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lundi, 27 février 2017

En présence de Schopenhauer, de Michel Houellebecq

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En présence de Schopenhauer, de Michel Houellebecq

par Francis Richard

Ex: http://www.francisrichard.net 

Michel Houellebecq a 25, 26 ou 27 ans - l'âge importe peu - quand il emprunte, dans une bibliothèque, Aphorismes sur la sagesse dans la vie d'Arthur Schopenhauer: en quelques minutes tout a basculé... Il cherche alors, et trouve, un exemplaire du Monde comme volonté et comme représentation.

Depuis, Houellebecq a évolué - il est devenu positiviste après avoir découvert dix ans plus tard un autre philosophe, Auguste Comte. Cependant l'attitude intellectuelle de Schopenhauer reste pour lui un modèle pour tout philosophe à venir. C'est pourquoi il éprouve à son égard un profond sentiment de gratitude.

Pour exprimer cette gratitude Houellebecq a achevé cet essai entrepris en 2005, où il commente ses passages favoris de Schopenhauer, qu'il a traduits lui-même. Sa préfacière, Agathe Novak Lechevallier, a raison de dire que, ce faisant, il fait apparaître l'oeuvre du philosophe comme une formidable machine à penser.

Il est vrai qu'il n'est pas besoin d'être d'accord avec quelqu'un pour que ce qu'il dit donne à penser. Ainsi Houellebecq n'a-t-il pas de mots assez durs contre le libéralisme. Ce n'est pas une raison pour ne pas s'intéresser à ce qu'il a pensé à un moment de sa vie et à ce qu'il pense aujourd'hui, d'autant que cela éclaire son oeuvre.

Houellebecq relit peu Comte et ne connaît pas de lecture de philosophe aussi immédiatement agréable et réconfortante que celle de Schopenhauer. Ce n'est certainement pas le fait de son art d'écrire: Nietzsche parle à raison de son espèce de bonhommie bourrue qui vous donne le dégoût des élégants et des stylistes.

Quand Schopenhauer commence un livre par: Le monde est ma représentation, Houellebecq commente: L'origine première de toute philosophie est la conscience d'un écart, d'une incertitude dans notre connaissance du monde. Pour devenir le philosophe de la volonté, Schopenhauer utilise l'approche, inhabituelle chez un philosophe, de la contemplation esthétique:

Le point originel, le point générateur de toute création consiste dans une disposition innée - et, par là même, non enseignable - à la contemplation passive et comme abrutie du monde. L'artiste est toujours quelqu'un qui pourrait tout aussi bien ne rien faire, se satisfaire de l'immersion dans le monde, et d'une rêverie associée.

Ainsi le poète se singularise-t-il: L'accessoire est que le poète est semblable aux autres hommes (et, s'il était vraiment original, sa création aurait peu de prix); l'essentiel, c'est que, seul parmi les hommes faits, il conserve une faculté de perception pure qu'on ne rencontre habituellement que dans l'enfance, la folie, ou dans la matière des rêves.

Ainsi la beauté n'est-elle pas une propriété appartenant à certains objets du monde, à l'exclusion des autres; ce n'est donc pas une compétence technique qui peut produire son apparition; elle suit par contre toute contemplation désintéressée. Ce qu'il [Schopenhauer] exprime, encore plus brutalement par la phrase:

"Dire qu'une chose est belle, c'est exprimer qu'elle est l'objet de notre contemplation esthétique."

L'absurdité de l'existence? Ce n'est pas seulement, ce n'est même pas surtout l'activité de l'homme qui porte le signe du néant: la nature entière est un effort illimité, sans trêve ni but; "tout n'est que vanité et poursuite du vent". Et il cite un passage de Schopenhauer qui l'illustre, qu'il dédie aux écologistes, et qui se termine ainsi:

"Pourquoi ces scènes d'épouvante? À cela il n'y a qu'une seule réponse: ainsi s'objective le vouloir-vivre."

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Selon Schopenhauer, qui emploie souvent des métaphores théâtrales pour faire comprendre ses propos, il est trois méthodes employées par un poète pour décrire la survenance d'un grand malheur, le seul élément indispensable à la tragédie:

- l'exceptionnelle méchanceté d'un personnage artisan de ce malheur

- le destin aveugle qui frappe les personnages

- la simple situation des personnages l'un à l'égard de l'autre.

C'est cette dernière méthode qui a sa préférence: Elle ne nous montre pas le malheur le plus extrême comme une exception, ni comme quelque chose qui est amené par des circonstances exceptionnelles ou des caractères monstrueux, mais comme une chose qui provient aisément, comme de soi-même, presque nécessairement, de la conduite et du caractère des hommes, et par là nous le rend effroyablement proche.

Comment conduire son existence dans un tel monde, absurde, où le malheur n'épargne personne et où toutefois existent des petits moments de bonheur imprévu, des petits miracles?

Dans Aphorismes sur la sagesse dans la vie, Schopenhauer trouvait l'énergie nécessaire pour énoncer des banalités et des évidences, lorsqu'il les croyait justes; il a systématiquement placé la vérité au-dessus de l'originalité; pour un individu de son niveau, c'était loin d'être facile.

Schopenhauer fait ainsi ce constat fataliste: Les jouissances les plus élevées, les plus variées et les plus durables sont celles de l'esprit, bien que nous nous y trompions tellement pendant notre jeunesse; celles-ci dépendent surtout de la puissance innée de notre esprit; il est donc facile de voir à quel point notre bonheur dépend de ce que nous sommes, alors qu'on ne tient compte le plus souvent que de notre destin, de ce que nous avons ou de ce que nous représentons.

Il précise: Le destin peut s'améliorer; et, lorsqu'on possède la richesse intérieure, on n'attendra pas grand-chose de lui; mais jusqu'à sa fin un benêt reste un benêt, un abruti reste un abruti, fût-il au paradis et entouré de houris.

Est-ce bien certain?

Francis Richard

En présence de Schopenhauer, Michel Houellebecq, 96 pages L'Herne

Livres précédents chez Flammarion:

Soumission (2015)

Configuration du dernier rivage (2013)

La carte et le territoire (2010)

dimanche, 28 février 2016

Schopenhauer, principe d’inertie et totalitarisme

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Schopenhauer, principe d’inertie et totalitarisme

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
Ex: http://www.lesobservateurs.ch
 

Pas de philosophe plus sombre que Schopenhauer. Maupassant l’appelait le plus grand saccageur de rêve qui ait passé sur la terre. Pour Schopenhauer en effet, nous sommes mus par une force impersonnelle qui ne nous conduit nulle part et que nous ne pouvons pas comprendre. Mais nous croyons comprendre cette force en nous forgeant des représentations qui nous donnent l’illusion de vouloir par nous-mêmes, d’aimer par nous-mêmes, d’aller quelque part ! En réalité, pour Schopenhauer nous n’allons nulle part, nous ne voulons pas vraiment ce que nous croyons vouloir et, surtout, nous n’aimons pas. Lorsqu’un homme s’approche d’une femme qu’il dit aimer, il est en réalité l’instrument d’une force qui le dépasse et qui va simplement l’amener à perpétuer la race humaine par accouplement puis procréation. Difficile d’être plus cynique !

Schopenhauer est le premier à avoir dit cela, mais aujourd’hui, me semble-t-il, presque tout le monde le dit. Combien de fois n’avons-nous pas entendu quelqu’un s’exclamer ? « Je ne crois pas en Dieu mais en une grande force qui nous dépasse ! » Schopenhauer applaudirait. C’est cette grande force qui nous pousserait à nous reproduire, à travailler, à voyager, bref à vivre. Elle nous pousserait, littéralement, ne nous demanderait rien et, surtout, ne nous amènerait nulle part. Elle n’aurait pas de finalité. Elle serait là, indifférente, telle une énorme machine qui ferait tourner l’humanité, le cosmos, les nuages.

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Jusqu’à aujourd’hui, jamais les hommes n’ont vu le cosmos et les nuages comme une immense machine. C’est seulement maintenant, avec la cop21 entre autres, que cette vision s’est plus ou moins imposée. Est-ce à Schopenhauer que nous devons cette triste et mécanique vision de l’univers ?

Oui et non ! Il a donné un coup de pouce, mais seulement un coup de pouce. Tout était déjà en place pour l’éclosion d’une philosophie désenchantée comme la sienne. C’est en effet la science moderne qui, trois siècles avant Schopenhauer, a construit le socle sur lequel ce désenchantement s’est édifié. Ce socle, c’est le principe d’inertie et c’est très simple à comprendre.

En mars 1641, un prêtre de Digne, passionné de science et contemporain de Descartes, monte sur un vaisseau dans le port de Marseille. Lorsque ce vaisseau parvient à une vitesse élevée, un marin monte au sommet du mât et lâche un boulet de canon qui tombe exactement au pied du mât. Gassendi en conclut que ce boulet serait tombé exactement de la même manière s’il avait été lâché dans la galère amarrée au port et donc parfaitement immobile. Il n’y a pas de différence entre le mouvement et le repos. C’était la vérification expérimentale du principe d’inertie déjà esquissé par Galilée.

Un corps au repos ne va nulle part, ne manifeste aucune intention, ne s’inscrit dans aucune finalité.  Et donc, s’il n’y a plus de différence entre mouvement et repos, un corps en mouvement, lui non plus, ne manifeste aucune intention. La physique moderne est née : rien de ce qui bouge, dans l’univers, n’a de finalité, de but, de terme. La vie elle-même ne va nulle part. Ce qu’expliquera Darwin deux siècles plus tard.

A ce point nous retrouvons Schopenhauer qui, pour le dire un peu méchamment, ne fait qu’expliciter les ultimes conséquences du principe d’inertie. Ce n’est plus seulement une boule de canon qui ne manifeste aucune intention, mais tout ce qui bouge, tout ce qui vit. Et moi-même qui bouge, je ne vais nulle part. Tout est absurde. Il n’y a plus rien à vouloir, à poursuivre.

Pouvons-nous donner notre adhésion à une telle vision de l’univers et de l’humanité ? Oui, si nous considérons les hommes de science comme des nouveaux prophètes qui nous disent ce qu’il faut penser. Oui, si nous considérons la science comme une religion.

Mais non, pour tous ceux qui n’aiment pas que les hommes de science leur disent comment il faut penser. Il ne s’agit pas de contester le principe d’inertie, mais de voir que son application est limitée à des corps inertes.

Hélas, nombreux sont ceux qui ne veulent pas voir cette limite. Pour eux, il n’y a que des corps inertes qui n’ont pas de volonté, ne poursuivent rien. Ils sont poussés de-ci de-là. L’idée de tels corps fait saliver tous ceux qui sont avides de puissance et de contrôle. Car un corps qui ne poursuit rien, un corps sans intention, est aussi un corps manipulable à partir d’un centre de contrôle.

C’est à partir de là qu’on commence à comprendre ce qu’est le totalitarisme. Il n’est pas une dictature qui vise à soumettre toutes les volontés à une seule. Il est la réduction des êtres humains à des choses « schopenhaueriennes », inertes, sans volonté et sans projet. Alors, on peut tout contrôler.

Aujourd’hui, nous sommes emportés dans un grand mouvement visant un tel contrôle, à une gestion universelle. Même les individus veulent gérer leur vie. Où cela va-t-il nous conduire. Nous ne le savons pas. Dès lors, inutile de trop s’angoisser.

Jan Marejko, 26. 2. 2016

00:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, arthur schopenhauer, schopenhauer | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 02 septembre 2011

La critica a "la cosa en si"

La crítica a “la cosa en sí”

(Schopenhauer-Brentano-Scheler)

 

Alberto Buela (*)

 

La aparición de Kant (1724-1804) en la historia de la filosofía ha sido caracterizada, no sin razón, como la revolución copernicana de la disciplina. Y así como con Copérnico el sol se transformó en centro del universo desplazando a la tierra, así con Kant la filosofía en el problema del conocimiento dejó de considerar al sujeto un ente pasivo para otorgarle actividad. El mundo dejo de ser el mundo para ser “mi mundo”. El mundo es la representación que el sujeto tiene de él.

Pero Kant fue más allá y concibió a los entes siendo fenómenos para la gnoseología y noúmenos para la metafísica. Es decir, los entes nos ofrecen lo que podemos conocer pero además poseen un “en sí” ignoto. Y acá Kant comete el más grande y profundo error que produce la metafísica moderna: afirmar que existe “la cosa en sí”.

Ya Fichte(1762-1814), en vida de Kant y entrevistándose con él le dijo: ¿cómo puedo sostener, sin contradicción, la existencia de “la cosa en sí”, si al mismo tiempo no puedo conocerla?. Kant lo despachó con cajas destempladas.

Luego vino Schopenhauer (1788-1860) y demostró que la cosa en sí es la voluntad y el mundo no es otra cosa que voluntad y representación. La representación que nos hacemos de los fenómenos y la voluntad que es su fundamento. En forma inteligente y profunda, el solitario de Danzig,  no fue contra todo Kant sino contra la parte espuria y errónea de su filosofía.

Se produce en el ínterin una especie de suspensión del pensamiento filosófico clásico con la aparición, cada uno en su estilo, de Feuerbach(1804-1872), A.Ruge(1802-1880), Marx(1818-1883), Stirner(1806-1856), Bauer(1809-1882), Kierkegaard (1813-1855), Nietzsche (1844-1900) donde el tema principal de la metafísica, “la cosa en sí o el ente en tanto ente” , es dejado de lado.

Pero resulta que hay un filósofo en el medio. Ignorado, silenciado, postergado, no comprendido.  El hombre más inteligente, profundo y cautivador de su tiempo, Franz Brentano (1838-1917), que se da cuenta y entonces va a afirmar que el ser último de la conciencia es “ser intencional” y que dicha intencionalidad nos revela que el objeto no tiene una existencia en una zona allende, en una realidad independiente, sino que existe en tanto que hay acto psíquico como correlato de éste. De modo que el objeto es concebido como fenómeno, pero el ente es una realidad sustancial que está allí y que tiene existencia independiente del sujeto cognoscente. Es lo evidente, y lo evidente no necesita prueba, pues todo lo que es, es y lo que no es, no es.

