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dimanche, 28 février 2016

Schopenhauer, principe d’inertie et totalitarisme

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Schopenhauer, principe d’inertie et totalitarisme

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
Ex: http://www.lesobservateurs.ch
 

Pas de philosophe plus sombre que Schopenhauer. Maupassant l’appelait le plus grand saccageur de rêve qui ait passé sur la terre. Pour Schopenhauer en effet, nous sommes mus par une force impersonnelle qui ne nous conduit nulle part et que nous ne pouvons pas comprendre. Mais nous croyons comprendre cette force en nous forgeant des représentations qui nous donnent l’illusion de vouloir par nous-mêmes, d’aimer par nous-mêmes, d’aller quelque part ! En réalité, pour Schopenhauer nous n’allons nulle part, nous ne voulons pas vraiment ce que nous croyons vouloir et, surtout, nous n’aimons pas. Lorsqu’un homme s’approche d’une femme qu’il dit aimer, il est en réalité l’instrument d’une force qui le dépasse et qui va simplement l’amener à perpétuer la race humaine par accouplement puis procréation. Difficile d’être plus cynique !

Schopenhauer est le premier à avoir dit cela, mais aujourd’hui, me semble-t-il, presque tout le monde le dit. Combien de fois n’avons-nous pas entendu quelqu’un s’exclamer ? « Je ne crois pas en Dieu mais en une grande force qui nous dépasse ! » Schopenhauer applaudirait. C’est cette grande force qui nous pousserait à nous reproduire, à travailler, à voyager, bref à vivre. Elle nous pousserait, littéralement, ne nous demanderait rien et, surtout, ne nous amènerait nulle part. Elle n’aurait pas de finalité. Elle serait là, indifférente, telle une énorme machine qui ferait tourner l’humanité, le cosmos, les nuages.

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Jusqu’à aujourd’hui, jamais les hommes n’ont vu le cosmos et les nuages comme une immense machine. C’est seulement maintenant, avec la cop21 entre autres, que cette vision s’est plus ou moins imposée. Est-ce à Schopenhauer que nous devons cette triste et mécanique vision de l’univers ?

Oui et non ! Il a donné un coup de pouce, mais seulement un coup de pouce. Tout était déjà en place pour l’éclosion d’une philosophie désenchantée comme la sienne. C’est en effet la science moderne qui, trois siècles avant Schopenhauer, a construit le socle sur lequel ce désenchantement s’est édifié. Ce socle, c’est le principe d’inertie et c’est très simple à comprendre.

En mars 1641, un prêtre de Digne, passionné de science et contemporain de Descartes, monte sur un vaisseau dans le port de Marseille. Lorsque ce vaisseau parvient à une vitesse élevée, un marin monte au sommet du mât et lâche un boulet de canon qui tombe exactement au pied du mât. Gassendi en conclut que ce boulet serait tombé exactement de la même manière s’il avait été lâché dans la galère amarrée au port et donc parfaitement immobile. Il n’y a pas de différence entre le mouvement et le repos. C’était la vérification expérimentale du principe d’inertie déjà esquissé par Galilée.

Un corps au repos ne va nulle part, ne manifeste aucune intention, ne s’inscrit dans aucune finalité.  Et donc, s’il n’y a plus de différence entre mouvement et repos, un corps en mouvement, lui non plus, ne manifeste aucune intention. La physique moderne est née : rien de ce qui bouge, dans l’univers, n’a de finalité, de but, de terme. La vie elle-même ne va nulle part. Ce qu’expliquera Darwin deux siècles plus tard.

A ce point nous retrouvons Schopenhauer qui, pour le dire un peu méchamment, ne fait qu’expliciter les ultimes conséquences du principe d’inertie. Ce n’est plus seulement une boule de canon qui ne manifeste aucune intention, mais tout ce qui bouge, tout ce qui vit. Et moi-même qui bouge, je ne vais nulle part. Tout est absurde. Il n’y a plus rien à vouloir, à poursuivre.

