationalistes

Lorsque Mustafa Kemal (1881-1938) débarque à Samsun le 19 mai 1919, s’opposant toujours plus ouvertement au pouvoir du sultan Mehmed VI, la Russie soviétique de Lénine se trouve au cœur de la guerre civile qui l’oppose aux armées blanches, aux forces paysannes, mais aussi aux troupes étrangères coalisées, chargées d’empêcher toute propagation bolchévique. C’est un moment où, alors même que les bolchéviks luttent à mort pour leur survie politique (et physique), ils peuvent toujours espérer une révolution mondiale. La contre-offensive de l’Armée rouge en Pologne en 1920 a pu offrir un vague espoir d’une prise militaire de Berlin et d’une diffusion révolutionnaire en Europe, un an après la révolte spartakiste, la République des conseils de Bavière, de Hongrie ou de Slovaquie. A l’effervescence révolutionnaire européenne, s’ajoutent les mouvements nationalistes qui se structurent progressivement dans le monde sous domination européenne. La doctrine boukharo-léniniste (2), qui s’institue alors comme la règle dans le champ marxiste de la IIIe Internationale (Komintern), voit dans ces mouvements nationalistes une dynamique révolutionnaire à laquelle le mouvement ouvrier doit s’allier, afin de vaincre les forces et les intérêts impérialistes.

« Réussirons-nous à unir ce courant immense du mouvement national-révolutionnaire sans cesse croissant, au courant général et bien plus puissant du mouvement prolétarien, qui s’assigne des tâches purement communistes ? Cette union est nécessaire et inévitable… » dit Zinoviev, président du Komintern, au premier congrès des organisations communistes et révolutionnaires de l’Extrême-Orient en 1922 (3).

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De leur côté, les mouvements nationalistes perçoivent bien souvent la Révolution d’Octobre comme une source d’espoir, voire d’inspiration. Le zèle affiché du Komintern quant à la décolonisation, pousse même beaucoup vers son giron. Les nationalistes des Indes néerlandaises du Sarekat Islam se retrouvant bien souvent dans le Partai Komunis Indonesia en 1920. De même pour beaucoup de nationalistes en Indochine, qui comme Nguyễn Ái Quốc (futur Hô Chi Minh), alors fameux pour ses Revendications du peuple annamite de 1919, constatant les insuffisances du Parti national vietnamien (VNQDĐ), fonde le Parti communiste indochinois après avoir participé à la mission Borodine, mission du Komintern consistant à soutenir les nationalistes chinois du Guomindang de Sun Yat-Sen (4).

Dans ce contexte de révolution mondiale et de libération nationale des peuples sous domination étrangère, il est bien souvent question dans les débats du Komintern d’un horizon communiste particulier aux populations musulmanes. L’idée d’un « communisme musulman » suscite une certaine forme d’enthousiasme, de même que le djihad peut alors être considéré comme nécessaire au processus révolutionnaire, ainsi que le présente Mirsäyet Soltanğäliev au premier congrès des peuples d’Orient à Bakou en 1920 (5). C’est ce potentiel révolutionnaire que le Komintern pense retrouver chez les nationalistes turcs, représentés par Mustafa Kemal à Ankara, contre le pouvoir impérial libéral de Constantinople, qui sous le contrôle des forces de l’Entente (notamment du Corps expéditionnaire d’occupation de Constantinople, hériter de l’Armée française d’Orient), tentait de se reprendre après la période jeune-turque (entre 1908 et 1918), tout en négociant de manière inégale les traités de paix qui assuraient le démembrement de l’Empire ottoman.

Indépendance turque et Russie soviétique

La révolution nationale de Kemal entamée en 1919, pouvait alors être perçue ainsi par le Komintern. Joignant un discours antiimpérialiste refusant les traités des vainqueurs de la Première Guerre mondiale (vue comme la guerre impérialiste par excellence), à la défense du califat malgré son opposition au gouvernement du sultan, Kemal et la Grande Assemblée nationale de Turquie (GANT) d’Ankara ont pu être un symbole d’espérance pour beaucoup de mouvements musulmans. D’où un soutien financier abondant de l’étranger, notamment des musulmans d’Asie centrale et d’Inde, dont 125 000£ par le simple comité indien Khilafat (6) jusqu’en 1922.