Muchos años después, Heidegger (1889-1976) en carta el P. Richardson  le cuenta que se inició en filosofía leyendo a Brentano y que su Aristóteles sigue siendo el de Brentano. Y que, “lo que yo esperaba de Husserl era las respuestas a las preguntas suscitadas por Brentano”.

Finalmente Max Scheler (1874-1928), discípulo de E. Husserl que lo fue, a su vez, de Brentano, es el que ofrece una respuesta total y definitiva al falso problema planteado por Kant cuando en uno de sus últimos trabajos afirma: “Ser real es mas bien, ser resistencia frente a la espontaneidad originaria, que es una y la misma en todas las especies del querer y del atender”. La cosa en sí no existe como tal sino que es el impulso de resistencia que el ente nos ofrece cuando actuamos sobre él.

Curiosamente en Heidegger, donde uno esperaría encontrar una crítica furibunda a la cosa en sí, no sólo no se encuentra sino que en el texto emblemático sobre el asunto, Kant y el problema de la metafísica, que para mayor curiosidad dedica a Max Scheler, aparece una aceptación explícita cuando hablando del objeto trascendental igual X afirma: “X es un “algo”, sobre el cual, en general, nada podemos saber…”ni siquiera” puede convertirse en objeto posible de un saber” [1]. ¿No se aplica acá, la objeción de Fichte a Kant?. ¿Será por esto que en las conversaciones de Davos, en torno a Kant, Ernst Cassirer afirmó: “Heidegger es un neokantiano como jamás lo hubiera imaginado de él”.

 

                         I- Schopenhauer: el primer golpe a la Ilustración

 

 

En Arturo Schopenhauer (1788-1860) toda su filosofía se apoya en Kant y forma parte del idealismo alemán pero lo novedoso es que sostiene dos rasgos existenciales antitéticos con ellos: es un pesimista  y no es un profesor a sueldo del Estado. Esto último deslumbró a Nietzsche.

Hijo de un gran comerciante de Danzig, su posición acomodada lo liberó de las dos servidumbres de su época para los filósofos: la teología protestante o la docencia privada. Se educó a través de sus largas estadías en Inglaterra, Francia e Italia (Venecia). Su apetito sensual, grado sumo, luchó siempre la serena  reflexión filosófica. Su soltería y misoginia nos recuerda el tango: en mi vida tuve muchas minas pero nunca una mujer. En una palabra, conoció la hembra pero no a la mujer.

Ingresa en la Universidad de Gotinga donde estudia medicina, luego frecuenta a Goethe, sigue cursos en Berlín con Fichte y se doctora en Jena con una tesis sobre La cuádruple raíz del principio de razón suficiente en 1813.

En 1819 publica su principal obra El mundo como voluntad y representación y toda su producción posterior no va a ser sino un comentario aumentado y corregido de ella. Nunca se retractó de nada ni nunca cambió. Obras como La voluntad en la naturaleza (1836),  Libertad de la voluntad (1838), Los dos problemas fundamentales de la ética (1841) son simples escolios a su única obra principal.

Sobre él ha afirmado el genial Castellani: “Schopen es malo, pero simpático. No fue católico por mera casualidad. Y fue lástima porque tenía ala calderoniana y graciana, a quienes tradujo. Pero fue  “antiprotestante” al máximo, como Nietzsche, lo cual en nuestra opinión no es poco…Tuvo dos fallas: fue el primer filósofo existencial sin ser teólogo y quiso reducir a la filosofía aquello que pertenece a la teología” [2]

En 1844 reedita su trabajo cumbre, aunque no se habían vendido aun los ejemplares de su primera edición, llevando los agregados al doble la edición original.

Nueve años antes de su muerte publica dos tomos pequeños Parerga y Parilepómena, ensayos de acceso popular donde trata de los más diversos temas, que tienen muy poco que ver con su obra principal, pero que le dan una cierta popularidad al ser los más leídos de sus libros. Al final de sus días Schopenhauer gozó del reconocimiento que tanto buscó y que le fue esquivo.

Schopenhauer siguió los cursos de Fichte en Berlín varios años y como “el fanfarrón”, así lo llama, parte y depende también de Kant.

Así, ambos reconocen que el mérito inmortal de la crítica kantiana de la razón es haber establecido, de una vez y para siempre, que los entes, el mundo de las cosas que percibimos por los sentidos y reproducimos en el espíritu, no es el mundo en sí sino nuestro mundo, un producto de nuestra organización psicofísica.

La clara distinción en Kant entre sensibilidad y entendimiento pero donde el entendimiento no puede separarse realmente de los sentidos y refiere a una causa exterior la sensación que aparece bajo las formas de espacio y tiempo, viene a explicar a los entes, las cosas como fenómenos pero no como “cosas en sí”.

Muy acertadamente observa Silvio Maresca que: “Ante sus ojos- los de Schopenhauer- el romanticismo filosófico y el idealismo (Fichte-Hegel) que sucedieron casi enseguida a la filosofía kantiana, constituían una tergiversación de ésta. ¿Por qué? Porque abolían lo que según él era el principio fundamental: la distinción entre los fenómenos y la cosa en sí”.[3]

Fichte a través de su Teoría de la ciencia va a sostener que el no-yo (los entes exteriores) surgen en el yo legalmente pero sin fundamento. No existe una tal cosa en sí. El mundo sensible es una realidad empírica que está de pie ahí. La ciencia de la naturaleza es necesariamente materialista. Schopenhauer es materialista, pero va a afirmar: Toda la imagen materialista del mundo, es solo representación, no “cosa en sí”. Rechaza la tesis que todo el mundo fenoménico sea calificado como un producto de la actividad inconciente del yo. ¿Que es este mundo además de mi representación?, se pregunta. Y responde que se debe partir del hombre que es lo dado y de lo más íntimo de él, y eso debe ser a su vez lo más íntimo del mundo y esto es la voluntad. Se produce así en Schopenhauer un primado de lo práctico sobre lo teórico.

La voluntad es, hablando en kantiano “la cosa en sí” ese afán infinito que nunca termina de satisfacerse, es “el vivir” que va siempre al encuentro de nuevos problemas. Es infatigable e inextinguible.

La voluntad no es para el pesimista de Danzig la facultad de decidir regida por la razón como se la entiende regularmente sino sólo el afán, el impulso irracional que comparten hombre y mundo. “Toda fuerza natural es concebida per analogiam con aquello que en nosotros mismos conocemos como voluntad”.

Esa voluntad irracional para la que el mundo y las cosas son solo un fenómeno no tiene ningún objetivo perdurable sino sólo aparente (por trabajar sobre fenómenos) y entonces todo objetivo logrado despierta nuevas necesidades (toda satisfacción tiene como presupuesto el disgusto de una insatisfacción) donde el no tener ya nada que desear preanuncia la muerte o la liberación.

Porque el más sabio es el que se percata que la existencia es una sucesión de sin sabores que no conduce a nada y se desprende del mundo. No espera la redención del progreso y solo practica la no-voluntad.

El pesimista de Danzig al identificar la voluntad irracional con la “cosa en sí” puede afirmar sin temor que “lo real es irracional y lo irracional es lo real” con lo que termina invirtiendo la máxima hegeliana “todo lo racional es real y todo lo real es racional”. Es el primero del los golpes mortales que se le aplicará  al racionalismo iluminista, luego vendrá Nietzsche y más tarde Scheler y Heidegger. Pero eso ya es historia conocida. Salute.

 

Post Scriptum: 

Schopenhauer en sus últimos años- que además de hablar correctamente en italiano, francés e inglés, hablaba, aunque con alguna dificultad, en castellano. La hispanofilia de Schopenhauer se reconoce en toda su obra pues cada vez que cita, sobre todo a Baltasar Gracián (1601-1658), lo hace en castellano. Aprendió el español para traducir el opúsculo Oráculo manual (1647). También cita a menudo El Criticón a la que considera “incomparable”. Existe actualmente en Alemania y desde hace unos quince años una revista de pensamiento no conformista denominada “Criticón”. También cita y traduce a Calderón de la Barca.

Miguel de Unamuno fue el primero que realizó algunas traducciones parciales del filósofo de Danzig, como corto pago para una deuda hispánica con él. En Argentina ejerció influencia sobre Macedonio Fernández y sobre su discípulo Jorge Luis Borges. Tengo conocimiento de dos buenos artículos sobre Schopenhauer en nuestro país: el del cura Castellani (Revista de la Universidad de Buenos Aires, cuarta época, Nº 16, 1950) y el mencionado de Maresca.

El último aporte hispano a Schopenhauer es la traducción de los Sinilia, los pensamientos de vejez (1852-1860) con introducción, traducción y notas de Juan Mateu Alonso, en Contrastes, Universidad de Málaga, enero-febrero, 2009.

 

              II- Brentano, el eslabón perdido de la filosofía contemporánea

                                                                                                                   

                                                                                                                    

Su vida y sus influencias [4]

 

Franz Clemens Brentano (1838-1917) es el filósofo alemán de ancestros italianos de la zona de Cuomo, que introduce la noción de intencionalidad en la filosofía contemporánea. Noción que deriva del concepto escolástico de “cogitativa” trabajado tanto por Tomás de Aquino como por Duns Escoto en la baja edad media. Lectores que, junto con Aristóteles, conocía Brentano casi a la perfección y que leía fluidamente en sus lenguas originales.

Se lo considera tanto el precursor de la fenomenología (sus trabajos sobre la intencionalidad de la conciencia)  como de las corrientes analíticas (sus trabajos sobre el lenguaje y los juicios), de la psicología profunda (sus trabajos sobre psicología experimental)  como de la axiología (sus trabajos sobre el juicio de preferencia).

Nació y se crió en el seno de una familia ilustre marcada por el romanticismo social. Su tío el poeta Clemens Maria Brentano(1778-1842) y su tía Bettina von Arnim(1785-1859) se encontraban entre los más importantes escritores del romanticismo alemán y su hermano,  Lujo Brentano, se convirtió en un experto en economía social. De su madre recibió una profunda fe y formación católicas. Estudió matemática, filosofía y teología en las universidades de Múnich, Würzburg, Berlín, y Münster. Siguió los cursos sobre Aristóteles de F. Trendelemburg Tras doctorarse con un estudio sobre Aristóteles en 1862,Sobre los múltiples sentidos del ente en Aristóteles, se ordenó sacerdote católico de la orden dominica en 1864. Dos años más tarde presentó en la Universidad de Würzburg, al norte de Baviera, su escrito de habilitación como catedrático, La psicología de Aristóteles, en especial su doctrina acerca del “nous poietikos”. En los años siguientes dedicó su atención a otras corrientes de filosofía, e iba creciendo su preocupación por la situación de la filosofía de aquella época en Alemania: un escenario en el que se contraponían el empirismo positivista y el neokantismo. En ese periodo estudió con profundidad a John Stuart Mill y publicó un libro sobre Auguste Comte y la filosofía positiva. La Universidad de Würzburg le nombró profesor extraordinario en 1872.

Sin embargo, en su interior se iban planteando problemas de otro género. Se cuestionaba algunos dogmas de la Iglesia católica, sobre todo el dogma de la Santísima Trinidad. Y después de que el Concilio Vaticano I de 1870 proclamara el dogma de la infalibilidad papal, Brentano decidió en 1873 abandonar su sacerdocio. Sin embargo, para no perjudicar más a los católicos alemanes —ya de suyo hostigados hasta  llegar a huir en masa al Volga ruso por la “Kulturkampf” de Bismarck [5]— renunció voluntariamente a su puesto de Würzburg, pero al mismo tiempo, se negó a unirse a los cismáticos “viejos católicos”. Pero sin embargo este alejamiento existencial de la Iglesia no supuso un alejamiento del pensamiento profundo de la Iglesia pues en varios de sus trabajos y en forma reiterada afirmó siempre que: «Hay una ciencia que nos instruye acerca del fundamento primero y último de todas las cosas, en tanto que nos lo permite reconocer en la divinidad. De muchas maneras, el mundo entero resulta iluminado y ensanchado a la mirada por esta verdad, y recibimos a través de ella las revelaciones más esenciales sobre nuestra propia esencia y destino. Por eso, este saber es en sí mismo, sobre todos los demás, valioso. (…) Llamamos a esta ciencia Sabiduría, Filosofía primera, Teología» (Cfr.: Religion und Philosophie, pp.72-73. citado por Sánchez-Migallón).

Se desempeñó luego como profesor en Viena durante veinte años (entre 1874 y 1894), con algunas interrupciones. Franz Brentano fue amigo de los espíritus más finos de la Viena de esos años, entre ellos Theodor Meynert, Josef Breuer, Theodor Gomperz (1832-1912). En 1880 se casó con Ida von Lieben, la hermana de Anna von Lieben, la futura paciente de Sigmund Freud. Indiferente a la comida y la vestimenta, jugaba al ajedrez con una pasión devoradora, y ponía de manifiesto un talento inaudito para los juegos de palabras más refinados, En 1879, con el seudónimo de Aenigmatis, publicó una compilación de adivinanzas que suscitó entusiasmo en los salones vieneses y dio lugar a numerosas imitaciones. Esto lo cuenta Freud en un libro suyo El chiste.

En la Universidad de Viena tuvo como alumnos a Sigmund Freud, Carl Stumpf y Edmund Husserl, Christian von Ehrenfels, introductor del término Gestalt (totalidad), y, discrepa y rechaza la idea del inconsciente descrita y utilizada por Freud. Fue un profesor carismático, Brentano ejerció una fuerte influencia en la obra de Edmund Husserl, Alois Meinong (1853-1921), fundador de la teoría del objeto,  Thomas Masaryk (1859-1937) KasimirTwardowski, de la escuela polaca de lógica y Marty Antón, entre otros, y por lo tanto juega un papel central en el desarrollo filosófico de la Europa central en principios del siglo XX. En 1873, el joven Sigmund Freud, estudiante en la Universidad de Viena, obtuvo su doctorado en filosofía bajo la dirección de Brentano.

