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mardi, 07 novembre 2023

Géopolitique du transport maritime. Une clé pour comprendre le monde

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Géopolitique du transport maritime. Une clé pour comprendre le monde

par Nicola Silenti

Source: https://www.destra.it/home/geopolitica-dei-trasporti-marittimi-una-chiave-per-comprendere-il-mondo/

La mer est la clé de tout. Pour bien comprendre les grands changements dans les rapports de force entre les nations, déterminer le poids des continents et deviner la direction que prend le monde, il faut s'intéresser au trafic de marchandises conteneurisées et aux routes maritimes sur lesquelles circulent les marchandises. D'où elles partent et où elles arrivent, les pôles stratégiques et ceux en déclin, mais aussi les zones "à risque", soumises à des actions militaires ou de piraterie, où les flux mondiaux de marchandises peuvent se ralentir, voire s'arrêter.

L'élément déterminant pour la rédaction de toute analyse sérieuse sur le sujet est une véritable connaissance des routes, mais surtout l'expérience, qui est souvent plus précise et exhaustive que n'importe quelle étude statistique ou n'importe quelle science économique. Une expérience qui est l'héritage de l'histoire personnelle et professionnelle de ceux qui, comme l'auteur, ont navigué sur les mers "chaudes" de la planète depuis les années 60, témoins privilégiés de bouleversements d'époques, d'ascension et de chute d'empires et de révolutions technologiques jusqu'alors inconcevables et impensables. Des années où les "zones à risques" maritimes n'existaient pas encore, mais où elles figuraient en toutes lettres sur les cartes des navigateurs internationaux, conscients des pièges et des risques qui, telles les sirènes d'Ulysse, se cachaient dans ces passages obligés. Des détroits, des routes et des points nodaux à haut risque qui, dans le contexte historique international actuel, sont en quelque sorte les pierres angulaires de la géopolitique de la mer: un mot, "géopolitique", qui est resté inconnu de l'univers maritime au moins jusqu'aux années 70, malgré la brève et clairvoyante parenthèse que cette discipline a connue en Italie de 1939 à 1942 avec la revue de Giuseppe Bottai (photo) Rassegna mensile di geografia politica, economica, sociale e coloniale.

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Comme l'a récemment souligné une étude de Jérôme de Ricqlès, expert du marché maritime, pour cartographier de manière fiable les points chauds des routes maritimes de la planète et établir une carte des risques, il faut partir de la jonction des détroits des Dardanelles et du Bosphore et de la mer Noire, fortement touchée par la guerre russo-ukrainienne avec son corollaire tragique d'attaques de missiles et de bombardements sur les ports d'Odessa et de Sébastopol et le risque pressant d'une escalade à l'issue imprévisible. Une alerte rouge similaire est attribuée par de Ricqlès à la zone du Golfe de Guinée, affectée depuis un certain temps par une série ininterrompue d'attaques de pirates sur les côtes et dans les eaux internationales, et à la partie de l'Extrême-Orient située entre l'île de Taïwan et la mer de Chine, prisonnière depuis des décennies du différend non résolu sur la souveraineté de l'île et des innombrables implications géopolitiques qui couvent sous une cendre qui devient chaque jour plus incandescente.

Autre carrefour à fort coefficient de dangerosité, le golfe d'Aden, passage obligé entre la mer Rouge et le canal de Suez, est une zone de grande instabilité prise dans l'étau des conflits au Yémen et en Somalie, cette dernière étant l'épicentre mondial de la piraterie. Le changement climatique menace la navigation dans les océans Atlantique et Pacifique en hiver, tandis que le canal de Suez reste un carrefour risqué pour les grands porte-conteneurs, qui sont toujours exposés au danger trop fréquent des collisions. Ces risques sont similaires à ceux qui affectent le détroit de Malacca, passage obligé pour les porte-conteneurs voyageant entre l'Est et l'Ouest via Singapour : un transit qui équivaut à plus d'un tiers du trafic mondial de marchandises et qui, pour cette même raison, est de plus en plus affecté par des accidents dus à des collisions et à des épisodes croissants de piraterie. En Europe, la zone du Solent devant le port anglais de Southampton, exposée à des vents forts et à des courants dangereux qui réduisent la manœuvrabilité des navires transportant des conteneurs, est une zone avec un coefficient de risque plus faible, mais toujours sous la loupe.

