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mardi, 03 janvier 2023

Les faux pères coûtent des millions au contribuable allemand, mais l'Etat social se laisse volontiers exploiter

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Neue Zürcher Zeitung NZZ             

Les faux pères coûtent des millions au contribuable allemand, mais l'Etat social se laisse volontiers exploiter

Des hommes sans ressources reconnaissent des paternités pour des enfants qui ne sont pas les leurs. Les mères reçoivent un titre de séjour et des prestations sociales, l'Etat paie la pension alimentaire. Cette pratique n'est pas punissable.

Cela fonctionne comme suit: un homme sans ressources - que l'on peut trouver au bistrot local - reçoit entre 5000 et 20.000 euros en liquide et accepte en échange de reconnaître l'enfant d'une mère étrangère comme étant le sien. L'homme n'a pas d'autres obligations, car il n'y a officiellement rien à obtenir de lui. Il doit seulement se rendre une fois au service de la jeunesse ou de l'état civil, au tribunal d'instance ou chez le notaire.

Grâce à sa reconnaissance de paternité, la mère de l'enfant - qui a souvent beaucoup d'enfants - a droit à des prestations sociales en Allemagne, pour elle et pour tous ses enfants. L'enfant reconnu obtient en outre la nationalité allemande. "En moyenne, cinq personnes entrent dans le système social allemand avec une seule reconnaissance de paternité abusive", explique Tobias M. (nom modifié), employé du service social d'une ville de l'ouest de l'Allemagne. Le maire de cette ville, dont la population d'un peu plus de 300.000 habitants correspond à peu près à celle d'un arrondissement de Berlin, déclare : "Cela nous coûte ici cinq millions d'euros par an". Sa ville n'est qu'une parmi tant d'autres où cela se passe de cette façon. L'État se montre impuissant.

Source: https://www.nzz.ch/international/sozialbetrug-mit-scheinv...

lundi, 16 mars 2020

La Sécu a été entièrement bâtie dans un pays ruiné grâce à la volonté militante d'Ambroise Croizat

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La Sécu a été entièrement bâtie dans un pays ruiné grâce à la volonté militante d'Ambroise Croizat

Entretien avec Michel Etiévent

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

Avec Macron, la privatisation de la Sécu est en marche forcée : augmentation de la CSG (contribution sociale généralisée), milliards d’euros “économisés” (et lits d’hôpitaux en moins), chasse aux fraudeurs, augmentation du forfait hospitalier… Pour comprendre pourquoi on devrait défendre la Sécurité sociale avec acharnement plutôt qu’accepter béatement sa destruction méticuleuse, nous revenons sur les conditions de sa création et son histoire avec Michel Étiévent – historien militant né dans la même maison que l’homme à l’origine de la Sécu – dans le numéro deux de notre revue. Construite envers et contre le Capital dans un pays ruiné par la guerre, la Sécurité sociale est probablement le service public qui a le plus changé la vie des Français au siècle dernier.

Le Comptoir : Comment les gens se soignaient-ils en France avant la création de la Sécurité sociale en 1945 ?

Michel Étiévent : En 1938 en France, il y a sept millions de salariés. Cinq millions d’entre eux n’ont aucune protection sociale. Les deux millions restants ont de vagues assurances sociales. Celles-ci sont nées en 1930 et s’apparentent plutôt à de l’aumône. Certains ont aussi de vagues mutuelles mais elles sont épuisées à la moindre épidémie de grippe. La majorité des gens ne se soignent pas et attendent la mort. C’est l’insécurité totale du lendemain. Cinq millions de salariés n’ont pas de retraite non plus. La seule retraite à l’époque, c’est le cimetière. On imagine la rupture qu’apportât la Sécurité sociale en amenant simplement de la dignité. La Sécu, au final, ce n’est rien d’autre que le droit de vivre.

En 1945 en France, le taux de mortalité infantile est de 100 pour 1.000. Neuf ans après seulement l’institution de la Sécu, on passe à 30 pour 1.000. De 1915 à aujourd’hui, on a gagné près de trente années d’espérance de vie. On le doit essentiellement à la Sécu qui a apporté à tous la possibilité de se soigner et qui a mis à la disposition de tous les grands succès médicaux, comme la naissance de médicaments tels que la pénicilline, ou ceux pour soigner l’hépatite, qui ont pu sauver des vies.

« La Sécu, ce n’est rien d’autre que le droit de vivre. » 

À la faveur de quoi le processus de création de la Sécurité sociale s’est-il enclenché ?

Après la guerre, le Conseil national de la résistance (CNR), un groupe de 18 jeunes résistants mené par Jean Moulin avant sa mort, a décidé d’en finir avec cette insécurité du lendemain. C’est l’idée de cotiser selon ses moyens et recevoir selon ses besoins. C’est le sens d’ailleurs de la première intervention d’Ambroise Croizat, ministre communiste de la Libération, à l’Assemblée nationale en 1945 : « Désormais, nous mettrons fin à l’insécurité du lendemain, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin, nous ferons de la retraite non plus l’antichambre de la mort mais une étape de la vie et nous ferons de la vie autre chose qu’une charge et un calvaire. » Du programme rédigé par le CNR naît la fameuse ordonnance du 4 octobre 1945 qui institue la Sécurité sociale.

