E.C : Le sujet du racisme anti-blanc, est assez tabou, avez-vous, vous-même subi du racisme ?
Cheyenne Carron : Je suis ni blanche, ni noire, mais marron clair de peau. Je n’ai jamais souffert de racisme de la part de personnes blanches ou noires. Depuis mon adolescence j’ai eu l’occasion de fréquenter des garçons et des filles issues de tous milieux et de toutes origines ethniques. J’ai observé les manifestations du racisme sous toutes ses formes. Aujourd’hui, j’ai pris assez de distance avec ce sujet pour pouvoir m’y intéresser. J’ai constaté que beaucoup de magnifiques films ont été fait dénonçant le racisme contre les noirs, je pense à « Imitation of Life », « 12 years a slave », ou « Dear white people », mais je n’ai jamais vu de films sur le racisme anti-blanc. Alors j’ai eu envie de corriger cela. Mais, avant de parler de racisme, Patries est surtout un film qui parle de différentes quêtes liées à l’identité.
E.C : N’avez-vous pas peur d’être taxée de racisme ?
C.C : Les valeurs dans lesquelles j’ai été élevée me mettent à l’abri de ce type de sentiment. J’ai des frères et sœurs blancs et un frère noir de peau. (Je viens d’une famille qui a adopté des enfants). Je ne suis pas raciste, et je pense donc qu’il est grand temps de parler des sujets qui fâchent ! Pour moi il ne s’agit pas de désigner des coupables et des victimes, mais il faut montrer le racisme mais aussi ceux qui l’exploitent en faisant mine de le condamner.
E.C : N’est-ce pas dangereux de traiter de ce sujet dans cette période compliqué ?
C.C : Il y a danger de se faire récupérer par des partis politiques extrêmes. Mais je pense qu’il y a aussi danger à ne pas s’emparer de ces sujets et de laisser à des gens sans humanité, et de les laisser pourrir dans la société… Et puis, je crois qu’un artiste doit s’emparer des problèmes de son temps.
E.C : Pour écrire ce scénario, vous êtes vous inspirée d’un livre, ou de faits divers ?
C.C : Je me suis inspirée du témoignage de plusieurs personnes. Elles m’ont raconté la manière dont elles tentaient de s’intégrer, mais aussi la manière dont elles vivaient une forme de rejet lié à leur couleur de peau, blanche ou noire.
E.C : Dans Patries vous nous montrez une famille, celle de Pierre, qui semble très attachée à son pays d’origine : le Cameroun.
C.C : Les sœurs de Pierre et sa mère, elles, sont très enracinées dans la culture Française, elles se sentent pleinement françaises. Pierre, lui, a un vrai désir qui grandit tout au long du film : celui de redécouvrir le pays d’où il vient. J’ai eu envie de parler d’un homme qui ne se sent pas heureux d’être en France, parce que sa culture d’origine lui manque. Je trouvais intéressant de montrer un immigré qui a soif de son identité perdue. Ça nous change du discourt habituel.. La France n’est pas son eldorado, il cherche autre chose. Pierre est aussi, d’une certaine façon, un héros. Il rêve de bâtir, et il croit en son destin. Mais pour lui, au fond de son cœur, son destin n’est pas en France. Son destin c’est le pays de ses ancêtres, alors que sa sœur ne jure que par la France.
E.C : Les deux mères de famille ont en point commun leur foi, c’est une thématique qui revient souvent dans vos films : la religion.
C.C : J’ai voulu faire le portrait de deux mères catholiques, à l’image de la mienne que j’aime. En tant qu’enfant abandonnée, j’aurais pu être adoptée par une maman noire, mais ce fut une maman blanche.
E.C : La notion de patrie incarne des réalités diverses selon le point de vue de chacun ; pour vous, quelle valeur a-t-elle ?
C.C : Moi qui ai été Pupille de l’État Français jusqu’à mes 19 ans, la patrie française ça a un sens. En tant qu’enfant abandonnée, j’ai bénéficié de la protection de l’État français et ça, ça n’a pas de prix. Mais il ne faut pas traiter les immigrés comme des enfants abandonnés ! Eux ont une terre quelque part, où ils sont nés, et où ils ont parfois une famille et des souvenirs. Un jour cette terre peut leur manquer, c’est le cas de Pierre.
E.C : Et où en êtes-vous avec le CNC ? J’ai cru comprendre que vos précédents films n’ont pas été subventionnés.
C.C : En 2014 le CNC m’a refusé deux scénarios (Hadès et Ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne), alors je ne présenterai plus mes scénarios à l’avenir. Je n’ai pas présenté Patries. J’ai beau faire ma maligne, à chaque refus ça me mine le moral et j’ai le sentiment que mon travail ne trouvera jamais grâce aux yeux du CNC. J’ai financé Patries avec l’argent que j’ai gagné sur les DVD de L’Apôtre.
E.C : Quels sont vos prochains projets ?
C.C : Je vais continuer à chercher le financement de « Hadès » et « Ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne », j’essaie d’élargir mon champ d’action à l’étranger. Si je n’y parviens pas, je vais devrais arrêter le cinéma. Je lui aurait donné tout ce que j’ai pu et Lui m’aura apporté beaucoup de joie et de réconfort.
