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samedi, 28 février 2009

Un village mondial ou les droits des peuples

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Un village mondial ou les droits des peuples

par Tomislav Sunic - http://www.europemaxima.com/


Les grands conflits du futur n’opposeront plus la gauche à la droite, ni l’Est à l’Ouest, mais les forces du nationalisme et du régionalisme au credo de la démocratie universelle. L’idéal élevé du village mondial semble trébucher sur le renouveau du séparatisme est-européen, dont l’onde de choc pourrait bientôt atteindre l’hémisphère occidental. Le dogme des droits de l’homme commence déjà à être attaqué par les partisans du droit des peuples, et le désir d’une communauté historique fait son chemin dans les sociétés atomisées désertées par les idéologies.

Avec l’effondrement de l’internationalisme communiste, l’horloge de l’histoire s’est inversée, et inévitablement les paroles du conservateur du XIXe siècle, Joseph de Maistre, viennent à l’esprit : « J’ai vu des Polonais, des Russes, des Italiens, mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir jamais vu ». En effet, cet homme universel paradigmatique, déchargé des difficultés économiques et du fardeau de l’histoire, cet homme sur lequel nous basons l’idéologie des droits de l’homme, ne peut être vu nulle part. Il apparaît d’autant plus nébuleux que dans la vie de tous les jours nous rencontrons des gens réels avec des cultures spécifiques. S’il réside à Brooklyn, son idée des droits de l’homme sera probablement différente de celle de quelqu’un qui vit dans les Balkans ; si c’est un musulman fondamentaliste, son sens du devoir civique sera différent de celui de quelqu’un qui est catholique. La montée des sentiments nationalistes en Europe de l’Est ne devrait pas seulement être vue comme une réaction contre le chaos économique communiste ; c’est plutôt la volonté de divers peuples de recouvrer leurs mémoires nationales longtemps réprimées par l’universalisme creux du communisme.

Toute l’Europe semble subir un virage paradoxal et presque ridicule de l’histoire. D’une part l’Europe occidentale devient de plus en plus une méta-société a-nationale et « américano-centrée », pendant que l’Europe de l’Est postcommuniste menace d’exploser en une myriade de mini-États. Inversement, alors que l’Europe occidentale connaît une vague sans précédent d’immigration étrangère et l’inévitable montée du racisme qui doit suivre, l’homogénéité raciale des Européens de l’Est les a rendus aujourd’hui plus « Européens » que les Européens de l’Ouest – en dépit des propres troubles multi-ethniques de l’Est.

Au vu de la désintégration du système étatique en Europe de l’Est, la croisade de Woodrow Wilson pour le droit à l’autodétermination nationale et la démocratie mondiale peut sembler contradictoire. L’indépendance telle qu’elle était envisagée par les architectes du Traité de Versailles pouvait satisfaire les demandes des Polonais, des Tchèques et des peuples européens qui bénéficièrent de la chute de la monarchie, mais elle avait peu d’attrait pour ceux qui furent contraints d’échanger un maître étranger contre un autre. Pour les Allemands coincés dans une Pologne récemment créée et gonflée d’importance ou dans la Roumanie de 1919, ou pour les Slovaques dans un État tchécoslovaque hybride, le droit à l’indépendance ne signifiait rien de moins que la création de leurs propres État-nations séparés.

La Yougoslavie aussi a dû sa longévité relative aux admirateurs libéraux occidentaux plus qu’à un vrai consensus entre ses peuples disparates. Durant les soixante-dix dernières années, l’expérience yougoslave a été un exercice en guerres civiles et en querelles ethniques constantes entre quatre de ses principaux groupes ethniques. Naturellement, à la lumière des salves aujourd’hui échangées entre les Croates et les Serbes, la question qui vient à l’esprit est de savoir pourquoi le mélange artificiel de peuples différents conduit toujours à l’instabilité et au chaos ethnique ? La réponse semble assez évidente : le droit des peuples est incompatible avec l’universalisme. Les particularités ethniques ne peuvent coexister dans un État qui place les principes abstraits des droits de l’homme au-dessus des principes réels des droits des peuples.