Qui est Ambroise Croizat ?

Ambroise Croizat est un fils d’ouvrier, un fils de manœuvre, qui naît le 28 janvier 1901 à Notre-Dame-de-Briançon, en Savoie. Très vite, Antoine Croizat, son père, comprend que si on veut améliorer les conditions de vie extrêmement dures des travailleurs, il faut se bouger. Il lancera une grève en 1906. Ce sont les prémisses des revendications pour la protection sociale. Il s’agit de changer les rythmes, d’avoir des conditions de travail plus décentes et surtout d’obtenir une caisse de secours, l’ancêtre de la Sécu en fait, qui amènerait une couverture en cas de maladie ou d’accident de travail, puisqu’à l’époque, il n’y avait rien. Il se fera licencier pour ça. La famille va alors partir pour Ugine avant de rejoindre Lyon. Ouvrier depuis ses 13 ans, Ambroise va devenir un syndicaliste important de la CGT [Confédération générale du travail, NDLR]. Il adhérera au Parti communiste en 1920. En 1936, il est secrétaire de la fédération nationale CGT des métaux et il devient alors député de Paris. C’est le Front populaire. Dans les batailles menées à l’époque, c’est lui, avec d’autres, qui imposera les 40 heures, les congés payés, les conventions collectives.

Suite au pacte germano-soviétique d’août 1939, le PCF est dissous et ses militants incarcérés, dont les 36 députés communistes de l’Assemblée nationale. Croizat est ainsi arrêté et sera déporté au bagne d’Alger par Pétain. Il est libéré en 1943, après le débarquement anglo-américain sur les côtes algériennes et marocaines, et il rejoint le général de Gaulle dont le gouvernement provisoire est alors à Alger. Il fera ainsi partie de la commission consultative du premier gouvernement provisoire de la France, qui est en lien avec le CNR fondé la même année. Croizat est nommé président de la commission Travail par de Gaulle et il est chargé de préparer clandestinement la mise en œuvre du programme social du CNR.

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Ambroise Croizat, au centre

En 1945, à la Libération, et suite au succès du Parti communiste aux élections législatives, il est nommé ministre du Travail et de la Sécurité sociale. Il laissera un héritage social considérable : les retraites, les comités d’entreprise, la médecine du travail, le triplement du montant des allocations familiales, le doublement du congé maternité, la prévention dans l’entreprise, la reconnaissance des maladies professionnelles, et la mise en place de tous les statuts sociaux (de la fonction publique, des mineurs, d’électricien-gazier, etc.) avec Marcel Paul. Croizat a permis aux travailleurs d’avoir un rôle social, avec la création des comités d’entreprise notamment, dans la gestion et l’avenir de leur profession. Il va le payer très cher puisqu’il va mourir très jeune, en 1951. Il a 50 ans. Un million de personnes suivent le cortège dans les rues de Paris lors de son enterrement. C’est un enterrement à la Victor Hugo. Il n’y en a pas eu beaucoup. Les gens lui ont rendu hommage.

J’imagine qu’Ambroise Croizat n’a pas mené cet immense chantier seul. Sur le terrain, qui a bâti la Sécu ?

La Sécu va être bâtie par le peuple français, par un petit groupe de militants de base, essentiellement issus de la CGT en fait. Ces mêmes militants géraient la Sécu. La CGT avait d’ailleurs la majorité dans les conseils d’administration des caisses où 75 % des sièges étaient réservés aux travailleurs syndiqués et 25 % aux patrons. Ce sont donc des ouvriers comme Jolfred Fregonara, qui apparaît dans le film La Sociale, qui ont bâti en un temps très court la Sécu. On dit souvent que ça a pris 18 mois parce que ça correspond au temps qu’Ambroise Croizat, qui avait la maîtrise d’œuvre de ce chantier, est resté au gouvernement, mais en fait la création des caisses a eu lieu du 22 mai 1946 à août 1946. C’est un travail considérable. Ces militants vont construire 138 caisses de Sécu et 113 caisses d’allocations familiales, qui vont complètement changer la vie des gens. Il faut imaginer que les caisses de l’époque, c’est parfois une baraque en planches, parfois un wagon aménagé dans une gare, c’est un petite pièce ici ou là où des bénévoles, ramassent les feuilles de Sécu, payent les gens, etc.

On comprend l’enthousiasme indescriptible dans lequel ces militants ont bâti la Sécu, hors de leur temps de travail, pendant leur temps de congé et de manière totalement bénévole. Ils ont bouleversé la vie des Français en un temps très court, dans un pays totalement ruiné. 

Au moment de la création de la Sécu, quelles ont été les résistances ?