Kemal affiche donc dans un premier temps un « panislamisme dévot » (7) et libérateur, malgré son scientisme et son turquisme (8). Il l’associe à une rhétorique antiimpérialiste et socialiste, se rapprochant ainsi de la Russie soviétique, tout en éliminant toute autre concurrence réellement communiste en interne. Il était celui qui apparaissait combattant (tout comme l’Armée rouge) contre les grandes puissances impérialistes liguées pour dépecer l’Empire, ouvertement ou derrière la Grèce vénizéliste aux ambitions expansionnistes en Anatolie, désirant réaliser sa Grande Idée. Profitant des négociations et forte du soutien franco-britannique, les armées du Royaume hellène débarquent à Smyrne en mai 1919, avant d’entamer les premières offensives l’année d’après. Du résultat de cette guerre gréco-turque, dépendait fondamentalement l’existence d’un éventuel Etat-nation turc tel que l’envisageait Kemal. Ce sont donc les circonstances qui ont poussé la Grande Assemblée nationale de Turquie vers la Russie soviétique, seul Etat disposé à l’aider compte tenu des conditions. Le traité de Moscou de mars 1921 qui en découle permet au gouvernement turc d’Ankara d’avoir une reconnaissance officielle internationale, mais surtout des financements en roubles-or, ainsi qu’un règlement des frontières caucasiennes, finalement délimitées lors du traité de Kars d’octobre 1921 (9). Ainsi, avec ces traités, le traité de Sèvres de 1920 qui découpe l’Empire ottoman entre les grandes puissances (France, Royaume-Uni, Italie et la Grèce vénizéliste soutenue par les deux premières) en ne laissant aux Turcs qu’un étroit espace en Anatolie, est rendu caduc. Les forces kémalistes maintenant financées (10) et équipées par la Russie, ayant gagné la guerre turco-arménienne la même année, pouvaient se focaliser sur le front anatolien contre la Grèce et finalement gagner la guerre en 1922.

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Quant à la Russie soviétique, ayant établi sa domination sur la Transcaucasie soviétisée dans le même temps (grâce aux avancées kémalistes en Arménie qui lui a permis de la soviétiser (11)), elle disposait d’une frontière méridionale stable, mais surtout d’un premier allié, ayant à court terme les mêmes objectifs et les mêmes ennemis. C’est donc une alliance pragmatique et les Soviétiques sont très vite conscients de leurs divergences idéologiques avec le nationalisme kémaliste, dont les accents socialistes n’ont été que rhétoriques. En soi, c’est là un premier acte réaliste de l’Etat soviétique, pour sa survie dans les relations internationales, conduit par le pragmatisme léniniste, plus qu’un réel accomplissement d’un objectif du Komintern.

Le pragmatisme de Kemal

L’alliance de Kemal avec les bolcheviks pourrait être vue comme une alliance contre-nature si la première caractéristique politique du futur Atatürk n’était pas son pragmatisme radical. Sa formation intellectuelle est celle d’un officier jeune-turc de Roumélie (12) : scientiste, turquiste, très élitiste, prônant un darwinisme social, moderniste certes, mais hostile au marxisme qu’il méprise sans réellement chercher à le comprendre (13). Mais son but étant la construction d’un Etat-nation turc homogène et moderne, occidentalisé sans pour autant dépendre des intérêts occidentaux, il doit accepter dans un premier temps le compromis religieux, mais aussi bolchevique, quand bien même préfère-t-il la révolution de Meiji au Japon à la révolution d’Octobre. Kemal parvient néanmoins à repousser ses attentes d’un Etat laïc et scientiste pour se faire le défenseur du califat et instituer une procédure à la GANT (avec prières et utilisation politique des oulémas), plus religieuse que jamais l’Empire d’Abdülhamid II ne l’avait été. De même a-t-il été capable de repousser ses ambitions et ses discours turquistes, pour parvenir à un accord avec la Russie soviétique. En revanche, cette alliance pragmatique n’a jamais empêché Kemal de toujours rechercher un rapprochement avec les Etats-Unis ou n’importe quelle démocratie libérale, afin d’œuvrer toujours plus largement à la reconnaissance internationale de la Turquie républicaine.

