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lundi, 27 janvier 2020

Radicalisation : mot piégé

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Radicalisation : mot piégé

par François-Bernard Huyghe

Ex: http://www.huyghe.fr

Article publié sur < ahref= https://www.marianne.net/debattons/les-mediologues >Marianne

Les médiologues

La récente libération d’un jihadiste parti en Syrie dès 2012, puis d’un islamiste, chef de Forzane Aliza, leur peine purgée, rappelle que, dans un État de droit, même les gens qui le combattent, finissent en liberté. Et, comme d’autres jihadistes relâchés avant eux, ils sembleraient avoir gardé leurs convictions. Cela n’étonnera que ceux qui pensent que l’institution pénitentiaire peut sauver les âmes ou ramener les égarés.

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La formule rituelle est : « ils ne se sont pas déradicalisés ». Cette terminologie devenue quasi officielle suggère un mécanisme psychique, peut-être réversible. Cela donna d’ailleurs lieu à un business de la déradicalisation maintenant plus contesté.

Étymologiquement, la radicalité est le fait de retourner aux racines de sa foi. Un salafiste, par définition littéraliste et fondamentaliste, ne devrait pas se sentir offensé par le mot. Mais le problème est le suffixe : « ation » qui suppose une action subie. D’autant que les médias parlent parallèlement de radicalisation du débat d’idées (dérivant trop à droite ou à gauche), de radicalisation du mouvement social qui se durcit ou de gilets jaunes radicalisés, ceux qui imiteraient les black blocs dans les manifestations. Initialement « normal », on pourrait donc se radicaliser, voire se déradicaliser.

Cette phraséologie entretient trois ambiguïtés :

- Le flou sur la différence entre une idée et un acte. Entre mauvaises pensée et actions brutales, contamination et brutalisaton. Selon F. Khosrokavar auteur de Radicalisation, ce serait le « processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d'action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l'ordre établi...». Cela suppose que le sujet soit sous influence ; la captation par l’idée pousse-au-crime pourrait se détecter, voire se corriger. L’idéologie est ce qui s’attrape (ou qui vous attrape) et change vos codes pour faire obéir et haïr. Le mystère de la violence ainsi renvoyé à l’énigme de la croyance - du moins celle qui est contraire à nos valeurs - soulève un paradoxe. Les radicalisés nous considèrent nous, les « normaux », comme les endoctrinés qui agressons. Et toute lutte idéologique suppose de proclamer que l’adversaire est un fanatique destructeur.

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- La frontière se confond entre une croyance et une volonté. Les jihadistes sont hyperdogmatiques et, même si nous ne cessons de leur répéter que « ce n’est pas le vrai islam », ils ne font rien qu’ils ne justifient par une sourate ou un hadith. Le principe de soumission au commandement divin - qui les conduit à refuser toute démocratie, Dieu devant commander et non le peuple - suppose le projet de vivre leur foi dans une communauté pure. Donc de combattre tout ce qui s’oppose au triomphe de l’Oumma. Donc l’obligation de la lutte. L’horrible cohérence du raisonnement rend douteuse la comparaison avec les gens qui tombent dans la drogue, l’alcoolisme ou la délinquance.

- La tension entre une passion et un dogme. On a beaucoup débattu (Roy vs Keppel) si un désir de radicalité cherchait prétexte ou direction dans le jihadisme ou l’inverse. Ou bien une force,- certes liée à des facteurs économiques, sociologiques ou culturels -, comme un désir de mort, trouve à se décharger dans l’engagement islamiste (mais pourquoi sous cette forme là ?). Ou bien une idéologie éveille les pulsions les plus guerrières (mais pourquoi avec une pareille efficacité rhétorique ?). Tout au long de l’Histoire les idées qui voulaient changer le monde ont rencontré des colères qui mobilisaient des gens. Entre les deux, des communautés, des groupes organisés, des outils pour convaincre et rassembler. C’est, d’ailleurs, ce dont s’occupe souvent la médiologie.

La notion de radicalisation réduit les rapports entre violence, révolte, soumission et idéologie à une dérive psychologique, crise ou anomalie sociale.