Immédiatement, dès l’apparition de l’ordonnance d’octobre 1945 instituant la création de la Sécu, des défiances sont apparues. Elles viennent, naturellement, d’abord des patrons qui n’en veulent pas puisqu’il faut payer des cotisations sociales. Ensuite, ça vient de syndicats minoritaires, comme la CFTC [Confédération française des travailleurs chrétiens, NDLR], qui voulaient revenir aux anciennes caisses. Les oppositions proviennent évidemment des mutuelles dont la Sécu prend alors les biens puisque c’est elle qui va désormais tout gérer. Ça vient aussi des médecins, notamment du syndicat des médecins libéraux, qui s’opposent tout de suite à la Sécu parce qu’elle fixe leurs honoraires. Ils supportaient par ailleurs difficilement que la Sécu soit gérée par des ouvriers, qui plus est par des ouvriers de la CGT. Les assurances privées ont également lutté contre la Sécu, on comprend pourquoi. La droite française s’est battue farouchement bien qu’elle se refusait à le faire ouvertement puisque le rapport de force était contre elle. C’est d’ailleurs ce rapport de force au moment de la Libération qui a permis à la Sécu d’être mise en place : les cinq millions d’adhérents à la CGT, les 29 % d’adhérents au Parti communiste et les classes ouvrières sont sortis grandis de leur résistance alors que le patronat était totalement mouillé par la collaboration. Ce dernier pouvait difficilement dire quelque chose.

« Cotiser selon ses moyens et de recevoir selon ses besoins.«

Quels sont les principes qui ont orienté la création de la Sécurité sociale ?

Il y en a quatre et ils ont tous été volés aujourd’hui.

Le premier, c’est l’unicité : dans une seule caisse, au plus proche des habitants, par département, on va grouper tous les risques sociaux (maladie, vieillesse, maternité). De la naissance jusqu’au décès, les gens peuvent disposer de tous leurs droits sur place et au même endroit.

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Le deuxième grand principe au moment de la fondation de la Sécu, c’est celui de l’universalité. On le doit principalement à Croizat. Tout le monde sera soigné. Ceux qui ne le veulent pas, c’est parce qu’ils l’ont refusé, comme les fonctionnaires ou les cheminots qui ont décidé d’avoir leurs propres caisses.

Le troisième, et il constitue l’exception française, c’est la solidarité. La Sécu est financée essentiellement par la cotisation sociale par répartition et par solidarité, qu’on soit bien portant ou malade, vieux ou jeune, actif ou non actif. Ce qui est formidable dans la cotisation sociale, contrairement à l’impôt, c’est qu’elle va directement du cotisant au bien-être des gens. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle aujourd’hui, on voudrait supprimer les cotisations sociales, parce que cet argent ne passe par aucun actionnaire, aucune banque, il va directement aux gens qui en ont besoin.

Le dernier pilier de la Sécu, qui est à imputer à Croizat aussi, c’est la démocratie. Si on veut permettre l’accès au droit de la santé pour tous, il faut que l’institution soit gérée par les intéressés eux-mêmes. C’est l’idée des conseils d’administration à majorité ouvrière.

Comment la Sécurité sociale a-t-elle évolué depuis ?

Dès 1947, les mutuelles qui géraient certaines des anciennes caisses sont arrivées à imposer leur existence grâce au retour de la droite au pouvoir après l’expérience gaullo-communiste de 1945-47. Et puis, la même année, les Américains vont s’en mêler en proposant le plan Marshall, c’est-à-dire en offrant une aide financière colossale à condition qu’on arrête l’invention sociale. Les communistes sont alors évincés du gouvernement. Au même moment, la classe ouvrière va se diviser, notamment avec l’invention de FO [Force ouvrière, NDLR], qui est d’ailleurs directement le fruit de la CIA(1) [Central intelligence agency, les renseignements américains, NDLR]. Elle est destinée à casser l’unité ouvrière de manière à ce que les caisses n’appartiennent plus entièrement à la CGT. Ça a notamment été reconnu par George Meany, le chef des syndicats américains, qui a financé FO. Cette époque correspond aussi au début de la Guerre froide, où une répression formidable est menée contre les communistes mais aussi contre les syndicalistes – les grandes grèves de 1947 seront d’ailleurs durement réprimées.

Ce mouvement s’est amplifié avec les années puisque dès 1953, les premières vraies batailles contre la Sécu apparaissent. On essaye d’abord de miner la retraite des fonctionnaires. Puis, en 1959, on va essayer d’imposer ce qu’on appelle les franchises, c’est-à-dire que les gens ne seront remboursés qu’à partir d’une certaine somme dépensée en soins médicaux, à l’époque c’était 3 000 francs. L’opposition a été si forte qu’elles n’ont pas pu être mises en place.

En 1958, c’est la première attaque forte contre la Sécu par le général de Gaulle, pourtant porteur de l’idée en 1945 quoiqu’elle lui ait été imposée par le rapport de force. Les directeurs de caisses seront dès lors nommés et non plus élus. Puis, il revient sur l’idée même de Sécurité sociale en imposant les ordonnances Jeanneney d’août 1967. Celles-ci imposent le contrôle préalable des budgets et le paritarisme, supprimant ainsi la gestion de la Sécu par les travailleurs puisque 50 % des sièges du conseil d’administration passent alors aux mains des patrons, laissant 50 % aux ouvriers. Il suffira alors d’un syndicat patronal minoritaire (mais unique) pour faire basculer la gestion vers le patronat. De Gaulle casse aussi la Sécu en plusieurs branches : auparavant tout était lié, les accidents de travail, la maternité, la maladie, la vieillesse. C’est comme un saucisson, quand on le coupe c’est plus facile de le manger. Le principe de solidarité est supprimé.

« Aujourd’hui, alors que la France est la 5e puissance du monde, 32 % des Français hésitent ou renoncent à se soigner pour des raisons financières. »

Et puis, il y aura toute une succession d’attaques. Avec le plan Barre, l’État commence à vouloir faire des économies sur la Sécu. Le ticket modérateur – le reste à charge pour l’assuré – était très mince sous Croizat et, dès lors, il ne cessera plus d’augmenter sous tous les gouvernements successifs dans le sillage de la privatisation rampante de la Sécu via le contrôle de l’État. Rocard impose ensuite la CSG (Contribution sociale généralisée), qui est un impôt et plus du tout une cotisation sociale prélevée sur le salaire. Georgina Dufoix va essayer d’imposer des franchises dans les années 1980. Et l’ensemble des plans Juppé, Raffarin, Chirac vont allonger la durée de travail et de cotisation. Et ça continue jusqu’à aujourd’hui avec l’ANI (Accord national inter-professionnel) de 2013 que la CGT n’a pas signé mais que la CFDT [Confédération française démocratique du travail, NDLR] a avalisé. Celui-ci impose une mutualité dans l’entreprise et constitue une rupture d’égalité puisque tout le monde n’est pas concerné, mais uniquement ceux qui travaillent (vieux, chômeurs et précaires ne l’ont pas). La mutuelle est au choix du patron. L’ANI impose aussi une rupture de confidentialité dans la mesure où les patrons peuvent potentiellement connaître le profil pathologique de leurs employés. Tout ça participe à privatiser la Sécu.

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Il ne faut pas oublier que la Sécu a été entièrement bâtie dans un pays ruiné grâce à la seule volonté militante. Aujourd’hui, alors que la France est la 5e puissance du monde, 32 % des Français hésitent ou renoncent à se soigner pour des raisons financières [chiffres Insee de 2007, NDLR]. Tout ça est imposé par les réductions budgétaires décidées par l’État et votées par les députés. Si on voulait en finir avec le “problème” du “trou” de la Sécu, pourtant, on le pourrait. Celui-ci est de 10 milliards d’euros et dû au fait qu’il y a de moins en moins de recettes. Ceci est notamment imputable à la baisse de l’emploi : alors que plus de trois millions de personnes ont été mises au chômage, 100 000 emplois en plus en France correspondraient à deux milliards de plus dans les caisses de la Sécu. Aujourd’hui, il y a 40 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales pour le patronat, obtenus par le chantage à l’emploi. Il y a 20 milliards de fraude aux cotisations, principalement obtenues par le travail au noir. Il y a 80 milliards d’évasion fiscale. Enfin, il y a 312 milliards d’euros de revenus financiers en France qui ne sont soumis à aucune cotisation sociale. L’État vient d’employer 270 personnes pour courir après les chômeurs. Est-ce qu’on ne pourrait pas plutôt employer ces gens-là pour courir après l’évasion fiscale, c’est-à-dire après les gens qui ne payent pas de cotisations ?

Le problème du prix des médicaments est scandaleux par ailleurs : un traitement pour l’hépatite C aujourd’hui coûte 100 dollars à la fabrication et est vendu 48 000 euros à la Sécu. On pourrait très bien créer un Pôle public du médicament avec des médecins et des usagers qui géreraient tout ça. Un autre moyen “d’économiser” serait de faire enfin de la prévention : par exemple, on connaît la toxicité de l’amiante depuis 1967 mais il a fallu attendre 1997 pour l’interdire. Entre temps c’est 30 000 morts et on en annonce 100 000 nouveaux. Il y aurait beaucoup de choses à faire avant de vouloir supprimer la Sécu. Il faudrait seulement un peu de courage politique. Et c’était la vertu cardinale de certains de nos représentants au moment de la Libération : ils plaçaient l’humain au centre de tout leur champ politique. Ce n’était pas les banques qu’ils voulaient sauver, c’était l’homme.

Note

1- George Meany a déclaré peu après “l’opération” au club de presse de Washington : « Je suis fier de vous dire, parce que nous pouvons nous permettre de le révéler maintenant, que c’est avec l’argent des ouvriers de Detroit et d’ailleurs qu’il nous a été possible d’opérer la scission très importante pour nous dans la CGT, en créant le syndicat ami Force ouvrière. » (cité dans E… comme espionnage, de Nicolas Fournier et Edmond Legrand, éditions Alain Moreau, 1978). 
 
Source : https://histoireetsociete.wordpress.com/2018/01/04/la-secu-a-ete-entierement-batie-dans-un-pays-ruine-grace-a-la-seule-volonte-militante/?fbclid=IwAR24-NDzoC7DC9RFF7DR-5Vr8K8W9rmY-XHnns06DiOiFi_UsZB0p3ylfw0

vendredi, 05 octobre 2012

L’État providence dépend largement de la cohésion ethnique

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L’État providence dépend largement de la cohésion ethnique

Ex: http://fortune.fdesouche.com/

 

Dans un ouvrage traduit en français sous le  titre « Combattre les inégalités et la pauvreté : Les États-Unis face à l’Europe » (Flammarion, 2006) (1), deux économistes de renom international, professeurs à Harvard,  Alberto Alesina et Edward L. Glaeser, ont  cherché à comprendre pour quelles raisons l’État providence est plus présent en Europe occidentale qu’aux États-Unis, alors que les pays concernés ont des racines culturelles et religieuses comparables. (…)

L’ambition du livre est d’aller aux sources des différences entre les deux modèles. Il n’a pas pour propos d’analyser les impacts des politiques de redistribution sur le dynamisme économique et sur la croissance. Il ne s’agit donc pas d’évaluer les coûts et les avantages de l’État providence.

Après des observations liminaires sur les faits et les chiffres, Alesina et Glaeser montrent que la théorie économique pure explique très peu les écarts entre les politiques de redistribution aux USA et en Europe. Par contre, et ceci constitue l’essentiel de leur apport, ils montrent que la faiblesse de l’État providence en Amérique a deux causes fondamentales et de poids égal : la spécificité des institutions américaines et l’hétérogénéité de la population Outre-Atlantique. Ce deuxième aspect est largement traité à travers la question raciale et ethnique aux États-Unis. (…)

1. Les faits et les chiffres

L’état providence se façonne à partir de quatre grands types de politiques publiques : les mécanismes de redistribution (santé, revenus, famille, chômage, invalidité…) ; la progressivité du système fiscal ; les réglementations du marché du travail ; la disponibilité des services publics.

Des écarts importants

Dans ces domaines, un ensemble de données, présentées dans le chapitre I (pp. 29-82), attestent des écarts importants entre les États-Unis et l’Europe. Nous traduisons l’essentiel en quelques lignes.

En Europe, les dépenses des administrations publiques sont en moyenne 50 % plus élevées et les dépenses sociales publiques (vieillesse, famille, chômage, santé) sont presque deux fois plus fortes.

Les réglementations du marché du travail favorisent les travailleurs européens (salaires minimum, horaires, congés, licenciements et retraites).

La présence de services publics, plus forts en Europe, a plutôt pour vocation d’améliorer la situation des moins bien dotés.

La charité privée, forme privée de la redistribution, est nettement plus importante aux USA.

Des explications traditionnelles

Face à ces différences, somme toute bien connues, on est habitué à des explications traditionnelles du faible rôle de l’État providence aux États-Unis. Nous pouvons retenir les principales :

Le rôle actif du protestantisme dans l’idéologie de la réussite, analysé par le sociologue allemand Max Weber au tout début du 20e siècle.

La culture du goût du risque individuel qui poussa les premiers immigrants à choisir le nouveau monde.

Le rôle de la forte mobilité géographique Outre-Atlantique qui réduit les demandes de redistribution.

La mobilité sociale, déjà soulignée par Tocqueville en 1835, qui favorise un processus naturel d’égalité des chances.

Pauvreté et redistribution

Mais il convient de noter que la réalité ne correspond pas nécessairement aux idées reçues. En particulier, la célèbre fluidité sociale américaine est désormais entamée.

Pour les auteurs, les chiffres et les faits attestent que les Américains les plus pauvres semblent plus susceptibles de rester pauvres que leurs homologues Européens.

Le World Value Survey effectué sur la période 1983-1997 permet à Alesina et Glaeser de compléter le tableau grâce à des analyses sur l’image de la pauvreté selon les pays (pp. 271-318). Nous retenons ici quelques appréciations saillantes qui sont, par nature, des généralisations à manier avec précaution.

Aux USA on admet plutôt que les pauvres sont paresseux et peu dynamiques. A contrario on pense, en Europe, qu’ils sont malchanceux et englués dans une situation défavorable au départ.

Aux USA existe une forme de darwinisme social où les millionnaires sont la fine fleur d’une civilisation concurrentielle. En Europe, les pauvres sont plutôt les laissés pour compte d’un système capitaliste qui se caractérise par des antagonismes de classe.

Le tableau suivant, établi par les auteurs (p. 278) à partir du World Value Survey, permet de contraster les visions américaines et européennes.

Si on explique assez largement la pauvreté par un refus de l’effort, il semble normal qu’on sympathise moins avec l’idée de redistribution. On constate d’ailleurs, en prenant plusieurs pays, des corrélations statistiques positives fortes entre, d’une part, l’opinion dominante « le revenu est déterminé par la chance » et, d’autre part, le niveau élevé de redistribution. De même, on retrouve une relation positive forte lorsque les auteurs corrèlent l’opinion dominante « la pauvreté est la faute de la société » et l’importance de la redistribution.

