vendredi, 12 mars 2021
À l'écoute du "Grand Secret" - Hommage au poète Philippe Jaccottet
À l'écoute du "Grand Secret"
Hommage au poète Philippe Jaccottet
par Frédéric Andreu-Véricel
La dramaturgie cosmique qui nous entoure a de quoi surprendre et je me suis étonné moi-même à penser que les constellations qui tournent tout là-haut dans la nuit obscure, le font moins par gravité que par "tradition".
Cette vision des choses en étonnera plus d'un et l'idée que cette tradition "cosmique" fut un jour transmise aux hommes en étonnera d'autres encore. Transmise par qui, par quoi et à quel dessein ? Je l'ignore et cette idée n'est d'ailleurs qu'une simple intuition, rien de plus. Prière de n'en tirer aucun principe, aucune loi ! Sans plus une de ces émotions aurorales qui précèdent le jour d'un poème...
Néanmoins, avouons tout de même que le spectacle de la rotation de la terre autour du soleil replace l'homme à sa juste dimension ou - pour reprendre l'expression de Saint Exupéry - elle rétablit les "hiérarchies vraies". Et si l'on y adjoint la rotation du système solaire autour de je ne sais quel autre système et de cette autre chose, autour d'autre chose encore, cette pensée se double d'une ivresse quasi poétique.
Cette théorie d'une "tradition poétique" à l'origine du mouvement cosmique a dut être émise bien avant moi pour la seule raison qu'il serait étonnant qu'elle ne fut point. Du moins, en ai-je l'intime conviction. Il me plait d''appeler cette tradition "Le Grand Secret" une formule à oxymore puisque "secret" et "grandeur" ne font en général pas bon ménage. En attendant mieux, gardons ce terme sous la langue.
Je me dis aussi que le modèle explicatif que propose l'astronomie moderne n'est pas toujours plus rationnel que le mien, simplement les mots diffèrent et les budgets alloués à la recherche, diffèrent encore davantage.
Je dirais même que pour l'homme traditionnel, la la science et la prétention de l'homme moderne a tout expliquer sans jamais se référer aux cinq sens et à la texture du monde, fascinent autant qu'elles exaspèrent. En lisant les grimoires de nos chères têtes savantes, il m'est arrivé de me prendre les pieds dans leurs "théories des cordes" et de recevoir un quasar dans le coin de l'oeil. Face au Grand Secret qu'est la terre et le ciel et le soleil, l'Homme de tradition sacrifie aux dieux du cosmos tandis que le Moderne, sacrifie à l'équation du monde dont il cherche à résoudre obstinément les inconnues. Peu importe les avancées fulgurantes de la Science - lesquelles ne font que suivre de loin les intuitions fécondes de la tradition - l'esprit de saisi scientifique reste le même à travers les siècles, de Lucrèce à Einstein, tant cet homme de la planification donne l'impression de courir au devant d'une réalité qui ne cesse de se dévoiler sous ses yeux.
"La fascination pour la qualité, le calculable, a pour origine et pour complice cette inattention qui, dans son ignorance du monde des qualités, sépare l'âme humaine de l'âme du monde, si bien que l'une s'étiole et se durcit et que l'autre devient lointaine et indiscutable". Voilà qui est bien dit. Tel est donc le crime de l'homme moderne : la séparation. Jésus appelait ces hommes des "conducteurs aveugles". Ce sont eux qui l'ont cloué sur la croix. Et ce sont les mêmes types d'hommes (la virilité en moins) qui dirigent aujourd'hui la plupart des Églises et des Gouvernements de notre temps. Les techniques modernes de communication et de managerias leur permet de remporter les élections. Une fois élus, ils gouvernent mais ne règnent pas.
Bref, si je vous dis tout cela, c'est que pour ma part, je me sens "traditionaliste" depuis ma prime enfance, au point où je finis par voir des traditions un peu partout, y compris dans les mouvements célestes !
Que les modernistes qui occupent le siège de Rome dans le but de créer une sous religion mondiale judéo-compatible m'excusent de ma franchise : quant aux réactionnaires patentés qui s'y opposent, merci de bien vouloir m'excuser de cette recherche d'équilibre: pour moi, la "tradition" n'est pas un bibelot poussiéreux de musée mais bien la source vivifiante qui - n'ayant pas d'origine humaine - est tout autre chose que cette religion de "deuxième main" fabriquée par les clergés privatifs.
Un ami chrétien dont j'aime la compagnie me disait l'autre jour que la mort de Saint Louis fut ressentie à travers l'Occident comme un électrochoc, le sentiment que "les choses ne seraient jamais plus comme avant". J'ignore ce qu'il voulait dire exactement par là mais il semble que cette époque marqua en effet une sorte de rupture, une étape décisive dans l'oubli de la tradition. Dès le début de l'Église romaine, le clergé, épris de privilèges de caste, avait mis au point un dispositif théologique visant la privatisation du sacré. Ce sont d'ailleurs eux qui ont désigné de profanum (hors de leur temple) tout ce qui pouvait être dit ou fait. Du coup, tout ce qui ne dépendait pas de leur sacré devenait profane tandis que leur "dispositif", totalement indépendant des individus qui le compose, allait finir par échapper à ses créateurs. Toutes les finesses de la tradition des débuts, allait passer à la trappe, du fond d'or des icônes à la charité véritable. Une époque nouvelle, celle des cathédrales, allait naître, remplaçant l'ancienne religion chtonienne des chapelles de la lumière tamisée. Je parlais d'un "dispositif" car le terme "logiciel" paraît anachronique et un peu trop technicien, mais la réalité que ces mots désignent reste à mon avis valable : il fallait insérer dans la tête des gens une religion de deuxième main et pour se faire, placer à la marge cette vérité de tout temps : "le monde qui nous entoure est fait pour correspondre aux formes questionneuses de l'observateur" de sorte que ce dernier, en ouvrant les yeux et le coeur, se retrouve devant ce que Jean Haudry a appelé : le monde comme "image de la vérité".
Sans rentrer dans les détails d'une savante démonstration étayée par Jean Haudry dans la "Religion cosmique des Indo-Européens", disons simplement que cette conception macrocosmique comme "image de la vérité" implique un microcosme tout comme une serrure implique l'existence d'une clé. Cette conception, de très haute antiquité, remonterait à un peuple ancestrale soumis à la longue nuit cosmique. Cette nuit cosmique telle qu'elle s'observe encore aujourd'hui dans la zone circumpolaire, prédispose les habitants de ces régions à valoriser tout ce qui s'oppose à la nuit obscure du grand nord : le jour, la lumière, le soleil, identifiés à la vérité et au bien. La lumière, surtout qui comme l'écrit Philippe Jaccottet est "le lait des dieux" et "la couronne invisible".
Quel besoin cet observateur "souverain" aurait-il d'un clergé intercesseur ? Aucun. Mais la religion des théologiens allait peu à peu recouvrir celle des aèdes. Le dispositif enclenché par les théologiens allait engendré un processus qui d'étapes en étapes, allait aboutir aux "droits de l'homme". Ces derniers peuvent être en.effet interprétés comme la dernière étape d'un long processus de sécularisation du christianisme, ces "vérités chrétiennes devenues folles", aidant de surcroit au grand remplacement de nos peuples européens. Le processus devenu "fou" allait engendrer bien des arrière-mondes dont la techno-science planétarisée d'aujourd'hui apparaît comme l'aboutissement final.
Si je formalise cette tentative de démonstration, je dirais que les temps que nous avons la disgrâce de vivre sont "doublement" oublieux de ce qui est. La technoscience reine marque l'oubli de l'être philosophique qui est lui-même l'oubli de l'être poétique. L'Homme actuel, aveugle et sourd au Grand Secret, est la créature de cet "oubli au carré" qui donne puissance et relais à toutes les idéologies contre natures et dévastatrices de notre temps. Le déchaînement de la technoscience est la manifestation la plus irréversible de ce processus.
L'immigration sans limite voulue par les élites mondialistes, et favorisée par les droits de l'homme, amorce le cycle de guerres civiles de demain. Il n'est pas sûr que l'homme blanc la remporte sur son propre terrain. Mais le déchaînement de la technoscience peut conduire à une guerre encore plus décisive : celle qui oppose le genre technique au genre humain et comme le premier n'est pas anti-humain mais a-humain, il n'a aucune raison de la perdre.
Le Grand Secret, pourtant, continue d'émettre sur une "fréquence" que quelques uns d'entre nous perçoivent. Ces êtres, ce peut être vous ou moi et ce sont les poètes qui les perçoivent dans leurs entre-visions.
L'un de ces écoutants du Grand Secret vient de nous quitter. Il s'appelait Philippe Jaccottet. Né à Vaud, petit canton paisible de sa Suisse natale, il s'installe à Grignan, village de Basse Drôme dans lequel il passa la plus grande partie de sa vie.
J'ai entendu la voix de ce poète il y a quelques années dans un vieux reportage datant de 1975 (disponible sur You Tube : https://youtu.be/uOog79nH8qs ). Je dois dire que cette voix, à la fois discrète et posée, est peu à peu devenue une "voie" au sens de chemin ou de passage. Comme celle que l'on se fraie entre les hautes herbes perlées de rosée hors des routes asphaltées et des cartes touristiques. Vous savez, ces voies d'herbes pliées par le passage d'une biche et d'un sanglier.
Si vous regardez attentivement ce reportage de bonne facture, vous verrez combien la silhouette du poète frêle et longiligne nous ouvre à un ciel qui nous manque ; vous verrez une main qui ouvre le volet grinçant d'une maison de village et que l'on aimerait serrer. Vous verrez une femme en train de peindre une aquarelle et qui manque son épreuve.
En d'autres termes, je dirais que ces images expriment le mystère de ces choses simples qui comme tout mystère, se cache autant qu'il se dévoile.
Et c'est tout ce que je trouve à dire en ce moment de deuil où j'apprends la mort du poète avec au fond du coeur le poids d'un or qui prendra du temps à se muter en mots de justesse et de poésie.
Philippe est parti sans doute moins loin qu'on ne le pense. Juste un peu ici et un peu là, dans les recoins du village gagnés par le lierre et peut-être aussi dans la tradition qui fait tourner les pages de l'univers.
Dans sa vie, il a délivré tant de beaux poèmes célébrés de part le monde, qui sont autant de robes invisibles offertes aux dieux.
Le 24 février 2021, Philippe est allé les rejoindre sur la pointe des pieds.
LE GRAND SECRET
Là-haut,
le faux silence des pluies
miroitants de nuages ;
ici, la main qui passe dans le blé des mots
reflétée sur la page,
sans heurter autre chose que le vieil outil
des moissons.
Au passage des oiseaux,
j'ai mis le blé à la bouche,
et le soleil et la terre,
dans le poème attendu
et toutes les allées du ciel
alors, s'entrouvrent ;
le premier mot qui me vient à l'esprit
c'est ton nom : Phillippe Jaccottet.
Frédéric Andreu-Véricel.
fredericandreu@yahoo.fr
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08:25 Publié dans Hommages, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philippe jaccottet, littérature, littérature française, suisse, lettres, lettres françaises, poésie | | del.icio.us | | Digg | Facebook