Il serait impossible de faire la chronique précise des raisons et des torts dans la tourmente ethnique qui bouleverse actuellement la Yougoslavie. Une litanie de griefs peut être entendue aujourd’hui parmi les Croates, les Serbes, les Slovènes et les Albanais ethniques, dont chaque groupe tente inlassablement de dépasser les autres avec sa propre victimologie impressionnante. Comme la Yougoslavie le démontre, dans les pays multi-ethniques la notion de justice dépend seulement de l’équilibre interethnique des pouvoirs, toujours changeant, ainsi que de la perception que chaque groupe ethnique peut avoir de son voisin. Les Serbes tout comme les Croates, les deux plus grands groupes ethniques en Yougoslavie, sont aujourd’hui totalement déçus de leur pays ; les premiers, pour le motif que la Yougoslavie n’est pas assez centralisée pour permettre la consolidation de l’État yougoslave ; les seconds, pour le motif que la Yougoslavie est déjà trop centralisée. La leçon à tirer aujourd’hui de l’expérience yougoslave est que dans les États multi-ethniques la démocratie ne peut fonctionner que quand la question nationale a été résolue.

De plus, la démocratie ne peut s’enraciner qu’à l’intérieur des frontières ethnographiques des différents peuples, qui définiront ce mot en accord avec leur génie local et leur propre histoire. De même qu’il était stupide il y a quelque temps de parler de dissidence anticommuniste yougoslave, il est tout aussi stupide aujourd’hui de s’attendre à l’émergence d’une démocratie « yougoslave » globale. Ce qui semble bon à un démocrate croate aujourd’hui peut être vu comme une menace directe par quelqu’un qui se qualifiera de démocrate serbe demain. Même l’Amérique, du fait de sa politique d’immigration changeante et du taux de natalité déclinant parmi les Blancs, pourrait bien se retrouver dans une situation similaire et de devoir redéfinir le concept de démocratie. L’héritage des Pères Fondateurs, dans les années à venir, pourrait être interprété différemment étant donné le tissu racial changeant de l’Amérique. Les préférences électorales dépendront probablement de la couleur de la peau, ce qui pourrait conduire à une balkanisation pire que celle qui menace aujourd’hui la Yougoslavie.

La démocratie, dans un État multi-ethnique, du moins tel que les démocrates mondiaux aimeraient la voir, est un non-sens sémantique ; le principe libéral du « un homme, une voix » est inapplicable dans un pays composé de divers groupes ethniques. Par conséquent, la véritable démocratisation de la Yougoslavie, ou de l’Union soviétique à cet égard, nécessiterait la désintégration du pays et l’établissement de nouveaux État-nations. Le Saint-Empire romain germanique fut un exemple de système confédéral assez stable qui dura presque un millier d’années, bien qu’à un moment il fut divisé en trois cent principautés souveraines.

Même si cela peut sembler paradoxal, l’idéologie de la démocratie mondiale ressemble fortement à l’Utopie communiste ratée, à une exception près : elle a actuellement plus de succès dans la recherche de ses buts. Ce que nous voyons en Occident est une transposition libérale de l’idéal chrétien du monde unique dans une société postindustrielle – une civitas dei à une époque de T.V. câblée et de Michael Jackson. Tout laisse présager, cependant, que cette variété d’universalisme peut être aussi dangereuse pour les peuples d’Europe de l’Est que le communisme aujourd’hui moribond. Du point de vue d’un marchand globe-trotter, une Yougoslavie ou une Union soviétique centralisée et unifiée, organisée en marché libre géant, serait la meilleure solution dans la mesure où elle faciliterait le libre mouvement du capital, et apaiserait ainsi la tension de l’animosité ethnique. En effet, la perspective d’avoir à traiter avec une vingtaine d’États supplémentaires sur le continent euro-asiatique est un cauchemar pour un homme d’affaires plus intéressé par la libre circulation du capital que par l’autodétermination des groupes ethniques. Le libéral politique approuvera sûrement un village mondial permettant divers défilés ethniques – tant qu’ils ne se transforment pas en marches militaires. Une telle forme de pensée, selon laquelle « l’économie détermine la politique », indique clairement la morphologie marxienne inhérente au libéralisme, confirmant une fois de plus que le communisme n’est rien d’autre que son sale rejeton.

Mais le bazar libre du village mondial dissoudra-t-il les passions ethniques ? Bien que les masses affranchies d’Europe de l’Est imitent aujourd’hui chaque geste de l’Occident, rien n’indique que leur lune de miel avec le village mondial durera longtemps. L’intolérance ethnique ne fera que s’aggraver quand les peuples d’Europe de l’Est comprendront que le village mondial promet beaucoup mais tient peu.