Au total, on observe des idéologies différentes sur la redistribution et la pauvreté de part et d’autre de l’Atlantique. Il s’agit maintenant de s’écarter des idées générales et d’identifier les sources profondes de ces différences.

2. La faible pertinence des explications économiques

Nous résumons ci-dessous les conclusions des deux auteurs documentées dans le chapitre II « les explications économiques » (pp. 83-116).

Deux hypothèses sont souvent avancées par les économistes pour justifier une demande forte de redistribution dans une société : une répartition avant impôt inégalitaire et des faibles perspectives d’ascension sociale. En se fondant sur des modèles économiques élaborés par Romer, Meltzer et Richards, Alesina et Glaeser considèrent que ces deux explications ne sont pas pertinentes.

Une autre approche s’appuie sur l’idée que la redistribution permet d’amortir l’instabilité des revenus lorsque des chocs externes frappent une économie. Mais cet argument de protection face aux chocs doit être écarté à l’épreuve des faits. On observe des volatilités de l’activité économique comparables aux États-Unis et en Europe, et pourtant la redistribution est plus forte en Europe.

La rationalité économique suggère également que des coûts élevés de mise en œuvre des programmes de redistribution devraient être un frein au développement de l’État providence. Or ces coûts sont plus bas aux États-Unis qu’en Europe, et néanmoins l’Europe redistribue plus.

Enfin, la mobilité géographique peut s’analyser comme une forme de substitution rationnelle à la demande de redistribution. Selon cette logique, puisque les Américains sont plus mobiles, ils ont moins besoin de redistribution que les Européens. Cet argument semble pertinent. Mais, pour Alesina et Glaeser, ce choix de la mobilité relève bien plus de la mentalité américaine que d’un arbitrage économique rationnel entre déplacement physique et redistribution. Là encore la logique purement économique ne fournirait pas l’explication de fond : on doit plutôt être renvoyé aux problèmes des mentalités.

3. Le rôle des institutions politiques

En 80 pages, et sur deux chapitres, sont abordées ce que les auteurs appellent les explications « politiques » des contenus de l‘État providence. Tous les thèmes mis en avant privilégient la spécificité américaine par rapport à l’Europe.

Le système électoral

La représentation proportionnelle tend à prendre en compte l’ensemble des opinions et les minorités trouvent plus aisément une place. Appliqué au niveau d’un pays, ce système facilite la mise en place des programmes politiques axés sur les transferts sociaux. Inversement, la représentation majoritaire par circonscription géographique favorise l’opinion dominante et actionne le clientélisme local qui se défie des politiques de redistribution. Au total, puisque la représentation proportionnelle n’est pas dans la culture américaine, les États-Unis sont moins distributifs.

Les auteurs approfondissent ce point en remarquant que le basculement vers un système proportionnel résulte de moments de rupture (guerres, grèves ou révolutions) que les États-Unis ont moins connus que les États européens. A la faveur de ces ruptures, les minorités et les mouvements socialistes peuvent exiger des changements profonds du système électoral.

Le système fédéral

Depuis leur constitution en 1787, les États-Unis veulent éviter le poids des impôts et la présence d’un Léviathan « surtaxeur ». Ils souhaitent un État central léger accompagné d’une vraie décentralisation vers les États fédérés. Ce type d’architecture ne favorise pas un État providence fort pour plusieurs raisons. D’abord, on considère que les préférences collectives d’une juridiction politico-administrative décentralisée sont assez homogènes et ne poussent pas à la redistribution. Ensuite, la concurrence fiscale entre les juridictions décentralisées induit un nivellement par le bas en matière de redistribution. Enfin, les marges de manœuvre, notamment dans le domaine social, des juridictions décentralisées sont limitées dès lors que le système fédéral leur impose des règles d’équilibre budgétaire.

En suivant ces analyses, on en déduit que le garant de l’État providence devrait être un État central puissant en matière sociale. Or, précisément, les États-Unis limitent traditionnellement l’aptitude de l’État central à taxer pour redistribuer.

La séparation des pouvoirs

Aux États-Unis, la Chambre des représentants et le Sénat sont souvent de couleur politique différente. On a ainsi un contrepoids qui favorise le juste milieu. De plus, le Sénat a historiquement le rôle de préserver les droits des riches propriétaires. Il fut d’ailleurs décrit comme un « club des millionnaires », surtout jusqu’au début du 20e siècle, quand il était élu au suffrage indirect. Ce type de séparation des pouvoirs à l’américaine ne favorise pas une forte volonté de redistribution.

Le rôle de la Cour suprême

Le système judiciaire américain, et particulièrement la Cour suprême, prennent en charge la défense de la propriété privée contre toutes les forces qui tendent à collectiviser les risques. Il s’agit de combattre les distorsions de la concurrence, y compris quand elles proviennent des mouvements ouvriers ou syndicaux.

La Cour suprême est ainsi devenue un frein aux politiques de redistribution. Elle examine la législation au regard des principes constitutionnels qui sanctuarisent la propriété et les principes de la libre concurrence. Elle traduit la défiance vis-à-vis des prélèvements obligatoires en vue de redistribuer une richesse légitimement fondée sur la propriété privée.