Fort de son titre de Gazi acquis à la suite de la bataille de Sakarya en 1921 contre les Grecs, Kemal pouvait à la fin de la guerre gréco-turque, prétendre à une triple légitimité : militaire, politique et religieuse. Il avait sauvé la nation turque face aux menaces étrangères, affirmé l’existence de la nouvelle République sur la scène internationale avec le traité de Lausanne de 1923, tout en restaurant (jusqu’au 3 mars 1924, date de son abolition) le califat avec des compétences strictement limitées au plan spirituel. Le traité de Lausanne, officialisant la fin de l’Empire ottoman, permet à la fois à la nouvelle république de s’affirmer indépendante et souveraine dans les relations internationales, mais aussi de régler (selon les juristes internationalistes du temps) le problème du caractère multiethnique de la population du territoire turc, par un échange de populations avec la Grèce sur un critère apparemment objectif fondé sur la religion. Censée pacifier la région, cette décision frappe deux millions d’habitants, déplacés des deux pays, laissant ainsi théoriquement deux Etats ethniquement homogènes. C’était là nécessaire pour le projet nationaliste turquiste de Kemal, profondément hostile au cosmopolitisme ottoman, qui entrait dans le prolongement des politiques d’ingénierie démographique des Jeunes Turcs entrepris dès 1914 (14). De plus, la reconnaissance internationale à Lausanne libérait Kemal de son allié soviétique, qui ne lui était plus forcément nécessaire pour la survie de la République désormais en paix.

Les conditions lui étaient alors favorables pour entamer sa propre politique de modernisation et de laïcisation de la Turquie, avec l’aide et les investissements de la nouvelle URSS, tout en menant une politique violemment anticommuniste en interne. Ainsi, quand bien même Kemal honore ses alliés soviétiques en représentant Frounze (15) et Vorochilov (16) sur le Cumhuriyet Anıtı (« Monument de la République », érigé en 1928 sur la Place Taksim), « chacun doit comprendre qu’en Turquie même le communisme est notre affaire » (17) écrivait-il dans le même temps. C’est pourquoi avait-il formé un parti communiste fantoche (non reconnu par le Komintern), afin de combattre le Parti communiste de Turquie (TKP), qu’il devait théoriquement accepter sous la pression de Moscou. Finalement, la répression, les assassinats politiques n’ont jamais cessé, alors que l’alliance de fait entre la Turquie kémaliste et l’URSS de Staline elle, prend fin en 1936 sans grande émotion, avec la convention de Montreux. Le parcours de Nâzım Hikmet, qui alternait les années d’exil et de prison (15 ans au total) du fait de son appartenance au TKP, illustre bien ce rapport conflictuel et contradictoire du kémalisme des premières années avec le communisme.

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Conclusion

Il s’agissait là de se demander si Kemal et le kémalisme avaient pu être influencés ou liés d’une quelconque façon au communisme. Il est certain que les origines mêmes de la pensée de Kemal, nationaliste, élitiste et scientiste, le placent idéologiquement à des lieues du marxisme ou du bolchévisme. Cependant, sa pratique politique et son pragmatisme radical, ont pu, dans le cadre de certaines circonstances et rapports de forces donnés, le rapprocher de la Russie de Lénine. Ce rapprochement a provoqué des inflexions rhétoriques qui ont pu troubler la définition qu’on donne au kémalisme, allant même jusqu’à trouver des points communs idéologiques des deux courants politiques. Pourtant, il n’y a en réalité que le pragmatisme de Kemal, seule constante de son courant, qui puisse expliquer son alliance avec les bolchéviks. Tout comme le péronisme, on peut donc se réclamer du kémalisme de l’extrême-droite à la gauche, car il ne propose pas réellement un ancrage idéologique profond et dépasse de ce fait largement les clivages communs du champ politique des démocraties occidentales. Une interprétation du kémalisme comme étant une expérience nationaliste d’inspiration marxiste ou même tout simplement socialiste, serait donc définitivement à écarter.