El impulso de Brentano a la psicología cognitiva es consecuencia de su realismo. Su concepción de describir la conciencia en lugar de analizarla, dividiéndola en partes, como se hacía en su época, dio lugar a la fenomenología, que continuarían desarrollando Edmund Husserl (1859-1938), Max Scheler (1874-1928), Martín Heidegger (1889-1976), Maurice Merleau-Ponty (1908-1961), además de influenciar sobre el existencialismo de Jean-Paul Sartre (1905-1980) con su negación del inconsciente.

En 1895, después de la muerte de su esposa, dejó Austria decepcionado, en esta ocasión, publicó una serie de tres artículos en el periódico vienés Die Neue Freie Presse : Mis últimos votos por Austria, en la que destaca su posición filosófica, así como su enfoque de la psicología, pero también criticó duramente  la situación jurídica de los antiguos sacerdotes en Austria. In 1896 he settled down in Florence where he got married to Emilie Ruprecht in 1897. En 1896 se instaló en Florencia, donde se casó con Emilie Ruprecht en 1897. Vivió en Florencia casi ciego y, a causa de la primera guerra mundial, cuando Italia entra en guerra contra Alemania, se traslada a Zurich, donde muere en 1917.

Los trabajos que publicaron sus discípulos han sido los siguientes según el orden de su aparición: La doctrina de Jesús y su significación permanente; Psicología como ciencia empírica, Vol. III; Ensayos sobre el conocimiento, Sobre la existencia de Dios; Verdad y evidencia; Doctrina de las categorías, Fundamentación y construcción de la ética; Religión y filosofía, Doctrina del juicio correcto; Elementos de estética; Historia de la filosofía griega; La recusación de lo irreal; Investigaciones filosóficas acerca del espacio, del tiempo y el continuo; La doctrina de Aristóteles acerca del origen del espíritu humano; Historia de la filosofía medieval en el Occidente cristiano; Psicología descriptiva; Historia de la filosofía moderna, Sobre Aristóteles; Sobre “Conocimiento y error” de Ernst March.

 

Lineamientos de su pensamiento

 

Todo el mundo sabe, al menos el de la filosofía, que no se puede realizar tal actividad sino es en diálogo con algún clásico. Es que los clásicos son tales porque tienen respuestas para el presente.  Hay que tomar un maestro y a partir de él comenzar a filosofar. Brentano lo tuvo a Aristóteles, el que le había enseñado Federico Trendelenburg (1802-1872), el gran estudioso del Estagirita en la primera mitad de siglo XIX.

En su tesis doctoral, Sobre los múltiples significados del ente según Aristóteles, que tanto influenciara en Heidegger, distingue cuatro sentidos de “ente” en el Estagirita: el ente como ens per accidens o lo fortuito; el ente en el sentido de lo verdadero, con su correlato, lo no-ente en el sentido de lo falso; el ente en potencia y el ente en acto; y el ente que se distribuye según la sustancia y las figuras de las categorías. De esos cuatro significados, el veritativo abrirá en Brentano el estudio de la intencionalidad. Pero al que dedica con diferencia mayor extensión es al cuarto, el estudio de la sustancia y su modificación, esto es, a las diversas categorías. Esto se debe, en parte, a las discusiones de su tiempo en torno a la metafísica aristotélica. En ellas toma postura defendiendo principalmente dos tesis: primera, que entre los diferentes sentidos categoriales del ente se da una unidad de analogía, y que ésta significa unidad de referencia a un término común, la sustancia segunda, que precisamente esa unidad de referencia posibilita en el griego deducir las categorías según un principio.[6]

Investigó las cuestiones metafísicas mediante un análisis lógico-lingüístico, con lo que se distinguió tanto de los empiristas ingleses como del kantismo académico. Ejerciendo una gran influencia sobre algunos miembros del Círculo de Viena.

En 1874 publica su principal obra Psicología como ciencia empírica, de la que editará tres volúmenes, donde realiza su principal aporte a la historia de la filosofía, su concepto de intencionalidad de la conciencia que tendrá capital importancia para el desarrollo posterior de la fenomenología a través de Husserl y de Scheler.

Sólo lo psíquico es intencional, esto es, pone en relación la conciencia con un objeto. Esta llamada «tesis de Brentano», que hace de la intencionalidad la característica de lo psíquico, permite entender de un modo positivo, a diferencia de lo que no lograba la psicología de aquella época, los fenómenos de conciencia que Brentano distingue entre representaciones, juicios teóricos y  juicios prácticos o emotivos (sentimientos y voliciones).
Todo fenómeno de conciencia es o una representación de algo, que no forzosamente ha de ser un objeto exterior, o un juicio acerca de algo. Los juicios o son teóricos, y se refieren a la verdad y falsedad de las representaciones (juicios propiamente dichos), y su criterio es la evidencia y de ellos trata la epistemología y la lógica; o son prácticos, y se refieren a la bondad o a la maldad, la corrección o incorrección, al amor y al odio (fenómenos emotivos), y su criterio es la «preferencia», la valoración, o «lo mejor», y de ellos trata la ética. Al estudio de la intencionalidad de la conciencia lo llama psicología descriptiva o fenomenología.

En 1889 dicta su conferencia en Sociedad Jurídica de Viena “De la sanción natural de lo justo y lo moral” que aparece publicada luego con notas que duplican su extensión bajo el título de: El origen del conocimiento moral”, trabajo que publicado en castellano en 1927, del que dice Ortega y Gasset, director de la revista de Occidente que lo publica, “Este tratadito, de la más auténtica filosofía, constituye una de las joyas filosóficas que, como “El discurso del método” o la “Monadología”… Puede decirse que es la base donde se asienta la ética moderna de los valores”.

Comienza preguntándose por la sanción natural de lo justo y lo moral. Y hace corresponder lo bueno con lo verdadero y a la ética con la lógica. Así, lo verdadero se admite como verdadero en un juicio, mientras que lo bueno en un acto de amor. El criterio exclusivo de la verdad del juicio es cuando, éste, se presenta como evidente. Pero, paradójicamente, lo evidente, va a sostener siguiendo a Descartes, es el conocimiento sin juicio.

Lo bueno es el objeto y mi referencia puede ser errónea, de modo que mi actitud ante las cosas recibe la sanción de las cosas y no de mí. Lo bueno es algo intrínseco a los objetos amados.

Que yo tenga amor u odio a una cosa no prueba sin más que sea buena o mala. Es necesario que ese amor u odio sean justos. El amor puede ser justo o injusto, adecuado o inadecuado. La actitud adecuada ante una cosa buena es amarla y ante una cosa mala, el odiarla. “Decimos que algo es bueno cuando el modo de referencia que consiste en amarlo es el justo. Lo que sea amable con amor justo, lo digno de ser amado, es lo bueno en el más amplio sentido de la palabra»”.

La ética encuentra su fundamento, según Brentano, en los actos fundados de amor y odio. Y actos fundados quiere decir, que el objeto de ser amado u odiado es digno de ser amado u odiado. El “ajuste” entre el acto de amor u odio al objeto mismo en ética, es análogo, según Brentano, a la “adecuación” que se da en el juicio verdadero entre predicado y objeto.

La diferencia que existe entre uno y otro juicio (el predicamental y el práctico) es que en el práctico puede darse un antítesis (amar un objeto y , pasado el tiempo, odiarlo) mientras que en el lógico o de  representación, no.

Dos meses después el 27 de marzo de 1889 dicta su conferencia Sobre el concepto de verdad, ahora en la Sociedad filosófica de Viena. Esta conferencia es fundamental por varios motivos: a) muestra el carácter polémico de Brentano, tanto con el historiador de la filosofía Windelbang (1848-1915) por tergiversar a Kant,  como a Kant, “cuya filosofía es un error, que ha conducido a errores mayores y, finalmente, a un caos filosófico completo” (cómo no lo van a silenciar luego, en las universidades alemanas, al viejo Francisco). b) Nos da su opinión sin tapujos sobre Aristóteles diciendo: “Es el espíritu científico más poderoso que jamás haya tenido influencia sobre los destinos de la humanidad”. c) Muestra y demuestra que el concepto de verdad en Aristóteles “adecuación del intelecto y la cosa” ha sido adoptada tanto por Descartes como por Kant hasta llegar a él mismo. Pero que dicho concepto encierra un grave error y allí él va a proponer su teoría del juicio.

Diferencia entre juicios negativos y juicios afirmativos. Así en los juicios negativos como: “no hay dragones”, no hay concordancia entre mi juicio y la cosa porque la cosa no existe. Mientras que sólo en los juicios afirmativos, cuando hay concordancia son verdaderos.

el ámbito en que es adecuado el juicio afirmativo es el de la existencia y el del juicio negativo, el de lo no existente”. Por lo tanto “un juicio es verdadero cuando afirma de algo que es, que es; y de algo que no es, niega que sea”.

En los juicios negativos la representación no tiene contenido real, mientras que la verdad de los juicios está condicionada por el existir o ser del la cosa (Sein des Dinges). Así, el ser de la cosa, la existencia es la que funda la verdad del juicio. El “ser del árbol” es lo que hace verdadero al juicio: “el árbol es”.

Y así lo afirma una y otra vez: “un juicio es verdadero cuando juzga apropiadamente un objeto, por consiguiente, cuando si es, se dice que es; y sino es, se dice que no es”.(in fine).

Y desengañado termina afirmando que: “Han transcurrido dos mil años desde que Aristóteles investigó los múltiples sentidos del ente, y es triste, pero cierto, que la mayoría no hayan sabido extraer ningún fruto de sus investigaciones”.

Su propuesta es, entonces, discriminar claramente en el juicio “el ser de la cosa” que  equivalente a ”la existencia”,  de “la cosa” también denominada por Brentano ”lo real”. Existir o existencia,  y ser real o realidad es la dupla de pares que expresan el “ser verdadero” y el “ser sustancial” respectivamente, que él se ocupó de estudiar en su primer trabajo sobre el ente en Aristóteles.

Conviene repetirlo, existir, existencia y ser verdadero vienen a expresar lo mismo: la mostración del ente al pensar. Y la cosa, lo real, el ser sustancial expresan lo mismo: el ente en sí mismo. Vemos como Brentano, liquida definitivamente “la cosa en sí” kantiana.

Aun cuando claramente Brentano muestra como “el objeto no tiene un existencia en la realidad independiente, o más allá del sujeto, sino que existe en tanto que hay un acto psíquico”, y este es el gran aporte a la psicología de Brentano.

Metafísicamente, todo lo que es, es. Y se nos dice también en el sentido de lo verdadero. En una palabra el ser de la cosa se convierte con la verdadero, sin buscarlo Brentano retorna al viejo ens et verum convertuntur de la teoría de los transcendentales del ente.

Y así da sus dos últimos y más profundos consejos:  “Por último, no estaremos tentados nunca de confundir, como ha ocurrido cada vez más, el concepto de lo real y el de lo existente”. Y “podríamos extraer de nuestra investigación otra lección y grabarla en nuestras mentes para siempre…el medio definitivo y eficaz (para realizar un juicio verdadero) consiste siempre en una referencia a la intuición de lo individual de la que se derivan todos nuestros criterios generales”.

No podemos no recordar acá, por la coincidencia de los conceptos y consejos, aquella que nos dejara el primer metafísico argentino, Nimio de Anquín (1896-1979),: “Ir siembre a la búsqueda del ser singular en su discontinuidad fantasmagórica. Ir al encuentro con las cosas en su individuación y  potencial universalidad”.[7]

Franz Brentano es el verdadero fundador de la metafísica realista contemporánea que luego continuarán, con sus respectivas variantes,  Husserl, Scheler, Hartmann y Heidegger.

En el mismo siglo XIX, a propósito de la encíclica Aeterni Patris de 1879 se dará el florecimiento del tomismo, sostenedor también, pero de otro modo, de una metafísica realista.

Siempre nos ha llamado la atención que los mejores filósofos españoles del siglo XX se hayan prestado a ser traductores de los libros de Brentano: José Gáos de su Psicología, Manuel García Morente de su Origen del conocimiento moral, Xavier Zubiri de El provenir de la filosofía, Antonio Millán Puelles de Sobre la existencia de Dios. Y siempre nos ha llamado la atención que no se enseñara Brentano en la universidad.

El problema de Brentano es que ha sido “filosóficamente incorrecto”, pues realizó una crítica feroz y terminante a Kant y los kantianos y eso la universidad alemana no se lo perdonó. Realizó una crítica furibunda a la escuela escolástica católica y eso no se le perdonó. Incluso se levantaron invectivas denunciándolo, que al criticar el concepto de analogía del ser, adoptó él, el de equivocidad. Un siglo después, el erudito sobre Aristóteles, Pierre Aubenque, vino a negar en un libro memorable y reconocido universalmente, Le problème de l´être chez Aristote (1962) la presencia en los textos del Estagirita del concepto de analogía.(si detrás de esto no está la sombra del viejo Francisco, que no valga).

Polemizó con Zeller, con Dilthey, con Herbart, con Sigwart. Criticó, como ya dijimos, a Kant, Descartes, Hume, Hegel, Aristóteles, y a Überweg. No dejó títere con cabeza. Sólo le faltó pelearse con Goethe. Fue criticado por Freud, que se portó con él, como el zorro en el monte, que con la cola borra las huellas por donde anda. Husserl no solo tomó y usufructuó el concepto de intencionalidad sino también el de “retención” que es copia exacta de concepto bentaniano de “asociación original”, pero eso quedó bien silenciado.