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Outre qu’elle n’explique guère, elle nie deux dimensions du jihadisme. Fait religieux, il suppose une communauté qui se rassemble par le haut. Fait politique, il implique une instance qui se proclame notre ennemie et nous traite comme tels. Là où nous pensons dysfonctionnements et thérapie, ils pensent affrontement final et jugement des âmes. Nier que l’autre pense n’a jamais aidé à le vaincre.
 

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vendredi, 18 décembre 2015

Les fondements probables de la radicalisation de certains musulmans occidentaux

Les fondements probables de la radicalisation de certains musulmans occidentaux

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Nous présentons sur ce sujet deux points de vue différents, l'un de Jean-Paul Baquiast, l'autre de Luc Brunet, tous deux membres de la rédaction du site "Europe solidaire".

Le point de vue de Jean-Paul Baquiast

On se demande souvent en France comment des jeunes gens considérés comme bien intégrés peuvent se radicaliser jusqu'à devenir des terroristes éventuellement kamikazes. La question ne se pose pas seulement à propos de jeunes musulmans mais de garçons et filles jusqu'ici élevés dans des milieux bourgeois souvent catholiques. lIs se convertissent brutalement à l'Islam et cherchent à partir en Syrie faire le djihad, avant de revenir en France transformés en véritables machines à tuer. La question n'intéresse évidemment pas seulement la France mais toute l'Europe et, depuis les attentats de San Bernardino, les Etats-Unis eux-mêmes.

Psychiatres et sociologues savent que les déterminants du comportement d'un individu sont souvent mêlés, pas nécessairement rationnels et parfois inconscients dans l'esprit de cet individu lui-même. C'est ainsi que pour expliquer le radicalisme brutal des jeunes européens, d'innombrables spécialistes font valoir qu'ils subissent le chômage, l'échec scolaire, l'enfermement dans des banlieues sans avenir et toutes autres causes, certes en effet agissantes, mais auxquelles échappent les millions d'autres jeunes subissant les mêmes conditions.

On peut aussi évoquer des causes plus personnelles: une enfance passée auprès de parents abusifs sans que ceux-ci s'en rendent compte, une sexualité mal satisfaite, l'influence de publications et jeux vidéo mettant en scène l'extrême violence, la violence aussi de nombreux reportages télévisuels. Il est légitime également de mentionner des tendances névrotiques voire psychotiques jusqu'ici non révélées. Mais là encore, toutes ces causes potentielles sont présentes chez des millions d'autres jeunes qui ne feront jamais parler d'eux, s'arrangeant comme ils peuvent pour y échapper en vieillissant.

Cependant, peu de ceux qui s'interrogent n'osent évoquer, par crainte d'être accusé d'islamophobie, l'influence mortelle des prédicateurs d'un Islam de combat, largement aidés pour ce faire par les pétro-dollars d'une Arabie Saoudite wahhabite en guerre contre toutes les autres religions y compris les musulmans chiites beaucoup plus modérés, l'athéisme, les valeurs de la civilisation européenne, féminisme, démocratie, dialogue.

Nous pensons pour notre part qu'il faut aller plus loin et mettre en cause l'islam en général, religion jeune et en pleine expansion. Au cours des siècles le même reproche avaient été fait aux autres religions monothéistes, notamment en France le catholicisme et le protestantisme, dont les guerres internes ont produit des centaines de milliers de victimes. Mais avec la montée de la science à partir du Siècle des Lumières, la Révolution française et l'avènement d'une république se voulant définitivement non seulement laïque mais areligieuse, les enseignements et pulsions mortifères de ces religions ont fini par s'estomper. Ceci ne veut pas dire que celles-ci, comme en parallèle le judaïsme ou l'hindouisme, aient renoncé à recruter des intégristes militants, comme le montre par exemple aux Etats-Unis la montée d'un évangélisme de combat. Mais elles ne recrutent que fort peu d'assassins potentiels.

Le Coran et ses exégètes

Si l'on regarde au contraire ce qu'enseigne le Coran, enseignement repris par des milliers de mosquées et d'écoles coraniques en Europe même, l'on y trouve des principes remontant au fond des âges de la foi religieuse:

1. Il y a un Dieu, créateur du Cosmos, Allah, qui a communiqué ses volontés aux hommes par l'intermédiaire de prophètes et de croyants dont le devoir est de propager ses lois, en combattant tous ceux qui les ignorent ou les refusent.