- Kemal : de Mustafa à Atatürk (première partie)
- Kemal : de Kemal Pacha à Kemal Atatürk (deuxième partie)
- Tancrède Josseran, La nouvelle puissance turque : l’adieu à Mustapha Kemal
- La Révolution anatolienne, Dix ans qui ont changé la Turquie

Notes :
(1) Notamment G. S. Harris, The Origins of Communism in Turkey, Stanford, Hoover Institution, 1967, ou encore Rasih Nuri İleri, Atatürk ve Komünizm (Ataturk et le communisme), Istanbul, 1970.
(2) L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme en étant certainement l’essai de synthèse le plus connu.
(3) Hélène Carrère d’Encausse, Stuart Schram, Le marxisme et l’Asie, 1853-1964, Paris, Armand Colin, 1965.
(4) Nora Wang, L’Asie orientale du milieu du 19e siècle à nos jours, Paris, Armand Colin, 2000.
(5) Congress of the Peoples of the East, Baku, September 1920 : Stenographic Report, trad. Brian Pearce, Londres, New Park, 1977.
Alexandre Bennigsen et Chantal Lemercier-Quelquejay, Sultan Galiev. Le père de la révolution tiers-mondiste, Paris, Fayard, coll. les Inconnus de l’histoire, 1986.
(6) Naem Qureshi, Pan-Islam in British Indian Politics : A Study of the Khilafat Movement, 1918-1924, Leyde, Brill, 1999.
(7) Şükrü Hanioğlu, Atatürk   : une biographie intellectuelle, Paris, Fayard, 2016, p. 102.
(8) Idéologie nationaliste popularisée par les Jeunes Turcs, visant à unir les peuples turciques (sur un critère ethnique voire racial) au sein d’un même Etat panturquiste.
(9) Traité de Kars, 1921 [En ligne], wikisource [consulté le 29 juillet 2017], https://fr.wikisource.org/wiki/Trait%C3%A9_de_Kars_-_1921
(10) 10 millions de roubles-or.
(11) Anahide Ter Minassian, La République d’Arménie, Paris, Edition Complexe, 1989.
(12) Partie européenne de l’Empire ottoman, qu’on appelle aussi Macédoine.
(13) La biographie intellectuelle de Şükrü Hanioğlu, Atatürk   : une biographie intellectuelle est particulièrement explicite à ce propos, se fondant notamment sur ses discours, ses écrits, mais aussi ses annotations.
(14) Nikos Sigalas et Alexandre Toumarkine, « Ingénierie démographique, génocide, nettoyage ethnique. Les paradigmes dominants pour l’étude de la violence sur les populations minoritaires en Turquie et dans les Balkans », European Journal of Turkish Studies [En ligne], 7, 2008.
(15) Membre du Comité central du Parti bolchévique qui visite Ankara en 1921, avant de devenir membre du Politburo et Commissaire du peuple pour l’Armée.
(16) Membre du Comité central du Parti bolchévique, Commissaire du peuple aux Affaires intérieures avant de remplacer Frounze à sa mort en 1925.
(17) Mehmet Perinçek, Atatürk’ün Sovyetler’le Görüşmeleri, p. 273.

Bibliographie :
- Hamit Bozarslan, Histoire de la Turquie, de l’Empire à nos jours, Paris, Taillandier 2013.
- Paul Dumont, Mustapha Kemal invente la Turquie moderne, Bruxelles, Complexe, 1983, nouv. éd. 1997 et 2006.
- Paul Dumont, Du socialisme ottoman à l’internationalisme anatolien, Istanbul, ISIS, 1997.
- Paul Dumont, « L’axe Moscou-Ankara, les relations turco-soviétiques de 1919 à 1922 », dans les Cahiers du monde russe et soviétique, volume 18, numéro 3, Paris, 1977, p 165-193.
- Şükrü Hanioğlu, Atatürk   : une biographie intellectuelle, Paris, Fayard, 2016.
- Kerslake C., Oktem K., Robins P. (Eds.) Turkey’s Engagement with Modernity. Conflict and Change in the Twentieth Century. Basingstoke : Palgrave Macmillan, 2010
- Erik J. Zürcher (Ed.), Turkey in the Twentieth Century. La Turquie au vingtième siècle, Berlin, Schwarz, 2008.

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dimanche, 23 avril 2017

Turquie: deux sociétés irréconciliables?

