Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 31 mai 2009

Complexes terres d'Islam

goum_c.jpg

Complexes terres d'Islam

Paul François Paoli
30/04/2009 -
http://www.lefigaro.fr
L'historien Michel Abitbol voit dans la guerre du Rif le signe de la fin de la domination européenne au Maghreb.

Nous sommes au Maroc, en 1925, et la guerre du Rif bat son plein, un conflit dont on a oublié la violence. Depuis quatre ans, dans un territoire montagneux qui longe l'Atlantique, un rebelle marocain du nom d'Abd el-Krim tient tête aux puissances coloniales. Son nom est en train de devenir une légende dans le monde arabo-musulman, car il a infligé aux Espagnols une défaite cuisante. Le 9 août 1921, ce sont 12 000 soldats espagnols qui ont trouvé la mort dans une embuscade, avec à leur tête le général Sylvestre qui n'a trouvé d'autre issue que le suicide. Les rebelles vont saisir 30 000 fusils et revolvers, 400 mitrailleuses, plus de 200 canons, des millions de cartouches ! L'Espagne est humiliée et la France qui a imposé son protectorat au Maroc depuis 1912, stupéfaite. Le réveil est dur pour ceux qui croient à l'éternité de la domination européenne. Certes, la révolte sera matée par le général Primo de Rivera, chef du gouvernement espagnol. En usant de moyens massifs, ils vont finir par vaincre Abd el-Krim qui sera envoyé en captivité… à la Réunion ! Mais c'est une victoire à la Pyrrhus et les Marocains ont désormais leur héros.

Parmi les Français, un homme est plus lucide que d'autres : Hubert Lyautey, maréchal de France, résident général du protectorat français au Maroc. Lui qui dirige ce pays dont il se targue de préserver l'identité musulmane sait que le colonialisme n'est pas fait pour durer. « Il est à prévoir que dans un temps plus ou moins lointain, l'Afrique du Nord (…) se détachera de la métropole, déclare-t-il à Rabat. Il faut qu'à ce moment-là - et ce doit être le suprême but de notre politique -, cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent de se tourner avec affection vers la France. » Il ajoutait : « Je n'ai pas cessé d'espérer créer entre ce peuple marocain et nous un état d'âme, une amitié, qui font qu'il restera avec nous le plus longtemps possible… C'est la pensée avec laquelle je vis, je veux me faire aimer de ce peuple. »

L'épisode est relaté par l'orientaliste Michel Abitbol dans L'Histoire du Maroc qui met en évidence la complexité de la présence européenne au Maghreb. Ce livre montre que ce que nous appelons « coloniser » relève d'un ensemble de processus enchevêtrés. Coloniser, c'est toujours dominer, mais toutes les dominations ne sont pas exterminatrices ou spoliatrices. Qu'ont donc fait les Arabes, en Afrique du Nord, sinon coloniser une région  où vivaient des Berbères qui revendiquent aujourd'hui encore leur spécificité ? Et pourquoi l'ont-ils fait s'ils n'étaient convaincus de leur supériorité civilisatrice ? Retraçant l'histoire du Maroc depuis ses prémices, Abitbol nous rappelle quelle brillante civilisation a été l'Islam andalou et maghrébin vers les XIe et XIIe siècles. Il nous rappelle aussi ce que son développement doit à la prédation. L'homme, qui, à la fin du VIIe siècle conquiert le Maghreb s'appelle Uqba Ibn Nafi al-Firhi. « Après avoir défait les Byzantins à Baghay et Monastir il affronta les tribus berbères du Mzab avant de se diriger vers Tlemcen et le nord du Maroc. Il parvint à Tanger, où, selon un chroniqueur de l'époque, il tua toute la partie mâle de la population et emmena le reste en captivité puis reçut la soumission de la tribu des Ghomara du Rif… », écrit Abitbol.

La modernité et les idéaux

Parmi les communautés qui se soumettent : les juifs et les chrétiens. On a beaucoup fantasmé sur la relation « idyllique » qu'aurait instaurée l'islam avec ces religions, mais cette idylle était au bénéfice de l'islam. Les juifs, notamment, y étaient citoyens de seconde zone, dihmmis (protégés). Et la sortie de ce statut va contribuer à les rendre indésirables, quelques siècles plus tard, aux yeux des nationalistes arabes, et ce bien avant la naissance d'Israël.

Comme le rappelle l'historien du judaïsme Shmuel Trigano dans un livre collectif, La Fin du judaïsme en terres d'islam, auquel ont collaboré une dizaine d'universitaires, la modernité et les idéaux de 1789 vont être pour les juifs, au Maroc notamment, un moyen de s'émanciper. Expliquant le départ, entre 1945 et 1970, de 900 000 juifs du monde arabe pour Israël et la France, Trigano esquisse les conséquences de cet exode massif sur les structures sociales, économiques et intellectuelles du royaume chérifien.

L'aurait-on cru ? Il détecte un bien curieux tropisme germanophile, et dans certains cas pro-nazi, de nombreux « islamo-nationalistes », depuis Abd el-Krim, jusqu'au grand mufti de Jérusalem, Hadj Amine el-Husseini, qui admirait Hitler. Une réalité qui a été souvent occultée.

L'Histoire du Maroc de Michel Abitbol Perrin, 674 p., 25,90 €.

La Fin du judaïsme en terres d'islam de Shmuel Trigano Denoël, 510 p. 25 €.