2. L'Islam basé sur le Saint Coran, à été transmis à l'humanité par le premier des Prophètes, Mahommet. Il doit s'imposer à la communauté des musulmans de par le monde. Ceux-ci constituent l'Oumma. Il incombe aux musulmans où qu'ils soient, de défendre partout l'Oumma face à ceux qui l'attaquent. Ces attaques ont commencé avec les Croisades, mais elles se poursuivent sous des formes très voisines provenant des autres religions, de l'athéisme et des valeurs démocratiques.

Nous devons malheureusement constater que les guerres menées par les intérêts économiques et financiers occidentaux au Moyen-Orient, motivées par le désir de s'approprier les richesses du pétrole et n'ayant pas grande base religieuse, ont fait depuis 50 ans des centaines, sinon des millions de victimes dans les pays musulmans. Il est facile dans ces conditions aux prédicateurs de les attribuer à une guerre que n'auraient cessé de mener les infidèles contre le Saint Coran et ses enseignements. Dans ces conditions, chaque croyant, enseignent-ils, doit défendre l'Islam par tous les moyens, y compris l'extrême violence: tuer les autres comme ils vous tuent (2:190-91)..

3. Le terrorisme, forme moderne de la guerre sainte (djihad) est selon ces prédicateurs excusé par Allah, sinon même requis par lui. Les versets du Coran qui légitiment sa pratique sont nombreux et souvent cités (récités) dans les écoles coraniques et les mosquées ( par exemple les 5:33 et 8:57) (1)

4. Comme les musulmans de par le monde sont attaquées par des puissances qui mobilisent toutes les ressources de la guerre moderne, ils doivent recourir à la guerre dite asymétrique. Celle-ci était jusqu'à présent menée avec des moyens aux effets relativement limités, mines, attentats ponctuels. Mais les défenseurs de la foi peuvent aujourd'hui disposer d'armes nombreuses et aux effets de plus en plus destructeurs pour les populations qui les subissent.

Ben Ladden, en son temps, avait recommandé d'éviter de tuer femmes et enfants. Au contraire, aujourd'hui, les combattants, notamment ceux se revendiquant comme combattants-suicides au service de la foi, sont invités à tuer indistinctement tous les infidèles, femmes et enfants compris. Les exégètes des textes des autres religions y trouvent des exhortations de même nature, mais celles-ci, comme indiqué plus haut, ont cessé depuis quelques siècles d'être appliquées.

A l'exception, objectera-t-on, de la destruction des Indiens d'Amérique du Nord par les protestants américains, puis plus récemment par les mêmes - In God we Trust – les populations en Corée et au Viet-Nam. Les massacres de la 1e et 2e guerre mondiale, par contre, n'ont pas été faits, sauf exception, au nom de la religion, mais au service d'intérêts économiques, nationalistes et politiques explicites.

Que conclure de ce qui précède?

Rien de très optimiste malheureusement. Il est certes possible d'espérer que chacun des 2 ou 3 milliards de musulmans prévus dans les prochaines années ne se convertira pas à ces enseignements suicidaires. Mais il en restera suffisamment assez pour mener partout la guerre Sainte. Face à un Islam et à ses prédicateurs qui relancent en Europe, avec de puissants moyens modernes, les guerres de religion du passé, on ne voit pas en tous cas comment les Etats européens pourraient combattre son influence dans les populations, qu'elles soient ou non de confession musulmane.

Toute action de la police et de l'armée ne ferait que renforcer les vocations – à supposer que l'armée et la police ne soient pas progressivement pénétrées elles-mêmes par des candidats cachés au djihad. Le web de son côté, sera de plus en plus le vecteur incontrôlable de messages assassins. Quand aux efforts pour relancer l'éducation, l'emploi et autres objectifs dignes d'un pays républicain et laïc, il leur faudra des années pour faire sentir leurs effets. D'ici là, le pire pourra se produire.

(1) Je précise une fois de plus que si la Bible contient de tels appels aux meurtres, ni les chrétiens ni les juifs n'appellent dans leurs écoles ou par Internet leurs croyants à les mettre en oeuvre aujourd'hui.