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Bob Woodward:

Ex: http://www.decryptnewsonline.com 

C’est une victoire étroite, lourde d’inconnues, que celle remportée par Recep Tayyip Erdogan dimanche 16 avril lors du référendum destiné à instaurer une « hyperprésidence », donnant au chef de l’Etat des pouvoirs sans précédent, lui permettant de contrôler l’exécutif mais aussi très largement le législatif et le judiciaire. Le oui l’a emporté avec 51,3 % des suffrages, selon des résultats non encore définitifs. Loin du plébiscite escompté il y a encore quelques mois par celui que ses partisans appellent « reis » – le chef – et qui se sentait renforcé après l’échec du coup d’état militaire de juillet 2016. Près de 25 millions d’électeurs turcs ont voté pour les dix-huit amendements à la Constitution, soit 1,5 million de plus que ceux qui les ont rejetés. Selon des résultats quasi-définitifs, 51,3% des Turcs ont approuvé dimanche la réforme transformant leur pays en République présidentielle, après neuf décennies de régime parlementaire. Le chef de l'Etat, Recep Tayyip Erdogan, a revendiqué sa victoire, qu'il a qualifiée de «moment historique», appelant «les autres pays à respecter la décision du peuple turc» et s'engageant à lancer «immédiatement» les travaux sur le rétablissement de la peine de mort - une promesse de campagne. Devant des milliers de partisans réunis à Ankara, le Premier ministre et chef du parti au pouvoir (Parti de la justice et du développement, AKP), Binali Yildirim, a quant à lui salué «la plus belle réponse» aux commanditaires de la tentative de putsch de juillet 2016, aux séparatistes kurdes et aux «forces étrangères hostiles à la Turquie». Plus de 86 % des électeurs ont participé au scrutin.
 
Cette victoire étriquée, le pouvoir turc la doit à ses bastions conservateurs d'Anatolie centrale et de la mer Noire, tandis que le non l'emporte dans les plus grandes villes du pays: Istanbul, Ankara et Izmir. . Il devra surtout justifier sa décision de dernière minute d'accepter comme valides de nombreux bulletins normalement considérés comme irréguliers - car exempts de sceau officiel. L'opposition devrait utiliser cette procédure discutable pour remettre en cause le résultat. «Le référendum a montré qu'au moins 50 % de la société disait non» à cette réforme, a dénoncé le leader de l'opposition, Kemal Kiliçdaroglu. «Nous respectons le verdict du peuple mais le YSK a jeté une ombre sur le résultat», a poursuivi le chef du Parti républicain du peuple (CHP). La deuxième formation d'opposition, le Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde), a fait savoir qu'il allait contester les votes provenant de «deux tiers» des urnes, dénonçant des «manipulations».
 
L'opposition refuse donc de s'avouer vaincue. Et pour cause: pendant toute la campagne, le non a nargué le oui dans les intentions de vote. Ignorés par les grands médias (y compris les chaînes publiques), privés des ressources de l'Etat, assimilés aux terroristes, séparatistes et putschistes, invisibles sous les kilomètres de banderoles du oui qui ceinturaient l'espace public, les partisans du non - soit tous les partis politiques à l'exception de l'AKP et de son allié ultranationaliste MHP - ont cru à la victoire. Il a fallu attendre les dernières semaines pour que la machine du pouvoir achève vraisemblablement de convaincre les indécis - ou de les effrayer.
 
«Si le non l'emporte, nous entrerons dans une période de chaos ou d'instabilité», avait prévenu le ministre du Commerce, Bülent Tüfenkci, tandis que le Premier ministre, Binali Yildirim, promettait d'en finir avec le terrorisme en cas de victoire du oui. Des peurs et des promesses agitées pendant la campagne par le chef de l'Etat qui, dix jours avant le vote, appelait même les électeurs tentés par un refus à «ne pas mettre en danger leur vie après la mort». «On se demande ce que le résultat aurait pu être si les conditions de campagne avaient été équitables», écrivait l'éditorialiste Murat Yetkin dans le quotidien Hürriyet à la veille du référendum.
 

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La Turquie, plus polarisée que jamais, ne sort pas non plus indemne de ces deux mois de campagne. «Des choses ont été dites qui ne l'avaient jamais été et ont aggravé la dimension Kulturkampf au sein de la société», estime le politologue Ahmet Insel. Comme lorsque le président a accusé ses opposants d'être du côté des terroristes. Ou lorsqu'un éditorialiste influent et proche d'Erdogan, Hayrettin Karaman, a écrit que le oui était un «devoir religieux» et que les musulmans devraient désormais traiter les électeurs du non comme les juifs et chrétiens auxquels on accorde le droit de vivre. Ailleurs, un imam leur a promis l'enfer. A Istanbul, un employé municipal a assimilé sur Facebook - avant d'être mis à pied - les femmes et les filles des partisans du non à des «butins de guerre». Pour Ahmet Insel, qui tient une chronique dans le quotidien d'opposition laïque Cumhuriyet, «on a vu pour la première fois un discours musulman dominant, autoritaire, sûr de lui et agressif. Cela va probablement aggraver la peur mutuelle des deux côtés.»
 