Pouvons-nous donner notre adhésion à une telle vision de l’univers et de l’humanité ? Oui, si nous considérons les hommes de science comme des nouveaux prophètes qui nous disent ce qu’il faut penser. Oui, si nous considérons la science comme une religion.

Mais non, pour tous ceux qui n’aiment pas que les hommes de science leur disent comment il faut penser. Il ne s’agit pas de contester le principe d’inertie, mais de voir que son application est limitée à des corps inertes.

Hélas, nombreux sont ceux qui ne veulent pas voir cette limite. Pour eux, il n’y a que des corps inertes qui n’ont pas de volonté, ne poursuivent rien. Ils sont poussés de-ci de-là. L’idée de tels corps fait saliver tous ceux qui sont avides de puissance et de contrôle. Car un corps qui ne poursuit rien, un corps sans intention, est aussi un corps manipulable à partir d’un centre de contrôle.

C’est à partir de là qu’on commence à comprendre ce qu’est le totalitarisme. Il n’est pas une dictature qui vise à soumettre toutes les volontés à une seule. Il est la réduction des êtres humains à des choses « schopenhaueriennes », inertes, sans volonté et sans projet. Alors, on peut tout contrôler.

Aujourd’hui, nous sommes emportés dans un grand mouvement visant un tel contrôle, à une gestion universelle. Même les individus veulent gérer leur vie. Où cela va-t-il nous conduire. Nous ne le savons pas. Dès lors, inutile de trop s’angoisser.

Jan Marejko, 26. 2. 2016

00:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, arthur schopenhauer, schopenhauer | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 12 août 2011

Schopenhauer: el primer golpe a la Ilustracion

 

 

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Schopenhauer: el primer golpe a la Ilustración

 

Alberto Buela (*)

 

En Arturo Schopenhauer (1788-1860) toda su filosofía se apoya en Kant y forma parte del idealismo alemán pero lo novedoso es que sostiene dos rasgos existenciales antitéticos con ellos: es un pesimista  y no es un profesor a sueldo del Estado. Esto último deslumbró a Nietzsche.

Hijo de un gran comerciante de Danzig, su posición acomodada lo liberó de las dos servidumbres de su época para los filósofos: la teología protestante o la docencia privada. Se educó a través de sus largas estadías en Inglaterra, Francia e Italia (Venecia). Su apetito sensual, grado sumo, luchó siempre la serena  reflexión filosófica. Su soltería y misoginia nos recuerda el tango: en mi vida tuve muchas minas pero nunca una mujer. En una palabra, conoció la hembra pero no a la mujer.

Ingresa en la Universidad de Gotinga donde estudia medicina, luego frecuenta a Goethe, sigue cursos en Berlín con Fichte y se doctora en Jena con una tesis sobre La cuádruple raíz del principio de razón suficiente en 1813.

En 1819 publica su principal obra El mundo como voluntad y representación y toda su producción posterior no va ha ser sino un comentario aumentado y corregido de ella. Nunca se retractó de nada ni nunca cambió. Obras como La voluntad en la naturaleza (1836),  Libertad de la voluntad (1838), Los dos problemas fundamentales de la ética (1841) son simples escolios a su única obra principal.

Sobre él ha afirmado el genial Castellani: “Schopen es malo, pero simpático. No fue católico por mera casualidad. Y fue lástima porque tenía ala calderoniana y graciana, a quienes tradujo. Pero fue  “antiprotestante” al máximo, como Nietzsche, lo cual en nuestra opinión no es poco…Tuvo dos fallas: fue el primer filósofo existencial sin ser teólogo y quiso reducir a la filosofía aquello que pertenece a la teología” [1]

En 1844 reedita su trabajo cumbre, aunque no se habían vendido aun los ejemplares de su primera edición, llevando los agregados al doble la edición original.

Nueve años antes de su muerte publica dos tomos pequeños Parerga y Parilepómena, ensayos de acceso popular donde trata de los más diversos temas, que tienen muy poco que ver con su obra principal, pero que le dan una cierta popularidad al ser los más leídos de sus libros. Al final de sus días Schopenhauer gozó del reconocimiento que tanto buscó y que le fue esquivo.

Schopenhauer siguió los cursos de Fichte en Berlín varios años y como “el fanfarrón”, así lo llama, parte y depende también de Kant.

Así, ambos reconocen que el mérito inmortal de la crítica kantiana de la razón es haber establecido, de una vez y para siempre, que los entes, el mundo de las cosas que percibimos por los sentidos y reproducimos en el espíritu, no es el mundo en sí sino nuestro mundo, un producto de nuestra organización psicofísica.

La clara distinción en Kant entre sensibilidad y entendimiento pero donde el entendimiento no puede separarse realmente de los sentidos y refiere a una causa exterior la sensación que aparece bajo las formas de espacio y tiempo, viene a explicar a los entes, las cosas como fenómenos pero no como “cosas en sí”.

Muy acertadamente observa Silvio Maresca que: “Ante sus ojos- los de Schopenhauer- el romanticismo filosófico y el idealismo (Fichte-Hegel) que sucedieron casi enseguida a la filosofía kantiana, constituían una tergiversación de ésta. ¿Por qué? Porque abolían lo que según él era el principio fundamental: la distinción entre los fenómenos y la cosa en sí”.[2]

Fichte a través de su Teoría de la ciencia va a sostener que el no-yo (los entes exteriores) surgen en el yo legalmente pero sin fundamento. No existe una tal cosa en sí. El mundo sensible es una realidad empírica que está de pie ahí. La ciencia de la naturaleza es necesariamente materialista. Schopenhauer es materialista, pero va a afirmar: Toda la imagen materialista del mundo, es solo representación, no “cosa en sí”. Rechaza la tesis que todo el mundo fenoménico sea calificado como un producto de la actividad inconciente del yo. ¿Que es este mundo además de mi representación?, se pregunta. Y responde que se debe partir del hombre que es lo dado y de lo más íntimo de él, y eso debe ser a su vez lo más íntimo del mundo y esto es la voluntad. Se produce así en Schopenhauer un primado de lo práctico sobre lo teórico.

La voluntad es, hablando en kantiano “la cosa en sí” ese afán infinito que nunca termina de satisfacerse, es “el vivir” que va siempre al encuentro de nuevos problemas. Es infatigable e inextinguible.

La voluntad no es para el pesimista de Danzig la facultad de decidir regida por la razón como se la entiende regularmente sino sólo el afán, el impulso irracional que comparten hombre y mundo. “Toda fuerza natural es concebida per analogiam con aquello que en nosotros mismos conocemos como voluntad”.

Esa voluntad irracional para la que el mundo y las cosas son solo un fenómeno no tiene ningún objetivo perdurable sino sólo aparente (por trabajar sobre fenómenos) y entonces todo objetivo logrado despierta nuevas necesidades (toda satisfacción tiene como presupuesto el disgusto de una insatisfacción) donde el no tener ya nada que desear preanuncia la muerte o la liberación.

Porque el más sabio es el que se percata que la existencia es una sucesión de sin sabores que no conduce a nada y se desprende del mundo. No espera la redención del progreso y solo practica la no-voluntad.

El pesimista de Danzig al identificar la voluntad irracional con la “cosa en sí” puede afirmar sin temor que “lo real es irracional y lo irracional es lo real” con lo que termina invirtiendo la máxima hegeliana “todo lo racional es real y todo lo real es racional”. Es el primero del los golpes mortales que se le aplicará  al racionalismo iluminista, luego vendrá Nietzsche y más tarde Scheler y Heidegger. Pero eso ya es historia conocida. Salute.

 

Post Scriptum: 

Schopenhauer en sus últimos años- que además de hablar correctamente en italiano, francés e inglés, hablaba, aunque con alguna dificultad, en castellano. La hispanofilia de Schopenhauer se reconoce en toda su obra pues cada vez que cita, sobre todo a Baltasar Gracián (1601-1658), lo hace en castellano. Aprendió el español para traducir el opúsculo Oráculo manual (1647). También cita a menudo El Criticón a la que considera “incomparable”. Existe actualmente en Alemania y desde hace unos quince años una revista de pensamiento no conformista denominada “Criticón”. También cita y traduce a Calderón de la Barca.