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Le point de vue de Luc Brunet

Comme le souligne déjà l'article précédent, le fanatisme religieux n'est pas une exclusivité de l'Islam et d'autres religions ont été l'alibi de bien des tueries et autres exactions. L'origine de ce type de fanatisme est en général du à l'utilisation de la religion à des fins politiques par les gouvernants, et n'est possible que si appliqué  à une population ayant un niveau d'éducation très bas, ou si l'éducation elle-même a pour but de fanatiser les foules.
 
Si l'on considère le passé des pays du Moyen Orient depuis la fin de l'empire Ottoman, on peut constater un grand nombre de facteurs qui ont tous contribué  à la situation présente:
 
- un découpage de l'ex empire Ottoman qui correspondait (comme en Afrique noire d'ailleurs) aux intérêts des anciens colonisateurs et à leurs zones d'influence, mais en aucun cas aux réalités culturelles, ethniques et religieuses des populations locales. Une bombe à retardement, volontaire ou non,  à d'autres de juger
 
- alors que dans les années 50-60-70, la plupart de ces pays évoluaient vers une "modernité" laïque et s'éloignaient du modèle islamique traditionnel, les pays occidentaux virent d'un très mauvais œil cette évolution, car elle était combinée avec un désir de se libérer des tutelles économiques héritées de la période coloniale, souvent renforcée par l'entrée en force des intérêts économiques américains, en particulier dans le domaine pétrolier. De plus ces mouvements étaient accompagnés d'un rapprochement avec le diable - l'URSS. Tous ces régimes furent éliminés les uns après les autres, en particulier en Iran, Afghanistan, Égypte ou bien plus tard l'Iraq quand Saddam est devenu inutile et même gênant. La Libye et la Syrie restèrent des exceptions jusqu'à la période actuelle.
 
- l'élimination des régimes en question ne put être réalisée qu'après leur déstabilisation, et comme aucune opposition ne pouvait jouer le rôle de catalyseur (la démocratie en était  à ses balbutiements dans ces pays), la grande idée fut de développer les opposants religieux a ces régimes tous séculaires, et donc de réanimer le corps tiède de l'islamisme fondamentaliste. Deux pays aidèrent dans ce processus, amenant leur support idéologique et théologique: l'Arabie Saoudite sur la base de son mouvement wahhabite et la Turquie avec un soutien systématique aux versions locales du mouvement des Frères Musulmans. Dans tous les cas ce fut une catastrophe pour les pays concernés, avec des milliers, voir des millions de morts, et un retour à un obscurantisme religieux d'un autre âge, avec par exemple les Talibans et maintenant Daesh, sans parler de la République Islamiste d'Iran, même si elle évolue positivement depuis quelques années et est basée sur un dogme moins terrible que le Wahhabisme, notamment en ce qui concerne le statut des femmes
 
- l'appauvrissement accompagnant les changements de régime et les guerres entraînèrent une diminution générale du niveau d'enseignement, voire sa suppression pour les filles comme sous les Talibans, et souvent le développement d'un enseignement purement islamiste financé pas les riches sponsors que sont les pays du Golfe
 
- certains retiennent la création d'Israël comme un facteur clé dans le tsunami anti-occidental et islamisant de ces dernières décennies, mais je pense que son rôle n'a été que mineur et que la situation serait la même aujourd'hui même si Israël n'existait pas.
 
Finalement une remarque au sujet des volontaires au jihad venant des populations occidentales, parfois de jeunes chrétiens. Je vais être ici un peu cru: "Quand on tue Dieu, il revient sous forme de zombie, mais il revient". En d'autres termes, une civilisation basée entièrement sur des valeurs matérielles et consuméristes, transforme les plus faibles de ses membres en proies faciles pour les sectes et fanatiques de tous bord, que ce soit des islamistes, des amateurs d'apocalypse. Cette tendance est de plus renforcée en France par la démission de l'État de son rôle d'éducateur laïque - l'école de Jules Ferry est devenu un concept bien peu actuel pour les intellectuels parisiens.
 
En deux mots, l'islamisme extrémiste est pour moi le résultat d'une décolonisation faite dans l'improvisation, d'une peur maladive du communisme et d'une évolution entièrement matérialiste de nos sociétés. L'Occident paye le prix de la colonisation, de la Guerre Froide, de son oubli de ses racines - et l'addition sera salée.