Quant à la réforme en elle-même, elle n'entrera pas en vigueur avant les prochaines élections législatives et présidentielle, censées se tenir le même jour de novembre 2019. D'ici là, Recep Tayyip Erdogan - qui a semblé écarter dimanche la perspective d'élections anticipées - continuera d'user de tous les pouvoirs dont il dispose déjà. A deux nouvelles exceptions près: le président pourra reprendre immédiatement sa carte de l'AKP, qu'il avait dû quitter en août 2014 au nom de l'impartialité de sa fonction. Quant au Conseil des juges et procureurs (HSK), qui nomme et révoque les magistrats, il sera remodelé sous 30 jours par le chef de l'Etat, qui achèvera ainsi d'asseoir son autorité sur l'appareil judiciaire.
 
S’adressant à plusieurs centaines de ses supporteurs réunis devant son palais de Tarabya, sur la rive européenne du Bosphore, M. Erdogan a évoqué une « victoire historique » en insistant sur le rôle « décisif » du vote des Turcs de l’étranger. « Le 16 avril est une victoire pour la Turquie pour ceux qui ont voté oui et pour ceux qui ont voté non », a-t-il clamé.

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« Le pays a pris une décision historique », s’est félicité le chef de l’Etat tout en mettant en garde tous ceux qui contesteraient le résultat de la consultation. « Tout le monde devrait respecter la décision de notre nation, en particulier nos alliés », a-t-il insisté alors que les Européens n’ont pas caché leurs inquiétudes sur une réforme constitutionnelle qui remet en cause nombre des principes de l’Etat de droit et notamment la séparation des pouvoirs.
 
Le caractère pour le moins étriqué de la victoire du oui représente un véritable camouflet pour l’homme fort de la Turquie. Le non gagne en effet dans les grandes villes du pays, à commencer par Istanbul, dont M. Erdogan fut le maire, et Ankara. C’est un signal fort car ces deux villes votent majoritairement depuis 1994 pour les partis islamistes, d’abord le Refah (Parti de la prospérité, interdit en 1998) et depuis 2002 pour l’AKP (Parti de la justice et du développement).
 
Les habitants de plusieurs quartiers d’Istanbul acquis au non – entre autres à Besiktas, du côté européen du Bosphore, à Kadikoy et à Maltepe, côté asiatique – sont descendus dans la rue pour protester contre la victoire proclamée de M. Erdogan. A Sisli et à Cihangir, d’autres partisans du non se sont livrés à un concert de casseroles depuis leurs fenêtres et leurs balcons, peu après la tombée des résultats.
 
Ce retournement représente un avertissement pour le leader de l’AKP, qui disposait déjà d’un pouvoir sans équivalent depuis Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République turque. L’AKP et le MHP – le parti de la droite ultranationaliste dont le leader, Devlet Bahceli, appelait aussi à voter oui – représentaient lors des scrutins de novembre 2015 63 % des électeurs d’Ankara et 62 % de ceux d’Istanbul. A peine 48 % des électeurs de ces deux métropoles ont voté pour le oui, soit une perte de plus de 10 points. Au sein même de l’AKP, cette concentration du pouvoir entre les mains d’un seul homme suscitait une réelle inquiétude.
 
Le référendum a accru les divisions du pays et la polarisation toujours plus extrême entre partisans et adversaires de M. Erdogan. « Il a gagné officiellement mais il a perdu politiquement », relève l’universitaire Ahmet Insel, directeur de la prestigieuse revue Birikim. Si légalement le président peut et va mettre en œuvre sa réforme constitutionnelle, sa légitimité est sérieusement écornée par le résultat du vote. « Une réforme d’une telle ampleur qui bouleverse les fondamentaux de la république ne peut s’appuyer sur une si courte majorité, de surcroît contestée », relevait sur les ondes de CNN Türk Murat Yetkin, directeur du quotidien Hurriyet Daily News.
 
L’étroitesse de la victoire du oui attise les polémiques sur les irrégularités du scrutin de la part de l’opposition, le CHP (Parti républicain du peuple, laïque) et le HDP (Parti démocratique des peuples, pro-kurde). Le CHP, la principale force de l’opposition, a annoncé qu’il allait demander un nouveau décompte de la moitié des bulletins en dénonçant des « actes illégaux ». La controverse porte sur les bulletins de vote non tamponnés par les scrutateurs présents dans les bureaux.
 