Dernier en termes d'indice de danger mais certainement loin d'être secondaire sur les routes du trafic mondial, le canal de Panama, sujet à des accidents graves sporadiques mais affecté depuis l'été de cette année par le phénomène de la sécheresse, qui a réduit le transit des navires et pourrait se poursuivre pendant au moins une autre année civile. Les aléas d'un climat qui est souvent le véritable moteur de l'histoire, une histoire qui n'est pas toujours le produit exclusif de nos choix humains.

jeudi, 12 août 2021

La Russie travaille activement à une alternative au canal de Suez

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La Russie travaille activement à une alternative au canal de Suez

Par Valery Kulikov

Source New Eastern Outlook

Pour la réussite économique, on le sait, il ne suffit pas de produire des biens. Il faut aussi les livrer à l’acheteur. C’est pourquoi les voies de transport deviennent chaque jour plus critiques. Et c’est pourquoi, parallèlement à l’utilisation de voies de transport déjà connues, la Chine, par exemple, crée sa propre Nouvelle route de la soie, construit, au Nicaragua, une alternative au canal de Panama, tandis que la Turquie construit un canal d’Istanbul parallèlement à son traditionnel Bosphore. Ces efforts ont été stimulés par l’incident du 28 mai bloquant le canal de Suez, qui a conduit de nombreux pays à chercher des alternatives à cette artère de transport égyptienne. Le PDG du géant danois du transport maritime Moller-Maersk, Soren Skou, a parlé au Financial Times de cette accélération inconditionnelle des changements dans la chaîne d’approvisionnement mondiale des marchandises, après le blocage du canal de Suez .

Étant donné l’importance particulière, dans ces conditions, de la création d’une voie de transport durable et rentable pour les participants au commerce international entre l’Europe et l’Asie du Sud-Est, la Russie a participé activement à la recherche d’alternatives.

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Comme indiqué dans un précédent article, l’une des plus grandes entreprises de logistique de la planète, le groupe danois Moller-Maersk, spécialisé dans le transport de conteneurs, a déjà pris le parti d’augmenter son trafic de marchandises à travers la Russie en envoyant des conteneurs d’Asie, par voie maritime jusqu’au port de Vostochny (Primorsky Krai), puis par voie ferroviaire en traversant la Russie. Les conteneurs seront livrés via les voies de transport russes au port de Novorossiysk (Krasnodar Krai), d’où ils seront transportés par bateau vers la Méditerranée orientale. Cette nouvelle activité transcontinentale, admettent les Danois, permettra de réduire de moitié le temps de transport. En 2019, la compagnie danoise a lancé une autre route similaire entre les ports russes de Vostochny et Saint-Pétersbourg, transportant environ 2000 conteneurs depuis le début de 2021.

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Russian Railways a déclaré qu’ils voient un afflux constant de nouveaux clients avec des commandes de transport de conteneurs, et pas seulement dans le contexte du blocage du canal de Suez. Depuis avril 2020, début de la pandémie, Russian Railways a enregistré une augmentation considérable du volume de conteneurs en transit sur l’axe Chine-Europe-Chine. La vitesse moyenne d’expédition des conteneurs sur les principaux itinéraires est en moyenne de 1100 à 1200 kilomètres par jour, en tenant compte des frontières douanières. Selon Russian Railways, cette vitesse est beaucoup plus élevée que celle du transport maritime, plus élevée que celle du transport routier, et comparable à celle de l’aviation – en tenant compte des premiers et derniers kilomètres et de toutes les opérations de manutention des conteneurs dans les terminaux. En outre, Russian Railways note la mise à disposition d’une politique tarifaire stable : les tarifs de transit des conteneurs par le réseau de Russian Railways n’ont pas augmenté depuis 2011. La société a déclaré qu’elle était prête à faire face à la croissance des volumes et qu’elle développerait les services nécessaires à cet effet.