Filosóficamente, esta oposición por igual al idealismo kantiano y a la escolástica de su tiempo le valió el silencio de los manuales y la marginalización de su obra de las universidades. Quien quiera comprender en profundidad y conocer las líneas de tensión que corren debajo de las ideas de la filosofía del siglo XX, tiene que leer, forzosamente a Brentano, sino se quedará como la mayoría de los profesores de filosofía, en Babia.

El es el testigo irrenunciable de la ligazón profunda que existe en el desarrollo de la metafísica que va desde Aristóteles, pasa por Tomás de Aquino y Duns Escoto, sigue con él y termina en Heidegger. No al ñudo, el filósofo de Friburgo, realizó su tesis doctoral sobre La doctrina de las categorías y del significado pensando que era de Duns Escoto, cuando después se comprobó que el texto de la Gramática especulativa sobre el que trabajó, pertenecía a Thomas de Erfurt (fl.1325).

La invitación está hecha, seguro que algún buen profesor o algún inquieto investigador  recoge el guante.

 

 

Nota: Bibliografía de F. Brentano en castellano

Psicología (desde el punto de vista empírico), Revista de Occidente, Madrid, 1927

Sobre la existencia de Dios, Rialp, Madrid 1979.

Sobre el concepto de verdad, Ed. Complutense, Madrid, 1998

El origen del conocimiento moral, Revista de Occidente, Madrid 1927. (Tecnos, Madrid 2002).

Breve esbozo de una teoría general del conocimiento, Ed. Encuentro, Madrid 2001.

El porvenir de la filosofía, Revista de Occidente, Madrid 1936

Aristóteles y su cosmovisión, Labor, Barcelona 1951.

Sobre los múltiples significados del ente según Aristóteles, Ed. Encuentro, Madrid 2007

 

Razones del desaliento en filosofía, Ed. Encuentro, Madrid, 2010

 

Existen además, en castellano, trabajos de consulta valiosos sobre su filosofía como los debidos a los profesores Mario Ariel González Porta y  Sergio Sánchez-Migallón Granados.

 

                             III- Max Scheler y el sentido de la realidad

 

                                                                                                                                          

El tema de cómo saber que la realidad exterior existe no ha sido un asunto menor para la filosofía moderna. En general y desde sus primeros tiempos la filosofía  ha desconfiado siempre de los sentidos externos: ya Heráclito sostenía, tirado en la playa: el sol es grande como mi pie.

En la modernidad Descartes: “he experimentado varias veces que los sentidos son engañosos, y es prudente, no fiarse nunca por completo de quienes nos han engañado una vez.” [8] 

Max Scheler trata en tema, específicamente,  en una meditación titulada La metafísica de la percepción y la realidad  que estuvo incluida en uno de sus últimos trabajos Erkenntnis und Arbeit (Conocimiento y trabajo) de 1926.

 

 Es sabido que el fundador de la fenomenología, Edmundo Husserl (1859-1938), maestro de Scheler, se propuso construir una filosofía como ciencia estricta y para ello sostuvo: zu den Sachen selbst (ir a las cosas mismas) que son las que aparecen a la conciencia. Esta conciencia es una trama de relaciones intencionales, pues la conciencia tiende a objetos, in-tendere. Y para ello Husserl no ha querido plantearse la existencia de objetos reales como existencias en sí y ha recurrido a la epoché, a la puesta entre paréntesis de la existencia en sí de las cosas. Limitándose a la descripción de las estructuras y de los contenidos intencionales de la conciencia. De modo tal que exista o no exista la realidad, ese no es un problema de la fenomenología de Husserl. En una palabra, Husserl postergó el tema o problema de “la cosa en sí” y no se animó a tomar partido, cosa que sí va a hacer su discípulo.

Max Scheler va a seguir con el método de fenomenológico de su maestro y su ontología como teoría general de los objetos pertenecientes a distintas esferas: reales (naturales y culturales), ideales, valores y metafísicos. Destacándose sobre todo con brillantes estudios sobre los objetos culturales y axiológicos. Pero al mismo tiempo se va a modificar o completar el mismo método.

Las categorías que son las que acompañan a cada tipo de ser, no son como en Aristóteles producto de la predicación o formas de decir el objeto y que previamente son modos de existencia. No, para la fenomenología las categorías son modos de presentación “en mi conciencia” de tales objetos y no de existencia fuera de mi.

Cuando Scheler en la plenitud de su capacidad filosófica aborda el tema concreto del trabajo, el objeto propio del mismo lo lleva a dar un paso más allá que su maestro. Mientras que para Husserl, sobre todo para el primero, el existir fuera de mi conciencia de las cosas es solo presuntiva. Presumimos que las cosas pueden tener un ser en sí mismas, pero no estamos tan seguros. En sus últimas conclusiones, niega esta existencia presunta (Cfr. Ideas), mientras que  para Scheler podemos tener un saber cierto de esa realidad en sí.

Y lo afirma en forma tajante: “los centros de resistencia del mundo, tal cual han sido dados a la experiencia práctica de la voluntad de trabajo y del actuar en el mundo, han confirmado su eficacia en la relación práctica entre el hombre y el mundo”. [9]

De modo tal que solamente en el transcurso del trabajo ejercido sobre el mundo el hombre aprende a conocer el mundo objetivo y causal, aquel que se da en el espacio y en el tiempo. El trabajo y no la contemplación es “la raíz más esencial de toda ciencia positiva, de toda intuición, de todo experimento”.

El hombre posee además otra posibilidad de conocimiento a través de la percepción sensorial que se expresa en el conocimiento filosófico. Este conocimiento es de dos tipos: a) el de las esencias al que se llega a través “del asombro, la humildad y el amor espiritual hacia lo esencial” mediante la reducción fenomenológica de la existencia en sí de los objetos y b) de los instintos, impulsos y fuerzas que viene de las imágenes  a la que se llega “por la entrega dionisíaca en la identificación con el impulso cuya parte es también nuestro ser impulsivo”.

Y concluye Scheler: “Pero el verdadero conocimiento filosófico sólo nace en la máxima tensión entre ambas actitudes y a través de la superación de esta tensión, en la unidad de la persona.” [10]

 

La existencia de un mundo real es preexistente a todo lo demás, tanto a la concepción natural del mundo cuanto cualidades de la percepción. Está ahí y preexiste a los dominios de la mundanidad interior y exterior, a la existencia de las categorías.

De este mundo sabemos por “la resistencia” que nos ofrece a la actividad sobre él. “Ser real es mas bien, ser resistencia frente a la espontaneidad originaria, que es una y la misma en todas las especies del querer y del atender.” [11]

Este ser real existe antes de todo pensar y percibir. El ser real puede preexistir también a todos los actos intelectuales, cuyo único correlato es la “consistencia” y nunca la existencia.

La existencia esta dada porque el ser real es algo preexistente al conocer y que solo sabemos de él por el impulso de resistencia que nos ofrece cuando actuamos sobre él.

En el fondo el ser real es “ser querido” y  no “pensado” a través del fundamento del mundo y el principio de la experiencia de la resistencia es un acto volitivo. Scheler se da cuento y menta allí la sombra de Maine de Biran y de Schopenhauer.

Y termina enunciando las cuatro leyes que rigen la realidad y que preexisten a todo lo que aparece en las esferas de los objetos: 1) la realidad de algo “Real Absoluto”, esperado como posible. 2) la realidad del prójimo y de la comunidad, como el tú y el nosotros. 3) el mundo exterior como ser real de algo que existe y 4) la realidad del ser corporal, vivido como propio.

Estas cuatro leyes nos vienen a mostrar el principio fundamental de toda la filosofía de Scheler, aquel que aplica a todas las esferas del ser y los objetos según la cual lo real, lo resistente, lo que existe en sí, es mayor y surge allí donde nuestro dominio de las cosas es menor. Así, el domino del hombre es mínimo sobre el ser absoluto en cambio nuestro dominio es máximo sobre la máquina, que es nuestro producto. Frente a las personas nuestro dominio es muy limitado pero sobre los animales es mayor. “El dominio es infinitamente menor sobre lo viviente que sobre lo inanimado” [12]

Esto le permite establecer una jerarquía en las esferas que luego va a aplicar en su axiología y su ética. Y allí nos va a sorprender cuando enuncia que el espíritu carece de la fuerza y energía para obrar, pues toda la energía procede del impulso vital. Así, éste se espiritualiza sublimándose y el espíritu opera vivificándose. Pero solo la vida puede poner en actividad y hacer realidad en espíritu.

 

 

Breve biografía

 

Max Scheler (1874-1928) Hijo de un campesino bávaro luterano y madre judía, se bautiza católico en 1889. Es alumno de Simmel y Dilthey y le dirige su tesis Rudolf  Eucken, quien hizo su tesis sobre el lenguaje de Aristóteles (el método de la investigación aristotélica 1872)  y que  había estudiado a su vez con Trendelenburg, el gran estudioso del Estagirita en el siglo XIX. En 1902 conoce a Husserl y su método fenomenológico y en 1907 al gran teólogo von Hildebrand. Por escándalos de su mujer, de la que se separa, en 1911 la universidad de Munich le retira la venia dicenti.  

Prácticamente sin trabajo y viviendo de cursos privados y de la ayuda de sus amigos, Scheler produce sus mejores y más profundas obras. Este período, conocido como el del “Nietzsche católico”, dura hasta 1924, año en que se separa de su segunda mujer, se casa con una alumna y se aleja del catolicismo. Conrad Adenauer le devuelve la venia docente y se reintegra a la universidad. A partir de sus publicaciones de 1927 y 1928, año de su fallecimiento, Scheler cae en una especie panenteísmo. El puesto del hombre en el cosmos, su última obra, es ejemplo emblemático de ello.

 

Bibliografía en castellano

 

(1912) El resentimiento en la moral, de J. Gaos, Madrid, 1927; Buenos Aires, 1938; Edición de José Maria Vegas, Madrid, 1992; Caparros Editores, S. L. Madrid, 1993.

(1913) Etica, nuevo ensayo de fundamentacion de un personalismo etico. Traducción de de Hilario Rodríguez Sanz. Introducción de Juan Miguel Palacios. Tercera editción revisada. Caparrós Editores (Collección esprit, 45). Madrid, 2001, 758 págs.

(1916-23) Amor y conocimiento, di A. Klein, Buenos Aires, Sur, 1960. 

De lo eterno en el hombre. La esencia y los atributos de Dios, de J. Marias, Madrid, 1940. 

(1917) La esencia de la filosofía y la condición moral del conocer filosófico, de E.Tabernig de Pucciarelli e I. M. de Brugger, Buenos Aires, 1958, 1962. 

(1913-22) Esencia y formas de la simpatía, de J. Gaos, Buenos Aires, 1923, 1943.  Íngrid Vendrell Ferran revisó la traducción, 2005. Ediciones Sígueme Salamanca, España.

(1912) Los ídolos del autoconocimiento. Traducción e introdución de Íngrid  Vendrell Ferran. Ed. Sígueme. Salamanca, 2003

(1914) Sobre el pudor y el sentimiento de vergüenza. Traducción e introducción de Íngrid Vendrell Ferran. Ed. Sígueme. Salamanca, 2004.

Sociologia del saber, de J. Gaos, Madrid, 1935. 

(1928) El saber y la cultura,  de J. Gomez, Madrid 1926, 1934; Buenos Aires, 1939; Santiago, 1960. 

La idea del hombre y la historia, Madrid, 1926, e Buenos Aires, 1959. 

(1928) El puesto del hombre en el cosmos, de V. Gaos, Madrid, 1929, 1936. Nueva traducción por V. Gómez. Introducción  de W. Henckmann. Barcelona: Alba 2000.

El porvenir del hombre, Madrid 1927. 

(1921) La idea de paz y el pacifismo, de Camilo. Santé, Buenos Aires, 1955. 

(1911) Muerte y supervivencia. Traducción de Xavier Zubiri. Presentatión de Miguel Palacios. Ediciones Encuentro (opuscula philosophica, 3), Madrid, 2001, 93 págs.

(1914-16)Ordo Amoris, Traducción de  Xavier Zubiri. Edición de Juan Miguel Palacios. Segunda edición. Caparrós Editores (Collección Esprit, 23), Madrid, 2001, 93 págs.

(1911-21) El Santo, el genio, el heroe, de E. Tabernig, Buenos Aires, 1961.

(1926) Conocimiento y trabajo, de Nelly Fortuna, Ed. Nova, Buenos Aires, 1969

(1918-1927) Metafísica de la libertad, E. Nova, Buenos Aires, 1960

 

 

 

(*) alberto.buela@gmail.com  

 www.disenso.org

arkegueta, mejor que filósofo

Universidad Tecnológica Nacional –Argentina-

 



[1] Heidegger, M: Kant y el problema de la metafísica, FCE, México, 1973, p.109

[2] Castellani, Leonardo: Schopenhauer, en Revista de la Universidad de Buenos Aires, cuarta época, Nº 16, 1950, pp.389-426

[3] Maresca, Silvio: En la senda de Nietzsche, Catálogos, Buenos Aires, 1991, p. 20

[4] Estos datos que pasamos nosotros y muchos más, se pueden encontrar en los buscadores de Internet, no así en los manuales al uso de la historia de la filosofía contemporánea, que, en general, escamotean la figura y los aportes de Brentano. O peor aún, lo limitan al lugar común de inventor de la intencionalidad de la conciencia. 

[5] La persecución que sufrieron los católicos alemanes bajo el gobierno de Bismarck (1871-1890) ha sido terrible. Más de un millón de ellos huyeron a Rusia donde los recibió el Zar con un convenio de estadía por cien años. Pasado el siglo muchos de esos “alemanes del Volga” vinieron a radicarse en la Argentina en la zona de Coronel Suárez, al sur oeste de la provincia de Buenos Aires. Duró tanto el hostigamiento a los católicos de parte de la Kulturkampf, que cuenta Heidegger (1889-1976), que su padre era el sacristán de la iglesia de San Martín de su pueblo natal,  y que los protestantes se la devolvieron, recién, un año antes de que él naciera.