Quand le décompte a commencé, la Haute Commission électorale (YSK) a fait savoir que les bulletins dépourvus de tampons seraient considérés comme valides, contrairement à ce qui prévalait jusqu’ici. Cette décision, véritable entorse à la pratique habituelle, a été prise « à la demande de représentants de l’AKP », a précisé Sadi Güven, le président de la YSK. « Plus d’un million et demi de votes douteux ont ainsi été validés », a accusé Erdal Aksunger, un des vice-présidents du CHP. « Celui qui a pris le cheval est déjà parti », a lancé M. Erdogan, laissant entendre, par le biais de ce proverbe populaire, qu’il était trop tard pour contester quoi que ce soit.
 
Dans le sud-est du pays, à majorité kurde, et notamment dans les bastions historiques du Parti démocratique des peuples (HDP), le non l’emporte sans surprise mais sans éclat avec des scores contrastés, allant selon les provinces de 57,2 % à 72,6 % des voix.
 
Le scrutin de dimanche intervient après une série de bouleversements majeurs dont le mouvement kurde ne s’est pas relevé. En deux ans, il a eu à subir l’échec des guérillas urbaines menées par sa branche armée, qui s’est prolongé par la destruction ou la mise sous coupe réglée par les forces de sécurité de villes qui lui étaient acquises, des vagues d’arrestations massives au sein de son encadrement, l’emprisonnement du leader du HDP, le très populaire Selahattin Demirtas, et la perte de 80 des 102 municipalités kurdes dont il s’était emparé par les urnes au profit d’administrateurs nommés par l’Etat.
 
Malgré ce contexte défavorable et une campagne qui n’a pas été menée à armes égales contre le camp du oui, la carte du non dans le sud-est dessine encore un territoire cohérent, à majorité kurde. « La victoire du non dans des régions kurdes montre qu’elles conservent leur identité politique, que nous existons en tant que Kurdes et que le changement constitutionnel n’est pas légitime », estime Osman Baydemir, porte-parole du HDP, ancien maire de Diyarbakir, la capitale officieuse des Kurdes de Turquie.
 
Cependant, le rejet du projet constitutionnel ne se confond pas avec un vote d’adhésion pour le HDP et la persistance d’une enclave kurde hostile au pouvoir ne vaut pas sécession. Au sein même de cette zone et bien que la mesure des irrégularités qui ont entaché le scrutin ne soit pas encore connue, les scores du non restent inférieurs à ceux obtenus par le HDP lors des élections de novembre 2015.
 
Si M. Erdogan gagne, il n’en est pas moins politiquement affaibli, y compris sur la scène internationale. La campagne électorale a fortement dégradé les relations entre le président turc et plusieurs dirigeants européens, dont la chancelière allemande Angela Merkel, qu’il a accusée de « pratiques nazies » pour avoir refusé aux officiels d’Ankara de mener campagne dans son pays. Et il relance le défi.
 
Face à la foule de ses partisans qui à Istanbul scandait des slogans en faveur de la peine de mort, le président turc, accompagné par sa femme, Emine, a promis de « discuter au plus vite de ce sujet avec le premier ministre [Binali Yildirim] ». « Nous pourrions organiser un référendum », a-t-il lancé. Le retour en vigueur de la peine capitale en Turquie donnerait le coup de grâce au processus d’adhésion à l’Union européenne, déjà plongé dans un coma irréversible.

mercredi, 29 mars 2017

Turquie-Europe: le divorce?

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Bob Woodward:

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Les relations entre la Turquie et les pays de l’Union européenne se sont détériorées après l’annulation de plusieurs meetings turcs sur le sol européen début mars, notamment aux Pays-Bas et en Allemagne. Les ministres turcs ont été envoyés défendre devant la diaspora le projet de réforme constitutionnelle qui renforcerait les pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan. C’est à partir de ce lundi 27 mars que les Turcs de l’étranger peuvent commencer à voter pour le référendum du 16 avril en Turquie.