La place des partis socialistes

Il existe une relation dialectique puissante entre la présence des partis socialistes et le poids de l’État providence. De plus, la forte proximité entre les syndicats ouvriers et les partis de gauche alimente la pression en faveur des politiques de redistribution. L’Europe, où les partis de gauche ont été les moteurs des avancées sociales et où les syndicats sont souvent politisés, est exemplaire à cet égard. Les États-Unis sont dans une situation inverse. Les partis socialistes y sont peu présents et les syndicats ouvriers se sont développés à l’extérieur de la sphère politique. Alesina et Glaeser avancent trois raisons majeures au faible rôle de la gauche américaine.

1. L’immensité, la diversité et l’isolement du territoire n’ont pas favorisé l’unification du mouvement ouvrier. A contrario, en Europe les mouvements ouvriers sont nés de la révolution industrielle et de l’exode rural vers des villes très densifiées.

2. L’hétérogénéité ethnique n’a pas favorisé un mouvement de gauche unitaire. Les syndicats américains pratiquaient eux même la ségrégation et les entrepreneurs ont joué sur les rivalités ethniques pour briser les grèves.

3. L’absence de guerre sur le sol américain, depuis la Guerre de sécession en 1865, a conduit à empêcher la formation d’une solidarité entre les militaires et le mouvement ouvrier. L’armée a même pu, dans certaines circonstances, jouer le rôle de la police contre les ouvriers.

Pour compléter les explications sur la faiblesse des partis socialistes américains, les auteurs ajoutent, pour le 20e siècle, la rivalité et la défiance envers le système soviétique.

L’ancienneté des institutions du nouveau monde

Dans les années 1890, la plupart des pays européens avaient une monarchie héréditaire et un droit de suffrage restreint, tandis que le « nouveau monde » connaissait la  démocratie et la plus moderne des Constitutions. Les institutions américaines ont vieilli quand on les compare aux constitutions européennes de l’ancien monde. Les auteurs mettent en avant ce paradoxe pour souligner qu’il doit exister un lien entre des institutions américaines, âgées de plus de deux siècles, et la faible appétence des États-Unis pour l’État providence. Ce sont ces institutions anciennes, élaborées par des possédants bien décidés à limiter le rôle de l’État, qui ont combattu les mouvements des citoyens américains réclamant plus de redistribution.

4. Le poids de l’hétérogénéité raciale et ethnique

Le poids de l’hétérogénéité raciale et ethnique sur la redistribution aux États-Unis compte autant que le rôle des institutions. Ce thème est traité dans un long chapitre V « La question raciale et la redistribution » (pp. 199-270 ». Alesina et Glaeser prennent d’abord appui sur une vaste littérature attestant l’existence des antipathies raciales et ethniques. Ils se réfèrent ensuite à une littérature démontrant le lien entre ces sentiments et l’hostilité aux dépenses sociales (principales références p. 200).

Fragmentation ethnique et dépenses sociales

Les auteurs construisent des indicateurs de fragmentation ethnique ; ils calculent en particulier des indices de fragmentation raciale, ethnique, linguistique et religieuse. On observe alors une différence nette entre les États-Unis et l’Europe. Dans certains pays européens l’homogénéité ethnique et doublée d’une homogénéité religieuse. Ainsi, 92 % des Suédois et 95 % des Danois sont luthériens.

Une régression, appliquée à un grand nombre de pays dans le monde, montre une relation inverse entre la fragmentation ethnique et les dépenses sociales (p.210). On retrouve la même corrélation négative entre la fragmentation linguistique et les dépenses sociales (p. 212).

Données internes aux États-Unis

L’impact de l’hétérogénéité ethnique sur l’ampleur des dépenses sociales se retrouve également à l’intérieur des États-Unis. Les auteurs appréhendent cette question par trois voies d’entrée : les chiffres, les enquêtes d’opinion et l’histoire.

Les chiffres - Les États du Sud, ethniquement plus diversifiés, sont moins généreux dans la répartition que leurs homologues plus homogènes du Nord. L’indicateur chiffré choisi pour le démontrer (p. 219) est un critère d’aide sociale aux familles : l’AFDC (Aid to families with dependent children).

Les enquêtes d’opinion - Les données des enquêtes d’opinion montrent que les stéréotypes racistes jouent un rôle central dans l’opposition à l’État providence aux USA. Le General Social Survey (GSS) du National Opinion Research Center fait des enquêtes depuis 1972 qui vont toutes dans ce sens. On note une animosité particulière vis-à-vis des Afro-américains qui recevraient trop de l’État providence. Cela se traduit par une relation inverse entre le pourcentage de la population noire et le soutien aux dépenses sociales dans les États fédérés (p. 226).