[6] 80 años después, en 1942 publicó Nimio de Anquín en Argentina un trabajo definitivo sobre el tema Las dos concepciones del ente en Aristóteles, Ortodoxia Nº 1, pp.38-69, Buenos Aires, 1942, del que se han privado de leer hasta ahora los europeos. 40 años después, en 1982 con motivo de mi tesis doctoral en la Sorbona bajo la dirección de Pierre Aubenque, ví como éste gran erudito se arrastraba sobre las tintas del libro Z de la Metafísica de  Aristóteles, sin poder llegar a la suela de los zapatos de de Anquín.

[7] Anquín, Nimo de:  Ente y ser, Gredos, Madrid, 1962

[8] Descartes: Meditaciones metafísicas, meditación primera, ab initio.

[9] Scheler, Max: Conocimiento y trabajo, Ed. Nova, Buenos Aires, 1969, p. 274

[10] Scheler, Max: op.cit. p.279

[11] Scheler, Max: op.cit. p.280

[12] Scheler, Max: op.cit. p.301

vendredi, 01 avril 2011

Ehre ist, was Du daraus machst...

Ehre ist, was Du daraus machst: Schopenhauer und "Die Kunst, sich Respekt zu verschaffen"

     

Geschrieben von: Alexander Röhlig   

Ex: http://www.blauenarzisse.de/

 

SchopenhauerDer 2009 verstorbene Philosoph Franco Volpi hatte bereits einige kleine Textsammlungen zu Arthur Schopenhauer herausgegeben, darunter Die Kunst, glücklich zu sein. Nun ist ein weiterer Band dieser Reihe erschienen. Die Kunst, sich Respekt zu verschaffen ist eine heitere Lektüre, die gegen einen Aberglauben über die Ehre ankämpft.

Was ist Ehre?

Schopenhauer verfolgte nicht die Klärung des Begriffs Ehre. Er wollte praktische Tipps für das Leben geben, wie Volpi in seiner Einleitung richtig festhält. Schopenhauer griff somit ein Thema auf, das wohl jeden beschäftigt. Damit aber dürfte er die meisten verblüffen.

Es ist typisch für Schopenhauer, dass er als falsch brandmarkt, was er dafür hält. Sein scharfer Ton missfällt vielen, erlaubt ihm jedoch, zum Kern eines Problems zu kommen: Ehre, das sei die Meinung anderer von uns. Als solche sei sie für uns ohne Bedeutung. Wir sollen uns um uns selbst kümmern und nicht um die Meinung anderer. Diese bürgerliche Ehre habe jeder und nur durch eigene Handlungen werde sie beeinflusst.

Verwerflicher Gegensatz zur bürgerlichen Ehre: Die Ritterehre

Dagegen sei die ritterliche Ehre ein großes Übel. Denn sie gehe davon aus, dass unsere Ehre allein in der geäußerten Meinung anderer über uns bestehe. So erklärt Schopenhauer, warum Menschen häufig beleidigt seien – und woher das Duellwesen komme. Denn die Ehre „kann, wenn sie verletzt ist, recht bald und vollkommen wiederhergestellt werden, durch ein einziges Universal-Mittel, das Duell.“

Dieser Text ist ein Vergnügen, denn Schopenhauers Ironie zieht sich durch den ganzen Text. Zugleich aber will er sich nicht nur über andere belustigen, sondern ein Ratgeber sein. Einige Tipps sind heute noch hilfreich. Volpi hat aus dem handschriftlichen Nachlass Schopenhauers eine schöne Ergänzung zu dem vierten Kapitel aus den Aphorismen zur Lebensweisheit publiziert. Man wünscht sich nur, Ernst Ziegler hätte den Anmerkungsteil etwas besser gestaltet. Manchmal ist es schwer auseinanderzuhalten, von wem welche Textpassage stammt.

Arthur Schopenhauer: Die Kunst, sich Respekt zu verschaffen, hrsg. von Franco Volpi und Ernst Ziegler. München: C.H.Beck 2011. 108 Seiten. 8,95 Euro.

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mercredi, 20 octobre 2010

Un ouvrage collectif sur Schopenhauer (ou huit raisons de le relire)

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1989

Un ouvrage collectif sur Schopenhauer (ou huit raisons de le relire)

par Robert STEUCKERS

♦ Wolfgang Schirmacher (Hrsg.), Schopenhauers Aktualität : Ein Philosoph wird neu gelesen, Passa­gen-Verlag, Vienne, 1988, 362 p.


schopenhauer1.jpgLe 200ème anniversaire de la naissance de Schopenhauer a amorcé un intérêt pour sa per­sonne et sa philosophie. Ce philosophe demeure d'actualité, pense Reinhard Margreiter, vice-pré­sident de la Internationale Schopenhauer-Verei­nigung, pour 8 raisons essentielles :

  • 1) Il a développé un discours philosophique double : académique d'une part, populaire d'autre part.
  • 2) Il insiste sur la vérité et cultive un affect anti­-idéologique.
  • 3) Il donne la priorité à la réflexion par rapport à l’intuition.
  • 4) Il est l'un des premiers, en Europe, à aban­donner l'euro-centrisme philosophique de façon conséquente.
  • 5) Il déploie une éthique ontologique, non an­thropocentrique.
  • 6) Il entonne un plaidoyer pour une mystique non obscurantiste, ancrée dans les phénomènes.
  • 7) Il jette les bases d’une phénomenologie critique des religions.
  • 8) Il traite de façon originale le problème de la dialectique.

I. Discours académique et discours populaire

Les premiers adeptes de Schopenhauer ne furent pas seulement des universitaires mais aussi des gens issus de tous les milieux sociaux et pro­fessionnels. Cette hétérogénéité du public crée une communauté de communication, où s'é­changent des vues et se commentent des ex­périences très différentes les unes des autres, provoquant l'émergence d'un discours inter­disciplinaire de nature plurielle et « exotérique ». C'est dans cette volonté de limiter l'ésotéricité du discours philosophique et de promouvoir l’exo­téricité de la philosophie que réside l'actualité de Schopenhauer. Dans le discours pluriel qui en découle, les éléments philosophiques, scientifi­ques, existentiels, etc., interagissent les uns sur les autres et la philosophie doit explorer ces pla­ges d'interaction, tout en résistant à la tentation de s'abstraire de ce tumulte. La philosophie, placée à l'intersection du savoir et de la vie quo­tidienne, doit servir de pont.

II. La « vérité » et l'affect anti-idéologique

Quand Schopenhauer se concentre sur la « véri­té », il ne cherche pas un monde au-delà du mon­de, un « double » du monde (pour reprendre une expression de Clément Rosset qui lui a consacré une biographie dans la collection SUP des PUF) (1), mais marque sa volonté d'aller à l'essentiel en toute indépendance sans avoir à dépendre d'institutions ou de donateurs. L'insistance sur la « vérité » est aussi refus du culte des person­nalités (qui ne sont dès lors que gesticulations éphémères) et de l'hypocrisie de toutes les or­thodoxies (qui impliquent fermeture au monde). Les idéologies étant les travestissements d'un optimisme béat, Schopenhauer les combat parce qu'elles empêchent le philosophe de mener à fond sa quête intellectuelle, de parfaire sa re­cherche des ressorts ultimes du monde, ressorts qui n'autorisent en rien l'optimisme historicisant.

III. Réflexion et intuition

À l'époque où Schopenhauer formule sa philo­sophie, les principaux idéalistes allemands, Fichte, Schelling et Hegel, plaçaient l'intuition au-dessus de la réflexion. Pour Schopenhauer, c’est ouvrir la porte à toutes les charlataneries. La réflexion intellectuelle a ses droits et elle n’est pas le contraire de l’Anschaulichkeit, c’est-à-dire de la vision directe, inspirée et spontanée du concret. Elle n'est évidemment pas but en soi mais moyen de ne pas basculer dans l'obscu­rantisme. Pour Margreiter, ce rôle dévolu à la réflexion doit nous interpeller à nouveau, à notre époque dite « postmoderne », où une certaine postmodernité sauvage, diffuse, charlatanesque, risqué d’étouffer l’éclosion d’une postmodernité précise et sérieuse (2). Schopenhauer défendait la réflexion contre l’intuitionnisme aveugle et acritique en vogue à son époque. Dans son plaidoyer pour la “réflexion”, on peut tirer bon nombre de leçons pour notre actuelle “ère du vide”, qui permet à quantité de déviances mysti­co-farfelues et de subjectivismes délétères d'en­vahir notre univers réflexif.

IV. Pour en finir avec l'euro-centrisme

Schopenhauer annonce la fin de l'euro-centrisme en philosophie. Après lui, tout ce qui s'est pensé et se pense en dehors d'Europe n'est plus simple objet d'intérêt exotique mais matière à dialogue. C'est l'amorce d'un dialogue interculturel, d'un dialogue mondial entre les cultures. Mais cette reconnaissance des créations philosophiques ex­tra-européennes ne s'accompagne pas, chez Schopenhauer, d'une fébrilité de converti. Il ne se pose pas comme « déserteur de l'Europe », pour reprendre l'expression de Max Weber. En réhabilitant la pensée indienne, Schopenhauer réintroduit dans le discours philosophique des linéaments aussi importants que l'idée du mal­heur structurel et incontournable inhérent à la vie humaine et animale, l'égalité en rang du règne animal et du règne humain, un principe de réalité non intellectuel, etc. Cet arsenal d'idées, de mé­thodes inconnues ou oubliées en Europe, de questions et de réponses, permet un fantastique jeu de corrections et, surtout, la réappropriation d'une vision de l'harmonie qui est non chré­tienne.

V. Une éthique ontologique, non anthropocentrique

L'agir humain, pour Schopenhauer, se réfère systématiquement à l'Être, lequel est la totalité de notre réel. D'où les normes de notre agir, pour autant qu'elles existent, sont structures de ce réel et ne lui sont pas étrangères, ne sont pas pla­quées sur le réel à la manière d'un “tu dois” extérieur. Quant au réel, il n'est pas un socle rassurant, une base fiable cachée par la prolixité des phénomènes, mais un gouffre insondable auquel correspond le gouffre insondable de la nature humaine. Les stratégies et calculs anthro­pocentriques ne sont alors que des dérivatifs, vi­sant à masquer ce chaos qui est fond-de-monde. L'historicisme, le pragmatisme, même le déci­sionnisme vitaliste et le “nihilisme de l'action” de Nietzsche, ne sont pas des réponses satisfai­santes. Toute “identité”, ou plus exactement toute “pose” que nous voulons bien nous donner ou nous forger, est par conséquence irréelle, éphémère, factice. Comme les volontés fébriles sont souvent mises en œuvre par les hommes pour se construire ces identities rassurantes et factices, Schopenhauer prône l'abandon des vo­lontés illusoires pour regarder avec lucidité l'Abgrund, l'abîme, le chaos, le monde sans double.

Schopenhauer, dans la facette exotérique de son œuvre, démontre que les volontés, couplées aux chimères du rationalisme équarisseur et morali­sant, ont mis les mondes animal, végétal, bio­chimique, etc., à disposition de l'homme et entraîné, par voie de conséquence, un processus d'holocide, un processus destructeur de l'éco­système, de la vie. La Machbarkeit rationaliste est anthropocentrique, ne tient donc pas compte de tout le réel et oublie l'abîme constitutif de ce réel. D'où la vision schopenhauérienne est dou­ble : le monde et les hommes sont interpellés par 2 catégories de faits ; 1) les volontés qui s'entre-déchirent parce qu'elles sont mues par le principium individuationis et 2) l'harmonie du tat-tvam-asi, que nous enseigne la philosophie hindoue et qui nous apaise et nous conduit à la solidarité. L'éthique de Schopenhauer, au vu de l'infécondité fondamentale des constructivismes et de la la raison prescriptive, nous amène à accep­ter une phénoménologie descriptive, prenant en compte le comportement humain tel qu'il est, se référant à une ontologie du chaos et de l'abîme (sans aucun arrière-monde consolateur), s'iden­tifiant à une mystique réalitaire, celle du tat-tvam­-asi postulant l'unité de tout le vivant. Par le biais de cette unité, cette éthique peut être qualifiée d'“écologique”, ce qui la repropulse aussitôt dans notre actualité, où il y a urgence en matière écologique et où les pesanteurs d'une politique politicienne anachronique sont ébranlées par un vote écologiste. Le dépassement de l'anthropo­centrisme, par l'ontologie de l'abîme, implique simultanément un dépassement des formes pres­criptives et impératives de la vieille éthique re­posant sur Dieu, la Raison ou le positivisme op­timiste. La démarche de Schopenhauer consiste donc en un « saut cosmologique » qui quitte le domaine étroit du sociétaire, étouffoir des « pers­pectives aquilines ».