Miguel de Unamuno fue el primero que realizó algunas traducciones parciales del filósofo de Danzig, como corto pago para una deuda hispánica con él. En Argentina ejerció influencia sobre Macedonio Fernández y sobre su discípulo Jorge Luis Borges. Tengo conocimiento de dos buenos artículos sobre Schopenhauer en nuestro país: el del cura Castellani (Revista de la Universidad de Buenos Aires, cuarta época, Nº 16, 1950) y el mencionado de Maresca.

 

(*) alberto.buela@gmail.com   www.disenso.org



[1] Castellani, Leonardo: Schopenhaue, en Revista de la Universidad de Buenos Aires, cuarta época, Nº 16, 1950, pp.389-426

[2] Maresca, Silvio: En la senda de Nietzsche, Catálogos, Buenos Aires, 1991, p. 20

mardi, 05 octobre 2010

Schopenhauer, philosophe de la volonté

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Schopenhauer, philosophe de la volonté et archétype du solitaire méprisant la politique

 

 Baal MÜLLER :

 

 

Il y a 150 ans mourrait Arthur Schopenhauer

 

« L’absence d’esprit prend toutes les formes pour se dissimuler : elle se camoufle en pathos, en emphase ; elle prend le ton de la supériorité et se donne des grands airs et tout cela de cent autres façons »

 

Arthur Schopenhauer (1788-1860).

 

La philosophie allemande classique du 19ème siècle peut se subdiviser, grosso modo, en deux courants majeurs qui, tous deux, commencent avec Kant. Celui-ci avait accompli dans sa « Critique de la raison pure » une « révolution copernicienne » passant ainsi de l’ontologie à la théorie de la connaissance ; il avait aussi affirmé que la capacité humaine de connaître était intrinsèquement liée aux formes de la représentation que sont le temps et l’espace, d’une part, les douze catégories de la raison, d’autre part, parmi lesquelles le principe de causalité. Pour faire en sorte que la raison ne produise pas elle-même ces propres objets, Kant s’était vu contraint d’accepter une « chose en soi » transcendantale, qui, pour le sujet connaissant, n’était pas connaissable au-delà de cet appareil fonctionnel.

 

Côté subjectif de ce monde coupé en deux par Kant, nous trouvons vers 1800 la philosophie idéaliste, qui culminera dans les grands systèmes de Hegel et de Schelling, puis, sous le signe du matérialisme, sera poursuivie par Marx et Engels. L’autre courant est moins visible, il est plutôt souterrain et cherche à saisir la face objective, en dépit de la césure kantienne. Ce courant-là commence avec Arthur Schopenhauer et nous amène, au-delà de Nietzsche, vers la modernité, une modernité qui n’est pas seulement philosophique.

 

Schopenhauer, né le 22 février 1788 à Danzig dans le foyer d’un négociant, est un penseur et une personnalité de la transition. Selon la tradition philosophique allemande, et surtout selon cet idéalisme allemand contre lequel il engage la polémique, Schopenhauer participe lui aussi à cette volonté de systématiser, c’est-à-dire de chercher à expliquer les principes métaphysiques du monde en un seul ouvrage : en effet, c’est ce qu’il tentera de faire dans son ouvrage principal, « Die Welt als Wille und Vorstellung » (= « Le monde comme volonté et comme représentation »), dont le premier volume paraît dès 1819 et dont le second ne paraitra qu’en 1844. Il amorce ses réflexions au départ du principe fondamental de Kant, celui de la subjectivité de la faculté de connaître, et le soumet à une métaphysique volontariste, dans la mesure où il identifie la « chose en soi » avec la volonté, qu’il interprète comme une pulsion d’existence, agissant derrière tous les phénomènes. Contrairement à l’usage habituel, il entend la volonté comme un principe irrationnel, que l’on n’expérimente pas seulement lorsque l’on procède à une analyse introspective de soi et, partant, comme une pulsion vitale et sexuelle, mais qui se manifeste, compénétrante, à travers la nature toute entière voire aussi dans le déroulement causal non vivant.