Toujours sur le terrain des enquêtes d’opinion, les auteurs reprennent, pour justifier leurs analyses, les travaux de Gilsen et Luttner (2). On note en particulier que « vivre à proximité de récipiendaires de prestations sociales accroît le soutien à la redistribution quand ils appartiennent à la race de la personne interrogée, mais il le réduit quand ils appartiennent à une autre race » (p. 227). De plus, les Noirs pauvres sont plus favorables à la redistribution que les Blancs pauvres. « En résumé, les données des sondages d’opinion sont claires et fortes. Les relations interraciales constituent un élément crucial des préférences individuelles sur les dépenses sociales, la redistribution et la lutte contre la pauvreté. » (p. 228).

L’histoire - L’histoire des États-Unis apporte d’autres éléments à la démonstration. Deux exemples précis attestent le recours à une politique raciale pour détourner les américains d’un intérêt positif pour les questions de redistribution. Dans les années 1890, les élites du Sud ont instrumentalisé la haine des Noirs pour éviter toute avancée sociale. Dans le milieu des années 1960, après que le New Deal, lancé en 1932, ait diffusé ses impacts positifs sur l’État providence, on observe une montée de la contestation de l’État  providence. Ce mouvement a été incarné par l’ascension du républicain Barry Goldwater. L’élément déterminant de ce virement à droite était le poids des partisans de la ségrégation raciale dans les États du Sud. Cette évolution a d’ailleurs été accentuée par l’ampleur de la vague anticommuniste de l’époque.

Le cas des États providences européens

En Europe, contrairement aux États-Unis, les États ont œuvré pour construire une collectivité homogène, parfois de manière violente. De ce fait, les adversaires de l’État providence ont eu du mal à diaboliser les pauvres en tant que membres d’une minorité. Certes, les histoires nationales sont différentes, mais elles ont toutes contribué à faciliter l’adhésion aux mécanismes de redistribution. Plusieurs vecteurs ont été à l’œuvre pour appuyer la constitution des identités nationales : obéir au gouvernement, accomplir le service militaire et payer des impôts. Les auteurs soulignent également le rôle actif des systèmes scolaires centralisés des pays européens, alors qu’ils sont décentralisés aux États-Unis. Naturellement, les relations fortes, en Europe, entre les mouvements socialistes et la construction d’un État providence doivent être ici rappelées.

Mais toute cette dynamique n’a pas empêché les « politiciens à thème ethnique » (p. 247) de cultiver les méfiances et les haines. « Les démagogues européens, écrivent Alesina et Glaeser, se sont montrés aussi ardents à exploiter le racisme que leurs homologues américains. Mais, avec l’homogénéité européenne, ils ont généralement trouvé beaucoup moins de matière première. » (p. 246).

L’antisémitisme n’a pas été absent des freins à l’État providence. Il a particulièrement joué lorsque les intellectuels juifs aux tendances socialisantes ont servi de repoussoir pour la droite afin de contrer les volontés distributives de la gauche.

L’exploitation de l’hostilité envers les immigrés est un thème récurrent dans les attaques contre l’État providence. L’argument est connu : souvent très pauvres, ils bénéficieraient d’une redistribution trop généreuse.

La présence en Europe des partis d’extrême droite et des partis populistes « montre bien que le racisme n’est pas une spécificité aberrante des Américains mais le résultat naturel d’une situation où des minorités sont exagérément pauvres et où des politiciens peuvent répandre la haine contre elles pour se faire élire sur un programme antisocial » (p. 264).

Alésina et Glaeser concluent sur ce thème en mettant en garde les Européens. « L’Europe s’étant diversifiée davantage, les Européens se sont montrés de plus en plus réceptifs à la même forme de démagogie raciste et antisociale qui a si bien fonctionné aux États-Unis. Nous verrons si le généreux État providence européen pourra réellement survivre dans une société hétérogène. » (p. 270)

Conclusion

Les analyses des professeurs Alesina et Glaeser sur les visions différentes de l’Etat providence aux États-Unis et en Europe occidentale interpellent et, pourquoi le nier, dérangent un peu. La large palette des explications offertes par les auteurs est un enrichissement par rapport à certaines idées toutes faites. Mais la place donnée aux idéologies de la pauvreté des deux côtés de l’Atlantique et le poids accordé aux hétérogénéités raciales et ethniques nous font entrer sur des terrains inconfortables. En effet, la mesure des différences raciales et ethniques posent de très sérieux problèmes scientifiques et moraux.

De plus, si l’hétérogénéité ethnique explique la faiblesse de l’État providence, c’est la faiblesse de l’État providence qui produit de l’hétérogénéité sociale.

Enfin, la frontière peut devenir floue entre deux visions a priori antagonistes : la diversité comme richesse et l’hétérogénéité comme problème. Tout cela rappelé, les questions liées à l’hétérogénéité des populations sont incontournables quand on aborde les problèmes de répartition et de solidarité collective. (…)

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Notes :

(1) La version originale est “Fighting Poverty in the US and Europe – A world of difference” (Oxford University Press, 2004).

(2) M. Gilens « Why American Hate Welfare : Race, Media and Policitics of Antipoverty » (University of Chicago Press, 1999) et de E. Luttner « Group loyalty and the taste for redistribution » (Journal of Political Economy, 2001).

OPEE (Observatoire des Politiques Economiques en Europe), Bulletin n° 18, été 2008