VI. Pour une mystique non obscurantiste

L'unité fondamentale de toute chose et de toute vie ne peut se saisir que par une mystique. La mystique saisit donc la réalité au-delà de tout di­cible et de tout pensable. C'est la réalité d'avant le langage, la réalité non cognitive, laquelle se borne à “se montrer”, se dévoiler. Schopenhauer a, sur ce plan, inspiré directement Ludwig Witt­genstein pour son Tractatus logico-philosophi­cus, dont l'un des thèmes centraux est de cons­tater que le langage masque le réel, masque la prolixité féconde et ubiquitaire de l'indicible et de l'impensable, de l'incommensurable. Ce travail de masquage est arbitraire, illusoire, comme les poses et les gesticulations de ceux qui se laissent exclusivement mouvoir par le principium indivi­duationis et en tirent toutes sortes de profits. Chez Schopenhauer, la trame du monde se fonde sur 2 logiques : celle de la volonté (expansive, aveugle, exploitrice, etc.) et celle de la négation de la volonté (mystique, harmonique, solidaire, acceptatrice du vivant sous toutes ses formes, etc.). L'intellect humain, d'abord instrument borné de la volonté aveugle, peut, dans l'art ou dans la musique, s'émanciper de cette funeste tutelle et accéder à une saisie des archétypes sans plus se limiter à formuler des généralisations abstraites. C'est cette démarche, à la fois mysti­que et immanente, qui inspire Wittgenstein, le­quel cherche à dépouiller le langage de toutes les traces de cette non-empiricité gesticulatoire, de tous les reliquats d'arbitraire qui vicient sa perti­nence, tout en valorisant l'art et la musique, dé­voilements de l'indicible et des archétypes. La mystique de Schopenhauer et de Wittgenstein demeure de ce fait immanente et logique ; elle ne part pas à la recherche d'un arrière-monde qui dévaloriserait et masquerait (obscurcirait) ce monde dans lequel nous sommes jetés et qui re­pose en dernière instance sur l'abîme, le gin­nungagap de l'Edda (3). L'obscurantisme étant ici le travail peureux de travestissement, de voilement, d'illusionnisme.

VII. Pour une phénoménologie critique des religions

Le projet rationaliste d'éliminer les religions, de les houspiller en des niches périphériques de la société, a largement échoué. Notre époque as­siste à des renaissances religieuses, y compris dans les pays de “socialisme reel” et dans les sociétés libérales où elles offrent du sens et de la transcendance avec plus ou moins de bonheur. Ce retour inattendu des religions prouve que, malgré la charlatanerie obscurantiste que les  religiosités marginales véhiculent, surtout aux États-Unis, la religion recouvre un besoin de transcendance inhérent à l'homme. Mais le constat de ce besoin ne conduit pas Schopen­hauer à accepter les obscurantismes. Au con­traire, sa mystique tragique, réalitaire et cons­ciente du chaos, permet d'élaborer une religion dégagée de tout obscurantisme, de tout recours à des arrière-mondes (Clément Rosset).

VIII. Le problème de la dialectique

Parce qu'elle englobe des contradictions sans les nier ni chercher à les escamoter, la philosophie de Schopenhauer ne relève pas du monisme, n'est pas une philosophie de l'origine (unique) des choses. Schopenhauer est dialecticien car il ne salue pas les contradictions d'un haussement d'épaules et ne les emprisonne pas trop rapide­ment dans la camisole d'une synthèse. Il prend les contradictions du monde au sérieux ; il les in­clut dans sa pensée et les articule à des niveaux multiples et disparates (d'où le reproche de dé­sordre que l'on a souvent adressé à sa philo­sophie). Sa dialectique est éristique, c'est-à-dire acceptatrice des controverses et des antinomies, notamment celles qui sous-tendent notre con­naissance. Les subjectivistes transcendantaux affirment que le monde est le produit de l'esprit humain ; les objectivistes réalistes affirment qu'il est le produit de la matière. Opter pour les uns ou pour les autres, c'est mutiler le monde, mettre entre parenthèses des éventails de perspectives pourtant bel et bien existantes. Mais comme on ne peut raisonner sans base de départ, on est contraint d'opter arbitrairement pour l'esprit ou pour la matière. C'est pourquoi, il faut se mé­nager une porte de sortie, prévoir un mode recti­ficateur et se montrer capable de changer de pa­radigme. De ce fait, Schopenhauer nous ensei­gne qu'il n'y a pas de “premier absolu”, donc pas de philosophie de l'origine (unique) qui tienne. Schopenhauer suggère une philosophie ouverte, qui échappe aux assertions ultimes de la métaphysique prescriptive tout en rendant possi­ble l'événement d'une métaphysique empirique.

Le volume édité par Schirmacher contient encore plusieurs essais féconds, dont un texte de Wim van Dooren sur le caractère “ouvert” de la phi­losophie de Schopenhauer ; de Wolfgang Weimer sur la dialectique du corps et de la conscience ; de Dorothée Jansen sur la musique comme dévoi­lement de la vérité chez Schopenhauer et de Georges Goedert sur les rapports Schopenhauer/ Nietzsche dans la critique de la démocratie. Nous reviendrons sur ces textes dans notre série “Nietzscheana”, commencée dans Orientations n°9.

► Robert Steuckers, Orientations n°11, 1989.

◘ Notes :

  • (1) Clément Rosset, Schopenhauer, PUF, 1968. Une ré­édition de cet ouvrage est parue en 1988 à l'occasion du 200ème anniversaire de la naissance de Schopenhauer dans la collection Quadrige des PUF.
  • (2) Pour une définition des postmodernités « diffuse » et « précise » , cf. Wolfgang Welsch, Unsere postmoderne Moderne, VCH-Acta Humaniora, Weinheim, 1987. Recension par R. Steuckers in Vouloir n°54/55, 1989.
  • (3) L'abîme constitutif du monde apparaît dans la mythologie hindoue et Schopenhauer s’y réfère (Rgveda, X, 129, 1). La mythologie nordique évoque le ginnungagap, trou béant existant avant que tout n'existe, et que les chrétiens assimileront, avec Adam de Brème, à l'enfer (ghinmendegop en vieil-haut-allemand). Exégète de l'Edda, le professeur de Zürich, Karl A. Wipf, parie pour une traduction plus précise, en l'occurrence « abîme travaillé par la magie », donc un grouillement, un bouillonnement informel d'où jaillira la vie pour y retourner ensuite. Cf. Kart A. Wipf, « Der Weltbau bei den Germanen » in Dieter Korell u. Hermann Maurer (Hrsg), Gesellschaft fur Vor- und Frühgeschichte, Tagung Niederösterreich 1985 Vorträge, Bonn/Wien, numéro spécial de Mannus, 3/4­-1985.

mardi, 19 octobre 2010

Temps, éternité et posthistoire (Arthur Schopenhauer)

Temps, Éternité et Posthistoire

schope10.jpgConsidérations inactuelles à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Schopenhauer

par Hans-Christof KRAUS

[Ci-contre portrait (détail) de Schopenhauer par LS Ruhl, 1815. Sa philosophie prend le contre-pied du rationalisme et de l'optimisme progressiste du XlXe siècle. En effet, pour Schopenhauer, l'homme, à l'origine, n'est pas un être de connaissance mais un être d'instinct et de volonté. Une volonté qui s'anime dans un temps cyclique et non linéaire. Cette absence d'idéalité, posée comme un double du monde, et de progressisme a attiré l'attention de Clément Rosset en France. HC Kraus retient surtout la notion schopenhauerienne du temps : un temps dépourvu de toute historicité. Cette approche lui permet de réactualiser Schopenhauer en utilisant ses concepts pour appréhender l'ère post-historique que nous vivons aujourd'hui. Cette lecture croisée de Schopenhauer et des sociologues Arnold Gehlen (RFA) et Roderick Seidenberg (USA) permet bien des extrapolations et des innovations dans le territoire de la philosophie.]

I

Heidegger a défini les temps modernes comme « le temps des vues-du-monde », c'est-à-dire comme une époque où « l'essence de l'homme est en mutation », où « l'homme devient sujet ». Et il expliquait : « L'homme devient cet étant sur lequel se fonde tout étant dans la nature de son être et de sa vérité » (1). Le monde de l'homme de la mo­dernité (Neuzeit) englobe simultanément la natu­re et l'histoire : en tant qu'« image » (Bild), le monde est désormais « l'étant dans le Tout en tant qu'il nous sert de règle (maßgeblich) » (2). Du coup, ce monde, tel qu'il se constitue pour l'homme de la modernité, prépare « la voie d'un épanouissement possible de l'humanité » (3). « Possible », car les chances d'épanouissement de l'homme ne sont pas illimitées : elles s'insèrent dans le cadre tracé par la vue-du-monde. Elles ne peuvent aller au-delà.

Mais le discours heideggerien sur le « temps des vues-du-monde » peut être compris et interprété dans un autre sens ; examinons-le : à la « vue-du­-monde » et donc, si l'on y regarde de plus près, à chaque période de ce « temps de la vue-du-­monde », correspond une conception déterminée du temps tout court ; cette conception, qui n'est nullement fortuite, s'avère inséparable de telle ou telle époque. Bref, l'idée, la conception du temps présente dans l'esprit de l'homme moderne doit être conçue comme le résultat de sa vue-du­monde et des potentialités qu'elle recèle.

Le « temps des vues-du-monde » perdure encore aujourd'hui ; le monde est resté pour nous « image », même si cette image s'est profondément altérée sous tel ou tel aspect depuis l'aube des temps modernes. La philosophie de Schopen­hauer s'inscrit elle aussi dans cette grande tradi­tion de la pensée moderne que décrit Heidegger : pour lui aussi, la réalité du monde tel que nous le percevons est l'image que s'en fait l'homme en tant que sujet autonome ; « Le monde est ma représentation » : c'est la première phrase de son œuvre principale (4). Mais Schopenhauer, on le sait, va plus loin : d'épigone de Kant, il devient philosophe vitaliste. Car voici que la volonté entre en lice, cette soif de vie sans direction ni but, cette tension vers l'infini qui anime tout ce que produit la nature.

Prenant le contre-pied de la tradition rationaliste, celle qui va de Descartes à Kant, Schopenhauer affirme que l'homme n'est nullement « à l'origine un être de connaissance ni même un être qui pense dans l'abstrait ». Il déclare en revanche : « Mon opinion fondamentale est que... tout cela n'est qu'une confusion entre l'effet et la cause : c'est la volonté qui est primordiale, originelle ; la connaissance n'est venue qu'après, c'est elle qui fait apparaître la volonté, mais elle n'en est que l'instrument » (5). Nous touchons ici à l'une des raisons de l'incontournable actualité de Schopenhauer : sa thèse, rigoureusement structu­rée, du primat de la volonté, de l'inconscient, de l'instinct, et même de l'imagination, sur l'intellect, la raison et la connaissance. Les philo­sophies vitalistes ultérieures, la psychanalyse freudienne et l'anthropologie philosophique de Gehlen ont d'ailleurs toujours été conscientes de ce qu'elles devaient au travail de pionnier accom­pli par Schopenhauer (6).

Mais un autre aspect de la philosophie de Schopenhauer apparaît plus actuel aujourd'hui qu'au siècle dernier, resté trop tributaire d'une pensée de type historiciste : il s'agit de sa concep­tion du temps et de l'histoire qui le différencie autant des schémas de pensée tracés par Kant et Hegel que de la nouvelle pensée, légèrement postérieure, de Nietzsche. Curieusement in­comprise, et largement ignorée à l'époque, cette doctrine acquiert, en ce XXe siècle finissant, une dimension entièrement nouvelle et une actua­lité insoupçonnée voici encore quelques années.

II

Évidemment, la philosophie de Schopenhauer — et ceci s'inscrit au passif de son auteur — a un point d'ancrage historique : l'époque où, pour re­prendre la formule fameuse de Hegel, « la philo­sophie est peinte en gris », où « la chouette de Mi­nerve ne prend son vol qu'à la tombée du jour » (7). Voilà qui éclaire ce que disait Gehlen quand il remarquait que « seule l'actualité la plus récente nous fait découvrir ce qui, chez ce grand penseur, dépasse les XVIIIe et XIXe siècles, car ce n'est qu'aujourd'hui qu'il se révèle dans toute sa grandeur » (8).

Le rôle du poète

Il faut ici faire mention de la doctrine schopenhauerienne du temps. À première vue, sa conception de l'histoire, qui en découle, apparaît extrêmement déroutante à l'observateur formé à la pensée historiciste du XIXe siècle. Défendant Aristote contre Hegel, Schopenhauer déclare que la poésie est plus philosophique que l'historiographie. En effet, le poète « conçoit l'idée d'humanité à partir d'un angle d'observation précis, qu'il s'agit justement d'expliquer, et c'est l'essence de son propre moi qui, en elle, s'objective à lui. À travers le miroir de son esprit, le poète nous montre l'idée pure et distincte, et ce qu'il décrit a la véracité de la vie elle-même » (9). La connaissance de l'essence de l'homme, telle qu'elle s'exprime à travers la poé­sie, se rapporte au général, à l'universel, tandis que l'historien reste engoncé dans le particulier :

« L'historien est obligé de scruter et de sé­lectionner les faits et les personnages non pas selon leur importance intrinsèque, véritable, celle qui exprime l'idée, mais en fonction de leur im­portance extérieure, apparente, relative, c'est-à­-dire en relation avec les conséquences » (10).

Selon une thèse qui est centrale dans la philoso­phie de Schopenhauer, la volonté devient repré­sentation sous la forme de l'idée. Les idées ne sont que des objectivations de la volonté à diffé­rents niveaux. Ces idées ont une valeur générale, elles sont éternelles et constituent à ce titre l'objet véritable de la réflexion philosophique.

« Il s'ensuit — écrit Schopenhauer —, que l'histoire de l'espèce humaine est l'enchevêtrement des faits, la mutation des temps, les formes complexes de l'existence humaine au fil des siècles. Mais tout cela n'est que la forme accidentelle de la mani­festation de l'idée : ce n'est pas l'idée mais seule­ment sa manifestation, aussi étrangère, inessen­tielle et indifférente à l'idée que le sont aux nuages les formes qu'ils dessinent, au ruisseau la forme de ses tourbillons et de son écume, à la glace ses stalactites » (11).

C'est à partir de cette conviction fondamentale que Schopenhauer clame avec force son mépris pour l'histoire, constatant qu'« il en est dans le monde comme dans les drames de Gozzi, où ce sont toujours les mêmes personnages qui entrent en scène, avec les mêmes projets et la même destinée. Si les thèmes et les événements varient d'un drame à l'autre, l'esprit dans lequel s'inscrit l’action est invariable » (12).