 

En dépit du caractère universel de la volonté qui se combat elle-même éternellement par le truchement des phénomènes qu’elle génère et qui détermine ainsi tout élan individuel de volonté, comme l’explique Schopenhauer dans un écrit de 1839, qui lui vaut un prix de la Société Royale Norvégienne des Sciences, et qui a pour titre « Über die Freiheit des menschlichen Willens » (= « De la liberté de la volonté humaine »), eh bien, en dépit de cela, il existe tout de même deux portes dérobées par lesquelles l’homme peut se dégager de la souffrance que lui inflige le monde : l’une est constituée par la morale, l’autre par l’esthétique. Par empathie avec les autres créatures souffrantes, l’homme peut dépasser son isolement apparent et reconnaître la même volonté de vivre (et en fin de compte se reconnaître lui-même) en tous les autres êtres, ce que Schopenhauer exprime par les mots « tat twam asi » (« cela, tu es »), empruntés aux Upanishads de l’Inde ancienne. Dans son éthique de la compassion, qu’il explicite dans « Über das Fundament der Moral » (= « Du fondement de la morale »), il se tourne, de manière radicale, contre l’impératif catégorique de son maître Kant, dont il mésinterprète l’appel à toujours penser aux conséquences de sa propre action pour l’universalité (pour la chose publique), comme une obligation à se soumettre à une pensée obéissante à l’autorité. Tout anti-étatiste pourrait, en se soumettant à une telle pensée, considérer que les lois ne sont que contraintes et non par autant de formules dont la validité est universelle.

 

L’autre échappatoire vers le paradis (toutefois sans Dieu) est la « contemplation détachée de tout intérêt » qu’offre la contemplation esthétique : en jouissant d’une œuvre d’art, surtout une œuvre musicale, l’homme peut aussi dépasser le « principium individuationis » et s’unir au fond cosmique de l’univers.

 

Schopenhauer comme précurseur de la psychanalyse freudienne

 

Aujourd’hui on ne juge pas tant l’importance de Schopenhauer à la teneur de ses principales idées philosophiques qu’à ses multiples influences postérieures. De son vivant, son ouvrage principal n’a quasiment pas été pris en considération. Il a fallu attendre le dernier tiers du 19ème siècle, donc après la mort de Schopenhauer, pour assister à une réception de son œuvre d’une rare intensité. Schopenhauer a amorcé ses réflexions philosophiques à l’époque dite des « Biedermeier » en Allemagne ; dans sa jeunesse, il a encore connu Goethe. Sa mère, Johanna Schopenhauer, écrivait des romans et tenait un salon littéraire à Weimar. Sa célébrité posthume, Schopenhauer la doit au fait qu’il fut un contemporain de Richard Wagner, dont « L’Anneau des Nibelungen » avait été fortement imprégné par la pensée de notre philosophe. Il la doit également à Friedrich Nietzsche qui, dans ses « Considérations inactuelles », évoque « Schopenhauer comme éducateur » et fait l’éloge de sa « volonté de vérité » et de son pessimisme héroïque. C’est justement au départ de cette réflexion nietzschéenne sur Schopenhauer qu’un filon s’amorce en direction de la critique révolutionnaire/conservatrice du vingtième siècle. En effet, l’archétype du solitaire et du précepteur oisif, méprisant la politique, se repère dans le philosophe grognon des « Considération d’un apolitique » de Thomas Mann. Celui-ci reconnaît encore sa dette à l’endroit de Schopenhauer dans quelques-uns de ces récits, dont la nouvelle « Tobias Mindernickel », où il traite de l’éthique de notre philosophe.