Entretien avec Cheyenne-Marie Carron, réalisatrice
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Cheyenne-Marie Carron est un OVNI. On ne croise pas un petit bout de femme comme elle tout les matins devant la haie de son champ.
Elle a été adoptée toute petite par une famille qui compte deux autres enfants adoptés ainsi que deux enfants “bio”. Elle est la réalisatrice d’une petite dizaine de films et commence à faire parler d’elle et notamment dans les médias rattachés à ce qu’on appelle la réacosphère. Un caractère bien trempé et une personnalité solaire: elle fait son petit bonhomme de chemin et à l’occasion de la sortie prochaine de son nouveau film, Patries, Cheyene-Marie Carron nous permet de nous intéresser à elle en nous accordant un entretien.
-Bonjour Madame, qui êtes-vous ? Pouvez-vous vous présenter succinctement aux lecteurs de Belle-et-Rebelle ?
J’ai 38 ans. Je suis une réalisatrice, scénariste et productrice, catholique.
-Quelle est la motivation qui pousse une jeune femme comme vous à réaliser un film aussi polémique que Patries, qui porte sur le racisme anti-blanc, ce thème tellement controversé ?
Ce qui me pousse n’est pas la polémique, mais l’injustice. Beaucoup de très beaux films existent sur le racisme contre les noirs, mais aucun sur le racisme contre les blancs. J’ai eu envie de corriger cela.
-D’après vous, pour quelles raisons le racisme anti-blanc est-il l’un des tabous de la France moderne?
Peut-être la peur… La peur de se rendre compte qu’on ne déracine pas impunément les gens sans que cela n’entraîne de conséquences.
Comment se manifeste selon vous le racisme anti-blanc ? -
Je pense qu’il prend sa source d’abord dans un mal-être. Celui de se sentir étranger à la culture française, avec peut-être un sentiment de honte et rage d’avoir abandonné son pays d’origine. Puis vient la conséquence, c’est à dire l’agression verbale ou physique de l’homme blanc, du Français.
Dans cette situation tout le monde souffre, d’abord la victime, le Français blanc de peau, mais aussi celui qui agresse.
-Quels obstacles avez-vous rencontrés dans la réalisation de votre film?
Aucun, car je n’ai rien demandé !
Le CNC m’a été refusé sur tous les films, et j’ai décidé de ne plus rien demander à cet organisme, ni aux régions. Je fais mes films sans argent, et je galère pas mal… mais je m’accroche.
-Cheyenne-Marie, soyez honnête, vous aimez vous compliquer la vie: femme, entrepreneure, politiquement incorrecte, catholique, artiste, j’en passe et des meilleures, vous cherchez les ennuis ?
Je ne cherche pas les ennuis, et si l’on m’en fait, je me défends, car j’ai le sentiment d’accomplir des choses justes.
-Est-ce que d’après vous, le harcèlement de rue des femmes ne relève pas aussi du racisme anti-blanc?
Ce harcèlement s’étend aussi à des femmes qui ne sont pas blanches. Il provient je crois d’un regard sur la femme occidentale qui prend sa source dans le mépris de notre culture.
Il faut que la femme occidentale par sa dignité et sa fierté en impose aux barbares.
-J’ai cru comprendre que vous n’êtes pas dans le circuit de distribution classique des films. Comment faites-vous pour faire voir vos films ? Avez-vous des idées de leur audience ?
Effectivement personne n’accepte de distribuer mes films, alors je prends mon courage à deux mains et frappe aux portes des cinémas. De manière étonnante, mes films voyagent aux quatre coins du monde grâce aux DVD et la VOD [Vidéo à la Demande; NDLR], et je reçois parfois des courriels d’encouragements venant de très loin. C’est ça aussi la magie d’un film, une fois terminé, il fait sa vie !
-Qu’est-ce qui vous révolte au quotidien?
Le manque de courage.
-Qu’est-ce qui vous fait garder l’espoir?
Ma foi en l’Eglise et en la France.
-Qu’est-ce qui vous émerveille ?
En ce moment, c’est le printemps qui m’émerveille…
-Qu’est-ce qui vous dégoûte?
L’orgueil.
-Les livres/images/œuvres/artistes/films qui ont fait de vous ce que vous êtes.
Ça n’est rien de tout ça.
Ce qui a fait ce que je suis devenue, c’est ma mère. Une sainte femme qui m’a recueillie lorsque j’avais 3 mois, et le prêtre de mon village qui m’a inspiré le film L’Apôtre. Cet homme a tendu la main à la famille du tueur de sa soeur.
Ces deux personnes sont les deux figures qui ont fait ce que je suis.
Ensuite, il y bien sûr des centaines de gens qui ont croisé ma route, et qui m’ont tendu la main !
-Votre idée du bonheur?
Avoir des enfants… ce que je n’ai pas pour le moment.
-Première chose que vous feriez si vous étiez présidente de la République.
Je restaurerai la Monarchie !
-Votre sucrerie préférée.
Les chocolats de Patrick Roger.
Son film, L’apôtre, est disponible en VOD ainsi qu’en DVD.
Patries sortira en septembre 2015.