Le point de mire de ces idées apparaît clairement : ce sont les « récits constructivistes » hégéliens qui, « guidés par un optimisme fade, débouchent ré­gulièrement sur l'État confortable, nourricier, obèse, doté d'une belle structure, d'une justice, d'une police, d'une technique et d'une industrie bien réglées » (13). Bref, la cible, c'est l'optimisme du Progrès au XIXe siècle, opti­misme dont nos contemporains, semble-t-il, sont en train de se guérir. Retenant les leçons de la pensée antique, Schopenhauer affirme, à propos des fondements de sa conception du temps, que :

« l'objet de la philosophie est l'immuable, ce qui est de toujours, non le contingent, ce qui est tan­tôt comme ceci, tantôt comme cela. Tous ceux qui échafaudent ce genre de constructions théoriques sur la marche du monde ou, comme ils disent, de l'histoire, n'ont pas saisi la vérité fondamentale de toute philosophie, à savoir que le même est de tout temps, que tout devenir et toute genèse ne sont qu'apparence, que les idées seules perdu­rent, que le temps participe de l'idée » (14).

Pour Schopenhauer, le temps n'a aucune “qualité”

La démarche intellectuelle de Schopenhauer consiste à ne reconnaître au temps aucune qualité. Ce qui est dans le temps, c'est-à-dire les choses, les phénomènes, images des idées, acquièrent par eux-mêmes leur valeur et leur signification, non par l'effet du temps ou de leur position acciden­telle, fortuite, dans le temps. La philosophie, souligne Schopenhauer, est seule à nous incul­quer une telle façon de voir : si « l'histoire nous enseigne qu'à chaque époque, il s'est passé des choses différentes », la philosophie, elle, nous aide à comprendre que le même fut, est et sera de tout temps (15). La forme accidentelle de la manifestation de l'idée et ses avatars dans le temps sont inessentiels par rapport à son essence véritable. Tout est éternel présent, il n'y a ni commencement ni fin :

« La terre tourne, le jour succède à la nuit, l'individu meurt, mais le soleil brûle sans trêve au Midi éternel. Pour le vouloir-­vivre, la vie est une certitude : sa forme est un présent infini, même si les individus, manifesta­tions de l'idée, naissent et passent dans le temps, semblables à des rêves fugitives » (16).

Pour Schopenhauer, il n'y a rien de nouveau sous le soleil, le nouveau est toujours de l'ancien et l'ancien toujours du nouveau ; la roue du temps tourne éternellement ; tout passe et tout re(de)vient, inessentiel et fortuit, car la voie véri­table de l'ad-venir est préétablie, inexorable : nul être, nulle chose ne peut se dérober aux effets de la volonté.

III

Si l'on veut maintenant répondre à la question de l'actualité de cette conception du temps, typique de Schopenhauer, force est de relativiser, mais sur un point seulement, la prétention à l'universalité qui caractérise cette pensée : il s'agit d'ailleurs d'un problème que Schopenhauer lui-­même a éludé en le déclarant sans intérêt : celui de la position historique de sa philosophie, autre­ment dit la question de savoir pourquoi c'est dans l'Europe centrale du début du XIXe siècle que le penseur Arthur Schopenhauer a conceptualisé les grandes vérités, toujours valables, sur l'existence du monde et de l'homme. Parvenus au stade actuel de réflexion, la question s'impose ; rapportée à la philosophie du temps chez Scho­penhauer, elle peut se lire comme suit : si une conception déterminée du “temps” est “actuelle” (zeitgemäss) au sens strict, il faut qu'à une certaine époque, elle n'ait pas été telle, et si elle est actuelle aujourd'hui, elle ne l'est que pour le temps présent et l'avenir prévisible.

Dans l'un des textes les plus importants de son œuvre tardive, une conférence intitulée Über kulturelle Kristallisation (De la cristallisation culturelle) (17), Arnold Gehlen souligne à juste titre que le temps des grandes « attitudes-clés », des systèmes et conceptions du monde philosophiques traditionnels, qui prétendaient interpréter et expliquer le monde, était révolu. Voilà pourquoi la notion de temps chez Schopenhauer doit nécessairement être relativi­sée, remise en perspective (18).

Schopenhauer a-t-il préfiguré la “ post­histoire” ?

Mais Gehlen nous montre aussi pourquoi cette notion doit malgré tout être reprise, fût-ce sous une forme légèrement modifiée. Il faut lire à cet égard l'analyse que fait Gehlen de l'époque contemporaine, époque qu'il appelle la « post­histoire » (19) : le monde moderne, imprégné de civilisation techno-scientifique, dit-il en sub­stance, peut désormais s'embrasser du regard, il n'a rien de bien nouveau à nous apprendre (il est « informatisch übersehbar »), il devient « sans sur­prise » (überraschungslos), en ce sens qu'« aucun événement inopiné de quelque importance ne peut plus s'y produire » (20). Le temps de la religion et de l'utopie est révolu car une « foi perdue, la foi naïve et désintéressée, ne peut être restaurée » (21). L'an-historicité à venir est définie comme une « mobilité sur des assises qui, elles, sont sta­tionnaires » (22, ndt). Notre civilisation devient « stationnaire », c'est-à-dire que « d'une part, les grandes évolutions futures de la politique mon­diale n'ont d'autres alternatives que des solutions de toute façon prévisibles... et d'autre part, les bases mêmes des sociétés industrielles sont défi­nitivement jetées à l'échelle planétaire. Enfin, on attend vainement un “grand appel” capable de mobiliser notre enthousiasme et notre combativité spirituelle » (23).

Lorsque s'installe une telle situation de « cristallisation culturelle » (la formule est em­pruntée à Pareto), de post-histoire (et à notre époque, divers indices tendent à confirmer la thèse de Gehlen), les chances d'un authentique renouveau intellectuel et culturel sont extrê­mement restreintes. Lorsqu'elles existent, elles s'inscrivent obligatoirement « dans le champ prédéterminé par des postulats fondamentaux déjà éprouvés (eingelebt), postulats que nul ne songe plus à remettre en cause » (24).

Dans son ouvrage Posthistoric Man, dont la première édition date de 1950, le sociologue américain Roderick Seidenberg avait déjà, quelques années avant Gehlen, développé l'idée que la civilisation techno-scientifique ferait tran­siter l'humanité vers la post-histoire. Celle-ci se caractériserait par un trop-plein de l'intellect par rapport à un instinct qui s'atrophie lentement, alors que dans la pré-histoire, c'est l'instinct qui primait l'intellect (25). Pour Seidenberg, l'histoire proprement dite n'est qu'un intérim, une période transitoire entre le primat de l'instinct et celui de l'intellect. Dès lors l'histoire n'est plus qu'un « stade, une étape entre des périodes beau­coup plus longues », « a transitional stage or phase between epochs of far longer duration » (26).

Rien de nouveau sous le soleil ?

Malgré quelques divergences (et, il faut bien le dire, certaines insuffisances), les analyses, dia­gnostics, prévisions de Gehlen et de Seidenberg s'accordent sur un point : l'évolution du monde a atteint un état stationnaire où, certes, des chan­gements sont possibles (et se produisent du reste en permanence), mais uniquement dans un cadre strictement limité -- et délimité – en fonction de postulats précis et de possibilités préétablies. La civilisation technique, aboutissement et stade su­prême du « temps des vues-du-monde », selon la définition de Heidegger, élabore ainsi une vision du temps qui, sous tous ses aspects essentiels, correspond à celle de Schopenhauer : il ne peut y avoir du « nouveau sous le soleil », la voie dans laquelle s'accomplissent la transformation et l'évolution des choses est tracée d'avance et les possibilités qui nous restent sont rigoureusement limitées. Autrement dit, le temps en tant que tel est devenu inessentiel, il a perdu sa qualité propre. Le progrès est impossible : qu'une chose arrive plus tôt ou plus tard dans le temps, cela est sans importance.

IV

La conscience temporelle et celle de l'être-dans-­le-temps, propre à la post-histoire, n'a nulle part été exprimée de façon plus forte qu'au début du second volume du Monde comme volonté et comme représentation :

« Des boules innombrables brillent dans un es­pace infini. Autour de chacune d'elle gravite une douzaine de boules plus petites, éclairées, inté­rieurement brûlantes, mais recouvertes d'une écorce raidie par le froid où une moisissure a fait naître des êtres vivants et connaissants : c'est la vérité empirique, le réel, le monde. Et pourtant, c'est une situation précaire, pour un être vivant que d'être debout sur l'une de ces boules innom­brables qui flottent dans l'espace illimité, sans savoir d'où l'on vient ni où l'on va, d'être l'un quelconque de ces êtres innombrables, tous semblables, qui se pressent, se poussent et se bousculent sans cesse, naissant et s'effaçant aussi vite dans un temps sans commencement ni fin où rien ne perdure, sauf la matière toujours recommencée... » (27).

On note toutefois une différence (déjà relevée) entre le temps post-historique et celui de Scho­penhauer : chez celui-ci le temps prétend à l'infini : il n'a ni commencement ni fin, il englobe l'éternité en ce sens que non seulement il est éternel, mais il reste éternellement pareil à lui-­même. La conception posthistorique du temps, en revanche, part du fait qu'il y eu, jadis, ce que l'on pourrait appeler une histoire « véritable » : la période historique qui précède nécessairement, et par définition, l'époque posthistorique, se carac­térisait par une conception qualitative du temps : la dynamique du « changement », qui fait de l'histoire un processus, y prédomine (contraire­ment à se qui se passe dans la posthistoire). La dynamique historique a pour corollaire une no­tion qualitative du temps car toute transformation historique, quelle qu'elle soit, est toujours con­sidérée soit comme une ascension vers le mieux soit comme une progression vers le pire, bref comme une évolution ascendante ou déclinante. À tout temps historique s'attache une qualité par­ticulière (28).

Cette perspective perd toute signification dans la posthistoire. Certes, l'on sait qu'une telle con­ception (très valable d'ailleurs) a pu jadis exister, mais l'on sait aussi qu'elle n'a plus aucun sens. Si la notion de temps chez Schopenhauer est « actuelle », cela veut dire qu'elle s'applique au présent et à l'avenir, pas au passé. Il n'en a pas toujours été ainsi, certes, et le temps a pu au­trefois posséder une qualité historique propre, mais ce n'est plus le cas, et il en sera de même dans un avenir proche.

Il convient donc de relativiser la vision scho­penhauerienne du temps afin de pouvoir l'ac­tualiser. Or, même actualisée, cette vision peut avoir des effets paralysants : car si tout ce qui est décisif a déjà eu lieu et si toute évolution qua­litative est impossible, que reste-t-il donc à faire dans la post-histoire ? Quels objectifs l'action humaine peut-elle encore valablement se fixer à une époque où les processus ont leur dynamique propre et où leur sens est préétabli ? Une réponse possible est peut-être la suivante : maîtriser les contingences et réduire la complexité au sein de systèmes sociaux donnés.

Conserver les bribes d'histoire dans le nivellement de la post­histoire

Ceux qui trouveront cette réponse un peu courte pourront toujours se souvenir de ce que disait Gehlen : ce n'est que lorsque la posthistoire sera accomplie que « mourra l'ancienne tradition historique, naguère encore vivante, et avec elle l’intérêt pour ce qui fut » (29). Tant que la post­histoire ne sera pas réalisée dans tous les do­maines, aussi longtemps que nous serons dans la période de transition, il restera, selon Gehlen, un dernier impératif qui pourra servir de fil d'Ariane à l'action consciente et réfléchie : « On peut pré­server sa dignité en soutenant ce qui ne doit pas sombrer, je veux dire la tradition historique et sociale. Faute de quoi, nous sommes des op­portunistes, manchots de surcroît » (30). C'est cette « philosophie du pessimisme et du sérieux de l'existence » (31), ainsi qu'il  définit lui-même sa pensée dans un autre ouvrage, qui amène Gehlen à lancer contre toute attente, le mot d'ordre du « Züruck der Kultur ! » (revenons à la culture) (32) : il n’est pas question de laisser un seul pouce de terrain aux résurgences du primitivisme.

Contrairement à une supposition hâtive et trompeuse, cet état d’esprit n’était pas étranger à Schopenhauer. En s’appréhendant comme sujet autonome à l’« époque de la vue-du-monde », l'homme occidental imprime sans cesse sa marque sur le monde. Il ne peut, malgré tout, sombrer dans un fatalisme aboulique ou dans une douillette quiétude. Schopenhauer le savait. Dans un essai sur les Grundzüge des gegenwärtigen Zeitalters (Traits fondamentaux de l'âge contem­porain) de Fichte, il avait écrit : « la chose su­prême dont l'homme est capable, c'est de ne pas baisser les bras mais de lutter, de lutter encore jusqu'à son dernier souffle... » (33).

► Hans-Cristof Kraus, Orientations n°11, 1989. (texte paru dans Etappe n°1, Bonn, 1988 ; tr. fr. : J.L. Pesteil)

◘ Note du traducteur : Il faut relire, dans le sillage de ce texte de Hans-Christof Kraus, l'analyse pertinente de Guillaume Faye et de Pa­trick Rizzi, in : Nouvelle École n°39, 1982 (La culture de masse), pp. 11-20 : « Les micro-variations (événementiel­les) servent de masque et d'exutoire à un système glo­balement macro-stable ». Voir également, dans le même numéro, les articles de Christopher Lasch (traduit par Alain de Benoist) et de Régis Debray.

