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mercredi, 03 avril 2013

V. S. NAIPAUL, DE L’AUTRE COTE DES TENEBRES

       

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V. S. NAIPAUL, DE L’AUTRE COTE DES TENEBRES

par Frédéric Schramm

Ex: http://livr-arbitres.com/

A propos du prix Nobel 2001 de Littérature, écartons d’emblée la question de l’éventuel opportunisme politique dont auraient pu faire preuve certains juges séduits par la position radicale du lauréat sur la question islamique[1]. Le lauréat échappe à toute comparaison simpliste avec un écrivain tel que Salman Rushdie, qu’il avoue d’ailleurs n’avoir jamais lu.

Qu’elle soit niée ou revendiquée, une loi récurrente s’impose à tout ce qui a attrait au domaine de la création à l’échelle humaine. Elle inverse le postulat d’une prétendue raison pure détachée du monde comme la feuille morte se détache de l’arbre : « Je pense ce que je suis » présuppose l’œuvre créée en général et l’œuvre littéraire en particulier. Celle-là n’est jamais que le témoignage d’une réalité existentielle inexpugnable et l’univers littéraire de Vidiadhar Surajprasad Naipaul, exact reflet de son parcours identitaire et de l’enseignement sur le monde qu’il en a retiré, s’inscrit dans cette perspective.

Originaire des îles caraïbes de Trinité et Tobago, Naipaul est issu de la troisième génération d’Indiens[2] exilés dans cette possession britannique. Ecrivain anglophone, il devient en 1989, comme il l’avoue lui-même, citoyen des Lettres anglaises plutôt que véritable citoyen britannique, peuple auquel il reste définitivement étranger autant par la culture que par le sentiment d’appartenance nationale : un Britannique de papier, en somme mais dans le sens le plus noble du terme. Dès lors la comparaison revendiquée avec le Polonais Jozef Conrad Korzeniowski s’impose à bien des égards. La colonisation vécue par ceux qui la subissent ou « Marlow de l’autre côté du miroir » : ainsi pourrait se résumer la contribution de Naipaul. Mais loin des revendications geignardes et manichéennes, l’écrivain jette un regard sans complaisance sur les peuples colonisés en même temps qu’il poursuit la réflexion sur l’idée de la sauvagerie et des ténèbres entamée par Joseph Conrad[3].

Conscient d’appartenir à un peuple doué d’une forte identité, Naipaul oppose la solidarité communautaire[4] à l’individualisme occidental même s’il reste lucide face à de sa propre acculturation, ses ancêtres issus des hautes castes ayant perdu le véritable sens mystique de leurs rituels hindous. Fondamentalement opposé au mimétisme de classe de la part des plus éduqués parmi le peuple colonisé, qui se contentent de singer les classes supérieures colonisatrices, il annonce le leurre des sociétés démocratiques américaines, agglomérat de races à prétention égalitaire, la réalité des faits obligeant l’une de ces races à prendre le dessus. Et sans s’embarrasser de sous-entendus, il annonce clairement dans son roman Guérilleros[5]. qu’il ne peut pas s’agir des Afroaméricains, leurs tentatives aboutissant au même chaos que dans les états africains calqués sur des normes occidentales contredites par les réalités tribales et morales africaines, thème du roman A la courbe du fleuve5.

Profitant de ses voyages en Asie, il poursuit ses réflexions sur la nature des civilisations, leurs normes et l’effacement de leurs valeurs par les exemples hindous dans L’Inde brisée5 et L’illusion des ténèbres5 et islamique dans Parmi les croyants5 et Crépuscule sur L’Islam5 En Inde, il constate la contradiction profonde entre l’immuabilité du regard hindou sur le monde et le modernisme de l’Inde du parti du Congrès. Son jugement de l’Islam est beaucoup plus sévère puisqu’il dénonce son  intransigeance, son refus de la conscience individuelle, son caractère intrinsèquement fanatique et sa société acculturante par l’obligation de se soumettre à une oumma, communauté religieuse inexistante dans la réalité des faits mais idéalisée[6].



[1] Les prix Nobel restent à l’image du pays qui les décernent : neutres mais intéressés pour les prix littéraires et scientifiques suédois, ignoble pour l’improbable prix Nobel de la Paix, décerné par la Norvège, membre de l’OTAN délivrant ces dernières années leur rançon à des individus ou des organisations favorisant les intérêts bellicistes ou financiers de l’organisation criminelle et terroriste.

[2] Présente dans les quatre coins de l’Empire britannique, cette communauté atypique présente le double désavantage d’avoir été victime de la sanglante colonisation anglo-saxonne tout en l’ayant renforcée par sa participation à la repopulation des terres conquises.

[3] Notons qu’à cette fin, il utilise le même procédé de l’opposition entre le village et la brousse, les mêmes métaphores animales pour l’inanimé et l’humain.

[4] Affirmant pour l’occasion l’opposition entre les notions de Peuples ou Nations et celles de Patrie ou Etat.

[5] Editions 10/18

[6] Rappelons la tentative de coup d’état islamique perpétrée à Trinité, le 27 juillet 1990 par le Jamaat Al-Muslimeen de Yasin Abou Bakr (plusieurs dizaines de morts).