 

L’œuvre de Schopenhauer a eu un impact considérable sur des écrivains aussi importants que Hermann Hesse, Samuel Beckett et Thomas Bernhard. Dans l’univers des philosophes, l’impact a d’abord été moindre et ce sont, dans un premier temps, des figures marginales du monde universitaire du début du 20ème siècle qui se sont intéressées à lui : songeons à Georg Simmel et à Max Scheler qui, tous deux, font démarrer leurs réflexions à la suite de Schopenhauer. La plupart du temps, les philosophes universitaires l’ont considéré d’abord, et souvent à raison, comme un disciple original de Kant ou comme un précurseur de Nietzsche. Certes, il fut l’un des principaux précurseurs de Nietzsche mais il fut surtout l’une des principales figures anticipatrices de la psychanalyse. La réduction freudienne de la vie sentimentale à la pulsion sexuelle se retrouve, bien avant Freud, dans l’œuvre de Schopenhauer, et sans la moindre ambiguïté. Dans la conception schopenhauerienne de la volonté comme une puissance irrationnelle dépassant la conscience individuelle, nous trouvons les prémisses essentielles de l’inconscient collectif de Carl Gustav Jung.

 

Schopenhauer nous a transmis aussi la sagesse indienne, ce qui ne fut pas le moindre de ses mérites. Le premier contact qu’il a eu avec l’univers mental indien date de 1813, lorsqu’il séjournait à Weimar et qu’il y rencontra pour la première fois l’orientaliste Friedrich Majer, disciple de Herder. Sous l’influence des études de Majer, Schopenhauer finit par se considérer comme « le premier bouddhiste d’Europe ». Ainsi débuta l’histoire d’une méprise créatrice, comparable à l’interprétation quiétiste de l’antiquité classique, dont on vantait « la noble simplicité et la grandeur tranquille ». Les conséquences de cette méprise résident surtout dans une interprétation fausse du bouddhisme comme nihilisme, un nihilisme qui reposerait sur une rétention vis-à-vis de tout agir et verrait le but le plus élevé de l’existence dans une immersion dans le « néant ». On a vu l’effet de cette mésinterprétation du bouddhisme sévir dans la décennie qui suivit la Grande Guerre, où régnait une ambiance de déclin, comme, plus tard, dans la vogue bouddhiste qui se retrouve en Occident jusque aujourd’hui.

 

Petit bourgeois réactionnaire et ennemi des bourgeois étriqués

 

Schopenhauer_mit_Pudel.jpgSchopenhauer est lié à son temps quand il exprime son système philosophique basé sur la volonté ; il l’est également dans l’insouciance relative dont il fait montre à l’endroit de toute recherche empirique, ainsi que dans sa prétention à pouvoir présenter une interprétation générale du monde qui sera à jamais irréfutable. Mais les impulsions qui partent de son œuvre pour aboutir à notre temps sont fort nombreuses. Parmi elles : son « habitus » non académique de philosophe artiste et de littérateur. Il y a aussi son attitude ambivalente face à la classe bourgeoise : d’une part, Schopenhauer est très nettement un petit bourgeois réactionnaire qui méprise la période prérévolutionnaire d’avant 1848, le « Vormärz » ; d’autre part, en tant que demi bohémien, il est un ennemi de la mentalité bourgeoise étriquée (le « Spiessertum »), qui se manifeste surtout dans l’institution du mariage, cible de sarcasmes perpétuels pour ce misogyne grognon et animé par ses pulsions. Pour s’assurer un certain équilibre émotionnel, notre célibataire endurci s’est flanqué pendant toute sa vie d’un compagnon canin, un caniche : dès que l’un de ces animaux favoris mourrait, il s’en procurait un nouveau qu’il baptisait invariablement « Atman », comme tous ses prédécesseurs. Ce nom signifiait en sanskrit « souffle de vie » ou « âme individuelle », car, croyait-il, il y avait, actif, dans chaque caniche un seul et même principe de vie, le « Pudels Kern », le « noyau du caniche ».

Arthur Schopenhauer meurt le 21 septembre 1860, comme un vieil original, peu célèbre et bizarre, à Francfort sur le Main, ville où, après ses années de pérégrination et d’études, il s’était fixé pour y passer la seconde moitié de sa vie. Quelques années après son passage de vie à trépas, Léon Tolstoï le nomme « le plus génial de tous les hommes ».

 

Baal MÜLLER.

(article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°38/2010 ; http://www.jungefreiheit.de/ ).