◘ Notes :

  • (1) Martin Heidegger, Holzwege, 6ème éd., Francfort, 1980, p.86.
  • (2) Ibidem, p. 87.
  • (3) Ibidem, p. 89.
  • (4) Arthur Schopenhauer, Œuvres en 10 volumes, éd. de Zurich, 1977, vol. 1, p. 29 (abrégé ci-après en EZ).
  • (5) op. cit., vol. II, p. 368.
  • (6) Cf. not. S. Freud, Gesammelte Werke, Francfort, 1947, vol. XII, p. 117 ; A. Gehlen, « Die Resultate Schopenhauers », in : Gedächtnisschrift für Ar­thur Schopenhauer zur 150. Wiederkehr seines Geburtstages, hrsg. von Carl August Emge & Otto von Schwei­nichen, Berlin, 1938, not. p. 101 sq.
  • (7) Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Grundlinien der Phi­losophie des Rechts, hrsg. von Johannes Hoffmeister, 4. Aufl., Hamburg, 1955, p. 17 (Vorrede)
  • (8) Cf. note n°6, p. 118.
  • (9) Schopenhauer, EZ 1, p. 309 sq.
  • (10) Ibidem I, p. 309.
  • (11) Ibidem I, p. 236.
  • (12) Ibidem I, p. 237 ; à comparer avec p. 311 ss.
  • (13) Ibidem IV, p. 521.
  • (14) Ibidem II, pp. 345 sq.
  • (15) Ibidem IV, p. 519.
  • (16) Ibidem II, pp. 354 sq.
  • (17) A. Gehlen, Studien zur Anthropologie und So­ziologie, Neuwied, Berlin, 1963, pp. 314 sq.
  • (18) Inutile de s'arrêter plus longuement au problème soulevé ici, à savoir que toute réception d'idées philoso­phiques procède par sélection : Schopenhauer ne fait pas exception à la règle, lui qui a adapté, en le recevant, l'héritage kantien et platonicien. Une telle démarche est d'ailleurs inévitable. Sinon, comment une pensée vrai­ment créatrice serait-elle possible ?
  • (19) Cf. Gehlen (note 17), pp. 246, 323 et 344 ; du même : Einblicke, Francfort 1975, pp. 126, 131 sq.
  • (20) Gehlen, Studien zur..., (note 17), p. 323.
  • (21) Gehlen, Einblicke, (note 19), p. 119.
  • (22) Ibidem p. 122.
  • (23) Ibidem p. 125.
  • (24) Gehlen, Studien zur..., (note 17), p. 321.
  • (25) Roderick Seidenberg, Posthistoric Man - An Inquiry, Boston, 1957, pp. 55 sq.
  • (26) Ibidem p. 56 ; Seidenberg lui aussi employait déjà le terme de « cristallisation », cf. ibid. pp. 135, 178 sq.
  • (27) Schopenhauer, EZ III, p. 9.
  • (28) Nous n’aborderons pas plus en détail, dans le contexte de cet article, la question importante qui vient immédiatement à l’esprit, de la situation historique spécifique à partir de laquelle l’on attribue une qualité au temps, ainsi que des critères de cette attribution.
  • (29) Gehlen, Einblicke, (note 19), pp. 127 et 133.
  • (30) Ibidem p. 133.
  • (31) Arnold Gehlen, Anthropologische Forschung, Reinbek bei Hamburg, 1961, p. 59.
  • (32) Ibidem p. 60.
  • (33) Arthur Schopenhauer, Der handschriftliche Nachlaß, hrsg. von Arthur Hübscher, München, 1985, Bd. ll, p. 345.

mardi, 05 octobre 2010

Schopenhauer, philosophe de la volonté

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Schopenhauer, philosophe de la volonté et archétype du solitaire méprisant la politique

 

 Baal MÜLLER :

 

 

Il y a 150 ans mourrait Arthur Schopenhauer

 

« L’absence d’esprit prend toutes les formes pour se dissimuler : elle se camoufle en pathos, en emphase ; elle prend le ton de la supériorité et se donne des grands airs et tout cela de cent autres façons »

 

Arthur Schopenhauer (1788-1860).

 

La philosophie allemande classique du 19ème siècle peut se subdiviser, grosso modo, en deux courants majeurs qui, tous deux, commencent avec Kant. Celui-ci avait accompli dans sa « Critique de la raison pure » une « révolution copernicienne » passant ainsi de l’ontologie à la théorie de la connaissance ; il avait aussi affirmé que la capacité humaine de connaître était intrinsèquement liée aux formes de la représentation que sont le temps et l’espace, d’une part, les douze catégories de la raison, d’autre part, parmi lesquelles le principe de causalité. Pour faire en sorte que la raison ne produise pas elle-même ces propres objets, Kant s’était vu contraint d’accepter une « chose en soi » transcendantale, qui, pour le sujet connaissant, n’était pas connaissable au-delà de cet appareil fonctionnel.

 

Côté subjectif de ce monde coupé en deux par Kant, nous trouvons vers 1800 la philosophie idéaliste, qui culminera dans les grands systèmes de Hegel et de Schelling, puis, sous le signe du matérialisme, sera poursuivie par Marx et Engels. L’autre courant est moins visible, il est plutôt souterrain et cherche à saisir la face objective, en dépit de la césure kantienne. Ce courant-là commence avec Arthur Schopenhauer et nous amène, au-delà de Nietzsche, vers la modernité, une modernité qui n’est pas seulement philosophique.

 

Schopenhauer, né le 22 février 1788 à Danzig dans le foyer d’un négociant, est un penseur et une personnalité de la transition. Selon la tradition philosophique allemande, et surtout selon cet idéalisme allemand contre lequel il engage la polémique, Schopenhauer participe lui aussi à cette volonté de systématiser, c’est-à-dire de chercher à expliquer les principes métaphysiques du monde en un seul ouvrage : en effet, c’est ce qu’il tentera de faire dans son ouvrage principal, « Die Welt als Wille und Vorstellung » (= « Le monde comme volonté et comme représentation »), dont le premier volume paraît dès 1819 et dont le second ne paraitra qu’en 1844. Il amorce ses réflexions au départ du principe fondamental de Kant, celui de la subjectivité de la faculté de connaître, et le soumet à une métaphysique volontariste, dans la mesure où il identifie la « chose en soi » avec la volonté, qu’il interprète comme une pulsion d’existence, agissant derrière tous les phénomènes. Contrairement à l’usage habituel, il entend la volonté comme un principe irrationnel, que l’on n’expérimente pas seulement lorsque l’on procède à une analyse introspective de soi et, partant, comme une pulsion vitale et sexuelle, mais qui se manifeste, compénétrante, à travers la nature toute entière voire aussi dans le déroulement causal non vivant.

 

En dépit du caractère universel de la volonté qui se combat elle-même éternellement par le truchement des phénomènes qu’elle génère et qui détermine ainsi tout élan individuel de volonté, comme l’explique Schopenhauer dans un écrit de 1839, qui lui vaut un prix de la Société Royale Norvégienne des Sciences, et qui a pour titre « Über die Freiheit des menschlichen Willens » (= « De la liberté de la volonté humaine »), eh bien, en dépit de cela, il existe tout de même deux portes dérobées par lesquelles l’homme peut se dégager de la souffrance que lui inflige le monde : l’une est constituée par la morale, l’autre par l’esthétique. Par empathie avec les autres créatures souffrantes, l’homme peut dépasser son isolement apparent et reconnaître la même volonté de vivre (et en fin de compte se reconnaître lui-même) en tous les autres êtres, ce que Schopenhauer exprime par les mots « tat twam asi » (« cela, tu es »), empruntés aux Upanishads de l’Inde ancienne. Dans son éthique de la compassion, qu’il explicite dans « Über das Fundament der Moral » (= « Du fondement de la morale »), il se tourne, de manière radicale, contre l’impératif catégorique de son maître Kant, dont il mésinterprète l’appel à toujours penser aux conséquences de sa propre action pour l’universalité (pour la chose publique), comme une obligation à se soumettre à une pensée obéissante à l’autorité. Tout anti-étatiste pourrait, en se soumettant à une telle pensée, considérer que les lois ne sont que contraintes et non par autant de formules dont la validité est universelle.

 

L’autre échappatoire vers le paradis (toutefois sans Dieu) est la « contemplation détachée de tout intérêt » qu’offre la contemplation esthétique : en jouissant d’une œuvre d’art, surtout une œuvre musicale, l’homme peut aussi dépasser le « principium individuationis » et s’unir au fond cosmique de l’univers.

 

Schopenhauer comme précurseur de la psychanalyse freudienne

 

Aujourd’hui on ne juge pas tant l’importance de Schopenhauer à la teneur de ses principales idées philosophiques qu’à ses multiples influences postérieures. De son vivant, son ouvrage principal n’a quasiment pas été pris en considération. Il a fallu attendre le dernier tiers du 19ème siècle, donc après la mort de Schopenhauer, pour assister à une réception de son œuvre d’une rare intensité. Schopenhauer a amorcé ses réflexions philosophiques à l’époque dite des « Biedermeier » en Allemagne ; dans sa jeunesse, il a encore connu Goethe. Sa mère, Johanna Schopenhauer, écrivait des romans et tenait un salon littéraire à Weimar. Sa célébrité posthume, Schopenhauer la doit au fait qu’il fut un contemporain de Richard Wagner, dont « L’Anneau des Nibelungen » avait été fortement imprégné par la pensée de notre philosophe. Il la doit également à Friedrich Nietzsche qui, dans ses « Considérations inactuelles », évoque « Schopenhauer comme éducateur » et fait l’éloge de sa « volonté de vérité » et de son pessimisme héroïque. C’est justement au départ de cette réflexion nietzschéenne sur Schopenhauer qu’un filon s’amorce en direction de la critique révolutionnaire/conservatrice du vingtième siècle. En effet, l’archétype du solitaire et du précepteur oisif, méprisant la politique, se repère dans le philosophe grognon des « Considération d’un apolitique » de Thomas Mann. Celui-ci reconnaît encore sa dette à l’endroit de Schopenhauer dans quelques-uns de ces récits, dont la nouvelle « Tobias Mindernickel », où il traite de l’éthique de notre philosophe.

 

L’œuvre de Schopenhauer a eu un impact considérable sur des écrivains aussi importants que Hermann Hesse, Samuel Beckett et Thomas Bernhard. Dans l’univers des philosophes, l’impact a d’abord été moindre et ce sont, dans un premier temps, des figures marginales du monde universitaire du début du 20ème siècle qui se sont intéressées à lui : songeons à Georg Simmel et à Max Scheler qui, tous deux, font démarrer leurs réflexions à la suite de Schopenhauer. La plupart du temps, les philosophes universitaires l’ont considéré d’abord, et souvent à raison, comme un disciple original de Kant ou comme un précurseur de Nietzsche. Certes, il fut l’un des principaux précurseurs de Nietzsche mais il fut surtout l’une des principales figures anticipatrices de la psychanalyse. La réduction freudienne de la vie sentimentale à la pulsion sexuelle se retrouve, bien avant Freud, dans l’œuvre de Schopenhauer, et sans la moindre ambiguïté. Dans la conception schopenhauerienne de la volonté comme une puissance irrationnelle dépassant la conscience individuelle, nous trouvons les prémisses essentielles de l’inconscient collectif de Carl Gustav Jung.

 

Schopenhauer nous a transmis aussi la sagesse indienne, ce qui ne fut pas le moindre de ses mérites. Le premier contact qu’il a eu avec l’univers mental indien date de 1813, lorsqu’il séjournait à Weimar et qu’il y rencontra pour la première fois l’orientaliste Friedrich Majer, disciple de Herder. Sous l’influence des études de Majer, Schopenhauer finit par se considérer comme « le premier bouddhiste d’Europe ». Ainsi débuta l’histoire d’une méprise créatrice, comparable à l’interprétation quiétiste de l’antiquité classique, dont on vantait « la noble simplicité et la grandeur tranquille ». Les conséquences de cette méprise résident surtout dans une interprétation fausse du bouddhisme comme nihilisme, un nihilisme qui reposerait sur une rétention vis-à-vis de tout agir et verrait le but le plus élevé de l’existence dans une immersion dans le « néant ». On a vu l’effet de cette mésinterprétation du bouddhisme sévir dans la décennie qui suivit la Grande Guerre, où régnait une ambiance de déclin, comme, plus tard, dans la vogue bouddhiste qui se retrouve en Occident jusque aujourd’hui.

 

Petit bourgeois réactionnaire et ennemi des bourgeois étriqués

 

Schopenhauer_mit_Pudel.jpgSchopenhauer est lié à son temps quand il exprime son système philosophique basé sur la volonté ; il l’est également dans l’insouciance relative dont il fait montre à l’endroit de toute recherche empirique, ainsi que dans sa prétention à pouvoir présenter une interprétation générale du monde qui sera à jamais irréfutable. Mais les impulsions qui partent de son œuvre pour aboutir à notre temps sont fort nombreuses. Parmi elles : son « habitus » non académique de philosophe artiste et de littérateur. Il y a aussi son attitude ambivalente face à la classe bourgeoise : d’une part, Schopenhauer est très nettement un petit bourgeois réactionnaire qui méprise la période prérévolutionnaire d’avant 1848, le « Vormärz » ; d’autre part, en tant que demi bohémien, il est un ennemi de la mentalité bourgeoise étriquée (le « Spiessertum »), qui se manifeste surtout dans l’institution du mariage, cible de sarcasmes perpétuels pour ce misogyne grognon et animé par ses pulsions. Pour s’assurer un certain équilibre émotionnel, notre célibataire endurci s’est flanqué pendant toute sa vie d’un compagnon canin, un caniche : dès que l’un de ces animaux favoris mourrait, il s’en procurait un nouveau qu’il baptisait invariablement « Atman », comme tous ses prédécesseurs. Ce nom signifiait en sanskrit « souffle de vie » ou « âme individuelle », car, croyait-il, il y avait, actif, dans chaque caniche un seul et même principe de vie, le « Pudels Kern », le « noyau du caniche ».

Arthur Schopenhauer meurt le 21 septembre 1860, comme un vieil original, peu célèbre et bizarre, à Francfort sur le Main, ville où, après ses années de pérégrination et d’études, il s’était fixé pour y passer la seconde moitié de sa vie. Quelques années après son passage de vie à trépas, Léon Tolstoï le nomme « le plus génial de tous les hommes ».

 

Baal MÜLLER.

(article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°38/2010 ; http://www.jungefreiheit.de/ ).