Qu’est-ce qui fait un peuple ? Un peuple a un héritage commun et une volonté de destin commun. Un peuple existe en dépit de clivages superficiels tels que les partis, les groupes d’intérêts, et les tendances passagères des idéologies. Comme Georges Dumézil, Mircea Eliade et Carl-Gustav Jung l’ont démontré, un peuple partage un « mythe fondateur » – un mythe communautaire qui donne naissance à un effort culturel originel. La culture d’un peuple, rappelle Alain de Benoist, est sa carte d’identité et sa respiration mentale, et « c’est le passeport pour un futur qui prend la forme du destin ».

Lorsqu’un peuple oublie son mythe fondateur, il est condamné à périr. Pire, il peut se transformer en un agrégat de robots heureux dont le nouveau principe des droits de l’homme universels pourrait n’être qu’un masque pour un hédonisme insouciant. L’Europe occidentale fait déjà l’expérience de ce genre d’oubli ethnique et culturel. Paris en août ressemble à Marrakech, et de vastes parties de Berlin, à midi, ont le parfum distinctif de l’Anatolie. Pour beaucoup d’étrangers, la France est davantage synonyme de son fameux fromage de chèvre et moins un symbole de l’héroïsme cornélien, et si quelqu’un décide d’aller à Florence c’est pour une bonne bouteille de Chianti plutôt que pour la transcendance mystique exprimée dans les peintures de Botticelli.

La Yougoslavie, fondée sur des principes similaires de multiculturalisme, est un produit du panslavisme russe du XIXe siècle, combiné au rêve wilsonien. Cette expérimentation n’a pas apporté la paix perpétuelle. En temps de grandes crises, les nations-hôtes ne regardent plus les étrangers comme des pourvoyeurs de folklore exotique, mais plutôt comme des prédateurs enlevant le pain de la bouche de leurs hôtes. Les peuples ne sont pas identiques ; ils ne l’ont jamais été et ne le seront jamais. Les groupes ethniques peuvent être comparés aux détenus des grandes prisons américaines, qui généralement commencent à se respecter seulement quand leur territoire est délimité et quand leurs cellules sont séparées par des murs massifs. Jetés dans une même cellule, ils se dévoreront probablement entre eux dans un conflit perpétuel pour des « impératifs territoriaux ».

La meilleure manière, par conséquent, de résoudre la crise multi-ethnique yougoslave n’est pas d’en appeler à l’esprit de « fraternité et d’unité », mais plutôt de démanteler le pays en un vague État confédéral. Le sang et le sol détermineront toujours la vie des nations. « Grattez la peau d’un mondialiste, dit le proverbe croate, et dessous vous trouverez un Croate, un Serbe, un Allemand, ou un Juif passionné ».

Avec la fin du communisme, la fin de l’histoire ne viendra pas, comme certains voudraient nous le faire croire. Si les Européens du XIIIe siècle avaient évoqué la « fin de l’histoire », le khanat mongol se serait transféré dans la péninsule ibérique. Si les Allemands et les Polonais avaient prêché la liturgie de l’affirmative action en 1683, Vienne brillerait aujourd’hui comme la capitale des sultans turcs. La partie de pouvoir sans fin entre les nations et les groupes ethniques, les basculements constants dans les tendances démographiques, nous enseignent que la vie continue dans toute sa haine « créative » : malgré Hitler, Staline, ou Saddam.

Aujourd’hui, plus que jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité, la spécificité des peuples est menacée par le credo universaliste. Que l’on voyage à Varsovie ou à Sarajevo, ou qu’on atterrisse à Bucarest ou à Berlin, le vacarme de la musique rock et l’iconographie de la sous-culture sont devenus la nouvelle lingua franca, celle du village mondial. On pourrait passer des jours dans le Hilton de Budapest sans jamais savoir qu’on a quitté les ponts suspendus du complexe hôtelier du centre d’Atlanta. Le nouvel universalisme, afin d’imposer son credo, n’a plus besoin de recourir au génocide et à la dépopulation, au climat glacial de la Kolyma ou de Katyn, où Staline, au nom du prolétariat mondial paradigmatique, envoya les Allemands de la Volga, les Kalmouks et les Tchétchènes. Pour le nouvel universalisme, il suffit de se transformer en un univers tiède du Kentucky Fried Chicken, une société où chaque individu a la même valeur, et où les identités ethniques, par conséquent, ne signifient rien.