Depuis dix jours, les dirigeants turcs dénoncent la dérive fasciste de leurs homologues européens. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a même directement accusé la chancelière allemande Angela Merkel de pratiques « nazies ». En campagne électorale et sur fond de vives tensions avec Bruxelles, Recep Tayyip Erdogan a évoqué samedi un possible référendum sur la candidature turque à l’UE.
« En ce qui concerne les négociations (d’adhésion), nous pourrions prendre la voie d’un référendum et obéir à la décision que prendrait la nation ». Lors d’un déplacement à Antalya, dans le sud du pays, Recep Tayyip Erdogan a indiqué samedi 25 mars qu’il envisageait la tenue d’un possible référendum sur la poursuite de la candidature de la Turquie à l’Union européenne. Ces déclarations surviennent alors que les relations entre la Turquie et l’UE se sont fortement tendues ces dernières semaines après l’interdiction de meetings pro-Erdogan dans plusieurs pays européens, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas.

Le président turc, qui avait déjà évoqué l’an dernier une possible consultation populaire sur le processus d’adhésion, a ajouté samedi qu’un éventuel vote de ce type se tiendrait après un autre référendum constitutionnel, le 16 avril. Après le coup d’Etat raté en juillet 2016 et la violente répression qui s’est abattue sur la société (40 000 personnes emprisonnées, 125 000 fonctionnaires suspendus, des journalistes poursuivis…), M. Erdogan a proposé une réforme constitutionnelle qui vise à renforcer ses pouvoirs.

Entamées en 2005, les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE ont progressé très lentement du fait de désaccords sur Chypre, les droits de l’homme et d’autres dossiers et sont au point mort depuis des années. Plus tôt dans la journée, samedi, M. Erdogan avait déclaré que l’UE lui « simplifierait la tâche » si elle décidait elle-même d’abandonner les négociations d’adhésion de la Turquie.

« Ah ! Si seulement ils pouvaient prendre une telle décision ! Cela nous simplifierait la tâche », a lancé M. Erdogan, ajoutant qu’une victoire au référendum du 16 avril marquerait un « point de rupture » avec l’UE. Pour séduire l’électorat nationaliste, dont il a besoin pour remporter le référendum, le président turc a répété à plusieurs reprises ces dernières semaines qu’il soutenait le rétablissement de la peine capitale. Une ligne rouge pour Bruxelles.

En dépit des tensions, la Turquie et l’Union européenne restent des partenaires importants, notamment sur le dossier migratoire et la lutte antiterroriste.

La crise diplomatique se creuse donc entre la Turquie et l'Union européenne. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré samedi qu'un oui au référendum du 16 avril sur le renforcement de ses pouvoirs marquerait un « point de rupture » avec l'Europe. « Qu'entend-on ? Que si le oui l'emporte (au référendum), l'Union européenne ne nous acceptera pas. Ah ! Si seulement ils pouvaient prendre une telle décision, cela nous simplifierait la tâche », a déclaré Recep Tayyip Erdogan lors d'un discours à Antalya (sud). « De toute façon, le 16 avril est pour nous un point de rupture. C'est pour cela que le oui est si important. Nous allons mettre tout cela sur la table. Car la Turquie n'est le souffre-douleur de personne », a-t-il poursuivi, sous les acclamations de son auditoire.

Ces déclarations surviennent alors que les relations entre la Turquie et l'UE se sont fortement tendues ces dernières semaines après l'interdiction de meetings pro-Erdogan dans plusieurs pays européens, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas. Malgré les tensions, la Turquie reste un important partenaire de l'UE, notamment sur le dossier migratoire.

Rhétorique nationaliste

Les analystes s'interrogent pour savoir si cet accès de fièvre traduit une réelle volonté de rupture avec l'UE de la part de la Turquie ou s'il s'agit d'un orage passager, lié à la flambée de la rhétorique nationaliste en période électorale. Pour séduire l'électorat nationaliste, sans lequel il n'a aucune chance de remporter le référendum, Erdogan a ainsi répété à plusieurs reprises ces dernières semaines qu'il soutenait le rétablissement de la peine capitale, une ligne rouge pour Bruxelles.

«Que disent-ils ? Que la Turquie n'aura pas sa place en Europe si nous rétablissons la peine de mort. (...) Fort bien!» a lancé le président turc samedi. Le chef de l'État turc avait évoqué jeudi un possible « passage en revue » des relations avec l'UE, soulignant toutefois l'importance des rapports économiques avec le Bloc, premier partenaire commercial de la Turquie.