Comme l’a déclaré à plusieurs reprises l’entrepreneur russe Oleg Deripaska, son idée de reconstruire les principales voies ferrées de la « route du cèdre de Sibérie », pourrait devenir une alternative compétitive à la Nouvelle route de la soie chinoise, offrant ainsi à la Russie la possibilité de devenir une plaque tournante essentielle, un lien à part entière entre l’Europe et l’Asie. Selon lui, il est nécessaire de faire de cette initiative un projet national.

Un autre projet est l’autoroute Europe occidentale-Chine occidentale (WE-WC). Ses points clés : Saint-Pétersbourg, Moscou avec des tronçons de la M11 et du périphérique central, Samara et Orenbourg, accès au Kazakhstan puis à la Chine. L’avantage significatif du projet réside dans les unions douanières de l’EAEU et de l’Union européenne – les transporteurs n’ont à passer que deux dédouanements sur l’ensemble du parcours – à la frontière avec la Chine et avec l’Union européenne. Un mémorandum sur le projet a été signé en 2008, et la construction a commencé au même moment. En 2021, la Chine et le Kazakhstan ont déjà lancé leurs sections, tandis que la Russie ne s’est occupée que de l’autoroute M11.

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En plus de ces options, la route maritime du Nord (NSR) a récemment été de plus en plus désignée comme l’une des alternatives de transport russe. Fin mai, le ministère de l’industrie et du commerce de la Fédération de Russie a proposé de transporter du pétrole et du gaz le long de la route maritime du Nord à l’aide de navires de construction russe qui seraient capables de transporter du charbon et des hydrocarbures, ainsi que de faire du cabotage, du dégelage et du pilotage. Les autorités russes ont proposé que la NSR soit considérée comme une alternative à la route passant par la mer Rouge pour aller de l’Asie à l’Europe, en cherchant à rendre le trafic le long de la route maritime du Nord praticable toute l’année grâce à une flotte de brise-glace, que la Russie construit activement.

L’autre jour, les plans d’ouverture d’une nouvelle alternative de transport russe, le corridor international fluvial de transport nord-sud, ont été connus. Alexei Rakhmanov, directeur général de l’United Shipbuilding Corporation (USC) russe, en a fait part au président Vladimir Poutine le 22 juillet, ainsi que la conception d’un porte-conteneurs capable de livrer des marchandises de la Caspienne à la mer Baltique.

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Il a notamment été proposé de faire passer la cargaison par le nord de l’Iran ou l’ouest de la Chine et, par conséquent, par le port d’Olya, dans la région d’Astrakhan, pour la livrer à Helsinki dans un délai de sept à huit jours. Selon le directeur général de l’USC, les porte-conteneurs peuvent livrer des cargaisons le long de la Volga, puis par la voie navigable Volga-Baltique, et plus au nord jusqu’à Saint-Pétersbourg. Si nécessaire, il est également possible de livrer des cargaisons jusqu’à la mer Blanche. Le corridor international de transport Nord-Sud est destiné principalement à l’Iran, à l’Inde et à d’autres pays qui bordent l’océan Indien. Il est supposé que le flux principal de marchandises passera par le port de Mumbai, puis par la mer jusqu’au port de Chabahar en Iran, après quoi il sera livré par voiture ou par rail à travers l’Iran jusqu’à la mer Caspienne, puis par voie d’eau jusqu’à Olya. Le reste du chemin, à travers le territoire russe, sera une question de faisabilité économique. Rappelons que des lancements tests de cette route ont eu lieu de 2014 à 2017.

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Pour les marchandises en provenance de l’Empire céleste, la Russie construit le corridor de transport Est-Ouest et le corridor de transport Europe occidentale-Chine occidentale. Ce dernier, en particulier, est prévu sous la forme d’un réseau d’autoroutes, dont une partie essentielle sera la M-12. Dans ce cas, les marchandises s’accumuleront dans le port kazakh d’Aktau, sur la mer Caspienne.

Ainsi, la route Astrakhan-Helsinki prendra une partie du fret en transit du canal de Suez. Pour l’Europe du Nord, une telle route est plus rapide que de passer par l’Égypte. Bien entendu, il est encore trop tôt pour se prononcer sur le coût de cette route et sur l’argent qu’elle rapportera à la Russie. Toutefois, il est d’ores et déjà clair que ce projet est essentiel pour ce pays, dans la mesure où il assurera des commandes de construction navale russes.

Valery Kulikov

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone