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mardi, 03 décembre 2024

Le Tchad et le Réveil Souverain de l’Afrique

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Le Tchad et le Réveil Souverain de l’Afrique

Constantin von Hoffmeister

Source: https://www.eurosiberia.net/p/chad-and-africas-sovereign-...

La décision du Tchad de rompre sa coopération militaire avec la France dépasse un simple mouvement géopolitique isolé — elle constitue un acte décisif de libération vis-à-vis de l'ordre postcolonial qui a longtemps attaché une grande partie de l’Afrique à l’hégémonie occidentale. Annoncée après une rencontre entre le président Mahamat Idriss Déby et le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, à N'Djamena, cette décision marque la maturation de la souveraineté tchadienne. Le ministre des Affaires étrangères, Abderaman Koulamallah, a souligné que le Tchad est désormais une puissance autonome, déterminée à façonner ses politiques étrangères et militaires en fonction de ses intérêts nationaux, affranchie de toute tutelle extérieure.

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Ce tournant est emblématique du réveil de l’Afrique dans un monde de plus en plus marqué par la multipolarité. Le moment unipolaire, qui visait à intégrer le Sud global dans une vision monolithique de la modernité, s’érode. Le rapprochement du Tchad avec Moscou plus tôt cette année, culminant avec une rencontre personnelle entre le président Déby et Vladimir Poutine, ainsi que l’inauguration d’une Maison Russe à N'Djamena en présence du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, illustre une réorientation des alliances. Ces actions ne sont pas de simples ajustements, mais l’expression d’une quête plus large des nations africaines pour redéfinir leurs rôles au sein d’un ordre mondial non plus dicté uniquement par les puissances occidentales.

Militairement, les actions du Tchad révèlent les contours de cette transformation. Ayant auparavant compté sur les avions Rafale français pour réprimer les dissidences internes, le Tchad construit désormais son autosuffisance à travers des partenariats avec la Turquie, qui fournit des avions d’attaque au sol et des drones, et avec les Émirats arabes unis, qui l’aident à acquérir davantage de drones. Cette diversification symbolise un rejet plus large de la dépendance. Elle reflète une Afrique qui cherche à gérer ses défis sécuritaires non pas en tant que cliente de puissances lointaines, mais comme architecte de son destin. L’intérêt de la Hongrie à déployer des soldats au Tchad, ostensiblement pour le contrôle migratoire, illustre la complexité croissante des engagements internationaux dans une région désormais ouverte à une variété d’acteurs.

Pour la France, la décision du Tchad est un coup dur, non seulement sur le plan pratique mais aussi sur le plan symbolique. Paris, autrefois arbitre incontesté de la géopolitique au Sahel, fait face à la perte progressive de son influence. Bien que le ministre tchadien des Affaires étrangères ait déclaré que la rupture n’est pas absolue, contrairement au rejet catégorique de la présence française par le Niger, l’incertitude entourant l’avenir des relations bilatérales — qu’elles soient purement économiques ou incluent une coopération militaire résiduelle — met en lumière la fragilité de la position française. Cela fait partie d’un bilan plus large pour l’Occident, qui doit affronter la réalité de son déclin dans des régions qui étaient autrefois des bastions de son pouvoir.

Le chemin emprunté par le Tchad n’est pas isolé, mais s’inscrit dans une trajectoire africaine plus vaste, dans un monde en profond réalignement. L’annonce par le Sénégal de son intention d’expulser les troupes françaises témoigne d’un changement similaire, et à travers le Sahel et au-delà, le désir de souveraineté devient une force irréversible. Dans le contexte d’un monde multipolaire, l’Afrique s’affirme non comme un participant passif, mais comme un acteur actif, forgeant des partenariats qui servent ses intérêts tout en rejetant les cadres hiérarchiques d’autrefois. L’avenir du continent réside dans sa capacité à naviguer dans cet ordre émergent, où aucun pôle unique ne domine et où le réveil de la souveraineté sert de pierre angulaire à sa résurgence. Longtemps considérée comme un terrain de domination extérieure, l’Afrique émerge désormais comme une frontière de possibilités dans l’architecture d’une nouvelle ère mondiale.

dimanche, 13 août 2023

La rébellion africaine contre l'Occident

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La rébellion africaine contre l'Occident

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2023/08/08/afrikan-kapina-lantta-vastaan/

Comme l'a révélé le sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg, l'Afrique redevient un continent important et une arène pour les jeux géopolitiques. La Russie, elle aussi, abandonne son eurocentrisme d'antan et, comme si elle respectait l'héritage soviétique, se tourne à nouveau vers l'Afrique.

La longue relation de la Russie avec les pays africains n'a pas été oubliée. En 1960, l'Union soviétique a fondé l'Université de l'amitié entre les peuples, qui offrait un enseignement supérieur aux étudiants des pays qui avaient obtenu leur indépendance de la domination coloniale. Le bastion académique soviétique de la "puissance douce" devait former la nouvelle élite africaine.

Aujourd'hui, nous assistons enfin à une situation dans laquelle les puissances occidentales de l'ère coloniale sont repoussées hors d'Afrique par les Africains eux-mêmes. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont aujourd'hui en première ligne des critiques occidentales, mais d'autres pays devraient suivre au fur et à mesure que le temps passe et que l'influence de l'Occident dans la région continue de s'éroder.

L'Afrique, toujours considérée comme un puits sans fond pour l'enrichissement personnel de l'élite dirigeante occidentale, sera-t-elle enfin capable de décider de son propre destin et d'utiliser ses propres ressources naturelles pour développer la civilisation africaine ? La vision de Mouammar Kadhafi d'une Afrique forte et indépendante se réalisera-t-elle ?

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Comme l'a dit le capitaine Ibrahim Traoré (photo), 35 ans, qui a pris le pouvoir au Burkina Faso par un coup d'État militaire, sa génération s'est demandé comment l'Afrique, avec tant de richesses, est devenue le continent le plus pauvre du monde, dont les dirigeants sont obligés d'aller mendier à l'étranger ?

Traoré connaît probablement la réponse à sa question rhétorique, car l'état actuel des choses est en fin de compte la faute des cercles financiers internationaux et des familles puissantes qui ont cherché à tout posséder sur la planète, quelles qu'en soient les conséquences.

Les officiers militaires qui ont déposé les régimes fantoches "démocratiques" soutenus par l'Occident dans divers pays ont invoqué les mêmes raisons pour justifier leurs coups d'État. Ils ont agi parce qu'ils étaient préoccupés par la montée du terrorisme et le sous-développement social et économique chronique de leur pays d'origine.

Le Sahel, par exemple, est l'une des régions les plus riches du monde en termes de ressources naturelles telles que le pétrole, l'or et l'uranium, mais c'est aussi l'une des plus pauvres sur le plan économique. Le Niger est un autre exemple frappant : il est l'un des principaux exportateurs d'uranium au monde, mais il se classe régulièrement au bas de l'indice de développement humain en termes d'espérance de vie, d'éducation et de niveau de vie.

Aux yeux des nouveaux dirigeants de ces anciennes colonies et de leurs partisans, la France porte une grande responsabilité dans cette situation. Ce coin d'Afrique, anciennement connu sous le nom colonial de Françafrique, a continué à exercer son influence sur ses anciens postes avancés, remplaçant la domination coloniale directe par des formes plus subtiles de contrôle néocolonial - avant tout, la monnaie.

Bien que la décolonisation de l'Afrique ait conduit à l'adoption de monnaies nationales par les pays africains, la France a réussi à persuader la plupart de ses anciens sujets d'Afrique centrale et occidentale de conserver une monnaie coloniale, le franc CFA ("CFA" signifie à l'origine Colonies françaises d'Afrique, puis Communautés financières d'Afrique).

Lorsque plusieurs pays ont tenté d'abandonner le système CFA, la France a fait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher le passage aux monnaies nationales. Les relations entre la France et ses vassaux en Afrique étaient basées sur l'intimidation, les campagnes de déstabilisation, les coups d'État et même les assassinats par le pays européen anciennement colonisateur. Les mêmes tactiques ont bien sûr été utilisées en Afrique par d'autres pays occidentaux, tels que la Grande-Bretagne et les États-Unis.

À la lumière de l'histoire, il ne faut pas s'étonner que les dernières juntes militaires africaines aient choisi la France comme principale cible de leur colère. L'"impérialisme monétaire" occidental a empêché le développement des économies africaines et les a maintenues sous le contrôle d'une élite égoïste dominée par la France et d'autres puissances occidentales.

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Comme pour souligner ce passé, au Mali, le chef militaire actuel, Assimi Goïta (photo), a expulsé l'armée française, rompu les relations diplomatiques et même interdit le français comme langue officielle. Au Burkina Faso, le jeune leader révolutionnaire Ibrahim Traoré a également expulsé les troupes françaises et interdit plusieurs exportations.

Cette jeune génération en colère pourra-t-elle achever le processus de décolonisation entamé dans les années 50 et 60 en Afrique francophone ? Outre l'indépendance politique (et le retrait des bases militaires occidentales), la souveraineté économique serait également nécessaire.

Les régimes militaires bénéficient encore d'un soutien populaire, car ceux qui ont été élus lors d'élections "démocratiques" se sont révélés être des marionnettes occidentales corrompues qui ont cherché à maintenir le statu quo et l'absence de souveraineté tout en s'enrichissant.

La nouvelle liberté ne sera pas facile à obtenir. Déjà, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) - une alliance politique et économique de quinze pays africains soutenue et financée par l'Occident - menace d'intervenir au Niger, éventuellement par la force ; en effet, les armes économiques de l'arsenal occidental ont déjà été déployées et des sanctions ont été imposées au Niger. La célèbre figure de proue de l'élite occidentale, Victoria Nuland, s'est également rendue au Niger.

Pour sa part, le régime militaire nigérien a averti que toute intervention militaire étrangère dans le pays conduirait à un "bain de sang". Les régimes militaires du Mali et du Burkina Faso ont tous deux exprimé leur soutien au nouveau gouvernement nigérien.

Le coup d'État au Niger menace également le projet de construction d'un gazoduc de 13 milliards de dollars reliant les gisements de gaz du Nigeria voisin à l'Europe, qui passerait directement par le Niger. Avec la décision prise l'année dernière par l'Union européenne de couper le gaz russe, ce projet est probablement plus urgent que jamais.

L'Occident prend donc note des liens de la Russie avec les régimes militaires et Poutine a déjà été accusé de ce nouveau rebondissement. Assiste-t-on à une nouvelle "guerre régionale par procuration" en Afrique, où la Russie et la société de mercenaires Wagner, par exemple, soutiendraient le Niger (ainsi que le Burkina Faso et le Mali), tandis que l'Occident inciterait les pays de la Cedeao à faire la guerre aux rebelles ? L'alliance militaire de l'OTAN sera-t-elle impliquée ?

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Bien que le drapeau russe ait été brandi dans les rues du Mali, du Burkina Faso ou du Niger - comme une sorte de symbole de l'anti-occidentalisme - les événements récents trouvent leur origine dans les injustices historiques et la volonté locale de changer de cap. Ainsi, l'intimidation et la complaisance de l'Occident ne risquent pas d'aller bien loin, mais ne feront que renforcer la détermination à rompre avec les anciens maîtres coloniaux.

Lorsque les politiques agressives de l'Occident ne seront plus acceptées en Afrique, cela créera-t-il les conditions d'une nouvelle vague de souverainisme ? Alors que les contours du nouvel ordre économique mondial se dessinent, l'Afrique, avec ses marchés dynamiques, ses vastes richesses naturelles et ses nouveaux dirigeants critiques à l'égard de l'Occident, doit également être prise en compte.

vendredi, 27 décembre 2013

RCA: la France est bien responsable...

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RCA, LA FRANCE EST BIEN RESPONSABLE

Reste à savoir de quoi ?

Michel Lhomme
Ex: http://metamag.fr

L'ambassadrice américaine à l'ONU Samantha Power a effectué une visite surprise en République Centrafricaine. Samantha Power est une diplomate américaine, spécialiste de la question du génocide dans les conflits du 20ème siècle, notamment en ex-Yougoslavie et au Rwanda. C'est un signal fort et même très fort des Etats-Unis, de plus en plus scandalisés par les violences interreligieuses qui ont déjà fait près d'un millier de morts dans un territoire normalement pré-carré de la France. Samantha Power est la plus importante responsable américaine à se rendre en République centrafricaine, où l'administration US a qualifié la situation de «pré-génocidaire». Elle a rencontré le président centrafricain de transition et ex-chef rebelle de la Séléka, Michel Djotodia et s'est entretenu avec les hauts dignitaires musulmans et chrétiens tous impliqués à titre divers dans les massacres.
 
« Les populations (centrafricaines) sont en très grand danger et nous avons tous la responsabilité de les éloigner de l'abîme», a-t-elle déclaré en préambule à son déplacement.  Sa visite intervient alors que Bangui, patrouillée par les militaires français et la force africaine, connait une relative normalisation même si de l'avis de tous, la situation reste fragile. "De graves violations des droits humains continuent d'être commises dans le nord du pays ainsi qu'à Bangui", s'est alarmée une organisation de défense des droits de l'homme, Human Rights Watch (HRW),pour qui « le risque de nouvelles violences généralisées est extrêmement élevé ».

La République Centrafricaine est plongée dans l'anarchie et le chaos depuis la prise du pouvoir en mars 2013 par la Séléka, coalition hétéroclite de groupes armés musulmans venus du nord du pays. Or, cette coalition, la France ne l'a-t-elle pas souhaitée puisqu'elle a lâché l'ancien président chrétien qui avait eu le malheur de se tourner vers la Chine ? Certes, la France fait le sale boulot comme elle le fait aussi au Mali, comme elle l'a fait en partie en Libye. Pourtant, pour Samantha Power, les Etats-Unis sont «reconnaissants envers les Français et les courageux soldats africains qui risquent leurs vies pour aider à protéger des civils» tout en ajoutant aussitôt que Washington fournit un soutien logistique à la Mission de maintien de la paix en Centrafrique (Misca) avec le transport aérien en cours de 850 soldats burundais vers la Centrafrique.
 
De la Fomac à la Misca ou comment cacher les paras...

Forte de 3.700 hommes, cette Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca), mandatée par l'ONU, a pris officiellement le relais de la Fomac déployée depuis 2008. Le drapeau de la Communauté des Etats d'Afrique centrale (CEEAC) a été baissé et remplacé par celui de l'Union Africaine (UA). Ce transfert d'autorité marque l'élargissement de la force africaine, jusqu'à présent composée de contingents des pays voisins (Cameroun, Congo, RDC, Gabon, Tchad, Guinée Equatoriale) à d'autres pays du continent, tel que le Burundi. A terme, la Misca devrait compter environ 6.000 hommes pour mener à bien, au côté de l'armée française, sa difficile mission de rétablir la sécurité dans le pays.
 
De son côté, l'armée française a lancé le désarmement forcé des milices et groupes armés à Bangui. A ce jour, ce sont environ 7.000 combattants de l'ex-Séléka qui ont été désarmés et sont cantonnés dans leurs casernes à Bangui.. Après avoir désarmé en priorité les ex-Séléka, les soldats français visent maintenant les milices "anti-balaka", très présentes dans certains quartiers chrétiens. La France ne cesse de réaffirmer son "impartialité" sur le plan militaire. Or, la France avait bien en RCA choisi son camp par le lâchage prémédité de l'ancien président François Bozizé qu'elle n'a jamais volontairement aidé à prendre le contrôle du Nord du pays. En participant plus qu'activement au dynamitage de la Libye, la France n'a-t-elle pas par ailleurs rendue l'Afrique noire incontrôlable ? 

Tout l'été, les organisations non gouvernementales ont dénoncé les pillages et les atteintes aux droits de l'homme en RCA. Il était bien clair qu'un conflit à teneur confessionnelle se profilait en RCA. Les membres de la Séléka sont essentiellement de confession musulmane alors que la population centrafricaine est composée à 80 % de chrétiens. Le conflit devait cristalliser les sentiments d'appartenance religieux. A quoi a pu servir toute l’aide à l'éducation fournie par la France depuis des années à la RCA ? Quid des journées des droits de l'Homme à l'Alliance française ou des programmes humanistes du lycée français de Bangui ? Certes il existe en République centrafricaine, depuis de longue date, des conflits traditionnels, tant économiques que religieux, entre éleveurs nomades musulmans et paysans sédentaires chrétiens, pourtant, ce qui arrive reste inédit dans un pays où les populations jusqu'alors vivaient dans les mêmes quartiers et les mêmes villages. Ce sont  bien des religieux sunnites qui ont déferlé à leur façon, en 4X4, par petits groupes, armés et financés par le Qatar et l'Arabie Saoudite sur la RCA comme sur toute l'Afrique noire. 

Le problème de la RCA n'est pas un problème néocolonial comme les esprits chagrins voudraient nous le faire croire en raisonnant sur de vieux schémas dépassés, ceux de la Françafrique. Il pose la question des effacistes et des remplacistes français qu'ils soient solfériniens ou sarkozistes. Il pose la question de la dépendance politico-financière de la France à l'égard de Ryad et des monarchies du Golfe comme de la faiblesse de notre budget de défense et de nos finances tout court.

Mali : un an après l’opération Serval

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Mali : un an après l’opération Serval

La France entre l’enclume sudiste et le marteau nordiste
Bernard Lugan*
Ex: http://metamag.fr

Le 27 novembre, et pour la première fois depuis le début de l’opération Serval, une manifestation anti-française s’est déroulée au Mali, à Bamako, aux cris de « A bas la France ». Ces Maliens bien peu « reconnaissants » de ce qui a été fait pour eux font à la France un reproche de fond : interdire à leur armée de se repositionner à Kidal, au cœur du pays touareg. Or, durant la campagne de l’Azawad, notamment lors des combats dans les Iforas, les forces françaises furent renseignées par les Touareg du MNLA contre la promesse de ne pas laisser l’armée malienne se repositionner à Kidal…

Culbutés par les Touareg, les militaires maliens qui se sont enfuis vers Bamako fin 2011-début 2012, veulent aujourd’hui profiter du bouclier français pour prendre leur revanche et réoccuper la totalité du territoire national, ce que les Touareg refusent. Le 30 novembre dernier, le MNLA, rejoint par le MAA ( Mouvement arabe de l’Azawad) et par le HCUA ( Haut conseil pour l’unité de l’Azawad) a d’ailleurs déclaré qu’il reprenait la guerre contre l’armée malienne. 

Nos forces vont donc se trouver prises entre deux feux. Comme en Côte d’Ivoire avec Laurent Gbagbo, ceux que nos éléments sauvèrent dans un premier temps, risquent donc de devenir des ennemis qui nous reprocheront de ne pas les laisser rétablir la souveraineté nationale sur l’ensemble du pays. Une aide salvatrice se transformera donc en entreprise néo-coloniale… et la France devra une fois de plus payer l’incohérence de sa politique ! 

Comme il fallait s’y attendre, et comme je n’ai cessé de le dire , le problème de fond n’a pas été réglé par l’Opération Serval car il n’est pas militaire. Il n’est pas davantage islamiste, le jihadisme n’étant que la surinfection d’une plaie ethnique millénaire. La question est ethno-politique car le sahel, monde contact entre les civilisations sédentaires des greniers au Sud, et l’univers du nomadisme au Nord, est un Rift racial le long duquel, et depuis la nuit des temps, sudistes et nordistes sont en rivalité pour le contrôle des zones intermédiaires situées entre le désert et les savanes.
 
Les élections ne résoudront donc évidemment pas cette réalité géo-ethnographique. Elles ne feront que confirmer la mathématique ethnique locale, l’ethno-mathématique selon ma formule qui me fut tellement reprochée par les butors de la bien-pensance universaliste, mais qui est désormais reprise par les plagiaires qui « pompent » littéralement mes analyses sans jamais me citer. 

Dans un communiqué en date du 14 novembre 2012, j’écrivais ainsi que l’intervention au Mali ne devait pas être construite comme une synthèse entre divers courants, à l’image de ce qui se fait lors des congrès du parti socialiste. Il fallait certes des objectifs militaires clairs -et l’armée française a parfaitement rempli sa mission à cet égard-, mais avant tout une vision politique cohérente et réaliste, à savoir la définition d’un nouvel équilibre entre le nord et le sud du pays. 
Après avoir bloqué les colonnes d’Ansar Eddine qui fonçaient sur Bamako, il fallait donc conditionner nos opérations de reconquête de Gao et de Tombouctou à l’acceptation par les autorités maliennes de l’impératif d’un changement constitutionnel qui aurait une fois pour toutes réglé le problème nord-sud.
 
Au lieu de cela, les cerveaux à nœud qui inspirent la politique africaine de la France sont restés englués dans leurs dogmes universalo-démocratiques, refusant de voir que les nordistes ne sont pas les sudistes, que les élections n’ont jamais réglé en profondeur les problèmes ethniques africains et qu’en définitive, nous n’avons fait que repousser le problème.
 
Mais qu’importe, puisque les militaires français sont sur place pour solder leurs continuelles erreurs…

*Bernard Lugan dirige et rédige L'Afrique réelle, revue internet.