Ce « stalinisme froid » dépouille les peuples de leurs âmes en créant un homo economicus-dollaricus. Les résultats finaux des deux sortes d’universalisme sont à peu près les mêmes, sauf que la violence voilée de l’universalisme libéral pourrait se révéler plus dangereuse que la violence brutale du communisme. L’ironie de l’Histoire est que la violence nue préserve souvent le régionalisme et les racines ethniques ; chaque persécution a sa vertu cathartique, et chaque sacrifice renforce invariablement la mémoire historique d’un peuple. La violence communiste a provoqué une fierté ethnique jusqu’ici inconnue, des Balkans aux pays baltes. Dans l’enfer climatisé de l’universalisme froid, par contre, il n’y a pas besoin d’écraser ouvertement le régionalisme et le patriotisme ; au lieu de cela, on peut les transformer en simples produits, et les rendre ainsi superflus, sinon totalement bizarres. Si la fierté ethnique disparaît un jour d’Europe de l’Est, ce ne sera pas un résultat de la répression communiste mais plutôt un résultat d’un nouvel engouement pour les gadgets capitalistes. Le village mondial sait comment asservir les mangeurs de lotus d’Ulysse, sans même qu’ils puissent réaliser le péril qui les menace.

Dans un système où tout est devenu un produit, l’identité ethnique est vue comme une futilité coûteuse – une futilité qui peut au mieux soulever un intérêt culinaire ou la curiosité des touristes. Si nécessaire, l’universalisme fera même de bonnes affaires avec le marteau, la faucille et le svastika – tant qu’ils se vendront bien. Pour un marchand globe-trotter, le foyer se trouve là où il suspend son chapeau, et là où il se fait du fric. Après tout, Montesquieu n’avait pas tort lorsqu’il écrivait que le commerce est la vocation des gens égaux.

Jusqu’à une date récente, les concepts d’égalitarisme et de démocratie mondiale étaient strictement limités aux peuples occidentaux. Aujourd’hui, dans un spasme de masochisme, et à cause de la soi-disant « culpabilité blanche », l’Occident a étendu ces principes aux antipodes de la Terre. Dans notre époque postmoderne, le bon sauvage a pris le rôle thérapeutique du surmoi de l’homme blanc. Il n’y a pas si longtemps, c’était l’homme blanc qui devait enseigner aux non-Blancs les manières de l’Occident. Aujourd’hui les rôles sont inversés ; c’est maintenant le non-Européen, avec son innocence originelle, qui se greffe sur la conscience souffrante de l’Occidental, lui montrant le bon chemin vers l’avenir radieux.

Le concept même d’« Occident » a été dépouillé de sa signification géopolitique et géographique originelle, devenant la métaphore d’un méta-système qui englobe l’Alaska, les Philippines, la Corée du Sud, et tous les coins et recoins où s’épanouit l’idée de village mondial mercantile.

Avec la fin de son idéologie rivale, la philosophie du village mondial s’est installée dans de nombreux pays, faisant l’éloge de ceux qui la soutiennent, diffamant ceux qui ne le font pas. Ce que contient le futur n’est pas difficile à deviner. Il se pourrait bien que les troubles interethniques s’apaisent finalement en Europe de l’Est, mais il y a peu de chances pour que cela arrive en Occident, où la tourmente raciale approche. Nous pourrions bientôt voir des répliques du Mur de Berlin érigées à New York et à Philadelphie pour contenir la violence multi-ethnique du village mondial. La leçon de la Yougoslavie artificielle ne devrait pas être oubliée. Notre « altruisme généralisé », comme le nomme Garrett Hardin, pourrait nous conduire contre notre volonté à une guerre de tous contre tous.

Le culte du village mondial apparaît aujourd’hui comme une réponse politique aux batailles théologiques et idéologiques qui ont secoué l’Occident pendant plus d’un siècle. Mais il reste à voir comment le principe singulier des droits de l’homme peut être implanté dans un monde qui demeure éminemment pluriel. « Nous invoquons les droits de l’homme, continue Hardin, pour justifier l’ingérence dans les affaires internes des autres nations. Nous risquons ainsi de nous faire des ennemies de ces nations… Les intentions derrière la fiction des “ droits de l’homme ” peuvent être nobles, mais insister sur de tels droits comporte de graves dangers ». La démocratie mondiale est le dernier rêve crépusculaire de ceux qui sont spirituellement sans foyer et physiquement déracinés. C’est une doctrine qui masque avec éloquence la réalité ethnique et raciale derrière la théologie de l’universalisme.

Tomislav Sunic

• Cet article a d’abord été publié en anglais dans Chronicles. A Magazine of American Culture en janvier 1991 et il a été traduit par l’équipe du site Vox N.-R.